Nations Unies

CCPR/C/135/D/3863/2020

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

31 janvier 2023

Original : français

Comité des droits de l ’ homme

Décision adoptée par le Comité en vertu du Protocole facultatif, concernant la communication no 3863/2020 * , ** , ***

Communication soumise par :

A. I. (non représentée par un conseil)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteure

État partie :

Suède

Date de la communication :

13 décembre 2020 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 18 décembre 2020 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision :

26 juillet 2022

Objet :

Expulsion vers le Burundi

Question(s) de procédure :

Recevabilité − communication manifestement mal fondée

Question(s) de fond :

Droit à la vie ; torture ; peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ; droit à un procès équitable ; liberté d’opinion et d’expression

Article(s) du Pacte :

7, 14 et 19

Article(s) du Protocole facultatif :

2

1.1L’auteure de la communication est A. I., de nationalité burundaise, née en 1980. Elle affirme que l’État partie a violé les droits qu’elle tient des articles 7, 14 et 19 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 23 mars 1976. L’auteure n’est pas représentée par un conseil.

1.2Le 17 décembre 2020, en application de l’article 94 de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a demandé à l’État partie de ne pas expulser l’auteure vers le Burundi tant que la communication serait à l’examen. Le jour même, l’État partie a décidé de suspendre l’expulsion de l’auteure.

Rappel des faits

2.1L’auteure indique que son mari était comptable au sein du parti Mouvement pour la solidarité et la démocratie et qu’il a participé activement, en 2015, aux nombreuses marches de contestation contre la candidature du Président de la République burundaise Pierre Nkurunziza à un troisième mandat présidentiel.Depuis lors, des miliciens armés du parti au pouvoir − les Imbonerakure − mêlés aux policiers et aux juges recherchent les membres du Mouvement ainsi que les membres de leur famille.

2.2Le 17 février 2017, l’auteure s’est rendue dans l’État partie pour rendre visite à sa sœur. Son mari est resté au Burundi. Quelques jours plus tard, elle a été informée du fait que des policiers s’étaient rendus à son domicile de Bujumbura, au Burundi, le 20 février 2017, pour chercher son mari. Elle présente un avis de recherche daté du même jour, émis par le sous-commissariat municipal de la police judiciaire du poste de Musaga à l’encontre de son mari, pour « participation à un mouvement insurrectionnel ». L’auteure affirme que son mari a disparu le 20 février 2017 et qu’elle n’a plus de nouvelles de lui depuis lors.

2.3L’auteure indique qu’elle est elle-même activement recherchée par la police et les Imbonerakure, en raison de l’engagement politique de son mari et du fait que les autorités pensent qu’elle sait où il se trouve. Elle présente un avis de recherche émis contre elle par le sous-commissariat de police judiciaire du poste de Musaga, daté du 28 février 2017.

2.4L’auteure a déposé une demande d’asile dans l’État partie le 14 mars 2017. Le 22 février 2018, l’Office national suédois des migrations a rejeté sa demande d’asile au motif notamment que ses déclarations concernant l’activité politique de son mari étaient contradictoires et qu’elle ne pouvait pas donner de détails sur l’activité du Mouvement pour la solidarité et la démocratie, sur l’activité politique de son mari, ou sur la façon dont cette activité avait un impact sur leur vie quotidienne. L’Office national suédois des migrations a également considéré que les quelques explications fournies par l’auteure n’étaient pas satisfaisantes, sachant que son mari avait eu un poste à plein temps au sein du parti pendant plusieurs années et qu’ils avaient vécu ensemble dans la peur d’être tués du fait de ces activités.

2.5L’auteure a déposé un recours devant le Tribunal de l’immigration, qui a rejeté son appel le 9 avril 2020. Le 27 mai 2020, la Cour d’appel de l’immigration a refusé l’autorisation de faire appel, et la décision d’expulser l’auteure est devenue finale.

Teneur de la plainte

3.1En cas de retour au Burundi, l’auteure craint que la police ou les Imbonerakure ne la persécutent afin d’obtenir des informations sur l’endroit où se trouve son mari.

3.2L’auteure indique que depuis les élections de 2015, les policiers et les Imbonerakure recherchent les membres du Mouvement pour la solidarité et la démocratie ainsi que les membres de leur famille, qui sont fréquemment arrêtés, emprisonnés ou tués. Elle ajoute que le Mouvement a été interdit par le pouvoir et qu’il est d’ailleurs l’unique parti auquel le pouvoir a interdit de participer aux élections de 2020.

3.3L’auteure fait valoir que l’État partie a rejeté tous ses recours consécutifs à sa demande d’asile politique et de protection, et l’oblige à quitter son territoire en dépit des preuves matérielles qu’elle a apportées, notamment une copie de l’avis de recherche émis contre elle par la police burundaise.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Le 17 août 2021, l’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication.

4.2L’État partie déduit du contenu de la communication de l’auteure qu’elle fait valoir que son expulsion vers le Burundi violerait les articles 6 et 7 du Pacte, du fait de l’existence d’une menace à son égard de la part des autorités burundaises et des Imbonerakure.

4.3L’État partie considère que l’affirmation de l’auteure selon laquelle elle risque d’être traitée d’une manière qui équivaudrait à une violation du Pacte si elle était renvoyée au Burundi n’est pas suffisamment étayée aux fins de la recevabilité. Il estime donc que la communication est manifestement infondée et, par conséquent, irrecevable.

4.4Pour déterminer si le retour forcé de l’auteure au Burundi constituerait une violation des articles 6 et 7 du Pacte, les éléments suivants doivent être pris en compte, selon la jurisprudence du Comité : la situation générale des droits humains au Burundi et le risque personnel, prévisible et réel que l’auteure soit soumise à des traitements contraires aux articles 6 et 7 du Pacte après son retour dans son pays.

4.5Concernant la situation générale des droits humains au Burundi, tout en se référant à une série de rapports de l’Organisation des Nations Unies et d’organisations non gouvernementales, l’État partie indique que, sans vouloir sous-estimer les préoccupations qui peuvent légitimement être exprimées à ce sujet, la situation générale des droits humains au Burundi ne suffit pas en soi à établir que l’expulsion de l’auteure serait contraire aux articles 6 et 7 du Pacte.

4.6Concernant le risque personnel pour l’auteure d’être soumise à un traitement contraire aux articles 6 et 7 du Pacte, l’État partie indique que les autorités chargées des migrations ont estimé que le fait que l’auteure était une femme et qu’elle était d’ethnie tutsie n’était pas en soi suffisant pour considérer qu’elle avait démontré de manière plausible qu’elle avait besoin de protection. En outre, la preuve écrite soumise par l’auteure dans son dossier a été considérée comme simple, ayant dès lors une faible valeur probante. L’État partie ajoute que, dans son jugement, le Tribunal de l’immigration a également conclu que le récit de l’auteure sur les activités de son mari au sein du Mouvement pour la solidarité et la démocratie était imprécis et peu détaillé. Le Tribunal a noté que l’auteure avait déclaré n’avoir jamais attiré l’attention des autorités ou de tout autre acteur, ce qui signifie que le récit qu’elle a présenté d’une menace à son égard a été jugé insuffisant. L’information selon laquelle son mari et elle sont recherchés repose sur des informations de seconde main et n’a pas été jugée suffisante pour démontrer de manière plausible que l’auteure avait besoin de protection.

4.7L’État partie note en outre que les autorités nationales chargées des migrations ont considéré que la situation en matière de sécurité au Burundi était celle d’un conflit armé interne. Toutefois, il a été estimé que les habitants ne risquaient pas tous d’être soumis à des traitements constituant un motif de protection, et l’auteure n’a pas démontré de manière plausible qu’elle avait besoin d’une protection par rapport à la situation qui prévalait dans son pays d’origine.

4.8En résumé, les autorités compétentes en matière de migration ont estimé que les raisons soumises par l’auteure concernant le risque pour elle de subir des traitements constituant des motifs de protection dans son pays d’origine étaient insuffisantes pour démontrer de manière plausible qu’elle avait besoin de protection. Par ailleurs, l’État partie estime que l’auteure essaie d’utiliser le Comité en tant que cour d’appel.

4.9En conclusion, l’État partie affirme qu’il n’y a aucune raison de conclure que les décisions des autorités internes étaient inadéquates, ou que l’issue de la procédure interne était arbitraire ou constituait un déni de justice. Il estime que le récit de l’auteure et les faits qu’elle invoque dans sa plainte sont insuffisants pour conclure que le risque allégué de mauvais traitements à son retour au Burundi est prévisible, réel et personnel. Par conséquent, l’État partie en conclut que l’exécution de l’arrêté d’expulsion ne constituerait pas, dans les circonstances actuelles, une violation de ses obligations au titre des articles 6 et 7 du Pacte.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie

5.1Le 9 décembre 2021, l’auteure a fait parvenir ses commentaires sur les observations de l’État partie.

5.2Dans ces commentaires, l’auteure indique qu’elle fait face à un risque personnel, réel et considérable d’être soumise à un traitement contraire à l’article 7 du Pacte en cas d’expulsion vers le Burundi. Elle ne remet nullement en cause le contenu des différents rapports sur la situation des droits humains au Burundi mentionnés par l’État partie dans ses observations. Elle mentionne en outre un rapport de janvier 2020, rédigé par l’Initiative pour les droits humains au Burundi, indiquant que les arrestations, les mauvais traitements, les actes de torture et les exécutions extrajudiciaires perpétrés par la police et les Imbonerakure continuaient au Burundi, et que la plupart des victimes étaient des membres de l’opposition, dont ceux du Congrès national pour la liberté et du Mouvement pour la solidarité et la démocratie, ainsi que les membres de leur famille.

5.3L’auteure rappelle que le bureau du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme au Burundi a été fermé le 28 février 2019, par suite d’une décision du Gouvernement burundais, et que le Bureau de l’Envoyé spécial du Secrétaire général pour le Burundi a été fermé le 31 mai 2021.

5.4L’auteure soutient également qu’en la renvoyant au Burundi, l’État partie violerait l’article 14 du Pacte étant donné qu’elle risque d’y être arrêtée et de ne pas bénéficier d’un procès équitable. En effet, elle rappelle qu’elle fait l’objet d’un avis de recherche du sous-commissariat municipal de la police judiciaire du poste de Musaga, daté du 28 février 2017, pour « participation à un mouvement insurrectionnel », et que pour cette infraction, des militants des droits humains ont été condamnés, sans avoir pu bénéficier d’un procès équitable, à des peines de plus de trente ans d’emprisonnement. Le rapport de l’Initiative pour les droits humains au Burundi indique que la pression exercée sur le système judiciaire afin qu’il se plie à la volonté du parti au pouvoir s’est intensifiée, à tel point qu’au début de l’année 2020, ce qui restait de l’indépendance du système judiciaire avait presque complètement disparu en ce qui concerne la gestion des affaires politiquement sensibles. Le même rapport souligne que ce type d’obstruction est particulièrement prononcé dans les procès où les accusés sont membres de partis d’opposition.

5.5Enfin, l’auteure cite l’article 19 du Pacte, selon lequel nul ne peut être inquiété pour ses opinions.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1Le 16 février 2022, l’État partie a soumis des observations complémentaires sur les commentaires de l’auteure.

6.2L’État partie note que les commentaires de l’auteure ne contiennent pas de nouveaux arguments pertinents sur le fond qu’il n’a pas déjà couverts pour l’essentiel dans ses observations initiales. Il tient à souligner qu’il maintient pleinement sa position concernant les faits, la recevabilité et le fond de la présente plainte, telle qu’il l’a exprimée dans ses observations initiales.

6.3En outre, l’État partie note que dans ses commentaires, l’auteure semble affirmer qu’il y a eu violation des articles 14 et 19 du Pacte. Il souligne à cet égard que c’est la première fois que l’auteure invoque lesdits articles, et qu’elle n’a pas étayé les raisons pour lesquelles ces dispositions devraient être applicables. En conséquence, l’État partie estime que cette partie de la communication doit être déclarée irrecevable.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Le Comité prend note de l’affirmation de l’auteure selon laquelle elle a épuisé tous les recours internes utiles dont elle disposait. En l’absence de toute objection de l’État partie à cet égard, le Comité considère que les conditions énoncées à l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif sont remplies.

7.4Le Comité prend également note de l’affirmation de l’auteure selon laquelle son expulsion vers le Burundi entraînerait une violation de l’article 14 du Pacte, étant donné qu’elle risquerait d’y être arrêtée et de ne pas bénéficier d’un procès équitable, ainsi qu’une violation de l’article 19 du Pacte. Le Comité observe cependant que l’auteure n’a pas suffisamment étayé ces allégations et les déclare, en conséquence, irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.5Quant aux allégations de l’auteure fondées sur l’existence d’un risque d’être soumise à des traitements contraires à l’article 7 du Pacte, le Comité rappelle le paragraphe 12 de son observation générale no 31 (2004), dans lequel il mentionne l’obligation qu’ont les États parties de ne pas extrader, déplacer, expulser quelqu’un ou le transférer par d’autres moyens de leur territoire s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque réel de préjudice irréparable, tel qu’il est envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte. Il a aussi indiqué que le risque devait être personnel, et qu’il fallait des motifs sérieux pour conclure à l’existence d’un risque réel de préjudice irréparable. Pour évaluer l’existence d’un tel risque, tous les faits et circonstances pertinents doivent être pris en considération, y compris la situation générale des droits humains dans le pays d’origine des auteurs. Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle il convient d’accorder un poids important à l’analyse à laquelle a procédé l’État partie concerné et réaffirme que, d’une manière générale, c’est aux organes des États parties qu’il appartient d’examiner ou d’apprécier les faits et les preuves pour déterminer si un tel risque existe, sauf s’il peut être établi que cette appréciation a été manifestement arbitraire ou a représenté une erreur manifeste ou un déni de justice. Il rappelle également sa jurisprudence selon laquelle il incombe à l’auteur de prouver qu’il courrait un risque personnel et réel de subir un préjudice irréparable s’il était expulsé.

7.6Le Comité prend note de l’affirmation de l’auteure selon laquelle la police et les Imbonerakure la recherchent activement, en raison des activités de son mari au sein du Mouvement pour la solidarité et la démocratie et du fait qu’ils veulent obtenir des informations sur le lieu où son mari, disparu en 2017, se trouve. Il note aussi que l’auteure craint d’être arrêtée, d’être soumise à des traitements inhumains ou dégradants, et de ne pas pouvoir bénéficier d’un procès équitable si elle était renvoyée au Burundi.

7.7Le Comité note que l’État partie affirme que la présente communication n’est pas suffisamment étayée. Il prend également note du fait que, dans son jugement du 9 avril 2020, le Tribunal de l’immigration a conclu que le récit de l’auteure sur les activités de son mari au sein du Mouvement pour la solidarité et la démocratie était contradictoire, imprécis et peu détaillé. Il prend enfin note des conclusions des autorités migratoires nationales selon lesquelles l’auteure n’a pas démontré de manière plausible qu’elle avait besoin de protection, et du fait que la preuve écrite soumise par l’auteure dans son dossier a été considérée comme simple, ayant dès lors une faible valeur probante.

7.8Le Comité constate que l’allégation de l’auteure selon laquelle son mari était actif au sein du Mouvement pour la solidarité et la démocratie constitue le fondement de sa demande et la cause des risques qui pèsent sur elle d’être soumise à des traitements contraires à l’article 7 du Pacte. À cet égard, il note que l’auteure n’a fourni aucune information pour étayer cette allégation et que les déclarations qu’elle a faites à ce sujet dans le cadre de la procédure interne ont été considérées comme contradictoires, imprécises et peu détaillées, malgré les nombreuses questions qui lui ont été posées à ce sujet durant son entretien avec l’Office national suédois des migrations, que ce soit sur les activités du parti en lui-même, sur l’activité de son mari en particulier, et, dans l’hypothèse où son mari ne lui aurait jamais communiqué d’information sur son activité au sein du parti, sur l’impact de cette activité dans leur vie personnelle. Le Comité considère dès lors que l’auteure n’a pas expliqué de manière convaincante le fondement de ses craintes selon lesquelles son renvoi au Burundi lui ferait courir le risque d’être soumise à des traitements contraires à l’article 7 du Pacte.

