Nations Unies

CCPR/C/130/D/2674/2015

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

10 mars 2021

Français

Original : anglais

Comité des droits de l ’ homme

Décision adoptée par le Comité en vertu du Protocole facultatif, concernant la communication no 2674/2015 * , ** , ***

Communication présentée par :

K. J. (représenté par un conseil, Stanislovas Thomas)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteur

État partie :

Lituanie

Date de la communication :

5 février 2015 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, transmise à l’État partie le 10 novembre 2015 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision :

19 octobre 2020

Objet :

Respect de la vie privée ; procédure prévue par la loi ; immixtion illégale ; procès équitable

Question(s) de procédure :

Épuisementdes recours internes ; recevabilité − défaut de fondement manifeste ; abus du droit de présenter des communications

Question(s) de fond :

Droit à un procès équitable ; droit au respect de la vie privée

Article(s) du Pacte :

14 (par. 1) et 17 (par. 1)

Article(s) du Protocole facultatif :

2, 3 et 5 (par. 2 a) et b))

1.1L’auteur de la communication est K. J., de nationalité lituanienne, né en 1960. Il affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient de l’article 14 (par. 1) et de l’article 17 (par. 1) du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 20 février 1992. L’auteur est représenté par un conseil.

1.2Le 11 janvier 2016, l’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité et a demandé au Comité d’examiner la question de la recevabilité de la communication séparément de celle du fond. Le 23 juin 2016, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, le Comité a décidé de ne pas faire droit à la demande de l’État partie.

Exposé des faits

2.1Le 18 octobre 2013, l’auteur a été déclaré coupable d’escroquerie par le tribunal du district de Sirvintos. Cette décision est devenue définitive le 10 février 2014. V. S., un ancien employé de l’auteur, a témoigné contre celui-ci au procès. Pendant l’enquête, il avait été interdit à l’auteur de prendre contact avec V. S. pour l’empêcher d’influencer le témoin avant sa comparution devant le tribunal.

2.2Le 4 mai 2006, veille de l’audience, V. S. a contacté l’agent chargé de l’enquête préliminaire pour l’informer que l’auteur avait cherché à le voir. L’enquêteur a interrogé V. S. à ce sujet, lequel a accepté de coopérer avec les autorités pour les besoins de l’enquête ouverte contre l’auteur pour tentative de subornation de témoin.

2.3Le 4 mai 2006, le procureur a demandé au juge d’instruction l’autorisation de prendre des mesures secrètes contre l’auteur au titre de deux dispositions du Code de procédure pénale : l’article158 (par.1) (Des actes d’enquête pouvant être réalisés sans divulgation de l’identité des enquêteurs) et l’article160 (De la surveillance). À l’appui de la demande, leprocureur a indiqué que l’auteur avait cherché à voir V. S., et fait valoir que l’on pouvait raisonnablement penser que son but était de tenter d’influencer V. S. avant que celui-ci témoigne devant le tribunal. Les mesures d’enquête susmentionnées visaient àrecueillir des preuves afin de déterminer si ce soupçon était fondé, ainsi qu’à obtenir des renseignements concernant deux autres suspects impliqués dans l’affaire d’escroquerie qui avaient pris la fuite. Le juge a fait droit à la demande du procureur le 4 mai 2006, et autorisé expressément V. S. à communiquer avec l’auteur aux fins de l’enregistrement audio et vidéo de leurs conversations conformément aux dispositions de l’article158 (par.6) du Code de procédure pénale (première autorisation). L’autorisation mentionnait expressément que V. S. avait accepté de coopérer avec les autorités d’enquête, que ses conversations avec l’auteur seraient enregistrées et qu’il serait équipé d’un dispositif approprié à cette fin. Cette mesure était autorisée pour une période limitée, à savoir du 4 au 10 mai 2006. L’autorisation prévoyait en outre la mise sous surveillance de l’auteur du 4 au 31 mai 2006, ce qui comprenait la réalisation d’enregistrements audio et vidéo, conformément aux dispositions de l’article160 du Code de procédure pénale (deuxième autorisation). Le 9 mai 2006, sur requête du procureur, le juge d’instruction a fait droit à une deuxième demande, autorisant la mise sur écoute de l’auteur du 9 mai au 9 juin 2006.

2.4Le 21 mai 2006, une conversation téléphonique au cours de laquelle l’auteur proposait à V. S. de le voir a été interceptée. L’entrevue s’est déroulée à une station-service, sous la surveillance des enquêteurs, le 24 mai 2006, de 19 h 13 à 19 h 55. La conversation entre l’auteur et V. S. a été enregistrée avec le microphone que V. S. portait sur lui et filmée. D’après la transcription de l’enregistrement audio, l’auteur a offert de l’argent à V. S. pour le convaincre de ne pas témoigner contre lui dans le cadre de la procédure pénale alors en cours. V. S. a expressément refusé d’altérer son témoignage et n’a pas accepté l’argent que l’auteur lui proposait. L’enquêteur a dressé un procès-verbal de la surveillance, auquel il a adjoint les enregistrements et la transcription de la conversation susmentionnée, conformément au protocole applicable. Les données tirées de l’interception des conversations téléphoniques entre l’auteur et V. S. qui étaient sans rapport avec la procédure pénale ont été détruites avant la fin de l’enquête préliminaire.

2.5Le 12 mars 2008, l’auteur a été reconnu coupable de subornation de témoin par le tribunal du district d’Alytus et condamné au versement d’une amende d’un montant de 1 448 euros (environ 2 241 dollars), décision qui a été confirmée par le tribunal régional de Kaunas le 8 février 2009. Le 21 septembre 2010, la Cour suprême de Lituanie a rejeté le recours en cassation formé par l’auteur.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient de l’article 17 (par. 1) du Pacte du fait de l’immixtion arbitraire des autorités dans sa vie privée. Il soutient que la décision autorisant l’enregistrement de ses conversations avec V. S. ainsi que la « simulation » d’une infraction et l’ « incitation » à commettre une infraction n’était valable que jusqu’au 10 mai 2006. Par conséquent, à compter du 11 mai 2006, l’auteur était pleinement protégé par l’article 17 du Pacte. L’entretien qui a été enregistré et filmé s’étant déroulé le 24 mai 2006, cette immixtion dans sa vie privée était par conséquent illégale.

3.2Eu égard à ce qui précède, l’auteur fait observer que l’autorisation du 4 mai 2006 indiquait très clairement sous quelles conditions les mesures secrètes de surveillance − y compris les enregistrements − pouvaient être exécutées par des particuliers et non par des enquêteurs. Il explique qu’il a invoqué dans son recours l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme), analogue à l’article 17 du Pacte, et que les tribunaux ont néanmoins rejeté ses prétentions au motif que la surveillance qu’il contestait faisait suite à une autorisation qui avait été accordée en vertu de l’article 160 du Code de procédure pénale et qui était valable jusqu’au 31 mai 2006. De l’avis des autorités, la rencontre entre l’auteur et V. S. qui avait été enregistrée et filmée était par conséquent couverte par cette autorisation. L’auteur fait toutefois valoir que l’article 160 ne s’applique pas en l’espèce puisque V. S., compte tenu des circonstances particulières de l’affaire, devrait être considéré comme une personne accomplissant un acte d’enquête requérant une autorisation spéciale au titre de l’article 158 du Code de procédure pénale. Toute autre interprétation reviendrait à conférer au procureur un pouvoir disproportionné en ce qu’il pourrait, à son entière discrétion, confier à n’importe quel particulier l’exécution d’une mesure secrète de surveillance, y compris la « simulation » d’une infraction et l’ « incitation » à commettre une infraction, ainsi que la réalisation d’enregistrements, sans aucune supervision de la part d’une autorité judiciaire impartiale.

3.3L’auteur rappelle que les restrictions autorisées du droit au respect de la vie privée doivent être interprétées de manière stricte afin d’être compatibles avec l’article 17 du Pacte. Il renvoie aux constatations adoptées par le Comité dans l’affaire Rojas García c. Colombie et fait valoir que, même si l’on admet, conformément aux conclusions de la Cour suprême, qu’en l’espèce l’immixtion était conforme à la loi, cela n’empêche pas que l’immixtion soit considérée comme arbitraire si elle est contraire aux dispositions du Pacte.

3.4L’auteur demande au Comité de conclure à une violation de l’article 17 (par. 1) du Pacte et d’ordonner à l’État partie de rouvrir son procès et de lui verser des dommages‑intérêts.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans une note verbale du 11 janvier 2016, l’État partie a demandé au Comité de déclarer la communication irrecevable au regard des articles 2 et 3 et de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif aux motifs, respectivement, qu’elle est dénuée de fondement, qu’elle constitue un abus du droit de présenter des communications et que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes.

4.2L’État partie fait valoir que des mesures d’enquête secrètes illégales peuvent ouvrir droit à des dommages-intérêts au titre de l’article 6.272 du Code civil. Il renvoie à une décision du 4 octobre 2013 du tribunal du district de Vilnius, en vertu de laquelle le plaignant a obtenu une indemnisation pour les dommages causés par la simulation illégale d’une infraction par des agents de l’État. L’État partie fait valoir que l’auteur n’ayant pas exercé cette voie de recours prévue par la loi, sa communication devrait être déclarée irrecevable au regard de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif.

4.3L’État partie est également d’avis que la communication devrait être déclarée irrecevable pour défaut de fondement, en application de l’article 2 du Protocole facultatif. Il affirme en outre que l’auteur a trompé le Comité quant à la nature des mesures d’enquête secrètes qui ont été autorisées et exécutées, en déclarant que l’ordonnance qui avait été prise contre lui autorisait V. S. à simuler une infraction, et que ses droits avaient été violés parce que la mesure d’enquête avait été exécutée après expiration de l’autorisation.

4.4Pour ce qui est des lois nationales applicables, l’État partie affirme que celles-ci énoncent des garanties suffisantes pour prévenir les immixtions illégales et arbitraires dans la vie privée. Il souligne que la Constitution de la Lituanie dispose qu’aucune restriction du droit au respect de la vie privée ne peut être appliquée sans une autorisation judiciaire. Dans le cadre d’une enquête pénale, ce droit ne peut être restreint que dans les circonstances et selon les modalités prévues par le Code de procédure pénale. Le procureur, le juge d’instruction et les autres autorités judiciaires s’assurent que ces dispositions sont dûment respectées en toutes circonstances. L’exigence de proportionnalité a également été reconnue par la Cour suprême, comme l’atteste sa jurisprudence. Il y a lieu de noter en particulier que les mesures de surveillance doivent être autorisées par le juge d’instruction, et que les ordonnances prises à cet effet doivent être dûment motivées et indiquer expressément les modalités d’exécution des mesures d’enquête envisagées, notamment leur objet, leur durée et si des enregistrements peuvent être réalisés. Les lois applicables exigent aussi la destruction des renseignements recueillis sous réserve que certaines conditions soient remplies.

4.5En l’espèce, l’État partie explique que l’article 158 du Code de procédure pénale, au titre duquel la première autorisation a été accordée, ne permet pas la simulation d’infractions et prévoit expressément que ce type d’actes requiert une autorisation distincte au titre de l’article 159. Aucune autorisation spéciale de ce type n’a cependant été demandée ni accordée en l’espèce puisque les actes de V. S. n’en nécessitaient pas. L’État partie souligne en outre que l’incitation à commettre une infraction est strictement interdite par l’article 158 et par l’article 159 du Code de procédure pénale. Quoiqu’il en soit, les griefs formulés par l’auteur à ce sujet ont tous été soigneusement examinés par les tribunaux, qui ont conclu que c’était à l’initiative de l’auteur qu’avait eu lieu l’entrevue avec V. S. En outre, et bien que V. S. ait accepté de rencontrer l’auteur pour les besoins de l’enquête, il n’a pas cherché à en retirer un avantage financier et a refusé de modifier son témoignage devant le tribunal. Par conséquent, les allégations de l’auteur selon lesquelles V. S. aurait simulé une infraction ou l’aurait incité à commettre une infraction sans qu’une autorisation valable ait été délivrée à cette fin sont fallacieuses et sans fondement.

4.6En outre, l’État partie note que les mesures d’enquête secrètes autorisées par l’ordonnance du 4 mai 2006, à savoir l’autorisation donnée à V. S. de rencontrer l’auteur et d’enregistrer leur conversation (première autorisation) et la surveillance de l’auteur par les enquêteurs − y compris la possibilité de réaliser des enregistrements audio et vidéo − (deuxième autorisation), sont conformes aux critères de légalité établis par la législation et la pratique nationales. En outre, il ressort de la requête du procureur que ces mesures de surveillance étaient motivées par des objectifs légitimes, à savoir recueillir des preuves pour déterminer si l’auteur pouvait chercher à influencer V. S., et obtenir des renseignements concernant deux autres suspects impliqués dans l’affaire d’escroquerie qui avaient pris la fuite. L’État partie souligne que le juge d’instruction a autorisé les mesures susmentionnées. Il souligne aussi que, conformément aux dispositions législatives pertinentes, l’autorisation précisait la teneur, la durée et les objectifs des mesures d’enquête autorisées et mentionnait que V. S. avait accepté de coopérer avec les autorités d’enquête. L’autorisation précisait également que les échanges de V. S. avec l’auteur pourraient être enregistrés et qu’il pourrait être équipé d’un dispositif approprié à cette fin.

4.7En ce qui concerne la décision de la Cour suprême, l’État partie affirme que l’ordonnance du 4 mai 2006 autorisait expressément un particulier, V. S., à surveiller l’auteur à son insu et à l’enregistrer, mais qu’une telle autorisation était superflue puisque l’acte d’enquête contesté ne relevait pas du champ d’application de l’article158 du Code de procédure pénale. L’État partie cite à nouveau les arguments de la Cour suprême selon lesquels il ne faut pas confondre l’article158 et l’article160 du Code de procédure pénale ainsi que l’a fait à tort le juge d’instruction. Le simple enregistrement d’une conversation surveillée ne peut pas être considéré comme relevant du champ d’application de l’article158 (par. 6). La Cour suprême a conclu que l’enregistrement d’une conversation, même par un particulier, relevait de l’article160 du Code de procédure pénale. Par conséquent, puisque la deuxième autorisation habilitait les autorités d’enquête à placer l’auteur sous surveillance secrète du 4 au 31 mai 2006 et à réaliser des enregistrements audio et vidéo dans ce cadre, l’enregistrement contesté est légal. Il ressort également de la décision de la Cour suprême que, dans la mesure où les modalités techniques selon lesquelles une surveillance doit s’effectuer ne sont pas précisées dans le Code de procédure pénale, le point de savoir si, d’un point de vue technique, la conversation a été enregistrée par les enquêteurs ou par un particulier à la demande des enquêteurs ne joue aucun rôle en l’espèce. L’État partie souscrit à la position de la Cour suprême et déclare que, quand bien même un expert a établi au procès que V. S. portait nécessairement sur lui le microphone qui avait été utilisé aux fins de la surveillance, on ne pouvait pour autant considérer qu’il avait exécuté lui-même la surveillance alors qu’il n’avait fait qu’aider les enquêteurs à mener à bien la surveillance à distance et à enregistrer la conversation ainsi qu’ils y avaient été autorisés.

4.8À ce sujet, l’État partie renvoie également aux recommandations du Procureur général du 12 octobre 2007 relatives à l’application des articles158 et 160 du Code de procédure pénale. Ces recommandations indiquent que peuvent être exécutées au titre de l’article158 les mesures d’enquête secrètes suivantes : surveillance de la correspondance ; perquisitions ; fouilles ; saisies ; introduction dans des locaux ou des véhicules en vue d’examiner ou de saisir des documents ou des objets ou d’installer des dispositifs de surveillance ; interaction avec la personne objet de l’enquête et enregistrements audio et vidéo des échanges correspondants ; utilisation de dispositifs techniques permettant l’interception de conversations et d’autres communications. Les recommandations indiquent en outre que les mesures exécutées au titre de l’article 158 peuvent être combinées avec les mesures prévues aux articles154(Del’interception et de l’enregistrement d’informations transmises via les réseaux de télécommunication), 159 (De la simulation d’infractions pénales) et 160 (De la surveillance) du Code de procédure pénale. Dans ce cas, le procureur peut présenter une demande d’autorisation groupée ou plusieurs demandes d’autorisation distinctes. Les recommandations précisent en outre qu’une mesure de surveillance au titre de l’article160 peut viser un individu, un véhicule ou un objet, le but étant de l’observer en secret et de faire des enregistrements audio et vidéo. Une surveillance s’effectue habituellement à distance (sans contact direct avec la personne surveillée) et n’implique pas l’installation de dispositifs techniques à l’intérieur de locaux ou de véhicules.

4.9L’État partie avance cependant que, même si, en règle générale, une surveillance s’effectue à distance, le fait d’avoir sollicité V. S. en vue de faciliter la réalisation de l’enregistrement et d’en améliorer la qualité devrait être considérée comme une mesure légale et raisonnable. Il souligne qu’en vertu de l’article 160 du Code de procédure pénale, la police peut faire appel à des particuliers pour faciliter la réalisation d’enregistrements audio, à condition que la réalisation de tels enregistrement ait été expressément autorisée. L’État partie est d’avis que, dans ce type d’opérations, même si la surveillance fait intervenir un particulier, on doit néanmoins considérer qu’elle est exécutée à distance par les enquêteurs. L’exécution d’une mesure d’enquête par un particulier peut être illégale dans certaines circonstances, mais ce n’est pas le cas en l’espèce. Par conséquent, la première autorisation n’était pas requise et était donc superflue. Dans ces conditions, le fait que la mesure d’enquête contestée ait été exécutée après expiration de cette autorisation est sans effet sur la légalité de cette mesure puisque la deuxième autorisation était toujours valable au moment de son exécution, fait qui n’a pas été contesté.

4.10L’État partie affirme en outre que, au regard des circonstances dans lesquelles elle a été exécutée, à savoir qu’elle était motivée par les objectifs susmentionnés, qu’elle a duré peu de temps, qu’elle a été exécutée aux fins pour lesquelles elle avait été autorisée, empêchant ainsi qu’il soit fait obstacle à l’exercice de la justice, et que V. S. n’a pas incité l’auteur à commettre une infraction, la mesure contestée était non seulement légale, mais aussi nécessaire et proportionnée. L’État partie ajoute que, comme expliqué plus haut, la loi prévoit des garanties suffisantes contre les immixtions arbitraires. En outre, l’auteur d’une infraction pénale ne peut pas s’attendre à bénéficier du même degré de protection que les personnes qui respectent la loi.

4.11Enfin, l’État partie relève que la requête que l’auteur a soumise à la Cour européenne des droits de l’homme a été déclarée irrecevable pour défaut de fondement manifeste. Il fait valoir que, bien que la Cour ait exposé son raisonnement en termes succincts, l’on peut néanmoins supposer qu’elle a estimé que les griefs de l’auteur étaient insuffisamment étayés.

4.12Compte tenu de ce qui précède, l’État partie conclut que les mesures constitutives d’une immixtion dans la vie privée de l’auteur ont été exécutées conformément à la procédure prescrite par la loi et, partant, que les griefs formulés par l’auteur sont fallacieux et sans fondement et devraient par conséquent être déclarés irrecevables en vertu des articles 2 et 3 du Protocole facultatif. L’État partie réaffirme en outre que, selon lui, l’auteur n’a pas épuisé les recours internes, en violation de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif.

4.13Dans des notes verbales du 9 mai 2016 et du 24 octobre 2016, l’État partie réaffirme sa position selon laquelle le Comité devrait déclarer la communication irrecevable aux motifs qu’elle est dénuée de fondement, qu’elle constitue un abus du droit de présenter des communications et que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes. L’État partie ajoute que, dans l’éventualité où il procéderait à l’examen de la communication quant au fond, le Comité devrait tenir compte de ses observations du 11 janvier 2016 sur la recevabilité et sur le fond des griefs de l’auteur, et conclure à l’absence de violation de l’article 17 (par. 1) du Pacte pour les raisons qui y sont exposées. Dans sa note verbale du 24 octobre 2016, l’État partie ajoute que, dans la mesure où l’auteur n’a pas dénoncé de violation des garanties attachées à un procès équitable qui sont énoncées à l’article 14 du Pacte, sa demande tendant à ce que son procès soit rouvert à titre de réparation pour la violation supposée des droits qu’il tient de l’article 17 (par. 1) du Pacte est sans objet.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant le fond

5.1Dans une lettre du 3 mars 2016, l’auteur répond aux observations de l’État partie. Il soutient que les contacts que V. S. a entretenus avec lui et la rencontre à laquelle il a finalement consenti doivent être considérés comme des actes constitutifs d’une simulation d’infraction, qui auraient par conséquent dû faire l’objet d’une autorisation distincte. En tout état de cause, V. S. portait un dispositif d’enregistrement sur lui, ce que n’a pas contesté l’État partie. Sur ce point, l’auteur fait observer qu’il faut distinguer entre une mesure d’enquête exécutée par les enquêteurs eux-mêmes, dans le cadre de laquelle des personnes sont surveillées à leur insu, et une mesure d’enquête à l’exécution de laquelle un particulier, comme V. S., prend une part active. Dans ce dernier cas, le particulier qui participe activement à la conversation enregistrée a, par définition, une incidence sur le dialogue et, plus généralement, sur le déroulement des événements. Il est donc de la plus haute importance que l’intéressé ait été expressément autorisé à participer à l’opération. L’auteur réaffirme par conséquent qu’aucun enregistrement destiné à être utilisé contre un suspect ne peut être réalisé par un particulier sans qu’une autorisation officielle ait été accordée à cette fin.

5.2L’auteur demande au Comité de conclure à une violation de l’article 17 (par. 1) du Pacte et d’ordonner à l’État partie de lui verser une indemnisation pour le préjudice subi et de rouvrir son procès.

Commentaires supplémentaires de l’auteur

5.3Dans un courrier du 26 janvier 2017, l’auteur avance de nouveau les arguments susmentionnés. Il affirme en outre que l’État partie a reconnu dans ses observations que l’ordonnance qui était encore en vigueur le 24 mai 2006 autorisait les enquêteurs, et eux seuls, à exécuter les mesures d’enquête en question. À ce moment-là, l’auteur et V. S. avaient interdiction de communiquer l’un avec l’autre. Malgré cela, V. S., sachant que les enquêteurs avaient l’intention d’enregistrer ses échanges avec l’auteur, a consenti à le rencontrer. L’auteur affirme que le comportement de V. S. n’était clairement pas celui de quelqu’un qui ne savait pas qu’il était surveillé. En outre, V. S. portait le microphone sur lui, fait que n’a pas contesté l’État partie et qui a été confirmé par un expert au procès. Ces éléments dépassent clairement le cadre de la simple observation que les autorités avaient été autorisées à entreprendre et constituent une immixtion disproportionnée dans la vie privée de l’auteur.

5.4Renvoyant aux observations de l’État partie du 24 octobre 2016, l’auteur affirme que les faits de l’espèce font apparaître une violation non seulement des droits qu’il tient de l’article 17 (par. 1), mais aussi des droits qu’il tient de l’article 14 (par. 1) du Pacte, car les preuves utilisées contre lui ont été obtenues illégalement.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

6.2Le Comité fait observer que l’auteur a déposé une plainte similaire devant la Cour européenne des droits de l’homme, qui l’a déclarée irrecevable en 2013. Il rappelle que la notion de « même question » au sens de l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif doit s’entendre du même grief, concernant la même personne, porté devant une autre instance internationale, et que l’interdiction formulée dans ce paragraphe vise le cas où l’examen de la même question serait en cours. Même si la présente communication a été présentée par la même personne à la Cour européenne des droits de l’homme, celle-ci s’est déjà prononcée. En outre, le Comité note que l’État partie n’a pas formulé de réserve à l’article 5 (par. 2 a)) visant à l’empêcher d’examiner des communications ayant déjà été examinées par une autre instance. Le Comité s’est donc assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3En ce qui concerne l’article 14 (par. 1) du Pacte, le Comité note que l’auteur n’a évoqué la violation des droits qu’il tient de cet article que dans ses dernières observations, sans expliquer pourquoi il n’en a pas fait mention plus tôt, alors que les faits dont il tire ce grief avaient manifestement déjà eu lieu lorsqu’il a soumis ses observations initiales. Quoiqu’il en soit, le Comité note que l’auteur n’a pas démontré qu’il avait porté ce grief à la connaissance des juridictions internes, ni expliqué ce qui aurait pu l’empêcher de le faire ou en quoi l’exercice des recours disponibles n’aurait pas été utile en l’espèce. Dans ces conditions, le Comité conclut que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes disponibles pour ce qui est du grief qu’il tire de l’article 14 (par. 1) du Pacte. Par conséquent, il déclare cette partie de la communication irrecevable au regard de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif.

6.4En ce qui concerne l’article 17 (par. 1) du Pacte, le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel l’illégalité d’une mesure d’enquête peut ouvrir droit à des dommages-intérêts au titre de l’article 6.272 du Code civil. Il rappelle que l’article 5 (par. 2 b)) n’exige pas de l’auteur d’une communication qu’il épuise les recours, judiciaires ou autres, qui n’auraient pas de chances raisonnables d’aboutir. Le Comité estime que les décisions citées par l’État partie dans lesquelles des juridictions internes ont accordé une indemnisation en raison de la simulation illégale d’une infraction pénale ne prouvent pas que l’exercice d’un tel recours aurait abouti en l’espèce étant donné que les juridictions internes n’ont pas considéré que la mesure contestée était illégale. Par conséquent, eu égard aux informations dont il dispose, le Comité ne peut pas conclure que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes. Le Comité considère par conséquent que les dispositions de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner les griefs que l’auteur tire de l’article 17 (par. 1) du Pacte.

6.5Le Comité prend également note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication est irrecevable parce qu’elle constitue un abus du droit de présenter des communications, étant donné que l’auteur a volontairement fourni des renseignements erronés concernant la nature des mesures d’enquête secrètes qui ont été autorisées et exécutées. Le Comité estime que les renseignements communiqués par l’auteur révèlent une interprétation différente du champ d’application et de la teneur de la loi, et ne peuvent être considérés comme un abus du droit de présenter des communications.

6.6Le Comité prend en outre note de l’argument de l’État partie selon lequel les griefs tirés de l’article 17 (par. 1) du Pacte ne sont pas suffisamment étayés. À cet égard, le Comité observe que l’auteur affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient de l’article 17 (par. 1) du Pacte car les autorités se sont immiscées arbitrairement dans sa vie privée dans le cadre d’une mesure d’enquête secrète, allant jusqu’à simuler une infraction et l’inciter à commettre une infraction, sans l’autorisation requise à cette fin. Il note que l’auteur affirme que l’autorisation du 4 mai 2006 précisait très clairement les conditions dans lesquelles une conversation pouvait secrètement être enregistrée par un particulier. Dans la mesure où, selon l’auteur, l’autorisation habilitant V. S. à accomplir un acte d’enquête et à enregistrer leur conversation n’était valable que jusqu’au 10 mai 2006, l’activité de surveillance menée le 24 mai 2006 avec la participation active de V. S. ne pouvait pas être considérée comme couverte par l’autorisation délivrée au titre de l’article 160 du Code de procédure pénale qui était encore en vigueur à cette date, de sorte que cette immixtion dans la vie privée de l’auteur n’était pas fondée en droit.

6.7Par ailleurs, le Comité note que l’État partie soutient, dans le droit fil de la décision de la Cour suprême, qu’il ne faut pas confondre l’article 158 et l’article 160 du Code de procédure pénale et que l’enregistrement de conversations, même par un particulier, relève du second, et que la question de savoir si, d’un point de vue technique, la conversation a été enregistrée par les enquêteurs ou, à la demande de ceux-ci, par un particulier n’est pas pertinente aux fins de l’appréciation de l’affaire. Il note que l’État partie affirme que la deuxième autorisation, qui était encore en vigueur le jour de l’immixtion contestée, constitue un fondement juridique suffisant et que les mesures prises étaient nécessaires et proportionnées aux objectifs visés, à savoir empêcher la commission d’une infraction et permettre la bonne administration de la justice.

6.8Le Comité souligne en outre la complexité de l’affaire et prend note de l’analyse détaillée faite par les juridictions lituaniennes, y compris la Cour suprême, concernant la légalité de la mesure d’enquête contestée. Il rappelle qu’il appartient généralement aux juridictions des États parties au Pacte d’examiner les faits et les éléments de preuve ou l’application de la législation nationale dans un cas donné, sauf s’il peut être établi que l’appréciation des éléments de preuve ou l’application de la législation ont été de toute évidence arbitraires, manifestement entachées d’erreur ou ont représenté un déni de justice. Dans ces circonstances, au vu des éléments du dossier, le Comité estime que l’auteur n’a pas suffisamment démontré aux fins de la recevabilité que l’application de la législation interne par les juridictions nationales a été de toute évidence arbitraire ou manifestement entachée d’erreur ou a représenté un déni de justice. La communication est donc irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.En conséquence, le Comité décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard des articles 2, 3 et 5 (par. 2 a) et b)) du Protocole facultatif ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.

Annexe I

Opinion individuelle (dissidente) de Vasilka Sancin

1.Je suis en désaccord avec la conclusion de la majorité concernant la violation alléguée de l’article 17 (par. 1) du Pacte, pour deux raisons. En premier lieu, j’estime que l’auteur a suffisamment étayé son grief pour en établir à première vue la recevabilité et, en second lieu, que le grief soulevé par l’auteur est intimement lié au fond de l’affaire et aurait donc dû être analysé dans le cadre de l’examen de la communication au fond, ce qui aurait abouti à la constatation d’une violation, pour les raisons exposées ci-dessous.

2.En l’espèce, il n’y avait pas de désaccord entre les parties sur le fait que la mesure d’enquête menée le 24 mai 2006 avec la participation à la fois des enquêteurs et de V. S. constituait une « immixtion » dans le droit de l’auteur au respect de sa vie privée pour laquelle un fondement juridique suffisant était requis. Il reste donc à déterminer si une telle immixtion était arbitraire ou illégale au regard de l’article 17 du Pacte.

3.Toute immixtion dans le droit à la vie privée, pour être admissible au regard de l’article17, doit répondre de façon cumulative aux conditions énoncées au paragraphe1, c’est-à-dire qu’elle doit être prévue par la loi, être conforme aux dispositions, aux buts et aux objectifs du Pacte et être raisonnable eu égard aux circonstances de l’espèce. Une immixtion n’est pas « illégale » si elle est conforme à la législation interne pertinente, telle qu’interprétée par les juridictions nationales, et le Comité a rappelé à raison qu’il appartient généralement aux juridictions des États parties au Pacte d’examiner les faits et les éléments de preuve ou l’application de la législation nationale dans un cas donné, sauf s’il peut être établi que l’appréciation des éléments de preuve ou l’application de la législation ont été de toute évidence arbitraires, manifestement entachées d’erreur ou ont représenté un déni de justice (voir par.6.8).

4.En outre, la légalité est également liée à la qualité de la loi, qui suppose que cette dernière soit accessible à la personne concernée et que ses effets soient prévisibles. Le caractère prévisible, dans le contexte particulier de la surveillance secrète, implique que la loi use de termes assez clairs pour indiquer aux citoyens de manière appropriée en quelles circonstances et sous quelles conditions les autorités publiques sont habilitées à prendre pareilles mesures secrètes.

5.Les règles de procédure et conditions de fond applicables aux mesures d’enquête secrète en l’espèce sont définies dans les articles 158 (Des actes d’enquête pouvant être réalisés sans divulgation de l’identité des enquêteurs) et 160 (De la surveillance) du Code de procédure pénale. L’article 158 (par. 6) prévoit qu’à titre exceptionnel, lorsqu’il n’existe aucun autre moyen d’identifier les auteurs d’une infraction, les actes d’enquête visés par une ordonnance prise au titre dudit article peuvent être réalisés par d’autres personnes que les enquêteurs. Il est également indiqué qu’inciter une personne à commettre une infraction est interdit dans le cadre du mandat de surveillance accordé au titre dudit article. Une mesure de surveillance au titre de l’article160 peut viser un individu, un véhicule ou un objet, mais contrairement à l’article 158, l’article 160 ne contient pas de disposition permettant que les actes autorisés soient réalisés par des particuliers, et il ne dit rien non plus de la simulation d’une infraction et de l’incitation à la commission d’une infraction dans le cadre de la réalisation d’actes d’enquête autorisés sur le fondement de cet article.

6.Ainsi, l’acte d’enquête réalisé avec la participation de V. S. est, à mon avis, une mesure relevant de l’article 158 pour laquelle les autorités nationales ne disposaient plus d’une autorisation valable au moment de l’immixtion. L’interprétation de l’État partie − selon lequel la question de savoir si, d’un point de vue technique, la conversation a été enregistrée par les enquêteurs ou, à la demande de ceux-ci, par un particulier n’est pas pertinente aux fins de l’appréciation de l’affaire − me semble démesurément large et donc arbitraire. Si le législateur avait voulu envisager la possibilité d’un contact direct entre le suspect et une personne ayant connaissance de la surveillance dont ils faisaient l’objet au titre de l’article 160, il aurait, comme c’est le cas dans l’article 158, expressément interdit l’incitation à la commission d’infractions. Par conséquent, la surveillance au titre de l’article 160 du Code de procédure pénale semble être limitée à l’observation de la personne soupçonnée à distance, comme l’indiquent également les recommandations du Procureur général, qui soulignent que si les mesures d’enquête secrète exécutées au titre de l’article158 peuvent supposer une interaction avec la personne objet de l’enquête, au titre de l’article 160, en général, la surveillance est menée à distance (voir par. 4.8). S’il n’y avait pas eu la participation directe à la surveillance d’un particulier affilié aux autorités, la présente affaire aurait relevé de l’article 160 du Code de procédure pénale. Dans les circonstances de l’espèce, cependant, il en va autrement.

7.L’État partie a également fait valoir que, ainsi que l’avait établi la Cour suprême, lapremière autorisation, qui avait été accordée pour une période limitée, concernant spécialement V.S., était superflue, et que le juge d’instruction avait fait erreur en l’accordant (voir par.4.7). Cela pouvait être compris comme révélant l’existence, au sein des autorités nationales, de deux façons différentes, voire conflictuelles, d’interpréter le champ d’application des articles 158 et 160 du Code de procédure pénale, ce qui soulève des doutes quant à la clarté et au caractère prévisible − les deux critères de qualité − de la législation interne.

8.Au vu de ce qui précède, je conclus que l’État partie n’a pas démontré que l’immixtion contestée reposait sur un fondement juridique approprié, car les dispositions pertinentes ne laissaient pas aux autorités le choix de décider de mener l’acte d’enquête contesté avec l’assistance d’un particulier au titre d’une disposition (l’article 160) plutôt que d’une autre (l’article 158).

9.Pour toutes ces raisons, j’estime que la communication aurait dû être déclarée recevable et que le comportement de l’État partie fait apparaître une violation de l’article 17 (par. 1) du Pacte.

Annexe II

Opinion individuelle (dissidente) de Furuya Shuichi

1.Je ne peux souscrire à la conclusion de la majorité selon laquelle l’auteur n’a pas suffisamment étayé son grief de violation de l’article 17 (par. 1) et cette partie de la communication est donc irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

2.L’article 17 (par. 1) prévoit que nul ne sera l’objet d’immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance. Ainsi, pour déterminer s’il y a violation de l’article 17 (par. 1), le Comité doit statuer sur deux points : il doit tout d’abord déterminer si le comportement constitue une immixtion dans la vie privée, la famille, le domicile ou la correspondance de l’auteur et, s’il établit l’existence d’une immixtion, il doit ensuite déterminer si celle-ci était arbitraire ou illégale. Cette deuxième étape consistant à apprécier la légalité du comportement en question, il me semble qu’elle devrait en principe s’inscrire dans le cadre de l’examen du fond.

3.En particulier, je ne peux pas souscrire au raisonnement qui a sous-tendu la décision prise en l’espèce. L’argument principal avancé dans la décision consiste à dire qu’il appartient généralement aux juridictions de l’État partie d’examiner les faits et les éléments de preuve ou l’application de la législation nationale dans un cas donné, sauf s’il peut être établi que l’appréciation des éléments de preuve ou l’application de la législation ont été de toute évidence arbitraires, manifestement entachées d’erreur ou ont représenté un déni de justice. Dans sa décision, la majorité estime aussi que l’auteur n’a pas démontré que l’interprétation des juridictions nationales, y compris celle de la Cour suprême, concernant la légalité des mesures d’enquête contestées avait été de toute évidence arbitraire ou manifestement entachée d’erreur ou avait représenté un déni de justice. Si un État partie fait valoir qu’une mesure portant atteinte à la vie privée était prévue par la loi, l’auteur doit réfuter l’argument en démontrant que l’application de la loi en question a été à l’évidence arbitraire ou a manifestement été entachée d’erreur ou a constitué un déni de justice. Cependant, cela semble extrêmement désavantageux pour l’auteur au stade de l’examen de la recevabilité, et contraire à l’article 17, qui se borne à interdire l’immixtion « illégale ». À mon sens, le niveau de preuve exigé au titre de l’article 17 ne devrait pas aller au-delà de l’ « illégalité » dans son sens ordinaire, et le niveau de preuve aux fins de la recevabilité devrait être inférieur à celui exigé pour l’examen au fond.

4.En l’espèce, l’auteur affirme que sa rencontre avec V. S. a fait l’objet d’un enregistrement audio et vidéo sans son consentement et que l’État partie n’a pas contesté ce fait. Il s’ensuit donc que l’auteur a suffisamment démontré l’existence de l’immixtion. En outre, il existe manifestement une différence d’interprétation entre l’auteur et l’État partie quant au champ d’application et à la teneur de la loi nationale sur la question de la « légalité » de l’immixtion. Il me semble que, si l’on peut comprendre l’interprétation que fait l’État partie, celle de l’auteur en ce qui concerne la participation de particuliers n’est pas si déraisonnable. À cet égard, j’estime que l’auteur a démontré que les mesures d’enquête ordonnées par l’État partie étaient à première vue illégales aux fins de la recevabilité.

5.De surcroît, même si le Comité estime que l’auteur n’a pas démontré l’illégalité des mesures prises par l’État partie, il doit aussi déterminer si les mesures étaient arbitraires. Selon la jurisprudence du Comité, la notion d’ « arbitraire » n’est pas synonyme de « contraire à la loi ». Elle doit plutôt recevoir une interprétation plus large, intégrant le caractère inapproprié, l’injustice, le manque de prévisibilité et le non-respect des garanties judiciaires, ainsi que les principes du caractère raisonnable, de la nécessité et de la proportionnalité. En fait, l’auteur fait valoir que même si l’on admet, conformément aux conclusions de la Cour suprême, qu’en l’espèce l’immixtion était conforme à la loi, cela ne signifie pas que l’immixtion ne peut pas être considérée comme arbitraire si elle est contraire aux dispositions du Pacte (par. 3.3). Cependant, le Comité n’a pas examiné le caractère arbitraire allégué des mesures contestées.

6.Il me semble que l’appréciation du caractère arbitraire doit tenir compte de la nécessité et de la proportionnalité des mesures prises. En l’espèce, l’État partie fait valoir que l’enregistrement avait pour objectifs de recueillir des preuves permettant de déterminer si l’auteur pouvait tenter d’influencer V. S. et d’obtenir des renseignements concernant deux autres suspects impliqués dans une affaire d’escroquerie, qui avaient pris la fuite. Pour ce qui est du premier objectif, il est exact qu’il avait été interdit à l’auteur de prendre contact avec V. S. pour l’empêcher d’influencer le témoin avant sa comparution devant le tribunal. Toutefois, si le véritable objectif était d’empêcher l’auteur d’influencer V. S., le moyen le plus efficace n’était pas d’enregistrer la conversation entre l’auteur et V. S., mais plutôt de demander à V. S. de ne pas rencontrer l’auteur. Or, les autorités d’enquête ont demandé à V. S. de prendre contact avec l’auteur et d’enregistrer leur conversation. À cet égard, je ne peux que penser que l’enregistrement n’était pas nécessaire pour empêcher l’auteur d’influencer V. S., et n’était pas non plus proportionné à cette fin. En comparaison du premier objectif, le second − consistant à obtenir des renseignements concernant deux autres suspects qui avaient pris la fuite − semble satisfaire le critère de nécessité. Cependant, l’État partie n’a pas expliqué en quoi et dans quelle mesure l’enregistrement de la conversation de l’auteur était proportionné à cet objectif.

7.Pour toutes ces raisons, je dois conclure que le grief soulevé par l’auteur au titre de l’article 17 (par. 1) était recevable. En outre, l’État partie n’ayant pas suffisamment démontré la nécessité et la proportionnalité de l’enregistrement de la conversation entre l’auteur et V. S., cela constitue une violation de l’article 17 (par. 1).