Nations Unies

CCPR/C/132/D/2996/2017

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

7 juin 2022

Français

Original : espagnol

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2996/2017 * , **

Communication soumise par :

José Antonio Sainz de la Maza y del Castillo (représenté par Diego Fernández Fernández)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteur

État partie :

Espagne

Date de la communication :

16 septembre 2015

Date des constatations :

21 juillet 2021

Objet :

Droit à une procédure régulière et droit à la double instance

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes ; question déjà examinée par une autre procédure internationale de règlement ; défaut de fondement

Question(s) de fond :

Droit de faire réexaminer une décision de justice par une juridiction supérieure ; droit à une procédure régulière ; droit d’être jugé par un tribunal compétent, indépendant et impartial

Article(s) du Pacte :

14

Article(s) du Protocole facultatif :

2, 3 et 5 (par. 2 a) et b))

1.L’auteur de la communication est José Antonio Sainz de la Maza y del Castillo, de nationalité espagnole, né le 27 juillet 1950. Il affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient de l’article 14 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 25 avril 1985. L’auteur est représenté par un avocat, Diego Fernández Fernández.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur était administrateur de la société commerciale Obras y Casas S.A., qui n’a pas soumis ses déclarations d’impôt sur les sociétés pour les années 1987, 1988 et 1999, ni sa déclaration de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) pour l’année 1988, ce qui a causé au Trésor public espagnol un préjudice s’élevant à 928 639 356 pesetas (environ 6 millions de dollars des États-Unis). En conséquence, le Ministère public a porté plainte contre l’auteur, qui était administrateur de la société durant les deux périodes considérées, et contre deux de ses associés, pour plusieurs infractions présumées contre le Trésor public visées à l’article 349 du Code pénal en vigueur à l’époque des faits.

2.2Cette plainte a donné lieu à l’ouverture d’une procédure abrégée, dont la phase d’instruction a été confiée au tribunal d’instruction no 43 de Madrid. Une fois terminée la phase de mise en état, le Ministère public et l’avocat de l’État ont rédigé des actes d’accusation contre l’auteur et ses associés, et un procès a eu lieu devant le tribunal pénal no 18 de Madrid.

2.3Fin 2005, à l’issue de la procédure orale, le tribunal pénal no 18 de Madrid a prononcé un acquittement en faveur des accusés, estimant que l’élément subjectif de l’infraction pénale n’était pas suffisamment démontré, car les éléments de preuve ne permettaient pas d’affirmer que les accusés aient été non seulement administrateurs de droit, mais aussi administrateurs de fait, et donc qu’ils aient agi avec l’intention de frauder. L’accusation a fait appel de cette décision. Le 11 mai 2006, la première section du Tribunal provincial de Madrid a estimé que le recours en appel était fondé, considérant que le jugement d’acquittement reposait sur un raisonnement erroné. Elle a infirmé le jugement et renvoyé l’affaire au tribunal pénal afin qu’il rende une nouvelle décision.

2.4Le tribunal pénal no 18 a de nouveau prononcé un acquittement en faveur des accusés. Cette nouvelle décision a été contestée par l’accusation et, le 10 décembre 2009, le Tribunal provincial de Madrid a de nouveau annulé le jugement d’acquittement au motif qu’il n’était pas correctement motivé et a demandé au tribunal pénal de statuer à nouveau.

2.5Le 21 janvier 2011, le tribunal pénal no 18 a rendu un troisième jugement d’acquittement en faveur de l’auteur et des autres accusés. L’accusation a de nouveau formé un recours devant le Tribunal provincial de Madrid, qui a considéré que son examen nécessitait la tenue d’une audience. Les recours formés par l’accusation étaient basés sur le fait que la juridiction inférieure aurait commis une erreur dans l’appréciation des preuves, desquelles il ressortait, selon l’accusation, que l’auteur avait agi en tant qu’administrateur de la société et qu’il avait eu connaissance de la non-présentation des déclarations fiscales faisant l’objet de la procédure et l’avait permise, puisqu’il était membre à part entière du Conseil d’administration de la société et qu’il aurait donc pu soumettre les déclarations lui‑même.

2.6Le 30 avril 2012, le Tribunal provincial de Madrid a accepté le recours et déclaré l’auteur coupable de quatre infractions contre le Trésor public, avec la circonstance atténuante importante de délai excessif, et l’a condamné à une peine d’emprisonnement correctionnel mineur de six mois et un jour pour chaque infraction, ainsi qu’à une amende d’un montant correspondant au triple de la somme non déclarée.

2.7L’auteur affirme que ce jugement contredisait l’exposé des faits établis dans le jugement d’acquittement rendu en première instance. Il constituait également une appréciation des preuves administrées pendant la procédure orale, non seulement des preuves documentaires mais aussi des preuves personnelles, sans qu’il y ait eu examen contradictoire, puisque, malgré la tenue d’une nouvelle audience, aucune preuve n’avait été examinée lors de celle-ci, en dehors des questions générales posées à l’auteur pour savoir s’il reconnaissait ou niait les faits. Le 29 mai 2012, l’auteur a été notifié de sa condamnation, qui n’était pas susceptible d’un recours.

2.8Le 20 juin 2012, l’avocat de l’auteur a écrit au Tribunal provincial pour l’informer qu’il renonçait à assurer la défense de l’auteur et demandait la suspension du délai de vingt jours imparti pour présenter une demande en nullité de la procédure.

2.9Le 3 juillet 2012, la première section du Tribunal provincial de Madrid a rendu une ordonnance dans laquelle, après avoir fait expressément mention de la demande de suspension du délai de présentation d’une demande en nullité de la procédure, elle a décidé de joindre celle-ci à la procédure et de la transmettre au juge rapporteur.

