Nations Unies

CCPR/C/131/D/3141/2018

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

31 mai 2022

Français

Original : espagnol

Comité des droits de l’homme

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 3141/2018 * , **

Communication présentée par :

H. M. T. (représenté par un conseil)

Victime(s) présumée(s) :

J. M. T. C., fils de l’auteur

État partie :

Équateur

Date de la communication :

19 septembre 2017

Références:

Décision prise en application de l’article 92 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 19 mars 2018 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision :

25 mars 2021

Objet :

Droit à ce qu’une enquête soit menée sur un homicide

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes

Question(s) de fond :

Droit à la vie

Article(s) du Pacte :

6 et 14

Article(s) du Protocole facultatif :

2 et 5 (par. 2 b))

1.L’auteur de la communication est H. M. T., de nationalité équatorienne. Il agit au nom de son défunt fils, J. M. T. C., qui était également de nationalité équatorienne. La communication a été reçue le 19 septembre 2017. L’auteur affirme que son fils a été victime d’une violation des droits garantis par les articles 6 et 14 du Pacte. Le Protocole facultatif a été ratifié par l’État partie le 6 mars 1969 et est entré en vigueur pour l’Équateur le 7 mai 1978.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 8 juin 2008 vers minuit et quart, J. M. T. C. a quitté son domicile de Quito accompagné de son cousin. En traversant un parc, il est tombé sur le sous-lieutenant de police W. S. A. B., qui n’était pas en service ce jour-là et était en train de brûler des ordures, ainsi que sur R. G. P. A., cousin de W. S. A. B. Une bagarre a éclaté, à laquelle est venue se mêler G. C. P. F, nièce mineure de W. S. A. B. et de R. G. P. A. et qui s’est encore aggravée avec l’arrivée d’autres personnes. Au cours de cette bagarre, le fils de l’auteur a été tué par balle.

2.2La police a d’abord arrêté le sous-lieutenant W. S. A. B. et R. G. P. A. Selon le rapport versé au dossier de l’affaire, l’arme de service du sous-lieutenant a été trouvée dans la chambre que l’intéressé occupait dans les locaux de la police judiciaire, où, lors de la perquisition, se trouvait d’ailleurs le père du sous-lieutenant, dont rien n’expliquait la présence sur place. Le 1er septembre 2008, le sous-lieutenant a déclaré qu’il avait lui-même replacé l’arme dans un tiroir de sa chambre parce que, pendant qu’il était en garde à vue dans les locaux de la police, on lui avait dit de la remettre à l’endroit où il la rangeait d’habitude.

2.3L’auteur fait observer que, selon un rapport d’expertise balistique, la balle qui a touché son fils provenait de l’arme de service du sous-lieutenant W. S. A. B. De surcroît, d’après un témoin entendu pendant la procédure pénale, celui-ci était déjà allé sur le lieu du crime avec cette arme, avec laquelle il avait menacé d’autres personnes.

2.4Le soir même, les gardés à vue et la mineure ont été soumis au test de la paraffine, qui s’est révélé négatif pour le sous-lieutenant W. S. A. B, mais positif pour R. G. P. A. et la mineure G. C. P. F., qui avaient tous deux des traces de poudre sur la main droite. Le 5 septembre 2008, G. C. P. F. a déclaré qu’elle s’était rendue sur le lieu du crime avec l’arme de son oncle parce qu’elle avait entendu dire qu’une bagarre avait éclaté et qu’on allait tuer son oncle, et que, arrivée sur place, elle avait menacé de tirer en l’air. L’auteur explique toutefois que l’intéressée a donné une deuxième version des faits, selon laquelle un garçon l’aurait attaquée tout de suite après et aurait essayé de lui prendre l’arme, puis une troisième encore, selon laquelle ce serait elle qui se serait jetée sur une personne qui s’apprêtait à tirer sur son oncle.

2.5Le 9 juin 2008, le juge de première instance a placé le sous-lieutenant W. S. A. B. en détention provisoire et l’a mis en examen pour meurtre. Le 11 juin 2008, la mesure de détention provisoire a été remplacée par l’obligation de se présenter une fois par semaine devant les autorités judiciaires.

2.6Le 14 octobre 2008, le procureur du district de Pichincha affecté à l’unité chargée des affaires concernant les atteintes à la vie a informé le treizième tribunal pénal de Pichincha qu’il avait décidé de ne pas engager de poursuites contre le sous-lieutenant W. S. A. B ni contre R. G. P. A., car tant le test de la paraffine que l’emplacement des blessures du défunt venaient réfuter les témoignages mettant en cause le sous‑lieutenant. Selon lui, compte tenu de la manière dont l’arme avait été utilisée, c’était probablement la mineure G. C. P. F. qui avait tiré. Le 20 janvier 2009, le parquet provincial de Pichincha a entériné cette décision, estimant que, si les éléments de preuve permettaient d’établir l’infraction, ils ne suffisaient pas toutefois à établir un lien de causalité entre le comportement reproché aux mis en cause et le préjudice causé.

2.7Le 2 avril 2009, le ministère public ayant renoncé aux poursuites, le treizième tribunal de Pichincha a rendu une ordonnance de non-lieu provisoire. L’auteur a fait appel de cette ordonnance, mais a été débouté par la Cour provinciale de justice de Pichincha le 18 juin 2009. La Cour a cependant rappelé que le ministère public pourrait ultérieurement décider d’exercer l’action publique si une enquête complémentaire le justifiait.

2.8L’enquête a été reprise à la fin de 2010, par suite de demandes répétées formulées par l’auteur. Il a été procédé à de nouveaux actes d’enquête, notamment une expertise balistique.

2.9Le 14 août 2014, le parquet de Pichincha a demandé la tenue d’une audience, qui a eu lieu le 2 septembre 2014. À cette occasion, il a demandé l’autorisation de déposer un acte d’accusation contre le sous-lieutenant W. S. A. B. Le 8 septembre 2014, compte tenu du laps de temps qui s’était écoulé depuis le prononcé du non-lieu provisoire, le quinzième tribunal pénal de contrôle de Pichincha a demandé des éclaircissements au ministère public. Le 6 octobre 2014, celui-ci a fait savoir que le délai de cinq ans dont il disposait pour mettre en mouvement l’action publique courrait probablement depuis le 18 juin 2009 et a demandé au juge de vérifier s’il y avait prescription. Le 21 octobre 2014, le quinzième tribunal pénal de contrôle de Pichincha a confirmé que l’acte d’accusation avait été déposé hors délai. Le 7 novembre 2014, le ministère public a demandé au tribunal de prendre les dispositions qui s’imposaient.

2.10Le 21 novembre 2014, une ordonnance de non-lieu définitif a été rendue. L’auteur a fait appel de cette ordonnance, mais a été débouté par la chambre pénale de la Cour provinciale de Pichincha le 10 mars 2015. Il soutient qu’aucun recours ordinaire ne permet de contester cette décision.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur soutient que l’État partie a porté atteinte aux droits que son fils tenait des articles 6 et 14 du Pacte en ce qu’il a manqué à l’obligation qui lui était faite d’enquêter sur le meurtre de celui-ci avec toute la diligence voulue.

3.2L’auteur souligne que les États parties ont l’obligation d’enquêter sur les homicides, que ceux-ci soient le fait d’agents de l’État ou de personnes privées. En outre, comme l’a dit la Cour européenne des droits de l’homme, les enquêtes doivent être menées par des personnes indépendantes agissant de leur propre initiative et avec toute la diligence voulue pour établir les circonstances dans lesquelles les faits se sont produits. Or, selon l’auteur, en l’espèce, l’enquête n’a pas été menée par des personnes indépendantes puisque plusieurs démarches ont été confiées à la police judiciaire, dont le principal suspect était membre. En particulier, c’est la police judiciaire qui a entendu les témoins et établi le rapport d’expertise balistique, malgré le conflit d’intérêts. En outre, la procédure n’a pas été menée rapidement : les événements se sont produits en 2008 et le premier procureur chargé de l’affaire s’est récusé en 2013, suivi par plusieurs de ses collègues, et c’est justement parce que l’action publique a été mise en mouvement trop tard qu’un non‑lieu définitif a été prononcé en 2014. Pour l’auteur, l’obligation d’agir avec toute la diligence voulue était d’autant plus pertinente en l’espèce que, selon le rapport d’expertise balistique, le meurtre a été commis avec une arme appartenant aux forces de sécurité de l’État. De surcroît, l’enquête n’a pas permis de faire la lumière sur les circonstances dans lesquelles les événements se sont produits.

3.3L’auteur soutient que le fait que la mineure G. C. P. F, nièce du sous-lieutenant W. S. A. B., a livré de multiples versions de ce qui s’est passé est révélateur d’une intention de travestir la vérité et de faire obstacle à l’administration de la justice. L’intéressée a du reste elle-même déclaré que, la première fois qu’elle avait été entendue, elle n’était pas accompagnée d’un avocat, ni d’ailleurs d’un adulte quel qu’il soit, et avait menti par crainte de représailles. L’auteur fait par ailleurs remarquer que plusieurs témoins ont dit que c’était le sous-lieutenant qui avait abattu son fils, mais leurs déclarations n’ont pas été prises en compte. Il soutient en outre qu’il ressort clairement du rapport d’expertise balistique du 12 mai 2014 que la trajectoire de la balle est compatible avec l’hypothèse selon laquelle c’est le sous-lieutenant qui a tiré le premier. Enfin, il affirme qu’il est établi que c’est l’arme de service du sous-lieutenant qui a tué son fils et qu’aucune explication n’a été donnée quant à la raison pour laquelle cette arme a été trouvée dans les locaux de la police judiciaire.

3.4L’auteur souligne que son fils a été victime d’une violation du droit à la vie et que les tribunaux ordinaires n’ont pas établi la responsabilité pénale des auteurs. Les exigences minimales de diligence raisonnable n’ont pas été respectées et l’enquête a été entachée d’irrégularités, à savoir que l’arme du crime est passée par de nombreuses mains, certains témoignages ont été recueillis hors la présence d’un avocat et la reconstitution des faits n’a pas élucidé toutes les questions techniques.

3.5L’auteur estime que son fils a été victime d’une violation du droit à un procès équitable garanti à l’article 14 (par. 1) du Pacte. Selon lui, ce droit emporte l’obligation pour les autorités d’établir la responsabilité des personnes qui ont participé à la perpétration d’un crime et de mener l’enquête dans un délai raisonnable. Pourtant, plus de huit ans après le meurtre, les circonstances des faits n’ont toujours pas été élucidées et les coupables restent non identifiés. L’auteur estime également que le droit à une procédure régulière emporte l’obligation pour les tribunaux de motiver leurs décisions ; or, les décisions rendues en l’espèce ne pouvaient pas être dûment motivées étant donné qu’elles sont viciées et reposent sur une enquête entachée d’erreurs.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans une note verbale du 18 mai 2018, l’État partie conteste la recevabilité de la communication au motif que les recours internes n’ont pas été épuisés.

4.2L’État partie commence par récapituler les faits pertinents et les mesures prises par les autorités. Le sous-lieutenant W. S. A. B. a été appréhendé à son domicile quelques heures après les événements. Ses empreintes digitales ont été recueillies et il a été soumis au test de la paraffine. Des témoins ont été entendus, et la victime a été autopsiée. Une procédure a été engagée contre le sous-lieutenant et contre R. G. P. A. Le 9 juin 2008, les autorités ont procédé à l’inspection visuelle de la scène de crime ; le 10 juin, R. G. P. A. a été examiné par le médecin légiste ; le 21 juin, la scène de crime a été analysée ; le 23 juin, les scellés ont été analysés ; le 28 juillet 2008, le rapport d’expertise balistique a été établi ; le 5 septembre 2008, les témoins oculaires ont été entendus. Le 14 octobre 2008, le procureur du district de Pichincha affecté à l’unité chargée des affaires concernant les atteintes à la vie a décidé de classer l’affaire, estimant ce qui suit :

« D’après les résultats de l’enquête, confirmés par l’analyse de la trajectoire des balles et la détermination de la position du tireur, l’auteur des coups de feu était la mineure G. C. P. F. Les témoignages désignant l’accusé ont été contredits par le test de la paraffine, qui s’est avéré négatif, ainsi que par la position des participants à la bagarre et l’emplacement des blessures constatées sur le défunt. De surcroît, plusieurs cartouches non détonées ont été retrouvées sur la scène de crime, ce qui donne à penser que l’arme s’est bloquée à cause d’une mauvaise manipulation et vient donc confirmer la thèse d’une tireuse mineure sans expérience du maniement des armes. » [Traduction non officielle]

Le 20 janvier 2009, le procureur de la province de Pichincha a entériné cette décision, ce qui a conduit à l’ordonnance de non-lieu provisoire. Le 21 avril 2011, le procureur général de l’État a décidé qu’il y avait lieu de mener une enquête complémentaire. Le 26 décembre 2012, le ministère public a décidé d’entendre de nouveaux témoins. Le 18 avril 2013, le procureur chargé de l’affaire s’est dessaisi en raison de ses liens de parenté avec la victime. Le 27 mars 2014, un rapport d’expertise balistique a été demandé. Le 4 juin 2014, un schéma en 3D de la scène de crime a été réalisé. Le 14 août 2014, le ministère public a demandé au quinzième tribunal pénal de contrôle de Pichincha de fixer la date et l’heure de l’audience de comparution initiale de W. S. A. B. et de R. G. P. A. Le 21 octobre 2014, ce tribunal a conclu que l’acte d’accusation avait été établi en dehors du délai légal. Le 21 novembre 2014, la chambre pénale a prononcé un non-lieu définitif.

4.3L’État partie soutient que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes, recours dont il n’a pourtant à aucun moment contesté la disponibilité et l’efficacité devant les tribunaux équatoriens. Premièrement, l’auteur n’a pas saisi la Cour constitutionnelle d’un recours extraordinaire en protection. Comme les autres actions pouvant être intentées auprès de la Cour, ce recours vise à garantir la protection effective et immédiate des droits consacrés dans la Constitution et dans les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, à faire reconnaître la violation d’un ou de plusieurs de ces droits, le cas échéant, et à assurer aux victimes réparation intégrale pour le préjudice subi. Il permet donc en réalité de vérifier la conformité d’une décision de justice avec la Constitution. Lorsqu’elle est saisie d’un recours de ce type, la Cour constitutionnelle peut annuler la décision attaquée, remettre l’affaire au stade de la procédure où elle se trouvait au moment de la violation dénoncée ou la renvoyer devant le tribunal qui a rendu la décision attaquée − et non celui qui a été saisi en appel − pour qu’il rende une nouvelle décision dans le respect des droits protégés par la Constitution et des garanties de procédure. L’État partie rappelle qu’il est déjà arrivé qu’un recours extraordinaire en protection formé contre une ordonnance de non-lieu définitif aboutisse et que l’ordonnance attaquée soit annulée parce qu’elle n’était pas dûment motivée. Il est aussi arrivé que, après avoir été saisie d’un recours extraordinaire en protection visant un jugement, la Cour constitutionnelle ordonne que la victime se voit accorder réparation intégrale et que, à titre de mesure de restitution, le ministère public ouvre une nouvelle enquête. De surcroît, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a estimé que ce recours était efficace.

4.4Deuxièmement, l’auteur aurait pu intenter une action au civil contre les fonctionnaires de justice qu’il estimait responsables des irrégularités de procédure alléguées afin d’obtenir réparation pour le préjudice subi. Troisièmement, il aurait pu engager la responsabilité extracontractuelle de l’État devant les tribunaux administratifs, ce qui lui aurait également permis de demander réparation pour la violation de ses droits, notamment sous la forme d’une indemnisation, et de dénoncer une éventuelle erreur judiciaire.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1Dans une note du 28 juin 2018, l’auteur présente ses commentaires sur la recevabilité de la communication. Il récapitule les faits et les différents actes d’enquête réalisés, soulignant qu’il apparaît que l’arme du crime a été manipulée et déplacée puisque cette arme, qui, d’après les résultats de l’expertise, était l’arme de service du sous-lieutenant W. S. A. B., a été retrouvée non pas sur la scène de crime, mais dans un tiroir de la chambre que l’intéressé occupait dans les locaux de la police judiciaire et où il l’avait lui-même placée. L’auteur répète les griefs formulés dans sa communication initiale.

5.2L’auteur allègue que le recours extraordinaire en protection n’est pas un recours qui doit être épuisé étant donné que, comme le Comité l’a lui-même fait observer, on ne saurait exiger l’épuisement des recours permettant d’attaquer un jugement passée en force de chose jugée car ils ne sont pas réputés effectifs. En outre, il explique qu’un appel ordinaire emporte l’examen d’une décision de justice par une juridiction supérieure, tandis qu’un recours extraordinaire en protection emporte l’ouverture d’un nouveau procès. Par conséquent, assimiler le recours extraordinaire en protection à un appel est contraire au droit à une protection judiciaire effective, car ce recours, en entraînant simplement l’ouverture d’un nouveau procès devant un tribunal ordinaire, ne garantit pas la protection des droits du justiciable. De surcroît, l’auteur estime que le recours extraordinaire en protection n’est pas un recours efficace en l’espèce car il n’aboutirait pas à l’ouverture d’une enquête sur la mort de son fils ni à la reconnaissance de la culpabilité des responsables ; partant, en alléguant que ce recours aurait dû être épuisé, l’État partie méconnaît l’obligation qui lui est faite d’enquêter sur les faits avec toute la diligence voulue. Enfin, l’auteur est d’avis que l’État partie cite incorrectement la décision rendue dans l’affaire I. A. A. et autres c. Danemark, car, dans cette affaire, il était reproché à la victime de n’avoir pas dénoncé les violations alléguées devant les tribunaux, ce qui n’est absolument pas son cas sachant qu’il a saisi la justice pénale, qu’il a fait appel des ordonnances de non‑lieu provisoire et définitif et qu’il a contesté chacune des décisions rendues en première instance. Selon la Cour interaméricaine des droits de l’homme, les procédures qu’il a engagées suffisent à épuiser les recours internes.

5.3L’auteur fait observer que la décision Arellano Medina c. Équateur rendue par le Comité des droits économiques, sociaux et culturels, à laquelle l’État partie renvoie, portait sur une affaire complétement différente, à savoir une affaire de droit du travail, dans laquelle le recours extraordinaire en protection aurait effectivement pu permettre de remettre la victime dans l’état où elle se trouvait avant la violation de ses droits. En l’espèce, annuler l’ordonnance de non-lieu n’aurait pas cet effet et ne permettrait pas non plus de garantir la protection des droits de l’auteur sachant que son fils est mort et que les autorités ont en tout état de cause manqué à leur obligation d’enquêter. Les recours à épuiser sont ceux qui permettent de résoudre la situation juridique qui pose problème.

5.4L’auteur rappelle que la procédure pénale a subi un retard, puisqu’elle a duré de 2009 à 2015. Sachant que l’affaire n’était pas complexe, ce retard est excessif ; de surcroît, il est exclusivement dû à l’inaction du ministère public. Outre que le recours extraordinaire en protection ne pourrait pas réparer cette violation en aboutissant à l’annulation de la décision contestée, son utilisation retarderait encore davantage la procédure.

5.5L’auteur fait observer qu’engager devant les tribunaux administratifs une action en responsabilité extracontractuelle contre l’État ou une action en dommages-intérêts contre des fonctionnaires de justice ne lui permettrait pas d’obtenir d’autre réparation qu’une indemnisation. Or, si l’État partie semble croire que l’argent peut tout régler, il n’est pas de cet avis et entend que justice soit faite, que la vérité soit établie et qu’une réparation intégrale lui soit accordée, y compris sous la forme de mesures de réparation, de satisfaction et de non‑répétition parmi lesquelles, en particulier, l’ouverture d’une enquête sur la mort de son fils. Par ailleurs, il rappelle que le Comité a déclaré que les recours purement administratifs ou disciplinaires ne pouvaient être considérés comme suffisants et efficaces en cas d’infraction grave telle qu’une violation du droit à la vie. Il estime qu’on ne saurait mettre la violation du droit à la vie sur le même plan que le non-respect d’une responsabilité extracontractuelle de l’État. Enfin, il souligne que l’action en responsabilité contre l’État est rarement utilisée parce qu’elle est rarement disponible et peu efficace.

Observations de l’État partie sur le fond

6.1Dans une note verbale du 28 septembre 2018, l’État partie présente ses observations sur le fond de la communication. Il fait observer que le droit à la vie est garanti par la Constitution et que les atteintes à ce droit sont passibles de sanctions pénales. En outre, il signale que le règlement de la police judiciaire interdit le recours à la violence physique ou psychologique et l’incitation au crime. La législation équatorienne garantit donc la protection du droit à la vie, comme l’exige l’article 6 du Pacte et dans le droit fil des dispositions de l’observation générale no 36 (2018) du Comité.

6.2L’État partie souligne que le fonctionnaire que l’auteur tient pour responsable de la mort de la victime n’était pas en service le jour des faits. De surcroît, la justice a examiné l’ensemble des éléments de preuve et réalisé plusieurs tests, dont celui de la paraffine, et a établi que les allégations de l’auteur concernant cette personne étaient infondées. On retiendra que la police scientifique a procédé à tous les examens disponibles au moment des faits : inspection visuelle de la scène de crime, analyse de la scène de crime, expertise balistique, test de la paraffine, analyse toxicologique et formulation d’hypothèses quant au déroulement des faits. La procédure a été menée devant les tribunaux ordinaires, conformément au Code pénal de la police en vigueur à l’époque, le suspect étant un agent de l’État qui n’était toutefois pas dans l’exercice de ses fonctions au moment des faits.

6.3L’État partie souligne également que l’enquête a été menée en temps utile et dans le respect des garanties applicables. Le jugement de première instance a été rendu en 2009, un an après les faits, et la famille de la victime ne s’est pas plaint d’avoir subi des pressions ou reçu des menaces au cours de l’enquête.

6.4L’État partie avance qu’il s’est acquitté de l’obligation qui lui était faite de retrouver la victime et d’identifier le corps. En ce qui concerne l’obligation de punir les responsables, les suspects ont été maintenus en détention pendant la période légale, jusqu’à ce que le non‑lieu soit déclaré.

6.5Étant donné que l’enquête n’a pas permis d’établir que le crime a été commis par un agent de l’État, il n’est pas non plus possible d’établir une quelconque responsabilité de l’État. En outre, le Comité ne peut pas examiner les éléments de preuve fournis dans le cadre de la procédure nationale, car il ne lui appartient pas de se substituer aux tribunaux nationaux pour ce qui est d’apprécier les preuves et de déterminer la responsabilité de telle ou telle personne dans la commission d’un crime.

6.6En ce qui concerne les allégations relatives à la régularité de la procédure, l’État partie fait observer que la Constitution et la législation applicable prévoient que tous sont égaux devant la loi. Partant, l’argument de la discrimination et de l’inégalité de traitement par les tribunaux est douteux et infondé. De surcroît, l’État partie a respecté le droit de l’auteur à ce que sa cause soit entendue publiquement devant un tribunal compétent, indépendant, impartial et établi par la loi. Au cours de la procédure pénale, l’auteur a été dûment entendu, tant pendant le procès que dans le cadre de ses recours en appel, et l’affaire a été examinée en toute impartialité par des juges nommés de manière régulière qui sont restés saisis du dossier du début à la fin. De surcroît, l’auteur a été autorisé à engager une procédure d’accusation populaire, à contester les éléments de preuve et à interjeter appel des décisions rendues.

6.7L’État partie estime que les décisions de non-lieu provisoire et définitif étaient justifiées par les témoignages et les autres éléments de preuve recueillis. En ce qui concerne l’argument selon lequel le procureur chargé de l’affaire se serait récusé en 2013, l’État partie précise que la procédure a été engagée le jour où les faits se sont produits, et que c’est en 2014 que certains représentants du ministère public sont récusés, et ce, afin de préserver le droit des parties à un procès équitable. La récusation est prévue par le règlement intérieur et permet de garantir le respect des garanties de procédure, notamment l’impartialité de la justice ; partant, la récusation dénoncée par l’auteur, loin d’avoir entraîné une violation des droits de l’intéressé, a permis de garantir l’impartialité de l’enquête.

Observations complémentaires de l’État partie

7.1Par note verbale du 28 janvier 2019, l’État partie réaffirme que le meurtre du fils de l’auteur a fait l’objet d’une enquête menée avec toute la diligence voulue et dans le respect des garanties applicables et qu’il n’appartient pas au Comité de se substituer aux autorités nationales pour ce qui est d’apprécier les faits ou d’établir la responsabilité de telle ou telle personne pour une infraction. Il réaffirme également que l’auteur n’a pas épuisé le recours extraordinaire en protection, qui est pourtant un recours disponible et efficace. À ce sujet, il fait observer que le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a examiné l’efficacité de ce recours non pas dans le seul contexte de la communication à laquelle il s’est référé, mais de manière générale, et que le fait que le recours soit extraordinaire n’est pas pertinent aux fins de l’obligation de l’épuiser, le critère principal étant qu’il doit être efficace et adéquat.

7.2L’État partie déclare que, contrairement à ce que soutient l’auteur, il ne compte pas que la situation se règle moyennant finances étant donné que, selon lui, il n’y a eu aucune violation du Pacte en l’espèce. Simplement, il signale que, en cas de préjudice présumé, le système juridique équatorien, comme bien d’autres systèmes nationaux, offre la possibilité d’intenter une action visant à faire constater le préjudice et à obtenir la réparation appropriée.

Nouveaux commentaires de l’auteur

8.1Le 3 mars 2020, l’auteur a présenté des nouveaux commentaires, dans lesquels il déclare que son intention est non pas d’obtenir du Comité un examen en quatrième instance, mais de dénoncer la violation du droit à la vie qu’avait son fils et le non-respect, par l’État partie, de l’obligation d’enquêter sur les faits en toute indépendance et en toute impartialité.

8.2En ce qui concerne l’argument de l’État partie selon lequel il aurait dû former un recours extraordinaire en protection, l’auteur souligne que, premièrement, la recevabilité des recours extraordinaires est soumise à la discrétion des organes compétents et, deuxièmement, les phases de première instance et d’appel ont à elles seules duré de 2008 à 2015, en conséquence de quoi sa cause a été entendue avec un retard injustifié. En outre, en 2018, la Cour constitutionnelle était saisie de 14 000 affaires, dont certaines étaient pendantes depuis dix ans déjà. L’auteur estime qu’il était exagéré de s’attendre à ce que, après six ans de procédure, il patiente encore dix ans pour obtenir une décision. Il estime également que l’action en responsabilité extracontractuelle contre l’État et l’action en dommages‑intérêts contre des fonctionnaires de justice sont des recours qui ne sont pas efficaces car, étant purement administratifs, ils ne peuvent pas lui permettre d’obtenir réparation pour la violation du droit à la vie dont son fils a été victime, non plus qu’ils peuvent conduire à l’établissement de la responsabilité de l’État et à la manifestation de la vérité.

8.3L’auteur affirme que l’État partie a enfreint à deux égards l’obligation qui lui est faite de garantir le droit à la vie de son fils. Premièrement, puisque l’auteur présumé du meurtre était un de ses agents, l’État partie a manqué à l’obligation d’empêcher que des membres de ses forces de sécurité attentent arbitrairement à la vie d’un de ses citoyens. Deuxièmement, en n’enquêtant pas sur les faits avec toute la diligence voulue, l’État partie a manqué à l’obligation de protéger les droits de l’auteur. L’auteur tient cependant à préciser qu’il entend démontrer non pas les lenteurs de l’enquête, mais le manque d’indépendance avec lequel les investigations ont été menées et les résultats obtenus ont été interprétés, qui a conduit à ce que divers éléments de preuve désignant sans équivoque le coupable soient arbitrairement et délibérément ignorés. En particulier, il fait observer que le test de la paraffine perd en fiabilité, et donc en validité, s’il n’est pas réalisé immédiatement après que le coup de feu a été tiré ; or, en l’espèce, le sous-lieutenant et R. G. P. A. y ont été soumis deux heures après, et la mineure G. C. P. F., treize heures après.

8.4L’enquête n’a pas été conduite en toute impartialité, ce qui constitue une violation du droit à une procédure régulière. L’auteur rappelle que les investigations ont été menées par la police nationale, à laquelle appartenait le principal suspect. Les policiers qui ont participé à l’établissement du rapport établi à l’issue de l’inspection visuelle de la scène de crime et du rapport d’expertise balistique étaient tous du même grade que l’intéressé, voire d’un grade inférieur. Le rapport d’analyse de la scène de crime, établi treize jours après le meurtre, a aussi été établi par un membre de la police nationale. L’auteur conclut donc que la plupart des rapports versés au dossier sont entachés de partialité en raison d’un conflit d’intérêts chez leurs auteurs. La Cour interaméricaine des droits de l’homme a dit que les obligations d’indépendance et d’impartialité s’appliquaient aussi aux organes non judiciaires chargés des enquêtes préliminaires et que, lorsque l’auteur présumé de l’infraction était un membre de la police, l’indépendance supposait que l’enquête soit menée par un organe indépendant, c’est‑à‑dire autre que la force de police impliquée. La Cour européenne des droits de l’homme a aussi jugé que l’indépendance de l’enquête pouvait être compromise lorsque les enquêteurs étaient des collègues du policier mis en cause ou avaient des liens hiérarchiques avec lui. En l’espèce, les enquêteurs avaient des liens hiérarchiques avec l’accusé, certains actes n’ont pas été accomplis en bonne et due forme et certaines pistes n’ont pas été explorées alors qu’elles auraient clairement dû l’être.

8.5L’auteur fait observer qu’il existe un faisceau de preuves irréfragables démontrant que la victime a été tuée par arme à feu et que cette hypothèse a été confirmée par l’examen réalisé au moment de la levée du corps ainsi que par le rapport d’autopsie. En outre, l’arrestation et l’expertise balistique indiquent que c’est l’arme de l’intéressé qui a tiré les deux projectiles trouvés sur la scène de crime. Par ailleurs, d’après une autre expertise balistique, réalisée six ans après l’homicide sur la base de rapports précédents, seule l’hypothèse de tir numéro un, fondée sur trois des témoignages reçus, est plausible, et les hypothèses deux et trois, fondées sur les témoignages de la nièce mineure de l’accusé et de R. G. P. A., sont réfutées par la trajectoire des balles. L’auteur avance qu’il aurait donc fallu écarter les déclarations de ces deux personnes et accorder davantage de poids aux trois témoignages qui cadrent avec l’expertise, qui désignent sans équivoque le sous‑lieutenant comme étant l’auteur du meurtre. En d’autres termes, priorité aurait dû être accordée aux versions qui confirmaient l’expertise balistique. Par ailleurs, pas moins de huit témoignages désignaient le sous-lieutenant comme l’auteur du meurtre, mais ont été ignorés par le tribunal.

8.6L’auteur estime qu’il a aussi été porté atteinte au droit à une procédure régulière parce que les décisions rendues en l’espèce n’ont pas été dûment motivées. Selon lui, ces décisions n’expliquent pas pourquoi les preuves de la culpabilité du sous-lieutenant ont été ignorées et ne permettent pas non plus de savoir sur quels éléments les juges se sont appuyés pour prononcer le non-lieu.

8.7L’auteur rappelle que la procédure a traîné sans raison valable pendant plus de onze ans et que, à ce jour, sa famille ne connaît toujours pas la vérité, ce qui constitue une violation du droit d’accéder à la justice dans un délai raisonnable et donc du droit à une procédure régulière consacré à l’article 14 (par. 1) du Pacte.

8.8Enfin, l’auteur estime qu’il a été porté atteinte au droit à la vérité, tant en ce qui le concerne qu’en ce qui concerne son fils.

8.9L’auteur demande qu’il soit ordonné à l’État partie d’indemniser les victimes pour le préjudice subi, de prendre des mesures de satisfaction et de non-répétition afin d’assurer la protection des droits auxquels il a été porté atteinte et de garantir que les violations commises ne se reproduiront pas, et d’enquêter sur la mort de son fils de sorte que les responsables soient punis.

Observations de l’État partie sur les nouveaux commentaires de l’auteur

9.1L’État partie réaffirme que le recours extraordinaire en protection, que l’auteur n’a pas utilisé, est un recours efficace et approprié en l’espèce. Ce recours permet de faire contrôler la constitutionnalité des décisions de justice, et donc de s’assurer qu’il n’a pas été porté atteinte aux droits garantis par la Constitution, y compris le droit à une procédure régulière. Il peut aboutir à l’annulation de la décision attaquée et à au renvoi de l’affaire devant une nouvelle juridiction de jugement. En outre, l’État partie souligne que la loi équatorienne prévoit que les recours extraordinaires en protection doivent être tranchés dans un délai de quarante jours. Si, à l’heure actuelle, la Cour constitutionnelle est effectivement saisie d’affaires plus anciennes, elle vide néanmoins rapidement son rôle. Enfin, l’État partie rappelle que le fait d’avoir l’impression qu’un recours serait inefficace ou déraisonnablement long ne dispense pas le justiciable d’utiliser le recours en question, à moins que celui-ci soit manifestement inutile.

9.2En ce qui concerne les allégations selon lesquelles l’enquête n’a pas été menée en toute impartialité parce que plusieurs formalités ont été accomplies par des membres de la police nationale, l’État partie rappelle que le sous-lieutenant mis en cause, que l’auteur estime coupable du meurtre de son fils, n’était pas en service au moment des faits, et que les enquêteurs l’ont donc traité comme une personne privée, et non comme un agent de l’État ayant agi dans l’exercice de ses fonctions. Une fois qu’il a été établi que le crime commis impliquait des personnes privées, l’affaire a été portée devant les tribunaux ordinaires, conformément à la législation applicable. Confier l’enquête à la police était donc une décision qui, loin d’être arbitraire, procédait de l’application de la législation équatorienne relative aux enquêtes pénales. De surcroît, les investigations ont été chapeautées par le ministère public ; la police a donc joué un rôle auxiliaire et s’est bornée à suivre les instructions qui lui étaient données. Étant donné que rien ne permet de conclure qu’il a été porté atteinte au droit à la vie du fils de l’auteur étant donné que les divers actes d’enquête ont tous été contrôlés comme il se devait, toute responsabilité de l’État en la matière est écartée. Partant, le Comité ne saurait substituer sa propre appréciation des preuves à celle faite par les juridictions nationales en vue d’établir les faits, car il deviendrait une juridiction de quatrième instance.

9.3L’État partie réaffirme une fois encore que rien ne permet de douter de l’impartialité des juges et des procureurs chargés du dossier, ni de penser que l’affaire a été jugée avec un retard excessif, et qu’il n’apparaît donc pas qu’il a été porté atteinte au droit à une procédure régulière.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

10.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

10.2Le Comité prend note de l’allégation de l’État partie selon laquelle l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles parce qu’il n’a pas formé de recours extraordinaire en protection devant la Cour constitutionnelle ni engagé d’action en responsabilité contre l’État devant les tribunaux administratifs ou une action en dommages‑intérêts contre tel ou tel fonctionnaire de justice. Le Comité note que, selon l’État partie, le recours extraordinaire en protection dont la Cour constitutionnelle peut être saisie a pour objet de garantir la protection effective et immédiate des droits consacrés par la Constitution et par les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, de faire reconnaître la violation d’un ou de plusieurs de ces droits, le cas échéant, et de permettre à la victime d’obtenir réparation intégrale pour le préjudice subi. L’État partie soutient que ce recours peut conduire à l’annulation de la décision attaquée et a déjà permis, en d’autres occasions, de faire annuler des ordonnances de non-lieu et de faire rouvrir des enquêtes. L’auteur avance quant à lui que ce recours n’est pas efficace car, comme tout recours extraordinaire, il entraîne un nouveau procès, mais n’est pas axé sur l’enquête et consiste seulement en la révision de la décision rendue.

10.3Le Comité rappelle que la condition de l’épuisement des recours internes a pour objectif de donner à l’État partie l’occasion de s’acquitter de l’obligation de protéger et de garantir les droits consacrés par le Pacte. Il rappelle également que le recours en révision d’une décision de justice passée en force de chose jugée, dont la recevabilité relève du pouvoir discrétionnaire du juge, est un recours extraordinaire dont l’État partie doit démontrer l’utilité. À cet égard, il prend note du fait que, selon les informations fournies par l’une et l’autre parties, la recevabilité du recours extraordinaire en protection n’est pas soumise à la discrétion du juge. En outre, il note que l’État partie soutient, et que l’auteur ne conteste pas, qu’il est déjà arrivé que ce recours aboutisse à l’annulation d’une ordonnance de non-lieu ou à la réouverture d’une enquête. Partant, il est d’avis que rien n’indique que le recours en protection n’était pas susceptible de donner effet à l’obligation de protéger et de garantir le droit consacré par le Pacte dont l’auteur allègue la violation. Le Comité rappelle qu’il ressort de sa jurisprudence que le seul fait que l’auteur ait des doutes quant à l’efficacité des recours internes ne dispense pas l’intéressé de l’obligation d’épuiser ces recours. En conséquence, il estime que, dans les circonstances de l’espèce et compte tenu surtout de la législation équatorienne applicable, le recours extraordinaire en protection était un recours efficace.

10.4Le Comité note que l’auteur soutient qu’il devrait être exempté de l’obligation d’épuiser le recours extraordinaire en protection au motif que le traitement de ce type de recours peut prendre dix ans et que, étant donné qu’il s’est déjà écoulé six années entre l’ouverture de l’enquête sur les faits et le prononcé d’un non-lieu définitif, la procédure excéderait les délais raisonnables, au mépris des dispositions de l’article 5 (par. 2) du Protocole facultatif. Le Comité note également, toutefois, que l’État partie avance que le délai légal pour trancher les recours en protection est de quarante jours et que l’auteur fait valoir que ce type de recours est tranché après des délais excessivement longs sans toutefois avoir présenté une demande en protection, en conséquence de quoi il ne peut pas se prononcer sur la question de savoir si la Cour constitutionnelle aurait ou non traité l’affaire avec un retard injustifié de nature à empêcher l’intéressé de défendre sa cause efficacement. Le seul fait d’avoir l’impression que ce recours serait inefficace parce que la procédure serait excessivement longue ne dispense pas l’auteur de l’obligation de l’utiliser. Partant, le Comité déclare la communication irrecevable au regard de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif.

11.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.