Nations Unies

CCPR/C/135/D/2829/2016

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

18 novembre 2022

Français

Original : anglais

Comité des droits de l ’ homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2829/2016 * , **

Communication soumise par :

Andrey Tsukanov (non représenté par un conseil)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteur

État partie :

Kazakhstan

Date de la communication :

16 septembre 2014 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 14 octobre 2016 (non publiée sous forme de document)

Date de s constatations :

1er juillet 2022

Objet :

Arrestation visant à empêcher l’auteur de participer à une réunion publique

Question ( s ) de procédure :

Incompatibilité avec le Pacte ; épuisement des recours internes ; défaut de fondement des griefs

Question ( s ) de fond :

Assistance d’un avocat ; liberté d’opinion et d’expression

Article(s) du Pacte :

14 (par. 3 b)) et 19 (par. 2)

Article(s) du P rotocole facultatif :

2, 3 et 5

1.L’auteur de la communication est Andrey Tsukanov, de nationalité kazakhe, né en 1982. Il affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient des articles 14 (par. 3 b)) et 19 (par. 2) du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 30 septembre 2009. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1.L’auteur est journaliste et blogueur. Il prévoyait de se rendre à une réunion publique entre l’akim (maire) d’Almaty et les habitants de la ville, qui devait se tenir à 10 heures, le 20 février 2014. Il souhaitait poser à l’akim, qui se trouvait être le neveu du Président du Kazakhstan, plusieurs questions d’intérêt public. L’auteur n’avait pu participer à aucune autre réunion avec l’akim d’Almaty, car ce dernier était le seul dirigeant d’un akimat (mairie) du pays qui n’allouait pas officiellement du temps dans son agenda à des rencontres hebdomadaires ou mensuelles avec le public.

2.2À 7 h 30, le 20 février 2014, alors que l’auteur était encore chez lui, il a reçu la visite de deux policiers l’informant qu’une plainte avait été déposée contre lui. Il s’est vu remettre une convocation lui enjoignant de se présenter au poste de police à 8 h 30 le jour même. La plainte contre l’auteur avait prétendument été déposée le 19 février 2014 par U., alors en état d’arrestation, accusé d’être responsable d’un accident de la route très médiatisé qui avait fait un mort et cinq blessés. Les policiers ont informé l’auteur que U. l’accusait d’avoir diffusé de fausses informations à son sujet sur Internet. L’auteur s’est étonné de cette accusation, car il savait que les détenus n’avaient pas accès à Internet pendant leur détention, et il a expliqué aux policiers qu’il devait participer à une réunion importante avec l’akim à 10 heures. Il a proposé de se rendre au poste de police immédiatement après. Dans un premier temps, les policiers ont refusé d’émettre une nouvelle convocation et ont insisté pour que l’auteur les accompagne au poste ; cependant, après avoir entendu son explication, ils ont accepté sa proposition et ont modifié l’heure indiquée sur la convocation, remplaçant 8 h 30 par 16 h 30. L’auteur a filmé l’ensemble de sa conversation avec les policiers, y compris l’émission et la signature de la convocation, et a mis la vidéo en ligne sur sa chaîne YouTube après leur départ.

2.3Lorsque l’auteur a quitté son domicile, à 9 h 30, pour se rendre à la réunion avec l’akim, quatre policiers l’attendaient devant chez lui. Deux d’entre eux lui ont immédiatement saisi les bras et lui ont ordonné de les suivre. L’auteur a essayé de sortir sa caméra de sa poche pour filmer l’arrestation, mais les agents le lui ont interdit et l’ont poussé à bord de leur véhicule. Ils lui ont dit qu’ils l’emmenaient au poste de police du district de Jetyssou pour l’interroger au sujet de la plainte de U. Ils l’ont ignoré quand il leur a dit que leurs actes étaient illégaux. À bord du véhicule de police, l’auteur a subi des menaces et des pressions psychologiques. Une fois au poste de police du district de Jetyssou, il n’a pas été autorisé à téléphoner ni à bénéficier des services d’un avocat. Il n’a pas été inscrit au registre des personnes détenues, comme l’exige la loi. Il a été fouillé et ses effets personnels ont été examinés sans qu’un témoin extérieur soit présent, ce qui était aussi contraire à la loi. Afin de provoquer une réaction de sa part, les agents l’ont malmené, ce qui lui a valu de multiples contusions et une blessure à la tête. L’auteur a sollicité un examen médical pour que ses blessures soient constatées, mais les policiers ont ignoré sa demande.

2.4Après avoir été détenu pendant sept heures au poste de police du district de Jetyssou, l’auteur a été conduit au tribunal administratif interdistrict d’Almaty, où il a été inculpé sur le fondement de l’article 355 (par. 2) du Code des infractions administratives, pour refus d’obtempérer à des ordres donnés légalement par la police. On ne lui a donné ni à manger ni à boire de toute la journée. À l’audience, l’auteur s’est plaint de la manière dont il avait été traité et a demandé à pouvoir contacter un avocat et passer un examen médical. Le juge a toutefois ignoré ses demandes et s’est ouvertement rangé du côté du procureur pendant l’audience. Malgré les explications fournies par l’auteur, qui a précisé être journaliste, devoir se rendre à une rencontre avec l’akim et avoir déjà reçu une convocation lui enjoignant de se rendre au poste de police à 16 h 30, le tribunal l’a déclaré coupable de refus d’obtempérer à des ordres donnés légalement et l’a condamné à quinze jours de détention administrative. L’auteur était tellement contrarié par la décision qu’il a crié : « Honte au tribunal ! ». Le président du tribunal l’a immédiatement condamné à trois jours supplémentaires de détention pour outrage à magistrat. Il a aussi ordonné que l’on fixe le début de la détention administrative à 17 heures et non à 9 h 30. L’auteur fait observer que, selon l’article 55 (par. 4) du Code des infractions administratives, le délai de toute détention court dès le moment où la personne est physiquement détenue. Alors que l’auteur avait le droit de faire appel de la décision du tribunal, il a été immédiatement transféré vers un centre spécialisé de détention administrative pour commencer à purger sa peine.

2.5Bien qu’il n’ait pas reçu copie du dossier, l’auteur a introduit un recours le 20 février 2014. Le 21 février 2014, la Chambre d’appel du tribunal municipal d’Almaty a confirmé la décision rendue par le tribunal administratif interdistrict d’Almaty. Concernant l’argument de l’auteur selon lequel il avait déjà reçu une convocation lui enjoignant de se rendre au poste de police à 16 h 30 le même jour, elle a déclaré que le texte de la convocation présentait des corrections et n’était donc pas recevable comme élément de preuve.

2.6Le 9 avril 2014, l’auteur a adressé au Bureau du Procureur d’Almaty une demande de réexamen de la décision du tribunal au titre de la procédure de contrôle. Il signale que cette procédure ne constitue pas, selon lui, un recours utile. Le 15 avril 2014, sa demande a été rejetée.

2.7Le 5 mai 2014, l’auteur a déposé une demande similaire auprès du Procureur général ; le 14 juillet 2014, cette demande a, elle aussi, été rejetée.

2.8L’auteur soutient qu’il a épuisé tous les recours internes utiles.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur soutient que son arrestation et la condamnation qui a suivi ont constitué une violation des droits qu’il tient de l’article 19 (par. 2) du Pacte parce qu’il a été empêché de participer à une réunion avec l’akim et d’exprimer son opinion sur un certain nombre de sujets. Il affirme que la restriction de ses droits n’était justifiée au regard d’aucune des conditions énoncées à l’article 19 (par. 3) du Pacte.

3.2L’auteur affirme également qu’une fois arrêté, il n’a pas eu rapidement accès à un avocat, en violation des droits qu’il tient de l’article 14 (par. 3 b)) du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 15 mars 2017, l’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication. Il avance que la communication est incompatible avec les dispositions du Pacte et qu’elle est donc irrecevable au regard de l’article 3 du Protocole facultatif. Il fait observer que de manière générale, le Comité n’est pas en position de réexaminer des décisions concernant la responsabilité administrative, civile ou pénale d’une personne ni la question de son innocence ou de sa culpabilité.

4.2L’État partie fait observer que, dans sa communication, l’auteur, en plus de réclamer réparation, demande que les personnes responsables de la violation de ses droits soient traduites en justice. L’État partie renvoie aux constatations adoptées en l’affaire H . C . M . A . c . Pays-Bas, dans lesquelles le Comité a dit que le Pacte ne conférait pas le droit de voir une autre personne faire l’objet de poursuites pénales. L’État partie estime de ce fait que la communication est incompatible avec les dispositions du Pacte, et donc irrecevable au regard de l’article 3 du Protocole facultatif. De la même manière, l’État partie soutient que les autres mesures de réparation demandées par l’auteur non seulement sont incompatibles avec les dispositions du Pacte, mais obligent aussi le Comité à outrepasser sa compétence et à modifier les lois internes du Kazakhstan, donc à s’immiscer dans les affaires internes d’un État souverain.

4.3L’État partie soutient que l’auteur n’a pas démontré en quoi la législation nationale violait les droits qu’il tient des articles 14 et 19 du Pacte. Il renvoie aux constatations adoptées en l’affaire E . Z . c . Kazakhstan, dans lesquelles le Comité a jugé la communication irrecevable parce que l’auteur n’avait pas étayé les griefs qu’il tirait de l’article 14. Par conséquent, l’État partie soutient que la communication devrait être déclarée irrecevable au regard de l’article 3 du Protocole facultatif, de l’article 99 (al. d)) du Règlement intérieur et de la jurisprudence du Comité.

4.4Enfin, l’État partie conteste la recevabilité de la communication en raison du non‑épuisement des recours internes disponibles. Il fait observer qu’après que l’adjoint au Procureur général avait rejeté, le 14 juillet 2014, la demande de réexamen aux fins de contrôle introduite par l’auteur, celui-ci aurait pu en présenter une nouvelle au Procureur général. L’État partie renvoie aux constatations adoptées en l’affaire T . K . c . France, dans lesquelles le Comité a dit que de simples doutes quant à l’utilité des recours internes ne dispensaient pas l’auteur d’une communication d’épuiser ces recours. À titre d’exemple, l’État partie cite Filatova et Kuzmintsev, une affaire portée devant les tribunaux nationaux, dans laquelle l’akimat d’Almaty avait illégalement refusé à deux personnes la permission de faire la grève de la faim dans leur appartement. À la suite d’une demande de réexamen aux fins de contrôle déposée auprès du Procureur général, une nouvelle décision judiciaire avait été rendue en faveur des défendeurs, dont les droits et libertés avaient été pleinement rétablis. De la même manière, dans Amirbekova R . B ., une autre affaire portée devant les tribunaux nationaux, la Cour suprême, à la suite d’un recours introduit par le Bureau du Procureur général, avait invalidé une décision de justice défavorable au défendeur, déclaré coupable de refus d’obtempérer à des ordres donnés légalement par la police. Par conséquent, l’État partie soutient que la communication devrait être déclarée irrecevable au regard des articles 2 et 5 du Protocole facultatif, de l’article 99 (al. f)) du Règlement intérieur et de la jurisprudence du Comité.

4.5En ce qui concerne le fond de la communication, l’État partie indique que, le 20 février 2014, l’auteur se trouvait devant le numéro 659 de la rue Suyunbai lorsqu’il a ignoré les ordres donnés légalement par des policiers, qui lui enjoignaient de les suivre au poste de police du district de Jetyssou pour l’interroger au sujet d’une plainte reçue plus tôt. L’auteur a opposé une résistance active, endommageant notamment l’intérieur des portes et le pare-chocs d’un véhicule de police. Il a ensuite été mené au poste de police du district de Jetyssou et mis en examen pour refus d’obtempérer à des ordres donnés légalement par la police. L’État partie fait observer que, pendant l’audience, l’auteur a interrompu le procureur alors que celui-ci donnait ses conclusions et a crié « Honte au tribunal ! » lorsque le président faisait lecture de la décision du tribunal. Il a été poursuivi pour cet outrage à magistrat sur le fondement de l’article 513 du Code des infractions administratives et condamné à une peine supplémentaire de trois jours de détention administrative. L’État partie affirme que l’argument de l’auteur selon lequel les droits qu’il tient de l’article 19 du Pacte ont été violés n’est pas étayé. Il fait observer que l’auteur n’a pas été en mesure de fournir au tribunal ou au Comité la preuve qu’il avait reçu une convocation pour une heure ultérieure.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1Par une lettre datée du 5 juin 2017, l’auteur a répondu aux observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond de la communication. L’auteur réaffirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient des articles 14 (par. 3 b)) et 19 (par. 2) du Pacte et que ses tentatives visant à obtenir réparation devant les tribunaux nationaux et le ministère public n’ont pas abouti. Il fait remarquer que la police a récemment commencé à réprimer des manifestations pacifiques en arrêtant des participants pour des infractions telles que « houliganisme mineur », et non pour violation de la législation sur l’organisation de rassemblements pacifiques. L’auteur maintient, malgré les faits qui lui sont reprochés, que les policiers cherchaient à l’empêcher de participer à la rencontre avec l’akim et de poser des questions dérangeantes. Il précise qu’au moment de son arrestation, il était muni de sa carte de presse.

5.2S’agissant de l’épuisement des recours internes, l’auteur fait observer que l’introduction auprès du Procureur général d’une demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle ne saurait être considérée comme un recours utile. Dans Filatova et Kuzmintsev, dont l’État partie fait mention dans ses observations, l’un des plaignants n’a pas été réintégré dans ses droits et ses frais de justice n’ont pas été remboursés. Le nouveau jugement rendu par une juridiction nationale ne prévoyait pas de mécanisme permettant le rétablissement des droits des plaignants. En outre, l’akimat d’Almaty a refusé d’indemniser ceux-ci du préjudice moral et matériel subi comme de sanctionner l’employé municipal qui avait illégalement interdit leur grève de la faim. De ce fait, l’auteur soutient que la référence que fait l’État partie à l’affaire susdite, qu’il cite à titre d’exemple, n’est pas pertinente.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel les mesures de réparation demandées par l’auteur l’obligent à outrepasser sa compétence et à modifier les lois internes de l’État partie, donc à s’immiscer dans les affaires internes d’un État souverain, un élément qui rend la communication incompatible avec les dispositions du Pacte et donc irrecevable au regard de l’article 3 du Protocole facultatif. Le Comité fait toutefois remarquer que, conformément à la procédure établie par le Protocole facultatif, lorsqu’il constate des violations du Pacte, il a compétence pour déterminer les mesures que l’État partie doit prendre afin de réparer les préjudices causés et d’empêcher que des violations se reproduisent. Ainsi rien n’interdit aux auteurs de communications de solliciter ou de proposer des mesures de réparation, mais aucune de ces demandes ne lie le Comité. Il considère par conséquent que les dispositions de l’article 3 du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner la communication.

6.4Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur n’a pas saisi le Procureur général d’une demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle. Renvoyant à sa jurisprudence, il rappelle que l’introduction auprès du ministère public d’une demande de contrôle visant des décisions de justice devenues exécutoires, demande dont l’issue relève du pouvoir discrétionnaire du procureur, ne fait pas partie des recours qui doivent être épuisés aux fins de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif. En l’espèce, le Comité prend note du fait que l’État partie renvoie à deux affaires dans lesquelles des demandes introduites auprès du Bureau du Procureur général avaient conduit à l’annulation des décisions de juridictions inférieures. Il prend également note du fait que l’auteur dit qu’il a saisi le Bureau du Procureur général, le 5 mai 2014, d’une demande de réexamen de la décision rendue par le tribunal administratif, mais que cette demande a été rejetée par l’adjoint au Procureur général le 14 juillet 2014. Le Comité considère par conséquent que les dispositions de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner la communication.

6.5Le Comité prend note de l’argument de l’auteur selon lequel les droits qu’il tient de l’article 14 (par. 3 b)) du Pacte ont été violés par l’État partie en ce qu’il n’a pas eu rapidement accès à un avocat après son arrestation. Cependant, rien dans le dossier n’indique que l’auteur a soulevé ce grief dans le cadre des procédures engagées au niveau national. En l’absence d’autres informations ou explications pertinentes dans le dossier, le Comité considère que l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles concernant le grief qu’il tire de l’article 14 (par. 3 b)) du Pacte et juge ce grief irrecevable au regard de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif.

6.6Le Comité considère que l’auteur a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, les griefs qu’il tire de l’article 19 (par. 2) du Pacte. En conséquence, il déclare ceux-ci recevables et passe à l’examen au fond.

Examen au fond

7.1Conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2Le Comité prend note de l’affirmation de l’auteur selon laquelle sa condamnation à quinze jours de détention administrative avait pour but de l’empêcher d’effectuer son travail de journaliste et d’assister à une réunion publique avec l’akim d’Almaty organisée le 20 février 2014 à 10 heures. L’auteur affirme qu’à 7 h 30, il a d’abord reçu une convocation lui enjoignant de se présenter au poste de police du district de Jetyssou à 8 h 30, afin de répondre à quelques questions concernant une plainte reçue par la police, mais qu’après qu’il avait expliqué aux policiers qu’il devait assister, en tant que journaliste, à une importante réunion publique avec l’akim à 10 heures, ces derniers ont modifié l’heure de la convocation pour la fixer à 16 h 30. Cependant, dès qu’il a quitté son domicile, à 9 h 30, pour se rendre à la réunion, l’auteur a été arrêté par quatre policiers qui l’attendaient devant chez lui.

7.3Le Comité observe que, si l’État partie affirme que l’auteur n’a pas été en mesure de fournir au tribunal ou au Comité la preuve qu’il avait reçu une convocation pour une heure ultérieure, il ne conteste pas que deux officiers de police s’étaient rendus à son domicile à 7 h 30, le jour de son arrestation, pour lui transmettre une convocation. L’État partie ne conteste pas non plus que l’auteur se rendait, en tant que journaliste, à une importante réunion publique avec l’akim d’Almaty lorsqu’il a été arrêté, ce qui soulève des questions au regard de l’article 19 (par. 2) du Pacte.

7.4Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur a été sanctionné non pas pour avoir eu l’intention de participer à une réunion publique en tant que journaliste, mais pour avoir refusé d’obtempérer aux ordres qui lui avaient été légalement donnés par la police. Néanmoins, l’enchaînement des événements décrits et les actes des autorités envers l’auteur, notamment le fait qu’elles ont d’abord modifié l’heure de sa convocation de 8 h 30 à 16 h 30 (par. 2.2 ci-dessus), puis qu’elles l’ont arrêté à 9 h 30 alors qu’il était muni de sa carte de presse et avait déclaré se rendre en tant que journaliste à une réunion publique avec l’akim de la ville (par. 2.3 et 5.1 ci-dessus), sans aucunement justifier la nécessité d’envoyer quatre policiers pour le conduire au poste afin de l’interroger au sujet d’une plainte présumée reçue seulement la veille, constituent une restriction de facto des droits qu’il tient de l’article 19 (par. 2) du Pacte. Le Comité doit maintenant déterminer si les restrictions imposées à la liberté d’expression de l’auteur se justifient au regard de l’un quelconque des critères énoncés à l’article 19 (par. 3) du Pacte. Il rappelle à cet égard son observation générale no 34 (2011), dans laquelle il affirme notamment que la liberté d’expression est essentielle pour toute société et constitue le fondement de toute société libre et démocratique. Il fait observer que l’article 19 (par. 3) du Pacte autorise l’application de certaines restrictions à la liberté d’expression, y compris la liberté de répandre des informations et des idées, dans la seule mesure où ces restrictions sont prévues par la loi et sont nécessaires au respect des droits ou de la réputation d’autrui ou à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public ou de la santé ou de la moralité publiques. Enfin, aucune restriction de la liberté d’expression ne doit avoir une portée trop large : elle doit constituer le moyen le moins perturbateur parmi ceux qui pourraient permettre d’obtenir le résultat recherché, et doit être proportionnée à l’intérêt à protéger.

7.5L’État partie n’ayant pas expliqué en quoi la mesure de restriction imposée était proportionnée et nécessaire aux fins de l’un des objectifs légitimes énoncés à l’article 19 (par. 3) du Pacte, le Comité considère que la restriction du droit de l’auteur à la liberté d’expression a constitué une violation de l’article 19 (par. 2) du Pacte. Partant, le Comité conclut qu’en arrêtant l’auteur et en le condamnant à quinze jours de détention administrative, l’État partie a violé les droits que l’intéressé tient de l’article 19 (par. 2) du Pacte.

8.Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 19 (par. 2) du Pacte.

9.Conformément à l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, l’État partie est tenu, entre autres, de prendre les mesures voulues pour que l’auteur reçoive une indemnisation adéquate. Il est également tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour que des violations analogues ne se reproduisent pas, notamment de revoir ses lois, sa réglementation et ses pratiques afin de garantir que les droits consacrés par le Pacte puissent être pleinement exercés sur son territoire.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsque la réalité d’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent-quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles.