Nations Unies

CCPR/C/130/D/2776/2016

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

7 juin 2021

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communicationno 2776/2016 * , ** , ***

Communication présentée par :

Jung-Hee Lee et 388 autres personnes (représentées par Kinam Kim et autres, de Minbyun Lawyers for a Democratic Society)

Victime(s) présumée(s) :

Les auteurs

État partie :

République de Corée

Date de la communication :

11 décembre 2015 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 16 juin 2016 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

23 octobre 2020

Objet :

Dissolution d’un parti politique

Question(s) de procédure :

Irrecevabilité − défaut de fondement manifeste ; applicabilité de la réserve de l’État partie à l’article 22 du Pacte

Question(s) de fond :

Liberté d’association ; liberté d’expression ; droitde prendre part à la direction des affaires publiques ; admissibilité des restrictions ; droit àune égale protection sans distinction d’aucunesorte

Article(s) du Pacte :

2 (par. 1), 19, 22 et 25

Article(s) du Protocole facultatif :

Néant

1.Les auteurs de la communication sont Jung-Hee Lee et 388 autres personnes, tous nationaux de la République de Corée. Ils affirment que l’État partie a violé les droits qu’ils tiennent de l’article 22 et des articles 2 (par. 1), 19 et 25 lus conjointement avec l’article 22 du Pacte. Le Pacte et le Protocole facultatif sont entrés en vigueur pour l’État partie le 10 juillet 1990. Les auteurs sont représentés par des conseils.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Les auteurs étaient tous membres du Parti progressiste unifié. La plupart d’entre eux étaient des membres ordinaires qui payaient une cotisation.

2.2En septembre 2013, dans un contexte d’aggravation des tensions entre les autorités de l’État partie et le régime de la République populaire démocratique de Corée, Seok-ki Lee, un député affilié au Parti progressiste unifié, et six autres personnes ont été inculpés de conspiration, d’incitation à l’insurrection et d’infraction à la loi sur la sécurité nationale. M. Lee était accusé d’avoir créé et de diriger une organisation clandestine baptisée « Organisation révolutionnaire » dans le but de renverser l’ordre constitutionnel et de faire appliquer le djoutché, l’idéologie de la République populaire démocratique de Corée. Il était également accusé d’avoir incité des membres de l’Organisation révolutionnaire, qui étaient aussi membres du Parti progressiste unifié et étaient présents aux réunions des 10 et 12 mai 2013, à se préparer sur les plans physique et militaire, notamment en vue de la destruction des infrastructures du pays, dans l’éventualité d’un conflit armé avec la République populaire démocratique de Corée. Le 18 février 2014, un tribunal a déclaré M. Lee et Hong-yeol Kim coupables de conspiration, d’incitation à l’insurrection et d’infraction à la loi sur la sécurité nationale. Cinq autres personnes ont été reconnues coupables des mêmes faits. La juridiction d’appel a acquitté M. Lee du chef de conspiration mais a confirmé sa condamnation pour incitation à l’insurrection et infraction à la loi sur la sécurité nationale. La Cour suprême a confirmé cette décision le 22 janvier 2015.

2.3Le 5 novembre 2013, le Conseil d’État a demandé à la Cour constitutionnelle de dissoudre le Parti progressiste unifié au motif que les objectifs et activités de celui-ci étaient contraires à l’ordre démocratique fondamental.

2.4Le 19 décembre 2014, la Cour constitutionnelle a ordonné la dissolution du Parti progressiste unifié, considérant qu’il avait tenté de saper la démocratie libérale et prônait le type de socialisme promu par la République populaire démocratique de Corée. Elle a estimé que l’objectif caché du « noyau dirigeant » du Parti, composé de membres issus de différents groupes tels que l’East Gyeong-giAlliance, était d’instaurer une « démocratie progressiste » et le socialisme par la violence, et que cet objectif était en contradiction directe avec l’ordre démocratique fondamental. Elle a aussi estimé que les activités du Parti, notamment les tentatives d’insurrection, la fraude électorale interne, la violence au sein de son comité central et la manipulation d’un scrutin public, menaçaient l’existence de la nation et l’état de droit et qu’elles étaient donc contraires à l’idéal démocratique. Elle a jugé que la dissolution du Parti constituait une restriction proportionnée, nécessaire à l’élimination rapide du risque posé par les tentatives visant à ébranler l’ordre démocratique fondamental. Elle a mentionné les confrontations avec la République populaire démocratique de Corée et la stratégie révolutionnaire que celle-ci menait contre l’État partie. Elle a estimé que les peines auxquelles avaient été condamnés certains de ses membres ne feraient pas disparaître le caractère anticonstitutionnel du Parti progressiste unifié. Elle a aussi estimé que la dissolution de ce parti parce qu’il était anticonstitutionnel devait entraîner la révocation de ses députés de l’Assemblée nationale, puisqu’à défaut ils pourraient poursuivre leurs activités. La Cour a donc révoqué les députés du Parti progressiste unifié et exclu la possibilité que le Parti puisse se reformer sous un autre nom. Par conséquent, le 22 décembre 2014, la Commission électorale nationale a destitué six membres du Parti qui siégeaient dans des assemblées locales.

2.5Les auteurs ont donc cessé d’être membres du Parti progressiste unifié. Le 16 février 2015, le Parti a demandé la tenue d’un nouveau procès, bien qu’aucune loi n’autorise les nouveaux procès, au motif que la Cour suprême avait acquitté M. Lee et d’autres personnes du chef de conspiration. Le 30 mai 2016, les auteurs ont indiqué au Comité que la Cour constitutionnelle avait rejeté leur demande le 26 mai 2016. Le 25 novembre 2015, le tribunal de district de Jeonju a jugé que la révocation d’un membre d’une assemblée locale affilié au Parti progressiste unifié était illicite.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs affirment que le droit à la liberté d’association qu’ils tiennent de l’article 22 du Pacte a été violé. Ils n’ignorent pas que l’État partie a formulé une réserve à cet article, aux termes de laquelle ses dispositions seront appliquées en conformité des lois de la République de Corée, y compris sa Constitution, mais ils font valoir que cette réserve a été formulée parce que la liberté d’association des fonctionnaires et des enseignants était déjà limitée par le droit interne et qu’elle n’est donc pas pertinente dans leur cas. Qui plus est, l’État partie n’est plus fondé à l’invoquer puisqu’il ne l’a pas invoquée en ce qui concerne la communication no 1119/2002. Quoi qu’il en soit, cette réserve est incompatible avec l’objet et le but du Pacte.

3.2Les auteurs affirment que le Parti progressiste unifié ayant été dissous, ils ne peuvent plus mener d’activités politiques en tant que membres de ce parti et que cette restriction n’est pas prévue par la loi. Premièrement, la prescription légale obligeant le Conseil d’État à examiner toute demande de dissolution avant que celle-ci soit soumise à la Cour constitutionnelle n’a pas été respectée car la Présidente, qui préside le Conseil d’État, était à l’étranger le 5 novembre 2013. Les auteurs font observer que si la Présidente est empêchée par un accident d’exercer ses fonctions, le Premier Ministre la remplace. Or, en l’espèce, l’exécutif n’a pas établi l’existence d’une situation d’urgence justifiant que des décisions soient prises en l’absence de la Présidente. La Cour constitutionnelle a jugé que le voyage de la Présidente à l’étranger constituait un accident qui l’avait empêchée d’exercer ses fonctions officielles. Les auteurs estiment que le terme « accident » devrait être interprété de manière restrictive et exclure les voyages officiels à l’étranger, et que le rôle du Premier Ministre devrait s’entendre comme l’exercice des fonctions nécessaires au maintien du statu quo.

3.3Deuxièmement, la demande de dissolution du Parti progressiste unifié n’a pas été examinée lors de la réunion vice-ministérielle précédant la réunion du Conseil d’État, contrairement à ce que prévoit un décret du Conseil d’État. La Cour constitutionnelle a fait observer que, s’agissant de décider si une situation d’urgence existait, l’exécutif jouissait d’un pouvoir discrétionnaire et que, vu les chefs d’accusation de conspiration et d’incitation à l’insurrection, on ne pouvait considérer qu’il avait exercé ce pouvoir abusivement. Les auteurs estiment toutefois qu’il n’y avait pas de situation d’urgence. En fait, le Ministère de la justice avait mis deux mois pour établir la demande de dissolution et, lorsqu’il l’a présentée, le procès pénal était déjà en cours. De surcroît, aucune insurrection n’était véritablement en préparation.

3.4Troisièmement, la Cour constitutionnelle n’a pas respecté les exigences strictes qui s’appliquent en matière de preuve. Rejetant la demande du Parti progressiste unifié tendant à ce qu’elle applique les lois et règlements régissant la procédure pénale, elle a appliqué les règles de la procédure civile. Or, étant donné les effets de la dissolution d’un parti sur l’exercice des libertés d’association et d’expression, il aurait fallu éviter d’appliquer ces règles. La Cour constitutionnelle s’est appuyée sur des éléments de preuve qui n’avaient pas été admis lors du procès pénal parce que jugés inauthentiques et relevant du ouï-dire, sur des informations tendancieuses et sur des publications en ligne, et a indûment inversé la charge de la preuve en la faisant peser sur les membres du Parti.

3.5Quatrièmement, en admettant comme preuves les comptes rendus d’audience d’un procès pénal en cours, la Cour constitutionnelle a enfreint l’article 32 de la loi relative à la Cour constitutionnelle, qui vise à empêcher la Cour d’intervenir dans une procédure pénale en cours. Le 11 mars 2014, la Cour a rejeté l’exception soulevée par le Parti progressiste unifié à l’admission de ces comptes rendus en se fondant sur l’article 113 de la Constitution, le paragraphe 1 de l’article 10 de la loi relative à la Cour constitutionnelle et les articles 39 et 40 de son règlement. Or ces dispositions autorisent seulement la Cour à établir de nouvelles règles lorsque cela est nécessaire, non à enfreindre la loi relative à la Cour constitutionnelle.

3.6Selon les auteurs, la restriction imposée à l’exercice du droit garanti à l’article 22 − c’est-à-dire l’atteinte au droit à la liberté d’association − n’était pas, comme elle aurait dû l’être pour être justifiée, nécessaire dans une société démocratique. La Cour constitutionnelle a estimé qu’un danger concret susceptible de porter effectivement atteinte à l’ordre démocratique fondamental devait exister et que cette condition était remplie dès lors qu’un parti politique avait des activités ou des objectifs anticonstitutionnels. Les auteurs affirment que la Cour n’a pas découvert d’éléments anticonstitutionnels dans les objectifs du Parti progressiste unifié, mais a invoqué des « objectifs cachés » que poursuivrait le noyau dirigeant supposé contrôler le Parti. Selon les auteurs, ce noyau dirigeant n’existe pas. La Cour a identifié les membres présumés du Parti, dont Seok-ki Lee, mais n’a pas expliqué pourquoi elle s’était fondée pour ce faire sur leurs activités passées et leurs antécédents. Elle s’est aussi largement appuyée sur le témoignage d’un ancien membre du Parti révolutionnaire démocratique du peuple, qui n’avait pourtant jamais rencontré M. Lee et n’était donc pas en mesure de témoigner de l’idéologie que celui-ci défendait. Les auteurs font valoir que la Cour n’a pas établi quels étaient la structure organisationnelle de l’East Gyeong-giAlliance, les conditions d’adhésion à celle-ci et ses objectifs, et qu’une telle organisation n’a jamais existé. Il n’a pas non plus été prouvé que les participants aux réunions de mai formaient un groupe qui soutenait M. Lee et contrôlait le Parti progressiste unifié. La Cour n’a pas non plus expliqué par quels moyens ou à quel moment le noyau dirigeant aurait contrôlé le processus décisionnel du Parti. Pour déterminer les objectifs cachés du Parti, la Cour s’est fondée sur les activités individuelles de certains de ses membres sans lien avec les activités officielles de celui-ci. Contrevenant aux Lignes directrices sur l’interdiction et la dissolution des partis politiques et les mesures analogues, la Cour a supposé, sans procéder à aucune vérification, que les opinions des 130 participants aux réunions de mai reflétaient la ligne du Parti et n’a pas tenu compte de l’opinion des 100 000 autres membres de celui-ci.

3.7Les auteurs nient que le noyau dirigeant du Parti ait visé à instaurer une « démocratie progressiste » par la violence, à réunifier la République de Corée et la République populaire démocratique de Corée et à instaurer le type de socialisme que promeut cette dernière. En prônant une « démocratie progressiste », le Parti prenait pour modèles des pays d’Amérique latine comme le Brésil, le Chili et la République bolivarienne du Venezuela. La Cour n’a pas non plus prouvé que la République populaire démocratique de Corée avait ordonné au Parti de mettre en place une « démocratie progressiste » mais s’était fondée sur des déclarations et activités non officielles de membres et d’un non-membre, et non sur la ligne officielle du Parti. Les auteurs font observer que le Parti n’a jamais préconisé la privation de droits et qu’il prônait la représentation proportionnelle et un renforcement de la séparation des pouvoirs. Ils ajoutent que la promotion d’une réunification pacifique n’est pas contraire à l’ordre démocratique fondamental. S’agissant de la conclusion de la Cour selon laquelle le Parti soutenait la République populaire démocratique de Corée sur la question des essais nucléaires et des provocations armées, les auteurs font remarquer que le simple fait d’exprimer des regrets à l’égard des essais réalisés et de critiquer les menaces des États-Unis d’Amérique ne signifie pas que le Parti soutient inconditionnellement la République populaire démocratique de Corée. En outre, la Cour a attribué à tort à Jung-Hee Lee une déclaration sur la succession au pouvoir en République populaire démocratique de Corée et le Parti n’a jamais exprimé son soutien à celle-ci sur ce point. La Cour n’a pas démontré en quoi les campagnes du Parti en faveur de l’abrogation de la loi sur la sécurité nationale et de l’annulation de l’accord de libre-échange avec les États-Unis prouvaient qu’il soutenait le type de socialisme promu par la République populaire démocratique de Corée. Qui plus est, la Cour a insisté sur les similarités du vocabulaire utilisé pour décrire les activités du Parti et la stratégie révolutionnaire de la République populaire démocratique de Corée contre l’État partie, mais la comparaison était faussée car elle reposait sur des similarités partielles.

3.8Les auteurs contestent aussi la conclusion de la Cour constitutionnelle selon laquelle les activités du Parti progressiste unifié constituaient une menace pour l’ordre démocratique fondamental. La Cour a jugé que les réunions de mai, les élections truquées, la violence du Comité central et la manipulation de l’opinion publique montraient que le Parti poursuivait des objectifs dangereux et représentait une menace concrète pour l’ordre démocratique fondamental. Les auteurs considèrent que la Cour a surestimé l’importance du danger. La Cour a jugé que le Parti avait essayé de s’emparer du pouvoir non seulement par le jeu des élections mais aussi en proclamant un « droit de résistance ». Les auteurs affirment que le Parti s’employait à prendre le pouvoir grâce aux élections et qu’il considérait le droit de résistance comme un moyen exceptionnel d’y parvenir, mais qu’il ne cherchait ni à renverser l’ordre démocratique ni à fomenter des violences. La Cour a aussi fondé ses conclusions sur les réunions de mai. Toutefois, selon les auteurs, ces réunions n’étaient pas des manifestations officielles du Parti, n’ayant jamais été approuvées par celui-ci. Le Parti ne savait pas à l’avance que Seok-ki Lee y participerait et n’était au courant ni de la teneur du discours que celui-ci allait prononcer, ni des caractéristiques des réunions. Il n’a pas non plus contribué au paiement de la salle par les participants et les réunions ont été organisées par des représentants du Comité provincial du Gyeong-gi agissant à titre personnel. Les auteurs ajoutent que le Parti n’a jamais prôné la violence, que Seok-ki Lee et Hong-yeol Kim s’étaient exprimés à titre personnel et que leurs discours allaient à l’encontre de la ligne du Parti, qui voulait accéder au pouvoir par les urnes.

3.9Les auteurs contestent la conclusion de la Cour constitutionnelle selon laquelle les réunions de mai s’apparentaient à une conspiration ou une incitation à l’insurrection. Bien que la teneur des réunions de mai ait été problématique et que la décision de la Cour constitutionnelle soit principalement fondée sur les allégations de conspiration, la juridiction d’appel et la Cour suprême ont acquitté M. Lee et six autres personnes de ce chef d’accusation, concluant qu’il n’y avait pas eu de conspiration. Les auteurs ajoutent que rien ne prouve qu’une insurrection se préparait avant les réunions, ni que des activités en ce sens aient été menées par la suite. En outre, aucun accord n’avait été conclu pendant les réunions de mai et il ressort de certaines discussions menées en petits groupes que l’idée d’une insurrection ne faisait pas consensus. Aucun des orateurs n’a appelé expressément ou directement à la violence. Toutes les déclarations relatives à la destruction d’infrastructures et à des préparatifs militaires et techniques étaient vagues et abstraites. Les auteurs rappellent que les réunions de mai n’avaient pas été approuvées par le Parti et que celui-ci n’avait jamais utilisé ni prévu d’utiliser la violence pour prendre le pouvoir.

3.10En outre, les auteurs contestent l’observation de la Cour constitutionnelle selon laquelle les membres du Parti avaient essayé de faire gagner leurs candidats en utilisant la violence, y compris au sein du Comité central, en truquant les élections et en manipulant l’opinion publique, faisant valoir que ces incidents ont été causés par quelques membres isolés, n’étaient ni systématiques ni intentionnels et ne reflétaient pas la ligne politique du Parti.

3.11Les auteurs soutiennent qu’il aurait été possible de prendre des mesures moins restrictives que la dissolution du Parti. La Cour constitutionnelle a jugé que les objectifs et activités du Parti, y compris la promotion d’une « démocratie progressiste », étaient anticonstitutionnels, alors même qu’ils étaient identiques à ceux de l’un de ses prédécesseurs, le Parti démocrate travailliste créé en 2000. Les réunions de mai constituaient le principal motif de la décision de la Cour mais lorsque le gouvernement a déposé sa demande, les personnes impliquées dans l’affaire des réunions étaient en détention et lorsque la Cour a rendu sa décision le procès pénal était toujours en cours. De plus, lors des élections de juin 2014, le Parti n’a obtenu que 4,3 % des voix et ne pouvait donc pas accéder au pouvoir. Les mesures administratives prises, telles que la révocation des députés du Parti siégeant à l’Assemblée nationale, auraient été suffisantes pour protéger l’ordre démocratique fondamental.

3.12Les auteurs soutiennent en outre que la dissolution n’était pas une mesure proportionnée aux intérêts à protéger, y compris la préservation de la démocratie pluraliste. S’agissant de la dissolution du Parti, le Comité a déclaré qu’étant donné que la dissolution d’un parti politique est une mesure lourde de conséquences, les États parties devraient veiller à n’y recourir qu’avec la plus grande retenue et en dernier recours, dans le respect du principe de proportionnalité.

3.13Les auteurs affirment que les droits qu’ils tiennent de l’article 19, lu conjointement avec l’article 22 du Pacte, ont été violés. La décision rendue par la Cour constitutionnelle les a empêchés d’exprimer leurs opinions et leur a interdit de former un nouveau parti politique ayant les mêmes objectifs. Ils réaffirment que la dissolution du Parti progressiste unifié n’était pas prévue par la loi et n’était pas nécessaire dans une société démocratique.

3.14Les auteurs affirment en outre que l’État partie a violé les droits qu’ils tiennent du paragraphe 1 de l’article 2, lu conjointement avec l’article 22 du Pacte. Leur droit de ne pas faire l’objet de discrimination dans l’exercice de la liberté d’association n’a pas été respecté parce que les autorités ont considéré qu’ils incarnaient, comme le Parti, des opinions impopulaires. Il existe dans l’État partie plusieurs partis politiques dont les programmes ne diffèrent de celui du Parti que dans la mesure où celui-ci avait des sympathies légèrement plus marquées pour la République populaire démocratique de Corée.

3.15De surcroît, les auteurs affirment être victimes d’une violation de l’article 25, lu conjointement avec l’article 22 du Pacte au motif que la Cour constitutionnelle ayant révoqué les membres du Parti qui siégeaient dans les assemblées locales et à l’Assemblée nationale, ils ont été privés de représentation. Ils réaffirment que la restriction imposée était déraisonnable.

3.16Les auteurs affirment qu’ils ont épuisé tous les recours internes disponibles, la décision rendue par la Cour constitutionnelle étant définitive. Ils ont introduit une demande tendant à ce que l’affaire soit rejugée − alors même qu’aucune disposition légale ne l’autorise − que la Cour a rejetée le 26 mai 2016.

3.17Les auteurs demandent au Comité de prier instamment l’État partie de leur accorder des réparations appropriées, notamment l’annulation de la décision de la Cour constitutionnelle, la tenue d’un nouveau procès équitable, impartial et indépendant, le rétablissement dans leurs fonctions des membres du Parti qui siégeaient dans les assemblées locales et à l’Assemblée nationale et une indemnisation pécuniaire.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 7 février 2017, l’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité et sur le fond. Il fait observer que seuls quatre États ont formulé une objection à sa réserve à l’article 22 du Pacte et que celle-ci reste donc valide. La référence des auteurs à la communication no 1119/2002 est erronée car, dans le cadre de la procédure de suivi, l’État partie a dit regretter que le Comité ait appliqué l’article 22. L’État partie ajoute que même si le Comité appliquait l’article 22 à la présente affaire, il est plausible que la portée de la réserve soit limitée au droit des fonctionnaires et des enseignants de se syndiquer, et que le principe de l’estoppel ne peut être invoqué.

4.2L’État partie affirme que l’on ne saurait considérer que les auteurs ont été victimes d’une violation des droits qu’ils tiennent du Pacte. Ils n’ont pas suffisamment étayé leurs griefs et ceux-ci doivent donc être jugés irrecevables.

4.3L’État partie explique que la Cour constitutionnelle ne dissoudra un parti politique que si elle juge que celui-ci porte atteinte à l’ordre démocratique fondamental et qu’il faut le dissoudre pour protéger cet ordre. La procédure à suivre pour aboutir à cette conclusion obéit à des normes juridiques strictes, y compris le principe de proportionnalité et la règle selon laquelle la dissolution peut être ordonnée lorsque les objectifs ou activités d’un parti menacent concrètement l’ordre démocratique fondamental.

4.4L’État partie conteste l’affirmation selon laquelle la dissolution du Parti n’était pas prescrite par la loi. En vertu de l’article 12 de la loi sur l’organisation des pouvoirs publics, le Premier Ministre peut remplacer le Président si celui-ci n’est pas en mesure d’exercer ses fonctions en raison de « circonstances atténuantes ». En vertu du paragraphe 4 de l’article 2 du Règlement sur les procurations administratives, les voyages présidentiels à l’étranger font partie de ces circonstances. Il était donc conforme à la loi que le Premier Ministre préside le Conseil d’État. Concernant l’absence de réunion vice-ministérielle, l’État partie explique qu’au regard du règlement relatif au Conseil d’État, cette réunion n’est pas obligatoire en cas d’urgence et que la détermination de l’existence d’une situation d’urgence relève du pouvoir discrétionnaire du Gouvernement. Étant donné que des députés de l’Assemblée nationale étaient impliqués dans l’affaire en question, la décision du Gouvernement de ne pas tenir la réunion vice-ministérielle ne saurait être considérée comme abusive. De plus, compte tenu de la nature et de l’objet de la fonction qu’elle exerce, la Cour constitutionnelle a appliqué les règles de la procédure civile, conformément à l’article 40 de la loi relative à la Cour constitutionnelle, car ces règles de procédure sont de nature générale et largement appliquées dans les affaires pénales et administratives, et elles peuvent donc aussi être appliquées dans le cadre de la justice constitutionnelle.

4.5L’État partie conteste aussi l’argument des auteurs selon lequel la dissolution du Parti n’était pas nécessaire dans une société démocratique. Il fait observer que la Cour constitutionnelle a examiné 170 000 pages de preuves documentaires, a entendu 12 témoins et 6 experts dans le cadre de 18 audiences et a conclu que la dissolution du Parti était nécessaire pour protéger l’ordre démocratique fondamental. Après la création du Parti en décembre 2011 et sa participation aux élections d’avril 2012, 13 de ses candidats ont été élus à l’Assemblée nationale. Cependant, une fraude systématique visant le classement des candidats du Parti avait été commise. Le 12 mai 2012, lors d’une réunion du Comité central consacrée à cette fraude, un incident s’est produit lors duquel des membres du Parti ont fait usage de la violence et le Président a été blessé. Le député Seong-dong Kim a utilisé du gaz lacrymogène à l’Assemblée nationale pour protester contre l’accord de libre-échange conclu avec les États-Unis. En outre, Seok-ki Lee et d’autres membres du Parti siégeant à l’Assemblée nationale ont participé aux réunions de mai de l’Organisation révolutionnaire, des réunions organisées par le Parti et auxquelles 130 personnes ont assisté. M. Lee a déclaré qu’une guerre était imminente et a incité les participants à détruire les infrastructures, les installations de télécommunication, les chemins de fer et les installations gazières. Le 16 septembre 2013, des poursuites ont été engagées contre M. Lee et d’autres personnes pour conspiration et incitation à la rébellion. Malgré cela, le Parti a transformé sa structure en un « quartier général de lutte », auquel étaient rattachées 16 cellules métropolitaines et provinciales, et a organisé des manifestations et des réunions dans tout le pays. Le Parti tout entier protégeait les activités de l’Organisation révolutionnaire en collectant des fonds auprès de ses membres au moyen de cotisations spéciales et en encourageant ses membres à rédiger des pétitions demandant l’acquittement. Le 10 mai 2013, les participants ont affirmé que, comme la République populaire démocratique de Corée avait dénoncé l’accord d’armistice le 5 mars 2013, ils étaient en guerre, et ils ont évoqué la destruction des principales infrastructures étatiques. Le 12 mai 2013, ils ont discuté de la destruction des infrastructures, parlant de perturber les communications et de cibler divers types d’installations. Même lorsque cela a été révélé, le Parti a continué de soutenir ouvertement M. Lee pendant toute la durée du procès. L’État partie affirme que, compte tenu de cet ensemble de faits, la conspiration en vue d’une rébellion est imputable au Parti progressiste unifié.

4.6L’État partie soutient que la conspiration, l’incitation à la rébellion et la fraude électorale attestent clairement que le Parti progressiste unifié essayait de renverser l’ordre constitutionnel et de le détruire. La Cour constitutionnelle a estimé que les débats qui se sont tenus au sein du Parti sur la destruction des principales installations du pays en cas de déclaration de guerre de la République populaire démocratique de Corée relevaient d’une tentative préméditée de détruire ou d’abolir l’ordre démocratique fondamental par la violence. Le Parti encourageait les activités de ses membres et ceux-ci obéissaient à la République populaire démocratique de Corée. La Cour a jugé qu’il n’y avait pas d’autre solution que de dissoudre le Parti, étant donné que des sanctions pénales ne pouvaient être imposées qu’à des personnes physiques et n’éliminaient pas le danger que représentait un parti politique, celui-ci pouvant remplacer les personnes condamnées. Elle a noté que « le noyau dirigeant » du Parti, s’il ne semblait compter qu’un petit nombre de membres, constituait un groupe puissant et soudé qui faisait preuve de cohésion et exerçait une forte influence sur la sélection des candidats aux élections, l’élaboration des politiques et la prise des décisions. Pour ce qui est de la proportionnalité, la Cour a reconnu que la dissolution d’un parti politique en restreignait les activités et réduisait l’éventail des idées et idéologies politiques, mais elle a estimé que la promotion d’une idéologie hostile aux sociétés pluralistes ou encourageant la destruction ou la suppression de l’ordre démocratique fondamental pouvait être limitée afin de préserver cet ordre.

4.7La Cour européenne des droits de l’homme a estimé que la dissolution judiciaire d’un parti politique pouvait être décidée lorsque, par exemple, ce parti portait atteinte aux principes démocratiques ou visait à faire obstacle au système démocratique ou à y mettre fin. Aux termes des Lignes directrices sur l’interdiction et la dissolution des partis politiques et les mesures analogues, « [l]’interdiction ou la dissolution forcée de partis politiques ne peuvent se justifier que dans le cas où les partis prônent l’utilisation de la violence ou l’utilisent comme un moyen politique pour renverser l’ordre constitutionnel démocratique », ce qui signifie que la dissolution se justifie si le parti menace la paix ou l’ordre démocratique fondamental. Lorsqu’elle rend une décision, la Cour européenne des droits de l’homme tient également compte de l’existence de circonstances exceptionnelles, conformément au principe selon lequel ce sont les autorités nationales, qui suivent au quotidien l’évolution de la situation dans le pays, qui sont les mieux placées pour déterminer si les conditions justifiant une dissolution sont remplies. L’État partie fait observer qu’il reste sur le pied de guerre avec la République populaire démocratique de Corée et que la mise au point par celle-ci de missiles et d’armes nucléaires doit être prise pleinement en considération pour déterminer si la dissolution était nécessaire. La Cour européenne des droits de l’homme a toujours considéré que si le danger est démontré, compte tenu de l’objectif et des activités du parti, celui-ci doit être dissous même avant qu’il puisse agir.

4.8L’État partie conteste aussi le grief que les auteurs tirent de l’article 19, lu conjointement avec l’article 22 du Pacte, au motif que le terme « moyen » employé dans cet article ne couvre pas les partis politiques et qu’en tout état de cause, la restriction du droit à la liberté d’expression était justifiée au titre du paragraphe 3 de l’article 19, afin de protéger l’ordre démocratique fondamental et la sécurité nationale.

4.9L’État partie conteste également le grief que les auteurs tirent du paragraphe 1 de l’article 2, lu conjointement avec l’article 22 du Pacte. La décision de dissoudre le Parti progressiste unifié a été prise parce que ce parti ne respectait pas l’ordre démocratique constitutionnel et pour éliminer le danger qu’il présentait. Les auteurs n’ont pas démontré en quoi la Cour constitutionnelle avait agi de manière discriminatoire, étant donné qu’ils n’ont pas prouvé que chacun d’eux adhérait individuellement à une idéologie favorable à la République populaire démocratique de Corée.

4.10L’État partie conteste en outre le grief que les auteurs tirent de l’article 25, lu conjointement avec l’article 22 du Pacte. La dissolution du Parti ne restreint pas la liberté des auteurs de participer à diverses activités politiques, que ce soit ou non par l’intermédiaire de représentants élus. Même si le Parti a perdu ses cinq députés parce qu’il a été dissous, trois d’entre eux avaient été élus dans des circonscriptions et les deux autres dans le cadre du scrutin proportionnel et rien ne prouve que les auteurs résidaient tous dans les circonscriptions des députés destitués ou qu’ils avaient bien voté pour ces représentants. L’État partie note que les auteurs peuvent toujours exercer leur droit de voter et d’être élu.

4.11L’État partie ajoute que la dissolution prive le parti de ses droits et privilèges mais qu’elle ne porte pas atteinte à la plupart des droits fondamentaux de ses membres et que, même dans le cas contraire, les restrictions ainsi imposées sont conformes à la loi.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1Le 20 avril 2017, les auteurs ont soumis des commentaires sur les observations de l’État partie. Ils font valoir que celui-ci a formulé, en ce qui concerne le droit de grève des fonctionnaires et des enseignants, une réserve à l’article 22 du Pacte qui n’a jamais été censée être une réserve générale. Ils contestent l’argument de l’État partie selon lequel ils ne sauraient être considérés comme des victimes de violations du Pacte.

5.2Les auteurs contestent l’argument de l’État partie selon lequel la dissolution du Parti était prévue par la loi. Ils réaffirment que le temps qu’il a fallu aux autorités de l’État partie pour établir la demande de dissolution, le fait que les suspects étaient détenus et l’absence de tous préparatifs de la part du Parti prouvent qu’il n’y avait pas de situation d’urgence qui aurait justifié de déroger à l’obligation de tenir une réunion vice-ministérielle. Ils réaffirment aussi que, compte tenu des conséquences de la dissolution du Parti sur les droits de ses membres, c’est à tort que la Cour constitutionnelle n’a pas établi de normes strictes en matière de preuve. Ils rappellent aussi que la Cour a admis comme preuves les comptes rendus d’audience d’un procès pénal en cours, en violation de l’article 32 de la loi relative à la Cour constitutionnelle. De plus, la Constitution n’oblige pas le Gouvernement à demander la révocation des députés de l’Assemblée nationale, pas plus que la loi ne prévoit cette révocation en cas de dissolution d’un parti politique. De surcroît, étant donné que les députés n’étaient pas mis en cause dans l’affaire jugée par la Cour constitutionnelle, ils ne pouvaient pas se défendre. Les cinq députés concernés ont saisi la Cour suprême et l’affaire était encore pendante au moment de la rédaction des présents commentaires.

5.3Les auteurs contestent que la dissolution du Parti était nécessaire dans une société démocratique. Ils rappellent que, selon la Cour européenne des droits de l’homme, seules des raisons convaincantes et impératives peuvent justifier des restrictions à la liberté d’association, les États ne disposent que d’une marge d’appréciation réduite pour juger de l’existence d’une telle nécessité et les mesures drastiques telles que la dissolution d’un parti politique ne peuvent s’appliquer qu’aux cas les plus graves. Pour déterminer l’existence de la nécessité, il convient de déterminer d’une part s’il existe des indices plausibles montrant que le risque d’atteinte à la démocratie est suffisamment et raisonnablement proche et, d’autre part, si les actes et discours imputables au parti concerné constituent un tout qui donne une image nette d’un modèle de société conçu et prôné par le parti, et qui serait en contradiction avec la conception d’une société démocratique. Les auteurs rappellent que le but du Parti n’était pas d’instaurer un régime socialiste et que rien dans son acte constitutif, son programme ou ses activités ne le donnait à penser. Ils rappellent aussi que les réunions de mai n’étaient pas des manifestations officielles du Parti, que les participants à ces réunions n’ont jamais contrôlé le Parti et que le Parti n’a jamais encouragé la violence. Ils ajoutent que la fraude électorale était un cas isolé et que le Parti avait pris des mesures et notamment mené une enquête interne qui avait révélé que la plupart des votes par procuration avaient été émis par des proches de personnes incapables d’aller voter et qu’aucune fausse carte d’identité n’avait été utilisée. À propos des violences commises lors de la réunion du Comité central, les auteurs font observer qu’elles n’étaient pas le fait du Parti dans son ensemble, qu’elles n’étaient pas systématiques et qu’un représentant du Parti avait présenté des excuses publiques. S’agissant de l’incident du gaz lacrymogène, les auteurs notent qu’il s’agit d’un égarement personnel qui s’est produit avant la création du Parti et qu’il est donc injuste de mettre cet incident en avant car il n’est pas rare que des membres de l’Assemblée nationale aient recours à la violence.

5.4En ce qui concerne les réunions de mai, les auteurs font valoir que la Cour suprême a jugé que l’existence de l’Organisation révolutionnaire n’avait pas été prouvée, ce qui signifie que celle-ci ne s’est pas réunie secrètement pour débattre de la destruction des infrastructures. Les réunions de mai avaient été organisées à titre personnel par des membres du Comité provincial du Gyeong-gi. Le Parti n’a approuvé ni la tenue de ces réunions ni ce qui s’y est dit, n’a fourni aucun appui, ne partageait pas les opinions formulées et n’a jamais planifié ni soutenu, en public ou en privé, le recours à la violence en vue de prendre le pouvoir ou de renverser le Gouvernement. Les 130 participants aux réunions de mai représentaient seulement 0,124 % des 104 692 membres du Parti et l’État partie n’a pas prouvé qu’ils avaient la mainmise sur le processus décisionnel. La Cour suprême a jugé que M. Lee et six autres personnes n’étaient pas coupables de conspiration en vue d’une insurrection et d’incitation à détruire des infrastructures. En outre, étant donné que les tensions avec la République populaire démocratique de Corée n’étaient pas inhabituelles, le Parti ne pensait pas qu’une guerre était imminente. Le Parti s’est massivement mobilisé en prévision de la demande de dissolution qu’allait déposer le Gouvernement mais il n’a pas défendu les accusés. La dissolution n’était pas une mesure proportionnée et d’autres mesures auraient pu être prises car le Parti ne constituait pas une menace, avait perdu beaucoup de ses soutiens et les personnes présumées coupables d’incitation à la violence étaient en détention.

5.5Les auteurs contestent l’argument de l’État partie selon lequel les partis politiques ne sont pas des « moyens » au sens de l’article 19 du Pacte, affirmant que la liberté d’expression ne saurait se concevoir sans la participation d’une pluralité de partis politiques et que le paragraphe 2 de l’article 19 ne peut pas être interprété comme excluant les partis politiques. Concernant l’article 25 du Pacte, ils affirment qu’ils ont bien voté pour les représentants du Parti élus au scrutin proportionnel lors des élections générales de 2012. Ils contestent aussi qu’il leur faille prouver que chacun d’eux soutient individuellement le régime de la République populaire démocratique de Corée. Ils affirment que la seule différence entre le Parti et d’autres partis aux idées similaires est que le Parti pense que la République de Corée et la République populaire démocratique de Corée forment une seule nation.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité note que l’État partie ne conteste pas que les recours internes ont été épuisés. Par conséquent, il considère que les dispositions de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner la communication.

6.4Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel sa réserve à l’article 22 du Pacte ne porte que sur le droit des fonctionnaires et des enseignants d’adhérer à un syndicat. Il note que selon cette réserve, les dispositions de l’article 22 seront appliquées en conformité des lois de l’État partie. Le Comité considère donc que le contenu de la réserve de l’État partie ne l’empêche pas d’examiner les griefs des auteurs.

6.5S’agissant du grief que les auteurs tirent du paragraphe 1 de l’article 2 du Pacte, lu conjointement avec l’article 22, le Comité constate que, pour rendre sa décision, la Cour constitutionnelle a tenu compte de l’ensemble des circonstances et pas seulement des opinions exprimées par les auteurs ou le Parti. Il estime que les auteurs n’ont pas suffisamment établi, aux fins de la recevabilité, que la décision de la Cour était discriminatoire ; il déclare donc ce grief irrecevable.

6.6Le Comité considère que les auteurs ont suffisamment étayé leurs autres griefs aux fins de la recevabilité. Il déclare donc que la communication est recevable en ce qu’elle soulève des questions au regard des articles 19, 22 et 25 du Pacte, et va procéder à son examen au fond.

Examen au fond

7.1Le Comité note que les auteurs affirment que l’État partie a violé les droits qu’ils tiennent de l’article 22 du Pacte, la décision de la Cour constitutionnelle de dissoudre le Parti, dont ils étaient tous membres, constituant une restriction qui n’était ni prévue par la loi, ni nécessaire dans une société démocratique. Si l’État partie conteste ce grief, il ne conteste pas que la dissolution constituait une restriction. Le Comité rappelle que, conformément au paragraphe 2 de l’article 22, toute restriction de la liberté d’association doit satisfaire à l’ensemble des conditions ci-après pour être justifiée : a) elle doit être prévue par la loi ; b) elle ne peut viser que l’un des buts énoncés au paragraphe 2, c’est-à-dire qu’elle doit être nécessaire dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l’ordre public, ou pour protéger la santé ou la moralité publiques ou les droits et les libertés d’autrui ; et c) elle doit être nécessaire dans une société démocratique pour la réalisation de l’un de ces buts.

7.2Le Comité constate que la dissolution du Parti a été ordonnée par la Cour constitutionnelle qui, en vertu de la loi relative à la Cour constitutionnelle, peut rendre de telles décisions à la demande de l’exécutif. Il note en outre que, selon la réglementation de l’État partie, les voyages présidentiels à l’étranger constituent une circonstance atténuante autorisant le Premier Ministre à remplacer le Président. De surcroît, le Comité estime qu’eu égard au contexte, les auteurs n’ont pas effectivement établi que le pouvoir exécutif avait outrepassé son pouvoir discrétionnaire en considérant qu’il s’agissait d’une situation d’urgence qui justifiait de ne pas tenir de réunion vice-ministérielle avant la réunion du Conseil d’État. En outre, étant donné que la Cour constitutionnelle est compétente pour ordonner la dissolution d’un parti politique, le Comité considère que les arguments des auteurs concernant les règles procédurales et l’admissibilité des éléments de preuve issus d’un procès pénal en cours ne permettent pas, en eux-mêmes, de conclure que la dissolution en cause n’était pas prévue par la loi. Le Comité conclut donc que la dissolution du Parti était prévue par la loi.

7.3Le Comité note en outre que les auteurs ne contestent pas le fait que la restriction visait l’un des buts énoncés au paragraphe 2 de l’article 22 du Pacte.

7.4Le Comité doit ensuite déterminer si la dissolution du Parti était nécessaire dans une société démocratique, conformément au paragraphe 2 de l’article 22 du Pacte. À cet égard, il rappelle que la notion de « société démocratique » implique que l’existence et le fonctionnement d’associations, y compris celles qui défendent pacifiquement des idées qui ne sont pas nécessairement accueillies favorablement par le gouvernement ou la majorité de la population, sont un des piliers d’une société démocratique. Le simple fait qu’il existe des justifications raisonnables et objectives pour limiter le droit à la liberté d’association ne suffit pas ; l’État partie doit aussi montrer que l’interdiction d’une association est nécessaire pour écarter un danger réel, et non hypothétique, pour la sécurité ou l’ordre démocratique, et que des mesures moins draconiennes seraient insuffisantes pour atteindre cet objectif.

7.5Le Comité note que l’État partie affirme que la dissolution du Parti était nécessaire au motif que les activités et objectifs de celui-ci visaient à saper l’ordre démocratique fondamental et à propager l’idéologie de la République populaire démocratique de Corée par la violence. Il note aussi que les auteurs contestent le raisonnement et les conclusions de la Cour constitutionnelle, ainsi que les mesures qu’elle a ordonnées. Les auteurs affirment que le Parti poursuivait des objectifs démocratiques et non violents et qu’il n’avait pas de noyau dirigeant, que les divers incidents impliquant certains de ses membres ne peuvent lui être imputés et que, de manière générale, il ne représentait pas une menace pour l’ordre démocratique fondamental.

7.6Le Comité prend note des arguments des auteurs concernant les éléments de preuve examinés par la Cour constitutionnelle. Celle-ci a examiné 170 000 pages de preuves documentaires et a entendu 12 témoins et 6 experts dans le cadre de 18 audiences. Avant de conclure que le Parti menaçait l’ordre démocratique fondamental, la Cour a examiné l’ensemble des circonstances, y compris l’histoire du Parti, ses objectifs, ses déclarations, ses activités, la fraude électorale, la violence de ses membres et l’idéologie violente adoptée par un noyau dur que le reste des membres ne désavouait pas. De plus, étant donné que dans une société démocratique l’apologie de la violence peut être clandestine et non publique, et compte tenu des nombreuses façons dont le Parti a ensuite soutenu publiquement les personnes inculpées, le Comité ne peut conclure que c’est à tort que la Cour a tenu compte des déclarations faites lors des réunions de mai, auxquelles seuls des membres du Parti, y compris des membres et représentants du Comité central, ont assisté. À cet égard, le Comité note que les auteurs reconnaissent le caractère problématique des discussions, qui concernaient l’imminence supposée d’une guerre, la nécessité de se préparer sur les plans physique et militaire, la production et la saisie d’armes, y compris la fabrication de bombes, et les moyens de détruire des infrastructures et de perturber les communications, le tout dans le but de limiter la capacité de l’État partie de se défendre contre la République populaire démocratique de Corée. Le Comité garde en outre à l’esprit l’observation de l’État partie selon laquelle il reste sur le pied de guerre avec la République populaire démocratique de Corée et doit constamment faire face aux provocations militaires de celle-ci. Le Comité ne peut donc conclure que l’État partie n’a pas suffisamment démontré qu’il existait des motifs raisonnables et objectifs de limiter la liberté d’association des auteurs.

7.7Le Comité prend note de l’argument des auteurs selon lequel la décision de la Cour constitutionnelle de dissoudre le Parti n’était pas proportionnée parce que des mesures moins intrusives auraient pu être prises. Il note toutefois que la Cour a expressément examiné cette question, mais a estimé que des sanctions pénales ne suffiraient pas, à elles seules, à écarter le risque, puisqu’elles ne toucheraient que certaines personnes. Il note aussi que la Cour a considéré que les inculpés pourraient être remplacés par d’autres membres tout aussi vindicatifs. S’agissant de la proportionnalité, le Comité constate que la Cour a jugé que la menace répétée, concrète et imminente que représentaient les membres dirigeants du Parti justifiait la dissolution de celui-ci pour protéger l’ordre démocratique fondamental. Le Comité fait observer que les auteurs n’ont pas démontré que le Parti condamnait sans équivoque les déclarations violentes formulées lors des réunions de mai. Il rappelle ses observations finales concernant le quatrième rapport périodique de l’État partie, dans lesquelles il faisait part, sur la base des éléments dont il disposait à l’époque, de sa préoccupation au sujet de la dissolution du Parti. Il note qu’en l’espèce, des éléments plus détaillés ont été portés à sa connaissance par les parties et qu’en les examinant, il a pu établir que la Cour avait fondé sa décision sur un nombre considérable de preuves. Rappelant que la dissolution d’un parti politique est toujours une mesure de dernier recours, il conclut que, dans ce cas particulier, compte tenu des circonstances très graves et des faits délictueux établis par les autorités judiciaires nationales, l’État partie a suffisamment montré que la dissolution était nécessaire à la sauvegarde de la sécurité nationale et au maintien de l’ordre constitutionnel. Par conséquent, au vu des informations qui lui ont été communiquées en l’espèce, le Comité ne peut conclure que la restriction que l’État partie a imposée à la liberté d’association des auteurs n’était pas nécessaire et proportionnée, ni que les droits que les auteurs tiennent de l’article 22 ont été violés.

7.8Compte tenu de ce qui précède, le Comité ne peut conclure que la restriction n’était pas nécessaire à la sauvegarde de la sécurité nationale, conformément au paragraphe 3 b) de l’article 19 du Pacte. Il considère donc que les droits que les auteurs tiennent du paragraphe 2 de l’article 19, lu conjointement avec l’article 22 du Pacte, n’ont pas été violés.

7.9Le Comité note que les auteurs affirment être victimes d’une violation de l’article 25 lu conjointement avec l’article 22 du Pacte parce que la Cour constitutionnelle ayant révoqué les membres du Parti qui siégeaient à l’Assemblée nationale et dans les assemblées locales, ils ont été privés de représentation. Il note aussi que, le 25 novembre 2015, le tribunal de district de Jeonju a jugé illégale la révocation d’un membre du Parti de l’assemblée locale dont il était membre. Concernant la révocation des autres députés, il fait observer que les droits énoncés à l’article 25 du Pacte peuvent faire l’objet de restrictions raisonnables. Pour des raisons déjà exposées (voir supra, par. 7.4 à 7.6), le Comité ne peut conclure que les restrictions imposées au droit des auteurs de prendre part à la direction des affaires publiques n’étaient pas raisonnables et que les droits qu’ils tiennent de l’article 25 du Pacte ont été violés.

7.10Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître de violation des articles 19, 22 et 25 du Pacte.

Annexe

Opinion conjointe (dissidente) de Christof Heyns, David Moore, Vasilka Sancin, Yuval Shany, Hernán Quezada Cabrera et Gentian Zyberi, membres du Comité

1.Nous ne pouvons souscrire à la conclusion à laquelle le Comité est parvenu dans cette affaire, à savoir qu’il n’y a pas eu violation des droits que les auteurs tiennent des articles 19 (par. 2), 22 et 25 du Pacte.

2.Il est notoire que la dissolution d’un parti politique et la révocation de ses députés siégeant au parlement sont des mesures extrêmes qui ne devraient être prises qu’en dernier recours. Selon nous, les faits et éléments de preuve présentés en l’espèce ne satisfont pas à cette condition rigoureuse.

3.Comme l’admet l’opinion majoritaire (par. 7.4), le Comité a par le passé considéré, en ce qui concerne la protection du droit d’association garanti à l’article 22 en général (c’est‑à-dire également le droit des associations autres que les partis politiques), que la simple existence de motifs raisonnables et objectifs de limiter le droit à la liberté d’association n’est pas suffisante. L’État partie doit de plus démontrer que l’interdiction d’une association est nécessaire pour écarter un danger réel, et pas seulement hypothétique, menaçant la sécurité nationale ou l’ordre démocratique, et que des mesures moins intrusives seraient insuffisantes pour atteindre cet objectif.

C’est à l’État partie qu’il incombe de montrer que les mesures prises étaient nécessaires

4.L’expression des opinions politiques bénéficie d’une protection particulière, ce qui donne à penser que des conditions particulièrement rigoureuses doivent être réunies pour qu’un parti politique puisse être dissous.

5.En l’espèce, le fait qu’une petite minorité des membres du Parti progressiste unifié (130 membres sur quelque 100 000, dont la plupart sinon tous étaient membres du Comité provincial de Gyeong-gidu Parti) ont assisté aux réunions de mai 2013 a revêtu une importance décisive dans l’interdiction du Parti. Sur ces 130 participants, un total de 7 personnes (qui ne sont pas les auteurs de la communication) ont été arrêtées, accusées d’infractions pénales et punies en raison de déclarations qu’elles avaient faites lors des réunions de mai et dont il avait été rendu compte.

6.Les personnes ayant fait l’objet de poursuites à raison du rôle qu’elles ont joué lors des réunions de mai ont été reconnues coupables d’incitation et de conspiration, et la condamnation pour conspiration (d’au moins certaines d’entre elles) a été annulée en appel, ce qui peut donner à penser que la menace étaient moins immédiate qu’on ne l’avait cru initialement.

7.Il faut donc se poser la question suivante : dans quelle mesure la conduite de sept personnes peut-elle être attribuée au Parti dans son ensemble ? Selon les auteurs, les sept personnes en question se sont exprimées à titre individuel et à l’encontre de la ligne officielle du Parti, qui prônait un transfert de pouvoir pacifique. Les réunions n’avaient pas été organisées et n’ont pas été autorisées par le Parti, que ce soit au préalable ou pendant qu’elles se tenaient. Le Parti a dans une certaine mesure soutenu les accusés durant leur procès, mais il semble qu’au moins une partie de ce soutien a consisté à collecter des fonds pour leur défense. Les preuves attestant que le Parti lui-même menaçait concrètement et immédiatement la sécurité nationale sont au mieux inconcluantes.

8.L’argument de l’État partie selon lequel la dissolution du Parti était « nécessaire » au sens des articles 19 (par. 3) et 22 (par. 2) du Pacte repose dans une large mesure sur la conclusion de la Cour constitutionnelle selon laquelle il n’y avait pas d’autre solution, au motif que des sanctions pénales ne pouvaient être imposées qu’à des personnes physiques et n’éliminaient pas le danger que représentait le Parti, qui pouvait remplacer les personnes condamnées par d’autres membres tout aussi vindicatifs (par. 4.6 et 7.7). Le risque que le Parti remplace les accusés par d’autres membres chargés de fomenter des violences semble hypothétique ; il ne s’agit pas d’un risque concret dont l’existence est étayée par des preuves.

9.Il est notoire que de fortes tensions existaient entre l’État partie et la République populaire démocratique de Corée lorsque l’incident a eu lieu, et que le Parti était favorable à la République populaire démocratique de Corée. Il faut certes accorder à ce fait le poids voulu, mais il n’y a toutefois guère de preuves du caractère concret et imminent de cette menace et de la mesure dans laquelle le Parti était effectivement prêt à apporter son appui à la République Populaire démocratique de Corée.

10.En résumé, à la lumière des informations figurant au dossier, il n’est toujours pas établi que la conduite des sept personnes en cause lors des réunions de mai était plus qu’un incident isolé et qu’elle puisse être attribuée au Parti dans son ensemble. La conduite de ces sept personnes a été condamnée dans le cadre des poursuites pénales dont elles ont fait l’objet (poursuites dont le Comité a estimé dans une affaire connexe qu’elles ne constituaient pas une violation du Pacte). Étant donné le caractère draconien de la décision de dissoudre un parti politique et de démettre d’office ceux de ses membres siégeant au parlement, nous ne sommes pas convaincus que l’État partie se soit acquitté de la charge de la preuve qui lui incombait et ait démontré que ces mesures supplémentaires étaient nécessaires et proportionnées et que d’autres mesures, moins intrusives, n’auraient pas été suffisantes.

11.Comme le Comité l’a souligné en 2015, étant donné les conséquences particulièrement lourdes de la dissolution d’un parti politique, les États parties ne devraient recourir à cette mesure qu’avec la plus grande retenue et uniquement en dernier recours, et dans le respect du principe de proportionnalité. Nous continuons de penser que cette recommandation demeure valide.

12.Comme indiqué ci-dessus (et comme l’admet l’opinion majoritaire), le Comité exige des États qui dissolvent une association qu’ils démontrent que cette dissolution était nécessaire. C’est donc à l’État partie qu’il incombe de démontrer cette nécessité. Cela étant, il convient de noter (voir, par exemple, par. 7.6 et 7.8) que le Comité déclare qu’il ne peut conclure que la restriction n’était pas nécessaire pour protéger la sécurité nationale. Cette double négation semble libérer l’État partie de l’obligation de démontrer l’existence de cette nécessité et place la barre trop bas, en particulier s’agissant d’une mesure − l’interdiction d’un parti politique − ayant de telles conséquences. À moins que le Comité considère que les preuves attestent que l’État partie a démontré, comme cela lui incombait, qu’il était nécessaire de dissoudre le parti politique concerné, il doit conclure qu’il y a eu violation des droits protégés par le Pacte qu’invoquent les auteurs.