Nations Unies

CCPR/C/132/D/3065/2017

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

24 août 2022

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre du Protocole facultatif, concernant la communication no 3065/2017 * , ** , ***

Communication présentée par :

Lazaros Petromelidis (représenté par un conseil, Georgios Karatzas)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteur

État partie :

Grèce

Date de la communication :

31 décembre 2015 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 8 décembre 2017 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

2 juillet 2021

Objet :

Objection de conscience au service militaire obligatoire ; service civil de nature punitive

Question(s) de procédure :

Non-épuisement des recours internes ; qualité de victime ; abus du droit de présenter des communications ; irrecevabilité ratione temporis

Question(s) de fond :

Droit à la liberté ; liberté de circulation ; droit à un procès équitable ; droit de ne pas être jugé ou puni deux fois pour la même infraction (principe ne bis in idem) ; liberté de pensée, de conscience et de religion ; discrimination

Article(s) du Pacte :

9 (par. 1), 12 (par. 2), 14 (par. 1 et 7) et 18 (par. 1 et 2)

Article(s) du Protocole facultatif :

1, 3 et 5 (par. 2) b))

1.1L’auteur de la communication est Lazaros Petromelidis, de nationalité grecque, né en 1963. Il affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient des articles 9 (par. 1), 12 (par. 2), 14 (par. 1 et 7) et 18 (par. 1 et 2) du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour la Grèce le 5 mai 1997. L’auteur est représenté par un conseil.

1.2Le 15 mars 2018, l’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité et a demandé au Comité d’examiner la recevabilité de la communication séparément du fond. Étant donné que l’État partie a fait part de ses observations sur le fond de l’affaire avant que le Comité ne décide s’il accédait à la demande tendant à ce qu’il examine la recevabilité séparément du fond, cette décision est devenue superflue.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur est un objecteur de conscience qui a été convoqué pour effectuer son service militaire obligatoire à de nombreuses reprises à partir du 17 mars 1992. Le droit à l’objection de conscience n’a été reconnu par l’État partie que lorsque de nouvelles lois ont été promulguées le 1er janvier 1998. Par conséquent, avant 1998, aucune exemption du service militaire obligatoire ne pouvait être accordée, et aucune solution de substitution au service militaire obligatoire n’était proposée aux objecteurs de conscience.

2.2En raison de son refus d’effectuer le service militaire obligatoire, l’auteur a fait l’objet de poursuite pénales et, le 20 juillet 1992, une interdiction de voyager lui a été imposée. Le 6 février 1997, un mandat d’arrêt a été émis contre lui. Le 27 mai 1998, il a été placé en détention provisoire, avant d’être libéré le 2 juin 1998 parce qu’il avait demandé à effectuer un service civil de remplacement.

2.3Le 23 novembre 1998, à la suite de l’adoption de la loi no 2510/1997 sur la conscription, l’auteur s’est vu reconnaître le statut d’objecteur de conscience et a été appelé pour effectuer un service civil de remplacement d’une durée de trente-neuf mois dans un centre de santé à Kilkis, à environ 550 kilomètres de son domicile à Athènes. L’auteur ne s’étant pas présenté pour effectuer ce service civil, son statut d’objecteur de conscience lui a été retiré le 10 février 1999. Le 14 février 1999, l’auteur a introduit un recours devant le Conseil d’État pour dénoncer le caractère punitif du service civil de remplacement en raison de sa durée excessive. Le 2 mars 1999, il a introduit un nouveau recours devant le Conseil d’État pour contester le retrait de son statut d’objecteur de conscience. Ces deux recours ont été rejetés en avril 2002.

2.4Le 15 avril 1999, l’auteur a été reconnu coupable d’« insoumission en période de mobilisation générale » parce qu’il ne s’était pas présenté pour effectuer son service militaire du 18 mars 1992 au 17 mai 1998 (première condamnation). Il a été condamné à une peine de quatre ans d’emprisonnement. Il a commencé à purger sa peine le 15 avril 1999 et il est resté en prison pendant soixante-quinze jours.

2.5Le 17 septembre 2002, l’auteur a été arrêté pour insoumission parce qu’il n’avait pas accompli son service civil de remplacement du 17 janvier 1999 au 15 avril 1999. Il a été placé en détention provisoire le 17 septembre 2002 et libéré le 19 septembre 2002. Sa libération conditionnelle a été ordonnée par le tribunal naval du Pirée, qui a estimé qu’il n’était pas compétent pour les affaires relatives au service civil de remplacement et a renvoyé l’affaire au tribunal naval de Thessalonique. L’auteur a dû verser une caution de 1 000 euros et se soumettre à l’obligation de se présenter au poste de police local le 1er et le 15 de chaque mois. Le 19 février 2004, le tribunal naval de Thessalonique s’est déclaré incompétent, a renvoyé l’affaire au procureur du tribunal correctionnel de Kilkis et a levé les restrictions encore en vigueur. Finalement, l’auteur n’a pas été jugé sous ce chef d’accusation.

2.6Le 12 juin 2003, la Cour d’appel militaire a confirmé la déclaration de culpabilité prononcée contre l’auteur le 15 avril 1999 pour insoumission mais a ramené la peine imposée à vingt mois d’emprisonnement avec un sursis de trois ans. Cette décision était en partie motivée par le fait que la mobilisation générale avait pris fin. Le 2 décembre 2003, l’auteur a formé un pourvoi devant la Cour de cassation, qui l’a débouté le 7 décembre 2004.

2.7Par la suite, l’auteur a reçu plusieurs autres convocations pour effectuer son service militaire et a été accusé à plusieurs reprises d’insoumission parce qu’il ne s’était pas présenté. Le 16 décembre 2004, il a été condamné pour insoumission à deux ans et six mois d’emprisonnement, convertibles en amende, sous deux chefs d’accusation concernant les périodes allant du 27 juillet 1999 au 12 juin 2003 et du 4 juillet 2003 au 13 novembre 2003, respectivement (deuxième condamnation). Le 4 mai 2006, la Cour d’appel militaire d’Athènes a ramené la peine de l’auteur à cinq mois d’emprisonnement pour chaque chef d’accusation. Le pourvoi formé ultérieurement par l’auteur devant la Cour de cassation a été rejeté le 31 mai 2007.

2.8Le 1er janvier 2008, du faitde son âge, l’auteur a cessé d’être soumis à l’obligation d’effectuer le service militaire obligatoire. Toutefois, comme de nouvelles poursuites avaient déjà été engagées contre lui en 2006, le 20 mai 2008, le tribunal naval du Pirée l’a condamné à trois ans d’emprisonnement pour deux chefs d’insoumission concernant les périodes allant du 23 janvier 2004 au 19 février 2004 et du 8 octobre 2004 au 1er janvier 2008 (troisième condamnation). Le 31 mars 2009, la Cour d’appel militaire d’Athènes a confirmé la déclaration de culpabilité prononcée contre l’auteur mais a ramené la peine à dix-huit mois d’emprisonnement. L’auteur n’a pas formé de pourvoi en cassation en raison du coût et de la longueur de la procédure et du peu de chances de succès, à en juger par l’issue de ses précédents pourvois. Le 20 juin 2013, il a été arrêté et incarcéré mais a été libéré le lendemain, sa peine d’emprisonnement ayant été convertie en une amende de 5 431 euros, qui a été acquittée.

2.9Le 21 mai 2014, l’auteur a fait l’objet d’une nouvelle tentative d’arrestation visant à ce qu’il exécute la peine d’emprisonnement prononcée contre lui le 4 mai 2006. Cette peine a elle aussi été convertie en une amende, d’un montant de 1 386 euros, qui a été acquittée.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que son droit à l’objection de conscience au service militaire obligatoire, garanti par l’article 18 (par. 1) du Pacte, a été violé. Premièrement, il fait valoir que sa première déclaration de culpabilité était essentiellement fondée sur son refus d’effectuer le service militaire à une époque où l’État partie n’avait pas encore reconnu l’objection de conscience. À ce sujet, il renvoie à la jurisprudence du Comité selon laquelle le droit à l’objection de conscience « permet à toute personne d’être exemptée du service militaire obligatoire si un tel service ne peut être concilié avec sa religion ou ses convictions. L’exercice de ce droit ne doit pas être entravé par des mesures coercitives ». Deuxièmement, et bien qu’il ait eu la possibilité d’effectuer un service civil en tant qu’objecteur de conscience, l’auteur souligne qu’il existe entre les deux régimes des différences substantielles qui désavantagent toute personne effectuant le service civil, en violation de l’article 18 du Pacte. Il dénonce en particulier la différence importante dans la durée des périodes de service, puisque dans son cas le service civil devait durer trente-neuf mois, contre vingt et un mois pour le service militaire. Bien que les lois régissant la durée tant du service civil que du service militaire aient été modifiées plusieurs fois au cours de la période considérée, la différence dans la durée des périodes de service est restée très importante. De plus, l’auteur fait valoir que jusqu’en 2001, aucune disposition législative ne permettait aux autorités de prendre en compte sa situation de famille pour fixer la durée de son service civil, contrairement à ce qui était le cas pour le service militaire. Il ajoute que la plupart des objecteurs de conscience ne devaient accomplir qu’un service de trente-six mois parce qu’en principe ils l’accomplissaient dans l’armée de terre, alors que lui était censé l’effectuer dans la marine. Enfin, il affirme que les peines prononcées contre lui lorsqu’il a été condamné pour les deuxième et troisième fois et les amendes qu’il a dû payer constituent une violation des droits qu’il tenait de l’article 18 (par. 2) du Pacte.

3.2L’auteur affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tenait de l’article 9 (par. 1) du Pacte à plusieurs reprises en le plaçant arbitrairement en détention pour avoir légitimement exercé son droit à l’objection de conscience au service militaire. Il affirme qu’il a été arrêté arbitrairement quatre fois et détenu pendant quatre-vingt-sept jours au total.

3.3L’auteur affirme qu’il y a également eu violation de l’article 14 (par. 1) du Pacte parce qu’il a été traduit devant des tribunaux militaires. Il soutient que les tribunaux militaires ne sont pas compétents pour juger des civils car ils n’agissent pas de manière indépendante ni impartiale dans les affaires de refus d’accomplir le service militaire. Il affirme en outre que ses deuxième et troisième déclarations de culpabilité prononcées contre lui résultent de poursuites distinctes visant la même infraction, en violation de l’article 14 (par. 7) du Pacte.

3.4En outre, l’auteur affirme que l’interdiction de voyager qui lui a été imposée le 20 juillet 1992, l’empêchant de quitter le territoire grec, constitue une violation par l’État partie des droits qu’il tenait de l’article 12 (par. 2) du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans une note verbale du 15 mars 2018, l’État partie demande au Comité de déclarer la communication irrecevable au regard des articles 1er, 3 et 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif aux motifs que l’auteur n’a pas la qualité de victime, qu’il a abusé du droit de présenter des communications et qu’il n’a pas épuisé les recours internes.

4.2L’État partie fait valoir que l’auteur a perdu la qualité de victime puisqu’il s’est vu reconnaître le statut d’objecteur de conscience le 23 novembre 1998 et qu’il lui a été proposé d’effectuer un service civil de remplacement. Il ajoute que l’auteur n’a pas donné suite à cette proposition dans le délai prescrit, c’est-à-dire avant le 16 janvier 1999. Étant donné qu’il s’est vu proposer une solution de remplacement lui permettant de s’acquitter de ses obligations et qu’il n’a ensuite fait l’objet de poursuites que parce qu’il avait décidé de ne pas se prévaloir de cette possibilité, l’État partie considère qu’il a perdu sa qualité de victime au regard de l’article premier du Protocole facultatif.

4.3L’État partie déclare en outre que la dernière décision rendue en l’espèce par les juridictions nationales remonte au 31 mars 2009 et que l’auteur n’a saisi le Comité que le 31 décembre 2015. Selon lui, il s’agit là d’un regard important au regard de la jurisprudence du Comité, retard que l’auteur n’a aucunement justifié.

4.4Enfin, l’État partie relève que l’auteur ne s’est pas pourvu devant la Cour de cassation contre la décision rendue par la Cour d’appel militaire d’Athènes le 31 mars 2009. À ce sujet, il conteste le caractère excessif du coût et de la durée d’une telle procédure. Il fait valoir en outre que le fait que l’auteur ait été débouté de ses précédents pourvois en cassation ne permet pas d’affirmer qu’une nouvelle procéduren’avait aucune chance d’aboutir. L’État partie demande par conséquent au Comité de déclarer la communication irrecevable pour non‑épuisement des recours internes, conformément à l’article5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif.

Observations de l’État partie sur le fond

5.1Dans une note verbale du 7 juin 2018, l’État partie fait part de ses observations sur le fond de la communication. En ce qui concerne le grief de violation de l’article 9 (par. 1) du Pacte, l’État partie affirme que les arrestations et détentions de l’auteur n’ont pas été arbitraires mais conformes à la procédure prescrite par la loi. Il fait valoir que l’auteur a été arrêté en exécution d’un mandat d’arrêt, qu’il a été informé des raisons de son arrestation et qu’il a été maintenu en détention pendant soixante-quinze jours successifs et quatre‑vingt‑sept jours au total, ce qui ne dépasse pas la durée maximale de dix-huit mois fixée par la loi. En outre, l’auteur a pu contester la légalité de sa détention et n’a pas été empêché de s’entretenir avec son avocat ou les membres de sa famille. Dans ces circonstances, l’État partie estime qu’il n’y a pas eu violation de l’article 9 du Pacte.

5.2En ce qui concerne le grief de violation de l’article 12 (par. 2) du Pacte, l’État partie rappelle que le droit à la liberté de circulation n’est pas un droit absolu. Lorsqu’un mandat d’arrêt a été émis, le droit de quitter n’importe quel pays peut être restreint, en premier lieu pour des raisons de sécurité nationale ou d’ordre public, conformément à l’article 12 (par. 3) du Pacte. L’État partie renvoie à la jurisprudence du Comité qui établit que la liberté de circulation de certaines personnes, comme les délinquants condamnés et les personnes effectuant leur service militaire, peut légitimement faire l’objet de restrictions. Il considère que la mesure contestée était fondée sur des motifs légitimes puisqu’elle a été imposée dans l’intérêt de l’ordre public et de la sécurité nationale et qu’elle est également conforme au principe de l’égalité dans la répartition des charges entre tous les citoyens grecs. Il ajoute qu’aucune autre mesure, moins intrusive, n’était disponible. Dans ces circonstances, l’État partie considère que les restrictions imposées au droit de l’auteur de quitter son pays étaient justifiées au regard de l’article 12 (par. 3) du Pacte.

5.3En ce qui concerne le grief de violation de l’article 14 (par. 1) du Pacte, l’État partie souligne que ladite disposition s’applique à toutes les juridictions, de droit commun comme spécialisées. Selon lui, le fait de traduire des civils devant des tribunaux militaires ne constitue pas en soi une violation de l’article en question ; qui plus est, en l’espèce, l’auteur n’a pas été jugé en tant que civil. Il a été jugé pour insoumission en raison de son refus d’effectuer le service militaire obligatoire, dans le cadre d’une relation juridique qui relève de la législation militaire. En outre, tous les tribunaux militaires en Grèce sont institués par la Constitution et font partie du pouvoir judiciaire de l’État, qui est séparé et indépendant des pouvoirs exécutif et législatif. Toutes les garanties judiciaires fondamentales, y compris le droit à un procès équitable et le droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial, s’appliquent devant les tribunaux militaires. L’État partie invite donc le Comité à conclure qu’il n’y a pas eu violation de l’article 14 (par. 1) du Pacte.

5.4En ce qui concerne le grief de violation de l’article 14 (par. 7) du Pacte, l’État partie fait valoir que les infractions dont l’auteur a été déclaré coupable n’étaient pas les mêmes à chaque fois puisque sa première déclaration de culpabilité était fondée sur son refus d’effectuer le service militaire obligatoire mais les suivantes son refus d’effectuer le service civil de remplacement. Il indique que les déclarations de culpabilité prononcées contre l’auteur après l’adoption de la loi no 2510/1997 n’ont pas porté atteinte aux droits que celui‑ci tenait du Pacte, car il s’est volontairement soustrait à ses obligations au titre de la législation nationale, qui a été rendue conforme aux obligations internationales de la Grèce en matière de droits de l’homme. L’État partie fait donc valoir qu’il n’y a pas eu violation de l’article 14 (par. 7) du Pacte.

5.5En ce qui concerne le grief de violation de l’article 18 du Pacte, l’État partie rappelle que, selon la jurisprudence du Comité, le Pacte protège l’objection au service militaire en tant que manifestation de convictions religieuses ou idéologiques ; cependant, cette protection n’implique pas que toute personne a automatiquement le droit de refuser de s’acquitter de cette obligation pour des raisons de conscience. En ce qui concerne le caractère prétendument punitif du service civil de remplacement en raison de sa durée, l’État partie fait observer que le service militaire obligatoire ne peut être comparé à un service civil de remplacement. En particulier, les gardes de vingt-quatre heures effectuées dans le cadre du service militaire sont très différentes des journées de travail de huit heures de bureau effectuées dans le cadre du service civil, qui permettent aux intéressés de rentrer chez eux tous les jours. L’État partie conteste en outre l’allégation de l’auteur selon laquelle le service civil de remplacement en question serait discriminatoire et il souligne que tous les citoyens grecs ont l’obligation constitutionnelle de contribuer à la défense de leur patrie. Au cas où le Comité estimerait que l’obligation de service civil de remplacement porte atteinte au droit de l’auteur à la liberté de pensée, de conscience et de religion, l’État partie affirme qu’il s’agit d’une restriction nécessaire des droits de l’individu, qui vise à protéger l’ordre national et la sécurité publique.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

6.1L’auteur a présenté ses commentaires sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité dans une lettre datée du 10 août 2018. L’auteur conteste l’argument de l’État partie selon lequel il a perdu la qualité de victime. Il souligne qu’il ne lui a jamais été proposé d’accomplir un service civil de remplacement qui n’aie pas un caractère discriminatoire. En tout état de cause, il soutient que les arguments de l’État partie contestant sa qualité de victime ne concernent que la période postérieure au 23 novembre 1998, date à laquelle le statut d’objecteur de conscience lui a été reconnu. En outre, il réfute l’affirmation de l’État partie selon laquelle toutes les procédures engagées contre lui depuis le 23 novembre 1998 sont liées au fait qu’il n’a pas effectué un service civil de remplacement. À cet égard, il réaffirme qu’il n’a même pas eu à répondre devant un tribunal de son refus d’accomplir ce service civil. La plupart des poursuites engagées contre lui, même après le 23 novembre 1998, concernaient le non-accomplissement de son service militaire et elles ont été engagées devant les tribunaux militaires. Il a donc été victime d’une violation par l’État partie des droits qu’il tenait de l’article 14 (par. 7) du Pacte.

6.2L’auteur conteste l’allégation de l’État partie selon laquelle il n’a pas épuisé les recours internes. Il fait valoir que les arguments de l’État partie se limitent à la troisième série de procédures, à savoir sa décision de ne pas se pourvoir devant la Cour de cassation contre l’arrêt rendu par la Cour d’appel militaire d’Athènes le 31 mars 2009. Il rappelle toutefois la jurisprudence du Comité selon laquelle, lorsque la jurisprudence de la plus haute juridiction d’un État sur la question objet du litige est telle que toute possibilité de succès d’un recours devant les juridictions internes est exclue, l’auteur n’est pas tenu d’épuiser les recours internes aux fins du Protocole facultatif. Il rappelle que la Cour de cassation avait déjà statué deux fois sur la même question, notamment sur sa prétention selon laquelle le service civil de remplacement qui lui était imposé avait un caractère punitif et discriminatoire, la seule différence étant que les décisions concernaient des périodes différentes. Il soutient en outre que le coût d’une telle procédure est prohibitif. Il explique qu’en 2009, il s’est trouvé dans une situation financière difficile en raison des procédures engagées contre lui, qui ont entraîné le paiement de cautions, d’amendes et de frais de justice, et que cette situation s’est encore aggravée du fait de ses difficultés à trouver un emploi en tant qu’insoumis.

6.3En ce qui concerne l’argument de l’État partie selon lequel il a présenté sa plainte très tardivement, l’auteur fait observer que les observations finales du Comité sur le deuxième rapport périodique de la Grèce, dont il attendait la publication, ont été adoptées avec beaucoup de retard parce que l’État partie ne s’est pas acquitté en temps voulu de son obligation de soumettre un rapport. En tout état de cause, il fait valoir que le Protocole facultatif ne fixe aucun délai pour la présentation d’une communication. La règle des cinq ans n’est apparue qu’en 2012 dans la jurisprudence du Comité. L’auteur ne pouvait pas prévoir l’application de ce critère de recevabilité en 2009, lorsque la dernière décision de justice a été rendue. De plus, s’il a été condamné en 2007 et 2009, les peines n’ont été exécutées qu’en juin 2013 et en mai 2014. La présentation de sa communication en 2015 n’est donc intervenue que deux ans après l’exécution des peines consécutives à ses quatrième et cinquième condamnations en 2013, et un an après l’exécution des peines consécutives à ses deuxième et troisième condamnations en 2014. L’auteur affirme en outre qu’il craignait que sa communication n’attire l’attention des autorités nationales et ne les amène à lui faire exécuter immédiatement les peines d’emprisonnement qu’il n’avait pas encore purgées.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant le fond

7.1Dans une seconde lettre datée du 10 août 2018, l’auteur a présenté ses commentaires sur les observations de l’État partie concernant le fond. Il rappelle les observations finales du Comité publiées en 2005 et 2015, dans lesquelles le Comité se déclare préoccupé par les lois et pratiques pertinentes de l’État partie. En outre, il soutient que ce n’est pas le service civil de remplacement en soi qui est punitif et discriminatoire mais sa durée excessive. Il répète qu’il était tenu d’effectuer un service civil de trente-neuf mois (ou, plus tard, trente mois minimum en tant que père d’un mineur), contre quatre mois pour le service militaire. À cet égard, il fait observer que l’argument de l’État partie faisant référence à des journées de travail de huit heures de bureau sont trompeuses car, comme le confirment les rapports annuels du médiateur grec, de nombreuses irrégularités ont été relevées dans le système grec, certaines institutions ayant pour pratique d’obliger les objecteurs de conscience à travailler sept jours par semaine, y compris les week-ends et jours fériés, et au-delà des heures de travail habituelles. Il soutient donc que les lois et pratiques de l’État partie sont contraires à l’article 18 du Pacte. De plus, se référant à la jurisprudence du Comité, il affirme qu’un service civil de remplacement d’une durée excessive peut également donner lieu à une violation des droits qu’il tient de l’article 26 du Pacte. Il estime à cet égard qu’il a été victime de discrimination pour les raisons suivantes : a) il était initialement tenu d’effectuer un service civil de remplacement de trente-neuf mois au lieu de trente-six mois pour la seule raison qu’il devait à l’origine servir dans la marine et non dans l’armée de terre ; b) la durée de son service de remplacement, même réduite en raison de sa situation de famille, était disproportionnée par rapport à celle du service militaire ; c) à la différence des personnes effectuant leur service militaire, il n’a jamais eu la possibilité de n’accomplir qu’une partie de son service et de payer pour le temps restant ; d) les personnes effectuant leur service militaire peuvent réintégrer l’emploi qu’elles occupaient avant leur incorporation mais les objecteurs de conscience ne bénéficient pas d’une protection similaire.

7.2L’auteur affirme en outre que ce n’est pas seulement sa durée mais aussi d’autres conditions qui confèrent au service civil de remplacement un caractère punitif. Il mentionne notamment le fait que ce service doit être accompli ailleurs qu’au lieu de résidence permanente de l’intéressé, la faiblesse de la rémunération perçue, qui est inférieure au revenu minimum de subsistance pour les personnes employées dans des organisations sociales, et les restrictions à la liberté d’aller et venir des personnes concernées. Il souligne qu’il devait accomplir son service à Kilkis, à environ 550 kilomètres de son lieu de résidence. Il ajoute qu’en Grèce les objecteurs de conscience n’ont droit à un salaire que si l’institution au sein de laquelle ils effectuent le service civil de remplacement ne peut pas les nourrir et les loger. Comme l’auteur devait être employé dans un dispensaire spécialisé dans les maladies chroniques, il n’aurait perçu aucune rémunération pendant ses trente-neuf mois de service.

7.3En ce qui concerne l’article 14 (par. 7) du Pacte, l’auteur réaffirme que toutes les déclarations de culpabilité prononcées contre lui découlent de son refus de servir dans l’armée et concernent donc la même infraction pénale.

7.4En ce qui concerne le grief qu’il tire de l’article 14 (par. 1) du Pacte, l’auteur réitère ses arguments quant au manque d’impartialité des tribunaux et souligne que le procureur chargé de l’affaire concernant sa première période d’insoumission est le magistrat qui présidait la Cour d’appel militaire lors de son procès concernant ses deuxième et troisième périodes d’insoumission. Il affirme qu’en tout état de cause, l’État partie n’a pas démontré qu’il était nécessaire de le traduire devant un tribunal militaire, ce qui l’a privé de garanties importantes.

7.5En ce qui concerne le grief qu’il tire de l’article 9 (par. 1) du Pacte, l’auteur fait observer qu’il a en fait été détenu pendant soixante-quinze jours successifs et quatre-vingt-sept jours au total et que les chiffres avancés par l’État partie ne comprennent pas les jours où il a été libéré. En outre, les arguments de l’État partie concernant la durée de la détention provisoire de l’auteur ne sont pas pertinents, d’une part parce que certaines périodes de détention faisaient suite à un jugement définitif et d’autre part parce qu’il n’a jamais prétendu que sa détention était illégale en raison de sa durée mais a affirmé qu’elle l’était parce qu’il avait été arrêté pour avoir exercé des droits qu’il tenait de l’article 18 du Pacte.

7.6En ce qui concerne le grief qu’il tire de l’article 12 (par. 2) du Pacte, l’auteur souligne qu’il lui a été interdit de quitter la Grèce, au moins pendant les périodes d’insoumission, qui représentent près de quatorze ans au total. Il renvoie à l’affaire González del Río c. Pérou, dans laquelle le Comité a conclu à une violation de l’article 12 (par. 2) parce que la victime avait eu interdiction de quitter son pays en raison d’un mandat d’arrêt la visant. Il rappelle que toute restriction en vertu de l’article 12 (par. 2) doit être compatible avec tous les autres droits reconnus par le Pacte. Considérant que les restrictions contestées sont étroitement liées à la violation des droits qu’il tient de l’article 18 ainsi que des articles 9 et 14 (par. 1 et 7) du Pacte, il soutient que l’atteinte aux droits que lui reconnaît l’article 12 du Pacte ne peut être justifiée.

7.7L’auteur demande que l’État partie efface son casier judiciaire et lui accorde une indemnisation adéquate, et qu’il prenne les mesures nécessaires pour éviter que des violations analogues ne se reproduisent.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur n’a pas épuisé les recours internes parce que, dans la troisième série de procédures, il ne s’est pas pourvu devant la Cour de cassation contre la décision rendue par la Cour d’appel militaire d’Athènes le 31 mars 2009. Il note également que l’auteur explique qu’il a décidé de ne pas saisir une troisième fois la Cour de cassation en raison du coût et de la longueur de la procédure, et de l’absence de perspective de succès. Le Comité rappelle que seuls les recours qui sont à la fois disponibles et utiles dans un État partie doivent être épuisés. Il réaffirme à cet égard que lorsque la jurisprudence de la plus haute juridiction d’un État sur la question objet du litige est telle que toute possibilité de succès d’un recours devant les juridictions internes est exclue, l’auteur n’est pas tenu d’épuiser les recours internes, qui sont de fait inutiles, aux fins du Protocole facultatif. Il constate que les arrêts rendus précédemment par la Cour de cassation en l’espèce tendent à confirmer qu’un nouveau pourvoi serait vain. Le Comité conclut donc, puisque les griefs que l’auteur tire des articles 12 (par. 2), 9, 14 (par. 7) et 18 (par. 1 et 2) du Pacte semblent avoir été soulevés devant les tribunaux internes, ce que l’État partie n’a pas contesté, que les dispositions de l’article 5 (par. 2 b)) ne l’empêchent pas d’examiner la communication.

8.4En ce qui concerne le grief que l’auteur tire de l’article14 (par. 1), le Comité note qu’il ressort des informations versées au dossier que l’auteur ne semble pas avoir soulevé ce grief devant les juridictions internes ni expliqué ce qui aurait pu l’empêcher de le faire ou en quoi l’exercice des recours disponibles n’aurait pas été utile en l’espèce. Dans ces conditions, le Comité conclut que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes disponibles s’agissant de la violation de l’article14 (par. 1) du Pacte qu’il allègue. Par conséquent, il déclare cette partie de la communication irrecevable au regard de l’article5 (par. 2b)) du Protocole facultatif.

8.5Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur avait la possibilité d’effectuer un service de remplacement et n’a fait l’objet de poursuites que parce qu’il a décidé de ne pas se prévaloir de cette possibilité. L’État partie affirme que l’auteur a donc perdu sa qualité de victime au sens de l’article premier du Protocole facultatif. Le Comité note par ailleurs que l’auteur affirme que, compte tenu du caractère punitif et discriminatoire du service civil de remplacement, il n’avait pas de choix libre et réel. De plus, si les violations des droits de l’auteur ont débuté en 1992, les arguments avancés par l’État partie pour contester sa qualité de victime ne concernent que la période postérieure au 23 novembre 1998, date à laquelle le statut d’objecteur de conscience lui a été reconnu. Étant donné que le droit à l’objection de conscience n’a été consacré que le 1er janvier 1998 dans l’État partie, il est évident pour le Comité que l’auteur a la qualité de victime à raison des violations qui se seraient produites pendant la période allant du 17 mars 1992 au 23 novembre 1998. S’agissant de la période postérieure au 23 novembre 1998, le Comité fait observer que pendant cette période l’auteur a constamment invoqué le caractère punitif et discriminatoire du service civil de remplacement pour expliquer pourquoi il ne pouvait s’en prévaloir et a été inculpé à plusieurs reprises parce qu’il refusait la conscription. Le Comité considère en conséquence que même après le 23 novembre 1998, l’auteur a conservé la qualité de victime aux fins de l’article premier du Protocole facultatif.

8.6Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur a abusé du droit de présenter des communications au sens de l’article 3 du Protocole facultatif parce qu’il a saisi le Comité au moins six ans après avoir épuisé les recours internes. Il note que l’auteur conteste cet argument pour plusieurs raisons. Il rappelle que, si aucun délai n’est fixé pour la présentation de communications en vertu du Protocole facultatif, conformément à l’article 99 (al. c) de son règlement intérieur, « [e]n principe, un abus du droit de présenter une communication ne peut pas être invoqué pour fonder une décision d’irrecevabilité ratione temporis au motif de la présentation tardive de la plainte. Toutefois, il peut y avoir abus du droit de plainte si la communication est soumise cinq ans après l’épuisement des recours internes par son auteur ou, selon le cas, trois ans après l’achèvement d’une autre procédure internationale d’enquête ou de règlement, sauf s’il existe des raisons justifiant le retard compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire ». Le Comité rappelle également que, selon sa jurisprudence, il y a abus du droit de présenter une communication quand il s’est écoulé une période exceptionnellement longue entre les faits de la cause ou l’épuisement des recours internes, d’une part, et la présentation de la communication, d’autre part, sans justification suffisante. Il note que la présente affaire a fait l’objet de quatre procédures distinctes qui ont pris fin à des dates différentes, mais que ces procédures sont liées car elles concernaient toutes l’obligation imposée à l’auteur d’effectuer un service obligatoire et son objection audit service en raison de ses convictions. Bien que la première série de procédures et la procédure relative au refus de l’auteur d’effectuer son service civil aient pris fin en 2004, d’autres ont été engagées par la suite. Ayant également à l’esprit les nouvelles explications données par l’auteur pour justifier la présentation tardive de sa communication, notamment le fait qu’il ne pouvait prévoir l’application de la règle des cinq ans au moment du prononcé de sa dernière déclaration de culpabilité en 2009, l’adoption tardive des observations finales du Comité concernant la Grèce, qui contenaient des considérations hautement pertinentes en l’espèce, et sa crainte de représailles dans la mesure où ses condamnations à des peines d’emprisonnement étaient toujours exécutoires, le Comité considère qu’il ne s’est pas écoulé un délai exceptionnellement long entre les faits auxquels se rapportent les griefs de l’auteur, en particulier la dernière décision de justice, en date du 31 mars 2009, et la présentation de la communication, de sorte que l’article 3 du Protocole facultatif ne l’empêche pas d’examiner la communication.

8.7Bien que l’État partie n’ait pas argué que la communication était irrecevable ratione temporis, le Comité note que plusieurs convocations pour incorporation qui ont servi de fondement à la première déclaration de culpabilité prononcée contre l’auteur ont été émises avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif. Le Comité renvoie à sa jurisprudence et rappelle qu’il est empêché d’examiner une communication si les violations alléguées se sont produites avant l’entrée en vigueur du Protocole facultatif, à moins qu’elles continuent ou continuent d’avoir des effets qui constituent en eux-mêmes une violation du Pacte. De plus, le Comité partage la position d’autres comités selon laquelle les décisions des autorités judiciaires nationales doivent être considérées comme faisant partie des faits de la cause lorsqu’elles résultent de procédures directement liées aux actes, omissions ou faits initiaux qui ont donné lieu à la violation, pour autant qu’elles soient susceptibles de remédier à la violation alléguée. Si ces décisions ont été prises après l’entrée en vigueur du Protocole facultatif pour l’État partie concerné, le critère prévu à l’article 3 du Protocole facultatif n’a pas d’incidence sur la recevabilité de la communication puisque, lorsque les recours pertinents sont exercés, les juridictions nationales ont la possibilité d’examiner les griefs, de mettre fin aux violations alléguées et, éventuellement, d’accorder réparation. Le Comité note qu’en l’espèce des décisions pertinentes des tribunaux internes ont été rendues le 15 avril 1999, le 12 juin 2003 et le 7 décembre 2004. Dans ces conditions, il conclut qu’il n’est pas empêché ratione temporis d’examiner la communication.

8.8Le Comité considère donc que la communication est recevable en ce qu’elle soulève des questions au regard des articles 9, 12 (par. 2), 14 (par. 7) et 18 (par. 1) du Pacte. Il considère également que les griefs de discrimination formulés par l’auteur dans ses commentaires sur les observations de l’État partie semblent soulever des questions au regard de l’article 26 du Pacte. En conséquence, il déclare tous ces griefs recevables et va procéder à leur examen au fond.

Examen au fond

9.1Conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

9.2Le Comité prend note du grief de l’auteur qui affirme que le droit qu’il tient de l’article 18 (par. 1) du Pacte a été violé du fait de l’absence dans l’État partie d’une véritable solution de substitution au service militaire obligatoire, qui ne soit pas punitive. Le refus de l’auteur d’effectuer son service militaire pour des raisons de conscience et son refus d’effectuer un service civil de remplacement qui serait punitif ont ainsi entraîné à son encontre des poursuites pénales et condamnations répétées. Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel l’existence d’un service de remplacement, en soi, ne porte pas atteinte aux droits de l’objecteur au regard de l’article 18 du Pacte. Il prend aussi note de l’argument de l’État partie qui conteste le caractère punitif et discriminatoire du service civil de remplacement et justifie l’écart dans la durée de ces services par les différences existant dans leur nature même. De plus, l’obligation constitutionnelle de contribuer à la défense de la patrie s’applique de la même manière à tous les citoyens grecs.

9.3Le Comité rappelle son observation générale no 22 (1993), dans laquelle il indique que le caractère fondamental des libertés consacrées par l’article 18 (par. 1) du Pacte est reflété dans le fait que, conformément à l’article 4 (par. 2), il ne peut être dérogé à cette disposition, même en cas de danger public exceptionnel. Il rappelle sa jurisprudence selon laquelle, si le Pacte n’énonce pas expressément un droit à l’objection de conscience, un tel droit découle de l’article 18 dans la mesure où l’obligation d’employer la force au prix de vies humaines peut être la source d’un grave conflit avec la liberté de conscience. Le droit à l’objection de conscience au service militaire est inhérent au droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion. Il permet à toute personne d’être exemptée du service militaire obligatoire si celui-ci ne peut être concilié avec sa religion ou ses convictions. L’exercice de ce droit ne doit pas être entravé par des mesures coercitives.

9.4Le Comité relève la complexité de la présente affaire, qui s’est déroulée sur une très longue période durant laquelle la législation a évolué, ce qui a eu des répercussions constantes sur la situation de l’auteur. Le Comité souligne que si toutes les périodes d’insoumission sont dans une certaine mesure liées entre elles puisqu’elles concernent toutes une objection de conscience exprimée dès 1996, elles ont donné lieu à des déclarations de culpabilité distinctes. Dans ce contexte, il souligne que la première déclaration de culpabilité prononcée contre l’auteur concernait une période (du 18 mars 1992 au 17 mai 1998) pendant laquelle l’État partie ne reconnaissait pas le droit à l’objection de conscience et ne proposait aucune solution de remplacement. Il note en outre que le refus de l’auteur d’effectuer le service militaire obligatoire découlait de ses convictions, dont il n’est pas contesté qu’elles étaient sincères, et que l’État partie n’a pas avancé de motifs pour expliquer les poursuites pénales engagées contre l’auteur pour cette même période. Il rappelle à cet égard que le fait de réprimer des personnes qui refusent d’accomplir le service militaire obligatoire parce que leur conscience ou leur religion interdit l’emploi des armes est incompatible avec l’article 18 (par. 1) du Pacte et il considère qu’il ne dispose d’aucun élément lui permettant de conclure différemment en l’espèce.

9.5Le Comité prend aussi note du fait qu’en 1998 l’État partie a modifié sa législation afin de proposer un service de remplacement et que le statut d’objecteur de conscience a été reconnu à l’auteur, qui a ensuite été condamné pour s’être délibérément soustrait tant au service civil qu’au service militaire. Par conséquent, l’une des questions qu’il doit examiner est celle de savoir si le service civil que l’auteur était censé effectuer était une véritable solution de substitution au service militaire dans les circonstances de l’espèce. À cet égard, il rappelle sa jurisprudence établissant qu’un État peut, s’il le souhaite, obliger l’objecteur de conscience à effectuer un service civil de remplacement, en dehors de l’armée et sans être soumis à l’autorité militaire. Le service de remplacement ne doit pas revêtir un caractère punitif. Il doit présenter un véritable intérêt pour la collectivité et être compatible avec le respect des droits de l’homme. Le Comité tient également compte de sa jurisprudence dans le cadre de laquelle il a jugé discriminatoires les conditions spécifiques dans lesquelles un service de remplacement devait être effectué. À cet égard, il réaffirme que « la loi et la pratique peuvent instituer des différences entre le service militaire et le service national de remplacement et que de telles différences peuvent, dans un cas particulier, justifier un service plus long à condition que la différenciation soit fondée sur des critères raisonnables et objectifs tels que la nature du service dont il est question ou la nécessité de subir un entraînement spécial pour pouvoir accomplir ce service ».

9.6En l’espèce, le Comité considère que les arguments avancés par l’État partie concernant les caractéristiques contestées du service civil de remplacement ont un caractère général et ne visent pas spécifiquement le cas de l’auteur, alors que celui-ci a démontré que la distance séparant son lieu d’affectation de son domicile, l’absence de rémunération adéquate pendant toute la période considérée et les horaires de travail excessivement longs systématiquement imposés aux objecteurs de conscience permettent de douter qu’un tel service, dans les circonstances de l’espèce, constituait pour lui une véritable solution de substitution au service militaire. Le Comité note en outre que lerefus de l’auteur d’accomplir un service civil a finalement entraîné le retrait de son statut d’objecteur de conscience et que l’auteur pouvait donc à nouveau être appelé sous les drapeaux, ce qui s’est traduit par de nouvelles convocations au service militaire suivies de condamnations. Il estime que les conséquences que l’auteur a dû subir l’ont placé dans une situation semblable à celle de l’époque où le droit à l’objection de conscience n’existait pas dans la législation de l’État partie. Dans ces circonstances, il conclut que les condamnations prononcées contre l’auteur en raison de son refus d’effectuer le service militaire obligatoire en tant qu’objecteur de conscience, associées au fait que l’État partie ne lui a pas donné la possibilité d’effectuer un service de remplacement qui ne soit pas punitif ou discriminatoire, constituent une violation des droits que l’auteur tenait de l’article 18 (par. 1) du Pacte.

9.7Ayant conclu que, parce que l’auteur a fait l’objet de poursuites pénales et a été emprisonné pour avoir refusé le service civil et le service militaire, les droits qu’il tenait de l’article 18 ont été violés, le Comité ne juge pas nécessaire de décider s’il y a également eu discrimination en violation de l’article 26 du Pacte.

9.8Le Comité prend note du grief de l’auteur selon lequel le fait de l’avoir placé en détention provisoire puis emprisonné pour le punir de son refus d’accomplir le service militaire constitue une détention arbitraire au regard de l’article 9 du Pacte. Il souligne que l’article 9 (par. 1) du Pacte dispose que nul ne peut faire l’objet d’une arrestation ou d’une détention arbitraire. Il rappelle que le mot « arbitraire » n’est pas synonyme de « contraire à la loi » mais doit recevoir une interprétation plus large, englobant le caractère inapproprié, l’injustice, le manque de prévisibilité et le non-respect des garanties judiciaires. Il rappelle aussi que la détention visant à sanctionner quelqu’un pour l’exercice légitime du droit à la liberté de religion et de conscience, garanti par l’article 18 du Pacte, est tout aussi arbitraire que la détention sanctionnant l’exercice légitime du droit à la liberté d’expression, garanti par l’article 19 du Pacte. En conséquence, le Comité conclut qu’il y a eu violation des droits que l’auteur tenait de l’article 9 (par. 1) du Pacte.

9.9En ce qui concerne le grief de violation de l’article 12 (par. 2) du Pacte, le Comité rappelle que l’auteur affirme que sa liberté de circulation a été restreinte pendant une période disproportionnée en raison soit des procédures pénales en cours contre lui, soit des jugements définitifs le condamnant à une peine d’emprisonnement. Il note que l’auteur affirme que de ce fait il lui a été interdit de quitter le territoire de la Grèce. Il relève également que les faits allégués par l’auteur, en particulier la durée de la période pendant laquelle ces mesures restrictives lui ont été imposées, n’ont pas été contestés par l’État partie. Dans le même temps, il prend note de l’argument de l’État partie faisant valoir qu’en vertu de l’article 12 (par. 3), le droit de quitter tout pays peut faire l’objet de restrictions, en premier lieu pour des raisons de sécurité nationale ou d’ordre public. Il note en outre que le fait qu’une procédure judiciaire soit en cours peut effectivement justifier des restrictions du droit d’une personne de quitter son pays. Toutefois, lorsque la procédure judiciaire se prolonge indûment, ces restrictions ne sont plus justifiées. En l’espèce, l’auteur n’est pas libre de quitter la Grèce depuis quatorze ans du fait des multiples convocations, mandats d’arrêt et condamnations dont il a fait l’objet. Compte tenu non seulement de la durée excessive des restrictions contestées mais aussi du fait qu’elles ont été imposées à l’auteur pour avoir légitimement exercé son droit à la liberté de conscience, le Comité considère que les droits qu’il tient de l’article 12 (par. 2) du Pacte ont été violés.

9.10Le Comité prend note du grief que l’auteur tire de l’article 14 (par. 7) du Pacte, à savoir qu’il a été déclaré coupable et condamné à plusieurs reprises pour avoir refusé d’effectuer le service militaire obligatoire. À cet égard, il relève que, le 12 juin 2003, la Cour d’appel militaire a confirmé la déclaration de culpabilité prononcée contre l’auteur pour refus d’effectuer le service militaire obligatoire et a prononcé une peine de vingt mois d’emprisonnement avec sursis. Le 4 mai 2006, l’auteur a de nouveau été reconnu coupable d’insoumission sous de deux chefs d’insoumission par la même juridiction et condamné à cinq mois d’emprisonnement pour chaque chef. Le Comité note en outre que le 31 mars 2009, l’auteur a de nouveau été reconnu coupable de deux chefs d’insoumission et condamné à dix‑huit mois d’emprisonnement. Il note en outre que l’auteur affirme que la législation nationale pertinente a permis à l’État partie de lui adresser des convocations répétées au service militaire en dépit de ses convictions. Il prend note de l’argument de l’État partie selon lequel les infractions dont l’auteur a été déclaré coupable n’étaient pas les mêmes à chaque fois puisque la première déclaration de culpabilité était fondée sur le son refus d’effectuer le service militaire obligatoire et les suivantes sur le refus d’accomplir le service civil de remplacement. Il relève néanmoins qu’il ressort des informations versées au dossier que les déclarations de culpabilité prononcées après que l’auteur a refusé d’effectuer un service civil étaient elles aussi fondées sur le refus de l’intéressé d’être incorporé dans l’armée. Le Comité note que les commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie à ce sujet n’ont pas été réfutés par ce dernier.

9.11Le Comité rappelle son observation générale no 32 (2007), dans laquelle il relève notamment que l’article 14 (par. 7) du Pacte dispose que nul ne peut être poursuivi ou puni en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été déclaré coupable par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de chaque pays. Il réaffirme que les peines répétées prononcées contre les objecteurs de conscience qui n’ont pas déféré à un nouvel ordre d’appel sous les drapeaux peuvent être assimilées à une peine sanctionnant la même infraction si ce refus réitéré est fondé sur la même détermination permanente qui s’appuie sur des raisons de conscience. En l’espèce, le Comité constate que l’auteur a été jugé et condamné trois fois pour cinq chefs d’insoumission par le même tribunal militaire en raison de son refus d’effectuer le service militaire obligatoire à des moments différents. Il considère qu’à chaque fois le refus de servir de l’auteur était fondé sur les mêmes raisons de conscience et que l’auteur a été déclaré coupable de la même infraction caractérisée par le même élément matériel, indépendamment du fait que les déclarations de culpabilité concernaient la commission de la même infraction à des moments différents. Dans les circonstances de l’espèce et en l’absence d’informations contraires de la part de l’État partie, le Comité conclut que les droits que l’auteur tenait de l’article 14 (par. 7) du Pacte ont été violés.

10.Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie des droits que l’auteur tenait des articles 9 (par. 1), 12 (par. 2), 14 (par. 7) et 18 (par. 1) du Pacte.

11.Conformément à l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, l’État partie est tenu, entre autres, d’effacer le casier judiciaire de l’auteur, de lui rembourser toutes les amendes qu’il a payées et de lui octroyer une indemnisation adéquate. L’État partie est également tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher que des violations analogues ne se reproduisent. À cet égard, le Comité réaffirme que, en exécution de l’obligation que l’article 2 (par. 2) du Pacte met à sa charge, l’État partie devrait revoir sa législation afin que le droit à l’objection de conscience consacré à l’article 18 (par. 1) du Pacte soit effectivement garanti, par exemple en prévoyant la possibilité d’effectuer un service civil de remplacement qui n’aie pas un caractère punitif ni discriminatoire.

12.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans sa langue officielle.

Annexe I

Opinion individuelle (dissidente) de José Manuel Santos Pais

1.Je regrette de ne pouvoir souscrire à la décision du Comité de conclure à plusieurs violations des droits de l’auteur de la présente communication.

2.Il y a eu en l’espèce abus du droit de présenter des communications, puisque plus de six ans séparent la décision judiciaire la plus récente (mars 2009) de la présentation de la communication (décembre 2015). Les explications données par l’auteur pour justifier ce délai ne sont tout simplement pas convaincantes (par. 6.3). La plainte aurait dû être déclarée irrecevable au regard de l’article 3 du Protocole facultatif.

3.L’auteur ne s’est pas pourvu devant la Cour de cassation contre la décision de la Cour d’appel militaire d’Athènes de mars 2009 (par. 2.8) et on ne peut que conjecturer quant à l’issue d’un tel pourvoi. La communication aurait donc dû être déclarée irrecevable pour non‑épuisement des recours internes en application de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif. De plus, on peut douter que les griefs que l’auteur tire des articles 12 (par. 2), 9, 14 (par. 7) et 18 (par. 1 et 2) du Pacte aient effectivement été soulevés devant les tribunaux internes (voir le libellé ambigu du paragraphe 8.3).

4.L’auteur a reçu plusieurs convocations en vue de son incorporation (par. 2.1 et note de bas de page 1). S’agissant des deux premières, reçues en 1992 et 1993, la législation de l’époque ne prévoyait pas d’alternative au service militaire. Le Pacte n’est toutefois entré en vigueur pour la Grèce qu’en mai 1997 et ces faits auraient donc dû être exclus ratione temporis des délibérations du Comité aux fins des présentes constatations.

5.En vertu de la loi no 2510/1997, adoptée en 1998, l’auteur a demandé à effectuer un service civil de remplacement et il s’est vu reconnaître le statut d’objecteur de conscience en novembre 1998. Il ne s’est toutefois pas présenté pour effectuer ce service civil et le statut d’objecteur de conscience lui a donc été retiré en février 1999. Ses condamnations ultérieures pour refus d’effectuer son service militaire sont la conséquence directe de la perte de son statut d’objecteur de conscience (par. 2.2 et 2.3). En n’accomplissant ni le service militaire ni le service civil de remplacement, l’auteur a perdu son statut de victime (par. 4.2).

6.Les juridictions nationales se sont montrées très indulgentes envers l’auteur en réduisant en appel la peine d’emprisonnement à laquelle il avait été condamné (par. 2.6 et 2.8), en en suspendant l’exécution (par. 2.6) ou en autorisant l’auteur à acquitter une amende en ses lieu et place (par. 2.8 et 2.9). L’auteur a donc été détenu pendant quatre-vingt-sept jours au total, dont soixante-quinze à raison des condamnations prononcées en 1992 et 1993, avant que le Pacte n’entre en vigueur pour la Grèce.

7.S’agissant de la violation de l’article 9, les arrestations de l’auteur n’ont pas été arbitraires mais ont été conformes à la procédure prescrite par la loi (par. 5.1) ; à chaque fois, l’auteur a été informé des raisons de son arrestation et pouvait la contester. Il reconnaît lui‑même que ses détentions étaient légales, certaines découlant d’un jugement définitif (par. 7.5).

8.En ce qui concerne la violation de l’article 12, lorsqu’un mandat d’arrêt est pendant, le droit d’une personne de quitter son pays peut, pour des raisons de sécurité nationale ou d’ordre public, être légitimement restreint en vertu de l’article 12 (par. 3) du Pacte (par. 5.2). Selon l’État partie, aucune autre mesure, moins attentatoire, n’était disponible, et l’auteur lui‑même reconnaît qu’il a évité de quitter le pays jusqu’à 2015 de crainte d’être appréhendé en exécution des mandats d’arrêt dont il faisait l’objet (par. 6.5).

9.En ce qui concerne la violation de l’article 14 (par. 7), l’auteur n’a pas été condamné pour la même infraction, puisque si certaines de ses condamnations étaient fondées sur son refus d’accomplir le service militaire obligatoire (par. 2.4), d’autres étaient fondées sur son refus d’accomplir le service civil de remplacement qu’il avait lui-même librement demandé à effectuer (par. 2.5). Il a donc été jugé pour insoumission dans le cadre de procédures différentes par des juridictions différentes, et condamné à chaque fois pour une infraction distincte. Comme le note l’État partie, si l’auteur avait effectué le service civil, il n’aurait pu être poursuivi pour insoumission et les condamnations déjà prononcées auraient été annulées. Le Comité lui-même reconnaît l’existence de condamnations distinctes (par. 9.4) prononcées dans le cadre de procès pénaux distincts, mais il conclut qu’elles concernent la commission de la même infraction à des moments différents (par. 9.11). Je considère quant à moi qu’il s’agit de plusieurs condamnations prononcées par des juridictions différentes, sous des chefs d’accusation d’insoumission différents, non pour une seule infraction mais pour plusieurs infractions de même nature. L’auteur a commis plusieurs fois la même infraction et était donc un récidiviste.

10.S’agissant de la violation de l’article 18, la possibilité d’effectuer un service civil de remplacement ne porte pas en soi atteinte aux droits de l’objecteur de conscience (par. 5.5). De plus, en ce qui concerne le caractère prétendûment punitif de ce service civil en raison de sa longueur, le service militaire ne peut réellement être comparé au service civil de remplacement, étant donné les contraintes différentes s’attachant à l’un et à l’autre (par. 9.5) et, par ailleurs, la différence de durée n’était pas excessive. L’auteur lui-même reconnaît que la période initiale de tente-neuf mois prévue pour le service de remplacement a été sensiblement réduite en Grèce, ayant été ramenée à vingt-huit mois en 2001 et à dix-sept mois seulement en 2004.

11.Les arguments de l’auteur concernant les aspects punitifs du service civil sont pour la plupart spéculatifs (par. 7.1) puisqu’il n’a jamais accompli ce service. La durée du service civil a été sensiblement réduite dans l’État partie et les allégations de l’auteur quant aux pratiques qui existeraient en la matière, à savoir l’obligation de travailler sept jours par semaine, y compris les weekends et les jours fériés, et au-delà des heures de travail habituelles et pour une faible rémunération, ne sont jamais étayées (par. 7.1 et 7.2). Quant au fait qu’il aurait été demandé à l’auteur d’effectuer son service loin de son lieu de résidence, sa situation n’aurait différé en rien de celle d’un fonctionnaire nommé loin de chez lui sur le territoire de l’État partie.

12.Tout en reconnaissant pleinement les droits d’un objecteur de conscience, j’aurais donc conclu que la présente communication était irrecevable ou, si elle était recevable, que les droits de l’auteur n’ont pas été violés.

Annexe II

Opinion individuelle (partiellement dissidente) de Hélène Tigroudja

1.Tout en souscrivant pleinement à la conclusion à laquelle est parvenue la majorité des membres du Comité au paragraphe 10 des présentes constatations, je ne partage pas l’opinion exprimée au paragraphe 9.7, dans lequel le Comité déclare qu’il n’est pas nécessaire de décider s’il y a eu violation de l’article 26 du Pacte.

2.Cette conclusion s’écarte à la fois de la jurisprudence du Comité et de déclarations figurant dans les présentes constatations. Dans des affaires similaires dont il a connu par le passé, le Comité a axé son analyse sur le caractère discriminatoire de la différence dans la durée des services civil et militaire. Dans l’affaire Foin c. France, il a souligné ce qui suit : « En l’espèce, le Comité reconnaît que la loi et la pratique peuvent instituer des différences entre le service militaire et le service national de remplacement et que de telles différences, peuvent dans un cas particulier, justifier un service plus long à condition que la différenciation soit fondée sur des critères raisonnables et objectifs tels que la nature du service dont il est question ou la nécessité de subir un entraînement spécial pour pouvoir accomplir ce service. Toutefois, en l’espèce, les motifs invoqués par l’État partie ne sont pas fondés sur de tels critères ou mentionnent lesdits critères dans des termes généraux qui ne s’appliquent pas spécifiquement au cas de l’auteur, reposant plutôt sur l’argument selon lequel le doublement de la durée du service était le seul moyen de s’assurer de la sincérité des convictions de l’intéressé. ». La France a été condamnée pour violation de l’article 26.

3.De plus, dans les présentes constatations, le Comité souligne le caractère discriminatoire de la législation grecque et fait principalement reposer sa conclusion de violation de l’article18 sur cet élément (par. 9.5 et 9.6 des présentes constatations).

4.Il est vrai que depuis l’affaire Foin c. Franc e, la position du Comité en ce qui concerne l’objection de conscience a évolué et que le droit à l’objection relève désormais ratione materiae de l’article 18 du Pacte, ce qui constitue un pas en avant positif important. Toutefois, on voit mal comment le Comité peut conclure qu’il y a eu violation du droit à la liberté de conscience et de religion (art. 18) parce que « l’État partie [n’a] pas donné [à l’auteur] la possibilité d’effectuer un service de remplacement qui ne soit pas punitif ou discriminatoire » (par. 9.6) pour déclarer au paragraphe suivant qu’il « ne juge pas nécessaire de décider s’il y a également eu discrimination en violation de l’article 26 du Pacte » (par. 9.7).

5.Comme des auteurs le soulignent à juste titre, la jurisprudence du Comité est relativement incohérente en ce qui concerne la clause d’égalité, qui s’est affirmée comme le thème dominant du Pacte tout au long des cinquante ans d’application de celui-ci.

6.La stratégie infra petita du Comité est regrettable et ne contribue pas à clarifier l’obligation des États concernant l’égalité et la non-discrimination. Je considère donc qu’au lieu de juger qu’il n’était pas nécessaire de se prononcer sur une violation de l’article 26, qui est au cœur de toute l’affaire, la majorité aurait dû conclure à la fin du paragraphe 9.6 que pour des raisons similaires, les faits font également apparaître une violation de l’article 26 du Pacte.