Nations Unies

CCPR/C/132/D/2865/2016

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

2 mars 2022

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homm e

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2865/2016 * , **

Communication présentée par :

Svetlana Zavadskaya et consorts (représentés par un conseil, Roman Kisliak)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteur

État partie :

Bélarus

Date de la communication :

21 janvier 2014 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 23 novembre 2016 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

23 juillet 2021

Objet :

Refus des autorités d’autoriser des réunions ; liberté d’expression

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes

Question(s) de fond :

Liberté de réunion ; liberté d’expression ; procès équitable ; recours utile

Article(s) du Pacte :

2, 14 (par. 1), 19 (par. 2) et 21

Article(s) du Protocole facultatif :

2, 3 et 5 (par. 2 b))

1.Les auteurs de la communication sont Svetlana Zavadskaya, Sergei Bakhun, Olga Zavadskaya, Valeriya Krasovskaya, Valentina Malysheva, Tamara Bakhun, Marina Koktysh et Roman Kisliak, tous de nationalité bélarussienne et nés, respectivement, en 1973, 1976, 1947, 1982, 1942, 1949, 1977 et 1975. Ils affirment que l’État partie a violé les droits qu’ils tiennent des articles 14 (par. 1), 19 (par. 2) et 21 du Pacte, lus conjointement avec l’article 2. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour le Bélarus le 30 décembre 1992. Les auteurs sont représentés par un conseil.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Les auteurs affirment que les autorités municipales de Minsk leur ont refusé l’autorisation d’organiser des piquets à deux reprises, violant ainsi leur droit de réunion pacifique et leur droit à la liberté d’expression.

2.2La première tentative remonte au 21 avril 2008, lorsque les auteurs ont demandé au Comité exécutif de la ville de Minsk l’autorisation d’organiser un piquet le 7 mai 2008 à l’occasion de l’anniversaire de la disparition de Yury Zakharenko, ancien Ministre de l’intérieur du Bélarus. Un piquet pacifique devait se tenir de 18 heures à 20 heures sur la place Oktyabrsk à Minsk, avec une centaine de participants. Il était destiné à attirer l’attention du public sur les disparitions de certaines personnes au Bélarus et à presser les autorités d’enquêter véritablement sur ces disparitions et de ratifier la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées.

2.3Le 28 avril 2008, sur le fondement de l’article 9 (par. 3) de la loi régissant les manifestations publiques, le Comité exécutif de la ville de Minsk a refusé d’autoriser le piquet, arguant que le lieu prévu pour l’événement proposé se situait à moins de 200 mètres des passages souterrains et des stations de métro.

2.4Le 26 mai 2008, les auteurs ont contesté la décision du Comité exécutif devant le tribunal du district Moskovsky de Minsk, dénonçant une violation du droit de réunion pacifique que leur garantit l’article 21 du Pacte.

2.5Le 20 juin 2008, le tribunal du district Moskovsky a jugé que la décision du Comité exécutif était conforme aux dispositions de la loi régissant les manifestations publiques et a rejeté l’appel.

2.6Les auteurs ont saisi la Chambre des affaires civiles du tribunal municipal de Minsk d’un recours en cassation contre la décision du tribunal du district Moskovsky de Minsk, affirmant que cette décision était illégale, injustifiée et violait leurs droits civils. Ils ont également affirmé qu’ils avaient été privés de leur droit à un procès équitable, le juge ayant rejeté leurs requêtes. Le 31 juillet 2008, le tribunal a rejeté le recours en cassation des auteurs, le jugeant infondé.

2.7La deuxième tentative d’organiser un piquet date du 18 juin 2008, lorsque les auteurs ont demandé au Comité exécutif de la ville de Minsk l’autorisation d’organiser un piquet le 7 juillet 2008 à l’occasion de l’anniversaire de la disparition de Dmitry Alexandrovich Zavadsky, un photojournaliste bélarussien. L’événement devait avoir lieu de 19 heures à 20 heures sur la place de la Liberté à Minsk, avec une cinquantaine de participants. Ses objectifs étaient les mêmes que ceux du précédent piquet prévu (voir par. 2.2 ci-dessus).

2.8Le 30 juin 2008, le Comité exécutif de la ville de Minsk a refusé d’autoriser le piquet, arguant que le lieu prévu pour l’événement se situait à proximité de la mairie de Minsk et que celui-ci perturberait la circulation piétonne et automobile dans la zone avoisinante.

2.9Le 29 juillet 2008, les auteurs ont contesté la décision du Comité exécutif devant le tribunal du district Moskovsky de Minsk, dénonçant une violation du droit à la liberté d’expression et du droit de réunion pacifique que leur garantissent les articles 19 et 21 du Pacte. Le 11 décembre 2008, le tribunal a jugé la décision du Comité exécutif légale et a rejeté l’appel.

2.10Le 22 décembre 2008, les auteurs ont saisi la Chambre des affaires civiles du tribunal municipal de Minsk d’un recours en cassation contre la décision du tribunal du district Moskovsky de Minsk ; le recours a été rejeté le 22 janvier 2009.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs affirment que le refus des autorités nationales de leur autoriser la tenue de deux piquets constitue une violation des droits qu’ils tiennent des articles 19 et 21 du Pacte, lus conjointement avec l’article 2.

3.2Les auteurs affirment que les restrictions que l’État a imposées à l’exercice de leur droit de réunion et de leur droit à la liberté d’expression n’étaient ni justifiées dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique ou de l’ordre public, ou de la santé ou de la moralité publiques, ni nécessaires à la protection des droits et libertés d’autrui. En outre, les autorités de l’État n’ont pas démontré que l’organisation d’un rassemblement pacifique à moins de 200 mètres des passages souterrains et des stations de métro, ou à proximité de la mairie de Minsk constituait un motif juste et légitime d’interdire les piquets prévus.

3.3Les auteurs dénoncent aussi une violation de leur droit à un procès équitable, protégé par l’article 14 (par. 1) du Pacte, affirmant que les tribunaux nationaux ont été influencés par le Comité exécutif de Minsk et manquaient donc d’indépendance. Ils affirment également que les tribunaux étaient partiaux et ont indûment ignoré leurs demandes.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Par une note verbale datée du 23 janvier 2017, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et sur le fond. Il indique qu’aux termes du Protocole facultatif, tout particulier qui prétend être victime d’une violation de l’un quelconque des droits énoncés dans le Pacte et qui a épuisé tous les recours internes disponibles peut présenter une communication écrite au Comité.

4.2L’État partie fait observer que, le 30 juin 2008, le Comité exécutif de la ville de Minsk a refusé les demandes des auteurs concernant l’organisation d’un rassemblement le 7 juillet 2008 aux motifs que le lieu prévu pour l’événement se situait à proximité de la mairie de Minsk, ce qui perturberait la circulation piétonne et automobile dans la zone avoisinante.

4.3L’État partie fait également observer que le tribunal du district Moskovsky et la Chambre des affaires civiles du tribunal municipal de Minsk ont rejeté les recours des auteurs à juste titre, sur le fondement de l’article 9 de la loi du 30 décembre 1997 régissant les manifestations publiques, qui interdit la tenue de manifestations de masse à moins de 50 mètres d’un bâtiment officiel, abritant notamment des autorités et administrations locales ou des représentations diplomatiques et des consulats. L’État partie fait valoir que le piquet devait se tenir à proximité du bâtiment de la mairie.

4.4L’État partie fait observer également que les auteurs n’ont pas saisi la Cour suprême, le Bureau du Procureur ou le Président de la Cour suprême d’une demande de réexamen de la décision contestée au titre de la procédure de contrôle et qu’ils ont donc soumis leur communication en violation de l’article 2 du Protocole facultatif.

4.5L’État partie soutient que, parce que les auteurs n’ont pas épuisé les recours internes disponibles, leur plainte devrait être traitée comme un abus du droit de présenter une communication, en application de l’article 3 du Protocole facultatif.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Le 27 décembre 2018, les auteurs ont fait observer qu’une demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle ne constituait pas un recours utile, soutenant que l’État partie, dans ses observations, n’avait pas précisé quels recours internes effectifs ils n’avaient pas épuisés.

5.2Les auteurs se réfèrent à la jurisprudence du Comité en ce qui concerne l’épuisement des recours internes et notent que ceux-ci doivent être accessibles et efficaces. Ils soutiennent que l’État partie doit expliquer en détail quels recours leur étaient ouverts, et montrer qu’il existe une possibilité raisonnable que ces recours soient efficaces.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité prend note des observations de l’État partie selon lesquelles les auteurs n’ont pas épuisé toutes les voies de recours internes qui leur étaient ouvertes puisque les demandes de réexamen qu’ils ont introduites au titre de la procédure de contrôle n’ont pas été examinées par le Procureur général ni par le Président de la Cour suprême. Il rappelle sa jurisprudence, selon laquelle l’introduction auprès du ministère public d’une demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle de décisions devenues exécutoires, demande dont l’issue relève du pouvoir discrétionnaire du procureur, ne constitue pas un recours qui doit être épuisé aux fins de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif. Il considère également que le dépôt auprès du président d’un tribunal d’une demande de contrôle visant des décisions judiciaires passées en force de chose jugée, dont l’issue dépend du pouvoir discrétionnaire d’un juge, constitue un recours extraordinaire et que l’État partie doit montrer qu’il existe une possibilité raisonnable qu’une telle demande constitue un recours utile dans les circonstances de l’espèce. En l’absence d’autres informations ou explications de l’État partie sur ce point en l’espèce, le Comité considère que les dispositions de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif ne font pas obstacle à l’examen de la présente communication. Il note également que la communication a été soumise dans les cinq ans qui ont suivi l’épuisement des recours internes et qu’il n’y a donc pas eu de retard de soumission constitutif de l’abus du droit de présenter une communication visé à l’article 3 du Protocole facultatif et à l’article 99 (al. c) de son règlement intérieur.

6.4S’agissant des allégations de violation de l’article 14 (par. 1) du Pacte, le Comité considère que le grief des auteurs selon lequel ils ont été privés du droit à un procès équitable parce que les tribunaux ont été influencés par le Comité exécutif de la ville de Minsk et ont indûment ignoré leurs demandes est vague et exprimé en termes généraux ; il est donc insuffisamment étayé aux fins de la recevabilité. Il considère cette partie de la communication irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.5Le Comité prend note des griefs soulevés par les auteurs au titre des articles 19 et 21 du Pacte, lus conjointement avec l’article 2. Faute d’informations pertinentes dans le dossier, le Comité considère que les auteurs n’ont pas suffisamment étayé ces griefs aux fins de la recevabilité. Par conséquent, il déclare cette partie de la communication irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.6Enfin, le Comité note que les griefs formulés par les auteurs soulèvent des questions au regard des articles 19 (par. 2) et 21 du Pacte. Il considère que ces griefs ont été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité et passe à leur examen au fond.

Examen au fond

7.1Conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2Le Comité prend note des griefs des auteurs, qui soutiennent que leurs droit à la liberté d’expression et leur droit de réunion ont été restreints en violation des articles 19 et 21 du Pacte, car ils se sont vu refuser l’autorisation d’organiser des rassemblements pacifiques destinés à attirer l’attention du public sur les disparitions de certaines personnes au Bélarus et à presser les autorités d’enquêter véritablement sur ces disparitions et de ratifier la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées. Il note également que, d’après les auteurs, les autorités n’ont pas expliqué en quoi les restrictions imposées à leur droit d’organiser un rassemblement étaient nécessaires dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique ou de l’ordre public, de la santé ou la moralité publiques ou des droits et libertés d’autrui, comme l’exigent les articles 19 (par. 3) et 21 du Pacte, et que, partant, les restrictions en question étaient illégales.

7.3Le Comité prend note des allégations des auteurs selon lesquelles le droit de réunion pacifique que leur garantit l’article 21 du Pacte a été violé en ce que le Comité exécutif de la ville de Minsk leur a refusé l’autorisation d’organiser des rassemblements pacifiques. Il rappelle avoir dit dans son observation générale no 37 (2020), que les réunions pacifiques pouvaient en principe être organisées en tout lieu accessible au public ou auquel le public devrait avoir accès, comme les places publiques et la voie publique. Les réunions pacifiques ne devraient pas être reléguées dans des endroits isolés où elles ne peuvent pas attirer l’attention de ceux à qui elles s’adressent ou du grand public. En règle générale, il ne peut être imposé d’interdictions générales d’organiser des rassemblements en tous lieux de la capitale, en tous lieux publics à l’exception d’un lieu unique en ville ou en dehors du centre‑ville, ou sur l’ensemble de la voie publique d’une ville.

7.4Le Comité rappelle également que le droit de réunion pacifique, garanti par l’article 21 du Pacte, est un droit de l’homme fondamental qui est essentiel à l’expression publique des points de vue et opinions de chacun et est indispensable dans une société démocratique. L’article 21 du Pacte protège les réunions pacifiques, qu’elles se déroulent, partiellement ou intégralement, à l’extérieur, à l’intérieur ou en ligne, en public ou en privé. Ces réunions peuvent prendre de nombreuses formes, notamment celles de manifestations, protestations, rassemblements, défilés, sit-in, veillées à la bougie et mobilisations éclair. Elles sont protégées au titre de l’article 21 qu’elles soient statiques, comme les piquets, ou mobiles, comme les défilés ou les marches. Les organisateurs d’un rassemblement ont, en principe, le droit de choisir un lieu à portée de vue et d’ouïe du public visé, et l’exercice de ce droit ne peut faire l’objet que des seules restrictions : a) imposées conformément à la loi ; et b) nécessaires dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l’ordre public ou pour protéger la santé ou la moralité publiques, ou les droits et libertés d’autrui. Lorsqu’un État partie impose des restrictions visant à concilier le droit de réunion d’un particulier avec ces considérations d’intérêt général, il doit s’efforcer de faciliter l’exercice du droit en question, et non s’employer à le limiter par des moyens qui ne sont ni nécessaires, ni proportionnés. L’État partie est donc tenu de justifier la restriction du droit garanti à l’article 21 du Pacte.

7.5En l’espèce, le Comité doit déterminer si les restrictions imposées au droit de réunion pacifique des auteurs sont justifiées au regard de l’un quelconque des critères énoncés à l’article 21 du Pacte. Au vu des éléments du dossier, les autorités exécutives de la ville ont rejeté les demandes des auteurs visant à organiser deux événements parce que ces rassemblements pacifiques devaient se tenir à proximité de passages souterrains et stations de métro et de bâtiments officiels, dont la mairie de Minsk, et perturberaient, de ce fait, la circulation piétonne et automobile dans la zone avoisinante. Cependant, le Comité constate que ni le Comité exécutif de la ville de Minsk ni les tribunaux internes n’ont justifié leur décision ou expliqué en quoi, dans la pratique, les manifestations que les auteurs souhaitaient organiser auraient menacé les intérêts visés à l’article 21 du Pacte, à savoir la sécurité nationale ou la sûreté publique, l’ordre public, la santé ou la moralité publiques ou les droits et libertés d’autrui. L’État partie n’a pas non plus montré que d’autres mesures avaient été prises pour faciliter l’exercice des droits que les auteurs tiennent de l’article 21.

7.6Le Comité fait observer qu’il a déjà examiné des cas similaires, concernant les mêmes lois et pratiques de l’État partie, dans plusieurs communications. En l’absence d’explications complémentaires de l’État partie, le Comité conclut que celui-ci a violé les droits garantis aux auteurs par l’article 21 du Pacte.

7.7Le Comité prend également note des allégations des auteurs selon lesquelles leur droit à la liberté d’expression a été restreint illégalement, en ce qu’on leur a refusé l’autorisation d’organiser des rassemblements pacifiques destinés à exprimer des préoccupations concernant la situation des droits de l’homme au Bélarus. Il doit donc déterminer si l’interdiction opposée par les autorités à l’organisation de rassemblements pacifiques destinés à attirer l’attention du public sur la disparition de certaines personnes au Bélarus et à presser les autorités d’enquêter véritablement sur ces disparitions et de ratifier la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, constitue une violation de l’article 19 du Pacte.

7.8Le Comité renvoie à son observation générale no 34 (2011), dans laquelle il affirme notamment que la liberté d’expression est essentielle pour toute société et constitue le fondement de toute société libre et démocratique. L’article 19 (par. 3) du Pacte autorise l’application de restrictions à la liberté d’expression, y compris à la liberté de répandre des informations et des idées, dans la seule mesure où ces restrictions sont fixées par la loi et sont nécessaires : a) au respect des droits ou de la réputation d’autrui ; ou b) à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques. Enfin, les restrictions imposées à la liberté d’expression ne doivent pas avoir une portée trop large ; elles doivent constituer le moyen le moins perturbateur parmi ceux qui pourraient permettre d’assurer la fonction de protection recherchée et doivent être proportionnées à l’intérêt à protéger. Le Comité rappelle que c’est à l’État partie qu’il incombe de démontrer que les restrictions apportées aux droits que les auteurs tiennent de l’article 19 du Pacte étaient nécessaires et proportionnées.

7.9Le Comité note que le refus d’autoriser les piquets prévus était fondé sur l’article 9 de la loi régissant les manifestations publiques, qui interdit la tenue de manifestations de masse à moins de 50 mètres d’un bâtiment officiel ou à moins de 200 mètres des passages souterrains et stations de métro. Il relève que ni l’État partie ni les juridictions nationales n’ont expliqué en quoi les restrictions imposées étaient nécessaires parce qu’elles servaient un but légitime. Le Comité considère que, dans les circonstances de l’espèce, les restrictions imposées aux auteurs, bien que fondées sur le droit interne, n’étaient pas justifiées au regard de l’article 19 (par. 3) du Pacte. En l’absence de toute explication de la part de l’État partie, il conclut que les droits que les auteurs tiennent de l’article 19 du Pacte ont été violés.

8.Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie des droits que les auteurs tiennent des articles 19 et 21 du Pacte.

9.Conformément à l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer aux auteurs un recours utile. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux personnes dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, l’État partie est tenu, entre autres, d’accorder aux auteurs une indemnisation suffisante. Il est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas. À cet égard, le Comité fait observer que l’État partie devrait réviser son cadre normatif relatif aux manifestations publiques, conformément à l’obligation qui lui incombe au titre de l’article 2 (par. 2), afin de garantir la pleine jouissance des droits consacrés par les articles 19 et 21 du Pacte sur son territoire.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsque la réalité d’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles.