Nations Unies

CCPR/C/134/D/2721/2016

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

2 juin 2022

Original : français

Comité des droits de l ’ homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2721/2016*,**

Communication présentée par :

M’Rabih Ahmed Mahmoud Adda (représenté par un conseil, Rachid Mesli, de la Fondation Alkarama)

Victime(s) présumée(s):

L’auteur

État partie :

Algérie

Date de la communication :

12 juin 2015 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 1er février 2016 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

4 mars 2022

Objet :

Torture et détention illégale

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes ; fondement des griefs

Question(s) de fond :

Droit à un recours utile ; peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant ; liberté et sécurité de la personne ; dignité humaine

Article(s) du Pacte :

2 (par. 3), 7, 9 (par. 1 à 4), 10 (par. 1), 19 (par. 2), 21 et 22

Article(s) du Protocole facultatif :

2, 3 et 5 (par. 2)

1.L’auteur de la communication est M’Rabih Ahmed Mahmoud Adda, né le 25 mai 1979 dans l’un des campements de réfugiés sahraouis à Tindouf. Il affirme être victime d’une violation par l’État partie de ses droits protégés au titre des articles 7, 9 (par. 1 à 4), 10 (par. 1), 19 (par. 2), 21 et 22 du Pacte. Le Pacte et le Protocole facultatif s’y rapportant sont entrés en vigueur pour l’État partie le 12 décembre 1989. L’auteur est représenté par un conseil de la Fondation Alkarama.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur résidait habituellement dans les camps de Tindouf, en Algérie. Il a poursuivi son enseignement secondaire à M’sila, dans le centre du pays, ainsi qu’en Libye. Il est revenu dans les camps en 1998 et a suivi une formation militaire dans une caserne de l’armée algérienne, avant d’être affecté dans une unité militaire du Front populaire pour la libération de la Saguía el-Hamra et du Río de Oro (Front POLISARIO), qu’il décidera de quitter en 2006. Depuis 2010, l’auteur vit du commerce du carburant de contrebande entre les camps de Tindouf et la Mauritanie.

2.2Le 5 mars 2011, à la suite des événements de 2011 dans le monde arabe, l’auteur et plusieurs jeunes militants contestant l’autorité et les pratiques du Front POLISARIO ont fondé le Mouvement du 5 mars pour dénoncer de manière pacifique les atteintes aux droits fondamentaux des personnes réfugiées dans les camps de Tindouf. Selon l’auteur, depuis sa création, ce mouvement a organisé de nombreux sit-in, appelant notamment au départ de la direction du Front POLISARIO.

2.3En raison de son activisme et après avoir tenté de remettre une lettre à l’Envoyé personnel du Secrétaire général pour le Sahara occidental durant l’une de ses visites des camps, l’auteur a fait l’objet d’une première arrestation le 26 mars 2013. Il a été détenu trois jours par les services de sécurité du Front POLISARIO et a subi des tortures et des mauvais traitements, ainsi que des menaces destinées à lui faire arrêter ses activités politiques. Libéré le troisième jour, il a cependant continué durant toute l’année 2014 à mener des activités de contestation pacifique des agissements du Front POLISARIO.

2.4L’auteur affirme être également l’un des fondateurs de l’association Assomoud, qui a pour vocation de revendiquer le droit à la liberté d’expression et de mouvement, ainsi que des conditions de vie dignes pour les réfugiés de Tindouf. Avec cette organisation, il a participé à un sit-in ouvert devant le bureau du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés à Rabouni en janvier 2014. Pour cette raison, il a été arrêté une deuxième fois le 25 juillet 2014 alors qu’il revenait à Tindouf. L’auteur se trouvait au domicile de l’un de ses proches, situé dans le quartier Ennahda, à Tindouf, lorsqu’aux alentours de 14 heures, quatre agents des services de sécurité algériens en civil ont investi les lieux.

2.5Après s’être introduits de force dans la maison, les agents se sont empressés de couvrir la tête de l’auteur et de le menotter dans le dos, tout en lui assenant des coups de matraque. Aucun motif ne lui a été communiqué pour son arrestation, et aucun mandat de justice ne lui a été présenté. À 19 heures, après un violent passage à tabac, l’auteur a été conduit à l’entrée du camp de Rabouni, puis remis à des agents du Front POLISARIO parmi lesquels il a pu reconnaître M. L. et A. O. A. S., qui l’ont immédiatement emmené au centre de détention Errachid, connu par les habitants des camps comme étant un centre où la torture était couramment pratiquée.

2.6À son arrivée au centre de détention, l’auteur a été emmené dans un bureau pour y être interrogé par les services de renseignement du Front POLISARIO, relevant du Secrétariat d’État chargé de la documentation et de la sécurité, dirigé par B. A. M. Durant l’interrogatoire, les agents lui ont posé des questions sur ses activités et opinions politiques, ainsi que sur les motifs pour lesquels il avait organisé un sit-in de protestation. Par suite de ses réponses, les agents ont commencé à l’insulter et à le menacer, puis lui ont ordonné de lire une déclaration préparée par leurs soins devant une caméra, ce que l’auteur a fermement refusé.

2.7Devant sa résistance, les agents ont commencé à battre l’auteur après lui avoir recouvert le visage et l’avoir entièrement déshabillé. Ils l’ont ensuite attaché et suspendu en lui faisant subir des tortures jusqu’à ce qu’il perde connaissance. Ils l’aspergeaient alors d’eau froide pour le réveiller et recommençaient une autre séance de torture. L’auteur a été soumis à ce traitement durant huit jours, au cours desquels il a également été privé de nourriture et de sommeil.

2.8Au neuvième jour, le Directeur de la sûreté interne du Front POLISARIO, S. O. B., a rendu visite à l’auteur pour lui ordonner encore une fois d’enregistrer des déclarations préparées par son service dans lesquelles il reconnaîtrait ses erreurs et affirmerait qu’il était à la solde du Maroc, faute de quoi il serait jugé comme traître ou exilé. L’auteur a déclaré qu’il était prêt à se soumettre à la justice à condition de bénéficier d’un procès public et équitable. Le Directeur lui a alors répondu qu’il mourrait de toute manière en prison.

2.9Au treizième jour de sa détention, la famille de l’auteur a finalement été informée de son arrestation et de sa détention. Son père a été autorisé à lui rendre visite au centre Errachid. À cette occasion, les agents du Front POLISARIO ont autorisé l’auteur à se laver et à changer de vêtements, afin de cacher les traces des tortures qu’il avait subies. Trois jours plus tard, sa mère et d’autres membres de sa famille lui ont également rendu visite et ont pu constater l’état déplorable dans lequel il se trouvait.

2.10Par la suite, l’auteur a entamé une grève de la faim pendant quinze jours afin de protester contre son maintien en détention et les mauvais traitements dont il continuait à être victime. Le responsable du centre est alors venu le voir pour lui proposer encore une fois de le libérer, à condition qu’il fasse des aveux filmés dans lesquels il affirmerait n’avoir jamais été détenu par le Front POLISARIO. Le soixantième jour, après une nouvelle visite de sa mère et sous la pression familiale, l’auteur a fini par accepter de faire ces aveux. Il a été emmené dans l’un des locaux des services de renseignement du Front POLISARIO où l’attendaient le Directeur, un caméraman et un journaliste. Un écran sur lequel défilait un texte préparé qu’il devait lire a été placé devant lui. L’auteur ignore à ce jour si cette vidéo a été diffusée par le Front POLISARIO.

2.11Après sa libération, l’auteur a tenté d’entrer en contact avec des organisations non gouvernementales pour les informer de ce qu’il venait de subir, mais a dû renoncer en raison de la surveillance dont il faisait l’objet et des menaces persistantes d’être à nouveau arrêté. L’un de ses parents − officier du Front POLISARIO − l’a informé de la menace imminente d’une nouvelle arrestation et lui a conseillé de quitter les camps. L’auteur s’est alors enfui vers la Mauritanie, où il a des liens familiaux. Il s’est ensuite rendu dans la ville de Dakhla, au Sahara occidental. Il garde aujourd’hui d’importantes séquelles de la torture et des mauvais traitements subis lors de sa détention. En effet, sa santé physique et mentale s’est dégradée, l’exposant à des souffrances persistantes.

2.12L’auteur soutient que les recours internes au sein de l’État partie ne sont pas effectivement disponibles. En effet, les personnes vivant dans les camps de réfugiés placés de facto sous l’administration du Front POLISARIO ne peuvent introduire de recours auprès des juridictions algériennes. Le Front POLISARIO dispose d’un système policier, judiciaire et carcéral interne propre, qui est reconnu par les autorités algériennes. L’auteur rappelle que ce sont les autorités algériennes elles-mêmes qui l’ont arrêté pour le remettre au Front POLISARIO lors de sa dernière détention. À cela s’ajoute qu’il a dû fuir l’État partie, où il s’exposait à de réels risques pour sa sécurité et par peur de graves représailles. Il n’est donc pas à l’abri d’une nouvelle arrestation dans le cas où il tenterait de revenir dans les camps de réfugiés situés dans l’État partie. En outre, dans la pratique juridique algérienne, le dépôt d’une plainte avec constitution de partie civile suppose la présence physique du plaignant, susceptible d’être entendu sur procès-verbal par le juge d’instruction en qualité de partie civile, si la plainte est retenue. Renvoyant à la décision du Comité dans l’affaire Traoré c. C ô te d ’ Ivoire, l’auteur déclare qu’il lui est impossible de facto de poursuivre des démarches au niveau interne.

Teneur de la plainte

3.1Tout d’abord, l’auteur fait valoir que bien que l’État partie permette au Front POLISARIO d’administrer les camps de réfugiés de Tindouf, il reste cependant souverain et demeure tenu de faire respecter les droits humains sur son territoire. Les violations commises par le Front POLISARIO doivent donc être imputées à l’État partie, en application de l’article 2 (par. 1) du Pacte.

3.2L’auteur invoque des violations par l’État partie des articles 7, 9 (par. 1 à 4), 10 (par. 1), 19 (par. 2), 21 et 22 du Pacte.

3.3L’auteur rappelle que le droit de ne pas être soumis à des actes de torture ou à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants est un droit absolu auquel il ne peut être dérogé. Les actes de torture et mauvais traitements qu’il a subis se sont déroulés sur le territoire de l’État partie, dont les agents l’ont directement remis aux services de renseignement du Front POLISARIO, et relèvent incontestablement de la responsabilité des autorités algériennes, qui ont agi par consentement tacite. L’auteur rappelle en outre que la détention au secret crée systématiquement un environnement propice à la pratique de la torture, dans la mesure où l’individu est soustrait à la protection de la loi. Selon la jurisprudence du Comité, cette pratique peut en elle-même constituer une violation de l’article 7 du Pacte. L’impossibilité, inhérente à la détention au secret, de communiquer avec le monde extérieur représente pour le détenu une souffrance psychologique immense, assez grave pour entrer dans le champ d’application de l’article 7 du Pacte. En l’espèce, l’auteur a été détenu au secret pendant treize jours ; il affirme donc être victime d’une violation de l’article 7 du Pacte.

3.4L’auteur rappelle ensuite que le droit à la liberté et à la sécurité de la personne, reconnu par l’article 9 du Pacte, proscrit les arrestations et détentions arbitraires et impose à l’État partie un certain nombre de garanties procédurales. En application de l’article 9, il allègue être victime de violations imputables à l’État partie : a) du paragraphe 1, du fait que les agents de renseignement algériens qui l’ont arrêté le 25 juillet 2014 n’ont pas précisé les motifs de l’arrestation et n’ont présenté aucun mandat d’arrêt ; b) du paragraphe 2, du fait que les agents ayant procédé à son arrestation n’ont ni exposé les motifs de son arrestation ni présenté de mandat à cet effet, et qu’il n’a jamais reçu de notification officielle depuis son arrestation ; c) du paragraphe 3, du fait qu’il n’a été, à la suite de son arrestation, ni présenté à un magistrat compétent, ni jugé, ni libéré, et que sa détention excède largement le délai maximal de douze jours de garde à vue prévu par le Code de procédure pénale en matière d’infractions liées au terrorisme ; et d) du paragraphe 4, du fait que, soustrait au régime de la loi, il n’a jamais pu contester la légalité de sa détention.

3.5L’auteur rappelle ensuite le caractère fondamental et universel du principe selon lequel toute personne privée de sa liberté doit être traitée avec humanité et avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine, défini à l’article 10 (par. 1) du Pacte. Dans la mesure où il a fait l’objet de traitements cruels, inhumains ou dégradants, en violation de l’article 7 du Pacte, il a également été victime d’une violation de l’article 10 (par. 1), les traitements cruels, inhumains ou dégradants étant incompatibles avec le respect de la dignité inhérente à la personne humaine.

3.6Enfin, l’auteur considère que sa détention − liée au fait qu’il avait remis en mars 2013 une lettre à l’Envoyé personnel du Secrétaire général pour le Sahara occidental, qu’il avait organisé des sit-in pacifiques devant le bureau du Haut-Commissariat pour les réfugiés à Rabouni et qu’il était l’un des fondateurs de l’association Assomoud qui a dénoncé les conditions de vie des réfugiés des camps de Tindouf − dénote une violation de ses droits au titre des articles 19 (par. 2), 21 et 22 du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Le 1er avril 2016, l’État partie a envoyé ses observations sur la recevabilité, en soutenant que la communication devait être déclarée irrecevable compte tenu du peu de crédit à apporter à la fondation qui représente l’auteur et de la motivation politique qui accompagne sa requête. Il fait valoir que les membres fondateurs de l’entité Alkarama ont dans leur majorité eu des démêlés avec la justice dans de nombreux pays, particulièrement en Europe, pour leur soutien et leur encouragement d’activités terroristes, et que, le 28 janvier 2014, à la suite des réserves exprimées par les États-Unis d’Amérique, cette entité s’est vu refuser le statut d’observateur du Conseil économique et social.

4.2À la suite d’une enquête ouverte sur les allégations contenues dans la présente communication, il a été établi que le document donnant procuration à l’entité Alkarama pour agir au nom de l’auteur ne pouvait être authentifié, puisqu’il aurait été établi dans le territoire non autonome du Sahara occidental illégalement occupé par le Maroc depuis 1975 et où l’auteur aurait trouvé refuge. Il ne peut, par conséquent, pas être auditionné par la justice même si son identité est prouvée. En choisissant le refuge dans cette partie occupée du Sahara occidental, l’auteur exprime une opinion politique favorable à l’agresseur et contre le Front POLISARIO, qui mène le combat libérateur du peuple sahraoui. Par cette allégation, l’auteur reprend à son compte la propagande de l’occupant quant à la situation des droits humains dans les camps de Tindouf, en Algérie. Aucune organisation du système des Nations Unies, aucune organisation non gouvernementale, aucun des députés du Parlement européen ni aucun des membres du Congrès des États-Unis ou de la presse internationale n’y a jamais révélé des pratiques contraires à la dignité humaine.

4.3Le 15 juillet 2021, l’État partie a réitéré ses observations quant au peu de crédit à apporter à l’entité Alkarama et à la motivation profondément politique qui accompagne cette requête. Quant au fond de la communication, il a précisé qu’en juillet 2014, l’auteur avait organisé, en compagnie d’un groupe de jeunes Sahraouis, un sit-in devant le bureau du Haut‑Commissariat pour les réfugiés à Rabouni, revendiquant : a) l’accès au travail et à la couverture sanitaire ; b) l’obtention, à la fois, d’une carte de réfugié et d’un passeport algérien ; c) le droit des jeunes Sahraouis d’exercer librement des activités commerciales ; et d) l’accès à de hautes responsabilités au sein du Front POLISARIO. Au cours de la même période, la chaîne marocaine Laâyoune TV a diffusé, le 19juillet 2014, un enregistrement vidéo dans lequel les membres du groupe précité se sont montrés à visage découvert et ont annoncé la naissance de « l’association Assomoud » opposée au Front POLISARIO, dont les pratiques et la politique ont été jugées, par ses manifestants, contraires aux attentes du peuple sahraoui.

4.4Après la diffusion de cette vidéo, l’auteur − militaire de son état − a été arrêté le 6août 2014 et remis le même jour à l’autorité sahraouie de sécurité, qui en a fait la demande officielle. Au moment de son arrestation, l’auteur était en possession d’une lettre rédigée par un service de renseignement étranger qui avait été récupérée de son ordinateur. Elle évoquait son arrestation avant même qu’elle ait eu lieu afin de faire croire ou d’accréditer l’idée, le cas échéant, qu’elle aurait été écrite à partir de la prison Errachid, où il aurait subi toutes sortes de mauvais traitements.

4.5Sollicitée pour de plus amples précisions, l’autorité sahraouie a indiqué qu’au moment des faits, l’auteur était dans les rangs de l’Armée de libération du peuple sahraoui. Il a été arrêté conformément au règlement militaire en vigueur après avoir commis des infractions. Durant la période de son incarcération, il recevait régulièrement les visites des membres de sa famille, dont son père et son oncle, disposés à apporter leurs témoignages afin de démentir les accusations mensongères de tortures qu’il a alléguées.

4.6Enfin, il importe de noter qu’il apparaît clairement que l’auteur a mandaté, à partir de la ville sahraouie occupée de Dakhla, « l’avocat » Rachid Mesli, qui n’est membre d’aucun ordre en Suisse et qui est l’un des animateurs du pseudo-mouvement subversif Rachad, classé comme organisation terroriste le 18mai 2021, ce qui montre à l’évidence qu’il agit sur orientation de services de renseignement étrangers. Par ailleurs, l’argumentaire développé par l’organisation non gouvernementale Alkarama est d’une extrême partialité et est totalement inspiré des thèses de l’autre partie au conflit du Sahara occidental, en l’occurrence le Maroc, qui occupe en violation du droit et de la légalité internationale le territoire non autonome du Sahara occidental.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Le 19 septembre 2016, l’auteur a soumis des commentaires sur les observations de l’État partie sur la recevabilité. Quant aux attaques personnelles faites par l’État partie à l’encontre du conseil, il y répond et demande au Comité de les rejeter. Concernant son identité, l’auteur précise que les membres de sa famille sont parfaitement connus dans les camps de Tindouf et qu’ils n’ont jamais été sollicités, informés ou entendus dans le cadre d’une enquête relative à sa personne. En outre, son nom est mentionné dans un rapport public de Human Rights Watch, en tant que l’un des fondateurs du Mouvement du 5 mars. Enfin, le lieu d’établissement d’une procuration ne saurait constituer un motif pour son rejet ou son absence de validité.

5.2Le 15 novembre 2021, l’auteur a constaté avec regret qu’au lieu de répondre par des arguments juridiques, l’État partie persiste à vouloir politiser la plainte et discréditer l’association Alkarama et son directeur, Rachid Mesli. Ensuite, il fait valoir que l’État partie reconnaît qu’il a bien été arrêté le 25 juillet 2014 par les services de sécurité algériens. À cet égard, il précise avoir été enrôlé par le Front POLISARIO dès l’âge de 15 ans et, comme la plupart des enfants sahraouis résidant dans ces camps, il a effectivement été assujetti à des entraînements militaires et même forcé, malgré son âge, de participer à des opérations.

5.3L’auteur nie ensuite l’affirmation de l’État partie sur la revendication de l’accès à de hautes responsabilités au sein du Front POLISARIO car, comme le souligne d’ailleurs à juste titre l’État partie, l’association Assomoud est opposée au Front POLISARIO. Enfin, il précise qu’il réside actuellement en Mauritanie avec une partie de sa famille et qu’il n’a aucun lien d’allégeance avec une partie quelconque au conflit actuel entre l’État partie et le Maroc.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité prend note des arguments de l’État partie, qui conteste la validité de la procuration présentée par le conseil au motif qu’elle a été établie sur le territoire du Sahara occidental, qu’il considère comme non autonome. À cet égard, le Comité rappelle qu’il n’est tenu de s’assurer que du fait que l’auteur a clairement donné procuration à son représentant, et que son règlement intérieur ne conditionne pas la validité d’une procuration au lieu où elle a été établie. Par conséquent, le Comité considère que la Fondation Alkarama a, en l’espèce, mandat pour agir au nom de l’auteur et, par conséquent, est habilitée à présenter la communication.

6.4En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, le Comité rappelle que l’État partie a non seulement le devoir de mener des enquêtes approfondies sur les violations supposées des droits humains portées à l’attention de ses autorités, en particulier lorsqu’il s’agit d’atteintes au droit à la vie, mais aussi celui de poursuivre quiconque est présumé responsable de ces violations, de procéder à son jugement et de prononcer une peine à son égard. En l’espèce, le Comité note qu’à l’exception d’une grève de la faim de quinze jours pour dénoncer son maintien en détention et les mauvais traitements qu’il continuait à subir − qui d’ailleurs n’a pas été contestée par l’État partie −, l’auteur n’a pas entrepris de démarches visant notamment à saisir les autorités compétentes de ses allégations, puisqu’il craignait des représailles. Néanmoins, le Comité considère que les autorités ne sauraient ignorer les raisons pour lesquelles l’auteur a entamé cette grève de la faim. Pourtant, elles n’ont procédé à aucune enquête à cet égard. En outre, l’État partie n’a pas apporté d’éléments permettant de conclure qu’un recours efficace et disponible existait au moment des faits ou qu’une enquête a été ouverte à ce jour.

6.5À cet égard, le Comité a déjà exprimé ses préoccupations quant à la dévolution de facto par l’État partie de ses pouvoirs, notamment juridictionnels, au Front POLISARIO et au fait qu’une telle position était contraire aux obligations de l’État partie selon lesquelles il devait respecter et garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire les droits reconnus par le Pacte. Le Comité a également déjà souligné que dans un tel contexte, les victimes de violations des droits reconnus par le Pacte qui vivent dans les camps de Tindouf ne disposent pas d’un recours utile devant les tribunaux de l’État partie. Le Comité estime donc que, dans le cas présent et en l’absence d’information suffisante fournie par l’État partie sur les recours disponibles, rien ne s’oppose à ce qu’il examine la communication, conformément à l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif.

6.6Le Comité note que l’auteur a également soulevé une violation des articles 19 (par. 2), 21 et 22 du Pacte. Il considère toutefois que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ses allégations à cet égard et que, par conséquent, ces griefs sont irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.7Enfin, et même si l’auteur ne l’a pas soulevé dans sa plainte, le Comité note que celui‑ci affirme que les recours internes auprès de l’État partie ne sont pas effectivement disponibles, dans la mesure où les personnes vivant dans les camps de réfugiés placés de facto sous l’administration du Front POLISARIO ne peuvent introduire de recours auprès des juridictions algériennes. Le Comité estime que l’auteur soulève en substance une violation de l’article 2 (par. 3) du Pacte, lu conjointement avec l’article 7. En outre, le Comité estime que l’auteur a suffisamment étayé ses autres allégations aux fins de la recevabilité, et procède donc à l’examen quant au fond des griefs formulés au titre des articles 7, 9 et 10 du Pacte, lus seuls et conjointement avec l’article 2 (par. 3).

Examen au fond

7.1Conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

7.2Le Comité note que l’État partie n’a pas répondu aux allégations de l’auteur sur le fond et rappelle sa jurisprudence selon laquelle la charge de la preuve ne doit pas incomber uniquement à l’auteur d’une communication, d’autant plus que celui-ci et l’État partie n’ont pas toujours un accès égal aux éléments de preuve et que, souvent, seul l’État partie dispose des renseignements nécessaires. Conformément à l’article 4 (par. 2) du Protocole facultatif, l’État partie est tenu d’enquêter de bonne foi sur toutes les allégations de violations du Pacte portées contre lui et ses représentants, et de transmettre au Comité les renseignements qu’il détient. En l’absence d’explications de la part de l’État partie à ce sujet, il convient d’accorder tout le crédit voulu aux allégations de l’auteur, dès lors que ces dernières sont suffisamment étayées.

7.3Concernant la détention au secret à laquelle l’auteur dit avoir été soumis, le Comité reconnaît le degré de souffrance qu’implique une telle privation de liberté sans contact avec le monde extérieur pendant une durée indéfinie. Il rappelle son observation générale nº 20 (1992), dans laquelle il recommande aux États parties de prendre des dispositions pour interdire la détention au secret. Il note en l’espèce que l’auteur a été arrêté le 25 juillet 2014 en présence de témoins, par des agents des services de sécurité algériens, et que c’est seulement après treize jours que sa famille a été informée de son arrestation et de sa détention. L’État partie considère d’ailleurs que le 6 août 2014 est la date officielle de son arrestation. Le Comité estime donc que l’auteur a été détenu au secret par les autorités algériennes du 25 juillet au 6 août 2014. De plus, les déclarations de l’auteur sur les circonstances entourant son arrestation et sur les propos des membres de sa famille lui ayant rendu visite quant à son état déplorable laissent présumer qu’il a effectivement été soumis à des traitements contraires à l’article 7 du Pacte ; il affirme ainsi avoir été battu à plusieurs reprises et avoir été attaché et suspendu, subissant des tortures jusqu’à ce qu’il perde connaissance. L’État partie n’a fourni aucun élément permettant de réfuter les allégations de l’auteur. En l’absence de toute information, le Comité conclut donc que le traitement auquel l’auteur a été soumis et les conditions de détention au secret prolongée constituent une violation de l’article 7 du Pacte.

7.4Au vu de ce qui précède, le Comité n’examinera pas séparément les griefs tirés de la violation de l’article 10 du Pacte.

7.5En ce qui concerne les griefs de violation de l’article 9 du Pacte, le Comité prend note des allégations de l’auteur selon lesquelles il a été arrêté arbitrairement, sans mandat, et n’a été ni inculpé ni présenté devant une autorité judiciaire auprès de laquelle il aurait pu contester la légalité de sa détention. L’État partie n’a pas admis la date du 25 juillet 2014 comme date d’arrestation de l’auteur, mais seulement la date du 6 août 2014. En outre, il n’a communiqué aucune autre information concernant les conditions de l’arrestation de l’auteur. Par conséquent, le Comité considère qu’il convient d’accorder le crédit voulu aux allégations de l’auteur et conclut à une violation de l’article 9 du Pacte.

7.6Enfin, le Comité note que même si l’auteur n’a pas invoqué formellement une violation de l’article 2 (par. 3), lu conjointement avec les articles 7 et 9 du Pacte, il fait référence à l’obligation imposée aux États parties par cette disposition de garantir à toute personne des recours accessibles, utiles et exécutoires pour faire valoir les droits garantis par le Pacte. Le Comité rappelle qu’il est important que les États parties mettent en place des mécanismes juridictionnels et administratifs appropriés pour examiner les plaintes faisant état de violations des droits garantis par le Pacte, en particulier lorsqu’elles portent sur des allégations de mauvais traitements (et de détention au secret). Il rappelle son observation générale no 31 (2004), dans laquelle il indique notamment, au paragraphe 15, que le fait pour un État partie de ne pas mener d’enquête sur des violations présumées pourrait en soi donner lieu à une violation distincte du Pacte.

7.7En l’espèce, l’auteur a entamé une grève de la faim de quinze jours pour dénoncer sa détention et les tortures et mauvais traitements subis, sans que l’État partie procède à une enquête sur ces allégations. En outre, l’impossibilité légale de recourir à une instance judiciaire après la dévolution de facto par l’État partie de ses pouvoirs juridictionnels au Front POLISARIO ainsi que l’absence de recours effectifs pour les personnes qui se trouvent dans les camps de Tindouf continuent de priver l’auteur de tout accès à un recours utile. Le Comité conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 2 (par. 3), lu conjointement avec les articles 7 et 9 du Pacte.

8.Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie des articles 7 et 9 du Pacte, lus seuls et conjointement avec l’article 2 (par. 3).

9.Conformément à l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux personnes dont les droits reconnus par le Pacte ont été violés. En l’espèce, l’État partie est tenu : a) de mener une enquête rapide, efficace, exhaustive, indépendante, impartiale et transparente sur les allégations de l’auteur et de fournir à l’auteur des informations détaillées quant aux résultats de cette enquête ; b) de poursuivre, de juger et de punir les responsables des violations commises ; et c) de fournir à l’auteur une indemnité adéquate. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles‑ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles.