Nations Unies

CCPR/C/130/D/3042/2017

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

28 avril 2021

Français

Original : anglais

Comité des droits de l ’ homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 3042/2017 * , ** , ***

Communication présentée par :

A. S., D. I., O. I. et G. D. (représentés par un conseil, Andrea Saccucci)

Victime(s) présumée(s) :

A. S, D. I, O. I, G. D., S. A. et consorts

État partie :

Italie

Date de la communication :

19 mai 2017 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 14 novembre 2017 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations  :

4 novembre 2020

Objet :

Opérations de sauvetage en mer

Question(s) de procédure :

Compétence ; épuisement des recours internes

Question(s) de fond :

Droit à la vie ; traitement inhumain et dégradant ; droit à un recours utile

Article(s) du Pacte :

2 (par. 3), 6 et 7

Article(s) du Protocole facultatif :

1 et 5 (par. 2 b))

1.1Les auteurs de la communication sont A. S., de nationalité palestinienne, né en 1958, et D. I., O. I. et G. D., de nationalité syrienne, nés respectivement en 1983, 1988 et 1977. Ils soumettent la communication en leur nom propre et au nom de 13 membres de leurs familles qui se trouvaient, le 11 octobre 2013, à bord d’une embarcation qui a fait naufrage en mer Méditerranée, à 113 kilomètres au sud de Lampedusa (Italie) et à 218 kilomètres de Malte, naufrage qui aurait fait plus de 200 morts. A. S. soumet la communication au nom de 11 membres de sa famille : un frère né en 1952, un gendre né en 1977, une nièce née en 1983, un fils né en 1987, une fille née en 1987, une belle-fille née en 1992, un fils né en 1997, une petite-fille née en 2004, un neveu né en 2005, un neveu né en 2007 et un petit-fils né en 2008, tous de nationalité syrienne. D. I. et O. I. soumettent la communication au nom de leur frère, de nationalité syrienne, né en 1995. G. D. soumet la communication au nom de son frère, de nationalité syrienne, né en 1992.

1.2Les auteurs affirment que les autorités de l’État partie n’ont pas pris les mesures voulues pour prêter assistance aux membres de leur famille qui se trouvaient dans une situation de détresse en mer, en violation des droits garantis à l’article 6 du Pacte. Ils affirment également que les autorités de l’État partie n’ont pas mené d’enquête effective sur les circonstances du naufrage, en violation des droits garantis à leurs proches à l’article 6 du Pacte, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2. Les auteurs dénoncent en outre une violation des droits qu’ils tiennent de l’article 7 du Pacte, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 15 décembre 1978. Les auteurs sont représentés par un conseil.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Les auteurs, migrants demandeurs d’asile, soumettent la communication au nom des membres de leur famille qui ont péri après que l’embarcation à bord de laquelle ils se trouvaient a chaviré.

2.2Les auteurs affirment qu’ils ne disposent pas de recours internes utiles. Ils indiquent que M. J. a porté plainte auprès du parquet d’Agrigente (Italie) pour dénoncer la réponse tardive des autorités italiennes et maltaises à ses appels de détresse et la mort ou la disparition de deux de ses fils dans le naufrage. Or, ni l’Italie ni Malte n’ont ouvert d’enquête sur les circonstances du naufrage et le parquet a classé l’affaire. Les auteurs indiquent en outre qu’A. S. a saisi le parquet de Syracuse (Italie) le 15 septembre 2014 concernant la disparition de 11 membres de sa famille immédiatement après le naufrage survenu le 11 octobre 2013. Il semblerait, à la lecture de la plainte, qu’à la suite d’une autre plainte qu’A. S. avait déposée le 6 septembre 2014, une procédure pénale contre X ait été engagée. Or A. S. n’a reçu aucune information sur cette procédure ou son issue. À la suite du naufrage, l’auteure O. I. a contacté la Croix-Rouge maltaise ainsi que le Premier Secrétaire de l’ambassade d’Italie à Abou Dhabi, où elle résidait alors, ainsi que la Croix-Rouge italienne et le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, pour essayer de savoir ce qu’il était advenu de son frère, qui se trouvait à bord de l’embarcation. Faute de réponse à ses interrogations, elle s’est rendue à Malte et en Italie pour se renseigner. G. D. vit à Damas et ne pourrait donc pas saisir les autorités de l’État partie. Les auteurs font observer que, le 17 mai 2017, le Gouvernement italien a été invité par le Parlement à répondre à des questions sur les circonstances qui ont conduit au naufrage. Toutefois, il a esquivé le sujet et s’est contenté de déclarer, par l’intermédiaire du Ministère de la défense, que le centre de coordination et de sauvetage maritime de Rome (le « centre de sauvetage italien ») avait agi conformément aux règlements internationaux.

2.3Les auteurs soutiennent que le fait qu’aucune enquête n’ait été ouverte sur les circonstances du naufrage et de la mort ou de la disparition ultérieures de personnes qui se trouvaient à bord de l’embarcation, dont des membres de leur famille, les prive d’un recours utile dans l’État partie pour contester les manquements des autorités lors des opérations de sauvetage. Ils font en outre valoir qu’ils ne sont pas tenus d’intenter des actions civiles pour épuiser les recours internes puisque leur but est de voir poursuivies et sanctionnées les personnes qui ont mis en danger la vie des membres de leur famille et ont causé leur mort ou leur disparition. Ils affirment qu’une action civile ne satisferait pas ce but car elle permettrait seulement de demander une indemnisation et non d’identifier et de punir les responsables. En outre, même si les recours civils étaient épuisés, ils s’avéreraient inutiles faute d’enquête permettant d’établir les circonstances du naufrage et les responsabilités à cet égard. Les auteurs font valoir que l’absence de véritable enquête sur le naufrage et l’opération de sauvetage manquée les empêche de facto d’exercer des recours civils. Ils font en outre valoir que, compte tenu de l’ampleur de la tragédie qui a donné lieu à leur plainte, il existe des circonstances spéciales qui les exemptent de l’obligation d’épuiser les recours internes. Ils font observer que le Protocole facultatif devrait s’appliquer avec une certaine souplesse et sans formalités excessives et qu’ils n’ont pas les moyens culturels, linguistiques et économiques nécessaires pour exercer des recours judiciaires dans l’État partie.

2.4Les auteurs disent que, bien que le naufrage se soit produit en dehors du territoire italien et en dehors également du territoire maltais, les faits dénoncés relèvent à la fois de la compétence de l’Italie et de celle de Malte, pour plusieurs raisons. Premièrement, les deux États sont parties à la Convention internationale de 1979 sur la recherche et le sauvetage maritimes. Si les autorités maltaises étaient responsables de la région de recherche et de sauvetage dans laquelle se trouvait l’embarcation, les autorités italiennes exerçaient un contrôle de facto sur cette région étant donné que l’Italie est souvent le seul État qui est disposé à procéder à des opérations de sauvetage dans cette région et est capable de le faire. Deuxièmement, les deux États parties étaient en contact permanent avec l’embarcation en détresse et ont activé des procédures de sauvetage, ce qui fait que, nonobstant les graves manquements qui ont entravé les opérations, ils exerçaient tous deux un contrôle sur les personnes en détresse dans la région de recherche et de sauvetage concernée. Les auteurs font valoir qu’il existe donc un lien de causalité entre, d’une part, l’absence d’opérations rapides de sauvetage et, d’autre part, le naufrage et les pertes en vies humaines. Par négligence ou inaction, les États parties ont largement contribué à l’enchaînement d’événements qui a abouti au naufrage. Les auteurs indiquent qu’il a été considéré à cet égard qu’un appel de détresse crée une relation entre l’État qui le reçoit et la personne qui l’envoie et partant, établit entre ces deux entités un lien juridictionnel qui emporte pour les autorités l’obligation de fournir des services d’urgence.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs font observer que le devoir de prêter assistance aux personnes en détresse en mer est une règle internationale bien établie par la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer et la Convention internationale de 1974 pour la sauvegarde de la vie humaine en mer. Ils affirment que, en se montrant négligeant et en ne prenant pas les mesures de sauvetage qui s’imposaient, l’État partie a violé les droits garantis à leurs proches à l’article 6 (par. 1) du Pacte en ce qu’il a mis les intéressés en danger et provoqué leur mort ou leur disparition. En particulier, les auteurs affirment que les autorités de l’État partie n’ont pas respecté l’obligation qui leur incombait de prendre toutes les mesures voulues pour protéger la vie de leurs proches en ne transmettant pas rapidement les appels de détresse de l’embarcation aux autorités de recherche et de sauvetage compétentes, c’est-à-dire le centre de coordination et de sauvetage de Malte (le « centre de sauvetage maltais »), en n’informant pas rapidement les victimes présumées qu’elles devaient contacter les autorités maltaises, ce qui a retardé l’opération de sauvetage, et en n’envoyant pas les navires des garde-côtes de Lampedusa ou le bâtiment de la marine italienne le plus proche de l’embarcation en difficulté pour secourir l’équipage et les passagers, alors que les autorités maltaises le leur avaient pourtant demandé. Les auteurs affirment qu’en n’informant pas rapidement les autorités maltaises de la situation, les autorités italiennes ont retardé l’opération de sauvetage de deux heures. Ils affirment de plus que, si les autorités italiennes avaient ordonné au bâtiment militaire et aux navires des garde-côtes italiens d’intervenir, ces navires auraient atteint l’embarcation en détresse au plus tard à 15 heures, soit deux heures avant le naufrage. Ils soutiennent que le bâtiment de la marine italienne, l’ITS Libra, aurait pu parcourir la distance qui le séparait de cette embarcation en une heure. Ils font valoir en outre que, comme le bateau était en danger imminent et avait besoin d’une assistance immédiate, sachant qu’aucune autre autorité ne prenait de mesures, les autorités italiennes auraient dû prendre les mesures appropriées et entrer en contact avec les centres de sauvetage les plus proches pour désigner un centre responsable des opérations, conformément au chapitre 5.3.4.1 de la Convention internationale de 1979 sur la recherche et le sauvetage maritimes.

3.2Les auteurs dénoncent une violation des droits garantis à leurs proches par l’article 6 (par. 1) du Pacte, lu conjointement avec l’article 2 (par. 3), au motif que les autorités de l’État partie n’ont pas mené d’enquête officielle, indépendante et effective sur le naufrage en vue d’établir les faits et d’identifier et de punir les responsables.

3.3Les auteurs dénoncent aussi une violation des droits qu’ils tiennent de l’article 7 du Pacte, lu conjointement avec le l’article 2 (par. 3), au motif que l’absence d’enquête sur la mort ou la disparition de leurs proches leur a causé et continue de leur causer une souffrance morale constituant un traitement inhumain et dégradant.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une note verbale du 15 juin 2018, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication. L’État partie considère que la communication devrait être jugée irrecevable au motif que, comme le naufrage a eu lieu en dehors de son territoire, les faits ne relèvent pas de sa compétence. En outre, il fait observer qu’une action est toujours en cours au pénal.

4.2L’État partie fait observer que, ces dernières années, un grand nombre de migrants sont arrivés en Italie. Il signale que, selon les comptes rendus d’une audition parlementaire tenue le 3 mai 2017, 23 opérations de sauvetage ont été menées simultanément le jour du naufrage en question.

4.3L’État partie fait observer également que les enquêtes judiciaires, les enregistrements téléphoniques et les entretiens menés avec les témoins et les accusés ont permis d’établir les faits suivants concernant les circonstances du naufrage. Dès le premier appel téléphonique qu’il a reçu depuis l’embarcation, enregistré à 12 h 26, le centre de sauvetage italien a entrepris de localiser le téléphone satellite à partir duquel l’appel avait été passé. Après le deuxième appel, et après avoir reçu certaines informations de base, à 13 heures, il a pris contact avec le centre de sauvetage maltais, car l’embarcation se trouvait dans la zone d’intervention de celui-ci. À 13 h 5, à la demande du centre de sauvetage italien, le centre de sauvetage maltais a accepté de coordonner officiellement l’opération de sauvetage et a confirmé son acceptation par écrit. La confirmation a été reçue à 14 h 35. Le centre de sauvetage maltais a donc officialisé son rôle de coordination, et il a informé le centre de sauvetage italien qu’il envoyait un patrouilleur dans la zone où l’embarcation avait été signalée. Dans l’intervalle, le centre de sauvetage italien a recueilli des informations, tenté de localiser l’embarcation en détresse, maintenu le contact avec le centre de sauvetage maltais et demandé aux migrants de contacter directement celui-ci pour que l’opération de sauvetage soit plus rapide et plus efficace. Interrogé par le centre de sauvetage maltais, le centre de sauvetage italien a indiqué qu’il n’y avait pas de navires de garde-côtes italiens dans la région concernée, mais qu’un bâtiment de la marine italienne et deux navires marchands s’y trouvaient. À 17 h 7, le centre de sauvetage maltais a signalé que l’embarcation avait chaviré et a demandé l’aide de l’Italie. Le centre de sauvetage italien a pris contact avec l’ITS Libra, bâtiment de la marine italienne qui était déjà en route vers la région de sauvetage, pour l’informer du naufrage. Il a aussi pris contact avec un autre navire italien, l’Espero, qui se dirigeait lui aussi vers la région de sauvetage. À 18 heures, l’ITS Libra est arrivé sur les lieux et a activement participé à l’opération de sauvetage. À 18 h 30, le centre de sauvetage italien a désigné l’ITS Libra coordonnateur de l’opération de sauvetage sur place.

4.4L’État partie fait observer que la Convention internationale de 1979 sur la recherche et le sauvetage maritimes prévoit l’obligation de sauver et d’assister les personnes en mer, indépendamment de leur nationalité ou de leur statut juridique. Il fait également observer que la Convention délimite les régions de recherche et de sauvetage des différents États de sorte que chacune comprend des parties de la haute mer en plus des eaux territoriales de l’État et relève d’une autorité de recherche et de sauvetage unique. On doit donc en toutes circonstances pouvoir se tourner vers un centre de sauvetage unique, responsable de la coordination des opérations dans sa région et seul décideur en ce qui concerne les mesures à prendre. Conformément à la Convention, une seule autorité est responsable de la coordination des opérations de sauvetage dans chaque région de recherche et de sauvetage. Le choix des navires et des aéronefs à affecter à ces opérations est la prérogative du centre de sauvetage responsable. L’État partie fait valoir que, dans le cas présent, le naufrage s’est produit en dehors de sa région de recherche et de sauvetage.

4.5L’État partie fait valoir que, comme la violation alléguée du devoir de protéger la vie des victimes présumées s’est produite en dehors de ses eaux territoriales et de sa région de recherche et de sauvetage, les faits ne relèvent pas de sa compétence au regard de l’article 2 du Pacte et de l’article premier du Protocole facultatif. Il fait observer que conformément à la Convention internationale de 1979 sur la recherche et le sauvetage maritimes, la responsabilité de protéger la vie des passagers d’un navire en haute mer incombe au centre de sauvetage compétent de l’État responsable de la région de recherche et de sauvetage concernée. Il soutient qu’en l’espèce, cette responsabilité appartenait au centre de sauvetage maltais et qu’on ne saurait affirmer que l’Italie avait de facto la responsabilité de la région concernée du seul fait que les autorités italiennes organisent des opérations de sauvetage, de manière autonome et sans y être obligées, dans la région de recherche et de sauvetage de Malte. L’État partie fait valoir que, comme elle a elle-même établi sa région de recherche et de sauvetage, Malte est tenue de s’acquitter des obligations qui lui incombent dans cette région, et que l’embarcation transportant les migrants ne relevait pas de la compétence de l’Italie en ce qu’elle n’était pas sous son pouvoir ni sous son contrôle. De surcroît, il fait observer que les autorités maltaises s’étaient formellement engagées à coordonner l’opération de sauvetage. En outre, bien que le centre de sauvetage italien ait informé Malte qu’un bâtiment de la marine italienne se trouvait dans la région, La Valette a envoyé des moyens de sauvetage intercepter l’embarcation en détresse. L’État partie avance que, donc, Malte a officialisé son intention d’exercer sa compétence sur l’opération de sauvetage et a effectivement exercé cette compétence. L’État partie soutient en outre que le bâtiment de la marine italienne ITS Libra est intervenu dans l’opération de sauvetage, avant même la demande formelle de Malte, et est devenu le coordonnateur des opérations de sauvetage, ce qui a permis de sauver de nombreuses vies.

4.6En ce qui concerne le fond de la communication, l’État partie indique qu’une procédure d’enquête très complexe a été ouverte. Il signale que différents tribunaux ont été saisis dans le cadre de cette procédure, qui a pour but d’évaluer les actions des différentes entités ayant joué un rôle dans les événements internationaux qui se sont déroulés, y compris au cours des six mois qui ont précédé le drame et donc pas seulement dans l’affaire à l’examen. En outre, il a fallu saisir la Cour suprême afin d’établir si l’enquête relevait de la compétence des tribunaux militaires ou des tribunaux ordinaires. La Cour a conclu que l’enquête relevait de la compétence du Tribunal ordinaire de Rome.

4.7L’État partie dit qu’une enquête a été ouverte sur les circonstances du naufrage après qu’une plainte a été déposée, le 11 avril 2014, au consulat d’Italie à Francfort (Allemagne), plainte qui a été transmise au parquet de Palerme (Italie). D’autres plaintes ont ensuite été déposées par des proches des victimes du naufrage et par des rescapés. Le 27 février 2017, le parquet de Syracuse a décidé de classer une des plaintes. À la suite du transfert des dossiers des parquets d’Agrigente et de Palerme au parquet de Rome, celui-ci a décidé de classer deux autres plaintes, le 3 avril et le 18 juillet 2017. Comme suite à une nouvelle plainte, une troisième procédure pénale a été ouverte à Rome. Cette procédure est en cours et les plaignants ont été informés de leur droit de participer à une audience préliminaire qui, au moment de la présentation des présentes observations, devait avoir lieu le 29 octobre 2018. Sont mis en cause des membres de la marine italienne, le corps des garde‑côtes et les agents qui étaient de service au centre de sauvetage italien, qui sont notamment poursuivis pour non‑assistance à personne en danger et homicide par négligence. L’État partie fait observer que les auteurs de la communication ne sont pas parties à la procédure en cours car ils n’ont pas déposé plainte. Il souligne que l’enquête sur le naufrage a été complexe en raison du nombre d’intervenants et des difficultés qu’il y avait à reconstituer les faits. Il fait valoir que les autorités nationales ont mené des enquêtes approfondies, rapides et efficaces et que l’objectif de la procédure en cours est de déterminer les responsabilités éventuelles.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

5.1Le 15 octobre 2018, les auteurs ont présenté leurs commentaires sur les observations de l’État partie. Ils soutiennent que la communication est recevable. Ils répètent que les autorités italiennes exercent un contrôle de fait sur la région de recherche et de sauvetage de Malte et portent donc la responsabilité de l’échec de l’opération de sauvetage du 11 octobre 2013. Ils avancent que la procédure judiciaire dont l’État partie tire argument dure excessivement longtemps. Au moment de la présentation de leurs observations, elle était en cours depuis cinq ans et les enquêtes n’étaient pas encore terminées. Les auteurs soutiennent de surcroît que les autorités de l’État partie ne les ont pas associés à l’action pénale alors qu’ils sont les parents proches de certaines des victimes. Ils font observer que les plaintes initiales concernant le naufrage ont été classées par les autorités de l’État partie et que ce n’est qu’après la publication dans la presse d’informations sur les circonstances du naufrage que deux membres de la marine nationale ont été accusés d’infractions pénales.

5.2Les auteurs notent que l’État partie affirme que le centre de sauvetage italien a reçu le premier appel de détresse à 12 h 26 le 11 octobre 2013. Ils réaffirment que le premier appel de l’embarcation en détresse a été lancé à 11 heures. Ils font observer que, en tout état de cause, nul ne conteste que c’est le centre de sauvetage italien qui a reçu cet appel et que, en application de la section 3.6.1 du Manuel international de recherche et de sauvetage aéronautiques et maritimes, il était tenu d’informer immédiatement le centre de sauvetage compétent et de prendre toutes les mesures nécessaires pour coordonner l’intervention jusqu’à ce que le centre de sauvetage en question en assume la responsabilité. Les auteurs avancent que le centre maltais n’a pas formellement pris la responsabilité de la coordination de l’opération de sauvetage avant 14 h 35. Ils affirment en outre que les coordonnées de l’embarcation en détresse avaient déjà été communiquées au centre de sauvetage italien lors du premier appel de détresse, à 11 heures, et que les autorités italiennes n’avaient donc pas besoin de temps pour localiser l’embarcation.

5.3Les auteurs réaffirment que le centre de sauvetage italien n’a pas informé rapidement le centre de sauvetage maltais de la présence de l’embarcation en détresse et ne lui a fourni aucune assistance, se contentant de l’informer de la présence d’un bâtiment de la marine italienne et de deux navires marchands dans la région et s’abstenant de lui communiquer le nom et la position du bâtiment militaire. Ils réaffirment également que ce bâtiment a reçu l’ordre de s’éloigner pour ne pas avoir à participer aux opérations de sauvetage. Lorsque les autorités maltaises ont constaté que le bâtiment se trouvait dans la région et ont demandé au centre de sauvetage italien de le diriger vers l’embarcation en détresse, ils se sont vu répondre que ce n’était pas possible, car il menait des opérations de surveillance dans une autre région et ne pouvait donc pas se rendre sur les lieux. De surcroît, les appels radio lancés par les forces armées maltaises au bâtiment militaire quelques minutes avant le naufrage sont restés sans réponse. Les auteurs font valoir que les autorités de l’État partie ont donc manqué à leur devoir de coopérer avec les autorités maltaises afin de sauver des personnes en détresse en mer.

5.4Les auteurs indiquent qu’ils ne prétendent pas que les autorités italiennes auraient dû assumer la coordination des opérations de sauvetage. Leurs griefs concernent le fait que les autorités italiennes n’ont pas prêté assistance aux autorités maltaises chargées de cette coordination en n’affectant pas immédiatement le bâtiment militaire ITS Libra à l’opération de sauvetage, et on ainsi manqué à leur devoir de fournir une aide rapide aux personnes en détresse en mer.

Observations complémentaires de l’État partie

6.Le 4 juillet 2019, l’État partie a présenté de nouvelles observations sur la communication. Il renvoie à sa communication du 15 juin 2018 et signale que la procédure judiciaire concernant les faits du 11 octobre 2013 est toujours en cours. Il indique que la dernière audience préliminaire a eu lieu le 24 juin 2019 et la suivante a été fixée au 9 juillet 2019.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Le Comité note que l’État partie affirme que la communication est irrecevable au regard de l’article premier du Protocole facultatif, car les faits ne relevaient pas de sa compétence étant donné qu’ils se sont produits en dehors de ses eaux territoriales. Il note également que les auteurs affirment au contraire que les faits relevaient de la compétence de l’État partie puisque les autorités italiennes exerçaient un contrôle de fait sur la région de recherche et de sauvetage maltaise, étaient en contact permanent avec l’embarcation en détresse et ont mené des procédures de sauvetage, exerçant ainsi un contrôle sur les personnes en détresse.

7.4Le Comité rappelle qu’en vertu de l’article premier du Protocole facultatif, il a compétence pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers relevant de la juridiction des États parties. Il rappelle également qu’au paragraphe 10 de son observation générale no 31 (2004) sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, il a établi qu’aux termes de l’article 2 (par. 1) du Pacte, les États parties sont tenus de respecter et garantir à tous les individus se trouvant sur leur territoire et à tous ceux relevant de leur compétence les droits énoncés dans le Pacte. Cela signifie qu’un État partie doit respecter et garantir à toute personne se trouvant sous son pouvoir ou son contrôle effectif les droits reconnus dans le Pacte même si l’intéressé ne se trouve pas sur son territoire. Comme il est indiqué dans l’observation générale no 15 (1986) sur la situation des étrangers au regard du Pacte, la jouissance des droits reconnus dans le Pacte, loin d’être limitée aux citoyens des États parties, doit être accordée aussi à tous les individus, quelle que soit leur nationalité ou même s’ils sont apatrides, par exemple demandeurs d’asile, réfugiés, travailleurs migrants et autres personnes qui se trouveraient sur le territoire de l’État partie ou relèveraient de sa compétence. Ce principe s’applique aussi à quiconque se trouve sous le pouvoir ou le contrôle effectif des forces d’un État partie opérant en dehors de son territoire, indépendamment des circonstances dans lesquelles ce pouvoir ou ce contrôle effectif a été établi, telles que les forces constituant un contingent national affecté à des opérations internationales de maintien ou de renforcement de la paix.

7.5Le Comité rappelle également le paragraphe 63 de son observation générale no 36 (2018) sur le droit à la vie, dans lequel il est dit que, eu égard à l’article 2 (par. 1) du Pacte, un État partie a l’obligation de respecter et de garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire, et à toutes les personnes relevant de sa compétence, c’est-à-dire à toutes les personnes dont la jouissance du droit à la vie dépend de son pouvoir ou de son contrôle effectif, les droits reconnus à l’article 6. Cela inclut les personnes se trouvant à l’extérieur de tout territoire effectivement contrôlé par l’État mais dont le droit à la vie est néanmoins affecté par ses activités militaires ou autres de manière directe et raisonnablement prévisible. Les États parties doivent respecter et protéger la vie des personnes se trouvant dans des lieux dans lesquels ils exercent un contrôle effectif, comme des territoires occupés, ou dans des territoires où ils ont contracté une obligation internationale d’application du Pacte. Les États parties sont aussi tenus de respecter et de protéger la vie de toutes les personnes se trouvant à bord de navires ou d’aéronefs enregistrés par eux ou battant leur pavillon, et celle des personnes qui se trouvent dans une situation de détresse en mer, conformément à leurs obligations internationales relatives aux secours en mer. Le Comité rappelle en outre que, selon sa jurisprudence, un État partie peut être responsable de violations extraterritoriales du Pacte, par exemple des violations survenues dans le contexte d’extraditions ou d’expulsions, s’il a contribué à l’enchaînement d’événements qui a rendu possibles les violations commises sur un territoire relevant de la compétence d’un autre État, et ce, dès lors que le risque de violation extraterritoriale était une conséquence nécessaire et prévisible de ses actes compte tenu des éléments dont il avait connaissance au moment des faits.

7.6Le Comité note qu’aux termes de l’article 98 de la Convention des Nations Unies de 1982 sur le droit de la mer, les États exigent du capitaine d’un navire battant son pavillon qu’il se porte aussi vite que possible au secours des personnes en détresse s’il est informé qu’elles ont besoin d’assistance, dans la mesure où l’on peut raisonnablement s’attendre qu’il agisse de la sorte, et les États côtiers doivent faciliter la création et le fonctionnement d’un service permanent de recherche et de sauvetage adéquat et efficace pour assurer la sécurité maritime et aérienne et, s’il y a lieu, collaborer à cette fin avec leurs voisins dans le cadre d’arrangements régionaux. Le Comité note également que des dispositions précises relatives à la mise en place et à la coordination des services de recherche et de sauvetage sont énoncées dans la Convention internationale de 1979 sur la recherche et le sauvetage maritimes et les règlements adoptés au titre de la Convention internationale de 1974 pour la sauvegarde de la vie humaine en mer, y compris s’agissant de la coordination, par le centre de coordination régional, des opérations de recherche et de sauvetage menées par les bateaux de différents pays et de l’obligation des États de coopérer dans les activités de recherche et de sauvetage dès qu’ils sont informés d’une situation de détresse en mer.

7.7En l’espèce, le Comité note que les parties ne contestent pas que le naufrage a eu lieu en dehors du territoire de l’État partie et qu’aucune des violations dénoncées ne s’est produite pendant que les proches des auteurs étaient à bord d’un navire battant pavillon italien. La question qu’il est amené à trancher est donc celle de savoir si les victimes présumées pourraient être considérées comme ayant été sous le pouvoir ou le contrôle effectif de l’État partie alors que les faits se sont déroulés hors du territoire de celui-ci. Le Comité constate que le premier contact entre l’embarcation en détresse et les autorités de Rome a été établi le 11 octobre 2013 entre 11 heures et 12 h 26 et que, selon les auteurs, au cours d’un des appels de détresse, les autorités italiennes ont assuré les passagers de l’embarcation qu’ils allaient être secourus. Il constate également que nul ne conteste que ce n’est qu’après 13 heures que Malte a informé le centre de sauvetage italien qu’elle avait accepté de coordonner l’opération de sauvetage et qu’elle a confirmé son acceptation par écrit à 14 h 35. De surcroît, après que Malte a accepté d’assumer la responsabilité de l’opération, les autorités italiennes ont continué d’y participer, l’ITS Libra se trouvant à proximité de l’embarcation en détresse. Entre 13 heures et 15 heures, l’armée de l’air et la marine italiennes ont débattu de la question de savoir s’il fallait envoyer l’ITS Libra participer aux secours, comme les autorités maltaises l’avaient demandé à plusieurs reprises. À 17 h 7, après avoir été informé que l’embarcation avait chaviré, le centre de sauvetage italien a fait savoir que l’ITS Libra avait reçu pour instruction de faire route vers elle. L’ITS Libra est arrivé sur place à 18 heures et a commencé à coordonner l’opération sur les lieux à 18 h 30.

7.8Le Comité estime que, vu les circonstances de l’espèce, il existait une relation particulière de dépendance entre les passagers de l’embarcation en détresse et l’Italie. Cette relation reposait à la fois sur des éléments factuels − en particulier, le fait que l’embarcation avait initialement pris contact avec le centre de sauvetage italien, que l’ITS Libra se trouvait à proximité et que le centre de sauvetage italien a participé à l’opération de sauvetage jusqu’à la fin − et sur des éléments légaux, à savoir que l’Italie était tenue par les obligations mises à sa charge par le droit international de la mer, notamment l’obligation de répondre de manière raisonnable aux appels de détresse qui découle des dispositions de la Convention internationale de 1974 pour la sauvegarde de la vie humaine en mer, en particulier le chapitre V (règle 33), et l’obligation de coopérer comme il se doit avec les autres États menant des opérations de sauvetage qui découle de la Convention internationale de 1979 sur la recherche et le sauvetage maritimes, en particulier le chapitre 5.6. En conséquence, le Comité estime que les passagers de l’embarcation en détresse étaient directement concernés par les décisions des autorités italiennes, et ce, de manière raisonnablement prévisible compte tenu des obligations légales faites à l’Italie, et relevaient donc de la compétence de l’État partie en ce qui concerne les droits garantis par le Pacte nonobstant le fait qu’ils se trouvaient dans la région de recherche et de sauvetage de Malte et étaient donc simultanément aussi soumis à la compétence de ce pays. L’ouverture, par l’Italie, d’enquêtes pénales sur les actes de plusieurs membres de la marine nationale met davantage encore en évidence le fait que des agents des autorités italiennes pourraient être responsables (au regard du droit italien) vis-à-vis des victimes du naufrage. Partant, le Comité estime que les dispositions de l’article premier du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner la communication.

7.9Le Comité prend note des griefs des auteurs concernant la durée des enquêtes menées par l’Italie et constate que l’État partie ne conteste pas que les intéressés n’ont plus aucun recours interne à leur disposition. Partant, il estime que les dispositions de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner la communication.

7.10Le Comité estime que les auteurs ont suffisamment étayé les griefs qu’ils tirent des articles 6 et 7 du Pacte, lus conjointement avec l’article 2 (par. 3), aux fins de la recevabilité. En conséquence, il déclare la communication recevable, et passe à son examen au fond.

Examen au fond

8.1Conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

8.2.Le Comité note que les auteurs soutiennent que, de par sa négligence et son inaction lors des activités de sauvetage en mer, l’État partie a porté atteinte aux droits garantis à leurs proches par l’article 6 (par. 1) du Pacte en ce que son comportement a mis en danger la vie des intéressés et entraîné leur mort ou leur disparition. Le Comité note également, toutefois, que l’État partie soutient que, en l’espèce, la responsabilité des secours incombait au centre de sauvetage maltais, et que l’ITS Libra, bâtiment de la marine italienne, a participé à l’opération de sauvetage avant même que Malte en ait officiellement fait la demande, a coordonné l’opération et a sauvé de nombreuses vies.

8.3Le Comité note que le droit à la vie emporte l’obligation pour les États parties d’adopter toute loi ou mesure nécessaire pour protéger le droit à la vie contre toutes menaces raisonnablement prévisibles. Il fait observer que ce devoir de précaution exige l’adoption de mesures raisonnables qui ne font pas peser un fardeau excessif sur les États parties.

8.4.En l’espèce, les auteurs soutiennent que les autorités italiennes n’ont pas répondu rapidement à l’appel de détresse initial et ont attendu excessivement longtemps avant de diriger l’ITS Libra vers l’embarcation en détresse. Ils soutiennent également que l’ITS Libra a reçu l’ordre de s’éloigner de l’embarcation parce que, si les patrouilleurs maltais l’avaient repéré, ils n’auraient pas pris la responsabilité de l’opération de sauvetage. Le Comité note que les auteurs avancent que, si les autorités italiennes les avaient envoyés au secours de l’embarcation, l’ITS Libra et les navires de garde-côtes seraient arrivés avant le naufrage. Il note également, toutefois, que l’État partie affirme avoir promptement informé les autorités maltaises de l’appel de détresse et avoir recommandé aux émetteurs de l’appel d’entrer directement en contact avec le centre de sauvetage maltais. Il note en outre que, selon l’État partie, 23 opérations de secours étaient menées simultanément le jour du naufrage, et l’ITS Libra a été envoyé vers l’embarcation en détresse avant même avoir été informé que celle-ci avait chaviré.

8.5Le Comité constate que Malte était responsable au premier chef de l’opération de sauvetage, car l’embarcation a chaviré dans sa région de recherche et de sauvetage et La Valette a par écrit pris la responsabilité de l’opération. Toutefois, il estime que l’État partie n’a pas dûment expliqué pourquoi il n’avait manifestement pas répondu à l’appel de détresse rapidement, avant que les autorités maltaises prennent la responsabilité des secours. En outre, il note que l’État partie n’a fourni aucune information sur les mesures prises pour s’assurer que le centre de sauvetage maltais connaissait la position exacte de l’embarcation en détresse et envoyait effectivement des secours alors pourtant que la situation s’aggravait et que leur assistance était nécessaire. L’État partie n’a pas non plus expliqué pourquoi les autorités italiennes avaient tardé à envoyer l’ITS Libra vers l’embarcation en détresse alors que ce bâtiment se trouvait à une heure seulement de celle-ci et que le centre de sauvetage maltais avait officiellement requis son assistance. Enfin, le Comité note que l’État partie n’a pas réfuté l’argument selon lequel les appels téléphoniques interceptés révèlent que l’ITS Libra avait reçu l’ordre de s’éloigner de l’embarcation en détresse, et n’a fourni aucune explication satisfaisante à ce sujet. Compte tenu de ces éléments, il estime que l’Italie n’a pas démontré qu’elle s’était acquittée du devoir de précaution mis à sa charge par l’article 6 (par. 1) du Pacte.

8.6Le Comité note que les auteurs soutiennent que les autorités de l’État partie n’ont pas mené d’enquête officielle, indépendante et efficace sur le naufrage en vue d’établir les faits et d’identifier et de punir les responsables et que ce manquement est constitutif d’une violation des droits garantis aux victimes par l’article 6 du Pacte, lu conjointement avec l’article 2 (par. 3), ainsi que d’une violation des droits que les auteurs tiennent de l’article 7 du Pacte, lu conjointement avec l’article 2 (par. 3). Il note également que l’État partie avance que l’enquête sur le naufrage est toujours en cours et qu’elle est compliquée à mener à cause du grand nombre de parties concernées et de la difficulté à reconstituer les faits.

8.7Le Comité estime que l’État partie n’a pas clairement expliqué pourquoi les procédures internes duraient si longtemps, se contentant d’arguer qu’elles étaient complexes, et n’a pas non plus indiqué quand ces procédures seraient menées à terme. Dans ces circonstances, le Comité est d’avis que l’État partie n’a pas démontré qu’il s’était acquitté de l’obligation de mener rapidement une enquête sur les allégations de violation du droit à la vie et que, par conséquent, il a enfreint les obligations mises à sa charge par l’article 6 (par. 1) du Pacte, lu conjointement avec l’article 2 (par. 3).

8.8Ayant conclu à une violation de l’article 6 du Pacte, lu seul et conjointement avec l’article 2 (par. 3), le Comité décide de ne pas examiner séparément les griefs que les auteurs tirent de l’article 7 du Pacte, lu conjointement avec l’article 2 (par. 3).

9.Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 6 du Pacte, lu conjointement avec l’article 2 (par. 3).

10.Conformément à l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer aux auteurs un recours utile et une réparation effective. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés, d’autres États pouvant toutefois aussi porter la responsabilité des faits dénoncés. En conséquence, l’État partie est tenu, entre autres, de mener rapidement une enquête indépendante et efficace et, si nécessaire, de poursuivre et juger les responsables de la mort et de la disparition des proches des auteurs. Il est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas.

11.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans sa langue officielle.

Annexe I

Opinion conjointe (dissidente) de Yuval Shany, Christof Heyns et Photini Pazartzis

1.Nous ne sommes pas d’accord avec la décision de la majorité de conclure que les événements tragiques décrits dans la communication relèvent de la compétence de l’Italie aux fins de l’établissement des responsabilités découlant du Pacte et de la détermination de la recevabilité au regard du Protocole facultatif.

2.Au paragraphe 7.8 des constatations, il est expliqué qu’une relation particulière de dépendance s’était établie entre les victimes de l’embarcation en détresse et l’Italie et que cette relation déclenchait les obligations imposées à l’État partie par les règles du droit de la mer, notamment les dispositions de la Convention internationale de 1974 pour la sauvegarde de la vie humaine en mer, en particulier le chapitre V (règle 33), et de la Convention internationale de 1979 sur la recherche et le sauvetage maritimes, en particulier le chapitre 5.6. En conséquence, la majorité a estimé que les personnes qui se trouvaient à bord de l’embarcation en détresse étaient directement touchées par les décisions prises par les autorités italiennes, et ce, de manière raisonnablement prévisible compte tenu des obligations légales pertinentes de l’Italie, et que ces personnes relevaient donc de la compétence de l’État partie en ce qui concerne les droits garantis par le Pacte, nonobstant le fait qu’elles se trouvaient dans la région de recherche et de sauvetage de Malte et étaient donc simultanément placées sous la compétence de cet État. Nous sommes d’avis que cette opinion ne tient pas compte de la distinction qui existe entre a) les situations dans lesquelles un État peut être amené à placer sous son contrôle effectif des personnes trouvées hors de son territoire ou hors des régions déjà soumises à son contrôle effectif, et b) les situations dans lesquelles des personnes sont concrètement placées sous le contrôle effectif d’un État. Or, c’est seulement dans ce dernier cas de figure que l’État est compétent aux fins du Pacte et du Protocole facultatif.

3.Comme il est expliqué aux paragraphes 7.7 et 7.8 des constatations, l’embarcation en détresse se trouvait pendant toute la période pertinente − c’est-à-dire entre le moment du premier appel au secours et celui du naufrage − en dehors des eaux territoriales de l’Italie, et dans la zone de recherche et de sauvetage de Malte. La première question que le Comité devait trancher en l’espèce était de savoir si on pouvait considérer que les naufragés se trouvaient sous le pouvoir ou le contrôle effectif de l’Italie alors que le naufrage s’est produit en haute mer, dans une zone de recherche et de sauvetage qui relevait légalement de la responsabilité de Malte. Nul n’a argué devant le Comité que l’Italie avait formellement accepté la responsabilité juridique de la mission de recherche et de sauvetage avant que l’embarcation ne chavire, ni qu’elle avait assumé le contrôle de facto de l’opération.

4.En l’absence d’informations venant démontrer que l’Italie a accepté la responsabilité juridique de l’opération, le fait que l’embarcation en détresse a initialement établi contact avec le centre de sauvetage italien ne suffit pas en soi à conclure que, à compter de ce moment, Rome exerçait effectivement sa compétence sur les personnes se trouvant à bord, ni qu’elle était légalement tenue de le faire. On retiendra en particulier que l’Italie n’a pas véritablement coordonné l’opération de recherche et de sauvetage et a transmis l’appel de détresse aux autorités maltaises compétentes de Malte, qui ont confirmé par écrit que Malte se chargeait de la coordination. Si les autorités italiennes ont contribué aux efforts de recherche et de sauvetage des autorités maltaises en envoyant, quoi que trop tard, un bâtiment de la marine italienne − l’ITS Libra − sur les lieux, l’embarcation en détresse n’est pas passée sous le contrôle effectif de la marine italienne avant 18 h 30 le jour du naufrage. C’est plus d’une heure après que l’embarcation en détresse a chaviré que l’ITS Libra est arrivé sur les lieux et a commencé à coordonner les secours sur place.

5.Quand bien même le centre de sauvetage italien et la marine italienne auraient commis des erreurs critiques et n’auraient pas répondu comme il se devait aux appels de détresse et aux demandes d’assistance des autorités maltaises, contribuant ainsi à la mort tragique de nombreuses victimes, il ne s’ensuit pas pour autant que l’Italie exerçait un contrôle effectif sur les personnes qui se trouvaient à bord de l’embarcation en détresse, peu importe que les erreurs en question aient ou non constitué des infractions pénales au regard du droit italien ou des violations des obligations que le droit de la mer met à la charge de l’Italie vis-à-vis de Malte et d’autres États. C’est d’autant plus vrai que les personnes concernées se trouvaient dans une région dans laquelle les opérations de recherche et de sauvetage prévues par les dispositions du droit de la mer relevaient de la responsabilité − et, par voie de conséquence, de la compétence − d’un autre État. Étant donné que Malte, et non l’Italie, était responsable de jure ou de facto de la conduite générale de l’opération de recherche et de sauvetage, nous estimons qu’il n’y a pas lieu de tenir l’Italie responsable de violations du Pacte au motif qu’elle n’a pas déployé des navires plus rapidement afin d’assumer plus tôt la responsabilité de facto de l’opération.

6.Nous sommes en outre d’avis que la démarche de la majorité, qui assimile l’aptitude d’un État à mener à une opération maritime dans une région de recherche et de sauvetage dont un autre État est responsable au regard du droit international à l’exercice de la compétence sur les personnes se trouvant sur une embarcation en détresse, pourrait perturber l’ordre juridique que la Convention internationale de 1974 pour la sauvegarde de la vie humaine en mer et la Convention internationale de 1979 sur la recherche et le sauvetage maritimes ont tenté d’instaurer en vue de remédier à la « tragédie des biens communs » due à l’absence de division claire des tâches entre les États côtiers pour ce qui est des opérations de recherche et de sauvetage. Par conséquent, la démarche de la majorité pourrait certes être judicieuse aux fins de déterminer les obligations des États en matière de recherche et de sauvetage dans les régions qui ne relèvent de la responsabilité d’aucun État au regard du droit international, sachant qu’elle permettrait d’éviter les conflits négatifs de compétences, mais elle ne convient pas lorsque la situation examinée concerne une région qui relève déjà de la responsabilité d’un État et l’État en question assume cette responsabilité, car elle pourrait alors créer un conflit positif de compétences.

7.En conséquence, nous estimons qu’étant donné que Malte est responsable au premier chef des opérations de recherche et de sauvetage dans la région maritime concernée et l’État partie n’avait qu’un rôle d’appui, le Comité n’aurait pas dû conclure que les personnes qui se trouvaient à bord de l’embarcation qui a chaviré relevaient de la compétence de l’Italie aux fins du Pacte et du Protocole facultatif, que ce soit avant ou pendant le naufrage, et aurait dû considérer la communication irrecevable au regard de l’article 1 du Protocole facultatif.

Annexe II

Opinion individuelle (dissidente) d’Andreas Zimmermann

1.La présente opinion dissidente doit être lue conjointement avec l’opinion individuelle que j’ai formulée au sujet de la communication visant Malte qui porte sur les mêmes faits et, sauf indication contraire, elle en incorpore le contenu. En premier lieu, il convient de rappeler que le simple fait qu’une personne se trouve dans une région de recherche et de sauvetage placée sous la responsabilité de tel État partie au Pacte ne signifie pas que l’intéressé relève de la compétence de cet État partie aux fins de l’article 2 (par. 1) du Pacte, a fortiori en l’absence de la relation juridique qui, selon la majorité, rendait le Pacte applicable dans l’affaire concernant Malte.

2.Il m’apparaît clair que, en refusant que le bâtiment ITS Libra se porte au secours des personnes qui étaient en détresse en mer en vue de leur sauver la vie, l’Italie n’a pas respecté les obligations mises à sa charge par les règles du droit de la mer applicables. Cela étant, ce n’était pas la question dont le Comité était saisi, ni celle sur laquelle il devait se prononcer. De fait, le Comité n’aurait pas pu la trancher. Contrairement à ce que la majorité laisse entendre, la question de savoir si l’Italie est compétente pour exercer l’action pénale parce que les membres de l’équipage de l’ITS Libra, entre autres acteurs publics concernés, sont de nationalité italienne n’est pas non plus pertinente aux fins de l’article 2 (par. 1) du Pacte.

3.La décision rendue en l’espèce est d’autant plus problématique que la majorité a estimé que les auteurs de la communication étaient simultanément soumis à la compétence de l’Italie et à celle de Malte alors qu’elle a par ailleurs jugé irrecevable la communication visant Malte. L’Italie est à présent tenue d’accorder réparation intégrale aux personnes dont les droits protégés par le Pacte ont été violés bien qu’un autre État ait pu causer les morts tragiques dénoncées en l’espèce et que, comme le conclut la majorité, la responsabilité de l’opération de sauvetage − et donc du respect des droits protégés par le Pacte − incombait au premier chef à Malte et non à l’Italie. En outre, en déterminant que l’Italie est tenue de verser des indemnités aux victimes, la majorité soulève une nouvelle question, qui est celle de savoir quelle forme de responsabilité (proportionnelle, ou conjointe et solidaire) incombe à chaque État, le cas échéant.

4.Enfin, le Comité tente de circonscrire ses conclusions en déclarant que, dans les circonstances de l’espèce, une relation particulière de dépendance avait été établie entre les personnes se trouvant à bord du navire en détresse et l’Italie (par. 7.8), ce qui déclenchait l’applicabilité du Pacte. Or, il y a tout lieu de penser que, lues conjointement, les conclusions concernant Malte et celles concernant l’Italie donneront à penser que le Pacte s’applique de manière générale à l’égard des personnes qui se trouvent en détresse en mer non seulement lorsque ces personnes se trouvent dans la région de recherche et de sauvetage relevant de l’État partie, mais aussi lorsqu’elles sont à proximité d’un navire battant pavillon de l’État partie. Comme je l’ai déjà mentionné, cela pourrait regrettablement amener les États parties au Pacte à ne plus vouloir assumer les obligations qui sont les leurs, voire à s’assurer que leurs navires ne s’approchent pas de près d’une embarcation en détresse afin de ne pas donner l’impression qu’une « relation particulière de dépendance » a été créée.

Annexe III

Opinion individuelle (dissidente) de David H. Moore

1.En l’espèce, la détermination de la recevabilité de la communication soulève deux grandes questions. La première, et la plus importante, concerne la portée des obligations que le Pacte met à la charge des États parties. Selon l’article 2 (par. 1) du Pacte, les obligations des États parties s’étendent aux individus se trouvant sur leur territoire et relevant de leur compétence. Le Comité a interprété cette phrase comme si elle était disjonctive. Il existe de solides arguments en faveur d’une interprétation conjonctive, mais il est inutile de revenir sur le sujet pour régler le problème qui nous occupe. Nul ne prétend en effet que le territoire de l’Italie s’étend jusqu’à la haute mer. La question est donc de savoir si les naufragés relevaient de la compétence de l’État partie.

2.Cette question en soulève une autre, secondaire, qui est celle de savoir s’il est opportun de s’appuyer sur d’autres instruments internationaux pour interpréter le Pacte. Pour des raisons d’ordre général, notamment des raisons d’harmonisation, il y aurait lieu d’interpréter le Pacte en tenant compte d’autres sources du droit international. Cela étant, le Comité est uniquement compétent pour interpréter un traité donné auquel les États sont parties. À mon avis, le Comité devrait s’appuyer sur les principes de la Convention de Vienne sur le droit des traités pour ce qui est d’interpréter le Pacte à la lumière d’autres sources du droit, qu’il s’agisse de traités ou de règles de droit international coutumier.

3.Aux termes de l’article 31 (par. 3 c)) de la Convention de Vienne, il sera tenu compte, aux fins de l’interprétation des traités, de toute règle pertinente de droit international applicable dans les relations entre les parties. Bon nombre d’États parties au Pacte, y compris l’Italie et Malte, sont également parties à la Convention internationale de 1979 sur la recherche et le sauvetage maritimes, qui prévoit la division de la haute mer en régions de recherche et de sauvetage relevant chacune d’un État donné. Compte tenu de cette division, qui vise surtout à répartir les responsabilités, y compris en matière de contrôle, l’Italie devrait tout au plus être compétente en ce qui concerne les personnes se trouvant dans sa région.

4.Dans cette affaire tragique, la décision du Comité de déclarer l’Italie compétente vis‑à‑vis de personnes se trouvant en dehors de sa région de recherche et de sauvetage procède d’une noble intention, d’autant que l’État partie s’est comporté de manière discutable. Cela étant, je crains que cette décision vienne ajouter à l’incertitude qui règne concernant la responsabilité des États en haute mer, voire crée chez certains une appréhension, ce qui pourrait nuire à l’efficacité des futures interventions d’urgence plutôt que l’améliorer. À mon avis, la communication est irrecevable.

Annexe IV

Opinion individuelle (concordante) de Gentian Zyberi

1.Si j’approuve la décision du Comité, je souhaite néanmoins apporter certains éclaircissements sur la question du lien juridictionnel et sur les obligations légales des États pour ce qui est des opérations de recherche et de sauvetage en mer, notamment en ce qui concerne les réfugiés et les migrants.

2.Les circonstances de l’espèce et le cadre légal pertinent montrent bien que les États partagent la responsabilité des opérations de recherche et de sauvetage. Bien que chaque État soit responsable au premier chef de sa zone de recherche et de sauvetage, tous les États sont tenus de fournir une assistance aux autres États, et en particulier à ceux dont les capacités sont limitées.

3.Dans le contexte des opérations de recherche et de sauvetage, le lien juridictionnel est généralement fondé sur l’obligation internationale qui est faite aux États de prêter assistance aux personnes en détresse en mer, interprétée à la lumière de l’article 6 du Pacte. Au paragraphe 3 de son observation générale no 36 (2018), le Comité a souligné que le droit à la vie recouvrait le droit de chaque personne de ne pas subir d’actes ni d’omissions entraînant son décès prématuré ou non naturel. Les notions de pouvoir et de contrôle, auxquelles il est couramment fait référence lorsqu’il est question de compétence extraterritoriale, doivent être interprétées compte tenu de la particularité des circonstances en mer. Pour apprécier la responsabilité d’un État dans des opérations de recherche et de sauvetage visant à secourir des personnes en détresse en mer, on tiendra compte du fait que le devoir de précaution participe d’une obligation de comportement et exige de l’État qu’il fasse tout son possible dans la limite des moyens disponibles.

4.Lorsqu’une opération de recherche et de sauvetage échoue et se solde par des pertes en vies humaines, l’article 6 du Pacte fait obligation à l’État d’enquêter d’office avec toute la diligence possible afin d’établir les faits et d’amener les responsables à rendre compte de leurs actes.

Annexe V

Opinion individuelle (concordante) de José Manuel Santos Pais

1.Je souscris à la décision du Comité de conclure à une violation par l’Italie de l’article 6 (par. 1) du Pacte, lu conjointement avec l’article 2 (par. 3).

2.L’affaire portée devant le Comité est complexe en ce qu’elle concerne une situation qui relève de la compétence concurrente et partagée de plusieurs États, à savoir l’Italie et Malte, et possiblement la Libye. Toutefois, la question principale est de savoir si les victimes se trouvaient sous le pouvoir ou le contrôle effectif de l’Italie alors que le naufrage s’est produit hors du territoire italien (par. 7.7) et si l’Italie a manqué à l’obligation de contribuer au sauvetage des personnes en détresse en mer mise à sa charge par les instruments internationaux pertinents.

3.L’embarcation en détresse se trouvait à 61 miles au sud de Lampedusa et à 118 miles au sud-ouest de Malte, et était donc plus proche de la côte italienne. Selon le Ministre italien de la défense, l’ITS Libra, bâtiment de la marine italienne, se trouvait à 15 miles seulement de cette embarcation, soit à moins d’une heure de route. C’est donc l’ITS Libra qui était le plus proche ; or, il n’a pas directement proposé son assistance au centre de sauvetage maltais et ne s’est pas mis à sa disposition.

4.Le centre de sauvetage italien a reçu un premier appel à 12 h 26, puis un deuxième à 12 h 39, au cours duquel il a été informé que l’embarcation était en train de couler, qu’il y avait des enfants à bord et qu’il fallait intervenir d’urgence. La position exacte de l’embarcation a été communiquée aux autorités italiennes. Plusieurs autres appels ont suivi, à 13 h 17, 13 h 38, 14 h 22 et 15 h 37, les demandes se faisant chaque fois plus pressantes.

5.Le centre de sauvetage italien a établi le contact avec son homologue maltais à 13 heures, mais ne l’a pas informé du péril qui menaçait l’embarcation, ni de la position exacte de celle-ci ou du fait que l’ITS Libra en était très proche et avait déjà été contacté. Les autorités maltaises ont localisé l’embarcation vers 16 heures.

6.À 13 h 34, le centre de sauvetage italien a émis un avertissement de navigation à l’intention de tous les navires se trouvant à proximité pour qu’ils portent secours à l’embarcation. À 14 h 30, le centre de sauvetage maltais a fait de même. L’ITS Libra n’a répondu à aucun des deux avertissements.

7.Le commandement de la marine italienne a été informé à 13 h 35 de la position de l’embarcation et du nombre de personnes à bord. Toutefois, à 15 h 34, il a donné pour instruction à l’ITS Libra de ne pas s’approcher et de ne pas se faire repérer. À 15 h 41, il a répété cette instruction.

8.Après 16 heures, l’ITS Libra a été identifié par un aéronef de l’armée maltaise, et le centre de sauvetage maltais a demandé qu’il aille prêter assistance à l’embarcation, dont on l’avait informé qu’elle était surchargée et instable. L’ITS Libra n’a toutefois pas répondu aux appels d’urgence émis par l’aéronef maltais, qui se sont répétés pendant près de deux minutes.

9.À 16 h 38, le centre de sauvetage italien a demandé au commandement de la marine italienne de mettre directement l’ITS Libra en contact avec les autorités maltaises, ce qui a été fait à 16 h 41. À 16 h 44, le centre de sauvetage maltais a de nouveau demandé au centre de sauvetage italien d’affecter l’ITS Libra à l’opération de sauvetage. Le centre de sauvetage italien a refusé. Ce n’est qu’à 17 h 7, après le naufrage et 4 h et 40 minutes après le premier appel d’urgence, que l’ITS Libra a reçu l’ordre d’intervenir. L’ITS Libra est arrivé sur les lieux à 17 h 57, six minutes plus tard que le patrouilleur de l’armée maltaise.

10.Partant, les autorités navales italiennes ont refusé d’agir alors que c’est le centre de sauvetage italien qui était initialement chargé de coordonner l’opération de sauvetage et a émis le premier avertissement de navigation. En outre, ces autorités ont systématiquement passé sous silence des informations précieuses qu’elles auraient dû communiquer aux autorités maltaises et ont délibérément empêché l’ITS Libra d’intervenir dans l’opération de sauvetage jusqu’à ce que l’embarcation en détresse ait fait naufrage, alors que c’était pourtant le navire le plus proche.

11.En conséquence, j’estime que les personnes qui se trouvaient à bord de l’embarcation en détresse relevaient de la compétence de l’Italie aux fins du Pacte (par. 7.5 à 7.8). En outre, les autorités italiennes n’ont pas fourni d’explication convaincante venant justifier qu’elles n’aient pas porté secours aux personnes en détresse malgré l’urgence de la situation et aient ainsi mis en danger de nombreuses vies (par. 8.5).

12.Des membres de la marine, du corps des garde-côtes et du centre de sauvetage italiens, parmi lesquels au moins sept officiers, ont été traduits en justice pour non-assistance à personne en danger et homicide par négligence. Sept ans après les faits, le procès intenté devant les tribunaux italiens est toujours en cours. Il n’a donc pas été suffisamment efficace ni rapide. Pour toute explication, l’État partie s’est contenté de souligner la complexité de l’affaire, sans donner d’échéance pour l’achèvement du procès (par. 8.6 et 8.7).

Annexe VI

Opinion individuelle (concordante) de Vasilka Sancin

1.Je suis d’accord avec le Comité que les personnes qui se trouvaient à bord de l’embarcation en détresse ont été directement touchées par les décisions de l’Italie, et ce, d’une manière qui était raisonnablement prévisible compte tenu des obligations légales mises à la charge de l’Italie ; que ces personnes relevaient de la compétence de l’État partie, ainsi que de celle de Malte, aux fins du Pacte ; et que les dispositions de l’article premier du Protocole facultatif n’empêchaient donc pas le Comité d’examiner la communication. Je suis de surcroît pleinement d’accord avec le Comité que l’État partie a porté atteinte aux droits garantis par l’article 6 du Pacte, lu seul et conjointement avec l’article 2 (par. 3).

2.Toutefois, je tiens à souligner qu’à mon avis, étant donné que les événements tragiques décrits dans la communication se sont produits en haute mer, où, selon le droit de la mer, ni l’Italie ni Malte n’exercent de compétence territoriale, si ce n’est sur les navires battant leur pavillon et dans les seules circonstances prévues par la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer − par exemple, dans les cas de piraterie −, la question de savoir si la communication était recevable au regard de l’article premier du Protocole facultatif, et donc si les griefs soulevés relevaient de la compétence ratione loci de l’État partie parce que celui-ci exerçait un pouvoir ou un contrôle effectifs sur les personnes concernées, est intrinsèquement liée au droit en cause, à savoir le droit à la vie. Se référant à son observation générale no 36 (2018), le Comité a fait observer (par. 7.5) que les États parties étaient tenus de respecter et de protéger la vie des personnes se trouvant en situation de détresse en mer, conformément à leurs obligations internationales relatives aux secours en mer (non souligné dans l’original).

3.C’est pourquoi, après avoir examiné les faits et les circonstances particulières de l’espèce (par. 7.7), je conclus que la communication est recevable bien que les événements se soient produits en haute mer. Les auteurs ont suffisamment démontré : a) que l’Italie avait le pouvoir de s’acquitter de ses obligations internationales, c’est-à-dire de prêter assistance à un navire en détresse, comme le prévoit l’article 98 de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, et d’aider les autorités maltaises dans sa zone de recherche et de sauvetage ; b) que l’Italie a fait croire aux victimes, notamment dans les heures qui ont suivi le premier contact, qu’elle respecterait ces obligations ; c) que les activités qui auraient dû être menées auraient pu avoir des conséquences directes et raisonnablement prévisibles sur les événements. En assumant l’obligation d’exercer son pouvoir en l’espèce, l’Italie a, à mon avis, soumis les victimes à sa compétence, mais, étant donné qu’elle n’a pas agi comme il se devait, elle n’a pas protégé leur vie et, après-coup, elle n’a pas dûment enquêté sur les faits, portant ainsi atteinte aux droits des auteurs.

Annexe VII

Opinion individuelle (concordante) de Hélène Tigroudja

1.Je souscris pleinement aux conclusions de la majorité. Les constatations adoptées en l’espèce sont la première tentative du Comité pour combler en partie le vide juridique laissé par le droit de la mer et pourraient tendre à la reconnaissance d’un « droit d’être secouru en mer ». Toutefois, comme je l’ai dit dans l’opinion concordante que j’ai formulée au sujet de la communication concernant Malte, le raisonnement juridique suivi par la majorité n’est pas tout à fait rigoureux. Je ne répéterai pas les arguments que j’ai avancés sur le fait qu’il était déraisonnable de scinder les deux affaires et sur l’utilisation d’un corpus de textes juridiques qui ne reflète pas les réalités actuelles. Ma principale observation porte sur la question de la compétence extraterritoriale exercée par l’Italie (par. 7.8). Je ne suis pas entièrement convaincue par la manière dont la majorité a tranché la question, car elle reflète une confusion entre les obligations de fond mises à la charge de l’Italie et l’existence d’un lien juridictionnel avec ce pays. Qui plus est, les raisons qui ont poussé le Comité à conclure à ce lien juridictionnel ne sont pas claires, et je regrette que la majorité n’ait pas répondu précisément aux arguments que les auteurs tirent des constatations adoptées dans l’affaire Munaf c. Roumanie, qui sont plus convaincants que ceux retenus au paragraphe 7.8.