Nations Unies

CCPR/C/130/D/2809/2016

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

17 juin 2021

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par.4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2809/2016 * , ** , ***

Communication présentée par:

Seok-ki Lee, Hong-yeol Kim, Sang-ho Lee, Soon-seog Hong, Dong-kun Han, Yang-won Cho et Keun-rae Kim (représentés par un conseil, Kinam Kim, et par d’autres conseils)

Victime(s) présumée(s):

Les auteurs

État partie:

République de Corée

Date de la communication:

15 décembre 2015 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 14 septembre 2016 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

30 octobre 2020

Objet:

Liberté d’expression

Question(s) de procédure:

Néant

Question(s) de fond:

Admissibilité de restrictions à la liberté d’expression

Article(s) du Pacte:

19

Article(s) du Protocole facultatif:

Néant

1.Les auteurs de la communication sont Seok-ki Lee, Hong-yeol Kim, Sang-ho Lee, Soon‑seog Hong, Dong-kun Han, Yang-won Cho et Keun-rae Kim, tous ressortissants de la République de Corée. Ils affirment que l’État partie a violé les droits qu’ils tiennent de l’article 19 du Pacte. Le Pacte et le Protocole facultatif sont entrés en vigueur pour l’État partie le 10 juillet 1990. Les auteurs sont représentés par des conseils.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Les auteurs étaient membres actifs du Parti progressiste unifié. Ils ont été détenus et inculpés entre le 30 août et le 24 octobre 2013. Tous ont été accusés, sur la base de plusieurs faits distincts, de complot insurrectionnel et de violation de l’article 7 de la loi relative à la sécurité nationale, qui réprime notamment le fait de prôner, d’encourager ou de promouvoir les activités d’une organisation hostile à l’État en sachant que de tels agissements risquent de compromettre l’existence et la sécurité de l’État ou de l’ordre démocratique fondamental. Il a été affirmé que Soon‑seog Hong et Dong‑kun Han s’étaient retrouvés pour étudier des livres faisant l’éloge de la République populaire démocratique de Corée, et que Sang‑ho Lee avait prononcé le 11 décembre 2011 et le 30 juillet 2013 des discours qui, selon les auteurs, portaient sur les différences entre révolutionnaires et militants, sur l’importance de la camaraderie et sur la nécessité de développer l’entraide. Il a été avancé que tous les auteurs, à l’exception de Hong‑yeol Kim, avaient acquis, détenu et distribué des documents de propagande contre l’État. Il a aussi été affirmé que tous, sauf Dong‑kun Han, avaient chanté une chanson intitulée « Camarades de la révolution » le 8 mars, le 3 mai, le 21 juin et le 10 août 2012.

2.2Il a également été fait mention, parmi les faits retenus contre les auteurs, de deux réunions, tenues en mai 2013, auxquelles ceux-ci ont tous participé. Selon les auteurs, face à la montée des tensions entre l’État partie et la République populaire démocratique de Corée depuis la fin de l’année 2012, Hong-yeol Kim a décidé d’organiser une réunion pour contribuer à une meilleure compréhension de la situation politique. Cette réunion, réservée aux cadres du Comité du Parti progressiste unifié pour la province du Gyeonggi, a réuni 130 participants et s’est tenue le 10 mai 2013, mais a été interrompue au bout de dix minutes pour des raisons de sécurité. Hong-yeol Kim et Seok-ki Lee y ont tous deux pris la parole.

2.3Le 12 mai 2013, une seconde réunion a eu lieu et a rassemblé le même nombre de participants. Seok-ki Lee s’est exprimé, après quoi un débat s’est engagé sur la situation militaire et l’importance de se préparer à une éventuelle guerre. Hong‑yeol Kim a ensuite invité les participants à réfléchir en sous-groupes aux moyens de procéder à des préparatifs sur les plans politique et militaire. Sang‑ho Lee a proposé de saboter des installations de télécommunication et des oléoducs, et d’établir des lignes directrices à cet égard. Il a évoqué des méthodes de fabrication d’armes à feu et de bombes, ainsi que des moyens de saboter le réseau ferroviaire. Dong‑kun Han a déclaré que l’arme la plus importante serait de protéger l’organisation, qu’une décision devait être prise sur le vol d’armes et qu’il fallait renforcer la capacité de l’organisation à répondre à une éventuelle guerre. La section jeunes n’avait pas envisagé la possibilité d’une guerre, mais les participants à d’autres sous‑groupes ont débattu de la nécessité de se préparer sur les plans physique et technique à une guerre révolutionnaire, de se procurer des armes à feu, de saboter des installations de télécommunication, de nouer de bonnes relations avec les institutions dont relèvent les infrastructures et d’élaborer des lignes directrices sur la détention provisoire. Seok-ki Lee a ensuite demandé si les participants étaient déjà rompus à de tels préparatifs. Il leur a dit de se montrer proactifs et a expliqué qu’il y avait de nombreuses façons de se préparer physiquement et techniquement. Il a déclaré que des méthodes simples pouvaient être utilisées pour détruire une tour d’acier. Il a également renvoyé vers des sites Web sur les bombes artisanales et évoqué la guerre de l’information, la guerre de propagande et les techniques de la guerre. Les auteurs font observer que les réunions n’ont donné lieu à aucune autre activité par la suite.

2.4Outre les chefs d’accusation retenus contre tous les auteurs, Seok-ki Lee et Hong‑yeol Kim ont été accusés d’incitation à l’insurrection en raison du rôle qu’ils ont joué aux deux réunions de mai. Le ministère public a affirmé que Seok-ki Lee dirigeait l’Organisation révolutionnaire, dont l’objectif serait de renverser le Gouvernement et de faire prévaloir l’idéologie de la République populaire démocratique de Corée, et qu’il avait incité les membres de cette organisation présents aux réunions de mai à se préparer physiquement et militairement à une guerre en planifiant la destruction d’infrastructures. Les auteurs ont contesté les accusations portées contre eux.

2.5Le 17 février 2014, le tribunal de district de Suwon a déclaré les auteurs coupables de toutes les infractions dont ils étaient accusés et condamné Seok-ki Lee à douze ans d’emprisonnement et les autres auteurs des faits à quatre à sept ans d’emprisonnement. Les auteurs et le ministère public ont fait appel de la décision.

2.6Le 11 août 2014, la Haute Cour de Séoul a acquitté les auteurs des accusations de complot insurrectionnel, mais a confirmé la déclaration de culpabilité prononcée contre eux pour violation de l’article 7 de la loi relative à la sécurité nationale et, dans le cas de Seok‑ki Lee et de Hong‑yeol Kim, la déclaration de culpabilité prononcée pour incitation à l’insurrection. Elle a réduit la peine de Seok-ki Lee à neuf ans et celle des autres auteurs à deux à cinq ans.

2.7Le 22 février 2015, la Cour suprême a confirmé la décision de la Haute Cour.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs affirment que l’État partie a violé leur droit à la liberté d’expression dans la mesure où leur peine a porté atteinte à cette liberté, ce qui n’était pas nécessaire au sens de l’article 19 (par. 3) du Pacte, étant donné que les déclarations faites par Seok-ki Lee et Hong‑yeol Kim aux réunions de mai ne menaçaient pas la sécurité nationale.

3.2Premièrement, la nature de la relation entre les intervenants et le public aux réunions de mai ne permettait pas de conclure à une telle menace. Seok-ki Lee et Hong-yeol Kim n’étaient pas en mesure d’exercer une influence sur les participants, non seulement parce que ceux‑ci étaient des militants prodémocratie, qui avaient connu des situations difficiles et avaient appris à résister aux tentatives de manipulation, mais aussi parce que le Parti progressiste unifié était un parti de caractère démocratique. Seok-ki Lee n’avait aucune relation étroite avec la plupart des participants.

3.3Deuxièmement, le contexte dans lequel ont eu lieu les réunions de mai n’appelait aucune restriction de la liberté d’expression des auteurs. Ces réunions visaient à faire mieux comprendre les tensions politiques que connaissait la péninsule coréenne. Les tensions persistent depuis la fin de la guerre de Corée et la République populaire démocratique de Corée a déclaré à plusieurs reprises ne plus être liée par la Convention d’armistice. Malgré la montée des préoccupations concernant la sécurité, un conflit armé n’était pas imminent.

3.4Troisièmement, le but que poursuivaient les auteurs en organisant les réunions de mai ne justifiait pas de restreindre leur liberté d’expression. Seok-ki Lee et Hong-yeol Kim n’avaient pas l’intention d’inciter les participants à la violence, mais plutôt de partager leur opinion sur la manière de faire face à la situation. Les réunions étaient ouvertes à un public précis, qui appartenait à un même parti. De plus, certains termes employés, tels que « combat », « guerre », « révolution », « bataille », « guerre locale et non conventionnelle » et « détruire », peuvent sembler radicaux, mais les personnes ayant des opinions de gauche les utilisent couramment et il convient de les replacer dans leur contexte. On ne sait pas exactement ce que Seok-ki Lee a recommandé aux participants de faire. Il n’a pas participé aux débats des sous-groupes sur les cibles à viser. Il a partagé son opinion personnelle et n’a pas précisé sa pensée lorsqu’il a demandé si les participants n’étaient pas déjà rompus aux questions abordées. En outre, les réunions étaient exceptionnelles et les déclarations faites à ces occasions n’ont pas été répétées.

3.5Quatrièmement, la teneur des débats ne faisait nullement apparaître la nécessité de restreindre la liberté d’expression des auteurs. Seok-ki Lee et Hong-yeol Kim n’ont pas directement appelé à la violence. Les références faites par Seok-ki Lee à des préparatifs physiques et techniques sont restées abstraites. De même, ses déclarations sur la nécessité de « détruire les fondements physiques mis en place par la faction au pouvoir au cours des soixante dernières années » et de « détruire le régime sous lequel deux Corées existent » sont vagues et ne font référence qu’au statu quo politique. À la lumière des autres déclarations de Seok‑ki Lee, il apparaît que les termes « lutter » et « bataille » ont été employés pour faire allusion aux efforts déployés pour vaincre l’impérialisme des États-Unis. En recommandant aux participants de ne pas porter d’armes à feu, Seok-ki Lee a fait comprendre que ceux‑ci ne devaient pas tuer. En évoquant la destruction d’une tour d’acier, il voulait souligner l’importance de trouver des solutions créatives et non inciter à la destruction d’infrastructures. Seok-ki Lee et Hong-yeol Kim n’ont jamais mentionné explicitement de mesures à prendre ni de cibles humaines ou matérielles à viser. Leur ton était posé. Dans les observations qu’il a formulées en ouverture et en clôture des réunions, Hong-yeol Kim n’a fait qu’employer la rhétorique habituelle du Parti progressiste unifié.

3.6Cinquièmement, la façon dont l’information a été diffusée ne justifiait pas de restreindre la liberté d’expression des auteurs, étant donné que les réunions ont été organisées à l’intention d’un public bien précis de 130 personnes, dans un espace clos, et n’ont donné lieu à aucune autre activité par la suite.

3.7Sixièmement, il n’y avait aucun risque de violence, notamment pas de violence imminente. Lorsque Seok-ki Lee a demandé si les participants n’étaient pas déjà rompus aux questions abordées, il manifestait son mécontentement quant à l’issue des débats. Il est difficile de comprendre ce que Seok-ki Lee a voulu dire par les remarques suivantes : « Il existe une multitude de moyens de se préparer physiquement et techniquement compte tenu de ce qui a été dit précédemment. Y en a-t-il trop ? Sont-ils trop abstraits ? Il y en a en tout cas énormément. Vous pouvez trouver des idées sur votre lieu de travail. ». Il en va de même pour les propos suivants : « Si l’ordre est donné de se livrer à des attaques de grande ampleur, je compterai sur votre créativité » et « Serez-vous tout à fait prêts à combattre une fois que vous en aurez reçu l’ordre ? ». Ces déclarations sont hypothétiques. On ne sait pas bien qui donnerait l’ordre ni qui serait visé.

3.8Les auteurs contestent également le fait que l’une quelconque de leurs activités justifiait de restreindre leur liberté d’expression en vertu de la loi relative à la sécurité nationale. La Cour suprême n’a pas expliqué en quoi les propos de Seok-ki Lee constituaient une menace pour la sécurité nationale, et s’est contentée de conclure que celui-ci promouvait la stratégie de révolution de la République populaire démocratique de Corée à l’égard de l’État partie. Hong-yeol Kim n’a fait qu’employer la rhétorique habituelle du Parti progressiste unifié et a déclaré que, pour remporter des batailles contre les États‑Unis d’Amérique, il fallait tirer parti de la capacité du peuple d’exercer sa souveraineté. Sang‑ho Lee a tenu des propos préoccupants concernant le sabotage d’infrastructures et la fabrication d’armes à feu et de bombes, mais il en est resté au stade des mots. Dong‑kun Han a seulement déclaré que l’organisation devait être protégée et qu’une décision devait être prise sur le vol d’armes et les opérations militaires à mener. Soon-seog Hong, Keun-rae Kim et Yang‑won Cho n’ont fait que synthétiser les propos des membres de leurs sous‑groupes respectifs, qui ne peuvent donc pas leur être attribués. Les auteurs concluent qu’il n’y avait aucun risque que ce dont il a été débattu aux deux réunions soit mis en pratique.

3.9Les auteurs affirment que la Cour suprême n’a pas expliqué en quoi le fait de chanter la chanson « Camarades de la révolution » ou d’étudier et de commenter le djoutché constituait une menace. De même, les propos de Sang-ho Lee et les documents saisis s’inscrivaient dans une optique d’opposition à l’État, mais n’appelaient pas à la violence, et la Cour suprême n’a pas précisé en quoi ils menaçaient la sécurité nationale.

3.10Les auteurs soutiennent également que leurs peines d’emprisonnement étaient disproportionnées dans la mesure où les réunions de mai n’étaient pas ouvertes au public et où les discussions n’avaient pas menacé la sécurité nationale. En outre, des mesures moins restrictives étaient envisageables, compte tenu de ce que Seok-ki Lee avait été privé de son siège à l’Assemblée nationale. Le Gouvernement aurait pu demander au Parti progressiste unifié de déclencher ses mécanismes disciplinaires internes. Il aurait aussi pu opter pour une solution politique, par exemple en demandant aux auteurs de présenter des excuses publiques. De plus, aucune mesure n’a été prise concernant les messages en ligne accessibles au public qui appellent à la guerre entre les Corées. Le Parti progressiste unifié est devenu la cible de l’Agence nationale de renseignement, institution progouvernementale par l’intermédiaire de laquelle le Gouvernement l’a sanctionné.

3.11Les auteurs affirment avoir épuisé tous les recours internes disponibles, la Cour suprême étant la plus haute juridiction compétente. Ils n’ont pas saisi la Cour constitutionnelle pour contester la constitutionnalité de l’application de la loi relative à la sécurité nationale, car celle-ci s’était déjà prononcée sur cette question dans une autre affaire, de sorte que leur requête n’aurait eu aucune chance d’aboutir.

3.12Les auteurs demandent au Comité d’inviter l’État partie à leur offrir des voies de recours utiles, conformément à l’article 2 (par. 3) du Pacte, notamment l’annulation de la décision de la Cour suprême, l’organisation d’un nouveau procès, conforme aux normes du Pacte, ainsi que l’octroi d’une grâce et d’une réparation pécuniaire.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1L’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité et sur le fond dans une note verbale datée du 11 avril 2017. Il affirme que les propos des auteurs ont menacé la sécurité nationale et que toutes les mesures prises contre eux étaient proportionnées.

4.2L’État partie soutient que les réunions de mai se sont déroulées alors que le pays était au bord de la guerre, étant donné que la République populaire démocratique de Corée avait menacé de « transformer les cinq îles de la mer de l’Ouest en une mer de feu » trois jours avant la première réunion, et avait lancé cinq roquettes entre le 18 et le 20 mai 2013.

4.3L’État partie rappelle les propos tenus aux réunions de mai par Seok-ki Lee et Hong‑yeol Kim, lesquels ont notamment déclaré être désormais en guerre. Il fait observer qu’il existait une relation hiérarchique entre les orateurs, Seok-ki Lee et Hong-yeol Kim, et les autres participants à la réunion, les premiers donnant des instructions aux seconds, qui étaient conscients de la tendance des dirigeants du Parti progressiste unifié à suivre la stratégie violente de la République populaire démocratique de Corée. Après l’intervention de Seok‑ki Lee, les participants, y compris les six autres auteurs, ont débattu de mesures concrètes à prendre pour se préparer sur les plans matériel et technique, notamment la fabrication de bombes et d’armes à feu et la commission d’actes de violence, par exemple la destruction d’infrastructures ciblées telles qu’installations de télécommunication, oléoducs et voies ferrées. De l’avis de l’État partie, les déclarations de Seok-ki Lee et de Hong‑yeol Kim constituaient par conséquent une menace réelle, dans la mesure où elles pouvaient encourager et enhardir les participants à déclencher une insurrection. L’État partie fait observer que le caractère secret des réunions prouve que les participants les savaient illégales. Les tribunaux ont jugé que l’objectif de ces réunions était d’inciter les participants à détruire des infrastructures et à se lancer dans des guerres de propagande et de l’information si une guerre à proprement parler venait à éclater. De tels actes perturberaient le transport ferroviaire, les réseaux de communications et l’approvisionnement en carburant, et compromettraient donc la capacité de l’État partie à riposter. Compte tenu de l’expérience et des antécédents judiciaires des auteurs, du rôle que ceux-ci ont joué aux deux réunions, du comportement et de la réaction des participants, ainsi que du contexte politique, les tribunaux ont conclu que les déclarations des auteurs avaient pu exercer une influence concrète sur les agissements des participants.

4.4En ce qui concerne la violation de la loi relative à la sécurité nationale, l’État partie estime que les propos des auteurs menaçaient la sécurité nationale et qu’il était donc nécessaire de restreindre la liberté d’expression des intéressés. Il affirme que, par les déclarations faites aux réunions de mai et en chantant la chanson « Camarades de la révolution », les auteurs ont fait l’apologie de l’idéologie, des dirigeants, des essais nucléaires et de l’armée de la République populaire démocratique de Corée, ainsi que de l’intention qu’a ce pays d’attaquer l’État partie, et ont donc fait l’éloge d’une organisation hostile à l’État et de la propagande en sa faveur, et agit de concert avec celle-ci. Compte tenu de la situation en République populaire démocratique de Corée et de la signification des propos des auteurs, ces déclarations menaçaient l’existence et la sécurité de l’État ou de l’ordre démocratique fondamental. En faisant l’apologie des dirigeants et de l’idéologie de la République populaire démocratique de Corée, Seok-ki Lee a endoctriné les autres auteurs présents aux réunions de mai, qui l’ont suivi aveuglément. De plus, les documents détenus par les auteurs assimilaient l’État partie à une colonie des États-Unis, préconisaient la lutte violente contre celui-ci et incitaient à suivre le djoutché. Ces agissements, de même que l’appel de Seok-ki Lee à mettre immédiatement en pratique tout ce qui avait été préparé, menaçaient la sécurité nationale. Les tribunaux ont donc conclu à une violation de la loi relative à la sécurité nationale.

4.5L’État partie ajoute qu’il subit en permanence les provocations militaires de la République populaire démocratique de Corée et que certains propos menacent de compromettre son existence, sa sécurité et l’ordre démocratique fondamental. Alors que ces provocations militaires se multipliaient, les auteurs ont souligné que l’heure était à la guerre. Par conséquent, l’État partie estime que l’article 7 de la loi relative à la sécurité nationale devrait être maintenu.

4.6L’État partie soutient également que les mesures prises par les autorités étaient proportionnées, puisque les actes des auteurs tombaient sous le coup de la loi pénale et qu’il n’y avait donc pas d’autres mesures envisageables. Le procès pénal qu’il a intenté aux auteurs s’est déroulé dans le respect des garanties d’une procédure régulière et des normes relatives à l’impartialité, et ne saurait être refait dans le cadre de la présente procédure d’examen des communications émanant de particuliers. La durée des peines d’emprisonnement prononcées montre que le principe de proportionnalité a été respecté compte tenu des antécédents judiciaires et du comportement récurrent des auteurs, ainsi que de la gravité des infractions commises.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1Dans une note en date du 20 juin 2017, les auteurs ont soumis leurs commentaires sur les observations de l’État partie. Ils contestent l’affirmation selon laquelle les deux Corées étaient au bord d’une guerre au moment des réunions de mai, car la République populaire démocratique de Corée n’était plus en état de pleine préparation au combat et avait retiré ses missiles de la frontière. De plus, deux professeurs d’université ont étudié les propos hostiles de la République populaire démocratique de Corée et conclu que ceux-ci ne dénotaient pas d’intention d’attaquer. Les réactions du Gouvernement et des médias ne donnaient pas non plus à penser que ces propos étaient interprétés en ce sens.

5.2Les auteurs ajoutent que, pendant leur procès, le tribunal a décidé que les passages inintelligibles des enregistrements audio des réunions de mai devaient être interprétés selon les affirmations de chaque partie, et que le Gouvernement a délibérément donné une fausse interprétation de certains passages. En outre, l’État partie attribue à Seok-ki Lee certaines phrases que celui-ci n’a jamais prononcées dans l’ordre dans lequel ces phrases ont été présentées. Le fait que les participants aux réunions de mai savaient que les dirigeants du Parti progressiste unifié suivaient la stratégie violente de la République populaire démocratique de Corée ne signifie pas qu’ils adhéraient à cette stratégie. Les applaudissements qu’a récoltés Seok-ki Lee et les réponses affirmatives que celui-ci a reçues à ses questions ne prouvent pas l’existence d’une hiérarchie. L’État partie n’a pas apporté la preuve que l’état d’esprit des auteurs vis-à-vis de la teneur des débats était celui qu’il leur prête, et quand bien même ceux-ci auraient adhéré aux propos de Seok-ki Lee, il n’y aurait toujours pas eu là de menace pour la sécurité nationale. De plus, personne n’a par la suite commis l’un des actes évoqués aux réunions. Les discussions relatives aux préparatifs militaires n’étaient pas concrètes et resteraient vaines si aucune guerre n’éclatait. L’État partie attribue les affirmations d’une ou deux personnes à tous les participants, mais les auteurs n’ont fait que synthétiser les propos des membres des sous‑groupes, propos qui ne peuvent leur être imputés. L’ambiance qui régnait, les rires répétés et l’organisation des réunions sous la forme de conférences, auxquelles ont participé 130 personnes, ne dénotaient pas une intention de planifier une insurrection violente. Le caractère secret des réunions s’explique par le fait que l’État partie réprime les activités des personnes ayant des opinions de gauche. Les auteurs redisent que les réunions de mai n’ont fait peser aucune menace sur la sécurité nationale.

5.3En ce qui concerne la violation de la loi relative à la sécurité nationale, les auteurs renvoient à la jurisprudence du Comité, qui a conclu dans d’autres affaires concernant l’État partie qu’invoquer le risque de sécurité que posait la République populaire démocratique de Corée ne suffisait pas pour préciser la nature exacte de la menace que représentaient certains propos. Ils affirment que, comme c’était le cas dans ces affaires, les restrictions imposées n’étaient pas nécessaires en l’espèce. Quant à la chanson « Camarades de la révolution », ils font observer que, d’après son auteur, cette chanson faisait référence à la lutte contre le régime colonial japonais et critiquait l’impérialisme américain. Ils ajoutent que, quand bien même l’interprétation que fait l’État partie de la chanson serait correcte, le fait de la chanter ne menacerait pas pour autant la sécurité nationale. De même, ils contestent les affirmations selon lesquelles la teneur des réunions de mai prouverait leur sympathie pour la République populaire démocratique de Corée et les documents en leur possession encourageraient la lutte contre le Gouvernement, et soutiennent que même si l’interprétation de l’État partie était correcte, le simple fait de tenir certains propos et de posséder des documents ne menace pas la sécurité nationale.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité constate qu’en l’espèce, l’État partie n’a pas contesté que les auteurs avaient épuisé tous les recours internes disponibles. En conséquence, il considère que les dispositions de l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif ne font pas obstacle à l’examen de la communication.

6.4Le Comité considère que les auteurs ont suffisamment étayé leurs griefs aux fins de la recevabilité. En conséquence, il déclare la communication recevable et passe à son examen au fond.

Examen au fond

7.1Le Comité a examiné la communication à la lumière de toutes les informations soumises par les parties. Il considère que la question dont il est saisi est celle de savoir si la restriction imposée à la liberté d’expression des auteurs sous la forme de sanctions pénales était nécessaire, au sens de l’article 19 (par. 3 b)) du Pacte, pour protéger la sécurité nationale.

7.2Le Comité rappelle que les restrictions du droit à la liberté d’expression ne doivent pas avoir une portée trop large. Les mesures restrictives doivent être conformes au principe de la proportionnalité, elles doivent être appropriées pour remplir leurs fonctions de protection, elles doivent constituer le moyen le moins perturbateur parmi ceux qui pourraient permettre de remplir ces fonctions de protection et elles doivent être proportionnées à l’intérêt à protéger. Le principe de la proportionnalité doit également tenir compte de la forme d’expression en cause ainsi que des moyens de diffusion utilisés.

7.3Le Comité rappelle également que les États parties doivent prendre les plus grandes précautions pour que toutes dispositions relatives à la sécurité nationale soient conçues et appliquées d’une façon qui garantisse la compatibilité avec les conditions strictes énoncées au paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte. Quand un État partie invoque un motif légitime pour justifier une restriction à la liberté d’expression, il doit démontrer de manière spécifique et individualisée la nature précise de la menace ainsi que la nécessité et la proportionnalité de la mesure particulière prise, en particulier en établissant un lien direct et immédiat entre l’expression et la menace.

7.4Le Comité note qu’en l’espèce, les tribunaux de l’État partie ont déclaré les auteurs coupables au regard de l’article 7 de la loi relative à la sécurité nationale, au motif que leur comportement menaçait la sécurité nationale, et ont en outre déclaré Seok-ki Lee et Hong‑yeol Kim coupables d’incitation à l’insurrection, sur le fondement de divers faits (voir par. 2.1 à 2.3 ci-dessus). Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel les déclarations de culpabilité des auteurs étaient fondées, entre autres, sur le fait qu’ils détenaient des documents faisant l’apologie de l’idéologie, des dirigeants, des essais nucléaires et de l’armée de la République populaire démocratique de Corée, ainsi que de l’intention qu’a ce pays d’attaquer l’État partie, et qu’ils ont tenu des propos en ce sens, notamment à des moments clés d’assemblées, dans l’intention d’insuffler l’esprit de la révolution dans le cœur des participants. Il prend note de l’argument de l’État partie selon lequel celui-ci subit en permanence les provocations militaires de la République populaire démocratique de Corée et certains propos menacent de compromettre son existence, sa sécurité et l’ordre démocratique fondamental.

7.5À cet égard, le Comité prend note en particulier du fait que les tribunaux de l’État partie ont aussi fait référence à la transcription des propos tenus aux réunions de mai. Il relève que, d’après les auteurs, les autorités ont délibérément donné une fausse interprétation des passages inintelligibles de l’enregistrement audio, mais que les auteurs ne donnent aucun exemple. Selon le résumé de la transcription, Seok-ki Lee a déclaré dans son discours introductif que la réunion visait à répondre à la situation tumultueuse que connaissait la péninsule coréenne et que les participants, en tant que révolutionnaires, devaient prendre l’initiative de stopper les tentatives d’invasion et l’appareil militaire des impérialistes états-uniens. Il a ajouté que la situation serait réglée militairement et a exhorté les personnes présentes à se préparer politiquement, militairement, physiquement et techniquement à une guerre. Hong‑yeol Kim, qui jouait le rôle d’animateur, a ensuite invité les participants à débattre en sous‑groupes des moyens de se préparer sur les plans politique et militaire compte tenu de la situation. Les membres des sous-groupes ont évoqué différentes façons d’attaquer des infrastructures, notamment la fabrication d’armes à feu et de bombes, ainsi que le sabotage d’installations de télécommunication, de réseaux ferroviaires et d’installations de stockage de pétrole, et ont mentionné des lieux précis. Après ces discussions, Seok-ki Lee a souligné que les participants devaient faire preuve d’initiative dans leurs préparatifs physiques et techniques. Il a renvoyé vers des sites Web sur les bombes artisanales, déclarant qu’il était possible de trouver sur Internet le manuel et la formule d’une bombe à fabriquer à partir d’un autocuiseur, comme celles qu’avaient utilisées les auteurs des attentats du marathon de Boston. Il a déclaré que quand on s’intéressait à ces questions, on commençait à voir des choses. Il a également évoqué des méthodes simples de destruction d’une tour d’acier. En plus de ces remarques de Seok-ki Lee et de Hong-yeol Kim, tous les auteurs ont participé aux discussions sur les préparatifs militaires ou en ont rendu compte et ont débattu des moyens d’acquérir des armes et de détruire des infrastructures.

7.6À ce sujet, le Comité prend note des arguments des auteurs selon lesquels certaines de leurs remarques étaient vagues, Seok-ki Lee a dit aux participants de ne pas porter d’armes à feu et ils ne sauraient être tenus responsables de déclarations faites par d’autres. Le Comité estime que l’ambiguïté éventuelle de certains passages n’enlève rien au fait que les débats susmentionnés touchent clairement à la sécurité nationale de l’État partie. Certes, tous les commentaires relatifs à la destruction d’infrastructures n’ont pas été formulés par les auteurs, mais les remarques que Seok-ki Lee a faites par la suite sur la fabrication de bombes et la destruction de tours d’acier ne peuvent témoigner que de son adhésion à ces commentaires. Les commentaires en question ne peuvent pas non plus être considérés indépendamment de l’invitation de Hong-yeol Kim à débattre de préparatifs militaires. En outre, dans la mesure où Seok-ki Lee siégeait à l’Assemblée nationale sous la bannière du Parti progressiste unifié et où Hong-yeol Kim était Président du Comité du Parti progressiste unifié pour la province du Gyeonggi, il est difficile de conclure que ceux-ci n’exerçaient aucune autorité sur les participants, tous membres du même Comité provincial.

7.7Le Comité relève que, même si les auteurs affirment que leurs propos ne concernaient que l’hypothèse où une guerre éclaterait, Seok-ki Lee a déclaré pendant les réunions que le comportement de la République populaire démocratique de Corée avait rendu la situation particulièrement tumultueuse dans la péninsule coréenne. À cet égard, il prend note des observations de l’État partie selon lesquelles la République populaire démocratique de Corée avait menacé de « transformer les cinq îles de la mer de l’Ouest en une mer de feu » trois jours avant la première réunion, et avait lancé cinq roquettes entre le 18 et le 20 mai 2013. Les modalités d’organisation des réunions et le nombre de personnes présentes donnent à penser que les informations échangées n’avaient pas vocation à être diffusées au-delà des 130 participants. Néanmoins, le rôle que chacun des auteurs a joué dans l’organisation et la conduite des réunions, ainsi que leurs propos, en particulier les discussions sur la nécessité de procéder à des préparatifs militaires et sur les moyens d’acquérir des armes et de détruire des infrastructures, conjugués au contexte général et aux positions d’autorité qu’occupaient Seok-ki Lee et Hong-yeol Kim, tendent à justifier le bien-fondé des conclusions de la Cour suprême, qui a jugé que les propos tenus étaient susceptibles d’influencer sensiblement les participants et de justifier une restriction de la liberté d’expression à des fins de protection de la sécurité nationale.

7.8Le Comité prend note de l’argument des auteurs selon lequel l’État partie aurait pu demander au Parti progressiste unifié de déclencher ses mécanismes disciplinaires internes, mais n’est pas convaincu que de telles mesures auraient eu le même effet protecteur que des poursuites et des sanctions pénales liées aux graves faits précis de l’espèce, qui touchent à la sécurité nationale et à l’ordre démocratique fondamental de l’État partie, s’agissant d’incitation à l’insurrection et de documents et de discours prônant la lutte violente et où il est préconisé de s’attaquer à des infrastructures sensibles telles que celles sur lesquelles reposent le transport ferroviaire, les communications et l’approvisionnement en carburant. Rappelant les préoccupations que lui inspire l’engagement de poursuites en vertu de l’article 7 de la loi relative à la sécurité nationale, il prend toutefois en compte les circonstances propres à l’espèce, y compris la nature particulièrement grave des propos tenus par les auteurs en diverses occasions, leur rôle de premier plan, la situation particulière dans laquelle se trouvait l’État partie au moment des faits, ainsi que l’obligation qu’a l’État partie, en application de l’article 20 du Pacte, d’interdire toute propagande en faveur de la guerre. Compte tenu des informations dont il est saisi, le Comité ne peut pas conclure l’État partie n’a pas suffisamment démontré que les condamnations prononcées contre les auteurs étaient nécessaires dans les circonstances de l’espèce, appropriées pour remplir leur fonction de protection et proportionnée à l’intérêt à protéger, et, par conséquent, il ne constate aucune violation des droits que les auteurs tiennent de l’article 19 (par. 2) du Pacte.

8.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître de violation de l’article 19 du Pacte.

Annexe I

Opinion conjointe (partiellement dissidente) de Furuya Shuichi, Andreas Zimmermann et Gentian Zyberi

1.De manière générale, nous souscrivons à la conclusion formulée dans les constatations, selon laquelle les condamnations prononcées contre les auteurs étant nécessaires dans les circonstances de l’espèce et proportionnées à l’intérêt à protéger, elles ne constituent pas une violation des droits que les auteurs tiennent de l’article 19 (par. 2) du Pacte. Cependant, nous ne pouvons y souscrire en ce qui concerne les condamnations prononcées contre les auteurs, sur le fondement de l’article 7 de la loi relative à la sécurité nationale, pour avoir chanté une chanson intitulée « Camarades de la révolution ».

2.Selon les faits présentés par les auteurs, ceux-ci ont été jugés et condamnés non seulement pour leur actes et les propos qu’ils ont tenus lors de deux réunions qui ont eu lieu les 10 et 12 mai 2013, mais aussi pour avoir chanté la chanson susmentionnée les 8 mars, 3 mai, 21 juin et 10 août 2012. Comme il est souligné au paragraphe 7.3 des constatations, quand un État partie invoque un motif légitime pour justifier une restriction à la liberté d’expression, il doit démontrer de manière spécifique et individualisée la nature précise de la menace ainsi que la nécessité et la proportionnalité de la mesure particulière prise, en particulier en établissant un lien direct et immédiat entre l’expression et la menace. Toutefois, les constatations adoptées par le Comité ne comportent pas une appréciation individualisée de la question de savoir si l’État partie a satisfait aux critères de nécessité et de proportionnalité concernant le fait précis d’avoir chanté la chanson susmentionnée en 2012.

3.Si des tensions entre l’État partie et la République populaire démocratique de Corée existent depuis la fin de la guerre de Corée, la gravité de ces tensions a varié selon les époques. Nous souscrivons à l’argument de l’État partie selon lequel les réunions de mai 2013 ont eu lieu dans un contexte de guerre imminente, la République populaire démocratique de Corée ayant menacé de transformer « les cinq îles de la mer de l’Ouest en une mer de feu » trois jours avant la réunion du 10 mai 2013, puis lancé cinq roquettes entre le 18 et le 20 mai 2013. Compte tenu de ce contexte particulier, nous souscrivons à la conclusion formulée dans les constatations selon laquelle la sanction pénale prononcée contre les auteurs était nécessaire et proportionnée à l’intérêt à protéger. Cependant, nous sommes d’avis qu’en 2012 les tensions entre les deux États étaient moins graves que celles qui régnaient en mai 2013, et la menace pour la sécurité nationale de l’État partie était moins imminente. À cet égard, le Comité aurait dû examiner la question de la compatibilité des poursuites pénales engagées et des peines prononcées contre les auteurs avec le Pacte dans le contexte précis dans lequel s’inscrivaient les réunions tenues en 2012, séparément de la question du contexte dans lequel s’inscrivaient les réunions tenues en mai 2013.

4.Compte tenu de la situation générale dans l’État partie en 2012, il semble que les poursuites engagées et les peines prononcées contre les auteurs pour avoir chanté la chanson en question n’étaient pas nécessaires au maintien de la sécurité de l’État partie ni proportionnées à cet objectif. En tout état de cause, le fait que l’État partie n’a fourni aucune information particulière au Comité pour justifier les poursuites engagées et les peines prononcées contre les auteurs pour avoir chanté la chanson en 2012 nous amène à conclure que l’État partie n’a pas suffisamment démontré que les mesures prises entraient dans le cadre des restrictions autorisées par l’article 19 (par. 3). Pour cette raison, nous devons conclure que les poursuites engagées et les peines prononcées contre les auteurs pour ces faits précis, qui se sont produits en 2012, constituaient une violation de l’article 19 (par. 2).

Annexe II

Opinion individuelle (partiellement dissidente) de Hernán Quezada Cabrera

1.Concernant la communication no 2809/2016 (Seok-ki Lee et autres c. République de Corée), je regrette de ne pas pouvoir me joindre à la majorité du Comité, qui a conclu que les faits examinés ne faisaient pas apparaître une violation de l’article 19 du Pacte, décision dans le cadre de laquelle il n’a pas été tenu compte de l’un des éléments sur lesquels étaient fondée − sauf dans un cas − la condamnation pénale prononcée contre les auteurs.

2.Ainsi, même si la conclusion du Comité selon laquelle il n’y a pas eu de violation de l’article 19 du Pacte peut être appropriée au regard des seuls faits qu’il a pris en considération, le fait d’avoir omis de prendre en considération dans son analyse un autre des faits à l’examen a empêché de constater une violation précise du paragraphe 2 de l’article 9. Mon opinion individuelle est donc partiellement dissidente, comme je l’expliquerai ci-après.

3.La condamnation de tous les auteurs, à l’exception de Dong-kun Han, en vertu de l’article 7 de la loi relative à la sécurité nationale, était fondée, entre autres, sur le fait qu’ils avaient chanté la chanson « Camarades de la révolution » les 8 mars, 3 mai, 21 juin et 10 août 2012 lors de réunions du Comité provincial du parti dont ils étaient militants. Selon l’État partie, cette chanson fait l’apologie de l’idéologie, des dirigeants, des essais nucléaires et de l’armée de la République populaire démocratique de Corée, ainsi que de l’intention qu’a ce pays d’attaquer l’État partie, et le fait de la chanter revenait par conséquent à faire l’éloge et la promotion d’une organisation hostile à l’État et à agir de concert avec celle-ci.

4.À mon avis, il n’a pas été démontré que la chanson prône la commission de quelque acte que ce soit constituant une menace pour la sécurité nationale, compte tenu de la traduction des paroles fournie par les auteurs. Il n’a pas non plus été précisé clairement la nature et l’ampleur du risque allégué, ni indiqué si les autorités judiciaires de l’État partie avaient effectivement défini ces éléments ou n’avaient fait qu’évoquer de manière générale une intention d’insuffler un esprit de révolution, de glorifier la République populaire démocratique de Corée et de critiquer les États-Unis d’Amérique. Si l’État partie a fait remarquer que cette chanson était chantée à des moments clés de rassemblements, pour insuffler l’esprit de la révolution dans le cœur des participants, il n’a pas démontré qu’aux quatre occasions auxquelles elle a été chantée, le contexte était tel qu’il y avait un lien direct et immédiat entre le fait de la chanter et la menace alléguée. À ce égard, le Comité, dans son observation générale no 34 (2011), a expressément souligné que « [q]uand un État partie invoque un motif légitime pour justifier une restriction à la liberté d’expression, il doit démontrer de manière spécifique et individualisée la nature précise de la menace ainsi que la nécessité et la proportionnalité de la mesure particulière prise, en particulier en établissant un lien direct et immédiat entre l’expression et la menace » (par. 35).

5.Ayant examiné toutes les circonstances de l’espèce, je considère que l’État partie n’a pas démontré que cette restriction de la liberté d’expression des auteurs était nécessaire pour l’une quelconque des raisons énoncées à l’article 19 (par. 3) du Pacte.

6.En conséquence, il est possible de conclure que la condamnation prononcée contre Seok‑ki Lee, Hong-yeol Kim, Sang-ho Lee, Soon-seog Hong, Yang-won Cho et Keun‑rae Kim sur le fondement de l’article 7 de la loi relative à la sécurité nationale, pour avoir chanté la chanson « Camarades de la révolution » aux occasions susmentionnées, entre autres choses, constituait une violation des droits consacrés par l’article 19 (par. 2) du Pacte.