Nations Unies

CCPR/C/137/D/2894/2016

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

19 janvier 2023

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Décision adoptée par le Comité au titre du Protocole facultatif, concernant la communication no 2894/2016 * , ** , ***

Communication soumise par  :

A. D.‑N. (représenté par un conseil, W. G. Fischer)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteur

État partie :

Royaume des Pays-Bas

Date de la communication :

30 mai 2016 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 14 décembre 2016 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision :

22 mars 2023

Objet :

Conditions de vie inhumaines dans un centre d’accueil pour migrants en situation irrégulière

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes ; griefs insuffisamment fondés

Question(s) de fond :

Peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant

Article(s) du Pacte :

7

Article(s) du Protocole facultatif :

2 et 5 (par. 2 b))

1.1L’auteur de la communication est A. D.‑N., de nationalité somalienne, né le 20 octobre 1973. Il ne possède aucune pièce d’identité ni aucun document de voyage et vit sans domicile fixe au Pays-Bas. Il affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient de l’article 7 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 11 mars 1979. L’auteur est représenté par un conseil.

1.2Le 29 mai 2018, en application de l’article 94 de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire de ses rapporteurs spéciaux chargés des nouvelles communications et des mesures provisoires, a rejeté la demande de l’État partie tendant à ce que la recevabilité de la communication soit examinée séparément du fond.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur est né le 20 octobre 1973 à Mogadiscio. Il a fui la Somalie en raison de la guerre civile et a demandé l’asile au Royaume des Pays-Bas le 16 novembre 1992. Le Royaume des Pays-Bas a rejeté sa demande d’asile initiale, ainsi que des demandes ultérieures, respectivement en 2008 et 2013. L’auteur vit dans la rue depuis 1992 ; il a développé une dépendance à l’alcool et au khat et a été arrêté à plusieurs reprises, principalement pour vol à l’étalage. C’est pour cette raison que le Royaume des Pays-Bas l’a déclaré « étranger indésirable » le 4 janvier 2010 et lui a ordonné de quitter le pays dans les vingt-quatre heures. L’auteur n’est pas retourné en Somalie, bien qu’il ait été placé en détention à plusieurs reprises. En tant qu’étranger indésirable, il ne peut prétendre à l’asile.

2.2En décembre 2013, l’auteur a trouvé refuge dans un garage connu sous le nom de « Vluchtgarage », un squat géré par We Are Here, collectif de migrants sans papiers vivant dans la rue, à Amsterdam. L’auteur renvoie à des rapports et des lettres d’Amnesty International, de Human Rights Watch, de Médecins du monde et de l’Institut néerlandais des droits de l’homme attestant des conditions de vie dangereuses, inhumaines et très précaires régnant dans ce lieu, et dans lesquels il est demandé à l’État d’améliorer la situation. L’auteur dit qu’il souffre de problèmes psychologiques depuis qu’il a quitté la Somalie ; il soutient qu’il était tellement désorienté au moment où il a déposé sa demande d’asile en 1992 qu’il avait quitté le centre d’accueil avant son premier entretien. Des troubles post-traumatiques et des troubles dépressifs lui ont été diagnostiqués par la fondation Equator, qui gère un programme permettant aux réfugiés ayant subi des traumatismes de bénéficier d’un traitement. L’auteur affirme avoir été violemment agressé à plusieurs reprises pendant qu’il vivait dans la rue aux Pays-Bas et qu’il en a gardé des séquelles aux genoux et qu’il fait des cauchemars. En outre, il a développé des troubles cognitifs à cause de sa consommation d’alcool.

2.3L’auteur affirme que, selon la législation applicable au Royaume des Pays-Bas, les migrants sans papiers n’ont pas droit à l’aide sociale. Il n’est possible d’obtenir une aide qu’en sollicitant le Secrétaire d’État à la sécurité et à la justice ou une autorité municipale. L’auteur soutient qu’il a épuisé les deux possibilités.

2.4Le 13 août 2014, l’auteur s’est adressé aux services du logement et de l’aide sociale de la ville d’Amsterdam pour obtenir une place dans une structure d’accueil de proximité et une aide élémentaire, en se prévalant de la loi relative à l’aide sociale. Le 22 septembre 2014, la ville d’Amsterdam a rejeté sa demande et lui a suggéré de s’adresser au Secrétaire d’État à la sécurité et à la justice, qui pourrait lui proposer un hébergement dans un « établissement où la liberté est soumise à restrictions » (vrijheidsbeperkende locatie (VBL)). Les migrants sans papiers qui demandent une aide ne peuvent être hébergés dans l’un de ces établissements qu’à la condition qu’ils se déclarent disposés à coopérer à leur expulsion. Le 26 septembre 2014, l’auteur a contesté la décision négative rendue par la ville d’Amsterdam le 22 septembre 2014. L’opposition qu’il a formée a été déclarée non fondée par décision de l’autorité municipale le 26 janvier 2015. L’auteur a demandé le contrôle judiciaire de cette décision devant le tribunal de district d’Amsterdam, qui a accueilli sa demande et l’a entendu le 8 mai 2015. L’auteur a fait valoir que la décision initiale rendue par la ville d’Amsterdam de ne pas l’admettre dans un centre d’accueil d’urgence était illégale. Renvoyant aux avis rendus par le Comité européen des droits sociaux dans les affaires Conférence des Églises européennes (CEC) c. Pays-Bas et Fédération européenne des associations nationales travaillant avec les sans-abri (FEANTSA) c. Pays-Bas, le tribunal de district a rejeté l’argument de la municipalité selon lequel il n’était pas nécessaire d’offrir un hébergement à l’auteur car celui-ci pouvait se tourner vers un établissement où la liberté est soumise à restrictions. Il a conclu en outre que l’auteur avait un droit inconditionnel à un hébergement, dont il pouvait bénéficier dans le cadre du dispositif « un lit, une douche et du pain » (bed ‑ bad-broodregeling (BBB)). Le tribunal de district a toutefois refusé d’accorder à l’auteur une indemnité sous la forme d’une allocation de subsistance.

2.5Tant l’auteur que la ville d’Amsterdam ont fait appel du jugement du tribunal de district devant la Haute Cour administrative. Le 26 novembre 2015, cette dernière a conclu que la municipalité avait à juste titre rejeté la demande de l’auteur de bénéficier des services d’une structure d’accueil de proximité parce qu’elle n’était pas tenue de fournir cette aide à l’auteur, et que celui-ci pouvait s’adresser au Secrétaire d’État à la sécurité et à la justice pour obtenir un hébergement dans un établissement où la liberté est soumise à restrictions. La décision était définitive.

2.6Le 26septembre 2014, dans le cadre d’une seconde procédure, l’auteur a saisi le Secrétaire d’État à la sécurité et à la justice d’une demande visant à être hébergé dans un centre d’accueil adéquat et à obtenir une allocation de subsistance. Le 13octobre 2014, le Secrétaire d’État a informé l’auteur qu’il pouvait être hébergé dans un établissement où la liberté est soumise à restrictions, à condition de coopérer à son expulsion. Le 31octobre 2014, l’auteur a contesté cette décision et, le 1erdécembre 2014, le Secrétaire d’État a déclaré son opposition infondée. L’auteur a demandé le contrôle judiciaire de la décision du Secrétaire d’État devant le tribunal de district de La Haye. Le 17juillet 2015, ce dernier a jugé que cette demande était manifestement irrecevable, faute d’intérêt pour agir, constatant que l’auteur avait eu accès à un centre d’accueil dans la commune où il vivait. Étant donné que la ville d’Amsterdam venait de mettre en place le dispositif «un lit, une douche et du pain», l’auteur ne pouvait bénéficier d’une situation plus favorable si sa demande de contrôle judiciaire était examinée au fond, car il s’était déjà vu accorder la place qu’il avait demandée. L’auteur indique qu’il n’a pas saisi la Section du contentieux administratif, parce qu’introduire un recours supplémentaire contre la décision d’irrecevabilité rendue par le tribunal de district ne lui aurait pas permis d’obtenir une amélioration concrète de sa situation.

2.7Conformément à la décision rendue par la Haute Cour administrative le 26 novembre 2015 dans le cadre de la première procédure, la seule possibilité pour l’auteur d’obtenir un hébergement était de se tourner vers un établissement où la liberté est soumise à restrictions. L’auteur s’est donc présenté au centre de Ter Apel le 26 avril 2016 et a accepté de coopérer à son expulsion. Il a toutefois été informé que, n’ayant aucune chance d’être expulsé dans un délai de douze semaines, il ne remplissait pas la deuxième condition requise pour être admis dans cet établissement. Il n’y a donc pas été admis.

2.8Le 28 avril 2016, l’auteur a contesté la décision par laquelle il s’était vu refuser un hébergement dans l’établissement de Ter Apel. Le 3 juin 2016, le Secrétaire d’État a estimé que l’opposition formée par l’auteur était dénuée de fondement. L’auteur a demandé le contrôle judiciaire de cette décision devant le tribunal de district de La Haye, siégeant à Amsterdam. Il a demandé au tribunal un report de l’audience fixée au 15 décembre 2016. Sa demande a été acceptée le 13 décembre 2016 et l’audience relative à la procédure de contrôle a été reportée sine die.

2.9Le Service des rapatriements et des départs a demandé au conseil de l’auteur si celui‑ci souhaitait que soit examinée la question d’un éventuel placement dans un établissement où la liberté est soumise à restrictions. Le 3 mars 2017, l’auteur a été convoqué à un entretien par le Service afin de déterminer s’il devait être admis dans un tel centre.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient de l’article 7 du Pacte en ne lui offrant pas un hébergement et un soutien sans conditions et en le soumettant à des conditions inhumaines dans le Vluchtgarage. Il soutient qu’il n’a pas accès à un hébergement dans un établissement où la liberté est soumise à restrictions (VBL).

3.2L’auteur renvoie à la jurisprudence du Comité européen des droits sociaux, selon laquelle le fait que le Royaume des Pays-Bas ne fournisse pas une aide élémentaire sans conditions à toute personne se trouvant sur son territoire constitue une violation des articles13 et 31 de la Charte sociale européenne révisée, tout comme le fait de refuser d’appliquer ces dispositions afin de renforcer les politiques d’immigration. Il cite en outre un rapport dans lequel le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe dénonce expressément les conditions de vie dans le Vluchtgarage et réaffirme le devoir de l’État d’offrir un hébergement adéquat aux migrants sans papiers. Par ailleurs, l’auteur fait observer que, dans un appel urgent conjoint, trois rapporteurs spéciaux ont demandé au Royaume des Pays-Bas de fournir une aide d’urgence aux migrants sans papiers et sans abri, car manquer à cette obligation constituerait une violation des articles 11 (par. 1) et 2 (par. 2) du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Enfin, il renvoie à trois communications dans lesquelles l’Institut néerlandais des droits de l’homme, le Médiateur national et le Comité consultatif pour les questions migratoires respectivement ont demandé instamment à l’État de fournir un hébergement et des soins médicaux aux migrants sans papiers.

3.3L’auteur soutient que, bien que l’article 7 n’ait pas été invoqué dans la procédure interne concernant son dossier, la teneur de cette disposition était un élément central de ces procédures, tout comme celle de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme). Il indique que ses conditions de vie dans le Vluchtgarage à Amsterdam étaient désastreuses et semblables à celles qui ont été dénoncées dans l’affaire M. S. S. c. Belgique et Grèce, dans laquelle la Cour européenne des droits de l’homme a estimé que la situation du requérant faisait apparaître une violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme.

3.4L’auteur indique qu’il vit actuellement comme un squatter dans divers bâtiments abandonnés d’Amsterdam.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Le 28 février 2017, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité de la communication. Il soutient que la communication devrait être déclarée irrecevable au motif que l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles et n’a pas étayé ses griefs.

4.2L’État partie renvoie à la décision d’irrecevabilité rendue par le Comité dans l’affaire G. E. c. Pays-Bas, qui concernait un étranger en situation irrégulière dans l’État partie qui n’avait pas accès à un hébergement ou à une aide sociale en attendant que sa demande de permis de séjour pour raisons médicales ou de résidence permanente soit traitée. Dans cette affaire, l’auteur avait refusé l’offre d’hébergement faite par les autorités au motif qu’elle aurait supposé une restriction de sa liberté. L’État partie renvoie également à l’affaire Hunde c. Pays-Bas, qui concernait des griefs soulevés au titre des articles 2 et 3 de la Convention européenne des droits de l’homme au sujet d’un refus d’hébergement et d’aide sociale, ainsi que les conditions de vie inhumaines dans le Vluchtgarage. Dans cette affaire, la Cour européenne des droits de l’homme a conclu notamment que, compte tenu des circonstances, l’État n’avait pas manqué à ses obligations au titre de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme en restant inactif ou indifférent.

4.3L’État partie fait observer que le conseil de l’auteur a saisi de la même question les deux plus hautes juridictions administratives de l’État partie, à savoir la Section du contentieux administratif du Conseil d’État et le Tribunal central des recours pour la fonction publique et la sécurité sociale. Il affirme que le conseil de l’auteur demande maintenant par principe au Comité d’ignorer les constatations qu’il a formulées dans une affaire similaire, ainsi que les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme et de la Section du contentieux administratif et du Tribunal central des recours de l’État partie, et de statuer différemment.

4.4L’État partie affirme que l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles. Le conseil de l’auteur a engagé des actions devant plusieurs tribunaux et soutenu que les structures proposées par l’administration aux étrangers en situation irrégulière n’étaient pas compatibles avec les obligations découlant de diverses conventions. L’État partie affirme que l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles, puisqu’il n’a pas fait appel du jugement rendu le 17 juillet 2015 par le tribunal de district de La Haye et que la demande de contrôle judiciaire de la décision du Secrétaire d’État du 3 juin 2016 qu’il a introduite devant le tribunal de district de La Haye concernant son opposition est toujours pendante. Des voies de recours internes étaient ouvertes à l’auteur en ce qui concerne le grief soulevé dans sa communication au Comité, à savoir que les conditions de vie dans le Vluchtgarage et les conditions d’accès à l’établissement où la liberté est soumise à restrictions étaient contraires à l’article 7 du Pacte.

4.5S’agissant du fait qu’il n’avait pas formé de recours contre le jugement du tribunal de district du 17 juillet 2015, l’auteur a fait valoir qu’il n’était plus intéressé par la procédure parce que, à cette époque-là, la ville d’Amsterdam proposait un hébergement pour la nuit. Le grief formulé par l’auteur au sujet des conditions de vie désastreuses dans le Vluchtgarage ne peut être examiné séparément de l’offre de l’administration d’héberger l’auteur dans un établissement où la liberté est soumise à restrictions. Le fait que l’auteur ait trouvé une autre forme d’hébergement et n’ait pas poursuivi la procédure n’y change rien. L’auteur doit assumer les conséquences de la stratégie judiciaire qu’il a choisie. Si la procédure s’était poursuivie, elle aurait pu aboutir à un jugement au fond concernant les structures d’accueil offertes par le Secrétaire d’État et permis de répondre à la question de savoir si le placement dans un établissement où la liberté est soumise à restrictions était la forme d’hébergement la plus appropriée. Si le jugement avait été confirmé, l’auteur n’aurait pas eu à chercher refuge dans le Vluchtgarage.

4.6L’État partie conteste l’allégation de l’auteur selon laquelle la décision de l’administration de ne pas contester le jugement rendu le 17 juillet 2015 par le tribunal de district pourrait être interprétée comme confirmant qu’elle souscrit à l’idée que c’est aux autorités municipales qu’il revient de fournir un hébergement aux étrangers résidant illégalement aux Pays-Bas. Le conseil de l’auteur connaissait la position de l’administration, à savoir que l’hébergement des étrangers en situation irrégulière devait être assuré dans un établissement où la liberté est soumise à restrictions (VBL) et que le dispositif « un lit, une douche et du pain » (BBB) mis en place par la municipalité n’était qu’une mesure temporaire. Le jugement du tribunal de district a rendu définitive la décision prise par le Secrétaire d’État le 1er décembre 2014. Par conséquent, le Secrétaire d’État n’avait pas d’intérêt manifeste, comme la loi l’exige, à introduire un recours, car cette procédure n’aurait pas abouti à une situation plus favorable. Cela n’affaiblit pas l’argument selon lequel l’auteur aurait dû épuiser tous les recours disponibles, car c’est lui qui avait intérêt à engager une procédure aux fins de l’obtention d’un hébergement.

4.7La demande introduite par l’auteur aux fins du contrôle judiciaire de la décision du Secrétaire d’État du 3 juin 2016 par laquelle a été déclaré infondée son opposition à la décision de refus d’hébergement dans un établissement où la liberté est soumise à restrictions est toujours pendante devant le tribunal de district de La Haye. Il serait également possible de faire appel de la décision du tribunal de district. Par conséquent, toutes les voies de recours internes n’ont pas été épuisées. Les autorités n’ont pas eu la possibilité d’évaluer la situation de l’auteur et de déterminer si celui-ci répondait aux critères d’admission dans un établissement où la liberté est soumise à restrictions.

4.8L’État partie soutient que le droit à l’aide sociale est lié au caractère régulier du séjour et que l’auteur n’a pas épuisé les recours disponibles afin d’obtenir un permis de séjour. L’auteur aurait pu demander un permis de séjour temporaire au titre du principe de l’absence de faute, conformément à l’article 3.48 du décret de 2000 sur les étrangers. À aucun stade de la procédure interne, l’auteur n’a soutenu qu’il ne pouvait quitter le pays pour des raisons indépendantes de sa volonté. Le 5 août 2011, l’auteur a demandé que son départ soit reporté, sur le fondement de l’article 64 de la loi sur les étrangers. Cette demande a été rejetée par décision du 5 octobre 2011. L’opposition qu’il a formée le 26 octobre 2011 a été considérée comme dénuée de fondement par une décision du 16 août 2012. L’auteur n’a toutefois pas demandé que cette décision fasse l’objet d’un contrôle judiciaire. L’État partie considère que l’auteur n’a pas établi de façon convaincante que, s’il avait emprunté l’une des voies susmentionnées, la procédure aurait excédé des délais raisonnables ou aurait été peu susceptible de donner lieu à réparation et n’aurait donc pas constitué un recours utile.

4.9Renvoyant à l’observation générale no 20 (1992) du Comité, en ce qui concerne la définition des actes prohibés par l’article 7 du Pacte, l’État partie rappelle que cet article a pour but de protéger la dignité et l’intégrité physique et mentale de l’individu. L’État partie estime que l’article 7 ne donne pas aux personnes ne résidant pas légalement dans l’État partie un droit à un hébergement ou à une aide sociale. Il soutient que ce point de vue pourrait être développé plus avant dans ses observations sur le fond.

4.10L’État partie rappelle également que les constatations formulées par le Comité dans l’affaire G. E. c. Pays-Bas et les conclusions auxquelles est parvenue la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Hunde c. Pays-Bas confirment que les structures destinées aux étrangers en situation irrégulière dans l’État partie, y compris les établissements où la liberté est soumise à restrictions, ne sont incompatibles ni avec le Pacte ni avec la Convention européenne des droits de l’homme. L’auteur n’a en aucune façon démontré en quoi les conditions auxquelles il avait été soumis parce qu’il s’était vu refuser l’accès à un établissement où la liberté est soumise à restrictions avaient constitué une violation de l’article 7 du Pacte.

4.11En ce qui concerne le grief soulevé par l’auteur qui affirme que son séjour dans le Vluchtgarage est assimilable à une peine ou un traitement cruel, inhumain ou dégradant, l’État partie réaffirme que l’intéressé aurait pu chercher refuge dans un établissement où la liberté est soumise à restrictions. L’État partie conteste être responsable de la décision de l’auteur de rester dans le Vluchtgarage. L’argument de l’auteur selon laquelle on lui a refusé l’accès à un établissement où la liberté est soumise à restrictions n’y change rien, car l’accès à de tels centres n’est accordé qu’aux étrangers qui sont disposés à coopérer à leur retour dans leur pays d’origine. À la date de soumission des présentes observations, l’auteur n’avait pas donné aux autorités nationales l’occasion d’évaluer s’il était réellement disposé à coopérer à cet égard. Comme indiqué précédemment, la procédure nationale concernant l’accès de l’auteur à un établissement où la liberté est soumise à restrictions a été suspendue par le tribunal de district afin que les autorités nationales puissent entendre l’auteur et déterminer s’il devait être admis dans l’un de ces centres ; l’entretien a été fixé au 3 mars 2017. L’auteur n’ayant pas indiqué aux autorités nationales qu’il était disposé à coopérer à son départ, il convient de conclure que la communication de l’auteur n’est en outre pas suffisamment étayée.

4.12L’État partie note que l’auteur n’a pas non plus suffisamment étayé l’argument selon lequel les conditions de son séjour dans le Vluchtgarage avaient constitué une violation de l’article 7 du Pacte. L’auteur renvoie à des informations communiquées par l’Institut néerlandais des droits de l’homme et d’autres organismes concernant la situation dans ce centre d’accueil, mais il n’en ressort pas que l’auteur a été personnellement confronté à une telle situation. En particulier, l’auteur n’explique pas en quoi, selon lui, l’État ne s’est pas pleinement acquitté des obligations qui lui incombent au titre de l’article 7 à son égard. Comme l’a indiqué la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Hunde c. Pays ‑ Bas, un étranger qui séjourne illégalement aux Pays-Bas peut obtenir une aide et un soutien de diverses manières. L’auteur n’a pas suffisamment étayé aux fins de la recevabilité le grief qu’il a soulevé au titre de l’article 7 du Pacte.

4.13L’État partie conclut que la communication devrait être déclarée irrecevable au regard de l’article 2 et/ou de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1Le 5 avril 2017, l’auteur a soutenu qu’il avait épuisé tous les recours internes. Il en est attesté, selon lui, par la décision du 26 novembre 2015 dans laquelle la Haute Cour administrative a estimé que l’État partie n’était pas tenu de remédier au dénuement dans lequel il se trouvait. Cet arrêt était définitif et n’était pas susceptible de recours.

5.2La seule réparation que l’auteur cherche à obtenir est que l’on reconnaisse que le traitement auquel il a été soumis alors qu’il vivait dans le Vluchtgarage a constitué une violation de l’article 7 du Pacte. Au lieu de faire preuve d’indifférence, les autorités de l’État partie auraient dû lui venir en aide. L’auteur indique que, dans l’affaire Hunde c. Pays-Bas, mentionnée par l’État partie, la Cour européenne des droits de l’homme a réaffirmé que la Convention européenne ne consacrait pas un droit à une aide sociale. La Cour européenne des droits de l’homme a estimé que, compte tenu des circonstances de cette affaire et eu égard aux griefs soulevés par le requérant au titre de l’article 3, l’État partie aurait dû prendre des mesures pour atténuer la situation d’extrême pauvreté dans laquelle se trouvait l’intéressé. Elle a toutefois noté que les autorités avaient déjà réglé le problème sur le plan pratique, puisqu’une soixantaine de municipalités avaient mis en place un dispositif « un lit, une douche et du pain » destiné à aider les migrants en situation irrégulière, comme M. Hunde. Elle a donc conclu que le Royaume des Pays-Bas n’avait pas violé l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme.

5.3L’auteur rappelle l’argument soulevé par l’État partie dans l’affaire Hunde c. Pays ‑ Bas, dans laquelle les autorités ont admis qu’elles avaient fait preuve d’indifférence à l’égard de la question de l’hébergement des migrants sans papiers, ce qui avait amené ceux-ci à chercher une solution auprès des municipalités. Il affirme toutefois que, depuis lors, l’État partie est revenu sur ces engagements puisque le Secrétaire d’État a ordonné l’annulation du dispositif mentionné par la Cour européenne des droits de l’homme. Il ne peut donc pas s’appuyer sur les conclusions de l’affaire Hunde pour établir qu’il n’y a pas eu de violation. L’auteur soutient en outre qu’un tel revirement est contraire à la Directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil de l’Europe du 16décembre 2008, qui exige que les États membres règlent la situation des ressortissants de pays tiers qui sont en séjour irrégulier sur leur territoire mais qui ne peuvent pas encore faire l’objet d’un éloignement. Dans la mesure où aucune législation d’application permettant d’assurer des conditions de vie élémentaires n’était en place, la situation de l’auteur ne pouvait pas être réglée. L’auteur a été obligé de déposer de nouvelles demandes d’aide et d’essayer de trouver de nouvelles possibilités d’hébergement. Cela ne signifie toutefois pas qu’il n’a pas épuisé les voies de recours internes.

5.4L’auteur soutient qu’il a déposé de nouvelles demandes d’hébergement après que la Haute Cour administrative a rendu sa décision du 26 novembre 2015 mais, dans aucune d’entre elles, il n’a mentionné le temps qu’il avait passé dans le Vluchtgarage ; ces demandes ne sont donc pas pertinentes en l’espèce. Il soutient également que ces demandes ne changent rien au fait que la Haute Cour administrative a décidé que la situation dans laquelle il était contraint de vivre ne constituait pas une violation de l’article 7 du Pacte. Les mesures prises ultérieurement par la municipalité ont eu pour effet que la situation de l’auteur ne pouvait plus être examinée au regard de l’article 7.

5.5L’auteur fait valoir en outre que les conditions de vie dans le Vluchtgarage étaient les mêmes que celles qu’avait connue le requérant dans l’affaire Hunde c. Pays-Bas, mais que sa propre situation était différente. Il affirme qu’il avait besoin d’un traitement médical, mais qu’il n’était pas possible d’en bénéficier étant donné les conditions de vie dans le Vluchtgarage. Il soutient qu’il n’a pu commencer à suivre un traitement médical, y compris une thérapie visant à traiter son alcoolisme, qu’après que la municipalité a mis en place le dispositif qu’elle avait élaboré. Il indique que ses problèmes de santé étaient connus du tribunal et que son psychiatre en avait attesté et avait indiqué, le 29 septembre 2015, qu’un parking abandonné n’était pas un lieu de vie pour une personne souffrant de troubles post‑traumatiques, de dépendance à l’alcool et de troubles dépressifs. L’auteur admet que le droit interne prévoit qu’une aide médicale peut être accordée aux migrants sans papiers qui vivent sur le territoire du Royaume des Pays-Bas, mais il affirme qu’il a souffert des conditions de vie dans le Vluchtgarage, où la malnutrition, la maladie et la violence étaient des problèmes quotidiens. Il soutient que ces facteurs ont contribué à la violation de l’article 7. Lorsque les autorités municipales se sont substituées aux autorités nationales et lui ont proposé un hébergement, la violation alléguée a pris fin.

5.6L’auteur fait valoir que, l’État partie reniant ses obligations, il risque à nouveau de se retrouver dans une situation de dénuement, en violation de l’article 7, si les lieux d’hébergement proposés par la municipalité viennent à fermer leurs portes. L’auteur prie par conséquent le Comité de se prononcer en faveur du maintien des mesures prises par les municipalités pour éviter que des violations analogues ne se reproduisent.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1Le 28 septembre 2018, l’État partie a fait part d’observations complémentaires, dans lesquelles il a repris ses arguments précédents concernant l’irrecevabilité de la communication et a donné des précisions sur les faits ainsi que sur le droit interne et les mesures de politique générale applicables.

6.2L’auteur affirme comme un principe général qu’il n’a pas accès sans conditions à un hébergement dans un établissement où la liberté est soumise à restrictions et que ses conditions de vie dans le Vluchtgarage ont constitué une violation des droits qu’il tient de l’article 7 du Pacte.

6.3Dans le cadre de la législation applicable sur le territoire du Royaume des Pays-Bas, le droit à l’aide sociale est lié au caractère régulier du séjour. La loi relative à l’assistance sociale prévoit que les étrangers ne peuvent bénéficier de services ou prestations que s’ils résident légalement dans le pays. Les étrangers qui séjournent légalement dans l’État partie et qui sont dans l’attente d’une décision relative à leur demande de permis de séjour ne sont pas privés d’aide ou de prestations sociales. Même s’ils ne peuvent prétendre aux prestations du système de sécurité sociale ordinaire, d’autres formes d’aide leur sont ouvertes. En vertu de l’ordonnance sur les demandeurs d’asile et autres catégories d’étrangers (dispositif), ils peuvent avoir accès à des centres d’accueil et obtenir une allocation hebdomadaire ou d’autres aides financières ; ils ont également droit à des soins médicaux.

6.4En outre, le Royaume des Pays-Bas a mis en place un système d’accueil et d’hébergement des demandeurs d’asile (que leur dossier soit en cours de traitement ou déjà clos), qui garantit qu’aucun migrant ne soit forcé de vivre dans la rue. En plus de fournir un niveau d’aide certes élémentaire mais acceptable, le système vise à garantir que les demandeurs d’asile puissent participer à la procédure d’asile ou, si leur demande est rejetée, à la procédure de retour. Il en va de même des personnes qui n’ont fait aucune démarche en matière d’asile. Les personnes en situation irrégulière ont la possibilité d’être hébergées dans un établissement où la liberté est soumise à restrictions, à condition qu’elles acceptent de coopérer à leur renvoi dans leur pays d’origine. Dans des circonstances exceptionnelles, par exemple s’il s’avère que la personne concernée ne peut être tenue responsable de son refus de coopérer en raison de son état psychologique, il est possible de dissocier la condition de la coopération au départ de l’offre d’hébergement. Les personnes dont le séjour est illégal ont le droit d’accéder aux soins médicaux dont ils ont besoin.

6.5En ce qui concerne les faits, l’auteur est entré dans l’État partie à une date inconnue et réside dans le pays sans titre de séjour régulier. S’agissant de sa demande d’admission dans un établissement où la liberté est soumise à restrictions, le 3 mars 2017 l’auteur s’est entretenu avec deux représentants du Service des rapatriements et des départs au sujet de son admission dans un tel établissement et de sa volonté de coopérer à son retour. Il a indiqué qu’il coopérerait activement pour permettre son retour en Somalie. Sur le fondement de cet entretien, le Secrétaire d’État a décidé, le 13 juillet 2017, de revoir la décision du 3 juin 2016 et a conclu que l’opposition formée par l’auteur contre la décision antérieure était fondée. L’auteur a été informé qu’il serait admis dans l’établissement en question et il a répondu le 8 août 2017.

6.6Le 24 octobre 2017, le tribunal de district de La Haye a entendu l’auteur dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire des décisions des 3 juin 2016 et 13 juillet 2017. L’auteur a soutenu devant le tribunal que les conditions qu’il devait remplir pour avoir accès à l’établissement public où la liberté est soumise à restrictions n’avait pas été précisées. Il ne s’est donc pas rendu dans l’établissement de Ter Apel pour occuper la place qui lui avait été accordée. Il a fait valoir qu’il souhaitait accéder à l’établissement pour pouvoir être hébergé et bénéficier de soins médicaux pour traiter son alcoolisme qui seraient équivalents à ceux qu’il recevait, à l’époque, au centre Jellinek (institution offrant un programme de traitement aux adultes ayant des problèmes d’addiction), à Amsterdam. Selon l’auteur, l’accès à la structure gérée par l’État qui lui avait été accordé ne prévoyait pas ce type de prise en charge. Par jugement du 5 décembre 2017, le tribunal de district de La Haye a conclu que la demande de l’auteur tendant à ce que la décision du 13 juillet 2017 fasse l’objet d’un contrôle judiciaire était irrecevable au motif que l’auteur n’avait pas d’intérêt à ce que sa demande soit examinée au fond. Il a estimé que les conditions d’admission dans un établissement public où la liberté est soumise à restrictions étaient suffisamment claires. Selon le tribunal, l’auteur n’avait pas suffisamment établi qu’il avait un intérêt direct et personnel à obtenir des explications plus détaillées sur la volonté qu’il devait manifester de coopérer activement à son départ. Le tribunal a indiqué que les soins médicaux nécessaires étaient proposés dans l’établissement en question. À ce propos, il n’a pas signalé que les soins dont l’auteur affirmait avoir besoin constituaient des soins nécessaires sur le plan médical. Le 21 décembre 2017, l’auteur a introduit un recours contre ce jugement devant la Section du contentieux administratif du Conseil d’État. Le recours n’a pas encore été tranché.

6.7Le 15 décembre 2017, l’auteur a demandé à l’administration d’être placé dans une structure d’hébergement protégée en vue de bénéficier d’une prise en charge médicale. Le 2 janvier 2018, l’administration a informé l’auteur qu’il pouvait demander l’accès à une structure d’hébergement protégée à la municipalité et que les soins médicaux dont il avait besoin étaient en outre proposés dans l’établissement où la liberté est soumise à restrictions. L’opposition que l’auteur a formée contre cette décision a été déclarée infondée le 24 mai 2018. L’auteur a demandé au tribunal de district de La Haye que cette décision fasse l’objet d’un contrôle judiciaire. Le tribunal de district n’a pas encore statué. À la connaissance de l’État partie, depuis le 19 août 2015, l’auteur est hébergé au centre Walborg, une structure gérée par la municipalité d’Amsterdam dans laquelle il a accès au dispositif « un lit, une douche et du pain ». Le centre offre un hébergement de nuit, sept jours sur sept, de la fin de l’après-midi jusqu’au matin.

