Nations Unies

CCPR/C/134/D/2959/2017

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

14 avril 2023

Français

Original : anglais

Comité des droits de l ’ homme

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2959/2017 * , **

Communication soumise par :

V. J. (non représenté par un conseil)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteur

État partie :

Slovaquie

Date de la communication :

18 novembre 2016 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 23 février 2017 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision :

25 mars 2022

Objet :

Retards judiciaires excessifs

Question ( s ) de procédure :

Défaut de fondement ; abus du droit de présenter une communication

Question ( s ) de fond :

Droit à l’égalité devant les tribunaux et droit à un procès équitable dans un délai raisonnable ; égale protection de la loi (non-discrimination)

Article(s) du Pacte :

2 (par. 3), 14 (par. 1) et 26

Article(s) du Protocole facultatif :

2 et 3

1.1L’auteur de la communication, datée du 18 novembre 2016, est V. J., de nationalité slovaque, né le 5 janvier 1985. Il affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient de l’article 14 (par. 1) du Pacte, lu conjointement avec l’article 2 (par. 3), et de l’article 26 de cet instrument, du fait de retards judiciaires excessifs. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour la Slovaquie le 1er janvier 1993. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

1.2Le 23 février 2017, le Comité a enregistré la communication. Le 24 avril 2017, l’État partie a demandé au Comité d’en examiner séparément la recevabilité. Le 8 novembre 2021, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a décidé d’examiner la recevabilité de la communication séparément du fond.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 6 novembre 2012, l’auteur a demandé à pouvoir consulter la requête introduite par l’État partie auprès de la Cour européenne des droits de l’homme aux fins du réexamen de l’arrêt définitif qu’elle avait rendu en l’affaire Labsi v. Slovakia. Il fait valoir que l’arrêt rendu dans cette affaire est devenu définitif le 24 septembre 2012, et donc qu’au moment où il a demandé à pouvoir consulter la requête introduite par l’État partie aux fins de réexamen, l’arrêt était déjà devenu définitif après que la Cour avait dûment examiné la requête introduite par la Slovaquie. Il avance que la loi slovaque sur la liberté de l’information lui donne le droit d’obtenir ces informations, même s’il n’était pas partie à la procédure engagée devant la Cour européenne des droits de l’homme. Le 23 janvier 2013, le Ministère de la justice a décidé de ne pas faire droit à la demande que l’auteur avait introduite pour pouvoir consulter la requête de l’État partie, considérant que les renseignements contenus dans cette requête concernaient les délibérations d’une juridiction et qu’à ce titre, ils ne devaient pas être rendus publics.

2.2L’auteur fait valoir que les renseignements qu’il a sollicités auprès du Ministère de la justice sont accessibles au public à la Cour européenne des droits de l’homme, même lorsque la procédure est en cours et que, par conséquent, la demande qu’il a introduite afin de pouvoir obtenir ces renseignements n’aurait pas pu avoir une incidence sur les délibérations de la Cour. Il avance que, s’il s’était rendu à Strasbourg, il aurait obtenu les renseignements voulus auprès de la Cour et que, par conséquent, le Ministère de la justice n’avait aucune raison valable de rejeter sa demande. L’auteur ajoute qu’à l’occasion d’une conférence de presse, le Ministère a fourni à des journalistes des documents contenant des informations semblables à celles qu’il avait sollicitées.

2.3Le 14 mars 2013, l’auteur a saisi le tribunal régional de Bratislava d’un recours administratif en vue de faire contrôler la légalité de la décision prise par le Ministère de la justice de ne pas l’autoriser à consulter la requête introduite par l’État partie devant la Cour européenne des droits de l’homme. Le 8 octobre 2013, le tribunal régional de Bratislava a invité l’auteur à consentir à ce que l’affaire soit examinée à huis clos, ce que celui-ci a refusé, le 15 octobre 2013. Le 3 février 2015, l’auteur a introduit une demande de suspension d’instance devant le tribunal régional afin de pouvoir soumettre une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle concernant la constitutionnalité de la loi sur la liberté de l’information. Dans sa requête, il rappelait son grief initial, formulé dans le cadre de la procédure intentée contre le Ministère de la justice, à savoir que l’article 11 (par. 1 d)) de la loi sur la liberté de l’information était contraire aux articles 13 (par. 4) et 26 (par. 4) de la Constitution.

2.4Le 20 janvier 2016, l’auteur a introduit une requête devant la Cour constitutionnelle pour violation du droit à un procès équitable dans un délai raisonnable ; il contestait les retards excessifs accumulés dans le cadre de la procédure, près de trois ans s’étant écoulés depuis l’introduction de son recours devant le tribunal régional de Bratislava sans qu’il ait été statué au principal.

2.5Le 10 février 2016, le tribunal régional de Bratislava a débouté l’auteur de sa demande de suspension, du 3 février 2015. Le 22 mars 2016, il a rejeté la requête introduite par l’auteur aux fins de renvoi préjudiciel, devant la Cour constitutionnelle, de la question de la constitutionnalité de la loi sur la liberté de l’information. Le même jour, l’auteur s’est vu notifier l’ordonnance du 10 février 2016 par laquelle le tribunal régional de Bratislava rejetait la requête introduite par le défendeur le 30 octobre 2013 aux fins de la jonction des diverses procédures pendantes devant le tribunal régional et opposant l’auteur au Ministère de la justice. Le 6 avril 2016, il a introduit un pourvoi pour contester le rejet, par le tribunal régional, de sa demande de suspension d’instance ; il a également formé un pourvoi pour contester le rejet, par le tribunal régional, de sa demande de renvoi préjudiciel, devant la Cour constitutionnelle, de la question de la constitutionnalité de la loi sur la liberté de l’information et a informé le tribunal qu’il avait désigné un autre avocat. L’affaire était toujours pendante devant la Cour suprême au moment où la communication a été soumise.

2.6Le 1er juin 2016, à l’issue d’un examen préliminaire à huis clos, la Cour constitutionnelle a rejeté, pour défaut manifeste de fondement, le recours que l’auteur avait introduit pour contester les retards excessifs accumulés dans le cadre de la procédure intentée devant le tribunal régional de Bratislava. Avant de statuer, la Cour constitutionnelle avait demandé au Président du tribunal régional de lui transmettre des conclusions écrites au sujet du recours constitutionnel introduit par l’auteur. L’auteur affirme que le Président a admis que la procédure avait connu des retards excessifs, mais a quand même conclu que le recours constitutionnel introduit par l’auteur devait être déclaré irrecevable. L’auteur affirme en outre que la Cour constitutionnelle ne lui a pas transmis les conclusions du Président avant de se prononcer. La Cour a relevé que l’auteur avait introduit une demande de suspension d’instance le 3 février 2015. Elle a donc examiné la question de savoir si la procédure avait connu des retards entre mars 2013 et février 2015, et a jugé cet intervalle de temps insuffisant pour que l’on puisse conclure à des retards excessifs. L’auteur conteste le raisonnement de la Cour constitutionnelle, faisant valoir qu’il a effectivement demandé la suspension de l’instance mais que sa demande a été rejetée. De ce fait, le temps qui s’est écoulé entre l’introduction d’une demande de suspension d’instance et le moment où il a été statué sur cette demande devait également être pris en compte dans le calcul de la durée totale de la procédure.

2.7L’auteur dit avoir épuisé toutes les voies de recours internes qui lui étaient ouvertes et que la même question n’a pas été examinée ni n’est actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que les droits qu’il tient de l’article 14 (par. 1) du Pacte, lu conjointement avec l’article 2 (par. 3) du Pacte, et de l’article 26 ont été violés, en ce que la Cour constitutionnelle ne lui a pas transmis les conclusions écrites du Président du tribunal régional de Bratislava avant de statuer, le 1er juin 2016, alors même qu’elle était tenue de le faire conformément à sa propre pratique et à la jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l’homme. L’auteur fait valoir que la notion de procès équitable suppose le droit au contradictoire. En vertu de ce droit, les parties devraient être informées de toute preuve nécessaire à l’aboutissement du recours formé. Ce droit suppose également que les parties doivent avoir connaissance de toutes les preuves produites ou écritures déposées, et doivent pouvoir les commenter en vue d’influencer la décision du tribunal. La question de savoir dans quelle mesure les écritures en question ont pesé, concrètement, dans la décision de la Cour constitutionnelle importe peu. Ce qui est en jeu, c’est la confiance des parties dans le fonctionnement de la justice, confiance qui repose sur l’assurance que celles‑ci ont d’avoir pu donner leur avis sur chaque pièce du dossier. Or, ce principe n’a pas été respecté dans le cadre de la procédure susmentionnée devant la Cour constitutionnelle.

3.2L’auteur affirme également que les droits qu’il tient de l’article 14 (par. 1) du Pacte, lu conjointement avec l’article 2 (par. 3), et de l’article 26 ont été violés par la décision de la Cour constitutionnelle de déclarer irrecevable son recours pour retard excessif. Cette décision d’irrecevabilité a été rendue alors même que, dans d’autres affaires analogues, la Cour avait jugé que le droit à un procès équitable dans un délai raisonnable (sans retard excessif) avait été violé, et que le Président du tribunal régional de Bratislava avait reconnu que la procédure intentée par l’auteur avait connu des retards excessifs. La procédure devant le tribunal régional durait depuis trois ans et trois mois au moment où la Cour constitutionnelle a statué.

3.3L’auteur affirme en outre que les droits qu’il tient de l’article 14 (par. 1) du Pacte, lu conjointement avec l’article 2 (par. 3), ont été violés en ce que la procédure judiciaire intentée devant le tribunal régional de Bratislava durait, au moment de la soumission de sa lettre initiale au Comité, depuis trois ans et sept mois sans qu’il eut jamais été statué au principal. En outre, les conclusions déposées par le défendeur ne lui ont jamais été transmises, il n’a pas été invité à acquitter les frais de justice, et aucune audience n’a été programmée dans l’affaire. L’auteur considère que la durée de la procédure n’est pas raisonnable, puisque cette procédure est encore pendante devant la Cour suprême, laquelle reste saisie du pourvoi qu’il a introduit contre l’ordonnance par laquelle le tribunal régional de Bratislava l’avait débouté de sa demande de renvoi préjudiciel, devant la Cour constitutionnelle, de la question de la constitutionnalité de la loi sur la liberté de l’information.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Le 24 avril 2017, l’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité de la communication et prié le Comité d’examiner la recevabilité séparément du fond, conformément à l’article 97 (par. 3) de son règlement intérieur.

4.2L’État partie avance qu’il n’y a pas lieu de s’écarter de la décision, datée du 1er juin 2016, par laquelle la Cour constitutionnelle a rejeté, pour défaut manifeste de fondement, le recours formé par l’auteur pour retard excessif constaté dans le cadre de la procédure intentée devant le tribunal régional de Bratislava. Il rappelle la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, dont il ressort que les retards accumulés dans le cadre d’une procédure judiciaire n’emportent pas nécessairement, en soi, violation du droit fondamental d’obtenir une audience sans retard excessif, garanti par l’article48 (par.2) de la Constitution (décisions nosI.ÚS 46/01 et II. ÚS 57/01 de la Cour Constitutionnelle). Dans l’affaire concernant l’auteur, la Cour constitutionnelle a jugé que la procédure devant la juridiction de première instance n’avait pas connu de retards importants, et que les quelques retards constatés ne pouvaient être qualifiés d’« excessifs ». De ce fait, la Cour n’a pu conclure à une violation du droit à un procès équitable dans un délai raisonnable et a rejeté la plainte pour défaut de fondement. Elle a retenu que l’auteur avait formé son recours constitutionnel le 20 janvier 2016, au moment où il avait manifesté son intention de faire suspendre l’instance devant le tribunal régional (l’auteur a introduit une demande de suspension d’instance le 3 février 2015).

4.3L’État partie relève que l’auteur a lui-même contribué à faire durer la procédure devant le tribunal régional de Bratislava en demandant la suspension de l’instance et que pareille interruption, prévue par la loi, ne saurait être considérée comme un retard pris dans le déroulement de la procédure. La demande de suspension d’instance a été déposée le 3 février 2015 devant le tribunal régional, qui l’a rejetée par une ordonnance du 10 février 2016. L’auteur a formé un recours contre cette ordonnance le 6 avril 2016. L’État partie rappelle le raisonnement de la Cour constitutionnelle, selon lequel le temps qui s’était écoulé entre l’exercice de l’action et le moment où l’auteur avait demandé la suspension de l’instance (moins de deux ans) n’était pas suffisant pour être considéré comme faisant apparaître une violation du droit fondamental à un procès équitable sans retard excessif. Il est impossible de comparer des affaires sur la seule base de la durée des procédures, comme le fait l’auteur dans sa communication, sans tenir compte des faits et des particularités de chaque espèce.

4.4Compte tenu de ce qui précède, l’État partie demande au Comité de déclarer la communication irrecevable.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1Le 2 août 2017, l’auteur a soumis ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il affirme que l’État partie n’a pas contesté la recevabilité de la communication pour les motifs énoncés dans le Protocole facultatif. Il avance que, dans ses observations, l’État partie se concentre sur le fond et non sur la recevabilité de la communication. Il soutient donc que sa communication est recevable dans son intégralité.

5.2En outre, l’auteur fait valoir que, dans ses observations, l’État partie ne fait mention que d’une seule des violations alléguées du Pacte, et ne dit rien des allégations selon lesquelles la Cour constitutionnelle n’a pas transmis à l’auteur les conclusions écrites du Président du tribunal régional de Bratislava au sujet du recours qu’il avait formé devant cette juridiction. L’auteur affirme que sa communication est recevable à cet égard.

5.3L’auteur conteste également les observations de l’État partie concernant la décision de la Cour constitutionnelle. Il répète que le Président du tribunal régional de Bratislava a expressément admis que la procédure avait connu des « retards excessifs » et fait observer que l’État partie n’a pas contesté ce fait. L’auteur considère donc que la décision de la Cour constitutionnelle de rejeter son recours pour défaut manifeste de fondement était arbitraire et constitutive d’un déni de justice.

5.4Pour ce qui est de la question des exceptions de procédure soulevées par l’auteur, qui auraient contribué à faire durer la procédure, l’auteur avance que l’introduction d’une demande de sursis à statuer n’a pas en soi valeur de sursis à statuer. Il invoque la jurisprudence de la Cour constitutionnelle pour démontrer que l’exercice des droits procéduraux ne saurait être utilisé contre les parties, et qu’il ne saurait être reproché à celles‑ci d’avoir ainsi retardé l’issue de la procédure. Dans les décisions de jurisprudence citées, il est question d’autres droits procéduraux − notamment du droit de modifier sa plainte ou de changer d’avocat − qui n’ont pas été considérés comme ayant un effet dilatoire. En l’espèce, l’auteur n’a soulevé qu’une seule exception de procédure, lorsqu’il a introduit une demande de sursis à statuer. Renvoyant à la jurisprudence dont il ressort que les retards pris à la suite de l’introduction d’une demande de sursis à statuer devraient également être comptabilisés, l’auteur avance que le tribunal régional de Bratislava a tardé à statuer sur sa demande de suspension d’instance et que ce retard était excessif.

5.5L’auteur invoque également la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, sur la base de laquelle la Cour constitutionnelle aurait dû examiner la durée totale de la procédure au moment où elle s’est prononcée, sans faire abstraction du temps écoulé après l’introduction par l’auteur de sa demande de suspension d’instance. Il demande au Comité de prendre en considération l’ensemble du temps écoulé, y compris du temps écoulé depuis l’introduction de sa demande de sursis à statuer et depuis la soumission de sa communication. La Cour européenne des droits de l’homme a jugé qu’une procédure ayant duré quatre ans et demi devant un unique degré de juridiction avant qu’une décision soit rendue au principal faisait apparaître un retard excessif. L’auteur soutient par conséquent que sa communication n’est pas manifestement dénuée de fondement.

5.6L’auteur demande au Comité de déclarer que l’État partie a violé les obligations mises à sa charge par l’article 14 (par. 1) du Pacte, lu conjointement avec l’article 2 (par. 3), et par l’article 26. Il lui demande également de recommander à l’État partie de faire le nécessaire pour que l’auteur obtienne des réparations suffisantes, conformément à l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte, et notamment : a) la réouverture de la procédure devant la Cour constitutionnelle (dossier no ÚS 351/2016), en application de l’article 133 de la Constitution ; b) une indemnisation au titre du préjudice moral subi du fait de la violation de ses droits, dénoncée dans sa communication ; c) la non-répétition des violations constatées.

Nouveaux commentaires de l’auteur

6.1Le 10 juillet 2018, l’auteur a transmis l’avis du Défenseur public des droits (Médiateur) de Slovaquie, daté du 16 avril 2018, dans lequel celui-ci constate une violation du droit fondamental de l’auteur à un procès équitable sans retard excessif, droit garanti par l’article 48 (par. 2) de la Constitution, ainsi que de son droit à un procès équitable dans un délai raisonnable, garanti par l’article 6 (par. 1) de la Convention européenne des droits de l’homme. Le Médiateur a relevé que, pour déterminer si une procédure a connu ou non des retards excessifs, il fallait tenir compte des trois éléments suivants : de la complexité juridique et factuelle de l’affaire sur laquelle le tribunal devait se prononcer ; des actions des parties à la procédure ; des décisions de procédure prises par le tribunal.

6.2L’auteur rappelle son grief principal, à savoir que la procédure le concernant a connu des retards excessifs. Selon le Médiateur, des retards excessifs ont effectivement été accumulés dans le cadre des procédures intentées par l’auteur devant le tribunal régional de Bratislava (dossier no 5S 63/2013) et devant la Cour suprême (dossier no 2Sži 3/2016) comme suite au pourvoi formé par l’auteur contre la décision rendue par le tribunal régional le 10 février 2016. Pour l’auteur, la procédure a été excessivement longue.

6.3Dans son avis, le Médiateur met toutefois en avant les points suivants : le 14 mars 2013, l’auteur a saisi le tribunal régional de Bratislava pour contester la légalité de la décision rendue par le Ministère de la justice (dossier no 397/2012-34-I). Le 21 août 2013, le tribunal régional a invité l’avocate de l’auteur à lui faire savoir si son client consentait à ce que l’affaire soit examinée sans audience. Le même jour, le défendeur a été prié de soumettre ses conclusions sur l’action exercée par l’auteur. Le 15 octobre 2013, l’auteur a informé le tribunal régional qu’il ne consentait pas à ce que l’affaire soit examinée sans audience. Le 30 octobre 2013, le défendeur a soumis des conclusions dans lesquelles il demandait la jonction des différentes procédures inscrites au rôle du tribunal régional (dossiers nos 5S/63/2013, 6S/169/2013, 2S/169/2013, 2S/165/2013, 6S/173/2013, 5S/181/2013 et 6S/166/2013). Le 3 février 2015, l’auteur a introduit une demande de suspension d’instance. Le 10 février 2016, le tribunal régional a décidé (décision no 5S/63/2013-33) de débouter le défendeur de sa demande de jonction d’instances. Le 10 février 2016, le tribunal régional a décidé (no 5S/63/2013-34) de ne pas faire droit à la demande de l’auteur aux fins de la suspension d’instance. Le 6 avril 2016, l’auteur a formé un recours contre la décision du tribunal régional de ne pas faire droit à sa demande de suspension d’instance. Le 29 avril 2016, le recours formé par l’auteur a été transmis au défendeur. Le 30 juin 2016, l’affaire a été renvoyée devant la Cour suprême pour qu’elle statue sur le recours.

