Nations Unies

CCPR/C/131/D/2479/2014

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

26 août 2022

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Décision adoptée par le Comité au titre du Protocole facultatif, concernant la communication no2479/2014 * , ** , ***

Communication présentée par :

H. R. (représenté par Open Society Justice Initiative et par Mutabar Tadjibayeva, du Club des cœurs ardents)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteur

État partie :

Ouzbékistan

Date de la communication :

23 mai 2014 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 21 novembre 2014 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision :

16 mars 2021

Objet :

Détention arbitraire et torture par la police et le service de sécurité ; usage sans discernement de la force meurtrière contre des manifestants ; déplacement forcé

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes ; abus du droit de plainte

Question(s) de fond :

Torture, traitement cruel, inhumain et dégradant ; détention arbitraire ; droit à la vie ; expulsion de son pays ; recours utile

Article(s) du Pacte :

6, 7 lu conjointement avec l’article 2 (par. 2), 9, 12 (par. 1 et 4), et 2 (par. 3) lu conjointement avec les articles 6, 7, 9 et 12

Article(s) du Protocole facultatif :

2, 3 et 5 (par. 2 b))

1.L’auteur de la communication est H. R., de nationalité ouzbèke, né en 1973. Au moment où il a soumis sa communication, il résidait aux Pays-Bas en tant que réfugié. Il affirme être victime d’une violation par l’État partie de l’article 6, de l’article 7 lu conjointement avec l’article 2 (par. 2), de l’article 9 (par. 1), de l’article 12 (par. 1 et 4), et de l’article 2 (par. 3) lu conjointement avec les articles 6, 7, 9 et 12. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 28 décembre 1995. L’auteur est représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur était homme d’affaires à Andijan (Ouzbékistan). Il a fui le pays après avoir participé à une manifestation le 13 mai 2005. Auparavant, il avait été, plus d’un an durant, régulièrement détenu, interrogé, battu et menacé par le Service national de sécurité et le Département des enquêtes criminelles de la police, qui cherchaient à lui extorquer de faux témoignages contre 23 hommes d’affaires importants.

2.2Le 11 avril 2003, l’auteur a été convoqué dans un commissariat militaire en vue de son inscription au registre des réservistes. À son arrivée au commissariat, il a été embarqué dans une voiture où quatre hommes lui ont donné des coups de poing à l’estomac, lui ont coincé la tête entre les sièges avant et l’ont menacé en lui disant qu’il « allait regretter d’être né ». Il a été conduit jusqu’aux locaux du Service national de sécurité où, dans une pièce vide de meubles, il a été battu et frappé au visage par quatre hommes. Alors qu’il était à terre, il a été roué de coups sur tout le corps, seuls sa tête et son visage étant épargnés. On lui a dit que le Service national de sécurité rendait compte au Président et que les autorités avaient décidé de « mettre fin à ses activités philanthropiques ». On l’a obligé à signer une feuille blanche, puis on l’a autorisé à sortir pour déjeuner en l’avertissant que s’il ne revenait pas, il serait inculpé au titre des articles 159 et 244 du Code pénal pour tentative de renversement de l’ordre constitutionnel et extrémisme religieux. À son retour, il a été accusé d’extrémisme religieux et a reçu l’ordre de revenir tous les deux jours de midi à 13 heures pour de nouveaux interrogatoires. Sa détention n’a pas été enregistrée. On lui a enjoint de n’en parler à personne et on ne lui a pas donné de procès-verbal de détention ni aucune information sur ses droits, y compris son droit à un avocat. Lorsqu’il est retourné au Service national de sécurité le lendemain, on lui a montré la feuille qu’il avait signée. Il y était écrit qu’il s’engageait à rester en contact avec le Service national de sécurité et que le fait d’en informer quiconque vaudrait reconnaissance de sa culpabilité au titre des articles 159 et 244 du Code pénal. On lui a dit que les personnes qui étaient condamnées au titre de ces articles ne ressortaient jamais vivantes de prison et que s’il ne se rendait pas aux convocations du Service national de sécurité, une procédure pénale serait ouverte contre lui.

2.3Pendant trois mois, l’auteur a été régulièrement convoqué par le Service national de sécurité, qui l’appelait ou envoyait un agent à son domicile ou à son bureau. Au cours du premier mois et demi, il a été interrogé tous les deux jours. Ensuite, il a été convoqué tantôt deux fois par semaine, tantôt une semaine sur deux. Lorsqu’il se rendait dans l’immeuble du Service national de sécurité, il devait ramper sous une grille dans la cour avant d’être conduit dans une pièce aux fenêtres grillagées. Il passait chaque fois entre deux et cinq heures dans les locaux du Service. Souvent, on ne lui posait aucune question, ou alors des questions absurdes, par exemple quelles étaient ses cigarettes préférées. Cinq ou six fois, on lui a demandé de se rendre tard le soir dans des lieux déserts mais il n’y est pas allé. Le lendemain, il était convoqué par le Service national de sécurité. On lui disait que c’était sur ordre du Président et qu’il ne trouverait personne pour le défendre. On exerçait des pressions sur lui pour qu’il donne des informations sur de riches hommes d’affaires d’Andijan. L’un des agents du Service lui a offert son aide contre 5 000 dollars, mais l’auteur a répondu qu’il ne possédait pas cette somme. En août 2003, le Service national de sécurité a cessé de le contacter, mais il se sentait surveillé et vivait dans un état de peur continuel.

2.4Après décembre 2003, l’auteur a été appelé à cinq reprises par le Département des enquêtes criminelles de la police pour des interrogatoires. On l’a menacé et insulté. Par deux fois, on l’a battu, plaqué contre un mur, giflé, frappé à l’estomac et roué de coups de pied dans les côtes. Ses périodes de détention n’ont pas été enregistrées. Il n’a jamais été informé de son droit à un avocat ou de tout autre droit. On lui a dit que s’il mourait, personne n’en saurait rien.

2.5Le 7 mai 2004, le chef du Département des enquêtes criminelles est venu au bureau de l’auteur et lui a dit de le suivre dans un minivan où se trouvaient d’autres membres du Département des enquêtes criminelles et des agents du Service national de sécurité. Dans le minivan, l’un des agents a dit à l’auteur qu’il devrait « payer pour son refus de coopérer ». L’auteur a été conduit au Département de la police du district, où on l’a giflé et lui a demandé de rédiger une déclaration indiquant qu’il n’était pas lié à des organisations extrémistes ou religieuses. Cinq minutes après avoir été relâché, il a été abordé par une femme qui lui a demandé du tabac. Il a été de nouveau appréhendé par un policier, qui lui a ordonné de retourner au Département de la police. Il y a retrouvé la femme, qui l’a accusé de l’avoir prise de force dans les bras et embrassée. La police a consigné cette déclaration sans poser de questions. L’auteur a été placé en détention au titre de l’article 183 du Code de la responsabilité administrative pour avoir offensé la femme. À 19 h 10, l’auteur a été incarcéré dans une cellule d’un mètre sur un mètre et demi. Il y a passé la nuit sans pouvoir aller aux toilettes, sans eau et sans nourriture, et sans être autorisé à appeler son avocat ou sa famille. Les murs en béton de la cellule et une porte en pierre étaient maculés de sang. Il y avait un banc mais il était impossible de s’y allonger. Au bout de quatre heures, un homme que l’auteur pensait être un agent de l’État a été placé avec lui dans la cellule. Le 8 mai 2004, à 10 heures du matin, l’auteur a été conduit au sous-sol, où se trouvaient six hommes. Il a reconnu deux agents du Département des enquêtes criminelles et deux agents du Service national de sécurité. Ils lui ont demandé de témoigner contre ses associés, lui promettant en échange un appartement, deux magasins et une voiture. Devant son refus, ils l’ont menacé de mettre chez lui des preuves d’infractions, de l’arrêter et de le violer avec une matraque. Un agent du Service national de sécurité l’a frappé plusieurs fois à la nuque, voulant l’obliger à signer une feuille blanche. L’auteur a été attaché à la chaise avec des menottes, bras croisés, et il a été traîné par les cheveux à travers la pièce et battu sur tout le corps, le visage, la tête et le cou, d’abord à coups de poing, puis à coups de matraque, jusqu’à perdre connaissance.

2.6Les agents du Service national de sécurité ont appelé une ambulance et l’auteur a été admis aux urgences de l’hôpital central du district d’Izboskan, où il est resté du 8 au 17 mai 2004. Il a repris connaissance quatre jours et demi après son admission. Il a ensuite été soigné dans le service de neurologie du 17 au 29 mai 2004 puis à nouveau du 5 au 12 juin 2004. Malgré les demandes répétées de sa famille, un examen médico-légal n’a été effectué que seize jours après les tortures subies. Cet examen a été réalisé par des agents du Service national de sécurité présents dans les locaux et a consisté en une rapide inspection visuelle. L’auteur n’a pas obtenu de copie des résultats. Ses requêtes et celles de sa famille demandant un autre examen ont été rejetées. À la suite de leurs plaintes, le directeur de l’hôpital a insisté pour que l’auteur sorte de l’hôpital. La belle-mère de l’auteur a entendu des agents du Service national de sécurité obliger le médecin chef, qui affirmait pourtant que l’état de santé de l’auteur n’était pas satisfaisant, à faire sortir ce dernier. L’auteur souffrait toujours de violents maux de tête et nécessitait des soins suivis dans le service de neurologie. L’année suivante, il a été admis environ six fois à la clinique municipale d’Andijan.

2.7L’auteur et sa famille se sont plaints auprès du parquet de district, du parquet régional et du Procureur de la République des actes de torture et de la détention arbitraire auxquels la police et le Service national de sécurité l’avaient soumis les 7 et 8 mai 2004, produisant des preuves médicales et indiquant l’identité des auteurs de ces actes. Le parquet du district d’Izboskan a établi que l’auteur avait été détenu le 7 mai par des policiers et des agents du Service national de sécurité. Il a toutefois refusé d’ouvrir une enquête pénale au motif que, d’après un rapport d’examen médical daté du 25 mai 2004, l’auteur ne présentait pas de marques de contusions. L’auteur et sa famille ont également dénoncé les faits auprès du Président de l’Ouzbékistan et dans les médias.

2.8En juin 2004, l’auteur a été inculpé d’infraction administrative pour avoir offensé la femme le 7 mai 2004. Le 9 juillet 2004, le tribunal pénal du district d’Izboskan n’a pas retenu ces accusations car la plainte de la prétendue victime n’avait pas été dûment enregistrée et que ses déclarations contenaient des incohérences. En août 2004, l’auteur a intenté une action civile pour obtenir réparation des préjudices causés à sa vie et à sa santé par sa détention illégale et les coups que lui avait infligés la police les 7 et 8 mai 2004. Son avocat n’a pas osé porter plainte contre le Service national de sécurité. L’auteur a été informé que le Procureur avait contesté la décision du 9 juillet 2004 du tribunal pénal du district d’Izboskan. L’auteur et son avocat n’ont jamais reçu de copie de ce pourvoi et soupçonnent qu’il a été déposé après le délai imparti et après que l’action civile a été engagée. Le 16 septembre 2004, le tribunal régional d’Andijan a annulé la décision du tribunal pénal du district d’Izboskan en date du 9 juin 2004 ordonnant un complément d’enquête. Par une décision de justice en date du 7 octobre 2004, dont l’auteur n’a pas été informé, l’examen de son action civile en dommages-intérêts a été suspendu. Le 3 décembre 2004, le tribunal du district d’Izboskan a refusé d’examiner la demande de réparation de l’auteur, renvoyant à la décision du 7 octobre 2004.

2.9En novembre 2004, l’auteur a été interrogé comme témoin dans une affaire visant 23 hommes d’affaires accusés d’extrémisme religieux. On lui a dit ainsi qu’aux autres témoins que les peines seraient plus légères s’ils confirmaient que les hommes d’affaires appartenaient à l’organisation religieuse Akramaya. En avril 2005, l’auteur a été cité à comparaître comme témoin dans le procès. Il a dit au tribunal qu’il avait été détenu illégalement et torturé par le Service national de sécurité mais les juges n’ont pas réagi. Lorsqu’il a refusé de témoigner contre les hommes d’affaires, le tribunal lui a ordonné de quitter le prétoire.

2.10Pendant le procès des 23 hommes d’affaires, les inquiétudes suscitées par les actes de torture et autres violations commis à leur égard ont donné lieu à des manifestations. Le 12 mai 2005, un groupe d’hommes non identifiés a libéré les hommes d’affaires de la prison municipale. Cette nuit-là, l’auteur s’est caché chez un ami car il avait vu des agents du Service national de sécurité se rendre chez son voisin. Le 13 mai 2005, l’auteur s’est joint à une foule de 10 000 à 15 000 personnes, pour la plupart non armées et comprenant un grand nombre de femmes et d’enfants, qui manifestaient place Bobur à Andijan pour exprimer les inquiétudes que leur inspiraient la situation économique, la répression gouvernementale et les abus judiciaires. Les forces gouvernementales ont bloqué les sorties de la place et tiré sans discernement sur la foule, tuant entre 500 et 700 personnes, dont des femmes et des enfants. Des soldats montés sur des jeeps et des camions roulant à vive allure ont fait feu sur la foule. L’auteur a vu des gens mourir tout près de lui. Les forces de sécurité n’ont pas cherché à utiliser la force non meurtrière ou à ne viser que les quelques tireurs qui se tenaient en marge des manifestants, ni tenté d’avertir la foule ou d’appeler à la dispersion. Les gens essayaient de fuir sous le feu nourri des véhicules blindés de transport de troupes et des tireurs d’élite, tandis que les forces gouvernementales tiraient sans discernement, y compris sur des personnes brandissant un foulard blanc. L’auteur marchait aux côtés de deux hommes qui ont tous les deux été tués par balle. La plupart des survivants, dont l’auteur, ont fui vers la frontière avec le Kirghizistan, parcourant une cinquantaine de kilomètres en dix heures. À la frontière, ils sont tombés sur des soldats ouzbeks à bord de véhicules blindés et de camions militaires, qui ont ouvert le feu, tuant environ huit personnes, dont des femmes et des enfants, et faisant des blessés. Les autorités frontalières kirghizes ont autorisé les gens à entrer dans le pays le 14 mai 2005 au matin. L’auteur a vécu dans un camp de réfugiés avant d’être évacué en Roumanie par l’Organisation internationale pour les migrations puis transféré aux Pays-Bas. Sa femme et ses enfants ont été autorisés à le rejoindre plus de deux ans après sa fuite d’Andijan.

2.11Le 13 mai 2005, le Bureau du Procureur général a ouvert une enquête pénale sur les événements d’Andijan. Cette enquête ne portait pas sur les violations commises par les forces de sécurité mais présentait les manifestants comme des criminels et des terroristes. L’État partie n’a pas répondu aux appels des organisations internationales qui demandaient l’établissement d’une commission d’enquête internationale. Il a fermé la ville, détruit des preuves, réprimé les reportages indépendants, refusé l’accès de la ville aux défenseurs des droits de l’homme et aux journalistes, poursuivi, détenu et torturé des survivants et intimidé des témoins et des proches des personnes qui avaient fui. Neuf ans après le massacre, les proches des survivants restés en Ouzbékistan vivaient toujours dans un « climat de peur » et étaient régulièrement interrogés et harcelés.

2.12Les événements traumatisants vécus par l’auteur ont provoqué chez lui une dépression sévère, des crises d’angoisse et des troubles post-traumatiques.

2.13L’auteur affirme avoir épuisé tous les recours internes utiles disponibles. Avant de fuir l’Ouzbékistan, il avait dûment notifié les autorités de police et de justice de sa détention et de la torture qu’il avait subie. L’auteur observe que l’État partie a toujours refusé d’enquêter sérieusement sur les violations commises par les forces de sécurité lors du massacre d’Andijan, malgré l’existence de preuves substantielles et les appels répétés d’organisations internationales, et qu’il a récemment déclaré que l’affaire était close. Dans la mesure où l’État partie refusait d’enquêter sur les violations graves et multiples qui ont été commises, tout recours interne aurait été inutile et n’avait donc pas besoin d’être épuisé. L’auteur fait en outre valoir que même si un recours utile existait, il n’y aurait pas accès puisque, craignant pour sa vie, il avait été forcé de fuir le pays et que le Gouvernement rendait son retour dangereux en harcelant officiellement toutes les personnes ayant un lien avec les survivants d’Andijan.

2.14L’auteur fait valoir que sa communication ne constitue pas un abus du droit de plainte même si elle a été soumise au Comité plus de cinq ans après les violations qu’il allègue. Il dit avoir fui son pays parce qu’il craignait pour sa vie, venant d’échapper in extremis à un massacre. Il a ensuite été maintenu quelques mois dans un camp de réfugiés au Kirghizistan. Une fois installé aux Pays-Bas, il a été incapable pendant plusieurs années de parler de ce qu’il avait vécu à cause du traumatisme subi, de sa volonté de ne pas se faire remarquer et par peur que les membres de sa famille restés en Ouzbékistan ne soient harcelés. Il ne bénéficiait d’aucune assistance et ignorait les voies de recours possibles. Il avait entendu parler du Club des cœurs ardents, mais sa directrice, Mutabar Tadjibayeva avait elle‑même été emprisonnée dans le cadre de la répression exercée contre la société civile en Ouzbékistan après le massacre d’Andijan. L’auteur pensait que les autres organisations de défense des droits de l’homme n’oseraient pas porter plainte contre le Service national de sécurité. Mme Tadjibayeva est arrivée en France en mars 2009 et a obtenu le statut de réfugié en décembre 2009. Le Club des cœurs ardents a été enregistré en France en février 2011. L’auteur a contacté Mme Tadjibayeva une fois celle-ci installée. Le 15 mars 2012, Mme Tadjibayeva a saisi le Comité au nom de l’auteur mais l’enregistrement de la requête a été refusé le 12 octobre 2012. Mme Tadjibayeva a sollicité le concours de l’Open Society Justice Initiative pour la rédaction de l’argumentation juridique. Quand Mme Tadjibayeva et les avocats de Justice Initiative se sont entretenus avec l’auteur le 16 août 2012, il a demandé l’aide d’un psychologue. Il a fallu près d’un an pour mettre en place l’évaluation psychologique voulue et un soutien psychologique suivi de façon que ses démarches pour obtenir justice n’entraînent pas pour lui de nouveaux traumatismes. L’auteur soutient que le temps qu’a pris la préparation de la présente communication est en grande partie attribuable aux actions de l’État partie, et plus précisément au traumatisme qu’il a subi. Il ajoute que ses représentants ne voulaient pas aggraver son traumatisme en préparant la communication à la hâte, en raison des persécutions dont l’un des représentants de l’auteur a été l’objet et du harcèlement exercé contre ceux qui sont restés en Ouzbékistan.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme qu’entre avril 2003 et mai 2004, il a été régulièrement détenu illégalement et arbitrairement par le Service national de sécurité et le Département des enquêtes criminelles, en violation de l’article 9 (par. 1) du Pacte. Il a été gardé chaque fois pendant plus de deux heures. Ces périodes de détention étaient illégales parce qu’elles n’ont pas été enregistrées et qu’aucun procès-verbal de détention ne lui a été remis, en violation de l’article 225 du Code de procédure pénale ouzbek. Il n’a jamais été informé de ses droits, notamment de son droit à un avocat, et a été menacé de mort par le Service national de sécurité. Bien que sa détention la nuit du 7 au 8 mai 2004 ait été officiellement fondée sur une disposition du Code de la responsabilité administrative, le 9 juin 2004, le tribunal pénal régional d’Izboskan a estimé que la déclaration de la prétendue victime n’avait pas été dûment enregistrée et que cette détention était donc illégale. Chacune des périodes de détention de l’auteur était arbitraire car leur véritable objet était totalement étranger aux raisons invoquées. Le fait qu’on ait cherché à suborner l’auteur prouve qu’on l’a détenu dans le seul but de l’intimider et de l’obliger à témoigner contre ses associés.

3.2L’auteur affirme que pendant qu’il était détenu, il a été sévèrement battu et soumis à des sévices psychologiques sous la forme de menaces répétées, en violation de l’article 7 du Pacte. Ces mauvais traitements ont conduit à son hospitalisation et lui ont laissé des séquelles physiques et psychologiques. Il affirme que l’État partie n’a pas mis en œuvre les garanties voulues pour empêcher qu’il soit torturé, violant ainsi l’article 7 du Pacte, lu conjointement avec l’article 2 (par. 2). L’État partie, en particulier, n’a pas enregistré la détention de l’auteur, n’a pas informé sa famille, ne lui a pas permis, ni à sa famille, de s’entretenir rapidement avec un avocat indépendant, et n’a pas créé d’organe indépendant pour surveiller les lieux de détention.

3.3L’auteur soutient que l’État partie a ignoré à plusieurs reprises ses plaintes pour détention illégale et torture bien qu’il ait produit des documents médicaux prouvant des actes de torture et indiqué l’identité de ceux qui les avaient commis. En n’enquêtant pas sur ces violations et en ne donnant pas à l’auteur accès à des recours utiles, notamment à une indemnisation et une réparation adéquate, l’État partie a violé les articles 7 et 9, lus conjointement avec l’article 2 (par. 3) du Pacte.

3.4L’auteur affirme qu’en faisant usage sans discernement de la force meurtrière contre les manifestants d’Andijan, l’État partie a mis sérieusement en danger sa vie, en violation de l’article 6 (par. 1) du Pacte et du droit à la sécurité de la personne garanti à l’article 9 (par. 1). Il soutient que par leur conduite, notamment le choix des armes et l’absence d’avertissement, les forces de sécurité ont montré qu’elles avaient en fait cherché à faire, sans distinction, le plus grand nombre de morts possible.

3.5L’auteur soutient que sa fuite vers le Kirghizistan voisin avec plus de 500 autres manifestants sous les tirs aveugles des forces ouzbèkes a constitué une expulsion forcée et une violation de sa liberté de circulation et de résidence. Il affirme qu’en créant des conditions qui l’ont obligé à quitter son pays sous peine d’être tué, l’État partie a violé l’article 12 (par. 1 et 4) du Pacte. L’auteur dit que l’État partie continue à persécuter les personnes qui ont survécu et que tout réfugié, comme lui, qui retournerait en Ouzbékistan serait exposé à un risque réel de détention arbitraire et de torture.

3.6L’auteur soutient que l’État partie n’a pas mené d’enquête efficace sur les violations de son droit à la vie, de son droit à la sécurité de la personne et de son droit à la liberté de circulation, et ne lui a pas offert de recours utile, en violation des articles 6, 9 et 12 lus conjointement avec l’article 2 (par. 3) du Pacte. L’enquête officielle n’a été ni indépendante ni impartiale car elle n’a pas examiné la responsabilité des forces de sécurité. Elle n’a pas non plus été approfondie et a été entourée de secret. Les victimes et leur famille n’y ont pas été associées ; au contraire, elles ont été persécutées. Des défenseurs des droits de l’homme, des journalistes et des représentants d’organisations internationales ont été la cible d’une campagne de répression sans précédent destinée à étouffer toute autre version du massacre. L’auteur affirme que l’enquête officielle visait à dissimuler l’assassinat de 500 à 700 civils par les forces de sécurité et que l’expulsion forcée d’Ouzbékistan de plus de 500 victimes d’Andijan a été passée sous silence. Il affirme que ces violations pourraient être qualifiées de crimes contre l’humanité.

3.7L’auteur demande au Comité de déclarer l’État partie responsable des violations du Pacte alléguées, et d’exhorter l’État partie à prendre les mesures suivantes :

a)Faciliter et autoriser l’accès sans réserve d’une commission d’enquête internationale pour enquêter sur la détention et la torture dont ont fait l’objet l’auteur et d’autres chefs d’entreprise à Andijan et sur le massacre de centaines de civils non armés le 13 mai 2005 ;

b)Verser à l’auteur une juste indemnisation pour la torture et la détention illégale dont il a fait l’objet et pour le préjudice qu’il a subi pendant le massacre et le déplacement forcé des manifestants d’Andijan, et lui accorder une réadaptation complète ;

c)Instaurer des garanties pour empêcher que des détenus fassent l’objet de violations analogues, en garantissant l’enregistrement de tous les détenus dès le moment de leur placement en détention, en mettant en place un dispositif adéquat de surveillance des établissements de détention, en prévoyant un mécanisme de plainte indépendant et sûr en cas d’allégations de torture, en garantissant des examens médicaux indépendants sur demande et en créant un mécanisme d’enquête indépendant sur les allégations de torture qui soit pleinement conforme aux normes internationales et à la législation nationale ;

d)Instaurer des garanties pour prévenir l’usage illicite de la force meurtrière, conformément aux Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois ;

e)Faire en sorte que l’usage arbitraire ou abusif de la force ou des armes à feu par les responsables de l’application des lois soit puni comme une infraction pénale, en application de la législation nationale, et qu’aucune circonstance exceptionnelle, comme l’instabilité de la situation politique intérieure ou un état d’urgence, ne puisse être invoquée pour justifier une dérogation à ces principes de base.

Observations de l’État partie sur le fond

4.Dans ses observations datées du 2 avril et du 7 septembre 2015 et du 4 février 2016, l’État partie indique que l’auteur est fiché au Bureau des affaires intérieures du district d’Izboskan comme membre de l’organisation religieuse extrémiste Akromiylar depuis 2005. Les 12 et 13 mai 2005, il a pris part aux émeutes, à la suite de quoi il est parti illégalement pour les Pays-Bas via le Kirghizistan avec sa femme et ses enfants. Selon le Département des affaires intérieures du district d’Andijan, il n’existe aucune donnée sur des persécutions, détentions, procédures pénales, enquêtes ou recherches opérationnelles ayant trait à l’auteur. Les tribunaux de l’État partie n’ont pas examiné d’affaires administratives ou pénales le concernant. Selon le Ministère de l’intérieur, les deux policiers dont les noms sont mentionnés dans la communication n’ont jamais travaillé au Département des affaires intérieures du district d’Andijan.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant le fond

5.1Dans ses commentaires en date du 22 juin 2015, l’auteur note que les observations de l’État partie, qui tenaient en une page, n’abordaient pas les violations du Pacte qu’il a dénoncées en détail et qui sont étayées par quantité de preuves, de nombreux témoins oculaires, des informations émanant des médias et des rapports d’organisations non gouvernementales.

5.2S’agissant de l’affirmation de l’État partie disant que deux des agents identifiés par l’auteur n’ont jamais travaillé au Département des affaires de l’intérieur du district d’Andijan, l’auteur appelle l’attention du Comité sur la décision du tribunal du district d’Izboskan en date du 3 décembre 2004, qui se réfère aux témoignages de ces deux agents, ainsi que sur la décision du tribunal pénal du district d’Izboskan en date du 9 juin 2004, qui se réfère à l’interrogatoire de l’un des agents.

5.3Selon l’auteur, si l’État partie n’a trouvé aucun élément prouvant qu’il a été détenu, c’est probablement que ses périodes de détention et ses interrogatoires n’ont pas été dûment enregistrés.

5.4L’auteur observe que l’État partie ne conteste pas la description qu’il a donnée des nombreuses violations commises lors du massacre d’Andijan et ne donne aucun élément indiquant qu’il a enquêté sur le massacre de manifestants et l’expulsion forcée des survivants au Kirghizistan.

5.5Dans ses commentaires en date du 1er décembre 2015, l’auteur remarque que l’État partie n’a toujours fourni aucun élément indiquant qu’il avait enquêté sur le massacre. En affirmant ne disposer d’aucune information sur les détentions, persécutions et mesures de harcèlement dont l’auteur a fait l’objet, l’État partie confirme en fait qu’il n’a mené aucune enquête sur les détentions et mauvais traitements auxquels l’auteur a été soumis au cours des années ayant précédé le massacre.

Délibérations du Comité

Examen au fond

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité note que l’auteur affirme que sa communication ne constitue pas un abus du droit de plainte bien qu’elle ait été soumise plus de cinq ans après les violations alléguées. Il prend note des arguments de l’auteur selon lesquels la soumission de sa communication a été retardée par le profond traumatisme psychologique que lui avaient causé les violations alléguées, par les persécutions subies par l’un de ses représentants et par les craintes qu’il nourrissait pour ses proches restés en Ouzbékistan.

6.4Le Comité fait observer à ce sujet que le Protocole facultatif ne fixe pas de délai précis pour soumettre des communications et qu’un simple retard dans la présentation d’une communication ne saurait constituer en soi un abus du droit de plainte. Toutefois, dans certaines circonstances, le Comité attend une explication raisonnable pour justifier un tel délai. De surcroît, comme il est indiqué à l’article 99 c) du règlement intérieur du Comité, il peut y avoir abus du droit de plainte si la communication est soumise cinq ans après l’épuisement des recours internes par son auteur ou, selon le cas, trois ans après l’achèvement d’une autre procédure internationale d’enquête ou de règlement, sauf s’il existe des raisons justifiant le retard compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire.

6.5En l’espèce, le Comité observe que dans ses observations, l’auteur n’a pas fourni suffisamment d’informations donnant à penser qu’il a fait preuve de la diligence et de l’initiative voulues, en temps utile, pour faire défendre ses droits devant les autorités nationales ou le Comité. Il a adressé sa lettre initiale au Comité avec un retard considérable de huit ans après la détention arbitraire et les actes de torture allégués et sept ans après les événements d’Andijan. Le Comité note que l’auteur s’est installé aux Pays-Bas en novembre 2005, que sa femme et ses enfants l’ont rejoint en août 2007 et que, selon le dossier, sa belle‑mère vivait encore en Ouzbékistan en avril 2010. Il note toutefois que l’auteur ne donne pas d’explications quant aux craintes qu’il nourrit que sa famille ou lui fassent l’objet de poursuites dans les années à venir. Le Comité estime que l’auteur, qui s’est réinstallé aux Pays-Bas et y a obtenu le statut de réfugié, n’était plus menacé de persécution et était suffisamment en sécurité pour pouvoir porter plainte devant les autorités judiciaires de l’État partie ou lui soumettre une communication, seul ou avec l’assistance d’un conseil.

6.6Le Comité estime donc que l’auteur n’a pas expliqué de façon convaincante le retard avec lequel la communication a été soumise. En l’absence de toute autre information ou explication pertinente dans le dossier, il considère que la présentation de la communication après un laps de temps aussi long constitue un abus du droit de plainte. En conséquence, il déclare la communication irrecevable au regard de l’article 3 du Protocole facultatif et de l’article 99 c) de son règlement intérieur.

6.7Étant parvenu à cette conclusion, le Comité décide de ne pas examiner d’autres motifs d’irrecevabilité.

7.En conséquence, le Comité décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard de l’article 3 du Protocole facultatif ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur de la communication.

Annexe

Opinion conjointe (dissidente) d’Hélène Tigroudja et Arif Bulkan

1.Nous ne souscrivons pas à la décision du Comité de déclarer la communication irrecevable en raison du temps écoulé entre les événements (survenus entre 2003 et 2005) et la soumission de la communication au Comité (en mai 2014). De l’avis de la majorité, le temps écoulé constitue un abus de droit au sens de l’article 99 c) du règlement intérieur du Comité, lequel se lit comme suit :

« Afin de décider de la recevabilité d’une communication, le Comité, ou un groupe de travail constitué conformément au paragraphe 1 de l’article 107 du présent règlement, s’assure : [...] c) Que la communication ne constitue pas un abus du droit de présenter une communication. En principe, un abus du droit de présenter une communication ne peut pas être invoqué pour fonder une décision d’irrecevabilité ratione temporis au motif de la présentation tardive de la plainte. Toutefois, il peut y avoir abus du droit de plainte si la communication est soumise cinq ans après l’épuisement des recours internes par son auteur ou, selon le cas, trois ans après l’achèvement d’une autre procédure internationale d’enquête ou de règlement, sauf s’il existe des raisons justifiant le retard compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire. ».

2.Cette communication n’a effectivement pas été soumise dans le délai de cinq ans prévu par le règlement intérieur du Comité. Bien que l’État partie n’ait pas soulevé d’objection pour ce motif, dans la pratique le Comité a la prérogative d’analyser de sa propre initiative si la communication satisfait l’exigence ratione temporis et, dans la négative, si l’explication fournie par l’auteur justifie le retard et rend la communication recevable. Cependant, notre désaccord réside dans la façon dont la majorité des membres du Comité ont calculé le temps écoulé et ont apprécié l’explication fournie par l’auteur à cet égard.

3.Pour évaluer le « retard dans la soumission », le Comité s’est appuyé sur la date des faits qui sont à l’origine de la plainte (la privation de liberté, les arrestations, les coups et les actes de torture ont eu lieu entre 2003 et 2005) et la date de la lettre initiale adressée au Comité (23 mai 2014), alors qu’il n’est pas fait référence, dans l’article 99 c), à la date des événements mais plutôt à l’épuisement des voies de recours internes (ou des procédures internationales le cas échéant), pour ce qui est du moment à partir duquel le délai court. À cet égard, l’auteur a expliqué de manière approfondie et convaincante en quoi sa communication « ne constitue pas un abus [de] droit » (par. 2.14 ci-dessus), au vu de l’absence de recours internes formels à épuiser en ce qui concerne ses griefs et des événements qui se sont produits après les faits. Il a souligné que les faits s’inscrivaient dans le contexte des massacres d’Andijan (2005) et qu’il avait fui parce qu’il « craignait pour sa vie ». Après avoir passé plusieurs mois au Kirghizistan, il s’est installé aux Pays-Bas, mais ne voulait pas parler de ce qu’il avait vécu, craignant que les membres de sa famille restés en Ouzbékistan ne soient harcelés. Il a par la suite obtenu le statut de réfugié en France, en 2009 et, après plusieurs tentatives, il a obtenu le soutien de l’Initiative pour la justice des fondations Open Society pour rédiger sa communication. Cela signifie qu’entre le moment où il a fui l’Ouzbékistan et la soumission de sa lettre initiale au Comité, l’auteur n’est pas resté inactif. Au contraire, il a fait de son mieux pour demander de l’aide afin de soumettre ses griefs au niveau international, et soutient que « le temps qu’a pris la préparation de la présente communication est en grande partie attribuable aux actions de l’État partie, et plus précisément au traumatisme qu’il a subi ». Il ajoute que « ses représentants ne voulaient pas aggraver son traumatisme en préparant la communication à la hâte, en raison des persécutions dont l’un de ses représentants a été l’objet et du harcèlement exercé contre ceux qui sont restés en Ouzbékistan » (par. 2.14).

4.L’État partie ne s’est pas exprimé sur ce grief et n’a pas contesté la recevabilité de la communication. Il a seulement souligné, dans ses observations concernant le fond, que l’auteur était « membre [d’une] organisation religieuse extrémiste » et qu’en mai 2005, il avait « pris part [à des] émeutes, à la suite de quoi il [était] parti illégalement pour les Pays‑Bas via le Kirghizistan avec sa femme et ses enfants » (par. 4). Cependant, les affirmations de l’auteur sont étayées par les récentes observations finales adoptées par le Comité (presque exactement au moment de l’adoption de la présente décision d’irrecevabilité), dans lesquelles le Comité :

« se déclare à nouveau préoccupé par le fait qu’aucune enquête exhaustive, indépendante et effective n’a été menée sur les massacres commis et les blessures infligées par l’armée et les services de sécurité durant les événements survenus à Andijan en mai 2005, et note avec regret que l’État partie affirme que ces événements n’appellent aucune enquête internationale et que l’affaire est considérée comme close. Il regrette également l’absence d’informations claires sur la conformité de la loi de 2019 sur les armes à feu avec le Pacte et les Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois (art. 2 et 6) ».

5.Bien que, d’un côté, le Comité se soit déclaré préoccupé, dans ses observations finales de 2020, par le degré élevé d’impunité et le manque de volonté de l’État partie de garantir l’accès à la vérité et à la justice pour les victimes des événements d’Andijan, d’un autre côté, il a indiqué que l’auteur « était suffisamment en sécurité pour pouvoir porter plainte devant les autorités judiciaires de l’État partie » (par. 6.5 ci-dessus). La position adoptée par la majorité est clairement en contradiction avec ses déclarations concernant la situation concrète de l’État partie et méconnaît totalement le fait qu’au moins jusqu’en 2010, des membres de la famille de l’auteur vivaient encore en Ouzbékistan et que ce dernier avait donc des raisons valables de craindre pour leur sécurité. Ainsi, les raisons pour lesquelles l’auteur a mis du temps à soumettre la présente communication sont pleinement justifiées à la fois par la situation générale dans l’État partie (telle que l’a reconnue le Comité dans un autre contexte) et par la situation particulière à laquelle l’auteur a été confronté pendant cette période.

6.Compte tenu de l’impunité des massacres d’Andijan, soulignée par le Comité dans ses observations finales de 2020, et de la situation exceptionnelle de l’auteur, qui a été contraint de fuir son pays, nous estimons que le Comité aurait dû déclarer la communication recevable. Sur le fond, les faits constituent une violation des articles 6, 7, 9 et 12 du Pacte, lus séparément et conjointement avec l’article 2 (par. 3) s’agissant de l’absence de recours et d’enquête.