6.8L’État partie a rappelé ses observations du 28 février 2017 sur la recevabilité de la communication. En ce qui concerne l’allégation de l’auteur selon laquelle il aurait subi des mauvais traitements pendant la période qu’il a passée dans le Vluchtgarage, l’État partie estime que la communication est irrecevable au motif que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes dans les procédures relatives à l’accès à un centre d’hébergement géré par l’État. Cette allégation ne peut être examinée séparément des autres possibilités d’hébergement offertes par l’État, y compris dans l’établissement où la liberté est soumise à restrictions. L’auteur disposait de ces autres possibilités, ce qui signifie qu’il n’avait pas l’obligation de rester dans le Vluchtgarage. En outre, l’État partie a soutenu que l’auteur n’avait pas démontré en quoi son séjour dans le Vluchtgarage avait constitué une violation de l’article 7. L’auteur n’a pas suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, les griefs qu’il tire de l’article 7 du Pacte.

6.9De surcroît, quant au fond, l’État partie affirme qu’il n’y a pas eu de violation de l’article 7 du Pacte et que la communication dans son ensemble est dénuée de fondement. Il fait observer que l’article 7 ne donne pas aux personnes qui séjournent illégalement sur le territoire du Royaume des Pays-Bas un droit à un hébergement ou à une aide sociale. En outre, la situation vécue par l’auteur ne constitue pas un traitement qui équivaudrait à un traitement prohibé par l’article 7. L’État partie affirme que la couverture des besoins fondamentaux et la prise en charge médicale de l’auteur sont assurées, dans la mesure où celui-ci a accès à un établissement où la liberté est soumise à restrictions, dans lequel il pourrait en outre bénéficier de soins médicaux. Comme l’a indiqué la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Hunde c. Pays-Bas, un étranger qui séjourne illégalement sur le territoire du Royaume des Pays-Bas peut obtenir une aide et un soutien de diverses manières.

Nouveaux commentaires de l’auteur

7.1Le 11 avril 2020, le conseil de l’auteur a soutenu que l’État partie n’excluait pas que l’absence d’aide sociale pour les étrangers sans titre de séjour régulier puisse constituer un traitement cruel, inhumain ou dégradant. De plus, l’État partie a mis en doute le fait que l’auteur ait effectivement vécu dans le Vluchtgarage. L’auteur a demandé une aide à l’administration en août et septembre 2014 et a déclaré qu’il vivait dans ce centre. Il n’y a aucune raison de mettre en doute cette affirmation.

7.2L’État partie a soutenu que c’est l’auteur qui avait lui-même choisi ces conditions de vie dégradées, étant donné qu’il avait la possibilité de séjourner dans un établissement où la liberté est soumise à restrictions géré par l’État. L’auteur conteste cet argument, car il n’a pas eu la possibilité d’être admis dans un tel établissement, l’accès lui ayant été refusé le 26 avril 2016.

7.3Ce n’est que le 13 juillet 2017 que le Secrétaire d’État a décidé que l’auteur avait démontré qu’il était disposé à coopérer à son départ et pouvait être admis à séjourner dans l’établissement géré par l’État. L’auteur a toutefois décliné cette offre parce qu’il ne voulait pas interrompre le traitement qu’il avait déjà commencé à Amsterdam et que son médecin l’avait informé qu’un séjour dans l’établissement géré par l’État augmenterait le risque qu’il reprenne une consommation d’alcool et souffre à nouveau de troubles psychiatriques.

7.4L’État partie a répondu que d’autres structures étaient à disposition des personnes vulnérables et permettaient d’éviter les situations d’urgence médicale. L’auteur ne répond toutefois pas aux critères énoncés dans l’ordonnance sur les demandeurs d’asile et autres catégories d’étrangers (dispositif), et son état de santé ne constitue pas une urgence médicale. Bien que des personnes vulnérables qui séjournent illégalement sur le territoire de l’État partie puissent demander à obtenir une place dans l’une de ces structures, l’auteur ne s’est pas vu proposer une solution autre que vivre dans le Vluchtgarage.

7.5L’État partie a également fait référence au principe d’absence de faute. Selon les informations sur la Somalie consultées par les autorités de l’État partie chargées d’examiner les demandes d’asile, le retour est possible dans toutes les régions de la Somalie. En conséquence, l’auteur n’a pas pu demander un permis de séjour dans l’État partie au titre de l’absence de faute.

7.6L’auteur fait valoir que l’État partie a reconnu qu’un étranger pouvait être contraint de vivre dans des conditions difficiles pendant un certain temps, mais semble estimer que cela n’est pas contraire à ses obligations conventionnelles parce qu’il était possible de faire appel à un tribunal pour remédier à une telle situation. L’État partie a indiqué que, depuis le 19août 2015, l’auteur avait accès à un hébergement fourni par la municipalité. En effet, la ville d’Amsterdam a décidé de lui accorder une place dans un centre, mais ce n’est pas en raison d’un recours en justice qu’il aurait engagé. L’auteur n’a aucun droit juridiquement opposable d’être hébergé par la municipalité. La décision d’aider l’auteur prise par la municipalité le 19août 2015 n’efface en rien la situation dans laquelle celui-ci a vécu auparavant.

7.7Le programme d’hébergement mis en place par la municipalité a été supprimé le 1er juillet 2019. Les structures d’hébergement dépendent désormais des centres nationaux pour étrangers (landelijke vreemdelingen voorzieningen (LVV)). Ce programme d’hébergement est géré par plusieurs municipalités, mais relève de la responsabilité du Secrétaire d’État, qui fixe les critères d’admission. L’accès à l’hébergement dans un centre pour étrangers dépend de la volonté de la personne concernée de quitter le pays à terme et est accordé pour une durée maximale de dix-huit mois.

7.8L’État partie a fait observer que l’auteur a pu en tout temps bénéficier des soins médicaux dont il avait besoin. Le 13 décembre 2017, le centre Jellinek − institution qui s’occupe des addictions − a indiqué que le traitement suivi par l’auteur pour sa consommation d’alcool et les troubles post-traumatiques dont il souffrait était terminé. Comme l’auteur n’avait pas d’assurance maladie pour couvrir les frais, il n’a toutefois pas pu bénéficier d’un programme de suivi. Le centre Jellinek a conseillé de lui proposer un hébergement 24 heures sur 24, ainsi que des orientations et une place dans une structure afin d’éviter une rechute. Un hébergement dans des structures protégées est proposé dans le cadre de la loi relative à l’aide sociale. Le Tribunal central des recours a décidé le 18 mars 2020 que l’auteur ne pouvait pas demander d’aide au titre de la loi relative à l’aide sociale, car c’était au Secrétaire d’État qu’il incombait de garantir le respect des droits de l’homme de l’auteur.

7.9L’auteur n’a donc pas pu bénéficier du suivi médical dont il avait besoin. Il s’est remis à consommer de l’alcool. De ce fait, son accès aux structures d’accueil de la municipalité a été suspendu le 25 mars 2019. Il a toutefois été réadmis le 18 juillet 2019.

7.10Le 8 décembre 2020, l’auteur a soumis des annexes afin de compléter ses commentaires du 11 avril 2020, à savoir les décisions du Secrétaire d’État du 13 juillet 2017 et du Tribunal central des recours du 18 mars 2020, ainsi que le rapport psychiatrique du centre Jellinek du 13 décembre 2017.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

8.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.3Le Comité doit déterminer si le fait que l’auteur, en sa qualité de migrant en situation irrégulière, n’ait pas eu accès sans conditions à un hébergement et ait été confronté aux conditions dans lesquelles il a vécu dans le Vluchtgarage a constitué une violation des droits qu’il tient de l’article 7 du Pacte.

8.4Le Comité rappelle sa jurisprudence, selon laquelle les auteurs doivent exercer tous les recours internes pour satisfaire à la condition énoncée à l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif, pour autant que de tels recours semblent utiles dans leur cas particulier et leur soient de facto ouverts. Il prend note de l’objection de l’État partie, qui soutient que l’auteur n’a pas épuisé tous les recours disponibles étant donné que, dans le cadre de la seconde série de procédures, il n’a pas fait appel du jugement du tribunal de district du 17 juillet 2015 qui lui refusait l’accès à l’établissement où la liberté est soumise à restrictions, et que les divers moyens de demander à bénéficier d’un hébergement et d’une aide sociale sont interdépendants. Le Comité prend également note des arguments de l’auteur, à savoir : qu’il vit en situation irrégulière dans l’État partie depuis 1992 et qu’il a le plus souvent vécu dans la rue ; qu’il a été déclaré « étranger indésirable » le 4 janvier 2010, ce qui a eu pour effet qu’il ne peut prétendre à l’asile ; qu’il a préféré recourir au dispositif « un lit, une douche et du pain » mis en place par la municipalité (BBB), qui n’exigeait pas qu’il coopère à son expulsion vers son pays d’origine ; qu’il souffre d’une dépendance à l’alcool et que, de façon générale, sa santé est fragile ; qu’il a accepté d’être hébergé dans un établissement où la liberté est soumise à restrictions (VBL) en 2019, mais qu’il a changé d’avis car, en fin de compte, il préfère rester dans l’État partie, même s’il est un sans-papiers. Le Comité fait observer qu’en 2014 l’auteur s’est d’abord vu refuser l’accès au dispositif « un lit, une douche et du pain » ; qu’il a accès depuis le 19 août 2015 à ce dispositif, géré par la ville d’Amsterdam ; que, même si, devant les juridictions internes, l’auteur n’a soulevé qu’indirectement les griefs tirés de l’article 7, le jugement de la Haute Cour administrative du 26 novembre 2015 par lequel sa demande d’hébergement dans une structure d’accueil de proximité a été refusée au motif que la municipalité n’était pas tenue de lui venir en aide, était définitif. Le Comité considère que l’auteur a épuisé tous les recours internes disponibles dans le cadre de la première série de procédures qui concernait l’accès au dispositif « un lit, une douche et du pain » et les conditions de vie dans le Vluchtgarage. Il conclut par conséquent que les dispositions de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif ne font pas obstacle à l’examen de cette partie des griefs formulés par l’auteur. Toutefois, le Comité prend note de l’argument de l’État partie, qui affirme que l’article 7 ne garantit pas, en tant que tel, un droit à un hébergement ou à une aide sociale et que c’est l’auteur qui a choisi de rester dans le Vluchtgarage, puisqu’il a décidé de décliner l’offre d’hébergement dans un établissement où la liberté est soumise à restrictions, géré par l’État. Compte tenu de ce qui précède, l’État partie a prié le Comité de considérer que cette partie de la communication était irrecevable pour défaut de fondement. Dans les circonstances de l’espèce, le Comité considère que l’auteur n’était pas obligé de rester dans le Vluchtgarage, qui est un lieu non gérée par l’État, que l’intéressé a fait le choix de rester pendant une période limitée dans un endroit où les conditions étaient insalubres et qu’il n’a pas démontré en quoi son séjour dans cette structure avait constitué une violation de l’article 7. L’auteur était autorisé à séjourner dans l’établissement où la liberté est soumise à restrictions, où la qualité de vie était meilleure, mais il a décliné cette offre d’hébergement parce qu’elle était conditionnée à sa coopération à son retour dans son pays d’origine. En conséquence, le Comité conclut que cette partie de la communication est irrecevable parce qu’insuffisamment étayée au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.5En ce qui concerne la deuxième série de procédures, le Comité prend note de l’argument de l’État partie, qui affirme qu’à compter du 13 octobre 2014, l’auteur aurait pu accepter l’offre d’hébergement dans l’établissement où la liberté est soumise à restrictions, mais qu’il l’a déclinée pour éviter d’être expulsé, que l’auteur n’a pas fait appel de la décision d’irrecevabilité rendue par le tribunal de district le 17 juillet 2015, à la suite de quoi les demandes de contrôle judiciaire sont restées pendantes jusqu’en 2019, et qu’il a de nouveau refusé de donner suite à l’offre qui lui avait été faite le 13 juillet 2017 d’être hébergé dans l’établissement où la liberté est soumise à restrictions, après quoi il s’est remis à consommer de l’alcool. Le Comité note en outre que, le 25 mars 2019, en raison de sa consommation d’alcool, l’auteur s’est vu retirer l’accès au dispositif « un lit, une douche et du pain », et qu’il y a été réadmis à compter du 18 juillet 2019. Le Comité constate que l’auteur n’a pas fait preuve de la même diligence dans le cadre des procédures de recours qui lui étaient ouvertes pour obtenir un hébergement dans l’établissement où la liberté est soumise à restrictions (VBL), qui relève de l’État, que celle dont il a fait preuve pour être admis dans le dispositif « un lit, une douche et du pain » (BBB), lequel est placé sous l’autorité de la municipalité. Il constate également que l’auteur semble avoir utilisé les voies de recours de manière sélective dans le but de régulariser sa situation dans l’État partie. Compte tenu de ce qui précède, le Comité considère que cette partie de la communication, concernant l’accès sans conditions à un hébergement, est irrecevable au regard de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif pour non-épuisement des recours internes disponibles.

9.Par conséquent, le Comité considère que l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles et que la communication n’est pas suffisamment étayée aux fins de la recevabilité, et il la déclare irrecevable au regard des articles 2 et 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif.

10.En conséquence, le Comité décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard des articles 2 et 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur de la communication.

Annexe

Opinion individuelle (dissidente) d’Hélène Tigroudja

1.Je ne partage pas la conclusion du Comité selon laquelle la présente communication est irrecevable au motif que les griefs soulevés au titre de l’article 7 du Pacte ne sont pas suffisamment étayés et que les voies de recours internes n’ont été que partiellement épuisées.

2.En l’espèce, le Comité n’a pas tenu compte des critiques exprimées aux niveaux régional et universel au sujet du fait que l’État partie ne s’était pas doté d’une politique et n’avait pas pris de mesures pour résoudre la situation des migrants sans papiers et sans abri. Au contraire, le Comité a examiné la communication comme si l’auteur avait choisi de ne pas accepter l’offre d’hébergement faite par les autorités (par. 8.4), rejetant ainsi implicitement sur celui-ci la responsabilité de la situation désespérée dans laquelle il se trouve.

3.Je souhaite avant toute chose rappeler le rapport du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe qui a fait suite à sa visite dans l’État partie en 2014 :

Du fait [de la politique du Gouvernement en matière de migration illégale], un nombre indéterminé de migrants en situation irrégulière se retrouvent aujourd’hui dans la rue, en plein dénuement. Certains d’entre eux vivent depuis plusieurs années dans une situation de vide juridique, en particulier lorsque, pour un motif quelconque, ils ne peuvent être renvoyés dans leur pays d’origine. En réaction à cette situation, certains de ces migrants ont organisé des manifestations et installé des campements dans des lieux publics afin d’appeler l’attention de la population sur leurs conditions de vie et leur statut précaire, dans l’espoir que les autorités néerlandaises réexaminent leur politique ou, du moins, la situation de ceux d’entre eux qui sont les plus vulnérables.

4.Dans sa décision, le Comité n’a pas pris en considération la vulnérabilité particulière de l’auteur, et sa position est en contradiction non seulement avec le rapport susmentionné, mais aussi avec l’appel urgent conjoint lancé par trois rapporteurs spéciaux ainsi qu’avec les décisions adoptées par le Comité européen des droits sociaux concernant le Royaume des Pays-Bas dans des contextes factuels et juridiques semblables. Au paragraphe 8.4 de la présente communication, le Comité a implicitement approuvé la position de l’État partie selon laquelle l’article 7 du Pacte ne constituait pas le fondement juridique d’un droit à un hébergement. Or, comme l’a clairement souligné le Comité européen des droits sociaux, « le fait de vivre en situation de pauvreté et d’exclusion sociale porte atteinte à la dignité de l’être humain ». L’auteur n’a pas soutenu que l’article 7 consacrait un droit à un hébergement, mais a affirmé que les conditions de vie dans le Vluchtgarage étaient contraires à la dignité humaine, question qui relève du champ d’application du Pacte (voir par. 3.2 et 3.3 de la présente communication).

5.Le Comité a déclaré le grief irrecevable et considéré que l’auteur avait choisi de vivre dans la situation qui était la sienne, ce qui est éminemment problématique et contraire à l’interprétation bien établie du caractère absolu de la dignité humaine. Comme indiqué plus haut, la position du Comité ne tient aucun compte des lacunes structurelles qui ont été relevées au Royaume des Pays-Bas et est en outre en décalage complet avec les critiques et les préoccupations internationales concernant la politique de l’État partie à l’égard des migrants en situation irrégulière, qui a fait l’objet de l’appel urgent conjoint susmentionné.

6.Pour déterminer si les conditions de vie dans un lieu donné étaient compatibles avec les normes relatives à la dignité humaine, le Comité a décidé de présenter la question comme s’il s’agissait d’un choix : l’auteur s’est vu offrir la possibilité de séjourner ailleurs, mais il a décidé de rester dans le lieu en question, de sorte que les griefs ne sont pas suffisamment étayés au regard de l’article 7. Le raisonnement juridique du Comité est loin d’être clair et aucune explication n’est donnée sur le défaut de fondement des griefs soulevés. Cela signifie‑t‑il que, parce que l’auteur a décidé de rester dans le lieu en question, il a perdu le droit d’être protégé par l’article 7 du Pacte ? Une fois encore, si tel est le cas, ce raisonnement serait totalement contraire à l’interprétation selon laquelle la dignité est un droit absolu.

7.En outre, si l’on prend au sérieux l’argument selon lequel l’auteur a choisi de vivre dans la situation qui est la sienne, comme l’a fait le Comité, quel genre de choix peut avoir un migrant sans papiers qui vit dans une situation d’extrême pauvreté ? Accréditant la thèse de l’État partie, qui a été sévèrement critiquée par trois rapporteurs spéciaux, le Comité européen des droits sociaux et le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, le Comité a estimé que l’auteur avait effectivement eu le choix d’accepter ou non l’offre qui lui avait été faite, à savoir être hébergé dans un établissement offrant de meilleures conditions de vie que le Vluchtgarage à condition de coopérer à son expulsion.

8.Sans ouvrir un débat philosophique sur le concept de liberté, je ne pense pas que l’auteur a eu la liberté de choisir. Du point de vue des droits de l’homme, il a été porté atteinte à la jouissance et à l’exercice d’un droit censé être absolu : comment l’accès à un hébergement qui répondrait aux normes consacrées par l’article 7 peut-il être conditionné à l’acceptation d’être expulsé du territoire ? Je répète que cela est contraire au caractère absolu et impératif de l’article 7. J’ajoute que le fait que le Vluchtgarage est une propriété privée n’est pas pertinent lorsqu’il est question des obligations qui incombent aux États au titre de l’article 7, comme l’a souligné le Comité dans son observation générale no 20 (1992) (par. 2).

9.En conséquence, rejetant les arguments soulevés par l’État concernant les refus répétés de l’auteur d’accepter les offres d’hébergement proposées, j’estime que, dans sa communication, l’intéressé soulève des questions importantes quant à sa dignité, que les griefs étaient fondés et qu’ils ont été soumis aux autorités nationales, lesquelles ont eu l’occasion de corriger une politique, une législation et des pratiques bien connues et universellement condamnées, mais ne l’ont pas fait. À mon sens, la communication aurait dû être déclarée recevable et il aurait fallu conclure sur le fond à une violation de l’article 7.

10.Dans un contexte régressif marqué par des discriminations fondées sur la pauvreté et par des politiques et des discours hostiles aux migrants, je considère que cette décision d’irrecevabilité représente une occasion manquée pour le Comité de rappeler l’importance des obligations qui incombent à l’État au titre de l’article 7 du Pacte.