2.10Le 22 novembre 2012, le nouvel avocat de l’auteur a déposé un mémoire au nom de l’auteur introduisant une demande exceptionnelle en nullité de la procédure, conformément aux dispositions de l’article 241 de la loi organique relative à l’organisation du pouvoir judiciaire, contre le jugement du Tribunal provincial de Madrid en date du 30 avril 2012. Il a fait valoir que le jugement susmentionné avait violé le droit à une procédure régulière et le droit à la présomption d’innocence reconnus à l’article 24 de la Constitution, car la condamnation avait été prononcée en deuxième instance, après annulation de l’acquittement prononcé en première instance, en se fondant sur des preuves personnelles qui n’avaient pas été présentées en appel et en modifiant l’exposé des faits établis. Le 6 décembre 2012, la chambre d’appel de la première section du Tribunal provincial de Madrid a rejeté cette demande, affirmant que la nullité alléguée était basée sur de supposés vices de forme portant atteinte aux droits de la défense qui n’avaient pas été dénoncés lors de la procédure orale, que le délai pour présenter une demande en nullité était de vingt jours à compter de la notification du jugement, et que le changement d’avocat n’avait pas d’effet rétroactif aux fins réclamées.

2.11Le 5 février 2013, l’auteur a déposé un recours en amparo contre la décision antérieure, affirmant que son droit à une protection judiciaire effective avait été violé car la demande en nullité avait été rejetée comme étant hors délai alors qu’une prolongation du délai avait été demandée en raison du changement d’avocat. En outre, l’auteur estimait que lui demander de dénoncer l’irrégularité alléguée au cours de la procédure orale était une erreur manifeste, car cela aurait été impossible, l’irrégularité s’étant produite ultérieurement, au moment où le jugement était rendu. L’auteur considérait également qu’il y avait eu violation des principes d’oralité, d’immédiateté, du contradictoire et de la défense, car la décision en question avait été prise sans que de nouvelles preuves soient présentées. Le 6 juin 2013, le Tribunal constitutionnel a rejeté le recours en amparo pour « absence manifeste de violation d’un droit fondamental susceptible d’amparo ».

2.12Le 12 décembre 2013, l’auteur a saisi la Cour européenne des droits de l’homme. Le 18 septembre 2014, la Cour, en formation de juge unique, a rejeté la requête au motif qu’elle ne remplissait pas les conditions de recevabilité énoncées aux articles 34 et 35 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient de l’article 14 du Pacte car il a été condamné par un jugement, rendu en appel par la première section du Tribunal provincial de Madrid, contre lequel il n’existe aucun recours possible dans l’ordre juridique interne. Cependant, en application des dispositions de l’article 241 de la loi organique relative à l’organisation du pouvoir judiciaire, l’auteur a introduit une demande exceptionnelle en nullité de la procédure, qui a été jugée irrecevable. L’auteur se plaint que le mémoire a été considéré comme ayant été déposé hors délai, sans qu’il soit tenu compte de la démission de son avocat ni du fait que celui-ci avait demandé expressément la suspension du délai pour le dépôt du mémoire jusqu’à la désignation d’un nouveau conseil afin que l’accusé ne se trouve pas sans moyen de défense. L’auteur affirme que l’ordonnance rejetant la demande exceptionnelle en nullité de la procédure est une « décision arbitraire, déraisonnable et manifestement erronée », et que cette demande était le seul recours judiciaire existant − bien que limité − pour contester sa condamnation.

3.2L’auteur affirme que le droit fondamental au caractère contradictoire de la procédure et ses droits à l’égalité des armes, à la présomption d’innocence et à une audience publique ont été violés, en ce qu’il a été condamné en deuxième instance sans administration de la preuve. Il n’y a pas eu d’audience publique complète en appel, et le juge de deuxième instance a donc procédé à une nouvelle appréciation des déclarations des accusés sans que l’auteur ait pu présenter les preuves nécessaires, puisqu’il n’a pas eu la possibilité de réentendre les témoins et les experts. L’auteur réclame donc qu’il soit demandé à l’État partie de déclarer nulles et non avenues les décisions prises à son encontre.

3.3L’auteur soutient en particulier que l’État partie a violé le droit de faire réexaminer sa condamnation par une juridiction supérieure prévu à l’article 14 (par. 5) du Pacte, la condamnation prononcée contre l’auteur par la première section du Tribunal provincial de Madrid n’étant pas susceptible de réexamen. Il ajoute que, le Tribunal constitutionnel n’ayant pas non plus admis le recours en amparo sur la même question, aucune juridiction ne s’est prononcée sur la question soulevée, ce qui constitue une violation de ses droits fondamentaux à un procès équitable et à l’accès à la justice. Au vu de la jurisprudence du Comité sur ce point, il en a découlé une violation du droit à la double instance en matière pénale énoncé à l’article 14 (par. 5) du Pacte. Cette violation n’a pas pu être dénoncée dans le cadre de la procédure interne puisque, au moment des faits, ce droit n’était pas reconnu dans l’ordre juridique, ainsi que le Tribunal constitutionnel l’avait établi dans de multiples jugements.

Demande de documents complémentaires de l’État partie

4.Dans ses observations en date du 19 décembre 2017, l’État partie demande des documents complémentaires en rapport avec la question de l’épuisement des recours internes par l’auteur. Il demande copie de l’objection à « l’audience publique » en appel et copie de la demande en nullité de la procédure présentée par l’auteur contre le jugement no 120/2012 du 30 avril 2012 du Tribunal provincial de Madrid mentionnant la date du dépôt et le motif du recours, ainsi que la date de désignation du nouveau conseil, compte tenu du fait que le conseil démissionnaire a présenté sa démission le 20 juin 2012 (quatre jours ouvrables avant le 26 juin, date d’expiration du délai pour introduire la demande en nullité de la procédure) et que cette démission a été traitée par le tribunal le 3 juillet 2012 (neuf jours ouvrables après sa présentation), alors que le délai pour introduire la demande en nullité avait expiré.

Réponse de l’auteur à la demande de documents complémentaires de l’État partie

5.1Dans ses commentaires en date du 29 juin 2018, l’auteur affirme que la demande de documents complémentaires formulée par l’État partie est injustifiée, étant donné que l’État était la partie accusatrice dans la procédure engagée contre lui et qu’il a donc accès aux documents qu’il réclame. L’auteur estime que l’État partie prolonge inutilement la procédure devant le Comité car il a demandé des informations en vue de contester la recevabilité au moment où allait expirer le délai imparti pour présenter ses observations sur le fond. L’auteur demande donc au Comité de poursuivre la procédure.

5.2L’auteur estime en outre que les documents réclamés par l’État partie sont sans rapport avec la question soulevée dans sa plainte. Il affirme que son objection à la tenue d’une audience en deuxième instance est sans lien avec la question de l’épuisement des recours internes. En objectant à la tenue de cette audience, il exerçait son droit légitime à la défense. L’auteur a objecté à la tenue d’une audience en deuxième instance au motif que, selon la législation en vigueur, cette audience ne pourrait pas avoir lieu dans les mêmes conditions que celle qui s’était tenue en première instance et ne serait pas assortie des garanties nécessaires compte tenu du temps écoulé depuis les faits incriminés (plus de vingt ans) et du décès de deux des accusés.

5.3L’auteur explique qu’une fois l’audience tenue, et compte tenu des circonstances dans lesquelles elle avait eu lieu et de la décision rendue par le Tribunal provincial, une demande en nullité de la procédure a été faite, suivie d’un recours en amparo, dans lequel il était argué que l’audience n’avait pas fourni à l’accusé les garanties nécessaires et qu’il avait été déclaré coupable par une juridiction supérieure sur la base de preuves personnelles qui n’avaient pas été examinées par le tribunal, ce qui constituait une violation manifeste du droit à la bonne administration de la justice et à un procès juste et équitable. L’objection de l’auteur à l’audience au motif que la forme que devait prendre celle-ci ne respectait pas les garanties dues à l’auteur, et le grief tiré ensuite du fait que les modalités selon lesquelles l’audience avait finalement eu lieu ne satisfaisaient pas les conditions requises pour garantir les droits fondamentaux de l’auteur ne présentent aucune incohérence, mais relèvent de l’exercice légitime du droit de la défense et du droit de dénoncer les violations qui s’étaient produites à chaque étape de la procédure contre l’auteur.

5.4Selon l’auteur, il y a lieu de prendre en compte, pour déterminer si les recours ont été épuisés, du fait qu’il a été acquitté par le tribunal de première instance des accusations portées contre lui, que cette décision a été contestée par le Ministère public et l’avocat de l’État, que le Tribunal provincial a rendu, en appel, une décision infirmant le jugement de la juridiction inférieure et le déclarant coupable de quatre infractions contre le Trésor public, qu’il a introduit une demande en nullité contre cette décision, qui a été jugée irrecevable par le Tribunal provincial, et qu’un recours en amparo contre les décisions du Tribunal provincial a été formé devant le Tribunal constitutionnel. L’auteur indique que la demande en nullité de la procédure et le recours en amparo étaient les seuls mécanismes prévus en droit interne pour contester une telle décision. Dans l’un et l’autre, il a été soutenu que le jugement avait été rendu sans que les preuves personnelles présentées lors de la procédure orale aient été examinées, et qu’une audience avait eu lieu durant laquelle on s’était contenté de faire comparaître l’accusé et de lui demander de s’exprimer sur sa culpabilité, ce qui ne pouvait en aucun cas remplacer l’examen par le tribunal de première instance de toutes les preuves personnelles qui avaient été présentées au procès et que le tribunal pénal avait prises en considération pour rendre son jugement d’acquittement.

5.5L’auteur considère également qu’il n’est pas pertinent en l’espèce de fournir copie de la demande en nullité de la procédure ni de préciser la date à laquelle le nouveau conseil a été désigné. Il répète que le 20 juin 2012, son avocat a écrit au tribunal pour l’informer de sa démission. Cette lettre a été adressée avant l’expiration du délai légal de vingt jours pour présenter la demande en nullité, lequel a pris fin le 27 juin 2012. De plus, il y était expressément demandé ce qui suit : « étant donné que ce conseil préparait une demande en nullité de la procédure et du jugement rendu à l’issue de celle-ci, je demande que, pour éviter un quelconque préjudice à l’intéressé, le délai établi pour le dépôt d’une telle demande soit suspendu jusqu’à ce qu’un nouveau conseil soit désigné pour défendre les intérêts de l’[auteur]. ».

5.6L’auteur signale qu’à aucun moment le tribunal ne s’est prononcé sur la démission de son conseil ni sur la demande de suspension du délai de présentation de la demande en nullité de la procédure. Dans ces circonstances, l’auteur a désigné un nouvel avocat, bien que le tribunal n’ait pas rendu de décision lui demandant de le faire. Une fois cette désignation effectuée, une demande a été présentée au nom de l’auteur en vue de l’annulation de la décision du Tribunal provincial de Madrid en date du 30 avril 2012, dans le délai imparti pour la formulation d’une telle demande.

