Nations Unies

CCPR/C/132/D/2833/2016

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

10 septembre 2021

Français

Original : espagnol

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communicationno 2833/2016* , **

Communication présentée par :

José Luis Pichardo Salazar (représenté par un conseil, Oswaldo José Domínguez Florido)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteur

État partie :

République bolivarienne du Venezuela

Date de la communication :

30 mars 2016 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 19 octobre 2016 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

14 juillet 2021

Objet :

Procédure pénale et mandat d’arrêt contre un homme d’affaires

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes

Question(s) de fond :

Droit à un procès équitable ; droit d’être assisté par un conseil ; droit de se défendre ; droit à ce que sa cause soit entendue

Article(s) du Pacte :

2, 9 et 14 (par. 1, 2 et 3 a) à d))

Article(s) du Protocole facultatif :

5 (par. 2 b))

1.L’auteur de la communication est José Luis Pichardo Salazar, national de la République bolivarienne du Venezuela, né le 25 août 1958. Il affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient des articles 2, 9 et 14 (par. 1, 2 et 3 a) à d)) du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 10 août 1978. L’auteur est représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur était actionnaire à 45 % de la société de courtage Uno Valores Casa de Bolsa et propriétaire de la banque Banco del Sol, qu’il avait acquise pour son compte. Il affirme qu’en 2009 et 2010, le Gouvernement vénézuélien s’acharnait contre les banques et les sociétés de courtage, et que les faits présentés sont à replacer dans ce contexte.

2.2Le 5 janvier 2010, l’auteur a saisi le ministère public d’une plainte pour détournement de fonds visant Leonor Sarmiento, à l’époque Vice-Présidente d’Uno Valores Casa de Bolsa. Toutefois, par suite des déclarations que Mme Sarmiento a faites aux autorités, il s’est retrouvé visé par une enquête pour association de malfaiteurs et utilisation frauduleuse de fonds publics, infractions qu’il aurait commises dans le cadre de ses activités au sein des entreprises susmentionnées. L’auteur ayant de surcroît fait l’objet d’une plainte déposée par la directrice par intérim du département juridique de Banco del Sol, Marianela Araujo Hurtado, l’État a pris le contrôle de la banque et de la société de courtage et le ministère public a demandé que ses comptes bancaires soient bloqués à titre de mesure conservatoire, demande à laquelle le tribunal de première instance no 19 de Caracas chargé du contrôle de l’instruction a fait droit le 18 janvier 2010.

2.3Le 12 janvier 2010, l’auteur a quitté le territoire de l’État partie et est allé s’installer à Miami (États-Unis d’Amérique), parce qu’il craignait d’être placé en détention provisoire sans enquête, ce qui, au Venezuela, arrive couramment aux banquiers et aux dirigeants de sociétés boursières. Le 25 mars 2010, il s’est rendu au consulat de la République bolivarienne du Venezuela à Miami afin de désigner des avocats chargés de le représenter, conformément aux procédures établies par la loi vénézuélienne.

2.4Le 7 avril 2010, Me Domínguez Florido a présenté au service d’enregistrement et de distribution des documents une requête dans laquelle il demandait à prêter serment devant le tribunal de contrôle compétent afin de pouvoir représenter l’auteur. La requête a été transmise le jour même au tribunal de première instance no 5 de Caracas chargé du contrôle de l’instruction qui, deux mois plus tard, s’est déclaré incompétent au profit du tribunal no 19.

2.5Le 12 mai 2010, le ministère public a demandé au tribunal de première instance no 19 de Caracas chargé du contrôle de l’instruction de délivrer un mandat d’arrêt contre l’auteur, ce que le tribunal a fait le 14 mai 2010. Le 3 juin 2010, l’avocat de l’auteur a présenté un mémoire complémentaire à la requête du 7 avril 2010, dans lequel il insistait sur le droit de son client d’être assisté d’un avocat et d’être entendu dans le cadre de l’enquête. Toutefois, par une décision du 16 juin 2010, le tribunal de première instance no 19 a refusé de faire prêter serment à Me Domínguez Florido, au motif que l’auteur ne se trouvait pas dans le pays alors qu’il devait être présent à l’audience pour officialiser la désignation de son conseil. Le 22 juin 2010, Me Domínguez Florido a fait appel de cette décision ; le 6 septembre 2010, il a été débouté par la huitième chambre de la cour d’appel du circuit judiciaire pénal de la zone métropolitaine de Caracas. Le 7 octobre 2010, l’auteur a saisi la chambre constitutionnelle du Tribunal suprême de justice d’un recours en amparo contre l’arrêt de la cour d’appel, mais a été débouté le 6 juin 2011. Dans leurs décisions, toutes les juridictions ont insisté sur le fait que l’auteur devait se présenter devant la justice pour désigner l’avocat chargé de le représenter et pour que celui-ci puisse prêter serment.

2.6Le 16 septembre 2010, le tribunal de première instance compétent a décidé de demander l’extradition de l’auteur et d’autres personnes soupçonnées d’utilisation frauduleuse de fonds publics et d’association de malfaiteurs. Le 18 octobre 2010, l’avocat de l’auteur a de nouveau demandé au Tribunal suprême de justice de l’autoriser à représenter son client. Dans son arrêt du 8 novembre 2010, le Tribunal suprême a approuvé la demande d’extradition de l’auteur adressée aux États-Unis, affirmant que celui-ci devait être présent pour pouvoir désigner un avocat et précisant que l’enquête en était encore au stade préliminaire et que, une fois que l’intéressé comparaîtrait, les faits, les motifs et les moyens justifiant les poursuites lui seraient exposés et d’autres actes de procédure seraient accomplis qui permettraient de déterminer s’il y avait lieu ou non de le juger.

2.7L’auteur ajoute que, le 5 octobre 2010, des agents du Service bolivarien de renseignement se sont présentés à son domicile et ont procédé à une perquisition alors qu’ils n’avaient pas de mandat. Ils lui ont laissé une convocation manuscrite, sur papier libre et signée par l’inspecteur principal Charles Carmona, l’invitant à se présenter en tant que témoin dans le cadre de l’enquête. Le lendemain, une autre convocation, officielle et signée par le commissaire Jesús Arellano, Directeur du Service de renseignement, lui a été adressée, également pour qu’il comparaisse en qualité de témoin, alors même qu’un mandat d’arrêt avait été émis contre lui.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme être victime d’une violation des droits qu’il tient des articles 2, 9 et 14 (par. 1, 2 et 3 a) à d)) du Pacte.

3.2L’auteur soutient qu’il est victime de diverses violations du droit à une procédure régulière énoncé à l’article 14 du Pacte. Premièrement, le refus d’autoriser l’avocat qu’il a dûment désigné à prêter serment devant les autorités judiciaires compétentes porte atteinte à son droit de se défendre. Deuxièmement, la demande du ministère public visant à obtenir son arrestation ainsi que le gel de ses avoirs à titre de mesures conservatoires et la décision du tribunal de première instance no 19 y faisant droit portent atteinte à son droit de se défendre et à son droit à ce que sa cause soit entendue, en ce qu’elles sont intervenues sans que ni lui ni ses avocats aient été entendus ni informés clairement, précisément et dans le détail des faits sur lesquels portait l’enquête. Troisièmement, le refus d’autoriser son avocat à présenter des écritures et à consulter les éléments du dossier porte atteinte à son droit de se défendre en ce qu’il l’empêche de prendre connaissance des charges qui pèsent contre lui. Quatrièmement, les autorités vénézuéliennes ne sont pas indépendantes, surtout lorsqu’il s’agit de juger des dirigeants de banques et de sociétés de courtage, et les tribunaux ne motivent pas suffisamment leurs décisions et se bornent à citer la jurisprudence du Tribunal suprême de justice.

3.3L’auteur demande au Comité de condamner l’État partie pour la violation des droits susmentionnés et d’exiger qu’il le rétablisse dans tous ses droits, qu’il annule le mandat d’arrêt et qu’il mette fin à la procédure pénale engagée contre lui au motif qu’elle est viciée. Se fondant sur l’article 2 (par. 3) du Pacte, il demande également que l’État partie lui accorde une réparation effective pour le préjudice moral et pécuniaire qu’il a subi du fait des mesures arbitraires qui l’ont poussé à l’exil.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 10 juillet 2017, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication, soutenant qu’elle devait être déclarée irrecevable au regard de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif pour non-épuisement des recours internes.

4.2L’État partie explique que, sur la base de deux actes datés du 17 décembre 2009, la Commission nationale des valeurs mobilières − qui est l’organe chargé de promouvoir, de réguler, de surveiller et de superviser le marché des capitaux − a ordonné un audit financier et un audit système de la société Uno Valores Casa de Bolsa. Les audits effectués ont révélé des irrégularités qui ont été signalées au ministère public et ont poussé la Commission à ordonner, le 26 février 2010, la prise de contrôle de la société et la cessation de ses opérations sur le marché, décision qui a dûment été notifiée au ministère public. Par ailleurs, le 18 janvier 2010, la Haute Autorité chargée des banques et des autres institutions financières a ordonné la prise de contrôle de Banco del Sol, après avoir constaté des irrégularités et des violations de la réglementation applicable. À cette date, l’auteur occupait les fonctions de directeur principal de la banque.

4.3À la lumière des informations communiquées par les deux organismes de contrôle susmentionnés, le ministère public a ouvert une enquête en vue d’identifier les responsables des infractions commises, ce qui a donné lieu, le 14 mai 2010, à l’émission d’un mandat d’arrêt contre l’auteur. Le mandat n’a pas pu être exécuté étant donné que l’auteur ne se trouvait pas sur le territoire national. L’État partie explique que c’est l’auteur lui-même qui a entravé sa défense en ne se présentant pas à la justice alors qu’une procédure pénale était engagée contre lui, et que, en ne se mettant pas à la disposition du tribunal pendant la phase d’enquête, l’intéressé donne l’impression qu’il est coupable.

4.4L’État partie affirme que l’auteur a refusé de se présenter sur le territoire vénézuélien pour y être jugé dans le respect des garanties de procédure prévues par la Constitution et la législation en vigueur. Il ajoute que l’auteur ne peut pas demander à être jugé par défaut, car cela serait contraire aux garanties de procédure énoncées à l’article 49 de la Constitution en vigueur depuis 1999. Il explique qu’avant la réforme de 1999, la Constitution autorisait les jugements par défaut en cas d’infraction contre la chose publique, mais la Constitution actuelle interdit de juger une personne qui ne se trouve pas sur le territoire national. Par conséquent, la procédure pénale est suspendue lorsque le mis en cause est absent, à plus forte raison lorsqu’il fait l’objet d’un mandat d’arrêt qui n’a pas pu être exécuté. Or, pour pouvoir bénéficier de toutes les garanties et de tous les droits prévus dans le Code de procédure pénale et, partant, exercer son droit de se défendre, l’intéressé doit participer à la procédure. L’État partie affirme que l’impossibilité de juger une personne par défaut est un principe incontesté qui participe d’une doctrine suffisante et est repris dans la jurisprudence constante du Tribunal suprême de justice.

4.5L’État partie avance que l’auteur ne peut se prétendre victime d’une inégalité de traitement, et encore moins de persécution politique, sans fournir le moindre argument ni élément de preuve à l’appui de sa thèse, et fait observer que l’intéressé n’a aucunement démontré qu’il s’était exilé pour des raisons politiques.

4.6L’État partie soutient que l’auteur doit se présenter devant la justice pour pouvoir désigner un avocat et présenter tous les éléments de fait ou de droit qu’il estime pertinents aux fins de sa défense, faute de quoi la procédure restera paralysée. En fuyant la justice et en se soustrayant à la procédure engagée contre lui, l’auteur se prive inévitablement de la possibilité de désigner un avocat et, partant, nul ne peut consulter en son nom le dossier à charge, l’article 286 du Code de procédure pénale prévoyant le secret de l’enquête. L’État partie ajoute que le Tribunal suprême a déclaré qu’en matière pénale plusieurs actes nécessitent la présence du mis en cause, qui ne peut pas les faire accomplir par quelqu’un d’autre, car il en va de la garantie du droit à ce que sa cause soit entendue et du droit de se défendre. L’intéressé doit être présent, notamment, pour désigner personnellement le défenseur ou l’avocat qui le représentera et qui commencera à l’assister dès l’ouverture de l’enquête ou, à tout le moins, avant qu’il soit appelé à témoigner à la barre.

4.7L’État partie ajoute que la Cour interaméricaine des droits de l’homme a jugé que tout procès pénal devait se tenir en présence de l’accusé. Selon la Cour, dans de nombreux systèmes judiciaires, la présence de l’accusé est essentielle pour garantir la légalité et la régularité de la procédure. La Convention américaine relative aux droits de l’homme le confirme en ce qu’elle dispose, en son article 7.5, que « la mise en liberté de l’accusé peut être conditionnée à des garanties assurant sa comparution à l’audience », ce qui signifie que les États peuvent adopter des dispositions légales visant à garantir la comparution de l’intéressé. De fait, la détention provisoire, qui doit être une mesure exceptionnelle, vise principalement à garantir la présence de l’accusé au procès, et donc à lutter contre l’impunité. Elle permet en outre de garantir le bon déroulement du procès. En tout état de cause, la législation vénézuélienne interdit le jugement par défaut.

4.8L’État partie affirme que l’auteur, qui est un fugitif recherché par la justice, ne peut pas être jugé par défaut parce que le droit interne l’interdit, et n’a donc pas épuisé tous les recours internes à sa disposition. En effet, la procédure pénale est suspendue si le mis en cause ne comparaît pas, à plus forte raison quand un mandat d’arrêt a été émis contre lui et n’a pas pu être exécuté.

4.9Pour conclure, l’État partie ajoute que les droits fondamentaux de l’auteur n’ont pas été violés, car l’intéressé est un fugitif et c’est précisément cela qui l’empêche de présenter des éléments de fait et de droit pour se défendre devant la justice. L’auteur n’a pas non plus été victime d’une inégalité de traitement fondée sur des motifs politiques, car il n’a pas démontré qu’il avait quitté le pays pour des motifs politiques, et la législation et la doctrine applicables étaient déjà en vigueur avant qu’il se retrouve, selon ses dires, privé des moyens de se défendre. L’État partie appelle l’attention sur le fait que l’auteur veut surtout protéger ses intérêts économiques et entend se soustraire à la justice pour continuer à profiter des gains qu’il a tirés des activités menées au sein des deux sociétés commerciales qu’il dirigeait. L’État partie ajoute que la communication vise à garantir l’impunité d’un banquier au moyen d’arguments sans aucune valeur probante et que les allégations concernant l’acharnement des autorités contre le secteur privé ne sont étayées par aucun élément de preuve. Enfin, il engage les instances internationales à examiner l’opportunité de se pencher sur des plaintes dénonçant des faits hypothétiques et incertains et relayant des informations qui n’ont d’autre écho que dans la presse écrite, à la télévision ou sur les réseaux sociaux, qui ne sont ni véridiques ni objectives à l’égard de tout ce qui concerne les autorités et qui ne représentent que l’opinion intéressée et partiale d’une minorité opposée à la volonté souveraine et démocratique de la majorité.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1Dans ses commentaires du 2 avril 2018, l’auteur affirme qu’il ne s’est pas enfui et qu’il a encore moins cherché à se soustraire à la justice pénale. Il soutient qu’avant l’émission du mandat d’arrêt, le 14 mai 2010, il n’avait jamais été convoqué et n’avait pas non plus été informé de l’ouverture d’une enquête contre lui. Il précise que c’est le jour où le ministère public a reçu la plainte de Mme Araujo que le gel de ses actifs a été demandé à titre de mesure conservatoire et que le jour de son départ pour les États-Unis, le 12 janvier 2010, il ne faisait l’objet ni d’une interdiction de quitter le territoire ni d’un mandat d’arrêt. Il explique avoir quitté le territoire de l’État partie depuis l’aéroport international de Maiquetía et avoir passé sans difficulté les contrôles aux frontières, de sorte que l’État partie ne peut en aucun cas alléguer qu’il a fui ou s’est soustrait à la justice.

5.2L’auteur réaffirme que le mandat d’arrêt le concernant est illégal étant donné qu’il a été émis sans que la justice l’ait préalablement convoqué ni mis en examen et sans qu’elle l’ait autorisé à désigner un avocat, ce qui lui aurait permis de consulter le dossier à charge. Il affirme que les deux citations à comparaître en tant que témoin, qui ont été émises postérieurement au mandat d’arrêt, relèvent d’un abus de procédure étant donné qu’elles visaient à le persuader de se présenter pour un motif fallacieux qui dissimulait l’intention de le placer illégalement en détention. Il soutient que rien ne vient démontrer qu’il a commis une infraction quelle qu’elle soit.

5.3L’auteur ajoute qu’il a demandé à INTERPOL d’annuler le mandat d’arrêt international délivré contre lui en février 2011 au motif que celui-ci était illégal, et qu’il a présenté à l’organisation un mémoire et des éléments écrits et oraux prouvant que l’État partie avait engagé des poursuites judiciaires arbitraires et illégales contre plusieurs hommes d’affaires dans le but de saisir leurs entreprises et de prendre le contrôle de tout le système économique et financier. Après son passage dans les locaux d’INTERPOL pour y présenter son dossier, la Commission de contrôle des fichiers d’INTERPOL a décidé, à l’unanimité, que les poursuites engagées contre lui par l’État partie étaient de nature politique. À sa quatre‑vingt-troisième session, en mai 2012, la Commission a annulé le mandat d’arrêt international par une décision communiquée à l’intéressé le 8 août 2012, dont une copie est jointe à la communication.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité note que l’État partie soutient que l’auteur n’a pas épuisé les recours disponibles car selon le droit interne, les fugitifs recherchés par la justice, dont l’auteur fait partie, ne peuvent ni se défendre ni désigner un avocat. Le Comité constate néanmoins que s’agissant de la désignation d’un avocat, l’auteur a épuisé les recours internes disponibles étant donné que le Tribunal suprême de justice a été saisi de la question dans le cadre de la procédure d’extradition, qui a abouti à l’arrêt du 8 novembre 2010, et du recours en amparo, rejeté le 6 juin 2011. En ce qui concerne les autres griefs de violation du droit à une procédure régulière, il note que la question de l’épuisement des recours internes est intimement liée aux questions de fond. Il estime par conséquent que les dispositions de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif ne font pas obstacle à la recevabilité de la communication.

6.4Le Comité estime que les griefs relatifs au manque d’indépendance des tribunaux que l’auteur tire de l’article 14 (par. 1) et les griefs généraux fondés sur les articles 2, 9 et 14 (par. 2 et 3 b) et c)) du Pacte ne sont pas suffisamment étayés et les déclare irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.5Le Comité estime toutefois que l’auteur a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, les griefs relatifs au droit à une procédure régulière garanti à l’article 14 (par. 3 a) et d)) du Pacte étant donné qu’il n’a pas été informé clairement, précisément et dans le détail des accusations portées contre lui, n’a pas été convoqué avant l’émission du mandat d’arrêt et n’a pas été autorisé à désigner un avocat. Le Comité estime donc que ces griefs sont recevables et passe à leur examen au fond.

Examen au fond

7.1Conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2Le Comité prend note de l’argument de l’auteur selon lequel le refus d’autoriser l’avocat qu’il a dûment désigné à prêter serment devant les autorités judiciaires compétentes a porté atteinte à son droit de se défendre, garanti par l’article 14 (par. 3 d)) du Pacte. Le Comité prend également note de l’argument de l’État partie selon lequel c’est le fait que l’auteur a fui pour se soustraire à la justice qui l’empêche de présenter des éléments de fait et de droit pour se défendre devant la justice. Le Comité relève toutefois que l’auteur était hors du territoire de l’État partie depuis quatre mois lorsque a été rendue à son encontre une ordonnance de placement en détention provisoire, le 14 mai 2010, et qu’il avait donc quitté le territoire légalement. Le Comité constate en outre que, face au blocage de ses comptes bancaires à titre de mesures conservatoires et aux enquêtes liées à la prise de contrôle par l’État des sociétés dont il était actionnaire, l’auteur a tenté de désigner son avocat le 7 avril 2010, c’est-à-dire un mois avant l’ordonnance de placement en détention provisoire le concernant.

7.3Le Comité note par ailleurs que l’État partie soutient que l’auteur ne peut demander à être jugé par défaut, le droit interne interdisant de juger les personnes qui ne se trouvent pas sur le territoire national, et que les procédures pénales sont systématiquement suspendues lorsque le mis en cause ne comparaît pas devant la justice, à plus forte raison lorsque l’intéressé fait l’objet d’une ordonnance de placement en détention qui n’a pas pu être exécutée. Le Comité fait néanmoins remarquer que l’auteur demande non pas à être jugé par défaut, mais à être autorisé à désigner un avocat afin de pouvoir consulter le dossier à charge et, donc, d’avoir accès aux éléments qui ont motivé le mandat d’arrêt et la demande d’extradition des États-Unis. Le Comité ne voit pas en quoi la désignation d’un avocat et la présentation éventuelle de moyens de défense avant l’audience préliminaire, tels que des exceptions ou des recours contre les mesures conservatoires ou la demande d’extradition, constitueraient une violation de l’interdiction constitutionnelle du jugement par défaut. Compte tenu de ces éléments, le Comité conclut que, en l’espèce, l’État partie a violé le droit de l’auteur de se défendre, que celui-ci tient de l’article 14 (par. 3 d)) du Pacte.

7.4Étant parvenu à cette conclusion, le Comité décide de ne pas examiner séparément les autres griefs que l’auteur tire de l’article 14 (par. 3 a)) du Pacte, concernant son droit d’être informé clairement, précisément et dans le détail des accusations portées contre lui, et d’être convoqué avant que ne soient prises des mesures conservatoires à son encontre.

8.Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif se rapportant au Pacte, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 14 (par. 3 d)) du Pacte.

9.Conformément à l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale à l’auteur, dont les droits ont été violés, notamment de l’autoriser : a) à désigner un avocat, ce qui lui permettra d’avoir accès au dossier à charge ; et b) de présenter, par l’intermédiaire de son avocat, tous les moyens de défense disponibles pendant la phase d’enquête préliminaire précédant l’audience préliminaire. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement.