Nations Unies

CCPR/C/133/D/3212/2018

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

8 février 2022

Français

Original : anglais

Comité des droits de l ’ homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 3212/2018 * , **

Communication présentée par :

Thileepan Gnaneswaran (représenté par un conseil, Umesh Perinpanayagam)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteur

État partie :

Australie

Date de la communication :

16 juillet 2018 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 17 juillet 2018 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

27 octobre 2021

Objet :

Expulsion vers Sri Lanka d’un mari et père

Question(s) de procédure :

Défaut de fondement des griefs ; mesures provisoires

Question(s) de fond :

Torture ; peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant ; droits de la famille ; séparation d’enfants d’avec leurs parents

Article(s) du Pacte :

7 et 17, lu conjointement avec 23

Article(s) du Protocole facultatif :

2

1.1L’auteur de la communication est Thileepan Gnaneswaran, de nationalité sri-lankaise, né en 1988. Il affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient de l’article 7 et de l’article 17, lu conjointement avec l’article 23 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 25 décembre 1991. L’auteur est représenté par un conseil.

1.2Le 17 juillet 2018, en application de l’article 94 de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a demandé à l’État partie de ne pas expulser l’auteur vers Sri Lanka tant que sa communication serait à l’examen. Le 3 août 2018, l’État partie a informé le Comité qu’au moment où il avait reçu la demande de mesures provisoires, l’auteur ne relevait plus de sa juridiction et n’était plus sous son contrôle car il avait déjà été expulsé vers Sri Lanka. L’État partie n’était donc pas en mesure de donner suite à cette demande.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur, d’ethnie tamoule, est né à Vavuniya (Sri Lanka) en 1988. Il explique que son père était membre des Tigres de libération de l’Eelam tamoul et a été tué par les autorités sri-lankaises à une date non précisée. Il ajoute que l’un de ses frères a lui aussi connu une mort violente à une date non précisée. Un autre de ses frères a été arrêté, interrogé et battu par les autorités sri-lankaises en raison de son affiliation supposée aux Tigres de libération de l’Eelam tamoul. Il a été libéré par la suite, mais avait l’obligation de se présenter régulièrement à la police.

2.2En 2006, l’auteur étant en danger à Sri Lanka, sa mère a organisé son départ vers la Malaisie. En 2008, l’auteur a été expulsé de Malaisie pour séjour illégal. À une date non précisée après son retour à Sri Lanka, les autorités se sont présentées à son domicile et lui ont demandé où il était allé, et où se trouvait son frère, lequel, entre-temps, avait disparu. L’auteur a reçu l’ordre de se présenter au poste de police, où il a été battu si violemment qu’il a dû être hospitalisé.

2.3L’auteur indique qu’en 2010 et en 2011, il a été interrogé par les autorités à plusieurs reprises. En 2012, plusieurs hommes se sont présentés à son domicile et l’ont conduit dans un bureau du Département des enquêtes criminelles, où on l’a battu et on lui a percé les ongles pour le forcer à déclarer qu’il soutenait les Tigres de libération de l’Eelam tamoul. Quelques jours plus tard, on lui a bandé les yeux et on l’a conduit dans un lieu inconnu, où on l’a laissé au bord de la route. Deux jours après avoir été libéré, l’auteur a quitté Sri Lanka avec l’aide d’un ami.

2.4L’auteur est arrivé en Australie par voie maritime de manière irrégulière en juin 2012. Il a déposé une demande de visa de protection le 2 novembre 2012.

2.5L’auteur affirme que, pendant qu’il était en Australie, des agents du Département des enquêtes criminelles de Sri Lanka se sont rendus à son domicile à maintes reprises pour tenter de découvrir où il se trouvait.

2.6L’épouse de l’auteur est elle aussi née à Sri Lanka, et elle est arrivée en Australie en septembre 2012. En raison d’une modification de la législation, applicable aux demandeurs d’asile arrivés par voie maritime après le 13 août 2012, elle n’a pu demander qu’un visa de protection temporaire. Ce visa ne permet pas d’obtenir le regroupement familial, à moins que l’autre membre de la cellule familiale soit titulaire d’un visa de protection de la même catégorie que le visa demandé par le demandeur d’asile principal.

2.7Le 11 janvier 2013, la demande de visa de protection de l’auteur a été rejetée. Le 16 janvier 2013, l’auteur a saisi le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés d’une demande de réexamen au fond de cette décision de refus. Le 9 septembre 2013, le Tribunal a confirmé la décision du Ministère de l’immigration et de la protection des frontières refusant un visa de protection à l’auteur. Le 17 mars 2016, le Tribunal fédéral de circuit a débouté l’auteur de la demande de contrôle juridictionnel qu’il avait formée. Le 22 mai 2017, la demande d’autorisation de saisir la Cour fédérale d’Australie que l’auteur avait soumise a été rejetée. Le 12 octobre 2017, la Haute Cour d’Australie a rejeté la demande d’autorisation de former recours soumise par l’auteur.

2.8L’auteur s’est marié le 8 septembre 2016. Son épouse a déposé une demande de visa de protection temporaire (de type Safe Haven Enterprise) le 27 mars 2017. Leur fille est née le 30 septembre 2017.

2.9Le 13 novembre 2017, l’auteur a fait une demande d’intervention ministérielle, dans laquelle il affirmait qu’il ne devait pas être renvoyé à Sri Lanka avant que la demande de visa que sa femme avait soumise en son nom propre et au nom de leur enfant soit examinée. Le 15 juillet 2018, l’auteur a présenté une nouvelle demande d’intervention ministérielle, dans laquelle il informait les autorités que sa femme et sa fille avaient obtenu un visa de protection temporaire le 10 juillet 2018 et demandait l’autorisation de rester en Australie avec elles. À chaque fois, le Ministère de l’immigration et de la protection des frontières a examiné la situation de l’auteur et estimé que la demande ne remplissait pas les critères requis pour une intervention ministérielle, et en a donc achevé l’examen sans la transmettre.

2.10Le 13 juillet 2018, l’auteur a été notifié de la décision d’expulsion, qui devait être exécutée le 16 juillet 2018.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que son expulsion vers Sri Lanka constituerait une violation des droits qu’il tient de l’article 7 du Pacte. Il allègue que, parce qu’il est Tamoul et perçu comme ayant des liens avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul, qu’il a déjà été détenu au Département des enquêtes criminelles, et que lui et sa famille ont subi des mauvais traitements dans le passé, il risquerait très certainement, s’il était renvoyé, d’être torturé aux mains des autorités sri-lankaises.

3.2L’auteur affirme également que son renvoi constituerait une violation de l’article 17, lu conjointement avec l’article 23 (par. 1) du Pacte. Il renvoie à l’affaire A. B. c. Canada, dans laquelle le Comité a rappelé qu’il peut effectivement se produire des cas où le refus de l’État partie d’autoriser un membre d’une famille à rester sur son territoire constitue une immixtion dans la vie de famille de l’intéressé. L’auteur renvoie également à l’observation générale no 16 (1988) du Comité sur le droit au respect de la vie privée et à l’observation générale no 19 (1990) sur la protection de la famille, qui établissent que la notion de famille doit être interprétée au sens large et que la séparation d’une personne de sa famille du fait de son expulsion peut constituer une immixtion arbitraire dans la famille ainsi qu’une violation de l’article 17 si la séparation et les effets qu’elle a sur l’auteur sont disproportionnés par rapport aux objectifs du renvoi. L’auteur estime que son expulsion n’est justifiée par aucun motif légitime, car il n’a pas été considéré comme une personne constituant un danger ou une menace pour la société australienne ou ayant une moralité douteuse. Il indique que son épouse et lui n’ont pas pu demander le même type de visa de protection et que, pour cette raison, ils n’ont pas pu être traités comme une cellule familiale aux fins de l’octroi à chacun d’eux d’un visa de protection. En tout état de cause, l’auteur s’étant vu refuser l’asile avant même que son épouse ne demande un visa de protection temporaire, il était empêché de présenter une nouvelle demande de visa de protection en vertu de la législation applicable.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 31 juillet 2019, l’État partie a fait part de ses observations concernant la recevabilité et le fond. En ce qui concerne la recevabilité, l’État partie argue que les griefs que l’auteur tire de l’article 7 du Pacte sont manifestement dénués de fondement et devraient donc être déclarés irrecevables au regard de l’article 3 du Protocole facultatif et de l’article 99 b) du règlement intérieur du Comité. L’État partie soutient que si ces griefs devaient néanmoins être jugés recevables, ils sont sans fondement, ainsi qu’il ressort des conclusions des juridictions internes. L’État partie affirme également que les griefs que l’auteur tire de l’article 17, lu conjointement avec l’article 23 (par. 1) du Pacte, sont dépourvus de fondement, puisque l’auteur a été expulsé d’Australie conformément à la législation interne, ce qui ne constitue pas une immixtion arbitraire ou illégale dans sa vie familiale.

4.2En ce qui concerne l’allégation de violation de l’article 7 du Pacte, l’État partie affirme que les griefs soulevés par l’auteur ont été examinés avec soin par une série d’organes de décision internes qui ont considéré que ces griefs ne mettaient pas en jeu l’obligation de non-refoulement que lui faisait le Pacte. L’État partie rappelle la jurisprudence du Comité, dont il ressort que c’est généralement aux tribunaux des États parties au Pacte qu’il appartient d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée, à moins qu’il ne soit établi que cette appréciation a été manifestement arbitraire ou a constitué un déni de justice.

4.3L’État partie décrit en détail le déroulement des procédures engagées devant ses autorités. En ce qui concerne la procédure engagée devant le Ministère de l’immigration et de la protection des frontières, l’État partie note que l’agent décisionnaire a admis que le père et le frère de l’auteur étaient décédés, mais pas qu’ils avaient été tués en 2000 dans les circonstances décrites par l’auteur dans ses déclarations écrites et orales. Il a également rejeté les allégations de mauvais traitements subis dans le passé aux mains des autorités sri‑lankaises, les jugeant incohérentes et peu convaincantes. En plus des incohérences relevées, le décisionnaire a également conclu que l’allégation de l’auteur selon laquelle les autorités sri‑lankaises s’intéressaient à lui était contredite par les arguments avancés par l’auteur lui‑même, qui avait indiqué qu’à son retour à Sri Lanka en provenance de Malaisie en 2008, il avait été contrôlé par les services de l’immigration dans l’heure et avait été autorisé à quitter l’aéroport sans être inquiété. Le décisionnaire a en outre estimé que l’affirmation de l’auteur selon laquelle des agents du Département des enquêtes criminelles avaient rendu visite à sa mère à Sri Lanka en septembre 2012 alors que lui-même résidait en Australie était pure invention. En outre, en se basant sur les renseignements dont il disposait, le décisionnaire a estimé que le risque que l’auteur subisse un préjudice parce qu’il rentrait à Sri Lanka après avoir demandé l’asile à l’étranger était faible. Le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés, qui a examiné le recours formé par l’auteur, a partagé les doutes du Ministère quant à la crédibilité de l’auteur et a confirmé la décision prise en première instance.

4.4En ce qui concerne l’allégation de violation des articles 17 et 23 (par. 1) du Pacte, l’État partie fait valoir qu’une immixtion dans la vie familiale n’est pas nécessairement illégale et qu’un État partie peut exiger, en vertu de sa législation, le départ des personnes qui demeurent sur son territoire après l’expiration du permis qui leur a été délivré. La naissance d’un enfant ou le fait qu’en application de la loi cet enfant acquière la nationalité à la naissance ou ultérieurement ne suffit pas pour rendre arbitraire la perspective d’expulsion d’un parent ou des deux. S’appuyant sur la jurisprudence du Comité, l’État partie fait valoir qu’en vertu du Pacte, les États parties disposent d’une marge de manœuvre importante pour faire appliquer leur politique d’immigration et exiger le départ des personnes en situation irrégulière. L’État partie note en outre que l’obligation d’assurer la protection de la famille est soumise à des conditions raisonnables, compatibles avec le droit de tout État partie de contrôler l’entrée des non-ressortissants sur son territoire. Au sujet des demandes d’intervention ministérielle formées par l’auteur, l’État partie indique que le Ministère de l’immigration et de la protection des frontières a examiné la situation de l’auteur et estimé que ses arguments ne répondaient pas aux critères requis pour une intervention ministérielle, et qu’il a donc été mis fin à l’examen des demandes sans qu’elles soient transmises au Ministre. L’État partie reconnaît que, dans le cas de l’auteur, le regroupement familial n’est possible ni en Australie ni à Sri Lanka dans un avenir prévisible, compte tenu de l’application de la législation australienne sur l’immigration et du fait que l’épouse de l’auteur ne peut retourner à Sri Lanka en toute sécurité dans l’immédiat. Il fait valoir cependant qu’en l’espèce l’immixtion dans le droit de l’auteur à la vie familiale était légale et n’était pas arbitraire car elle était conforme à la législation australienne sur l’immigration et répondait aux objectifs légitimes de la gestion des frontières nationales et de l’application des programmes humanitaires et migratoires du pays. L’État partie estime donc que les griefs de l’auteur sont sans fondement.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Le 1er novembre 2019, l’auteur a fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie.

5.2L’auteur informe le Comité qu’il souhaite retirer son allégation de violation de l’article 7 du Pacte et présente des commentaires concernant les articles 17 et 23 (par. 1) du Pacte seulement.

5.3L’auteur souligne que l’État partie n’a pas contesté la recevabilité des griefs qu’il tire des articles 17 et 23 (par. 1) du Pacte et qu’il y a eu immixtion dans ses droits au titre desdits articles. Il se réfère à la jurisprudence du Comité et dit qu’il ressort des observations de l’État partie que celui-ci a un souvenir lacunaire des principes directeurs établis par le Comité. Il répète qu’il ne pouvait pas s’associer à la demande d’asile déposée par son épouse parce qu’ils ne sont pas arrivés en Australie en même temps et qu’en conséquence, ils n’ont pas pu déposer le même type de demande de visa, ce qui en soi est arbitraire. En outre, l’auteur fait valoir que son renvoi n’était pas proportionné aux objectifs poursuivis. Il explique que les souffrances et les difficultés que sa famille et lui ont dû endurer du fait de leur longue séparation, résultant des politiques d’immigration de l’État partie, fait peser sur eux une charge excessive, que ne saurait justifier à lui seul le refus d’accorder à l’auteur un visa de protection.

5.4En ce qui concerne le fait que l’État partie n’a pas donné suite à la demande de mesures provisoires du Comité, l’auteur affirme avoir informé les autorités compétentes de l’État partie qu’il avait soumis une communication au Comité et demandé des mesures provisoires. Ilsignale également que le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés a également demandé à plusieurs reprises aux autorités de l’État de s’abstenir de l’expulser, car cela serait contraire au droit fondamental à l’unité familiale, ainsi qu’au principe fondamental de l’intérêt supérieur de l’enfant. En ce qui concerne l’argument de l’État partie selon lequel, une fois l’auteur expulsé, celui-ci ne relevait plus de sa juridiction et n’était plus sous son contrôle, l’auteur soutient qu’au moins pendant la durée de son voyage d’Australie vers Sri Lanka et la période qui a immédiatement suivi, l’État partie exerçait encore un contrôle effectif. En tout état de cause, l’auteur estime que l’État partie entretenant de bonnes relations avec Sri Lanka, notamment sur les questions d’immigration, il a les moyens de faire en sorte que sa famille et lui soient réunis, conformément à l’article 2 du Pacte.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1Le 20 octobre 2020, l’État partie a présenté de nouvelles observations sur le fond de la communication.

6.2En ce qui concerne les griefs que l’auteur tire de l’article 17, lu conjointement avec l’article 23 (par. 1) du Pacte, l’État partie maintient les arguments qu’il a fait valoir dans ses premières observations. Il conteste en outre l’allégation de l’auteur selon laquelle il exerce un contrôle effectif à l’égard de l’auteur à Sri Lanka aux fins de l’application extraterritoriale des obligations découlant du Pacte. Il argue que lorsqu’un État n’a pas de contrôle effectif sur le territoire où se trouve un individu, il ne peut exercer de contrôle effectif sur l’intéressé que si celui-ci est arrêté ou détenu physiquement par ses agents. Par conséquent, l’auteur n’était plus sous le contrôle effectif de l’État partie une fois qu’il a débarqué de l’avion. En ce qui concerne l’affirmation de l’auteur selon laquelle il a informé les autorités de l’État de la soumission de sa communication au Comité, dans laquelle il avait sollicité des mesures provisoires, l’État partie fait valoir qu’une demande de mesures provisoires est sans effet tant qu’elle n’a pas été émise par le Comité.

Délibérations du Comité

Demande de mesures provisoires du Comité

7.1Le Comité note que l’État partie affirme qu’il n’a pas été en mesure de donner suite à sa demande de mesures provisoires parce que l’auteur a été renvoyé à Sri Lanka le 17 juillet 2018, c’est-à-dire avant que l’État partie reçoive la demande de mesures provisoires du Comité.

7.2Le Comité souligne que l’adoption de mesures provisoires en application de l’article 94 de son règlement intérieur, conformément à l’article premier du Protocole facultatif, est indispensable pour qu’il puisse exercer la fonction qui lui est assignée par cet article. Le refus de faire droit à une demande de mesures provisoires qu’il a formulée dans le but de prévenir un préjudice irréparable compromet la protection des droits consacrés par le Pacte. Comme il est indiqué au paragraphe 19 de son observation générale no 33 (2008) sur les obligations des États parties en vertu du Protocole facultatif, l’inobservation des mesures provisoires est incompatible avec l’obligation de respecter de bonne foi la procédure d’examen des communications soumises par des particuliers établie par le Protocole facultatif.

7.3En l’espèce, le Comité prend note de l’information fournie par l’auteur selon laquelle le 13 juillet 2018, il a été notifié de la décision d’expulsion, qui devait être exécutée le 16 juillet 2018 (voir par. 2.10 ci-dessus). Il relève en outre que la communication de l’auteur a été soumise le 16 juillet 2018 et que, le 17 juillet 2018, il a prié l’État partie de s’abstenir d’expulser l’auteur vers Sri Lanka tant que sa communication serait à l’examen (voir par. 1.2 ci-dessus). Le Comité relève en outre que, selon les informations fournies par l’État partie le 3 août 2018, l’expulsion de l’auteur a eu lieu le 17 juillet 2018 à 11 h 15 (heure normale de l’Est de l’Australie), c’est-à-dire à un moment où il n’avait pas encore reçu la notification l’informant de la demande de mesures provisoires du Comité (parvenue à 18 h 58 le même jour), et qu’il n’était donc pas en mesure de donner suite à cette demande (voir par. 1.2 ci‑dessus). À ce propos, le Comité note que l’État partie ne conteste pas qu’il avait été informé par l’auteur du fait que celui-ci avait soumis une demande de mesures provisoires (voir par. 5.4 et 6.2 ci-dessus) avant que le Comité ne se prononce sur ce point. Faisant observer qu’une demande de mesures provisoires est sans effet tant que le Comité n’a pas émis de décision officielle à son sujet, le Comité considère qu’il serait souhaitable que, dans des circonstances exceptionnelles telles que celles décrites ci-dessus, les États parties fassent tout leur possible pour suspendre toute expulsion, et ce, jusqu’à ce qu’une décision soit rendue par le Comité. En l’espèce, tout en regrettant la tournure qu’ont prise les événements, le Comité ne saurait conclure qu’en ne donnant pas suite à la demande de mesures provisoires et en expulsant l’auteur avant que sa décision concernant cette demande ait été émise, l’État partie a manqué aux obligations mises à sa charge par le Protocole facultatif.

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

8.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.3Le Comité note que l’auteur affirme avoir épuisé tous les recours internes utiles qui lui étaient ouverts. En l’absence d’objection de l’État partie sur ce point, le Comité considère que les conditions énoncées à l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif sont remplies.

8.4En outre, le Comité note que l’auteur, dans ses commentaires en date du 1er novembre 2019, a retiré ses allégations de violation de l’article 7 du Pacte. En conséquence, le Comité n’examinera pas cette partie de la communication.

8.5En l’absence d’autres obstacles à la recevabilité, le Comité déclare recevable la partie de la communication qui concerne les griefs soulevés par l’auteur au titre de l’article 17, lu conjointement avec l’article 23 (par. 1) du Pacte, et passe à son examen au fond.

Examen au fond

9.1Conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

9.2Le Comité observe, et l’auteur (voir par. 3.2 ci-dessus) comme l’État partie (voir par. 4.4 ci-dessus) en conviennent, que le fait de séparer l’auteur de sa femme et de leur enfant peut effectivement soulever des questions au regard de l’article 17, lu conjointement avec l’article 23 (par. 1) du Pacte. Le Comité renvoie à sa jurisprudence et rappelle qu’il peut effectivement se produire des cas où le refus de l’État partie de laisser un membre d’une famille rester sur son territoire constitue une immixtion dans la famille de cette personne. Toutefois, le simple fait que l’un des membres d’une famille ait le droit de rester sur le territoire d’un État partie ne fait pas forcément de l’éloignement d’autres membres de la même famille une immixtion du même ordre.

9.3En l’espèce, le Comité considère que le fait de prendre un arrêté d’expulsion à l’encontre de l’auteur mais pas de sa femme et de leur enfant mineur constitue, comme il a été dit précédemment, une immixtion dans la famille de l’auteur, au sens de l’article 17 du Pacte, ce que l’État partie n’a pas contesté. Le Comité doit donc déterminer si cette immixtion dans la vie de famille de l’auteur est arbitraire ou illégale au sens de l’article 17 (par. 1) du Pacte et, par conséquent, si l’État partie a accordé à la famille une protection insuffisante au regard de l’article 23 (par. 1) du Pacte.

9.4Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle il est assurément incontestable qu’en vertu du Pacte un État partie peut exiger, en application de sa législation, le départ de personnes qui demeurent sur son territoire après l’expiration du permis qui leur a été délivré. En outre, la naissance d’un enfant ou le fait qu’en application de la loi cet enfant acquière la nationalité à la naissance ou ultérieurement ne suffit pas pour rendre arbitraire la perspective d’expulsion d’un parent ou des deux. Donc les États parties ont une large marge de manœuvre pour appliquer leur politique en matière d’immigration et pour exiger le départ d’individus qui se trouvent illégalement sur leur territoire. Mais cette discrétion n’est pas illimitée et peut être exercée arbitrairement dans certaines circonstances. Le Comité rappelle que la notion d’arbitraire intègre le caractère inapproprié, l’injustice, le manque de prévisibilité et le non‑respect des garanties judiciaires, ainsi que les principes du caractère raisonnable, de la nécessité et de la proportionnalité. Le Comité rappelle également que, dans les cas où une partie de la famille doit quitter le territoire de l’État partie tandis que l’autre partie est en droit de rester, il faut examiner les critères pertinents permettant d’apprécier si l’immixtion spécifique dans la vie de famille peut être objectivement justifiée, à la lumière, d’une part, de l’importance que revêtent les raisons avancées par l’État partie pour expulser l’intéressé et, de l’autre, du degré de gravité de l’épreuve que cette expulsion entraînerait pour la famille et ses membres.

9.5En l’espèce, le Comité observe que le renvoi de l’auteur répondait à un objectif légitime, à savoir l’application de la législation de l’État partie sur l’immigration. Il note cependant que l’État partie ne conteste toujours pas qu’après le rejet de la demande de visa de protection de l’auteur (par une décision de janvier 2013, confirmée ensuite par plusieurs décisions judiciaires, y compris une décision de la Haute Cour d’Australie datée d’octobre 2017), la situation de l’auteur a connu d’importants changements, à savoir qu’il s’est marié (en septembre 2016), qu’il a eu une fille (en septembre 2017) et que, plus tard, un visa de protection temporaire a été accordé aux membres de sa famille (en juillet 2018). Par conséquent, la seule voie de recours qui était ouverte à l’auteur, par laquelle il pouvait porter ces nouvelles circonstances à l’attention des autorités et soulever les griefs qui en découlaient, était celle de la demande d’intervention ministérielle (voir par. 2.9 ci-dessus). Le Comité note toutefois que dans les lettres de refus du Ministère de l’immigration et de la protection des frontières, il n’est pas fait mention de motifs spécifiques justifiant la décision de ne pas transmettre les demandes de l’auteur au Ministre, mais il est seulement indiqué de façon générale que ces demandes ne répondent pas aux critères définis dans les directives relatives aux demandes d’intervention ministérielle. Le Comité estime que le fait que ces décisions ne soient pas motivées est très préoccupant si l’on considère que l’État partie a reconnu que, dans le cas de l’auteur, le regroupement familial n’est possible ni en Australie ni à Sri Lanka dans un avenir prévisible, compte tenu de l’application de la législation australienne sur l’immigration et du fait que l’épouse de l’auteur ne peut pas retourner à Sri Lanka en toute sécurité dans l’immédiat (voir par. 4.4 ci-dessus). Le Comité prend note de l’absence de nouvelles explications concernant le caractère raisonnable, nécessaire et proportionné de la mesure d’expulsion prise par l’État partie à l’encontre de l’auteur, en dehors de la mention générale du fait que l’immixtion dans le droit de l’auteur à la vie de famille était légale et non arbitraire car elle était conforme à la législation australienne sur l’immigration et répondait aux objectifs légitimes de la gestion des frontières et de l’application des programmes humanitaires et migratoires du pays. Au vu de ce qui précède, le Comité considère qu’il ne semble pas que les griefs de l’auteur aient fait l’objet d’une évaluation individuelle, en particulier en ce qui concerne le caractère raisonnable, nécessaire et proportionné des moyens employés par rapport aux objectifs légitimes recherchés.

9.6Dans les circonstances de l’espèce, le Comité constate que l’immixtion de l’État partie dans la vie familiale de l’auteur ainsi que l’insuffisance de la protection accordée à la famille ont constitué une épreuve excessive pour l’auteur, son épouse et leur enfant mineur. Prendre un arrêté d’expulsion contre l’auteur dans les circonstances de l’espèce revenait à ne lui laisser aucune perspective de regroupement familial dans un futur prévisible, que ce soit en Australie ou à Sri Lanka, ce qui a inévitablement conduit à l’éclatement de la cellule familiale.

9.7Le Comité considère donc que l’arrêté d’expulsion pris à l’encontre de l’auteur, bien que poursuivant un but légitime, a constitué une immixtion disproportionnée dans sa vie familiale, que ne sauraient suffire à justifier les motifs abstraits invoqués par l’État partie pour l’expulser vers Sri Lanka.

10.Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie de l’article 17, lu conjointement avec l’article 23 (par. 1) du Pacte.

11.Conformément à l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile et une réparation effective. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, l’État partie est tenu, entre autres, de réexaminer l’affaire de l’auteur en tenant compte des obligations qui lui incombent en vertu du Pacte et des présentes constatations du Comité, de prendre des dispositions pour permettre à celui-ci de retourner en Australie, s’il le souhaite, et de lui accorder une indemnisation adéquate. Il est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas.

12.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans sa langue officielle.