7.9Par ailleurs, le Comité fait observer que les autorités nationales ont examiné tous les griefs soulevés par l’auteure, et estime que cette dernière n’a pas démontré que l’appréciation faite et les conclusions rendues par les autorités nationales étaient de toute évidence arbitraires ou manifestement entachées d’erreurs, ou avaient constitué un déni de justice.

7.10Le Comité conclut donc que la communication est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.En conséquence, le Comité décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteure.

[Original : anglais]

Annexe I

Opinion individuelle (partiellement dissidente) de Duncan Laki Muhumuza

1.Le Comité a conclu, sur la base des informations communiquées par l’auteure, qu’il n’y avait pas eu violation des articles 7, 14 et 19 du Pacte.

2.Après avoir examiné les déclarations de l’auteure, je suis convaincu que les faits font apparaître une violation de l’article 7 du Pacte et qu’ils pourraient aisément entraîner une violation de l’article 6, du fait de l’expulsion de l’auteure vers le Burundi.

3.En ce qui concerne les articles 14 et 19 du Pacte, je pense comme mes collègues que l’auteure n’a pas fourni d’informations permettant d’étayer ses allégations. Je vais donc me pencher sur la question de l’article 7, à propos duquel j’estime que l’auteure a formulé des griefs sérieux.

4.L’auteure a affirmé qu’elle s’était rendue dans l’État partie pour rendre visite à sa sœur en 2017 et que quelques jours après son arrivée, elle avait appris que, le 20 février 2017, des policiers s’étaient rendus à son domicile à Bujumbura, au Burundi, pour rechercher son mari. Elle a précisé qu’elle-même était activement recherchée par la police et les Imbonerakure en raison de l’engagement politique de son mari et parce que les autorités pensaient qu’elle savait où celui-ci se trouvait. Elle a reçu un « avis de recherche » émis contre elle par le sous-commissariat de police judiciaire du poste de Musaga et daté du 28 février 2017.

5.Il s’avère que les Imbonerakure s’intéressent à l’auteure et que les autorités burundaises la recherchent afin de retrouver son mari. L’avis de recherche émis contre elle constitue d’une menace imminente et manifeste pour sa vie et laisse penser qu’elle serait en danger de mort si elle était renvoyée au Burundi.

6.Les États parties ont l’obligation de ne pas extrader, déplacer, expulser quelqu’un ou le transférer par d’autres moyens de leur territoire s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque réel de préjudice irréparable, tel le préjudice envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte. Le risque doit être personnel et il faut des motifs sérieux de conclure à l’existence d’un risque réel de préjudice irréparable.

7.Il est incontesté que l’auteure a reçu un « avis de recherche » à son nom, émis par le sous-commissariat de police judiciaire du poste de Musaga. Cet avis visait à l’obliger à révéler le lieu où se trouvait son mari, lieu qu’elle déclare ne pas connaître. La police émet un « avis de recherche » lorsqu’elle souhaite interroger une personne dans le cadre de la commission d’une infraction. En l’espèce, l’avis a été émis contre l’auteure afin que celle-ci informe les Imbonerakure du lieu où se trouvait son mari. Son mari participait aux activités politiques du parti Mouvement pour la solidarité et la démocratie, ce qui ne constitue pas un crime en soi. L’« avis de recherche » a donc été émis sur la base d’autres facteurs et non pas en relation avec une infraction, puisqu’aucune n’a été commise. L’auteure a affirmé sans ambiguïté qu’elle courait manifestement un risque de préjudice irréparable.

8.Il ressort de plusieurs rapports et d’informations émanant de plusieurs sources que les Imbonerakure, notamment par leurs activités et leurs liens avec les autorités, en particulier avec la police de Bujumbura, sont en mesure de retrouver une personne où qu’elle soit dans le pays voire à l’étranger, ou d’empêcher une personne de quitter le pays. C’est également ce qui ressort de rapports publiés par l’Organisation des Nations Unies et des organisations non gouvernementales. L’État partie fait observer qu’il ne sous-estime pas les préoccupations légitimes exprimées par l’auteure au sujet de la situation des droits de l’homme au Burundi. Dans ces circonstances, il serait hypocrite de permettre que l’État partie agisse de la sorte, et si les droits de l’auteure venaient à être violés, celui-ci serait complice de la situation.

9.L’État partie a le devoir d’assurer à toute personne, par des mesures législatives ou autres, une protection contre les actes prohibés par l’article 7, que ceux-ci soient le fait de personnes agissant dans le cadre de leurs fonctions officielles, en dehors de celles-ci ou à titre privé. En outre, l’interdiction de la torture et des autres formes de mauvais traitements énoncée dans le Pacte s’applique tant aux actes commis par des agents de l’État qu’à ceux commis par des particuliers. Cela signifie que l’État a l’obligation positive de protéger adéquatement, notamment en prenant toutes les précautions qui s’imposent, les personnes relevant de sa juridiction contre les actes commis, entre autres, par des acteurs terroristes privés.

10.L’État partie est tenu de protéger l’auteure contre les actes de torture ou les traitements cruels, inhumains ou dégradants, comme le prévoit l’article 7. Il aurait dû prendre des mesures de diligence raisonnable et s’enquérir des risques imminents pesant sur l’auteure au lieu de rejeter ses griefs et de décider de l’expulser vers le Burundi, où elle serait en danger de mort. L’expulsion vers le Burundi est une punition en soi et l’État partie l’enverrait dans la « fosse aux lions » en sachant que sa vie y serait en danger et qu’elle risquerait de subir un préjudice irréparable. Cela constituerait une violation des droits que l’auteure tient de l’article 7 du Pacte.

11.Je constate une violation de l’article 7 susceptible d’entraîner une violation de l’article 6. Le Comité devrait donc conjurer l’État partie de prendre immédiatement des mesures pour protéger et préserver la vie de l’auteure. Il devrait en outre tenir pour acquis que, dans des circonstances telles que celles de l’auteure, l’émission d’un « avis de recherche » contre une personne peut mettre la vie de celle-ci en danger.

[Original : anglais]

Annexe II

Opinion individuelle (dissidente) de José Manuel Santos Pais

1.Je regrette de ne pouvoir m’associer à la décision rendue par le Comité concernant la présente communication. À mon avis, celle-ci aurait dû être déclarée recevable et le Comité aurait dû constater une violation des droits de l’auteure, au moins de ceux qu’elle tient de l’article 7 du Pacte.

2.Le Comité a jugé que les autorités suédoises avaient examiné les griefs de l’auteure et que celle-ci n’avait pas démontré que l’appréciation faite et les conclusions rendues par les autorités nationales étaient de toute évidence arbitraires ou manifestement entachées d’erreurs ou qu’elles avaient constitué un déni de justice. J’hésite à tirer des conclusions aussi directes.

3.L’auteure n’était pas représentée par un avocat, ce qui a pu nuire à sa communication. Néanmoins, elle a clairement mentionné plusieurs raisons qui, prises ensemble, semblent confirmer qu’elle pourrait courir un risque important si elle était renvoyée dans son pays d’origine.

4.L’État partie reconnaît qu’au vu des rapports publiés par l’Organisation des Nations Unies et des organisations non gouvernementales, il ne faudrait pas « sous-estimer les préoccupations qui peuvent légitimement être exprimées » concernant la situation des droits de l’homme au Burundi, mais il affirme que cette situation « ne suffit pas en soi à établir que l’expulsion de l’auteure serait contraire aux articles 6 et 7 du Pacte ».

5.Juste après avoir affirmé ce qui précède, l’État partie note que l’auteure est une femme et qu’elle appartient à l’ethnie tutsie, et qu’elle est donc particulièrement vulnérable. Il estime néanmoins que ces éléments ne sont pas, en eux-mêmes, « suffisants pour considérer que [l’auteure] avait démontré de manière plausible qu’elle avait besoin de protection ».

6.De plus, l’État partie a affirmé que « les autorités nationales chargées des migrations [avaient] considéré que la situation en matière de sécurité au Burundi était celle d’un conflit armé interne ».

7. L’auteure affirme que son mari travaillait pour le parti Mouvement pour la solidarité et la démocratie et qu’il a participé activement, en 2015, aux marches de contestation contre la candidature du Président de la République burundaise Pierre Nkurunziza à un troisième mandat présidentiel, la Constitution n’autorisant que deux mandats présidentiels consécutifs. C’est par une décision contestée rendue le 5 mai 2015 que la Cour constitutionnelle du Burundi a autorisé Pierre Nkurunziza à briguer un troisième mandat.

8.L’auteure affirme que depuis 2015, des miliciens armés du parti au pouvoir (les Imbonerakure), des policiers et des juges recherchent les membres du Mouvement pour la solidarité et la démocratie ainsi que les membres de leur famille, catégorie dont elle fait partie, et que ceux-ci sont fréquemment arrêtés, emprisonnés ou tués. Le Mouvement est le seul parti auquel le Gouvernement a interdit de participer aux élections de 2020.

9. L’auteure a quitté le Burundi le 17 février 2017 et quelques jours plus tard, elle a appris que le 20 février 2017, des policiers s’étaient rendus à son domicile, à Bujumbura, pour retrouver son mari. Elle a présenté aux autorités suédoises un « avis de recherche » daté du même jour et émis par le sous-commissariat municipal de la police judiciaire du poste de Musaga à l’encontre de son mari, pour « participation à un mouvement insurrectionnel » − une accusation grave. Elle n’a plus eu de nouvelles de son mari depuis cette date.

10.L’auteure mentionne qu’elle est, elle aussi, activement recherchée par la police et les Imbonerakure en raison de l’engagement politique de son mari et parce que les autorités pensent qu’elle sait où celui-ci se trouve. À cet égard, elle a présenté un « avis de recherche » à son nom à elle, émis par le sous-commissariat de police judiciaire du poste de Musaga et daté du 28 février 2017.

11.En dépit de ce qui précède, les autorités suédoises ont considéré que « la preuve écrite soumise par l’auteure dans son dossier [était] simple [et avait] dès lors une faible valeur probante » et les informations qu’elle a communiquées n’ont « pas été jugée[s] suffisante[s] pour démontrer de manière plausible qu’elle avait besoin de protection ». Quelles pièces aurait donc dû produire l’auteure ? Une copie de l’« avis de recherche » certifiée par un agent public burundais (un notaire, peut-être), alors qu’elle se trouvait déjà en Suède à l’époque ?

12.L’Office national suédois des migrations a même considéré que les quelques explications fournies par l’auteure n’étaient pas satisfaisantes, sachant que son mari avait eu un poste à plein temps au sein du parti pendant plusieurs années et qu’ils avaient vécu ensemble dans la peur d’être tués du fait de ces activités. Cela permet-il toutefois d’exclure le fait que l’auteure et son mari risquent actuellement, au moins depuis 2015 (voir par. 5 ci‑dessus), d’être tués ou gravement blessés une fois renvoyés au Burundi ?

13. Compte tenu de tous ces facteurs − à savoir la situation politique au Burundi, avec un Président qui s’accroche au pouvoir en dépit des dispositions de la Constitution et des autorités qui persécutent les opposants politiques et les membres de leur famille, la situation reconnue de conflit armé interne et le fait que l’auteure est une femme appartenant à l’ethnie tutsie, qu’elle fait l’objet d’un « avis de recherche » émis par la police judiciaire et que son mari est activement recherché pour participation à un mouvement insurrectionnel, ce qui peut leur faire courir, à eux deux, un risque d’emprisonnement et même de mort −, les autorités suédoises pouvaient-elles vraiment conclure que l’auteure ne courait pas personnellement un risque si elle était renvoyée dans son pays d’origine ? Je ne saurais, en toute honnêteté, tirer des conclusions aussi directes.

14.On peut certes se poser la question de savoir si l’appréciation faite et les conclusions rendues par les autorités nationales étaient de toute évidence arbitraires ou manifestement entachées d’erreurs ou qu’elles ont constitué un déni de justice, mais il n’en reste pas moins que l’auteure court personnellement un risque élevé et réel de subir un préjudice irréparable si elle est renvoyée au Burundi dans les circonstances actuelles. En conséquence, j’aurais conclu que la communication fait apparaître, à tout le moins, une violation de l’article 7 du Pacte.