6.4S’agissant du premier critère, le Médiateur a conclu que la complexité factuelle ou juridique de la question n’avait pas été démontrée au cours de la procédure.

6.5Pour ce qui est du deuxième critère, le Médiateur a indiqué que les actions des parties à la procédure, en particulier la demande de suspension d’instance introduite par l’auteur et le pourvoi que celui-ci avait formé contre le rejet de cette demande, avaient contribué à faire durer la procédure. S’il y avait eu suspension d’instance, les retards occasionnés n’auraient pas pu être qualifiés d’excessifs. Au cours de la procédure, l’auteur avait également changé d’avocat deux fois ; toutefois, rien ne portait à croire que cela eut contribué d’une quelconque manière à prolonger la procédure. En règle générale, la durée de la procédure, qui dépendait des actions ou de l’inaction des parties, ne justifiait que l’on conclue à des retards abusifs. Ce principe s’appliquait aux situations dans lesquelles le tribunal avait agi et statué sans retard excessif sur les exceptions de procédure soulevées par les parties. Le Médiateur a pris note de l’argument de l’auteur, selon lequel le tribunal régional n’avait pas statué dans l’affaire le concernant pendant les quatre années et demie qui s’étaient écoulées depuis qu’il l’avait saisi. Le Médiateur a contesté cet argument puisque la demande de suspension d’instance introduite par l’auteur avait eu pour effet de prolonger la procédure, et que la durée de traitement de cette demande, de même que la durée de la procédure de pourvoi contre le rejet, par le tribunal régional, de cette demande, ne devaient pas être comptabilisées aux fins du calcul de la durée totale de la procédure. Même si le tribunal régional n’était pas en mesure d’influer sur la durée de la procédure de recours, le Médiateur est convenu que toute juridiction devait veiller au bon déroulement des procédures engagées devant elle, et traiter toute requête sans retard excessif.

6.6Pour ce qui est du troisième critère, le Médiateur a considéré que le tribunal régional de Bratislava avait eu plusieurs périodes d’inactivité et qu’il avait de ce fait retardé inutilement la procédure judiciaire. La première période d’inactivité avait duré du 14 mars au 21 août 2013. Le tribunal avait attendu plus de cinq mois pour traiter le recours initialement introduit par l’auteur, en transmettant l’acte de poursuite au défendeur et en demandant à l’auteur s’il consentirait à ce que l’affaire soit examinée sans audience. Les premières mesures du tribunal auraient dû être guidées par les principes de l’économie judiciaire et de l’efficacité de la prise de décisions. Bien qu’une demande de jonction d’instances eut été introduite le 30 octobre 2013 et que, le 3 février 2015, l’auteur eut demandé la suspension de l’instance, le tribunal régional de Bratislava ne s’était pas prononcé sur ces recours. Il est à noter que ces exceptions de procédure doivent être tranchées pour que l’affaire puisse être examinée au fond. Le tribunal régional était donc obligé de statuer sans délai sur la demande de suspension d’instance. Les deux recours avaient été examinés par le tribunal régional le 10 février 2016, vingt-huit mois après l’introduction du premier recours et douze mois après l’introduction du second. Il ressortait de la décision de la Cour constitutionnelle (no I. ÚS 11/98) qu’au cours d’un procès, le tribunal avait pour obligation fondamentale d’organiser les procédures de façon à lever l’incertitude juridique qui était à l’origine du recours introduit par le plaignant, en respectant les garanties d’un procès sans retard excessif, énoncées dans la Constitution et le Code de procédure civile.

6.7Le 30 juin 2016, l’affaire avait été renvoyée devant la Cour suprême, qui n’avait toutefois pas encore statué sur le pourvoi introduit par l’auteur au moment où le Médiateur a rendu son avis (la procédure devant la Cour suprême dure généralement entre plusieurs mois et un an). Même si, de façon générale, on ne pouvait fixer numériquement la limite de temps objective à laquelle devaient être soumises les procédures judiciaires, on ne pouvait considérer qu’en l’espèce, la procédure de pourvoi (un an et neuf mois) avait été d’une durée appropriée et raisonnable, d’autant qu’elle visait le rejet d’une demande de suspension d’instance, autrement dit une décision rendue sur une procédure incidente. La Cour suprême avait donc porté atteinte au droit de l’auteur à un procès sans retard excessif, puisqu’en l’espèce, il n’avait pas été statué au principal. Dans l’avis, le Médiateur indique également que les présidents des deux juridictions avaient été priés de statuer selon que de besoin afin de prévenir, à l’avenir, tout retard excessif de procédure.

6.8L’auteur a joint à ses observations du 10 juillet 2018 une réponse du Président de la Cour suprême, datée du 10 mai 2018, dans laquelle celui-ci indique que le temps écoulé entre le 30 juin 2016 et le 28 mars 2018, date à laquelle la Cour suprême a débouté l’auteur de son pourvoi, était excessivement long, compte tenu de la nature du pourvoi. Néanmoins, le Président de la Cour n’a trouvé aucun motif de retenir la responsabilité du juge concerné, qui avait travaillé avec diligence et avait respecté l’ordre dans lequel il avait été saisi des différentes affaires. Il a souligné que l’auteur, juriste de formation, était représenté par un conseil. Avec un minimum de diligence professionnelle, il aurait dû savoir qu’un pourvoi contre le rejet de sa demande de suspension d’instance était irrecevable. L’auteur ayant malgré cela décidé de former pourvoi, on ne pouvait considérer qu’il n’avait pas, lui aussi, contribué à augmenter la durée totale du procès.

6.9En outre, dans sa réponse datée du 26 avril 2018, que l’auteur a jointe à ses observations, le Président du tribunal régional de Bratislava prend note des conclusions du Médiateur et fait savoir que, pour prévenir d’éventuels retards, il supervisera lui-même le bon déroulement de l’affaire visée, jusqu’à son règlement définitif. Il s’est également engagé à informer régulièrement le Médiateur des faits nouveaux concernant l’affaire.

6.10Pour conclure, l’auteur fait valoir que les Présidents du tribunal régional de Bratislava et de la Cour suprême ont considéré que l’avis du Médiateur était justifié et admis que la procédure avait été excessivement longue. L’auteur affirme qu’il n’a pas été statué au principal dans l’affaire visée, et ce alors même que la procédure est pendante depuis cinq ans et six mois. Compte tenu de ce qui précède, il estime que sa communication est dûment fondée s’agissant de la question des retards excessifs et de la durée excessive de la procédure, et qu’il y a eu violation des droits qu’il tient du Pacte, ainsi qu’il l’affirme dans sa communication.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Le Comité note que l’auteur dit avoir épuisé toutes les voies de recours internes utiles qui lui étaient ouvertes. L’État partie n’ayant pas contesté les allégations de l’auteur à ce sujet, le Comité considère que les dispositions de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif ne font pas obstacle à l’examen de la communication.

7.4Le Comité note que l’État partie a contesté la recevabilité de la communication pour défaut de fondement. Concernant le grief de l’auteur selon lequel la Cour constitutionnelle a violé le droit à un procès équitable qu’il tient de l’article 14 (par. 1) du Pacte, lu conjointement avec l’article 2 (par. 3), et le droit à l’égalité devant la loi et à une égale protection de la loi qu’il tient de l’article 26 du Pacte en ne lui transmettant pas les conclusions du Président du tribunal régional de Bratislava avant de se prononcer sur le recours qu’il avait introduit pour contester les retards excessifs accumulés dans le cadre de la procédure devant le tribunal régional de Bratislava, violant ainsi son droit au contradictoire (art. 14), le Comité note que la Cour constitutionnelle a statué sur le recours introduit par l’auteur à l’issue d’une audience préliminaire tenue à huis clos, après avoir dûment examiné les griefs de l’auteur et les conclusions du Président du tribunal régional de Bratislava à ce sujet. Il observe que, dans ses conclusions écrites, le Président du tribunal régional a déclaré que l’auteur n’avait pas instamment demandé que l’affaire le concernant soit traitée dans les meilleurs délais, et n’avait pas davantage contesté les prétendus retards accumulés dans le cadre de la procédure, au regard des dispositions de la loi no 757/2004 portant organisation judiciaire (art. 62 (par. 1)). Le Président a aussi jugé que l’auteur avait contribué à faire durer la procédure en soulevant de nombreuses exceptions de procédure. Dans ces conditions, le Comité considère que l’auteur n’a pas expliqué en quoi la procédure devant la Cour constitutionnelle avait été arbitraire et avait constitué un déni de justice, n’ayant pas suffisamment étayé le grief tiré de la violation de son droit à un procès équitable et de son droit à ce que la Cour constitutionnelle n’exerce pas de discrimination à son égard en portant atteinte à son droit au contradictoire. Par conséquent, le Comité considère que cette partie de la communication de l’auteur est irrecevable pour défaut de fondement au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.5S’agissant du grief soulevé par l’auteur au titre de l’article 14 (par. 1) du Pacte, lu conjointement avec l’article 2 (par. 3), le Comité note que, d’après l’auteur, la procédure devant le tribunal régional de Bratislava, engagée le 14 mars 2013, lorsque celui‑ci avait saisi cette juridiction d’un recours administratif pour contester la décision du Ministère de la justice de lui refuser l’accès à des informations, a connu des retards excessifs et qu’aucune décision n’a été rendue au principal depuis plus de cinq ans et demi. Le Comité prend note de l’autre argument de l’auteur selon lequel le pourvoi qu’il avait formé devant la Cour suprême pour contester le rejet, par le tribunal régional, de sa demande de suspension d’instance, a également été traité avec retard, ce pourvoi, introduit le 6 avril 2016 (et transmis à la Cour suprême le 30 juin 2016), ayant été rejeté pour irrecevabilité par la Cour le 28 mars 2018. À ce propos, le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la Cour constitutionnelle a considéré que la plainte de l’auteur était irrecevable pour défaut manifeste de fondement, étant donné que la procédure devant le tribunal régional, qui avait duré moins de deux ans (du 14 mars 2013 au 3 février 2015), n’avait pas connu de retards particuliers, et que les éventuels retards constatés ne pouvaient être qualifiés d’« excessifs ». Le Comité note en outre que, dans sa déclaration du 16 avril 2018, le Médiateur a conclu que le tribunal régional et la Cour suprême avaient tous deux porté atteinte au droit de l’auteur à un procès sans retard excessif, puisque aucune décision n’avait été rendue au principal, en dépit du fait que l’auteur avait contribué à prolonger la durée totale du procès en soulevant à plusieurs reprises des exceptions de procédure. Le Comité considère pour sa part que les exceptions de procédure soulevées à plusieurs reprises par l’auteur ont inutilement prolongé la durée de l’instance devant le tribunal régional de Bratislava et la Cour suprême puisque certaines d’entre elles n’avaient que peu de chances d’aboutir, que la procédure initiale devant le tribunal régional, qui avait duré moins de deux ans (entre le 14 mars 2013 et le 3 février 2015), n’avait pas connu de retards particuliers, et que les éventuels retards constatés dans le cadre du traitement des exceptions de procédure ne sauraient être qualifiés d’« excessifs ». Le Comité considère que les griefs soulevés par l’auteur au titre de l’article 14 (par. 1) du Pacte, lu conjointement avec l’article 2 (par. 3), s’agissant des procédures intentées devant le tribunal régional de Bratislava et la Cour suprême, n’ont pas été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité, et ont constitué un abus du droit de présenter des communications. Il considère par conséquent que cette partie de la communication présentée par l’auteur est irrecevable pour défaut de fondement et constitue un abus du droit de présenter des communications, au regard des articles 2 et 3 du Protocole facultatif.

8.En conséquence, le Comité décide :

a)Que la communication est irrecevable pour défaut de fondement et constitue un abus du droit de présenter des communications, au regard des articles 2 et 3 du Protocole facultatif ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur de la communication.