5.7L’auteur estime que l’on ne pourrait considérer que la demande en nullité de la procédure a été présentée hors délai que si le tribunal avait rendu une décision dans laquelle il demandait à l’accusé de désigner un nouveau conseil dans un certain délai et statuait sur la demande de suspension en indiquant le nombre de jours restant avant l’expiration dudit délai, et si celui‑ci avait été dépassé.

5.8Il ajoute que la décision rendue par le Tribunal constitutionnel sur le recours en amparo montre que celui-ci n’a pas été introduit hors délai. La première question qui est analysée au moment de statuer sur la recevabilité d’un recours en amparo est celle du délai. Par conséquent, si la demande en nullité présentée antérieurement audit recours a été présentée hors délai, le Tribunal prononce une décision d’irrecevabilité fondée sur la présentation tardive du recours. Cependant, le Tribunal constitutionnel a rejeté la demande d’introduction d’un recours en amparo présentée par l’auteur « en raison de l’absence manifeste de violation d’un droit fondamental susceptible d’amparo ». Une telle décision prouve que tous les recours internes existants ont été correctement épuisés, et que la documentation complémentaire demandée par l’État partie est donc inutile.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

6.1Le 7 janvier 2019, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication, dans lesquelles il a affirmé que celle-ci devait être déclarée irrecevable au regard de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif, pour non-épuisement des recours internes.

6.2L’État partie soutient que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes en ce qui concerne la violation alléguée du droit de faire réexaminer sa condamnation par une juridiction supérieure qu’il tire de l’article 14 du Pacte. L’auteur n’a jamais allégué une violation de ce droit devant les tribunaux nationaux.

6.3L’État partie soutient qu’il n’est fait mention d’une violation du droit au réexamen de la condamnation pénale par une juridiction supérieure ni dans la demande en nullité de la procédure ni dans le recours en amparo. Il affirme que l’auteur n’en a pas non plus fait état lorsqu’il a fait objection au recours en appel et à l’audience d’appel. Selon l’ordonnance du 6 décembre 2012 du Tribunal provincial rejetant la demande en nullité, l’auteur avançait comme principal argument qu’il avait été privé de moyen de défense puisqu’il avait été déclaré coupable en appel sans aucune preuve de l’élément subjectif de l’infraction fiscale et sur la base de documents et de rapports qui, selon lui, n’apportaient pas la preuve de cet élément et n’avaient pas été correctement appréciés.

6.4Dans le recours en amparo, l’auteur a avancé qu’il était déraisonnable de déclarer la demande en nullité irrecevable au motif de sa présentation hors délais, que les preuves personnelles présentées en première instance auraient dû être à nouveau examinées et que son droit à la présomption d’innocence a été violé. Dans l’ordonnance du 6 décembre 2012, le Tribunal provincial, se référant à l’ordonnance du 24 juillet 2012, a signalé que la violation n’avait pas été alléguée à l’audience et qu’aucune preuve personnelle n’avait été examinée, étant donné que les expertises sont des preuves documentaires. L’État partie signale également que l’auteur ne précise pas, dans ses observations, quel élément de preuve a été mal apprécié.

6.5En ce qui concerne le grief de violation de l’article 14 que l’auteur tire du fait que les preuves personnelles auraient dû être réexaminées à l’audience d’appel, l’auteur a dit qu’il n’en avait pas fait état à l’époque et qu’il avait objecté à la tenue de l’audience parce qu’il estimait que celle-ci ne pourrait pas se tenir avec les mêmes garanties que la procédure orale. L’État partie affirme que la jurisprudence du Comité établit clairement que les recours internes doivent être épuisés et que les doutes que peut avoir l’auteur quant à leur utilité ne le dispense pas de les épuiser. L’État partie estime que l’auteur ne peut pas valablement faire valoir que son allégation sur la question du réexamen des preuves personnelles aurait été sans effet à l’audience, et qu’il avait l’obligation d’épuiser les recours internes, quelle que soit son opinion sur leur utilité.

6.6L’État partie soutient également que la communication doit être déclarée irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif pour défaut de fondement. Il considère que le Comité a clairement indiqué, dans sa jurisprudence, la façon dont ce motif d’irrecevabilité doit être interprété. Concernant la violation de l’article 14 du Pacte tenant au rejet de la demande en nullité de la procédure, l’auteur signale que le Tribunal constitutionnel considère que la demande a été présentée dans le délai imparti. En outre, le Tribunal provincial a contesté tous les arguments avancés par l’auteur sur le fond, affirmant que les questions qu’il soulevait, concernant la nouvelle administration des preuves personnelles, auraient dû être soulevées à l’audience, ce qui n’a pas été le cas. L’auteur a objecté à la tenue de l’audience et à la présentation de preuves personnelles lors de cette audience, alors que dans la demande en nullité de la procédure et dans le recours en amparo, il a dit que ces preuves auraient dû être à nouveau présentées, ce qui est totalement contradictoire.

6.7De plus, l’auteur a assisté à l’audience publique, où il a pu se défendre directement et par l’intermédiaire de son conseil, et où les preuves documentaires ont été examinées et discutées par l’accusation et la défense. L’État partie estime qu’il s’est conformé à la jurisprudence du Comité citée par l’auteur, en ce qui concerne la nécessité que les audiences en appel se tiennent en présence de l’accusé.

6.8Enfin, l’État partie souligne que la lecture du jugement du Tribunal provincial de Madrid montre qu’il n’y a pas eu d’interprétation arbitraire ou de déni de justice et qu’elle a fondé son raisonnement sur les termes stricts de l’appel, c’est-à-dire l’examen des preuves documentaires. Il convient d’ajouter que l’auteur ne nie pas l’existence de l’infraction et ne conteste pas les montants non déclarés, qui ont été établis par les experts du Trésor public. Il conteste seulement avoir été un sujet passif de l’impôt et avoir eu des intentions frauduleuses, ces deux points étant basés sur les preuves documentaires et sur le fait que, selon la jurisprudence, l’administrateur de droit, comme l’administrateur de fait, peut être considéré comme sujet actif de l’infraction.

6.9À titre subsidiaire, l’État partie demande au Comité de rejeter la communication sur le fond pour absence de violation de l’article 14 du Pacte. L’auteur n’ayant soumis aucun élément de preuve à l’audience d’appel, on ne saurait considérer que l’article 14 du Pacte a été violé.

6.10L’État partie fait observer que, bien que l’auteur ait indiqué dans sa lettre initiale qu’il joignait copie de la demande en nullité de la procédure afin que le Comité puisse l’examiner, il ne l’a pas fait, et a ensuite refusé de la communiquer lorsqu’il y a été invité.

6.11L’État partie note que l’auteur a objecté à la tenue de l’audience d’appel parce qu’il ne serait pas possible d’évaluer les preuves personnelles en appel. Son objection était basée sur le fait qu’il estimait qu’il n’était pas un sujet actif de l’infraction et qu’il n’y avait pas eu d’intention frauduleuse. L’audience publique d’appel s’est tenue en présence de l’accusé, qui a exercé son droit à la défense en début d’audience et à la fin. L’État partie fait observer que, comme l’a signalé le Président de la chambre au début de l’audience, l’appel impliquait seulement l’examen des preuves documentaires, et non celui des preuves personnelles produites lors du procès en première instance.

6.12En ce qui concerne l’objection de l’auteur à la tenue de l’audience publique, l’État partie note que, selon le jugement, il s’agit d’une procédure obligatoire conforme à la jurisprudence du Tribunal constitutionnel. Le jugement ne procède pas à une nouvelle appréciation des preuves personnelles mais seulement des preuves documentaires puisque l’auteur ne conteste pas l’existence de la fraude (non-présentation de déclarations fiscales et non-versement des sommes dues à ce titre) mais sa participation à l’infraction en tant que sujet actif en sa qualité d’administrateur de la société, ainsi que l’intention frauduleuse. Il examine la question de la qualité de sujet actif de l’infraction de l’auteur et de ses intentions frauduleuses et c’est sur ce point qu’il évalue les preuves documentaires. Le jugement consacre ensuite huit alinéas à l’examen des documents prouvant que l’auteur était administrateur de droit mais aussi de fait :

« Tous ces documents démontrent que l’accusé a agi en tant qu’administrateur et au nom de la société dans de nombreuses transactions financières importantes, et il y a donc lieu de conclure qu’il a participé à son développement économique et qu’il ne pouvait pas ignorer ses responsabilités envers le Trésor public, compte tenu du grand nombre d’opérations auxquelles il a participé pour la société. En définitive, l’affirmation de la juge, qui n’est pas expliquée, selon laquelle il n’est pas suffisamment démontré que l’accusé a agi en tant que directeur ou représentant de la société commerciale, est contredite par de nombreuses preuves documentaires figurant au dossier mais dont le jugement ne parle pas. […] Aucune des preuves personnelles […] ne contredit les preuves documentaires et il est clair que, sans procéder à l’appréciation de celles-ci, le jugement est déraisonnable puisqu’il ne tient pas compte des preuves documentaires abondantes et détaillées auxquelles il est fait référence ci-dessus. ».

6.13Selon l’État partie, l’auteur, dans sa communication, tente de faire valoir que le jugement contient une nouvelle évaluation des preuves personnelles car il fait un « coupé‑collé » du jugement, mais il omet de mentionner qu’il s’agit pour partie de citations du jugement initial renvoyant à des jugements antérieurs, son intention semblant être de véhiculer une fausse impression du jugement.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

7.1Dans ses observations en date du 19 mai 2019, l’auteur soutient que la demande de l’État partie visant à ce que la communication soit déclarée irrecevable pour non-épuisement des recours internes est injustifiée. Le droit de faire réexaminer une condamnation pénale par une juridiction supérieure énoncé à l’article 14 du Pacte, qui a été violé, n’a pas été reconnu dans l’ordre juridique espagnol, en dépit du fait que l’article 10.2 de la Constitution dispose que « les normes relatives aux droits fondamentaux et aux libertés que reconnaît la Constitution doivent être interprétées conformément à la Déclaration universelle des droits de l’homme et aux traités et accords internationaux pertinents ratifiés par l’Espagne », et que l’article 96 établit que « les traités internationaux régulièrement conclus, une fois publiés officiellement en Espagne, font partie de l’ordre juridique interne ». Ceci constitue un manquement manifeste aux différentes décisions qui ont été rendues par le Comité des droits de l’homme à cet égard, étant donné que l’Espagne a été condamnée pour violation de l’article 14 (par. 5) du Pacte et que l’obligation lui incombant de faire le nécessaire pour que de telles violations ne se reproduisent pas lui a été rappelée mais qu’elle n’a pas pris les mesures demandées.

7.2Il convient d’ajouter à ce qui précède que le Comité a déclaré à maintes reprises que, si la charge de la preuve repose en principe sur l’auteur de la communication, qui doit démontrer qu’il a épuisé ou s’est efforcé d’épuiser les recours internes utiles, dans le cas où l’un quelconque des recours n’est pas disponible, comme c’est le cas en l’espèce, la charge de la preuve incombe alors à l’État partie, qui doit démontrer qu’il subsiste des recours internes disponibles et utiles. L’auteur réaffirme qu’il aurait été impossible de dénoncer la violation de l’article 14 (par. 5) du Pacte devant les juridictions internes, car le droit consacré par cette disposition n’est pas reconnu dans l’ordre juridique espagnol, ainsi qu’il est établi dans nombre de décisions du Tribunal constitutionnel. En l’espèce, il incombait donc à l’État partie de démontrer qu’il existait bien dans l’ordre juridique interne une voie de recours disponible et utile pour faire reconnaître l’existence d’une violation de l’article 14 (par. 5) du Pacte, ce qu’il n’a pas fait.

7.3En ce qui concerne la violation de l’article 14 du Pacte tenant au fait que les preuves personnelles auraient dû être présentées à nouveau à l’audience d’appel, l’État partie considère que les recours internes n’ont pas été épuisés parce qu’il n’en a pas été fait état à l’audience. À cet égard, l’auteur rappelle que, comme l’a signalé le président de la chambre en début d’audience, l’appel impliquait uniquement un examen des preuves documentaires, et non des preuves personnelles produites lors du procès en première instance. Cette déclaration, faite en début d’audience, montre que le conseil de l’auteur n’avait pas la possibilité de faire une déclaration concernant l’appréciation des preuves personnelles par la chambre, et encore moins de demander que des preuves de cette nature soient entendues. Ce n’est qu’une fois le jugement rendu et une fois qu’il a été constaté que des preuves personnelles avaient été prises en compte pour rendre cette décision que l’auteur a pu utiliser le seul mécanisme prévu dans l’ordre interne pour contester une déclaration de culpabilité rendue en deuxième instance, bien que dans une mesure limitée, et a présenté une demande exceptionnelle en nullité de la procédure, laquelle a été injustement déclarée irrecevable.

7.4L’auteur indique que son conseil n’avait pas le moindre doute sur le fait qu’il était impossible de présenter des preuves devant la juridiction supérieure dans les mêmes conditions que devant le tribunal de première instance. En effet, à l’époque des faits, l’article 790 de la loi de procédure pénale, relatif à la contestation des jugements rendus dans les procédures abrégées, était libellé de manière à établir que la législation applicable dans l’ordre juridique interne de l’État partie ne prévoyait en aucune circonstance la possibilité de présenter devant la juridiction supérieure les preuves produites devant le tribunal de première instance. Seule était prévue la possibilité de demander que soient présentées les preuves qui n’avaient pas pu l’être en première instance, les preuves qui avaient été indûment jugées irrecevables, et celles qui avaient été jugées recevables mais n’avaient pas pu être entendues pour des raisons indépendantes de la volonté du demandeur. L’auteur ajoute qu’il ne faut pas perdre de vue qu’en tout état de cause, il n’appartenait pas à la défense de proposer que des preuves personnelles soient examinées par la juridiction supérieure, mais à l’accusation, qui entendait obtenir la condamnation de l’accusé acquitté. En tout état de cause, c’est à l’État partie qu’il incombait de démontrer qu’il était possible, en vertu du droit interne, de faire réexaminer l’ensemble des preuves par le Tribunal provincial et que cette possibilité aurait pu être donnée si elle avait été demandée dans l’un quelconque des recours présentés devant les tribunaux internes.

7.5L’auteur soutient que le fait que le Tribunal constitutionnel considère que la demande en nullité de la procédure avait été présentée dans le délai imparti ne constitue pas une réparation de la violation des droits de l’auteur, car cela ne signifie pas que la demande en nullité ait été admise par l’instance compétente (le Tribunal provincial) ou que la décision prévue par la loi, dûment fondée et motivée, ait été obtenue. Bien que l’ordonnance rendue par le Tribunal provincial rejetant la demande en nullité fasse brièvement référence aux questions soulevées dans la demande, elle ne saurait être considérée comme une décision fondée en droit et dûment motivée, à la fois parce que les explications qui y sont fournies sont clairement insuffisantes et parce qu’elle ne respecte pas la procédure d’annulation établie par la loi organique relative à l’organisation du pouvoir judiciaire.

7.6L’auteur soutient que, selon les dispositions de l’article 90 du règlement intérieur du Comité, le Secrétaire général peut demander à l’auteur d’une communication des éclaircissement ou des renseignements supplémentaires sur des points précis, mais il n’appartient pas à l’État partie de le faire. Cependant, pour que le Comité puisse vérifier qu’il n’a jamais eu l’intention de dissimuler quelque information que ce soit, l’auteur joint à sa lettre les documents demandés.

7.7L’auteur souligne qu’il faut accorder une attention particulière au fait que les décisions qu’il contestait ont débouché sur sa condamnation en appel alors qu’il avait été acquitté en première instance. Il estime que l’État partie prolonge inutilement la présente procédure en demandant un allongement du délai de présentation des observations sur la recevabilité, après l’expiration du délai de deux mois prévu à cet effet par l’article 97, et en prolongeant indûment le délai de six mois prévu par le règlement intérieur. Cette prolongation lui cause un grave préjudice étant donné que, même si le Comité devait constater la violation des droits alléguée, il aurait déjà purgé intégralement la peine de prison qui lui a été infligée illégalement par les tribunaux nationaux.

7.8L’auteur conteste l’argument selon lequel le jugement ne réévalue pas les preuves personnelles mais seulement les preuves documentaires. Bien que la chambre d’appel affirme que seules les preuves documentaires ont été examinées, les affirmations reproduites ci-après indiquent le contraire :

« Aucune des preuves personnelles (les déclarations de feu M. I., des témoins, de l’accusé lui-même et de feu C. J., un administrateur de la société, devant le juge d’instruction) ne contredit les preuves documentaires. Il est évident que, sans procéder à l’évaluation de celles‑ci, le jugement est déraisonnable en ce qu’il ne tient pas compte des preuves documentaires abondantes et larges auxquelles il est fait référence ci-dessus, l’objet de l’accusation étant une omission. ».

Selon l’auteur, prétendre qu’aucune des preuves personnelles ne contredit les preuves documentaires revient déjà à apprécier celles-ci, quand bien même serait-ce pour leur nier toute valeur. De plus, décider de donner du poids à certains documents et de n’accorder aucune importance aux déclarations des accusés eux-mêmes ainsi qu’à celles des témoins suppose également une appréciation de ces preuves. En l’espèce, le juge de première instance a estimé, après avoir entendu les preuves, que les déclarations des témoins avaient davantage de valeur que les preuves documentaires. Selon l’auteur, il n’est pas rare que des informations consignées formellement dans certains documents soient incorrectes. Ceci a été pris en considération par le tribunal de première instance, qui, après avoir entendu les preuves, a estimé qu’il convenait d’accorder davantage de crédit aux déclarations des témoins et des accusé qu’à ce qui était inscrit dans les documents. L’auteur souligne que les rapports auxquels il est fait référence ne sont pas seulement des preuves à caractère documentaire, dans la mesure où leur validité a été vérifiée dans le cadre de la procédure orale, où leurs auteurs ont été interrogés et leurs déclarations évaluées par le tribunal de première instance. Par conséquent, la prise en compte desdits rapports par la chambre d’appel implique également que des preuves de caractère personnel ont été évaluées, même si elles n’ont pas été entendues.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2Le Comité constate que l’auteur a présenté une requête concernant les mêmes faits à la Cour européenne des droits de l’homme et rappelle que, lorsque l’Espagne a ratifié le Protocole facultatif, elle a émis une réserve par laquelle elle a exclu la compétence du Comité concernant toute question en cours d’examen ou déjà examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Toutefois, le Comité note que, le 18 septembre 2014, la Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en formation de juge unique, a rejeté la requête au motif qu’elle ne satisfaisait pas les conditions de recevabilité énoncées aux articles 34 et 35 de la Convention européenne des droits de l’homme, sans préciser le motif de l’irrecevabilité. Le Comité constate que la Cour européenne a simplement indiqué que la requête ne remplissait pas les conditions de recevabilité, sans fournir davantage de précisions. En conséquence, il conclut que l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif ne fait pas obstacle à la recevabilité de la communication.

8.3Le Comité note également que l’État partie affirme que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes en ce qui concerne la violation alléguée de son droit à la double instance car il n’a pas invoqué ce droit dans sa demande en nullité de la procédure devant le Tribunal provincial de Madrid ni dans la procédure d’amparo devant le Tribunal constitutionnel. Le Comité rappelle qu’il ressort de sa jurisprudence que seuls doivent être épuisés les recours ayant une chance raisonnable d’aboutir. En l’espèce, le Comité relève que, selon l’article 241 (par. 1) de la loi organique relative à l’organisation du pouvoir judiciaire :

« En règle générale, les demandes en nullité de procédure ne sont pas recevables. Toutefois, à titre exceptionnel, les personnes qui sont, ou qui auraient dû être, parties légitimes à une procédure, peuvent demander par écrit que la procédure soit déclarée nulle au motif de la violation de l’un des droits fondamentaux visés à l’article 53.2 de la Constitution, à condition que la violation n’ait pu être dénoncée avant la décision qui a mis fin à la procédure et que cette décision ne soit pas susceptible d’un recours ordinaire ou extraordinaire ».

Le Comité constate également que l’article 241 (par. 2) de cette même loi dispose que « si la nullité de la procédure est confirmée, celle-ci est rétablie dans l’état qui précédait immédiatement le vice qui en a entraîné la nullité et se poursuit conformément aux prescriptions de la loi ». Le Comité souligne le caractère extraordinaire et limité de la demande en nullité de la procédure et estime qu’un tel recours n’aurait pas permis d’obtenir un réexamen par une juridiction supérieure du jugement rendu par le Tribunal provincial de Madrid. À cet égard, le Comité constate qu’à l’époque des faits, tant la législation nationale que la position constante de la Cour constitutionnelle − réaffirmée dans ses décisions de rejet de recours en amparo − concernant le non-réexamen des jugements rendus en deuxième instance étaient claires. Par conséquent, ni la demande en nullité de la procédure ni le recours en amparo n’avaient de chance d’aboutir, de sorte que ceux-ci ne constituaient pas des recours utiles dans les circonstances de l’espèce. En conséquence, le Comité estime que les recours internes ont été épuisés en ce qui concerne les allégations soulevées au titre de l’article 14 (par. 5).

8.4Le Comité note en outre que d’après l’État partie, l’auteur n’a pas épuisé les recours internes en ce qui concerne les autres violations de l’article 14 alléguées car il n’a pas fait état, au moment de la tenue de l’audience d’appel devant le Tribunal provincial, de la nécessité que les preuves personnelles soient réentendues, et l’auteur avait l’obligation d’épuiser les recours internes quelle que soit son opinion sur leur utilité. Le Comité prend note également de l’argument de l’État partie qui affirme que la demande en nullité a été présentée hors délai. À cet égard, le Comité observe que l’auteur avance qu’il n’avait pu constater que des preuves personnelles avaient été évaluées qu’après que le Tribunal provincial avait rendu son jugement, et qu’il avait alors présenté la demande en nullité de la procédure. Le Comité note que ce recours était le seul disponible dans le droit interne que l’auteur pouvait utiliser, bien que de façon très limitée, pour contester la déclaration de culpabilité prononcée à son encontre par la juridiction supérieure. Le Comité considère en outre que l’État partie n’a pas expliqué comment l’auteur aurait pu dénoncer les violations alléguées de l’article 14 dans le cadre de la procédure orale avec des chances d’aboutir. L’État partie n’a pas non plus expliqué dans quelle mesure, dans les circonstances particulières de l’affaire, la présentation en temps utile de la demande en nullité de la procédure aurait constitué un recours utile pour la protection des droits invoqués devant le Comité. En conséquence, le Comité estime que les recours internes ont été épuisés en ce qui concerne les autres griefs tirés de l’article 14 du Pacte.

8.5Le Comité note également que l’État partie affirme que les autres allégations de violations de l’article 14 formulées par l’auteur en ce qui concerne sa déclaration de culpabilité par le Tribunal provincial de Madrid n’ont pas été suffisamment étayées, au regard de l’article 3 du Protocole facultatif, et que la lecture du jugement du Tribunal provincial de Madrid du 30 avril 2012 montre qu’il n’y a pas eu d’interprétation arbitraire ni de déni de justice, mais que le raisonnement a été basé sur les termes stricts de l’appel. Le Comité rappelle que, selon sa jurisprudence constante, l’appréciation des faits et des éléments de preuve relève en principe de la compétence des tribunaux nationaux, à moins qu’elle ne soit manifestement arbitraire ou constitutive d’un déni de justice. Le Comité estime que les informations fournies par les parties tout au long de la procédure ne lui permettent pas de conclure que les juridictions nationales ont apprécié les éléments de preuve ou interprété la législation nationale de manière arbitraire et que, ayant vérifié que les décisions prises par ces juridictions étaient précisément motivées et cohérentes, il ne lui appartient pas d’intervenir plus avant. Compte tenu de ce qui précède, le Comité conclut que les allégations de l’auteur concernant les autres violations de l’article 14 ne sont pas suffisamment étayées et les déclare irrecevables au regard de l’article 3 du Pacte.

8.6Le Comité estime que les griefs que l’auteur tire de l’article 14 (par. 5) ont été suffisamment étayés et satisfont les autres critères de recevabilité, et procède à leur examen quant au fond.

Examen au fond

9.1Conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

9.2L’auteur allègue une violation du droit au réexamen de sa condamnation par une juridiction supérieure au titre de l’article 14 (par. 5) du Pacte, en ce qu’il n’existait pas de mécanisme utile lui permettant de faire appel de la condamnation prononcée le 30 avril 2012 par la première section du Tribunal provincial de Madrid ou de demander le réexamen par une juridiction supérieure de sa déclaration de culpabilité et de la peine prononcée. L’auteur fait valoir que cette décision n’était pas susceptible de recours et qu’il n’existe pas dans l’État partie de recours utile pour demander le réexamen de jugements de condamnation par une juridiction supérieure dans les circonstances de l’espèce. Il argue que l’utilité des demandes exceptionnelles en nullité de la procédure est limitée. À cet égard, le Comité observe que l’État partie n’a pas expliqué comment la demande en nullité, même si elle avait été présentée à temps, aurait permis à l’auteur de faire réexaminer sa condamnation par une juridiction supérieure.

9.3Le Comité rappelle que l’article 14 (par. 5) du Pacte consacre le droit de toute personne déclarée coupable d’une infraction de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de sa culpabilité et sa condamnation, conformément à la loi. Il y a violation de cette disposition non seulement lorsque la décision rendue en première instance est définitive mais également lorsqu’une déclaration de culpabilité prononcée par une juridiction d’appel ou une juridiction statuant en dernier ressort après que l’acquittement a été prononcé en première instance, conformément au droit interne, ne peut pas être réexaminée par une juridiction supérieure. Le Comité rappelle également que l’expression « conformément à la loi » ne signifie pas qu’il faille laisser l’existence même du droit de réexamen par une juridiction supérieure à la discrétion des États parties. Par exemple, si la législation d’un État partie peut prévoir certains cas où une personne doit être jugée, du fait de sa charge, par une juridiction plus élevée que celle qui aurait été naturellement saisie, cette circonstance ne saurait à elle seule porter atteinte au droit de l’accusé de faire examiner par une juridiction supérieure la déclaration de culpabilité et la condamnation prononcées contre lui.

9.4En l’espèce, le Comité note que l’auteur ne disposait pas d’un recours utile pour demander que la déclaration de culpabilité et la condamnation prononcées en appel soient réexaminées par une instance supérieure. Il conclut donc que l’État partie a violé les droits que l’auteur tient de l’article 14 (par. 5) du Pacte.

9.5Le Comité observe que, postérieurement aux faits qui font l’objet de la présente communication, en 2015, l’État partie a adopté une nouvelle législation qui prévoit que les jugements rendus par les Tribunaux provinciaux sont susceptibles d’un recours en appel devant la chambre pénale des juridictions supérieures du territoire correspondant. Le Comité estime que cette législation pourrait éviter que des violations analogues à celle constatée dans la présente communication ne se reproduisent, dans la mesure où elle donne la possibilité qu’une instance judiciaire supérieure réexamine le jugement de condamnation et la peine prononcée, et qu’elle assure donc un recours utile.

10.Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif se rapportant au Pacte, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 14 (par. 5) du Pacte.

11.Conformément à l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, l’État partie est tenu d’accorder à l’auteur une réparation appropriée, y compris un recours permettant le réexamen par une juridiction supérieure de la déclaration de culpabilité et de la condamnation prononcées. L’État partie est également tenu de veiller à ce que toutes les mesures nécessaires soient prises pour que des violations analogues ne se reproduisent pas, et de garantir le plein respect des obligations mises à sa charge par l’article 14 (par. 5) du Pacte.

12.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent-quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement.