Nations Unies

CCPR/C/132/D/2691/2015

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

11 mars 2022

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2691/2015*,**

Communication présentée par :

Leonid Sudalenko et Anatoly Poplavny (non représentés par un conseil)

Victime(s) présumée(s) :

Les auteurs

État partie :

Bélarus

Date de la communication :

6 avril 2015 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 1er décembre 2015 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

23 juillet 2021

Objet :

Refus des autorités d’autoriser la tenue d’un rassemblement pacifique ; liberté d’expression ; recours utile

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes

Question(s) de fond :

Liberté de réunion ; liberté d’expression ; recours utile

Article(s) du Pacte :

2 (par. 2 et 3), 19 et 21

Article(s) du Protocole facultatif :

2 et 5 (par. 2 b))

1.Les auteurs de la communication sont Leonid Sudalenko et Anatoly Poplavny, tous deux de nationalité bélarussienne, nés en 1966 et 1958. Ils affirment que l’État partie a violé les droits qu’ils tiennent des articles 19 et 21 du Pacte, lus conjointement avec l’article 2 (par. 2 et 3). Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour le Bélarus le 30 décembre 1992. Les auteurs ne sont pas représentés par un conseil.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Le 10 juillet 2014, les auteurs ont demandé au Comité exécutif de la ville de Gomel l’autorisation d’organiser un rassemblement pacifique (un piquet) place de la Rébellion, l’une des places du centre-ville, le 4 août 2014, afin d’exprimer leur soutien aux prisonniers politiques du Bélarus, de demander la libération de ces prisonniers et de protester contre la pratique consistant à emprisonner les opposants.

2.2Le 17 juillet 2014, le Comité exécutif de Gomel a refusé d’accorder l’autorisation demandée au motif que les auteurs n’avaient conclu de contrats ni avec les services d’assistance médicale d’urgence de Gomel ni avec la société chargée de la voirie pour qu’elle nettoie la place après la manifestation. Il est nécessaire de conclure de tels contrats afin de se conformer à l’article 3 de la décision no 775 du Comité exécutif de Gomel en date du 15 août 2013, sur la tenue de manifestations de masse à Gomel, et à l’article 5 de la loi sur les manifestations publiques. Le refus était également motivé par le fait que le lieu choisi par les auteurs pour leur rassemblement se trouvait au centre-ville.

2.3Le 26 juillet 2014, les auteurs ont contesté la décision du Comité exécutif de Gomel devant le tribunal du district central de Gomel, soutenant que cette décision limitait leurs droits à la liberté de réunion et à la liberté d’expression, à la fois au regard du droit interne et du droit international. Bien que sa décision fût fondée en droit, le Comité exécutif de Gomel n’avait pas démontré que cette limitation était nécessaire pour servir les but légitimes énoncés dans la Constitution et dans les articles 19 et 21 du Pacte. Le 22 septembre 2014, les auteurs ont été déboutés par le tribunal du district central, qui a considéré que la décision du Comité exécutif de Gomel était conforme au droit interne et donc légale.

2.4Le 1er octobre 2014, les auteurs ont formé un recours en cassation contre la décision du tribunal du district central devant le tribunal régional de Gomel, recours qui a été rejeté le 28 octobre 2014.

2.5Le 2 janvier 2015, les auteurs ont présenté une demande de contrôle de la décision du tribunal régional auprès du Président de cette juridiction. Le 11 février 2015, ils ont présenté une nouvelle demande de contrôle, auprès du Président de la Cour suprême. Ces demandes ont été rejetées respectivement le 10 février et le 26 mars 2015. Les auteurs n’ont pas prié les services du Procureur général d’engager une procédure de contrôle car ils estimaient que ce mécanisme ne constituait pas un recours interne utile.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs soutiennent que le refus des autorités nationales de les autoriser à organiser un rassemblement constitue une violation des droits qu’ils tiennent des articles 19 et 21 du Pacte, lus conjointement avec l’article 2 (par. 2 et 3).

3.2Les auteurs expliquent que ni le Comité exécutif de Gomel ni les tribunaux n’ont examiné la question de savoir si les restrictions imposées à leurs droits par la décision no 775 étaient justifiées par la nécessité de protéger la sécurité nationale, la sûreté publique, l’ordre public, la santé ou la moralité publiques, ou les droits et libertés d’autrui. Ils soutiennent qu’en disposant que les manifestations publiques organisées à Gomel ne peuvent se tenir qu’en deux lieux éloignés et à la condition que les organisateurs aient au préalable conclu des contrats de prestation de services avec la municipalité, la décision no 775 restreint inutilement les droits consacrés par les articles 19 et 21 du Pacte et porte atteinte à leur fondement même.

3.3Les auteurs avancent qu’en ratifiant le Pacte, l’État partie s’est engagé à respecter et à garantir à tous les individus les droits reconnus dans le Pacte, ainsi qu’à adopter toutes mesures d’ordre législatif ou autre propres à donner effet auxdits droits (art. 2). Ils soutiennent que l’État partie ne respecte pas les obligations mises à sa charge par l’article 2 (par. 2) du Pacte, lu conjointement avec les articles 19 et 21, car la loi sur les manifestations publiques contient des dispositions vagues et ambiguës. Par exemple, l’article 9 de cette loi donne aux responsables des comités exécutifs locaux toute discrétion pour déterminer, sans avoir à justifier leur choix, les lieux où les réunions pacifiques peuvent être organisées.

3.4Dans ces circonstances, les auteurs prient le Comité de recommander à l’État partie de mettre sa législation, en particulier la loi sur les manifestations publiques et la décision no 775 du Comité exécutif de Gomel, en conformité avec les normes internationales énoncées aux articles 19 et 21 du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans une note verbale datée du 29 janvier 2016, l’État partie signale que, selon les dispositions du Protocole facultatif, tout particulier qui prétend être victime d’une violation de l’un quelconque des droits énoncés dans le Pacte et qui a épuisé toutes les voies de recours internes qui lui étaient ouvertes peut soumettre une communication écrite au Comité.

4.2L’État partie constate que, le 17 juillet 2014, le Comité exécutif de Gomel a refusé d’accorder aux auteurs l’autorisation qu’ils demandaient afin d’organiser un rassemblement le 4 août 2014, en se fondant sur la loi du 30 décembre 1997 sur les manifestations publiques et sur la décision no 775 du Comité exécutif du 15 août 2013 sur la tenue de manifestations publiques dans la ville de Gomel.

4.3La décision du Comité exécutif de Gomel a été confirmée par le tribunal du district central de Gomel. Les auteurs ont été déboutés de leurs recours par le tribunal régional de Gomel. Les demandes introduites par la suite par les auteurs au titre de la procédure de contrôle ont également été rejetées. Cependant, l’État partie fait observer que les auteurs n’ont pas épuisé toutes les voies de recours internes qui leur étaient ouvertes puisque les demandes qu’ils avaient introduites au titre de la procédure de contrôle n’ont pas été examinées par le Procureur général ni par le Président de la Cour suprême. En ce qui concerne l’efficacité du réexamen au titre de la procédure de contrôle, l’État partie fait observer qu’en 2015, 2 782 demandes civiles de recours en cassation et de réexamen au titre de la procédure de contrôle ont été présentées et, après examen de ces demandes, le Procureur général a autorisé la tenue de 1 487 manifestations.

4.4L’État partie soutient que le rassemblement a été interdit parce que les auteurs n’avaient pas présenté les contrats conclus avec les prestataires de services municipaux respectivement chargés d’assurer une assistance médicale pendant la manifestation envisagée et le nettoyage des lieux après celle-ci, comme l’exige l’article 3 de la décision no 775. De plus, le rassemblement proposé devait se tenir sur la place de la Rébellion, laquelle ne faisait pas partie des lieux retenus dans la décision no 775 aux fins de la tenue de manifestations publiques.

4.5L’État partie rejette les allégations des auteurs selon lesquelles les droits qui leur sont reconnus par les articles 19 et 21 du Pacte, lus conjointement avec l’article 2 (par. 2 et 3), auraient été violés. Il fait observer que ces droits sont garantis par les articles 23, 33 et 35 de la Constitution du Bélarus. Il conclut que les dispositions de la loi sur l’organisation et la tenue de manifestations publiques sont conformes aux articles 19 (par. 3) et 21 du Pacte et ne devraient pas être considérées comme une restriction du droit à la liberté d’expression et à la liberté de réunion pacifique.

4.6Le 9 novembre 2018, l’État partie renouvelle ses observations sur la recevabilité et sur le fond.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie

5.1Le 26 février 2016, les auteurs ont fait observer qu’une demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle ne constituait pas un recours utile. Ils soutiennent que cette procédure est à la discrétion d’un procureur ou d’un juge et qu’elle n’implique pas d’examen au fond. Ainsi, ils ont introduit, sans succès, des demandes de réexamen au titre de la procédure de contrôle notamment auprès du Président de la Cour suprême (mais n’ont pas présenté de demande au Procureur général − voir par. 2.5 ci-dessus).

5.2Le 12 novembre 2016, en réaction aux observations de l’État partie concernant les dispositions de sa législation, les auteurs ont appelé l’attention du Comité sur le fait que l’État partie n’avait pas mis en application les recommandations des organisations internationales tendant à ce qu’il modifie la loi sur les manifestations publiques pour la rendre conforme aux normes internationales. Ils relèvent que l’État partie n’a pas non plus donné suite aux constatations du Comité, qui lui avait demandé de réviser sa législation pour la rendre compatible avec les obligations mises à sa charge. Pour ce qui est des données statistiques communiquées par l’État partie, les auteurs constatent que l’État partie ne précise pas combien de requêtes concernant des droits civils et politiques, en particulier le droit à la liberté de réunion pacifique et le droit à la liberté d’expression, ont été rejetées.

5.3Le 27 février 2019, les auteurs ont de nouveau fait valoir leurs principaux arguments.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité prend note des observations de l’État partie, selon lesquelles les auteurs n’ont pas épuisé les voies de recours internes qui leur étaient ouvertes puisque les demandes de réexamen qu’ils ont introduites au titre de la procédure de contrôle n’ont pas été examinées par le Procureur général ni par le Président de la Cour suprême. Il prend aussi note des allégations des auteurs, qui disent avoir bel et bien introduit des demandes de réexamen des décisions de justice rendues dans leur affaire au titre de la procédure de contrôle, auprès du Président de la Cour suprême, mais sans succès, et considèrent qu’une demande de réexamen par la Cour suprême ou le Procureur général ne constitue pas un recours utile. À ce sujet, le Comité rappelle sa jurisprudence, dont il ressort que l’introduction auprès du ministère public d’une demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle de décisions de justice devenues exécutoires, demande dont l’issue relève du pouvoir discrétionnaire du procureur, ne constitue pas un recours utile qui doit être épuisé aux fins de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif. De surcroît, il estime que saisir le Président d’un tribunal d’une demande de contrôle juridictionnel d’une décision judiciaire ayant force de chose jugée, dont l’issue dépend du pouvoir discrétionnaire d’un juge, constitue un recours extraordinaire, et que l’État partie doit montrer qu’il existe une possibilité raisonnable qu’une telle demande constitue un recours utile dans les circonstances de l’espèce. En l’absence d’explications complémentaires de l’État partie, le Comité estime que les dispositions de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif ne font pas obstacle à l’examen de la communication.

6.4Le Comité prend note des allégations des auteurs selon lesquelles l’État partie a violé les droits qu’ils tiennent des articles 19 et 21 du Pacte, lus conjointement avec l’article 2 (par. 2). Il rappelle que les dispositions de l’article 2 ne peuvent pas être invoquées en conjonction avec d’autres dispositions du Pacte pour fonder une communication présentée en vertu du Protocole facultatif, sauf lorsque le manquement de l’État partie aux obligations que lui impose cet article est la cause immédiate d’une violation distincte du Pacte portant directement atteinte à la personne qui se dit victime. Le Comité constate toutefois que les auteurs affirment que l’interprétation et l’application des lois en vigueur dans l’État partie ont entraîné une violation des droits qu’ils tiennent des articles 19 et 21 du Pacte, et il estime qu’examiner la question de savoir si l’État partie a manqué aux obligations générales mises à sa charge par l’article 2 (par. 2) du Pacte, lu conjointement avec les articles 19 et 21, revient à examiner la question de savoir si l’État partie a porté atteinte aux droits qui sont reconnus aux auteurs par les articles 19 et 21 du Pacte. Le Comité estime donc que les griefs des auteurs à cet égard sont incompatibles avec l’article 2 du Pacte et, partant, qu’ils sont irrecevables au regard de l’article 3 du Protocole facultatif.

6.5Le Comité prend note également des griefs tirés par les auteurs des articles 19 et 21 du Pacte, lus conjointement avec l’article 2 (par. 3). En l’absence de tout autre élément utile dans le dossier, le Comité estime que les auteurs n’ont pas suffisamment étayé ces griefs aux fins de la recevabilité. En conséquence, il déclare cette partie de la communication irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.6En conclusion, le Comité constate que les griefs formulés par les auteurs soulèvent des questions au regard des articles 19 (par. 2) et 21 du Pacte. Il estime que ces griefs ont été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité et passe à leur examen au fond.

Examen au fond

7.1Conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2Le Comité prend note des griefs des auteurs, qui soutiennent que leurs droits à la liberté d’expression et à la liberté de réunion ont été restreints, en violation des articles 19 et 21 du Pacte, car ils se sont vu refuser l’autorisation d’organiser un rassemblement pacifique en soutien aux prisonniers politiques du Bélarus. Il relève également que, d’après les auteurs, les autorités n’ont pas expliqué en quoi les restrictions imposées à leur droit de tenir un rassemblement étaient nécessaires dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique ou de l’ordre public, ou pour protéger la santé ou la moralité publiques ou les droits et libertés d’autrui, comme prévu aux articles 19 (par. 3) et 21 du Pacte, et que, partant, les intéressés considèrent que les restrictions en question étaient illégales.

7.3Le Comité prend note des allégations des auteurs selon lesquelles leur droit à la liberté de réunion pacifique, garanti par l’article 21 du Pacte, a été violé du fait du refus par le Comité exécutif de Gomel de les autoriser à tenir un rassemblement pacifique. Il rappelle son observation générale no 37 (2020), dans laquelle il indique que les réunions pacifiques peuvent en principe être organisées en tout lieu accessible au public ou auquel le public devrait avoir accès, comme les places publiques et la voie publique. Les réunions pacifiques ne devraient pas être reléguées dans des endroits isolés où elles ne peuvent pas attirer l’attention de ceux à qui elles s’adressent ou du grand public. En règle générale, il ne peut être imposé d’interdictions générales d’organiser des rassemblements en tous lieux de la capitale, en tous lieux publics à l’exception d’un lieu unique en ville ou en dehors du centre‑ville, ou sur l’ensemble de la voie publique d’une ville. De plus, exiger des participants ou des organisateurs qu’ils assurent l’encadrement et le maintien de l’ordre et la fourniture de soins médicaux pendant les rassemblements pacifiques et le nettoyage du site après la réunion ou tous autres services publics connexes et qu’ils en assument les coûts n’est généralement pas compatible avec l’article 21.

7.4Le Comité rappelle aussi que le droit à la liberté de réunion pacifique, garanti par l’article 21 du Pacte, est un droit de l’homme fondamental, essentiel à l’expression publique des points de vue et opinions de chacun et indispensable à une société démocratique. L’article 21 du Pacte protège les réunions pacifiques, qu’elles se déroulent partiellement ou intégralement à l’extérieur, à l’intérieur ou en ligne, en public ou en privé. Ces réunions peuvent prendre de nombreuses formes, notamment celles de manifestations, protestations, rassemblements, défilés, sit-in, veillées à la bougie et mobilisations éclair. Elles sont protégées au titre de l’article 21, qu’elles soient statiques, comme les piquets, ou mobiles, comme les défilés et les marches. Les organisateurs d’un rassemblement ont, en principe, le droit de choisir un lieu à portée de vue et de voix du public cible, et l’exercice de ce droit ne peut faire l’objet que des seules restrictions : a) imposées conformément à la loi ; b) nécessaires dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l’ordre public ou pour protéger la santé ou la moralité publiques, ou les droits et libertés d’autrui. Lorsqu’il impose des restrictions au droit de réunion des particuliers afin de concilier ce droit avec l’intérêt général, l’État partie doit chercher à faciliter l’exercice de ce droit et non s’employer à le restreindre par des moyens qui ne sont ni nécessaires ni proportionnés. Il est donc tenu de justifier la limitation du droit garanti par l’article 21 du Pacte.

7.5En l’espèce, le Comité doit déterminer si les restrictions imposées au droit des auteurs à la liberté de réunion pacifique sont justifiées au regard de l’un quelconque des critères énoncés à l’article 21 du Pacte. Il ressort des éléments versés au dossier que la demande d’autorisation déposée par les auteurs en vue de la tenue d’un rassemblement a été rejetée parce que le lieu choisi n’était pas l’un de ceux qui étaient prévus à cet effet par les autorités municipales, mais la place de la Rébellion, dans le centre-ville, et parce que les auteurs n’avaient pas présenté les contrats conclus avec les prestataires de services municipaux respectivement chargés d’assurer une assistance médicale pendant la manifestation et le nettoyage des lieux après celle-ci. Dans ce contexte, le Comité constate que ni le Comité exécutif de Gomel ni les juridictions internes n’ont justifié leur décision ou expliqué en quoi, concrètement, la manifestation que les auteurs souhaitaient organiser aurait menacé les intérêts visés à l’article 21 du Pacte, à savoir la sécurité nationale ou la sûreté publique, l’ordre public, la santé ou la moralité publiques ou les droits et libertés d’autrui. L’État partie n’a pas non plus montré que d’autres mesures avaient été prises pour faciliter l’exercice des droits que les auteurs tiennent de l’article 21.

7.6Le Comité constate qu’il a déjà examiné des cas similaires, concernant les mêmes lois et pratiques de l’État partie, dans plusieurs communications. En l’absence d’explications supplémentaires de la part de l’État partie, le Comité conclut que celui-ci a violé les droits garantis aux auteurs par l’article 21 du Pacte.

7.7Le Comité prend également note des allégations des auteurs selon lesquelles leur droit à la liberté d’expression a été restreint illégalement, en ce qu’on leur a refusé l’autorisation de tenir un rassemblement pour exprimer publiquement leur soutien aux prisonniers politiques du Bélarus. Il doit donc déterminer si l’interdiction imposée aux auteurs par les autorités municipales constitue une violation de l’article 19 du Pacte.

7.8Le Comité rappelle son observation générale no 34 (2011), dans laquelle il a souligné, entre autres, que la liberté d’expression est essentielle pour toute société et constitue le fondement de toute société libre et démocratique. L’article 19 (par. 3) du Pacte autorise l’application de restrictions à la liberté d’expression, y compris à la liberté de répandre des informations et des idées, dans la seule mesure où ces restrictions sont fixées par la loi et sont nécessaires : a) au respect des droits ou de la réputation d’autrui ; ou b) à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques. Enfin, aucune restriction de la liberté d’expression ne doit avoir une portée trop large : elle doit constituer le moyen le moins perturbateur parmi ceux qui pourraient permettre d’obtenir le résultat recherché, et doit être proportionnée à l’intérêt protégé. Le Comité rappelle que c’est à l’État partie qu’il incombe de démontrer que les restrictions apportées aux droits que les auteurs tiennent de l’article 19 du Pacte étaient nécessaires et proportionnées.

7.9Le Comité fait observer que le fait de n’autoriser la tenue de rassemblements que dans certains lieux désignés à l’avance ne semble pas répondre aux critères de nécessité et de proportionnalité énoncés à l’article 19 du Pacte. Il relève qu’en l’espèce, ni l’État partie ni les juridictions nationales n’ont expliqué en quoi la restriction imposée était nécessaire en ce qu’elle servait un but légitime. Le Comité considère que, dans les circonstances de l’espèce, les restrictions imposées aux auteurs, bien que fondées sur le droit interne, n’étaient pas justifiées au regard de l’article 19 (par. 3) du Pacte. En l’absence de toute explication de la part de l’État partie, il conclut que les droits que les auteurs tiennent de l’article 19 du Pacte ont été violés.

8.Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie des droits que les auteurs tiennent des articles 19 et 21 du Pacte.

9.Conformément à l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer aux auteurs un recours utile. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, l’État partie est tenu, entre autres, d’accorder aux auteurs une indemnisation suffisante. Il est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas. À cet égard, le Comité fait observer que l’État partie devrait réviser son cadre normatif relatif aux manifestations publiques, conformément à l’obligation qui lui incombe au titre de l’article 2 (par. 2), afin de garantir la pleine jouissance des droits consacrés par les articles 19 et 21 du Pacte sur son territoire.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsque la réalité d’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles.