Nations Unies

CCPR/C/135/D/2848/2016

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

5 décembre 2022

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2848/2016 * , ** , ***

Communication soumise par :

Larissa Shchiryakova (représentée par un conseil, Leonid Sudalenko)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteure

État partie :

Bélarus

Date de la communication :

7 décembre 2015 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 8 novembre 2016 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

7 juillet 2022

Objet :

Liberté de répandre des informations ; imposition d’une amende pour production et diffusion illicites de produits médiatiques

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes ; fondement des griefs

Question(s) de fond :

Procès équitable ; liberté d’expression

Article(s) du Pacte :

14 (par. 3 b) et d)) et 19, lu conjointement avec l’article 2 (par. 2 et 3 b))

Article(s) du Protocole facultatif :

2 et 5 (par. 2 b))

1.L’auteure de la communication est Larissa Shchiryakova, de nationalité bélarussienne, née en 1973. Elle affirme que l’État partie a violé les droits qu’elle tient de l’article 19 du Pacte, lu conjointement avec l’article 2 (par. 2 et 3 b)), et de l’article 14 (par. 3 b) et d)). Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 30 décembre 1992. L’auteure est représentée par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteure

2.1L’auteure est une journaliste bélarussienne indépendante, membre de l’association bélarussienne de journalistes officiellement enregistrée et Vice-Présidente de la section de Gomel de l’association. Elle recueille des informations au Bélarus et les diffuse sur Internet. Le 13 janvier 2015, équipée d’une caméra, elle a interviewé des vendeurs sur le marché central de Gomel. Elle a ensuite publié son reportage sur Internet, lequel a plus tard été diffusé par la chaîne satellite polonaise Belsat.

2.2Le 4 mars 2015, après la diffusion du reportage par la chaîne polonaise, des policiers du district central de Gomel ont engagé des poursuites administratives contre l’auteure et saisi le tribunal du district central de la ville, affirmant qu’elle avait illégalement produit et diffusé un produit médiatique, en violation de l’article 22.9 (par. 2) du Code des infractions administratives du Bélarus (production et diffusion illicites de produits médiatiques).

2.3Le 12 mars 2015, l’auteure a été condamnée à une amende de 3,6 millions de roubles bélarussiens. Le tribunal a fondé son raisonnement sur les articles 1er et 17 de la loi sur les médias, qui interdit la diffusion illégale de produits médiatiques qui auraient dû être inclus dans le registre d’État approprié.

2.4Le 17 mars 2015, l’auteure a déposé un recours devant le tribunal régional de Gomel, demandant l’annulation de la décision du tribunal du district central concernant les accusations portées contre elle et l’amende qui lui avait été infligée. En outre, elle s’est plainte que le tribunal n’ait pas permis qu’un membre de l’association bélarussienne de journalistes la représente en qualité de conseiller juridique. Le 17 avril 2015, le tribunal régional de Gomel a rejeté l’appel, confirmant la décision de la juridiction inférieure et déclarant que le droit d’être représenté par un confrère de l’association n’était pas juridiquement fondé. Le 4 septembre 2015, l’auteure a saisi le président du tribunal régional de Gomel, qui n’a pas trouvé de motifs suffisants pour annuler les décisions des juridictions inférieures et a rejeté le recours le 7 octobre 2015.

2.5Le 12 octobre 2015, l’auteure a déposé une demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle devant le président de la Cour suprême du Bélarus qui, le 23 novembre 2015, a confirmé les décisions des juridictions inférieures. En outre, l’auteure a tenté de porter plainte devant le Bureau du Procureur, mais celui-ci a rejeté la plainte le 2 décembre 2015, indiquant que les réclamations visant des décisions judiciaires étaient examinées au plus tard six mois après l’entrée en vigueur de la décision du tribunal de première instance.

2.6L’auteure fait observer que la législation nationale actuelle en matière de procédure ne permet pas aux citoyens bélarussiens de saisir directement la Cour constitutionnelle du Bélarus. De ce fait, l’auteure soutient qu’elle a épuisé tous les recours internes utiles qui lui étaient ouverts.

Teneur de la plainte

3.1L’auteure se dit victime d’une violation par le Bélarus des droits qu’elle tient de l’article 19 du Pacte, lu conjointement avec l’article 2 (par. 2 et 3 b)), et de l’article 14 (par. 3 b) et d)).

3.2Elle affirme que le Bélarus a violé les droits qu’elle tient de l’article 19 du Pacte, lu conjointement avec l’article 2 (par. 2 et 3 b)), étant donné qu’en enregistrant des vidéos et en les diffusant, elle exerçait son droit de recevoir et de répandre des informations, sans porter atteinte à l’ordre public, à l’intérêt général, à la santé publique ou aux droits et libertés d’autrui.

3.3L’auteure affirme en outre qu’on ne lui a pas permis d’être représentée par un conseil de son choix ni donné suffisamment de temps pour préparer sa défense, en violation des droits garantis par l’article 14 (par. 3 b) et d)) du Pacte.

3.4L’auteure prie le Comité de recommander à l’État partie de mettre les dispositions de la loi sur les médias en conformité avec les obligations internationales que lui impose le Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une note verbale datée du 6 janvier 2017, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et sur le fond. Il fait observer que l’auteure n’a pas soumis ses recours dans les délais fixés pour leur examen. Il ajoute que le droit de l’auteure de contester l’amende administrative auprès du Bureau du Procureur a expiré le 18 octobre 2015. Cette échéance invalide la demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle déposée en novembre 2015 auprès du Bureau du Procureur de la région de Gomel et exclut maintenant la possibilité d’autres recours devant le Bureau du Procureur. En outre, l’auteure ne peut affirmer avoir épuisé les recours internes puisqu’elle n’a pas saisi le Président de la Cour suprême pour qu’il réexamine la décision judiciaire rendue contre elle.

4.2En ce qui concerne la loi sur les médias, l’État partie soutient que les mesures restrictives ne contreviennent pas au Pacte. Il souligne que l’article 19 (par. 3) du Pacte autorise expressément des restrictions au droit à la liberté d’expression, aux fins du respect des droits ou de la réputation d’autrui et de la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public ou de la santé ou de la moralité publiques. Pour ce qui est du choix de l’auteure concernant un conseiller juridique, l’État partie affirme que l’article 4.5 du Code de procédure et d’application des peines concernant les infractions administratives ne limite aucunement le droit d’une personne de choisir son conseiller, conformément à l’article 14 (par. 3 b) et d)) du Pacte.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie

5.1Le 15 mai 2017, l’auteure a présenté ses commentaires sur les observations de l’État partie. Elle fait observer que la demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle qu’elle avait déposée devant le président de la Cour suprême du Bélarus a été rejetée le 23 novembre 2015. En ce qui concerne le recours devant le Bureau du Procureur, elle confirme que son recours de novembre 2015 a été déposé au-delà du délai de six mois, mais soutient que cette procédure de plainte n’offre pas de recours utile. En particulier, elle estime qu’elle ne peut obtenir de recours utile, car la procédure de réexamen aux fins de contrôle ne prévoit pas un examen au fond de l’affaire et n’est engagée qu’à la discrétion du juge ou du procureur. En outre, la législation actuelle ne permet pas à un citoyen de saisir directement la Cour constitutionnelle. De ce fait, l’auteure soutient qu’elle a épuisé tous les recours internes utiles.

5.2En ce qui concerne l’argument de l’État partie selon lequel l’article 19 du Pacte autorisait la limitation de ses droits, l’auteure renvoie à la norme du Comité selon laquelle toute restriction doit être proportionnée, prévue par la loi et nécessaire pour atteindre lesobjectifs particuliers qu’elle poursuit. Elle affirme que l’État partie n’a pas démontré en quoi les restrictions imposées à ses droits de journaliste étaient nécessaires, ne fût-ce que pour un seul des objectifs légitimes prévus à l’article 19 (par. 3) du Pacte.

5.3En réponse à l’affirmation de l’État partie selon laquelle la législation bélarussienne sur le choix d’un avocat de la défense n’est pas incompatible avec l’article 14 (par. 3) du Pacte, l’auteure soutient une nouvelle fois que le tribunal de première instance n’a pas permis qu’un membre de l’association bélarussienne de journalistes la représente en qualité de conseil juridique pendant la procédure judiciaire. Elle souligne que cet homme, bien qu’il n’ait pas de licence d’avocat, travaille depuis onze ans comme conseiller juridique de l’association bélarussienne des journalistes. En outre, il était disposé à représenter gratuitement l’auteure qui, sans cela, aurait dû engager un avocat, ce que ses moyens ne lui permettaient pas.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel l’auteure n’a pas saisi le Président de la Cour suprême ou le Procureur général lui-même d’une demande de réexamen des décisions des tribunaux internes au titre de la procédure de contrôle, et sa plainte devant le Bureau du Procureur a été soumise au-delà du délai de six mois. À cet égard, le Comité considère que le dépôt devant le président d’un tribunal d’une demande de contrôle visant des décisions judiciaires devenues exécutoires, demande dont l’issue dépend du pouvoir discrétionnaire d’un juge, constitue un recours extraordinaire et que l’État partie doit démontrer qu’il existe une possibilité raisonnable qu’une telle demande constitue un recours utile dans les circonstances de l’espèce. Le Comité prend note en outre de l’argument de l’auteure qui affirme qu’elle a bel et bien fait appel, mais sans succès, de ces décisions dans le cadre de la procédure de contrôle, devant le Président de la Cour suprême du Bélarus et devant le Bureau du Procureur, et qu’elle a fourni tous les éléments pertinents à cet égard. Le Comité renvoie à sa jurisprudence et rappelle que la procédure de contrôle des décisions judiciaires passées en force de chose jugée constitue un recours extraordinaire, subordonné au pouvoir discrétionnaire du procureur, et qu’elle ne fait pas partie des recours à épuiser aux fins de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif. Il observe qu’en l’espèce, l’auteure a épuisé tous les recours internes disponibles, ainsi que la procédure de contrôle, et, de ce fait, il considère que les dispositions de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner la présente communication.

6.4Le Comité prend également note de l’affirmation de l’auteure selon laquelle les droits qu’elle tient de l’article 19 du Pacte, lu conjointement avec l’article 2 (par. 2), ont été violés. Renvoyant à sa jurisprudence, le Comité rappelle que les dispositions de l’article 2 du Pacte énoncent une obligation générale à l’intention des États parties et ne peuvent être invoquées isolément dans une communication soumise en vertu du Protocole facultatif. Il considère également que les dispositions de l’article 2 ne peuvent pas être invoquées conjointement avec d’autres dispositions du Pacte dans une communication soumise en vertu du Protocole facultatif, sauf lorsque le manquement de l’État partie aux obligations que lui impose l’article 2 est la cause immédiate d’une violation distincte du Pacte portant directement atteinte à la personne qui se dit victime. Il note toutefois que l’auteure a déjà allégué une violation des droits qu’elle tient de l’article 19, résultant de l’interprétation et de l’application des lois en vigueur dans l’État partie, et considère que l’examen de la question de savoir si l’État partie n’a pas non plus respecté les obligations générales que lui impose l’article 2 (par. 2), lu conjointement avec l’article 19, n’est pas différent de l’examen de la violation des droits que l’auteure tient de l’article 19. Le Comité considère donc que les griefs de l’auteure sur ce point sont incompatibles avec l’article 2 du Pacte et irrecevables au regard de l’article 3 du Protocole facultatif.

6.5Le Comité considère également que l’auteure n’a pas étayé les griefs qu’elle tire de l’article 19 du Pacte, lu conjointement avec l’article 2 (par. 3), et déclare donc cette partie de la communication irrecevable.

6.6Le Comité prend note des griefs de l’auteure, soulevés au titre de l’article 14 (par. 3 b) et d)) du Pacte, selon lesquels l’État partie a violé son droit de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense et de communiquer avec un conseil de son choix et d’être défendue par lui dans le cadre de la procédure administrative engagée contre elle. Il note aussi que l’État partie a répondu à ces allégations en affirmant que l’article 4.5 du Code des infractions administratives ne limitait pas le droit d’une personne de choisir son conseil, conformément à l’article 14 (par. 3 b) et d)) du Pacte. Dans ce contexte, le Comité relève que c’est une infraction administrative qui était reprochée à l’auteure ; or l’article 14 (par. 3 b) et d)) définit les garanties applicables aux procédures visant à décider d’une accusation en matière pénale dirigée contre l’intéressé. Le Comité rappelle que bien qu’une accusation en matière pénale se rapporte en principe à des actes qui sont réprimés par la loi pénale interne, la notion d’« accusation en matière pénale » doit être entendue dans le sens que lui donne le Pacte. Cette notion peut également être étendue à des mesures de nature pénale qui, indépendamment de leur qualification en droit interne, doivent être considérées comme pénales en raison de leur finalité, de leur caractère ou de leur sévérité. Ainsi, dans des affaires antérieures, le Comité a considéré qu’une sanction consistant en une détention administrative d’une certaine durée pouvait justifier l’application des garanties énoncées à l’article 14 (par. 3), indépendamment de la qualification de la sanction en droit interne et du fait qu’elle ait été imposée dans le cadre d’une procédure administrative. En l’espèce, cependant, l’auteure n’a pas suffisamment étayé ses griefs aux fins de l’article 14 (par. 3 b) et d)) du Pacte, notamment l’argument selon lequel la procédure dont elle avait fait l’objet, et en particulier l’amende qui lui avait été infligée, en raison de sa finalité, de son caractère ou de sa sévérité, devait être considérée comme pénale. Dans ces circonstances, le Comité déclare cette partie de la communication irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.7Le Comité note que les autres griefs formulés par l’auteur soulèvent des questions au regard de l’article 19 du Pacte, les considère suffisamment étayés aux fins de la recevabilité et passe à leur examen au fond.

Examen au fond

7.1Conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2Le Comité prend note de l’argument de l’auteure selon lequel les juridictions saisies n’ont pas établi en quoi les restrictions imposées à son droit à la liberté d’expression relevaient de l’une des restrictions autorisées par l’article 19 (par. 3) du Pacte. Il prend note également de son argument selon lequel, faute d’une telle justification, les droits qu’elle tient de l’article 19 du Pacte ont été violés.

7.3Le Comité renvoie à son observation générale no 34 (2011) sur la liberté d’opinion et la liberté d’expression dans laquelle il dit, entre autres choses, que la liberté d’expression est essentielle pour toute société et constitue le fondement de toute société libre et démocratique. Il rappelle que l’article 19 (par. 3) du Pacte autorise l’application de restrictions à la liberté d’expression, y compris à la liberté de répandre des informations et des idées, dans la seule mesure où ces restrictions sont fixées par la loi et sont nécessaires : a) au respect des droits ou de la réputation d’autrui ; ou b) à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques. Enfin, les restrictions de la liberté d’expression ne doivent pas avoir une portée trop large, c’est-à-dire qu’elles doivent constituer le moyen le moins perturbateur parmi ceux qui pourraient permettre d’obtenir le résultat recherché, et doivent être proportionnées à l’intérêt à protéger. Le Comité rappelle qu’il incombe à l’État partie de démontrer que les restrictions imposées aux droits que l’auteure tient de l’article 19 du Pacte étaient nécessaires et proportionnées.

7.4Le Comité note que l’auteure a été sanctionnée pour avoir filmé des résidents et vendeurs locaux au marché et diffusé les vidéos sur Internet et par l’intermédiaire d’une chaîne satellite étrangère, sans accréditation valable. L’auteure a été condamnée à une amende par le tribunal de district, pour production et diffusion illicites de produits médiatiques en violation de la loi sur les médias. Le Comité note en outre que ni l’État partie ni les juridictions nationales n’ont expliqué en quoi ces restrictions étaient justifiées au regard des conditions de nécessité et de proportionnalité énoncées à l’article 19 (par. 3) du Pacte, ni en quoi la sanction imposée (l’amende administrative), même fondée en droit, était nécessaire et proportionnée et correspondait à l’un des buts légitimes prévus par ces dispositions. Dans ces conditions, le Comité conclut que les droits que l’auteure tire de l’article 19 (par. 2) du Pacte ont été violés.

8.Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 19 (par. 2) du Pacte.

9.Conformément à l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteure un recours utile. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, il est tenu, entre autres, d’octroyer à l’auteure une indemnisation adéquate, et notamment de lui rembourser l’amende et les frais de justice qu’elle a supportés. Il est également tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour que des violations analogues ne se reproduisent pas. À cet égard, le Comité fait observer qu’il a déjà examiné, dans un certain nombre de communications antérieures, des affaires similaires concernant les mêmes lois et pratiques de l’État partie, et que celui-ci devrait réviser son cadre normatif, en particulier sa loi sur les médias, conformément à l’obligation que lui impose l’article 2 (par. 2) du Pacte, afin de garantir la pleine jouissance des droits consacrés par l’article 19 du Pacte sur son territoire.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile lorsque la réalité d’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans sa langue officielle.

Annexe

Opinion individuelle (partiellement dissidente) de Furuya Shuichi

1.Je suis d’accord avec la conclusion selon laquelle les faits de l’espèce font apparaître une violation de l’article 19 (par. 2) du Pacte. Toutefois, je ne peux souscrire à la conclusion selon laquelle les griefs soulevés par l’auteure au titre de l’article 14 (par. 3 b) et d)) du Pacte sont irrecevables.

2.Selon l’observation générale no 32 (2007) du Comité, la notion d’« accusation en matière pénale » peut être étendue à des mesures de nature pénale s’agissant de sanctions qui, indépendamment de leur qualification en droit interne, doivent être considérées comme pénales en raison de leur finalité, de leur caractère ou de leur sévérité. Dans ses constatations, le Comité suit ce principe et précise que, dans des affaires antérieures, il a considéré qu’une sanction consistant en une détention administrative d’une certaine durée pouvait justifier l’application des garanties énoncées à l’article 14 (par. 3), mais conclut que « l’auteure n’a pas suffisamment étayé ses griefs […] notamment l’argument selon lequel la procédure dont elle avait fait l’objet, et en particulier l’amende qui lui avait été infligée, en raison de sa finalité, de son caractère ou de sa sévérité, devait être considérée comme pénale » (voir par. 6.6 ci-dessus). Toutefois, cette conclusion ne constitue pas une bonne interprétation de la jurisprudence pertinente et, à mon avis, le Comité a accordé trop d’importance au fait que la sanction imposée à l’auteure n’était pas très sévère.

3.Il convient de noter que dans l’observation générale, les trois éléments, à savoir la « finalité », le « caractère » et la « sévérité », sont énumérés en parallèle et reliés par la conjonction « ou ». De fait, dans les affaires antérieures concernant l’application du Code des infractions administratives dans l’État partie, le Comité a principalement évalué la finalité et le caractère des sanctions, plutôt que leur sévérité, les auteurs ayant, dans la plupart des cas, fait l’objet d’internement administratif ou de détention administrative. En l’affaire Osiyuk c . Bélarus, dans laquelle l’auteur était accusé d’avoir enfreint l’article 184-3 du Code des infractions administratives de 1984 (franchissement illicite de la frontière nationale), le Comité avait conclu ce qui suit : « bien qu’elles soient administratives selon la législation de l’État partie, les sanctions prononcées contre l’auteur visaient à réprimer, par les peines infligées, les infractions qui lui ont été imputées et à exercer un effet dissuasif sur autrui − objectifs analogues à la finalité générale du droit pénal. » Le Comité avait en outre noté ce qui suit : « les règles de droit qui ont été enfreintes par l’auteur visent non pas un groupe précis jouissant d’un statut particulier − ce qui serait le cas par exemple d’un règlement disciplinaire −, mais toute personne qui, en sa qualité de particulier, franchit la frontière nationale du Bélarus ; ces règles prescrivent un certain type de comportement et rendent le non-respect de l’obligation qui en découle passible d’une sanction punitive. Par conséquent, le caractère général des règles et la finalité de la peine, qui est à la fois dissuasive et punitive, suffisent à montrer que les infractions en question avaient, au sens de l’article 14 du Pacte, un caractère pénal ». Dans le même ordre d’idées, le Comité s’était appuyé sur ce raisonnement en l’affaire E . V . c . Bélarus, dans laquelle l’auteur était accusé d’avoir enfreint l’article 23.34 du Code des infractions administratives de 2003 (participation à une manifestation non autorisée).

4.En l’espèce, les sanctions prononcées contre l’auteure étaient aussi fondées sur le Code des infractions administratives de 2003 et visaient à réprimer, par les peines infligées, les infractions qui lui avaient été imputées et à exercer un effet dissuasif sur autrui. Les règles de droit qui ont été enfreintes par l’auteure visent non pas un groupe précis jouissant d’un statut particulier, mais toute personne qui, en sa qualité de particulier, crée et diffuse des vidéos. De ces faits, il conviendrait de conclure que le caractère général des règles du Code des infractions administratives et la finalité de la peine prononcée, comme dans les affaires susmentionnées, suffisent à montrer que les procédures administratives en question avaient un caractère pénal.

5.En outre, comme l’État partie l’a reconnu dans ses observations, conformément à l’article 4.5 du Code de procédure et d’application des peines concernant les infractions administratives, si une personne visée par une procédure administrative en fait la demande, l’un de ses proches ou de ses représentants légaux peut être admis en tant qu’avocat de la défense par décision de l’organe chargé de la procédure. Cela signifie que, dans le cadre de la procédure administrative prévue par ledit code, l’auteure a le droit d’être représentée par un conseil de son choix. À cet égard également, le grief de l’auteure concernant sa représentation juridique dans la procédure administrative entre dans le champ d’application des garanties énoncées à l’article 14 (par. 3).

6.Compte tenu des raisons exposées ci-dessus, je considère que les griefs que l’auteure tire de l’article 14 (par. 3) sont recevables.

7.Sur le fond, il est avéré que le tribunal du district central de Gomel n’a pas permis qu’un membre de l’association bélarussienne de journalistes représente l’auteure en qualité de conseil juridique, ce que l’État partie n’a pas réfuté, et le tribunal régional de Gomel a rejeté l’appel qu’elle avait interjeté sur ce point. Ces juridictions et l’État partie n’ont pas fourni de raisons légitimes expliquant en quoi la personne qu’elle avait désignée comme conseil n’était pas habilitée à la représenter devant le tribunal du district central. Par conséquent, force m’est de conclure que les faits dont le Comité est saisi font aussi apparaître une violation de l’article 14 (par. 3 b) et d)) du Pacte.