Nations Unies

CCPR/C/135/D/3200/2018-3207/2018

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

30 janvier 2023

Français

Original : anglais

Comité des droits de l ’ homme

Constatations adoptées par le Comité au titre du Protocole facultatif, concernant les communications nos 3200/2018, 3201/2018, 3202/2018, 3203/2018, 3204/2018, 3205/2018, 3206/2018 et 3207/2018 * , * *

Communications présentées par :

Mukhamadrasul Abdurasulov, Osmonali Otamirzaev, Bakhodir Zhalalov, Abdurashit Yangibaev, Muradil Abduvaitov, Islombek Atabekov, Ikhtier Khamdamov, Abdumomin Abduvaitov (représentés par un conseil, Utkirbek Dzhabborov)

Victimes présumées :

Les auteurs

État partie :

Kirghizistan

Date des communications :

10 mai 2018 (date des lettres initiales)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 9 juillet 2018 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

15 juillet 2022

Objet :

Torture et mauvais traitements infligés à l’ensemble des auteurs au cours des événements de juin 2010

Question(s) de procédure :

Non-épuisement des recours internes

Question(s) de fond :

Torture ; absence d’enquête ; détention arbitraire ; privation du droit à un procès équitable

Article(s) du Pacte :

2 (par.3), 7, 9 (par.1), 10 (par.1) et14 (par.1 et3 b), d), e) et g))

Article(s) du Protocole facultatif :

5 (par. 2 b))

1.1Les auteurs des huit communications, tous de nationalité kirghize, sont : Mukhamadrasul Abdurasulov, Osmonali Otamirzaev, Bakhodir Zhalalov, Abdurashit Yangibaev, Muradil Abduvaitov, Islombek Atabekov, Ikhtier Khamdamov et Abdumomin Abduvaitov. Ils affirment que l’État partie a violé les droits qu’ils tiennent de plusieurs articles du Pacte comme exposé ci-dessous. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 7 janvier 1995. Les auteurs sont représentés par un conseil.

1.2Le 15 juillet 2022, le Comité a décidé, en application de l’article 97 (par. 3) de son règlement intérieur, qu’afin de rendre une décision commune, il examinerait conjointement les communications nos 3200 à 3207/2018 présentées par le même conseil au nom de huit auteurs différents, compte tenu des fortes similarités que celles-ci présentaient sur le plan des faits et du droit.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Les auteurs affirment que, du 10 au 14 juin 2010, le sud du Kirghizistan a été le théâtre d’affrontements interethniques entre des groupes kirghizes et ouzbeks. Ces affrontements ont fait plus de 470 morts, essentiellement ouzbeks, et provoqué la destruction de biens, appartenant pour la plupart à des membres de la minorité ouzbèke. Plus d’un million d’habitants se sont enfuis en Ouzbékistan, et 300000 personnes ont été déplacées. L’état d’urgence, assorti d’un couvre-feu, a été imposé par les autorités kirghizes du 13 au 22 juin 2010. En 2013, leBureau du Procureur général du Kirghizistan a fait savoir que 5647 procédures pénales avaient été intentées à la suite des événements de juin 2010.

2.2Les procédures pénales intentées à la suite de ces événements ont été marquées par des allégations de violations des droits de l’homme, commises à l’égard de détenus et de mis en cause. L’une des affaires les plus marquantes, dans laquelle les accusés ont dit avoir été victimes de torture et de mauvais traitements, est l’affaire dite de SANPA. Selon les enquêteurs, entre le 12 et le 14 juin 2010, des membres de la minorité ouzbèke ont allumé un feu qui a rendu impraticable une route à proximité de l’usine de transformation de coton SANPA, située près de Suzak, un village du sud du pays. Les intéressés ont versé du gazole sur la route et l’ont enflammé, pour bloquer la circulation. Ils auraient ensuite abattu les conducteurs qui avaient dû immobiliser leur véhicule en raison du feu, ainsi que leurs passagers. Seize personnes ont trouvé la mort et neuf véhicules ont été incendiés. Le 14 juin 2010, Z. H., procureur du district de Suzak, a ouvert une enquête judiciaire sur ces faits et un groupe d’enquêteurs a été constitué.

2.3À différentes dates et dans différents lieux, les auteurs ont tous été détenus, torturés et jugés comme suite à ces faits. Ils affirment ce qui suit :

a)Le 28 juin, vers 10 heures du matin, Mukhamadrasul Abdurasulov se rendait sur son lieu de travail lorsque deux hommes en civil l’ont arrêté. Ils l’ont forcé à monter dans une voiture et l’ont conduit au poste de police du district de Suzak. Sur place, on l’a emmené dans l’un des bureaux situés au deuxième étage du bâtiment, où une dizaine de policiers ont commencé à le rouer de coups et l’ont forcé à se déshabiller entièrement. Il a également essuyé des insultes à caractère ethnique de la part de l’un des policiers. Un autre l’a forcé à porter un masque à gaz, bloquant l’arrivée d’air dans le masque. Tous les policiers l’ont sommé d’avouer qu’il avait participé aux émeutes de juin et aux meurtres qui avaient été commis dans le contexte de celles-ci. Sous la violence des coups, l’auteur a perdu connaissance plusieurs fois. Les policiers ont également éteint leurs cigarettes sur sa peau et l’ont torturé avec une batte en bois. Ne pouvant plus supporter les actes de torture qui lui étaient infligés, l’auteur a signé un document contenant des aveux, sans toutefois avoir pu le lire au préalable. Les policiers ont continué à le rouer de coups jusqu’au début de son procès, le 16 août 2010 ;

b)Osmonali Otamirzaev a été arrêté le 2 juillet 2010 sur son lieu de résidence. Son domicile a fait l’objet d’une perquisition et M. Otamirzaev a été conduit au commissariat par des policiers. Sur place, il a été roué de coups par huit policiers, qui entendaient lui faire avouer un meurtre. Quelque temps plus tard, on l’a emmené dans une autre salle, où on lui a demandé, une fois de plus, s’il avait commis des meurtres. Parce qu’il refusait de s’avouer coupable de meurtre et de signer des aveux, un policier a recommencé à le frapper, lui a mis un masque à gaz pour l’asphyxier et lui a enfilé un sac en plastique noir sur la tête pour l’empêcher de respirer. Ainsi roué de coups et torturé, l’auteur a fini par signer deux ou trois feuilles de papier vierges. Les policiers lui ont promis qu’il serait libéré le lendemain ou le surlendemain, mais en réalité ils ont continué à le torturer pendant plusieurs jours ;

c)Le 30 juillet 2010, deux policiers se sont présentés au domicile de Bakhodir Zhalalov, et ont conduit M. Zhalalov au poste de police. Sur place, ils l’ont interrogé au sujet d’un dénommé U. R. Au cours de l’interrogatoire, un proche de Bakhodir Zhalalov l’a contacté par téléphone pour l’informer que des policiers effectuaient une perquisition à son domicile. L’auteur a demandé, en vain, que la perquisition soit effectuée en sa présence. Il a été placé dans le quartier d’isolement temporaire du district de police de Suzak, où il n’avait ni à manger ni à boire, et n’avait pas accès aux toilettes ; sa cellule, qui n’était pas éclairée, n’était en outre pas équipée d’un lit. Craignant pour sa sécurité en tant qu’ancien policier lui-même, il a demandé à être placé dans une cellule à part, mais sa demande a été rejetée. Ses compagnons de cellule l’ayant menacé, il ne pouvait pas dormir. À la mi-août 2010, il a été conduit dans un bureau du commissariat, où on l’a menacé de lui faire subir des violences physiques pour le convaincre de signer des aveux. Il a rédigé une déclaration, mais a refusé de s’avouer coupable de quelque crime que ce fut. Il a commencé à être torturé le 2 ou le 3 septembre 2010. Deux policiers cagoulés sont entrés dans sa cellule et ont commencé à le rouer de coups. Les coups portés lui ayant notamment causé un hématome à l’œil gauche, il souffre, aujourd’hui encore, de troubles de la vision. Les policiers lui ont dit qu’ils le roueraient de coups tous les jours jusqu’à ce qu’il signe des aveux. Finalement, sous la menace physique et psychologique, l’auteur a accepté de s’exécuter ;

d)Le 17 juin 2010, alors qu’Abdurashit Yangibaev travaillait aux champs avec l’un de ses collègues, il a vu plusieurs policiers s’approcher de lui. Les policiers l’ont accusé d’espionnage et ont commencé à le rouer de coups. L’un d’eux a menacé de lui tirer dessus avec une mitraillette. Ils ont arrêté l’auteur sans explication et l’ont conduit au poste de police du district de Suzak. Sur place, ils l’ont frappé à la tête et sur le reste du corps et ont tenté de l’étouffer en lui enfilant un sac en plastique bleu sur la tête. L’auteur a été conduit dans une cour intérieure située dans l’enceinte du commissariat, où des policiers lui ont attaché les mains et les jambes, et l’ont aspergé d’un jet d’eau glaciale. Les policiers ont ensuite commencé à le rouer de coups, lui cassant sept dents. Ils l’ont sommé d’avouer sa participation aux faits commis dans le contexte des événements de SANPA. L’auteur leur a dit qu’au moment des faits, il ne faisait que son travail, et n’avait rien à voir avec le meurtre de qui que ce soit. Les policiers ont continué à le torturer et ont menacé d’arrêter ses trois fils, si bien que l’auteur a fini par signer tous les documents qu’on lui présentait. Le 22 juin 2010, l’auteur a été transféré au commissariat de Bozor-Korgon, où il a été roué de coups par des policiers. À l’aide d’une pince, ceux-ci l’ont torturé en lui arrachant l’ongle d’un doigt de sa main gauche. Le lendemain, l’auteur a été battu de nouveau, cette fois à coups de matraque sur la plante des pieds. Ses deux pieds ont noirci et l’auteur n’a pas pu marcher pendant au moins deux jours. Il n’a pas pu voir un médecin en dépit de sa demande en cesens ;

e)Muradil Abduvaitov, qui travaillait comme boucher, était sur son lieu de travail le 23 juin 2010, lorsque quatre membres des forces de sécurité lui ont demandé de les suivre au poste de police. Au départ, ces quatre agents ont dit à l’auteur qu’ils étaient des représentants des autorités fiscales et qu’ils voulaient procéder à une inspection de son entreprise. L’auteur a été conduit au département de la sécurité nationale de Zhalal-Abad, mais dans la voiture déjà, avant même d’arriver, les agents ont commencé à le frapper. L’auteur a compris qu’on l’accusait d’avoir participé aux événements tragiques qui s’étaient déroulés au début du mois. Au poste de police, l’auteur a en outre vu son frère, Abdumomin Abduvaitov. On lui a demandé où il se trouvait au cours des événements en question. Étant donné qu’il niait s’être trouvé sur les lieux des faits, des membres des services de sécurité lui ont fait visionner une vidéo où on le voyait passer dans sa voiture non loin de là, dans le village de Balta-Kazyk, près de la frontière entre l’Ouzbékistan et le Kirghizistan. Pendant plus de trois heures, les agents ont continué de le rouer de coups, notamment avec des bouteilles en plastique remplies d’eau. Incapable d’endurer davantage ces actes de torture, l’auteur a fini par signer tous les documents qu’on lui présentait. Ne sachant ni lire ni écrire, il n’a pas pu prendre connaissance du contenu des documents qu’il a signés. Plus tard le même jour, il a été conduit au commissariat du district de Suzak, où il a de nouveau été battu, cette fois par des policiers. Ceux-ci ont sommé l’auteur de témoigner pour dénoncer la participation de ses deux collègues aux événements de SANPA. Comme il s’y refusait, on l’a emmené dans une autre pièce, qui était appelée « salle des signatures » ou « salle de pression » et dans laquelle il a de nouveau été roué de coups. On lui a également injecté une substance inconnue. L’auteur a fini par signer des feuilles de papier vierges. De retour dans sa cellule, il a de nouveau été battu, alors même qu’il avait signé les feuilles vierges. On lui a dit qu’on le punissait d’avoir tué des Kirghizes de souche ;

f)Au moment de son arrestation, Islombek Atabekov avait 18 ans et travaillait comme mécanicien non loin du village de Suzak. Le 6 août 2010, il était sur son lieu de travail quand deux personnes en civil se sont présentées et l’ont interrogé au sujet de son père. Quelque temps plus tard, on l’a forcé à monter à bord d’une voiture et, une fois dans le véhicule, il a constaté que sa mère était là. Mère et fils ont été conduits au commissariat de Suzak et, sur place, ils ont été séparés. Dans l’un des bureaux, on a interrogé l’auteur et les policiers l’ont sommé de s’avouer coupable d’un meurtre. L’auteur s’y est refusé. On lui a ensuite demandé de signer une déclaration, ce qu’il a fait sans en lire la teneur, puisqu’il est analphabète. On l’a conduit dans une autre pièce, où il a été battu pendant environ deux heures. On l’a frappé à la plante des pieds avec des matraques. Par la suite, plusieurs autres policiers ont rejoint ceux qui étaient en train de le rouer de coups, et les sévices se sont poursuivis pendant deux jours. Pendant cette période, l’auteur a été asphyxié par les policiers, qui lui enfilaient un masque à gaz et bloquaient l’arrivée d’air. Le 8 août 2010, il a été interrogé et, cette fois, l’interrogatoire a été consigné au registre. Comme il refusait de signer des feuilles de papier vierges, il a été une nouvelle fois battu. Le jour même, l’auteur a été conduit dans un des bureaux du commissariat, où il a vu sa mère. Les policiers ont demandé à celle-ci d’appeler le père de l’auteur et, lorsque celui-ci a répondu, un policier lui a demandé de se présenter au poste de police, moyennant quoi son fils serait libéré. Les policiers ont demandé à la mère de l’auteur d’apporter 1 000 dollars des États-Unis pour obtenir la libération de son fils. La mère de l’auteur a porté plainte auprès du bureau du procureur pour dénoncer l’extorsion dont elle était victime de la part des forces de l’ordre, mais sa plainte est restée lettre morte ;

g)Au moment des faits, Ikhtier Khamdamov était un jeune homme de 19 ans sans emploi, qui avait une maîtrise limitée de la lecture et de l’écriture. Le 7 juillet 2010, il allait voir son père lorsqu’il a été interpellé par quatre agents de la police régionale de Zhalal‑Abad. Sur place, on l’a conduit dans un bureau du deuxième étage. Huit ou neuf agents l’ont sommé de rédiger une lettre expliquant où il se trouvait au cours des événements de SANPA. L’auteur a commencé à écrire qu’il se trouvait chez lui et n’avait rien à voir avec le meurtre de qui que ce soit. Voyant qu’il n’avouerait pas ses crimes, les policiers se sont mis en colère et ont commencé à le rouer de coups. Ils l’ont frappé à la plante des pieds avec des matraques et ont utilisé des masques à gaz pour l’asphyxier. L’auteur, malgré ses blessures, ne pouvait pas demander à voir un médecin. Deux jours durant, il est resté menotté à une chaise dans l’un des bureaux ; il n’avait ni à boire ni à manger et n’était pas autorisé à aller aux toilettes. Plusieurs fois au cours de ces deux jours, des policiers sont entrés dans la pièce et l’ont roué de coups. Rien de tout cela ne s’est déroulé en présence d’un avocat. Le troisième jour, l’auteur a finalement cédé à la torture et signé une déclaration attestant qu’il avait participé aux événements de SANPA ;

h)Abdumomin Abduvaitov a été arrêté le 23 juin 2010 alors qu’il plantait du riz dans une rizière du village de Suzak. Il a été conduit au poste de police de Suzak par un groupe de trois personnes ; il a pu voir qu’il s’agissait de membres des services de sécurité nationale. Lorsqu’il est entré dans le poste de police, l’auteur a aperçu son jeune frère,Muradil Abduvaitov, qu’il a par la suite entendu hurler tandis qu’on le torturait. Au poste, plusieurs policiers ont commencé à le rouer de coups, lui aussi, et l’ont sommé d’avouer qu’il avait participé aux événements tragiques qui s’étaient déroulés plus tôt dans l’année. On l’a emmené dans un autre bureau, où un agent de la sécurité nationale a commencé à le frapper alors qu’il avait les mains liées avec un morceau de tissu. D’autres agents se sont joints au premier, et les sévices se sont poursuivis ainsi pendant cinq heures. Les agents ont demandé à l’auteur où il se trouvait du 11 au 17 juinetlui ontdit qu’ils détenaient une bande vidéo compromettante pour lui, mais ne la lui ont jamais montrée. Ils ont continué à rouer l’auteur de coups jusqu’à ce que celui-ci signe des aveux. Les aveux en question avaient été rédigés par des policiers, qui ont demandé à l’auteur de signer au bas de la page, sans lire ce qui était écrit. Une fois dans sa cellule, l’auteur a une nouvelle fois été battu. Les policiers qui le torturaient lui ont expliqué que, cette fois-ci, ils le frappaient pour le punir d’avoir tué des Kirghizes de souche.

2.4L’arrestation et le placement en détention des auteurs n’ont pas été consignés, les policiers ayant profité de cette période pour les torturer. Deux ou trois jours après leur arrestation, les auteurs ont été déférés devant un juge, sans avoir été prévenus qu’ils comparaissaient à l’audience préliminaire. Les avocats des auteurs, qui n’étaient pas présents à l’audience préliminaire, leur ont demandé de reconnaître qu’ils avaient commis tous les crimes dont on les accusait. Les auteurs se sont plaints auprès des juges d’être torturés, mais le Président du tribunal n’a pas répondu et a ordonné la mise en détention de tous les auteurs dans l’attente de leur procès.

2.5En détention, les auteurs ont souffert du manque d’espace, d’air frais et de lumière naturelle, entre autres. Ils étaient détenus dans une cellule d’à peine sept mètres carrés environ, qui accueillait 8 à 12 détenus à la fois ; les toilettes n’étaient pas séparées du reste de la cellule. Dans de telles conditions, il leur était impossible de préparer correctement leur défense, puisqu’ils n’avaient pas de place, pas de bureau et pas de lumière. Tout au long de leur détention, les auteurs, qui étaient constamment qualifiés de tueurs de Kirghizes, se sentaient menacés. Plusieurs organisations, notamment l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), ont fait état des conditions déplorables dans lesquelles ils étaient détenus dans un rapport de 2011. Les quartiers d’isolement temporaire, qui ne doivent accueillir des détenus que pour des périodes brèves de quelques heures avant que ceux-ci soient transférés dans des centres de détention provisoire, ont au contraire servi à accueillir des détenus pendant plusieurs mois. Lorsque les auteurs étaient transférés d’un quartier d’isolement à un autre, les autres détenus leur « souhaitaient la bienvenue » en les rouant de coups. Les auteurs ont demandé à voir un médecin, mais leurs demandes ont été ignorées.

2.6Les auteurs ont été inculpés sur le fondement de plusieurs articles du Code pénal pour : port, acquisition illégale, vente, stockage ou transport d’armes à feu (art.241) ; homicide dans le contexte de faits de violence, mise en danger de la vie d’autrui motivée par la haine ethnique ou raciale (art.97) ; vol, appropriation des biens d’autrui par la violence, en bande organisée, avec usage d’armes, et organisation d’émeutes et participation à celles‑ci (art.168, 174 et 233).

2.7Au cours du procès, tous les auteurs ont déclaré au Président du tribunal qu’on les avait torturés pour les faire avouer, qu’ils avaient signé des déclarations rédigées à l’avance ou des feuilles de papier vierges et, pour certains, qu’ils ne savaient pas lire ni écrire. Le Président du tribunal n’a pas retenu ces plaintes et le procureur n’a pas pris les mesures voulues pour qu’elles donnent lieu à une enquête. Le procès lui-même a été entaché de graves vices de procédure. Les représentants et les proches des victimes, qui y assistaient, interrompaient régulièrement les audiences en criant, et notamment en proférant des menaces contre les auteurs. Les avocats des auteurs, qui ne faisaient que leur travail, étaient eux aussi menacés d’atteintes à leur intégrité physique et de mort. À une occasion, au cours d’une pause, des altercations physiques ont eu lieu entre les avocats de la défense et les proches des victimes : un proche des victimes a attaqué l’un des avocats de la défense avec un objet métallique et l’audience a dû être reportée.

2.8Le 30 septembre 2010, à la suite des faits de violence commis dans le prétoire, les avocats de la défense ont porté plainte auprès du tribunal régional de Zhalal-Abad, qui leur a assuré que les audiences à venir se dérouleraient dans des conditions plus sûres. Or, rien n’a été fait et, en décembre 2010, l’un des avocats de la défense, N. U. R., a été agressé et roué de coups par les représentants d’une des victimes. Par ailleurs, les proches des victimes n’ont pas cessé de menacer les avocats de la défense de les tuer s’ils continuaient de représenter les accusés.

2.9En outre, pendant les pauses prises entre les audiences, des agents de la force publique ont continué de frapper et de torturer les auteurs pour les forcer à avouer devant le juge. Le 30 septembre 2010, à l’issue de la première audience, les accusés ont été conduits au commissariat de Suzak ; sur place, le commissaire a appelé un dénommé Shakir. Shakir, qui serait le chef d’une force d’intervention spéciale anti-émeutes, a ordonné à plusieurs policiers de rouer de coups tous les auteurs. Les coups ont continué de pleuvoir pendant une heure. Les policiers qui ont torturé les accusés les ont sommés de faire des aveux devant le tribunal et leur ont dit qu’ils seraient condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité, qu’ils avouent ou non.

2.10Le Président du tribunal a interdit aux familles des auteurs d’assister au procès, expliquant qu’il ne pouvait « assurer leur sécurité » et que le prétoire n’était pas assez grand pour les accueillir. Avec le consentement tacite des membres des forces de l’ordre, des représentants des victimes ont attaqué et agressé en toute impunité les proches des auteurs dans l’enceinte du tribunal de district de Nooken. Pendant le procès, ils interrompaient les auteurs et ne laissaient pas les avocats de la défense poser des questions ni présenter des preuves. Le Président du tribunal n’a rien fait pour empêcher cela. Plusieurs proches des auteurs ont été grièvement blessés et ont dû être hospitalisés.

2.11Ce scénario de violence, d’intimidation et de menaces s’est répété au cours des audiences d’appel. Les rares témoins autorisés à déposer étaient interrompus par les proches des victimes qui hurlaient, faisaient preuve d’agressivité à leur égard et s’en prenaient à eux dans la salle d’audience, si bien que le Président du tribunal était contraint d’interrompre les audiences. Après chaque audience, les accusés étaient reconduits dans un quartier d’isolement temporaire et, en chemin, ils étaient roués de coups par les gardes et les membres des forces d’intervention spéciale anti-émeutes.

2.12Le 12 octobre 2010, deux inconnus se sont présentés dans les bureaux de l’organisation non gouvernementale « Justice », qui représentait plusieurs des accusés et leur famille. Ces personnes, qui ont dit être des proches des victimes, ont intimé aux avocats de rester « discrets et silencieux » au cours des audiences, faute de quoi chacun d’eux aurait à assumer les conséquences de son comportement. Ils ont demandé aux avocats pourquoi ils défendaient des meurtriers et ont exigé qu’on leur remette une liste de tous les employés et cadres de l’organisation et qu’on leur communique le nom complet de chacun d’entre eux. Juste avant l’audience du 14 octobre 2010, les avocats ont reçu des menaces liées à leur rôle dans le procès. Ils ont signalé ces faits au bureau du procureur et adressé une plainte à la Rapporteuse spéciale sur la situation des défenseurs et défenseuses des droits humains. Le procureur du district de Zhalal-Abad a assuré aux avocats que ces faits ne se reproduiraient pas. Les proches des victimes ont toutefois continué de menacer les avocats et de les empêcher de faire leur travail. Le 15 octobre 2010, à l’occasion d’une conférence de presse tenue dans la ville d’Och, les avocats de la défense ont annoncé que, si l’on n’assurait pas leur protection et celle de leurs proches, ils ne participeraient plus aux audiences. Ils ont également déclaré qu’ils ne pouvaient pas assumer leur responsabilité d’avocats de la défense en raison des « pressions constantes exercées par les victimes et les personnes qui les soutenaient ».

2.13Au cours du procès, lorsque les auteurs demandaient à faire des déclarations, le juge rejetait leur demande sans explication ; les proches des auteurs et autres témoins cités par la défense n’ont pas été interrogés et le tribunal a fait abstraction des incohérences relevées dans les dépositions des témoins à charge. Les témoins à charge ont déclaré, par exemple, qu’ils se souvenaient du nom des accusés, mais ils étaient incapables de décrire les vêtements que ceux-ci portaient ni aucun autre élément permettant d’identifier les agresseurs présumés. Quant aux témoins de la défense, ils avaient trop peur pour témoigner et comme les avocats des auteurs craignaient pour leur sécurité, ils n’ont pas pu poser les questions voulues.

2.14Le 23 novembre 2010, les auteurs ont été reconnus coupables des faits qui leur étaient reprochés et condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité, assortie de la confiscation de leurs biens. Le 9 mars 2011, le tribunal régional de Zhalal-Abad a rejeté toutes les demandes tendant à ce que de nouveaux témoins soient entendus dans le cadre de la procédure d’appel et a confirmé la décision rendue en première instance. Il convient de souligner que l’arrêt du tribunal régional est la copie conforme de la déclaration de culpabilité et de la condamnation initialement prononcées. Le 21 juin 2011, la Cour suprême du Kirghizistan a à son tour confirmé la décision rendue par la juridiction inférieure, la reprenant également mot pour mot. Par exemple, le fait que les auteurs aient été inculpés plusieurs fois d’infraction à l’article 97 du Code pénal est une erreur qui a été répétée dans la décision du tribunal régional et dans celle de la Cour suprême.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs affirment que l’État partie a violé les droits qui leur sont reconnus par l’article 7 du Pacte en leur faisant subir des actes de torture pour leur arracher des aveux pour des crimes qu’ils n’avaient pas commis. Ils ont notamment été roués de coups et étouffés, et ont été victimes d’autres formes de torture physique et psychologique. Cinq des huit auteurs ont en outre produit des certificats médicaux, signé par T. K. Asanov, expert en psychiatrie médico-légale. L’expert a conclu que ses constatations corroboraient les dires des auteurs concernant les actes de torture qu’ils auraient subis.

3.2En outre, les auteurs affirment que l’État partie n’a pas fait en sorte que ces allégations de torture donnent lieu à une enquête impartiale et efficace, comme le demande le Comité dans sa jurisprudence. Bien que les auteurs se soient plaints au cours des audiences et aient demandé au bureau du procureur d’ouvrir une enquête, l’État partie n’a pris aucune mesure en ce sens, en violation des droits que les auteurs tiennent de l’article 2 (par. 3) du Pacte, lu conjointement avec l’article 7.

3.3L’État partie a en outre violé les droits qui sont reconnus aux auteurs par l’article 9 (par. 1) du Pacte. Selon les auteurs, leur arrestation et leur placement en détention n’ont pas été officialisés ni enregistrés pendant plusieurs heures ou plusieurs jours, et ce, en dépit des dispositions de l’article 95 du Code de procédure pénale, qui prévoit que le placement en détention doit être enregistré dans un délai de trois heures. Ils affirment que tout cela a été fait pour donner le temps aux policiers de les torturer. Au cours de l’audience de placement en détention, le tribunal n’a jamais envisagé de solution de substitution à la détention. De plus, au cours de ces audiences, les auteurs étaient représentés par des avocats fantoches, désignés par les autorités publiques, qui n’ont fait valoir aucun argument pour défendre leurs clients.

3.4Les conditions de détention des auteurs ont porté atteinte aux droits reconnus à ceux‑ci par l’article 10 (par. 1) du Pacte. Ils disent avoir été maintenus en détention pendant plusieurs mois, au cours desquels ils n’ont pas bénéficié d’une prise en charge médicale digne de ce nom. Leurs cellules n’étaient pas suffisamment éclairées ni aérées. En violation du Pacte, les auteurs devaient partager leurs cellules avec d’autres personnes, qui avaient déjà fait l’objet d’une condamnation. Ils étaient détenus dans des lieux d’isolement temporaire censés accueillir des détenus pour quelques heures seulement, et non des mois durant. Dans les cellules, les conditions d’hygiène étaient médiocres, les toilettes n’étant pas séparées de l’espace de vie. Toutes les cellules étaient surpeuplées.

3.5L’État partie a en outre violé le droit des auteurs à ce que leur cause soit entendue équitablement et publiquement. Les familles et les avocats des accusés ont été menacés par des représentants des victimes et les autorités n’ont pas pu assurer des conditions de sécurité de nature à permettre aux avocats des auteurs de faire comparaître des témoins, de les interroger, d’exprimer clairement leur position, de contester celle du procureur et de consulter les auteurs, en violation des droits qui sont reconnus à ceux-ci par l’article 14 (par. 1). Le procès s’est tenu à huis clos, et notamment en l’absence des familles des auteurs, bien que le tribunal n’ait pas officiellement statué en ce sens. Les audiences étaient entachées de partialité, puisque la défense n’était pas en mesure d’exercer les mêmes droits que l’accusation. Enfin, les auteurs n’ont pas été jugés équitablement, toujours en raison des menaces proférées contre eux et à l’égard de leurs avocats et de leurs familles, et des agressions dont ils ont été victimes.

3.6En outre, les auteurs n’ont pas disposé du temps ni des facilités nécessaires à la préparation de leur défense. On a fait pression sur eux pour les obliger à signer des feuilles de papier vierges, sur lesquelles seraient ensuite rédigés des aveux et une mention attestant qu’ils avaient signé après avoir pris connaissance de la teneur du document. En outre, les intéressés n’ont pas eu suffisamment le temps ni la possibilité de s’entretenir avec leurs avocats. En plus d’être victimes d’agressions, les avocats privés engagés par les auteurs étaient menacés et n’étaient pas autorisés à communiquer librement avec leurs clients, et ce, tant pendant l’instruction qu’au cours du procès, en violation des droits reconnus aux auteurs par l’article 14 (par. 3 b) et d)) du Pacte.

3.7Les aveux des auteurs, obtenus par la torture, ont été retenus contre eux pour démontrer leur culpabilité, en violation de l’article 14 (par. 3 g)) du Pacte. En raison des actes de torture physique et psychologique dont ils avaient été victimes, des menaces proférées contre leurs familles et leurs proches, et des menaces et des coups reçus de la part de policiers et de codétenus, les auteurs affirment qu’ils étaient prêts à signer tous les documents que les enquêteurs leur présentaient.

3.8En outre, les auteurs n’ont pas pu faire entendre de témoins, en violation des droits qui leur sont reconnus par l’article 14 (par. 3 e)) du Pacte. Conscients que ce droit est limité, les auteurs affirment toutefois que le tribunal a refusé d’appeler à comparaître des personnes dont le témoignage aurait permis de démontrer leur innocence. Les autorités ont également prétendu que les témoins en question ne pouvaient pas être entendus parce qu’ils avaient été menacés et que l’on ne pouvait assurer leur sécurité.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 28 décembre 2018, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et le fond des communications. Il affirme que, les 12 et 13 juin 2010, à proximité de l’usine de transformation de coton SANPA, dans le village de Suzak, un groupe d’individus d’origine ouzbèke a bloqué la circulation sur un tronçon de l’autoroute qui relie Bichkek à Och. Ces individus avaient en leur possession des armes à feu, des substances explosives dans des bouteilles de verre, des bâtons de bois et des objets métalliques. Ils ont incendié et détruit 11 véhicules et, ce faisant, abattu les conducteurs et les passagers qui se trouvaient à leurbord.

4.2Les corps non identifiés de cinq hommes et de deux femmes ont été conduits à la morgue de l’hôpital régional de Zhalal-Abad. Le 14 juin 2010, la police du district de Suzak a ouvert une enquête pénale sur ces faits. Le 15 juin 2010, un autre corps a été retrouvé : celui de Z. T. O., tué par balle ; sa voiture carbonisée a également été retrouvée à proximité. Le même jour, le corps d’A. B. Y., également tué par balle, a été retrouvé près du village de Suzak.

4.3Le 15 juin 2010, la police a arrêté l’un des auteurs, Abdurashit Yangibaev, à proximité de l’usine SANPA. L’homme avait en sa possession un couteau et des cartouches d’arme à feu. Les policiers l’ont arrêté en application du Code de procédure pénale, pour vérifier s’il était impliqué dans les faits de meurtre et de dégradation commis près de l’usine SANPA. L’auteur a ensuite été inculpé de ces infractions et placé en détention provisoire.

4.4Plus tard au cours de l’enquête, la police a identifié les complices d’Abdurashit Yangibaev, notamment Mukhamadrasul Abdurasulov, Osmonali Otamirzaev, Bakhodir Zhalalov, Muradil Abduvaitov, Islombek Atabekov, Ikhtier Khamdamov et Abdumomin Abduvaitov. Tous ont été placés en détention provisoire et, le 16 août 2010, l’affaire a été renvoyée devant le tribunal de district de Suzak et, à l’issue du procès, tous les auteurs ont été reconnus coupables et condamnés à une peine de réclusion criminelle à perpétuité, assortie de la confiscation de leurs biens. Le tribunal régional de Zhalal-Abad, puis la Cour suprême du Kirghizistan ont par la suite confirmé les déclarations de culpabilité et les condamnations prononcées contre eux.

4.5La culpabilité des auteurs a été établie par les autorités, qui ont examiné les lieux des faits, les véhicules détruits et les corps des victimes. Les autorités ont en outre interrogé 21 victimes et 3 de leurs représentants. Elles ont également interrogé 18 témoins, pratiqué des examens médico-légaux et médicaux, et effectué des analyses chimiques et biologiques.

4.6Cinq des auteurs − Islombek Atabekov, Osmonali Otamirzaev, Muradil Abduvaitov, Abdurashit Yangibaev et Mukhamadrasul Abdurasulov − ont déposé des plaintes pour dénoncer l’emploi, à leur égard, de «méthodes d’enquête non autorisées» par les policiers du district de Suzak. Le bureau du procureur a examiné ces plaintes et décidé, le 14 février 2014, de les classer sans suite, faute d’éléments matériels. La légalité du classement sans suite a été établie par décision de justice le 23 mai 2014, et confirmée en appel par le tribunal régional de Zhalal-Abad le 5 août 2014, puis en cassation par la Cour suprême, le 13 janvier 2015.

4.7Une plainte analogue a été déposée par Abdumomin Abduvaitov par l’intermédiaire de son avocat, O. Z. H. Le 17 avril 2017, le bureau du procureur du district de Suzak a également décidé de classer cette plainte sans suite ; sa décision a été confirmée par le tribunal de district de Suzak le 6 avril 2015, le tribunal régional de Zhalal-Abad le 22 mai 2015, puis la Cour suprême le 8 septembre 2015. Le bureau du procureur a également refusé d’enquêter sur les allégations de Bakhodir Zhalalov, décision qui a, elle aussi, été confirmée par la justice, en dernier ressort par la Cour suprême, le 17 janvier 2017.

4.8Les auteurs n’ont toutefois pas introduit de demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle devant la Cour suprême, comme ils pouvaient le faire en vertu de l’article 384 du Code de procédure pénale. Selon les dispositions de cet article, ils avaient le droit de contester les déclarations de culpabilité et les condamnations prononcées, pour différents motifs, et notamment s’ils estimaient que des preuves avaient été recueillies en violation des règles de procédure, que les enquêteurs, les procureurs ou les juges avaient illégalement agi ou omis d’agir, et que certains éléments permettraient de démontrer leur innocence. Ces demandes n’ayant pas été introduites, les plaintes déposées par les auteurs auprès du Comité devraient être jugées irrecevables.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1Dans leurs observations du 19 novembre 2019, les auteurs font valoir que l’État partie n’a pas répondu à leurs allégations. L’État partie décrit le moment où l’un des auteurs, Abdurashit Yangibaev,a été arrêté, affirmant que cette arrestation a eu lieu le 17 juin 2010. Dans la lettre initiale qu’il a adressée au Comité, l’auteur a toutefois dit avoir été arrêté le 15 juin 2010. Cela confirme que l’État partie a violé les droits que l’auteur tient de l’article 9 du Pacte. L’État partie affirme en outre qu’à la même date, le 17 juin 2010,l’auteur a été inculpé de plusieurs infractions. Le 19 juin 2010, le tribunal de district de Suzak a décidé d’ordonner la mise en détention provisoire de l’auteur. Cela confirme que l’auteur avait été arbitrairement détenu pendant quarante-huit heures avant d’être officiellement inculpé, et qu’il avait été placé en détention quatre-vingt-seize heures avant qu’un juge ordonne officiellement sa mise en détention, ce qui constitue une violation directe de l’article 110 (par.2) du Code de procédure pénale en vigueur à l’époque. Tout cela atteste, une nouvelle fois, une violation des droits que l’auteur tient de l’article 9 (par.1) du Pacte. Pour ce qui concerne les autres auteurs, l’État partie ne présente aucune observation concernant leur détention illégale.

5.2Les auteurs font également valoir qu’ils ne demandent pas au Comité de réexaminer les éléments de fait et de preuve, ni d’établir leur innocence. Ce qu’ils demandent au Comité, c’est avant tout de constater que les autorités de l’État partie ne les ont pas protégés contre la torture et n’ont pas enquêté efficacement sur leurs allégations de torture. Ils font valoir que, lorsque des allégations de torture ne donnent pas lieu à une enquête pénale, la vérification préliminaire (proverka) ne saurait être considérée comme efficace, ce qu’atteste la jurisprudence du Comité dans plusieurs affaires, notamment dans les affaires Akhadov c .  Kirghizistan et Ernazarov c .  Kirghizistan. L’État partie doit prendre toutes les mesures voulues pour interroger les témoins, demander les documents médicaux utiles et prendre les autres dispositions pertinentes. Toute lacune, notamment tout manque de minutie, observée dans la conduite d’une enquête, risque de compromettre les chances d’identifier les auteurs d’actes de torture.

5.3En outre, le Comité a une jurisprudence constante concernant les événements survenus dans le sud du pays en juin 2010. Dans l’affaire Ashirov c .  Kirghizistan, il a déclaré ce qui suit : « Quant à l’obligation qu’a l’État partie de faire procéder à une enquête en bonne et due forme sur les allégations de torture formulées par l’auteur, le Comité renvoie à sa jurisprudence, dont il ressort qu’une enquête pénale suivie de poursuites est indispensable pour remédier aux violations de droits de l’homme tels que ceux qui sont protégés par l’article 7 du Pacte ».

5.4S’agissant de l’argument de l’État partie selon lequel les auteurs n’ont pas introduit de demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle, les auteurs font valoir que, d’après la jurisprudence constante du Comité, ils ne sont pas tenus d’épuiser des recours internes n’ayant aucune chance d’aboutir. Dans le cadre de la procédure de contrôle juridictionnel, la présence de l’accusé n’est pas garantie. Dans l’affaire Askarov c .  Kirghizistan, par exemple, la Cour suprême a rejeté la demande de M. Askarov tendant à ce qu’il assiste aux audiences. En outre, l’instance chargée du réexamen au titre de la procédure de contrôle n’examine pas de nouveaux éléments de preuve ; elle se borne à déterminer si les dispositions législatives pertinentes ont été dûment appliquées. Dans l’affaire Berdzenishvili c .  Fédération de Russie, la Cour européenne des droits de l’homme a adopté une approche semblable à celle du Comité, estimant que la procédure de contrôle juridictionnel n’était pas un recours qui devait être épuisé aux fins de la recevabilité.

5.5L’État partie ne répond pas de façon précise aux allégations de torture formulées par les auteurs. Dans ses observations, il ne nie pas que le procès ait été inéquitable, qu’au cours du procès les auteurs aient été torturés, ni que le juge n’ait pas pu assurer la sécurité des accusés, de leurs avocats et de leurs familles. Il ne nie pas davantage les menaces de violence proférées et les actes de violence commis tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du prétoire. En raison de tout cela, les auteurs n’ont pas pu faire entendre des témoins et n’ont pas disposé du temps ni des facilités nécessaires pour préparer leur procès ; de leur côté, les membres des forces de l’ordre feignaient de ne pas voir ces violations et ne faisaient rien pour les empêcher.

5.6Dans son observation générale no 32 (2007), le Comité a déclaré ce qui suit : « L’équité des procédures implique l’absence de toute influence, pression, intimidation ou ingérence, directe ou indirecte, de qui que ce soit et pour quelque motif que ce soit. Un procès n’est pas équitable si, par exemple, le tribunal ne contrôle pas les manifestations d’hostilité du public à l’égard de l’accusé dans la salle d’audience ou de soutien à l’une des parties qui portent atteinte aux droits de la défense ou d’autres manifestations d’hostilité avec des effets similaires ». En l’affaire Gridin c .  Fédération de Russie, le Comité a estimé qu’il y avait eu violation de l’article 14 (par. 1) du Pacte dans la mesure où le tribunal de première instance n’avait pas contenu l’hostilité du public dans la salle d’audience, ce qui avait empêché l’avocat de la défense de contre-interroger efficacement les témoins.

5.7Les auteurs font observer que l’État partie n’a pas répondu à leurs autres allégations. Ils réaffirment leur position, exposée dans leurs lettres initiales ; ils demandent au Comité de conclure que tous les articles du Pacte qu’ils ont cités ont été violés et de prier l’État partie de leur assurer un recours utile, y compris la pleine indemnisation des préjudices causés par les violations qu’ils ont subies ; de prendre des mesures pour les faire libérer ; de faire annuler les déclarations de culpabilité et les condamnations prononcées contre eux et, si besoin, de les juger de nouveau en veillant au plein respect du droit à un procès équitable, notamment du droit à la présomption d’innocence et des autres garanties de procédure. Les auteurs demandent également qu’une enquête impartiale soit menée dans les meilleurs délais sur leurs allégations de torture et qu’une juste indemnisation leur soit versée, notamment que les amendes, les dépens et autres frais de justice leur soient remboursés.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si celui‑ci est recevable au regard du Protocole facultatif.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité note que l’État partie conteste la recevabilité des communications pour non-épuisement des voies de recours internes. Sur ce point, l’État partie a fait observer que les auteurs n’avaient pas saisi la Cour suprême au titre de la procédure de contrôle prévue à l’article 384 du Code de procédure pénale. Le Comité rappelle sa jurisprudence, selon laquelle les demandes de contrôle de décisions judiciaires devenues exécutoires adressées au président d’un tribunal et subordonnées au pouvoir discrétionnaire du juge constituent un recours extraordinaire, et l’État partie doit montrer qu’il existe des chances raisonnables que ces demandes constituent un recours utile dans les circonstances de l’espèce. Il fait observer qu’en l’espèce, l’État partie n’a pas communiqué d’informations sur le nombre de cas dans lesquels la saisine de la Cour suprême au titre de la procédure de contrôle avait abouti dans des affaires d’allégations de torture et de mauvais traitements. En conséquence, le Comité considère qu’il n’est pas empêché par l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif d’examiner les présentes communications.

6.4Le Comité prend note des griefs soulevés par les auteurs au titre de l’article 14 (par. 1) du Pacte, qui concernent l’impartialité et l’équité de la procédure judiciaire intentée contre eux. Cependant, en l’absence de toute autre information pertinente dans le dossier, le Comité estime que les auteurs n’ont pas suffisamment étayé ces allégations aux fins de la recevabilité. Il déclare donc cette partie des communications irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.5Le Comité estime que les griefs soulevés par les auteurs au titre de l’article 7 du Pacte, lu seul et conjointement avec l’article 2 (par. 3) et les articles 9 (par. 1), 10 (par. 1), 14 (par. 1) (hormis les dispositions concernant l’impartialité et l’équité des procès) et 14 (par. 3 b), d), e) et g)), ont été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité, et passe par conséquent à leur examen au fond.

Examen au fond

7.1Conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2Le Comité prend note des griefs des auteurs, qui affirment avoir été battus, asphyxiés, torturés et forcés d’avouer des crimes qu’ils n’avaient pas commis, et qui précisent que ces aveux ont été retenus contre eux, en violation des droits qui leur sont reconnus par l’article 7 du Pacte, lu seul et conjointement avec l’article 2 (par. 3) et l’article 14 (par. 3 g)). Il prend note également des arguments des auteurs selon lesquels, à différentes dates, ceux-ci ont été conduits dans des commissariats où des policiers, des gardes et d’autres détenus les ont, à tour de rôle, roués de coups et asphyxiés avec des sacs en plastique et des masques à gaz. Les auteurs étaient privés de nourriture, d’eau et de soins médicaux et n’avaient pas le droit d’aller aux toilettes. Le Comité note que les auteurs disent n’avoir pas cessé d’être torturés même après avoir signé des aveux, dans lesquels ils reconnaissaient avoir participé aux meurtres et, dans certains cas, toujours sous la torture, dénonçaient d’autres personnes comme complices. Les coups ont au contraire continué de pleuvoir, l’intention étant de les punir d’avoir tué des Kirghizes de souche, ainsi qu’on le leur a expliqué. Le Comité note également que les auteurs ont déposé de nombreuses plaintes auprès du bureau du procureur, de la police et du Président du tribunal de première instance, mais que toutes ces plaintes sont restées lettre morte ou ont été rejetées. Il constate que les autorités de l’État partie n’ont jamais ouvert d’enquête pénale en bonne et due forme sur les multiples allégations de torture formulées par les auteurs, et ce, en dépit des descriptions détaillées faites par ceux-ci, et se sont au contraire bornées à procéder à une vérification préliminaire (proverka ) (voir par. 5.2 ci-dessus).

7.3Le Comité prend note, d’autre part, des observations succinctes que lui a adressées l’État partie, dans lesquelles celui-ci affirme que les allégations de torture ont donné lieu à une vérification préliminaire, que les victimes, leurs représentants et des témoins ont été interrogés et que le bureau du procureur a classé les plaintes sans suite faute d’éléments matériels, décision qui a été confirmée par tous les degrés de juridiction, y compris la Cour suprême (par. 4.6 et 4.7 ci-dessus). Il note que, selon l’État partie, la culpabilité des auteurs a été établie au moyen d’éléments de preuve, notamment de rapports médico-légaux, qui ont été examinés par le tribunal. Il observe que l’État partie n’a pas produit d’exemplaire de ces rapports, ni des conclusions qui y figurent, pour aucun des auteurs.

7.4S’appuyant sur sa jurisprudence constante, le Comité rappelle que l’ouverture d’une enquête pénale et l’engagement de poursuites sont des mesures nécessaires en cas de violation des droits de l’homme, tels que ceux protégés par l’article 7 du Pacte. Bien que l’obligation de traduire en justice les responsables de violations de l’article 7 soit une obligation de moyens et non une obligation de résultats, les États parties doivent enquêter de bonne foi, sans délai et de manière approfondie, sur toutes allégations de violations graves du Pacte formulées contre eux et contre leurs représentants. Sur ce point, le Comité note que les autorités de l’État partie n’ont pas fait en sorte que les auteurs soient examinés par un médecin à la suite du dépôt de leurs plaintes pour torture, et que cinq des auteurs (tous sauf Abdumomin et Muradil Abduvaitov, et Bakhodir Zhalalov) ont produit un rapport établi par un expert psychiatre indépendant, qui a conclu que ses constatations concordaient avec les allégations de torture formulées par les auteurs.

7.5Le Comité rappelle également que la charge de la preuve concernant les questions factuelles ne saurait incomber uniquement aux auteurs de la communication, d’autant plus que ceux-ci et l’État partie n’ont pas toujours un accès égal aux éléments de preuve et que, souvent, seul l’État partie dispose des informations nécessaires, et ce, tout spécialement s’il est dit que les blessures se sont produites alors que les auteurs étaient détenus par les autorités de l’État partie. À ce propos, le Comité prend note des récits détaillés faits par les auteurs des actes de torture qu’ils ont subis en détention. Ces allégations ont été portées à l’attention du bureau du procureur et, qui plus est, les procès-verbaux d’audience montrent que les auteurs se sont plaint des actes de torture dont ils étaient victimes tant en première instance qu’auprès de la juridiction d’appel, mais que leurs plaintes sont restées lettre morte ou ont été rejetées. Le Comité considère de ce fait que les éléments d’information présents dans le dossier ne lui permettent pas de conclure que l’enquête sur les allégations de torture a été menée avec l’efficacité voulue ni que des suspects ont été identifiés, malgré les informations détaillées communiquées par les auteurs, les dépositions des témoins et le rapport médical faisant état d’indices de torture. En l’absence d’explications détaillées de la part de l’État partie à ce sujet, il convient d’accorder tout le crédit voulu aux allégations des auteurs, dès lors que ces dernières sont suffisamment étayées. Le Comité note en outre que le tribunal a utilisé les aveux des auteurs, entre autres éléments de preuve, pour les déclarer coupables, bien que ceux-ci aient affirmé aux cours des audiences que ces aveux avaient été obtenus par la torture. En conséquence et dans ces conditions, le Comité conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits que les auteurs tiennent de l’article 7 du Pacte, lu seul et conjointement avec l’article 2 (par. 3) et l’article 14 (par. 3 g)).

7.6Le Comité prend note des griefs soulevés par les auteurs au titre de l’article 9 (par. 1), selon lesquels, après avoir été arrêtés, ceux-ci ont été arbitrairement détenus et leur arrestation n’a pas été enregistrée. Les auteurs affirment que tout cela a été fait pour permettre aux policiers de les torturer. L’État partie n’émet aucune observation concernant ces griefs. Le Comité renvoie à son observation générale no 35 (2014), selon laquelle il peut y avoir arrestation au sens de l’article 9 sans que l’intéressé soit officiellement arrêté selon la législation nationale. Le Comité rappelle que, selon les dispositions du Pacte, nul ne peut être privé de liberté, si ce n’est pour des motifs et conformément à la procédure prévus par la loi. En l’absence d’une quelconque explication pertinente de l’État partie sur le lieu où les auteurs se trouvaient au cours de la période en question, les conditions de leur détention et la consignation de leur arrestation, le Comité considère que les droits reconnus aux auteurs par l’article 9 (par. 1) du Pacte ont été violés.

7.7En ce qui concerne les griefs soulevés par les auteurs au titre de l’article 14 (par. 1) du Pacte, le Comité prend note du fait non contesté que les proches des accusés, y compris des auteurs, n’ont pas été autorisés à assister aux audiences. Il constate que l’État partie n’a émis aucune observation à ce sujet. Selon les auteurs, le Président du tribunal de première instance a expliqué qu’il ne pouvait assurer la sécurité de leurs proches (par. 2.10 ci-dessus). Le Comité rappelle que dans son observation générale no 32 (2007) il a déclaré ce qui suit : « Tous les procès en matière pénale ou concernant des droits et obligations de caractère civil doivent en principe faire l’objet d’une procédure orale et publique ». L’article 14 (par. 1) du Pacte prévoit que le huis clos total ou partiel peut être prononcé par le tribunal pendant un procès « soit dans l’intérêt des bonnes mœurs, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, soit lorsque l’intérêt de la vie privée des parties en cause l’exige, soit encore dans la mesure où le tribunal l’estimera absolument nécessaire lorsqu’en raison des circonstances particulières de l’affaire la publicité nuirait aux intérêts de la justice ». L’État partie n’a toutefois pas expliqué en quoi il était nécessaire de n’interdire l’accès au prétoire qu’aux proches des auteurs, en s’appuyant sur les motifs énoncés à l’article 14 (par. 1), alors que les familles des victimes étaient, quant à elles, autorisées à assister aux audiences. En l’absence d’explication pertinente de la part de l’État partie, le Comité conclut que celui-ci a imposé une restriction disproportionnée au droit des auteurs à un procès équitable et public, et, partant, que les droits que les auteurs tiennent de l’article 14 (par. 1) ont été violés.

7.8Le Comité prend note, également, des arguments des auteurs selon lesquels leur droit de disposer du temps et des facilités nécessaires pour préparer leur défense a été violé. Il note que, selon les auteurs, les lieux d’isolement et les centres de détention étaient surpeuplés et n’étaient pas suffisamment éclairés ni aérés pour leur permettre de préparer leur procès. En outre, les auteurs affirment qu’à plusieurs occasions, les proches des victimes ont menacé leurs avocats et s’en sont pris physiquement à eux à l’intérieur comme à l’extérieur de la salle d’audience, et que la police et les procureurs locaux ne sont pas intervenus, faisant ainsi régner un climat de peur incompatible avec l’exercice effectif des fonctions d’un avocat de la défense. Le Comité observe que l’État partie n’a pas contesté les éléments de preuve selon lesquels, par exemple, le 12 octobre 2010 deux personnes qui se sont présentées comme étant des proches des victimes ont proféré des menaces contre les avocats des auteurs. Le Comité note au demeurant que, le 15 octobre 2010, les avocats, craignant pour leur sécurité, ont annoncé publiquement qu’ils ne participeraient plus aux audiences. En décembre 2010, l’un d’entre eux, N. U. R., a été agressé et roué de coups par des représentants d’une des victimes (par. 2.8 ci-dessus). Dans ces circonstances, le Comité conclut que les faits tels qu’ils sont exposés font apparaître une violation des droits que les auteurs tiennent de l’article 14 (par. 3 b) et d)) du Pacte.

7.9Le Comité prend note, en outre, des allégations des auteurs selon lesquelles leur procès a été entaché d’irrégularités, puisqu’il a notamment été perturbé par le comportement des proches des victimes qui assistaient au procès et par les faits de violence commis par ceux-ci. Les auteurs affirment en outre n’avoir pas pu faire entendre des témoins, étant donné que ceux qui avaient été appelés à comparaître étaient menacés par les proches des victimes. Sur ce point, le Comité, s’appuyant sur sa jurisprudence constante, rappelle que l’article 14 du Pacte garantit le droit des accusés de faire entendre et d’interroger des témoins. Cette disposition est importante, car elle permet à l’accusé et à son conseil de conduire effectivement la défense, et garantit donc à l’accusé les mêmes moyens juridiques qu’à l’accusation pour obliger les témoins à être présents et pour interroger tous les témoins ou les soumettre à un contre-interrogatoire. Le Comité note que l’État partie n’a communiqué aucune information à ce sujet. Dans ces conditions, et compte tenu des éléments dont il est saisi, le Comité conclut que l’État partie a violé les droits que les auteurs tiennent de l’article 14 (par. 3 e)) du Pacte.

7.10Compte tenu de ces constatations, le Comité décide de ne pas examiner les griefs soulevés par les auteurs au titre de l’article 10 (par. 1) du Pacte.

8.Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie de l’article 7 du Pacte, lu seul et conjointement avec l’article 2 (par. 3), et des articles 9 (par. 1) et 14 (par. 1 et 3 b), d), e) et g)).

9.Conformément à l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer aux auteurs un recours utile. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, l’État partie est tenu, entre autres, de prendre les mesures voulues pour : a) annuler les condamnations des auteurs et, si nécessaire, organiser un nouveau procès dans le respect du droit à un procès équitable, de la présomption d’innocence et des autres garanties procédurales ; b) faire procéder sans délai à une enquête efficace sur les actes de torture qu’auraient subis les auteurs, et poursuivre et punir ceux qui les ont commis ; et c) accorder aux auteurs une indemnisation suffisante pour les violations subies. Il est également tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour que des violations analogues ne se reproduisent pas.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles.