Nations Unies

CCPR/C/131/D/2695/2015

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

17 novembre 2021

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2695/2015 * , **

Communication présentée par :

Valentin Borovik (représenté par un conseil, Dina Shavtsova)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteur

État partie :

Bélarus

Date de la communication :

29 mars 2011 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 2 décembre 2015 (non publiée sous forme de document)

Date de s constatations :

25 mars 2021

Objet :

Liberté de religion

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes

Question(s) de fond :

Liberté de religion

Article(s) du Pacte :

18 (par. 1 et 3)

Article(s) du Protocole facultatif :

5 (par. 2 b))

1.L’auteur de la communication est Valentin Borovik, de nationalité bélarussienne, né le 7 mai 1961. Il affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient de l’article 18 (par. 1 et 3) du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 30 décembre 1992. L’auteur est représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur dirige une petite communauté chrétienne apostolique comptant moins de 20 membres dans la ville de Mosty (Bélarus). Il existe plusieurs communautés chrétiennes apostoliques au Bélarus, dont certaines sont enregistrées en tant que personnes morales. La communauté de l’auteur se réunit deux fois par semaine pour prier, étudier les Écritures et accomplir les rites. En tant que dirigeant, l’auteur se charge de la prédication et de la célébration du culte et accomplit les rites. Parce qu’elle compte peu de membres, la communauté n’a pas eu besoin de louer des locaux, d’engager du personnel ou d’exercer d’autres activités liées au statut de personne morale. Les membres ont donc exercé leur droit de pratiquer leur religion en commun, sans constituer une personne morale.

2.2Le 16 mars 2008, 13 membres de la communauté religieuse se sont réunis au domicile de l’un d’eux pour le culte du dimanche. Le culte a été interrompu par des représentants de divers organes de l’État qui cherchaient à vérifier si la communauté respectait la loi sur la liberté de conscience et les organisations religieuses. La communauté n’étant pas dûment enregistrée en tant que personne morale comme l’exige la Loi, l’auteur, en tant que dirigeant de la communauté, a été accusé d’une infraction administrative sur le fondement de l’article 9.9 (par. 1) du Code des infractions administratives (activités non autorisées d’une organisation religieuse). Selon l’acte d’accusation, trois enfants assistaient au culte.

2.3Le 28 avril 2008, le tribunal du district Moskovsky de la région de Grodno a déclaré l’auteur coupable, sur le fondement de l’article 9.9 (par. 1) du Code des infractions administratives, d’avoir créé et dirigé une organisation religieuse sans l’avoir enregistrée auprès de l’État et lui a infligé une amende de 140 000 roubles bélarussiens. Le tribunal a considéré en particulier que l’auteur avait déjà été informé de l’obligation d’enregistrer l’organisation, mais qu’il avait continué à organiser des cérémonies et rites liés au culte sans cet enregistrement. À une date non précisée, l’auteur a interjeté appel devant le tribunal régional de Grodno.

2.4Le 22 mai 2008, le tribunal régional de Grodno a annulé le jugement rendu par le tribunal de première instance et renvoyé l’affaire à ce même tribunal pour réexamen ; il a jugé que, dans sa décision, le tribunal de district n’avait ni motivé ses conclusions quant à la culpabilité de l’auteur, ni examiné la question de la présence des enfants au culte.

2.5Le 9 juin 2008, le tribunal du district Moskovsky de la région de Grodno a confirmé ses premières conclusions et a augmenté l’amende à 315 000 roubles bélarussiens. Il a rejeté l’affirmation de l’auteur selon laquelle sa communauté n’était pas une organisation religieuse, au motif que cette communauté présentait toutes les caractéristiques d’une communauté religieuse puisque ses membres professaient une foi particulière, organisaient des cérémonies de culte et enseignaient leurs adeptes. Il a jugé que l’article 14 de la loi sur la liberté de conscience et les organisations religieuses autorisait uniquement la création et l’enregistrement des communautés religieuses comptant plus de 20 membres. Il a en outre considéré que la communauté religieuse de l’auteur, comptant à ce moment-là moins de 20 adultes, avait été créée en violation de ladite loi et fonctionnait illégalement sans être enregistrée.

2.6À une date non précisée, l’auteur a interjeté appel devant le tribunal régional de Grodno. Il a contesté les conclusions du tribunal de district selon lesquelles l’enregistrement en tant qu’organisation religieuse était nécessaire à l’exercice du droit de manifester ses convictions religieuses en commun. Il a également fait valoir qu’un groupe comptant moins de 20 personnes serait privé de ce droit et de la possibilité de s’enregistrer en tant que communauté religieuse car la loi sur la liberté de conscience et les organisations religieuses exigeait un minimum de 20 membres pour l’enregistrement. Selon l’auteur, la décision du tribunal de district et la manière dont celui-ci avait appliqué ladite loi étaient contraires aux articles 23 et 31 de la Constitution. Invoquant l’article 18 (par. 3) du Pacte, il a fait valoir que l’exercice du droit de manifester ses convictions religieuses en commun ne pouvait être conditionné à l’obligation d’enregistrer une organisation religieuse car cela constituait une restriction du droit à la liberté de religion et de conviction. L’auteur a également invoqué les Lignes directrices visant l’examen des lois affectant la religion ou les convictions religieuses, publiées en 2004 par l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), pour soutenir que l’enregistrement des organisations religieuses ne devait pas être obligatoire et que les individus et les groupes devaient être libres de pratiquer leur religion sans la faire enregistrer. Il a en outre rappelé que les traités internationaux primaient sur le droit interne, comme le prévoyaient l’article 8 de la Constitution et l’article 40 de la loi sur la liberté de conscience et les organisations religieuses. Comme ni la Constitution ni le Pacte ne prévoient de restrictions pour le culte collectif ou ne conditionnent la réalisation du droit de manifester des convictions religieuses en commun à un enregistrement en tant que personne morale, la création et la direction d’une organisation religieuse non enregistrée auprès de l’État ne devraient pas être considérées comme une infraction au titre de l’article 9.9 (par. 1) du Code des infractions administratives.

2.7Le 26 juin 2008, le tribunal régional de Grodno a confirmé les conclusions du tribunal de district et rejeté l’appel de l’auteur. Il a établi que le tribunal de district avait correctement établi la culpabilité de l’auteur sur le fondement de l’article 9.9 (par. 1) du Code des infractions administratives, car l’auteur avait créé la communauté religieuse et la dirigeait sans l’avoir enregistrée auprès de l’État, en violation de l’article 14 de la loi sur la liberté de conscience et les organisations religieuses.

2.8Le 25 décembre 2008, l’auteur a saisi la Cour suprême d’une demande de réexamen aux fins de contrôle ; cette demande a été rejetée le 2 mars 2009. À une date non précisée, la décision de justice a été exécutée et l’auteur a payé l’amende de 315 000 roubles bélarussiens.

2.9Dans la communication qu’il présente au Comité, l’auteur soutient que toutes les instances judiciaires ont jugé qu’il avait commis l’infraction administrative. En se fondant sur les articles 13 et 14 de la loi sur la liberté de conscience et les organisations religieuses, les tribunaux ont établi que sa communauté présentait toutes les caractéristiques d’une organisation religieuse et était donc soumise à l’enregistrement obligatoire auprès de l’État, en tant que personne morale. Ses activités en tant que dirigeant de la communauté religieuse non enregistrée constituaient donc une infraction administrative. Les tribunaux n’ont tenu compte ni des références de l’auteur à l’article 31 de la Constitution du Bélarus et à l’article 18 du Pacte, ni des Lignes directrices de l’OSCE visant l’examen des lois affectant la religion ou les convictions religieuses, selon lesquelles les personnes doivent être libres de pratiquer leur religion sans la faire enregistrer. Ils n’ont pas précisé comment il convenait d’enregistrer, comme l’exige la loi, une communauté religieuse comptant moins de 20 membres ni combien de membres adultes étaient nécessaires pour enregistrer une telle communauté.

2.10L’auteur dit avoir épuisé tous les recours internes disponibles.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que le droit à la liberté de religion et de conviction qu’il tient de l’article 18 (par. 1 et 3) a été violé par l’État partie qui ne l’a pas autorisé à pratiquer sa religion avec les membres de sa communauté sans enregistrer celle-ci en tant qu’organisation religieuse. Par conséquent, son droit de pratiquer sa religion en commun avec d’autres a été restreint de manière disproportionnée. L’auteur ajoute que, selon la loi sur la liberté de conscience et les organisations religieuses, seules les organisations religieuses comptant au moins 20 membres sont autorisées à demander leur enregistrement, tandis que sa communauté ne comptait que 13 membres au moment des faits.

3.2L’auteur rappelle, en se fondant sur le paragraphe 8 de l’observation générale no 22 (1993) du Comité des droits de l’homme, que les restrictions imposées doivent être prévues par la loi et ne doivent pas être appliquées d’une manière propre à vicier les droits garantis par l’article 18, que les motifs de restriction qui ne sont pas spécifiés à l’article 18 (par. 3) ne sont pas recevables, et que les restrictions ne doivent être appliquées qu’aux fins pour lesquelles elles ont été prescrites et doivent être en rapport direct avec l’objectif spécifique qui les inspire et proportionnelles à celui-ci. En outre, selon les Lignes directrices de l’OSCE visant l’examen des lois affectant la religion ou les convictions religieuses, l’enregistrement des organisations religieuses ne doit pas être obligatoire et les individus et les groupes doivent être libres de pratiquer leur religion sans la faire enregistrer. Aux paragraphes 22 et 23 de son rapport de 2010 intitulé « Élimination de toutes les formes d’intolérance religieuse », la Rapporteuse spéciale sur la liberté de religion ou de conviction déclare que l’enregistrement ne saurait être un préalable à la pratique d’une religion ou d’une conviction et, ceux qui ne peuvent pas ni ne souhaitent procéder à l’enregistrement doivent être libres de manifester seul ou collectivement leur religion ou leur conviction.

3.3Néanmoins, les articles 13, 14 et 16 de la loi sur la liberté de conscience et les organisations religieuses disposent que toutes les organisations religieuses, y compris les communautés religieuses, sont concernées par l’enregistrement obligatoire auprès de l’État. Par conséquent, les personnes qui forment un groupe présentant toutes les caractéristiques d’une organisation religieuse au sens de l’article 13 de ladite loi n’ont le droit de manifester leur religion en commun qu’après avoir enregistré leur groupe en tant que personne morale. La conduite d’activités religieuses sans autorisation de l’État engage la responsabilité administrative au titre de l’article 9.9 (par. 1) du Code des infractions administratives ou la responsabilité pénale au titre de l’article 193.1 du Code pénal. En outre, en raison de modifications apportées au Code des infractions administratives en 2010, les sanctions administratives pour les activités religieuses non autorisées ont été supprimées et seule la responsabilité pénale peut être engagée.

3.4En conséquence, l’auteur affirme que son droit de manifester sa religion en commun a été restreint. Étant donné que la participation à une organisation religieuse non enregistrée auprès de l’État et la direction d’une telle organisation peuvent engager la responsabilité pénale, la restriction imposée à son droit de manifester sa religion en commun est disproportionnée. En outre, l’État partie a établi cette restriction mais n’a pas expliqué, dans sa législation, à laquelle des fins énumérées à l’article 18 (par. 3) du Pacte elle était prescrite. Par conséquent, cette restriction ne saurait être considérée comme justifiée. De surcroît, le statut d’une communauté religieuse, qu’elle soit enregistrée ou non, n’a aucune incidence sur la protection de la sécurité, de l’ordre et de la santé publique, ou de la morale ou des libertés et droits fondamentaux d’autrui. C’est pourquoi, imposer aux organisations religieuses un enregistrement auprès de l’État et prévoir des sanctions lorsqu’elles agissent sans être enregistrées constitue une restriction inacceptable et disproportionnée à la liberté de religion et de conviction.

3.5L’auteur demande que le Comité constate une violation de l’article 18 (par. 1 et 3) du Pacte et qu’il recommande à l’État partie d’offrir réparation pour la violation, de garantir l’exercice de la liberté de religion et de conviction et de rembourser l’amende qui lui a été infligée.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.Dans une note verbale datée du 10 février 2016, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et sur le fond des griefs soulevés par l’auteur. Il rappelle les procédures qui ont eu lieu devant les juridictions nationales. Il précise, au sujet du recours en réexamen aux fins de contrôle que l’auteur a déposé devant la Cour suprême, qu’il a été rejeté le 9 mars 2009 au motif que les allégations de violation du droit à la liberté de conscience n’étaient pas fondées. L’auteur n’a pas saisi le Bureau du Procureur général d’une demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle. Le droit que l’auteur tient de l’article 14 du Pacte, à savoir que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial, établi par la loi, a été respecté. Les activités menées au nom de partis politiques, d’associations publiques, d’organisations religieuses ou de fondations qui ne sont pas dûment enregistrées sont interdites dans l’État partie. Le droit de l’auteur à la liberté de religion, tel que garanti par l’article 18 (par. 1) du Pacte, n’a pas été violé. Les procédures pour la création et le fonctionnement des organisations religieuses que prévoit la loi sur la liberté de conscience et les organisations religieuses assurent et garantissent le droit à la liberté de conscience et de conviction et ne sauraient être considérées comme des restrictions de ce droit.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1Le 18 juillet 2018, l’auteur a signalé que l’État partie n’avait pas répondu à son grief selon lequel la procédure d’enregistrement obligatoire des organisations religieuses fixée par la loi et assortie d’exigences strictes restreignait son droit à la liberté de religion. Lorsqu’il déclare que les activités au nom d’organisations religieuses non enregistrées sont interdites, l’État partie ne dit rien de la responsabilité pénale prévue à l’article 193.1 du Code pénal, en vigueur depuis 2005. Cela montre que les communautés religieuses non enregistrées sont sous pression et vivent sous la menace permanente de persécutions.

5.2L’auteur soutient que sa communauté religieuse s’identifie à la foi chrétienneapostolique. Elle continue à se réunir régulièrement pour étudier la Bible, prier, discuter et accomplir des rites, et parfois pour des œuvres de charité. Cependant, parce que les membres sont peu nombreux, ils ne sont toujours pas en mesure d’enregistrer leur communauté en tant qu’organisation religieuse car la loi exige un minimum de 20 membres pour ce faire.

5.3L’auteur reconnaît que sa communauté religieuse présente toutes les caractéristiques d’une organisation religieuse au regard de la loi. Il y a donc des raisons suffisantes pour que sa responsabilité pénale et celles des autres membres de la communauté soit engagée. La crainte de sanctions pénales est fondée, car des croyants dans des situations similaires ont déjà reçu des avertissements officiels et fait l’objet de poursuites pénales.

5.4L’auteur renvoie à des amendements destinés à abroger l’article 193.1 du Code pénal et à le remplacer par des dispositions prévoyant une responsabilité administrative et une amende pouvant aller jusqu’à 500 euros dans le cadre de l’article 23.88 du Code des infractions administratives. Un projet de loi en ce sens a été adopté en première lecture. En conséquence, les restrictions des activités des organisations religieuses et le droit de pratiquer la religion en commun restent des questions en suspens.

5.5Par conséquent, l’auteur réfute les affirmations de l’État partie selon lesquelles son droit à la liberté de religion n’a pas été violé et la procédure existante pour la création et le fonctionnement des organisations religieuses assure et garantit le droit à la liberté de conscience et de conviction. Il rappelle les recommandations internationales selon lesquelles l’enregistrement des organisations religieuses ne devrait pas être obligatoire. Il redit également que la restriction de son droit à la liberté de religion, découlant de l’enregistrement obligatoires des organisations religieuses auprès de l’État, n’était pas justifiée.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité prend note de l’affirmation de l’auteur selon laquelle il a épuisé tous les recours internes à sa disposition. Étant donné que les observations de l’État partie donnent à penser que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes en ce qu’il n’a pas soumis de demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle au Bureau du Procureur général, le Comité renvoie à sa jurisprudence et rappelle que l’introduction auprès d’un procureur d’une demande de contrôle d’une décision de justice devenue exécutoire, demande dont l’issue dépend du pouvoir discrétionnaire du procureur, ne constitue pas un recours qui doit être épuisé aux fins de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif. Le Comité note que l’auteur a, sans succès, dans le cadre de la procédure de contrôle, interjeté appel devant la Cour suprême des décisions rendues les 9 et 26 juin 2008 par les tribunaux nationaux, ce que l’État partie a reconnu. Le Comité note qu’en l’espèce, l’auteur a épuisé tous les recours internes disponibles, y compris la procédure de contrôle. Partant, il considère que les dispositions de l’article 5 (par. 2 b)) ne l’empêchent pas d’examiner la communication.

6.4Le Comité considère que l’auteur a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, les griefs qu’il tire de l’article 18 (par. 1 et 3) du Pacte. Dès lors, il déclare la communication recevable et passe à son examen quant au fond.

Examen au fond

7.1Conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2Le Comité renvoie à son observation générale no 22 et rappelle que l’article 18 n’autorise aucune restriction quelle qu’elle soit à la liberté de pensée et de conscience ou à la liberté d’avoir ou d’adopter la religion ou la conviction de son choix. En revanche, la liberté de manifester une religion ou une conviction peut être soumise à certaines restrictions, mais uniquement à celles qui sont prévues par la loi et qui sont nécessaires pour protéger la sécurité, l’ordre et la santé publique, ou la morale ou les libertés et droits fondamentaux d’autrui.

7.3En l’espèce, le Comité prend note de l’argument de l’auteur selon lequel l’État partie a violé les droits qu’il tient de l’article 18 (par. 1 et 3) du Pacte, en le condamnant pour une infraction administrative et en lui infligeant une amende de 315 000 roubles bélarussiens aux motifs qu’il avait créé une communauté religieuse, la dirigeait et avait pratiqué un culte sans avoir enregistré sa communauté en tant que personne morale. Le Comité prend également note du fait que la communauté religieuse de l’auteur comptait moins de 20 membres, c’est‑à‑dire moins que le minimum fixé par la loi sur la liberté de conscience et les organisations religieuses pour l’enregistrement d’une organisation religieuse en tant que personne morale, ce qui rendait l’enregistrement impossible. Le Comité prend note en outre des déclarations de l’État partie selon lesquelles l’obligation d’enregistrer les organisations religieuses est prévue par la loi qui vise à garantir le droit à la liberté de conscience et de conviction et ne constitue donc pas une restriction des droits de l’auteur. Il rappelle que l’article 18 (par. 1) du Pacte garantit le droit de toute personne de manifester sa religion ou sa conviction, individuellement ou en commun, tant en public qu’en privé, par le culte et l’accomplissement des rites, les pratiques et l’enseignement, et fait observer que l’exercice de ce droit ne dépend pas de la taille de la congrégation à laquelle l’intéressé appartient. Dans ces circonstances, le Comité considère que les griefs soulevés par l’auteur portent sur son droit de manifester ses convictions religieuses en commun et que la déclaration de culpabilité prononcée contre lui et l’amende qui lui a été infligée pour avoir créé et dirigé une organisation religieuse de moins de 20 membres sans l’avoir enregistrée auprès de l’État constituent des restrictions à ce droit.

7.4Le Comité doit donc déterminer si ces restrictions au droit de l’auteur de manifester ses convictions religieuses étaient nécessaires à la protection de la sécurité, de l’ordre et de la santé publique, ou de la morale ou des libertés et droits fondamentaux d’autrui, au sens de l’article 18 (par. 3) du Pacte. Il rappelle que, d’après son observation générale no 22, l’article 18 (par. 3) doit être interprété au sens strict et que les restrictions à la liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne doivent être appliquées qu’aux fins pour lesquelles elles ont été prescrites et être en rapport direct avec l’objectif spécifique qui les inspire et proportionnelles à celui-ci.

7.5En l’espèce, les restrictions au droit de l’auteur de manifester ses convictions religieuses en commun découlent de ce que l’article 9.9 (par. 1) du Code des infractions administratives, en vigueur à l’époque des faits, obligeait toute association religieuse d’au moins 20 membres à se faire officiellement enregistrer auprès des autorités pour pouvoir mener légalement ses activités. Le Comité prend note de l’affirmation de l’État partie selon laquelle les droits que l’article 18 (par. 1) du Pacte garantit à l’auteur n’ont pas été violés et des conclusions du tribunal du district Moskovsky selon lesquelles l’auteur avait déjà été informé de l’obligation d’enregistrer sa communauté, mais observe que l’État partie n’a pas expliqué précisément pourquoi l’auteur avait été déclaré coupable et condamné à une amende pour avoir pratiqué un culte religieux en commun puisqu’il ne remplissait pas la condition pour l’enregistrement officiel, ni pourquoi une telle condition était nécessaire pour assurer la protection de la liberté de religion ou de conviction au sens de l’article 18 (par. 1) du Pacte. Il note également que ni l’État partie ni les juridictions nationales n’ont répondu à l’argument de l’auteur selon lequel la loi ne prévoyait pas l’enregistrement d’organisations religieuses comptant moins de 20 membres, ce qui a rendu impossible l’enregistrement de sa petite communauté de 13 personnes et les a privés du droit au culte collectif. Le Comité prend en outre note des arguments ci-après de l’auteur : la répression des activités d’organisations religieuses non enregistrées s’est durcie en 2010, lorsque la responsabilité administrative a été remplacée par la responsabilité pénale au titre de l’article 193.1 du Code pénal ; le maintien de sa communauté religieuse en activité l’a exposé au risque de poursuites pénales ; des poursuites pénales ont été engagées contre des croyants dans des situations similaires à la sienne ; la responsabilité pénale pour les activités d’organisations non enregistrées n’a été abrogée que dix ans après les faits, en 2019.

7.6Le Comité note que l’État partie n’a fourni aucun élément indiquant que la manifestation pacifique des convictions religieuses de l’auteur en commun avec d’autres personnes sans que sa communauté ait été préalablement enregistrée en tant qu’organisation religieuse, en particulier le 16 mars 2008 lorsque l’auteur a célébré le culte du dimanche avec d’autres membres dans un domicile privé, avait menacé la sécurité, l’ordre ou la santé publique, ou la morale, ou les libertés et droits fondamentaux d’autrui. Il n’a pas non plus démontré que l’obligation d’enregistrement était proportionnée à l’un de ces objectifs spécifiques, compte tenu de la restriction qu’elle entraîne au droit de célébrer un culte religieux. Il n’a pas non plus cherché à prouver que l’obligation d’enregistrement et la déclaration de culpabilité et la condamnation visant l’auteur étaient les mesures les moins restrictives pouvant être adoptées pour protéger la liberté de religion ou de conviction. Le Comité conclut que l’État partie n’a pas suffisamment montré que les restrictions imposées étaient acceptables, proportionnées, et nécessaires aux fins d’un objectif légitime au sens de l’article 18 (par. 3) du Pacte. En conséquence, le Comité conclut qu’en déclarant l’auteur coupable d’avoir créé et dirigé une organisation religieuse sans l’avoir enregistrée auprès de l’État, en le punissant d’une amende et en restreignant son droit de manifester pacifiquement ses convictions religieuses en commun avec d’autres, l’État partie a violé les droits que l’intéressé tient de l’article 18 (par. 1) du Pacte.

8.Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits que l’auteur tient de l’article 18 (par. 1) du Pacte.

9.Conformément à l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile. Il a notamment l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, l’État partie est tenu, entre autres, d’accorder à l’auteur une indemnisation adéquate, notamment de lui rembourser le montant de l’amende imposée et les frais de justice liés à l’affaire considérée. Il est également tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour que des violations analogues ne se reproduisent pas, notamment de revoir ses lois, règlements et pratiques afin de garantir que les droits consacrés par l’article 18 du Pacte puissent être pleinement exercés sur son territoire.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles.