Nations Unies

CCPR/C/133/D/2619/2015

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

25 janvier 2022

Français

Original : anglais

Comité des droits de l ’ homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2619/2015* , **

Communication présentée par:Marina Adamovich (représentée par Michael Scheimer, de Hogan Lovells, ainsi que Freedom Now et McKool Smith)

Victime(s) présumée(s):Mikalai Statkevich

État partie:Bélarus

Date de la communication:15 novembre 2013 (date de la lettre initiale)

Références :Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 22 décembre 2015 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :26 octobre 2021

Objet:Condamnation d’un chef de l’opposition ; détention illégale ; procès inéquitable ; torture et aveux forcés ; conditions de détention inhumaines ; immixtion illégale dans la vie privée ; liberté d’expression ; liberté de réunion pacifique ; liberté d’association ; droit de participer à la vie publique

Question(s) de procédure:Fondement des griefs

Question(s) de fond:Torture ; peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant ; détention arbitraire ; droit d’être présenté rapidement à un juge ; droit à ce que sa cause soit entendue équitablement par un tribunal impartial ; droit à la présomption d’innocence ; droit de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ; droit de communiquer avec le conseil de son choix ; droit d’interroger des témoins ; droit de ne pas être forcé de témoigner contre soi-même ou de s’avouer coupable ; droit à la vie privée ; liberté d’expression ; liberté de réunion pacifique ; égalité devant la loi et égale protection de la loi ; recours utile

Article(s) du Pacte: 2, 7, 9, 10, 14 (par. 1, 2, 3 b), d), e) et g) et 5), 17, 19 (par. 1 et 2), 21, 22 et 25

Article(s) du Protocole facultatif:2

1.1L’auteure de la communication est Marina Adamovich, de nationalité bélarussienne, née en 1961. Elle affirme que son époux, Mikalai Statkevich, de nationalité bélarussienne et né en 1956, est victime d’une violation par l’État partie des droits qu’il tient des articles 2, 7, 9, 10, 14 (par. 1, 2, 3 b), d), e) et g), et 5), 17, 19 (par. 1 et 2), 21, 22 et 25 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 30 décembre 1992. L’auteure est représentée par un conseil.

1.2Le 7 mai 2021, le Comité des droits de l’homme, agissant par l’intermédiaire de ses Rapporteurs spéciaux chargés des nouvelles communications et des mesures provisoires et en application de l’article 107 de son règlement intérieur, a rejeté la demande de l’État partie tendant à ce qu’il soit mis fin à l’examen de la communication.

Exposé des faits

2.1M. Statkevich est le chef du Parti social‑démocrate du Bélarus ; ancien candidat aux élections présidentielles, il a également fondé l’Union des officiers militaires du Bélarus.

2.2En 1994, M. Statkevich a fondé et présidé une commission publique chargée de superviser et de gérer les élections présidentielles. En 1995, il est devenu président de l’Assemblée populaire. En 1996, il a pris la tête du nouveau Parti social‑démocrate du Bélarus. En février 1999, il a été élu président du Forum social‑démocrate d’Europe de l’Est et, en 2000, il s’est présenté, sans succès, aux élections législatives. En 2003, il a pris les rênes de la Coalition européenne « Bélarus libre ». Il s’est présenté comme candidat de l’opposition aux élections présidentielles de 2001 et 2006. Pour l’empêcher de participer aux élections, les autorités ont engagé une procédure pénale contre lui à la veille des deux scrutins. M. Statkevich a encore gagné en notoriété en tant que militant pour la démocratie. Il a organisé et dirigé plus de 30 manifestations auxquelles ont participé plusieurs milliers de personnes, rassemblées pour protéger la démocratie contre les politiques adoptées par le Gouvernement dans les années 1990 et 2000. En conséquence, il a été arrêté plus de 30 fois et a été inculpé à au moins trois reprises. Le 1er mai 1997, par exemple, il a été arrêté pour avoir manifesté pour protester contre les politiques que le Président Lukashenko avait adoptées pour resserrer les liens du pays avec la Fédération de Russie. En octobre 2004, M. Statkevich a organisé une manifestation pacifique pour protester contre les résultats d’un referendum sur la suppression de la limite imposée par la Constitution au nombre de mandats du Président, par suite de quoi le Président Lukashenko voyait son mandat prorogé indéfiniment, et contre les irrégularités observées au cours des élections législatives d’octobre 2004. Il a été arrêté et, le 31 mai 2005, a été reconnu coupable et condamné à une peine de trois années d’emprisonnement pour son rôle dans la manifestation. En 2006, Amnesty International l’a reconnu comme prisonnier de conscience. En juillet 2007, il a été mis en liberté conditionnelle.

2.3En 2009, M. Statkevich a été désigné pour représenter le Parti social‑démocrate, parti d’opposition, à l’élection présidentielle de 2010. Tout au long de la campagne, il a été harcelé par les forces de sécurité, qui ont notamment saisi ses supports de campagne, enregistré ses communications téléphoniques et confisqué du matériel de sonorisation.

2.4Le 19 décembre 2010, les élections présidentielles ont eu lieu, avec 10 candidats en lice. Le jour même, avant l’annonce officielle des résultats, des partisans des candidats de l’opposition et d’opposants au Président sans étiquette politique se sont rassemblés dans le centre de Minsk pour protester contre les élections qu’ils considéraient comme entachées de nombreuses irrégularités et autres actes frauduleux. La manifestation a débuté à 18 h 50 et, vers 22 heures, une poignée de manifestants ont commencé à briser les vitres du palais du Gouvernement, située non loin de là. Pensant qu’il s’agissait d’agitateurs agissant pour le compte du Gouvernement, les partisans de l’opposition les ont sommés de mettre fin à ces actes de vandalisme et de rester pacifiques. À 22 h 37, en réaction aux actes de vandalisme, des membres des forces de l’ordre ont agressé des manifestants pacifiques et ont roué de coups, blessé et arrêté un grand nombre d’entre eux. M. Statkevich a été appréhendé et roué de coups par des inconnus masqués avant d’être transféré dans un lieu inconnu. Il a appris par la suite qu’il avait été conduit au centre de détention provisoire du Comité de sécurité de l’État. Il n’a pas été informé des chefs retenus contre lui au moment de son arrestation, et aucun juge n’a été saisi de son dossier pour déterminer s’il devait être maintenu en détention.

2.5Alors qu’il se trouvait en détention provisoire dans les locaux du Comité de sécurité de l’État, M. Statkevich a été victime de torture et de traitement cruel, inhumain et dégradant. Il a été soumis, de nuit, à de longs interrogatoires en l’absence de son avocat. Dans sa cellule, éclairée de jour comme de nuit, il a été contraint de dormir à même le sol sur une planche de bois. On l’a empêché d’aller aux toilettes et il a parfois été placé avec des détenus séropositifs ou atteints de la tuberculose. Les agents du Comité de sécurité de l’État ont exercé des pressions psychologiques sur M. Statkevich pour tenter de le faire avouer différentes infractions et, comme celui-ci s’y refusait, ont menacé d’arrêter son épouse. Après avoir entamé une grève de la faim, M. Statkevich a été transféré dans un lieu inconnu, puis dans un hôpital. À ces deux occasions, les agents l’ont menacé de lui faire perdre connaissance.

2.6En février 2011, la fille de M. Statkevich a introduit une requête auprès du Groupe de travail sur la détention arbitraire, lequel a conclu que le Bélarus avait porté atteinte aux droits reconnus à M. Statkevich par l’article 9 du Pacte et de la Déclaration universelle des droits de l’homme. La décision du Groupe de travail a été adoptée le 19 juin 2011, mais l’État partie n’a libéré M. Statkevich, et ne l’a pas non plus indemnisé.

2.7Le 11 mai 2011, l’affaire a été portée devant le tribunal du district Leninsky, à Minsk. Pendant le procès, M. Statkevich et ses coaccusés ont été maintenus dans une cage où ils étaient menottés en permanence. Le tribunal n’a pas tenu compte des preuves produites par M. Statkevich et a systématiquement remis en question et écarté la crédibilité de ses arguments et de ses explications. Au procès, M. Statkevich a dénoncé les violations des droits qu’il tenait des articles 7, 9 et 10 du Pacte, lesquelles avaient été commises au moment de son arrestation. Cependant,le 26 mai 2011, le tribunal de district l’a reconnu coupable d’avoir organisé une émeute ayant occasionné des faits de violence et des dégradations et l’a condamné à une peine de six années d’emprisonnement.

2.8M. Statkevich a formé un recours en cassation contre sa condamnation, faisant valoir que les chefs d’accusation retenus contre lui étaient dénués de fondement et qu’il avait été spécifiquement pris pour cible pour avoir exercé pacifiquement son droit à la liberté de réunion et d’expression. Dans son recours, il a également fait valoir que les mesures prises à son endroit semblaient motivées par des considérations politiques, et qu’il avait vraisemblablement fait l’objet de ces mesures en représailles pour ses activités de candidat de l’opposition. Le 19 juillet 2011, le tribunal municipal de Minsk a confirmé le jugement de la juridiction de première instance. M. Statkevich a par la suite demandé le réexamen de sa déclaration de culpabilité au titre de la procédure de contrôle. Il a déposé un recours en réexamen devant le Président du tribunal municipal de Minsk, qui l’a débouté le 11 novembre 2011. M. Statkevich a déposé un deuxième recours en réexamen au titre de la procédure de contrôle devant le Président de la Cour suprême. Un Vice-Président de la Cour suprême l’a débouté le 17 février 2012. En novembre 2012, il a introduit un recours devant le Bureau du Procureur de Minsk, et a été débouté le 23 janvier 2013.

2.9M. Statkevich et son épouse ont tous deux porté plainte sans succès auprès des autorités pénitentiaires concernant les conditions de détention de M. Statkevich, le fait que l’administration pénitentiaire lui ait infligé des sanctions particulières pour avoir prétendument enfreint le règlement carcéral, et la restriction excessive de ses contacts avec l’extérieur.

Teneur de la plainte

3.1L’auteure dénonce une violation des droits que M. Statkevich tient des articles 2, 7, 9, 10, 14 (par. 1, 2, 3 b), d), e) et g), et 5), 17, 19 (par. 1 et 2), 21, 22 et 25 du Pacte. Elle affirme que les droits garantis à son époux par l’article 7 ont été violés car les autorités ont maintenu M. Statkevich en détention au secret pendant plusieurs mois et refusé qu’il communique avec un conseil, et que des agents l’ont harcelé et l’ont menacé d’arrêter son épouse s’il ne s’avouait pas coupable. M. Statkevich a été contraint de dormir à même le sol, la lumière allumée, n’a pas pu aller aux toilettes et a été détenu avec des détenus atteints de maladies infectieuses. Pour l’intimider, on l’a transféré dans un lieu inconnu et, pendant le transfèrement, il était menotté les mains dans le dos.

3.2L’auteure affirme que les droits garantis à M. Statkevich par l’article 9 (par. 2 et 3) ont été violés en ce que celui-ci n’a été informé ni des raisons de son arrestation ni des accusations portées contre lui. N’ayant pas été autorisé par un juge, son placement en détention provisoire était illégal. En outre, sa détention a été prolongée sur décision d’un procureur, sans justification, elle n’a pas fait l’objet en temps voulu d’un contrôle juridictionnel en bonne et due forme, M. Statkevich n’a pas été déféré devant le tribunal aux fins de l’examen de la légalité de sa détention, et il a été interrogé de nuit, en l’absence de son avocat. Il a été présenté pour la première fois à un juge plus de cinq mois après son arrestation, lorsque son procès s’est ouvert.

3.3L’auteure affirme que les droits garantis à M. Statkevich par l’article 10 ont été violés, en ce que les autorités lui ont fait endurer des violences physiques et psychologiques en le harcelant et en le menaçant avant et après sa condamnation. Au cours de la répression exercée par les forces d’intervention spéciale le 19 décembre 2010, M. Statkevich a été roué de coups. Pendant sa détention à la prison du Comité de sécurité de l’État, il n’a pas été autorisé à prendre contact avec un avocat et n’a pas pu voir sa famille. Il a été maintenu à l’isolement, dans le froid, et a été contraint de dormir la lumière allumée. Par conséquent, son état de santé s’est considérablement dégradé.

3.4L’auteure affirme également que M. Statkevich a été privé du droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial, en violation de l’article 14 (par. 1) du Pacte. M. Statkevich n’a pas été jugé équitablement par un tribunal impartial en ce que certains éléments de preuve utiles ont été écartés, et des preuves préjudiciables, sans rapport avec l’affaire ont été ajoutés, l’accusation n’a pas eu à s’acquitter de la charge de la preuve et des témoins n’ont pas été cités à comparaître. Les autorités ne se sont pas abstenues d’accuser publiquement M. Statkevich et d’autres candidats de l’opposition de fomenter un coup d’état pour tenter de renverser le Président avant comme après les élections. Elles ont décrété que les candidats de l’opposition, dont M. Statkevich, étaient coupables, avant même que le tribunal ait statué et prononcé son jugement définitif. L’auteure affirme que l’accusation n’a produit aucun élément de preuve de nature à mettre en cause M. Statkevich dans un seul fait de violence précis. Le tribunal s’est autorisé à formuler des critiques et a exprimé des doutes quant à la fiabilité du témoignage de M. Statkevich. Il a également rejeté les requêtes de la défense et fait droit à celles introduites par l’accusation. M. Statkevich n’a pas pu se défendre équitablement. Par exemple, son conseil n’a pas été autorisé à soumettre les principaux témoins à charge à un contre-interrogatoire. Le tribunal a omis de citer un certain nombre de témoins à comparaître.

3.5L’auteure affirme que les droits garantis à M. Statkevich par l’article 14 (par. 2) du Pacte ont été violés, puisqu’en le déclarant coupable, les autorités ont porté atteinte à son droit à la présomption d’innocence. M. Statkevich a été jugé avec d’autres, sur la base de la culpabilité par association, tandis que certaines parties du procès se sont tenues à part et ont servi à le déclarer coupable par défaut. Tout cela a considérablement limité son droit à la défense. M. Statkevich est aussi resté menotté, dans une cage, pendant le procès.

3.6L’auteure affirme que les droits garantis à M. Statkevich par l’article 14 (par. 3 b)) du Pacte ont été violés, en ce qu’il a été maintenu au secret et privé d’accès à un conseil pendant les trois mois qui ont suivi son arrestation, M. Statkevich n’a pas été autorisé à s’entretenir avec un conseil. Par la suite, la possibilité que son conseil avait de communiquer avec lui est restée limitée.

3.7L’auteure affirme aussi que les droits garantis à M. Statkevich par l’article 14 (par. 5) du Pacte ont été violés, en ce qu’il a été privé du droit de recours : la cour d’appel n’a en effet pas motivé sa décision de rejeter le recours qu’il avait introduit et n’a pas examiné les importantes irrégularités qui entachaient sa déclaration de culpabilité. Le réexamen de l’affaire par la juridiction de cassation était de pure forme. M. Statkevich n’a pas été autorisé à assister aux audiences de la juridiction de cassation.

3.8L’auteure dénonce une violation de l’article 17 du Pacte, affirmant que l’État partie a illégalement enregistré et publié les transcriptions des conversations téléphoniques que son époux a eues pendant sa campagne présidentielle, en 2010. La mise sur écoute n’était ni nécessaire, ni légale, ni justifiée, et de ce fait, a constitué une violation du droit de M. Statkevich à la vie privée.

3.9L’auteure dénonce en outre une violation des droits reconnus à M. Statkevich par les articles 19 et 21 du Pacte. Elle affirme que la déclaration de culpabilité prononcée contre son époux, sur le fondement de l’article 293 (première partie) du Code pénal a constitué une violation de son droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et de son droit à la liberté d’expression garantis par l’article 19 du Pacte, parce que les restrictions imposées par l’État partie à l’exercice de ces droits n’étaient ni prévues par la loi ni nécessaires à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, ou de la santé publique. L’auteure affirme également que les autorités de l’État partie ont poursuivi M. Statkevich et l’ont condamné à une peine de cinq années d’emprisonnement pour avoir exercé son droit à la liberté d’expression et pour avoir mené des activités politiques. Elle affirme en outre que la peine était manifestement disproportionnée dans la mesure où les organes chargés de l’enquête n’avaient pas démontré l’existence d’un lien de causalité direct entre les déclarations reprochées à M. Statkevich et les actes illégaux commis par les individus non identifiés qui avaient attaqué le palais du Gouvernement le 19 décembre 2010. De surcroît, la participation de l’intéressé à la manifestation du 19 décembre 2010 était une expression des droits consacrés à l’article 21 du Pacte, puisque les manifestants n’avaient d’autre objectif que celui de protester pacifiquement contre les résultats d’élections frauduleuses, afin de promouvoir la démocratie.

3.10L’auteure dénonce une violation des droits reconnus à M. Statkevich par l’article 22 du Pacte, affirmant que celui-ci a été arrêté pour avoir exercé son droit à la liberté d’association.

3.11Enfin, l’auteure dénonce une violation des droits que son époux tient de l’article 25 du Pacte, puisque tout ce qu’il a dû subir a découlé de ses tentatives d’exercer son droit de participer au processus politique. Il souhaitait simplement plaider en faveur d’un système multipartite et d’une réforme électorale démocratique, mais il a été harcelé, arrêté, roué de coups et torturé avant d’être condamné à une peine de six années d’emprisonnement en raison de ses activités politiques. L’auteure fait observer qu’en 2011, le Groupe de travail sur la détention arbitraire a clairement établi le rapport entre ces représailles et les efforts faits par son époux pour prendre part aux affaires publiques, en particulier, aux élections de 2010.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans une note verbale datée du 12 juin 2015, l’État partie a renvoyé la communication parce qu’elle n’était rédigée ni en biélorusse ni en russe. Dans une note verbale datée du 6 octobre 2015, il a demandé qu’on lui transmette l’intégralité de la communication, y compris les documents annexés, dans l’une ou l’autre de ces deux langues.

4.2Dans une note verbale datée du 3 décembre 2018, l’État partie a informé le Comité que la communication avait été soumise sans les documents requis attestant que M. Statkevich avait autorisé l’auteure à le représenter et à saisir le Comité. L’État partie affirme que l’enregistrement des communications devrait respecter strictement les dispositions du Protocole facultatif.

4.3Dans une note verbale datée du 20 mai 2019, l’État partie a contesté l’enregistrement de la communication, affirmant que celle-ci avait été enregistrée en violation de l’article premier du Protocole facultatif, puisqu’il n’existait pas de procuration au nom de Marina Adamovich. L’État partie a noté, en outre, que l’auteure et M. Statkevich avaient autorisé Freedom Now, une organisation basée aux États-Unis d’Amérique et Hogan Lovells, un cabinet d’avocats américain à les représenter, alors que ces deux entités ne relevaient pas de la juridiction du Bélarus, mais bien de celle d’un pays tiers. L’État partie a fait valoir qu’au moment de la soumission des observations, rien n’empêchait M. Statkevich de communiquer directement avec le Comité. Compte tenu de ce qui précède, l’État partie a estimé qu’aucun autre acte de procédure ne devrait être réalisé concernant la communication et qu’il devait être mis fin à l’examen de celle-ci.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1Le 25 mars 2020, l’auteure a affirmé que la soumission d’une communication par un tiers était conforme à la pratique et au règlement intérieur du Comité, en particulier à l’article 91 de celui-ci, qui dispose qu’une communication ne peut être soumise au nom d’un particulier qu’avec son consentement à moins que l’auteur ou les auteurs ne puissent justifier qu’ils agissent au nom de ce particulier sans ce consentement. Les actions de l’État partie ont empêché l’auteure d’obtenir l’autorisation écrite de M. Statkevich puisque, pendant les six mois qui ont suivi son arrestation, celui-ci n’a pas été autorisé à voir sa famille. Après sa condamnation, il a été transféré à plusieurs reprises d’une prison à l’autre, souvent vers des établissements au régime plus strict où ses communications avec l’extérieur étaient limitées et souvent interdites, parce qu’il avait prétendument enfreint le règlement carcéral. En outre, les agents de l’administration pénitentiaire saisissaient toute la correspondance qu’il recevait et refusaient d’envoyer ses courriers. L’auteure, en tant qu’épouse de M. Statkevich, était fondée à soumettre la communication au nom de celui-ci. L’article 99 (al. b) du règlement intérieur indique qu’une communication présentée au nom d’une victime présumée peut être acceptée lorsqu’il appert que celle‑ci est dans l’incapacité de présenter elle‑même la communication.

5.2S’agissant des allégations de l’État partie selon lesquelles rien n’empêchait M. Statkevich de communiquer lui-même avec le Comité après sa remise en liberté, l’auteure a déclaré que M. Statkevich était détenu depuis près de trois ans au moment de la soumission de la communication et qu’il devait être libéré en décembre 2017. De surcroît, même s’il n’était plus incarcéré, il a été placé en détention à au moins sept reprises depuis août 2015.

5.3L’auteure affirme également que l’État partie n’a pas agi de bonne foi.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité prend note des affirmations de l’État partie, à savoir qu’il n’existe pas de fondement juridique à l’examen de la communication de l’auteure, étant donné qu’elle a été enregistrée en violation des dispositions du Protocole facultatif.

6.4Le Comité rappelle que l’article 39 (par. 2) du Pacte l’autorise à établir son propre règlement intérieur, que les États parties sont convenus d’accepter. Tout État partie qui adhère au Protocole facultatif reconnaît que le Comité a compétence pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers qui se déclarent victimes de violations de l’un quelconque des droits énoncés dans le Pacte (préambule et art. 1er du Protocole facultatif). Le Comité rappelle sa pratique, conforme à l’article 99 (al. b) de son règlement intérieur, reconnaissant aux victimes le droit de se faire représenter par une personne de leur choix dès lors que celle-ci est dûment autorisée. En adhérant au Protocole facultatif, les États parties s’engagent implicitement à coopérer de bonne foi avec le Comité pour lui permettre et lui donner les moyens d’examiner les communications qui lui sont soumises et, après examen, de faire part de ses constatations à l’État partie et au particulier concerné (art. 5, par. 1 et 4). Le fait qu’un État partie adopte une mesure, quelle qu’elle soit, qui empêche le Comité de prendre connaissance d’une communication, d’en mener l’examen à bonne fin et de faire part de ses constatations est incompatible avec ces obligations. C’est au Comité qu’il appartient de déterminer si une communication doit être enregistrée.

6.5Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication est irrecevable étant donné que c’est Marina Adamovich, l’épouse de M. Statkevich, qui la lui a soumise sans procuration écrite afin de défendre auprès de lui les intérêts de son mari. Néanmoins, selon la pratique établie du Comité, les proches de victimes décédées, disparues ou qui sont, pour d’autres raisons, dans l’incapacité de présenter une communication ou de désigner un représentant, peuvent engager une procédure. Sur ce point, le Comité rappelle que l’article 99 (al. b) de son règlement intérieur dispose qu’en principe, la communication doit être présentée par le particulier lui-même ou par son représentant, mais qu’une communication présentée au nom d’une victime présumée peut être acceptée lorsqu’il appert que celle-ci est dans l’incapacité de présenter elle-même la communication. En l’espèce, il note que la victime présumée était en détention au moment où la communication a été soumise. Il note également que, selon les explications de l’auteure, les actions de l’État partie l’ont empêchée d’obtenir l’autorisation écrite de M. Statkevich puisque, pendant les six mois qui ont suivi son arrestation, celui-ci n’a pas été autorisé à voir sa famille. En outre, les agents de l’administration pénitentiaire saisissaient toute la correspondance que M. Statkevich recevait et refusaient d’envoyer son courrier. Dans ces circonstances, on ne saurait reprocher à la victime présumée ni à ses proches de n’avoir pas produit d’autorisation écrite. Le Comité rappelle que, lorsque la victime présumée est dans l’impossibilité d’autoriser la présentation de la communication, il a estimé qu’un lien de parenté étroit était suffisant pour que l’auteur de la communication soit fondé à agir au nom de celle-ci. En l’espèce, au moment où la communication a été soumise, M. Statkevich, détenu au secret, n’avait au mieux que rarement la possibilité de voir sa famille et son conseil. L’État partie n’a donné aucune information sur les conditions de détention de l’époux de l’auteure ni sur la possibilité que celui-ci avait de voir sa famille et ses avocats. Au vu des éléments figurant au dossier, le Comité note que la plainte a été soumise au nom de la victime présumée par son épouse, qui a produit une procuration écrite dûment signée autorisant les avocats à représenter la victime présumée et son épouse devant le Comité. Il considère, par conséquent, qu’ayant un lien de parenté étroit avec M. Statkevich, l’auteure est fondée à agir en son nom.

6.6Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication est irrecevable au motif qu’elle a été présentée au Comité non pas par la personne se prétendant victime elle-même, mais par des tiers ne relevant pas de la juridiction du Bélarus, mais de celle d’un pays tiers. Il note que, conformément à sa pratique établie de longue date, les auteurs peuvent désigner un représentant de leur choix, non seulement pour recevoir leur correspondance, mais aussi pour les représenter devant le Comité. Le Comité déclare qu’aucune des dispositions du Protocole facultatif ou du règlement intérieur n’interdit la représentation par une entité juridique. Ilfait aussi observer que selon le Protocole facultatif (art. 1er et 2),l’exigence que les particuliers relèvent de la juridiction de l’État partie s’applique uniquement aux victimes de violations des droits de l’homme. Le règlement intérieur ne dit rien de la représentation juridique par des entités étrangères. Par conséquent, le Comité n’est pas empêché par l’article 1er du Protocole facultatif d’examiner la communication.

6.7Le Comité observe que l’État partie ne conteste pas que les recours internes aient été épuisés. Il estime dès lors que les dispositions de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner la communication.

6.8Le Comité note que, selon l’auteure, l’État partie a manqué aux obligations mises à sa charge par l’article 2 du Pacte. Renvoyant à sa jurisprudence, le Comité rappelle que les dispositions de l’article 2 du Pacte, qui énoncent une obligation générale à l’intention des États parties, ne peuvent pas être invoquées isolément dans une communication présentée en vertu du Protocole facultatif. En conséquence, il conclut que cette partie de la communication est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.9Le Comité note que, selon l’auteure, les droits qui sont reconnus à M. Statkevich par l’article 14 (par. 5) du Pacte ont été violés, la cour d’appel n’ayant pas motivé sa décision de débouter l’intéressé de son recours et n’ayant pas examiné les importantes irrégularités qui entachaient sa déclaration de culpabilité. Le Comité note toutefois que, dans sa décision du 19 juillet 2011, le tribunal municipal de Minsk fait référence non seulement aux aspects procéduraux de l’audience tenue par le tribunal de district, mais aussi aux « informations figurant dans le dossier », ce qui montre qu’il ne s’est pas contenté d’examiner les points de droit, mais qu’il a bel et bien apprécié les faits et les preuves. Par conséquent, le Comité constate que les griefs soulevés par l’auteure au titre de l’article 14 (par. 5) ne sont pas suffisamment étayés aux fins de la recevabilité et déclare cette partie de la communication irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.10Le Comité note que, selon l’auteure, les droits garantis à M. Statkevich par l’article 22 du Pacte ont été violés puisque M. Statkevich a été arrêté pour avoir exercé son droit à la liberté d’association. Compte tenu de l’absence dans le dossier de tout autre renseignement utile à ce sujet, le Comité considère que l’auteure n’a pas suffisamment étayé ces griefs aux fins de la recevabilité. En conséquence, il conclut que cette partie de la communication est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.11Le Comité considère que l’auteure a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, ses autres griefs tirés des articles 7, 9, 10, 14 (par. 1, 2 et 3 b), d), e) et g)), 17, 19 (par. 1 et 2), 21 et 25 du Pacte. En conséquence, il déclare la communication recevable et passe à son examen quant au fond.

Examen au fond

7.1Conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties. Il fait observer qu’en ne faisant pas parvenir de réponse au sujet d’une communication, ou en envoyant une réponse incomplète, l’État qui fait l’objet de la communication se place en situation désavantageuse parce que le Comité est alors contraint d’examiner la communication en l’absence de toute l’information nécessaire concernant la plainte. En l’absence d’explications de l’État partie sur le fond, il convient d’accorder tout le crédit voulu aux allégations de l’auteure dès lors qu’elles sont suffisamment étayées.

7.2S’agissant des allégations de l’auteure selon lesquelles M. Statkevich a été victime de torture, de mauvais traitements et de pressions psychologiques au stade de la détention provisoire et de l’enquête préliminaire, le but étant de le forcer à faire des aveux, ainsi qu’après sa condamnation, le Comité note que l’auteure a donné une description détaillée des méthodes employées, notamment des violences psychologiques et physiques infligées à l’intéressé au moyen d’actes de harcèlement et de menaces. Au cours de la répression exercée le 19 décembre 2010 par les forces d’intervention spéciale, M. Statkevich a été roué de coups. Il a été contraint de dormir à même le sol, toutes lumières allumées, n’a pas pu aller aux toilettes et a été détenu avec des détenus atteints de maladies infectieuses. Pour l’intimider, on l’a transféré dans un lieu inconnu et, tout au long du transfèrement, il était menotté les mains dans le dos. Les autorités ont soumis M. Statkevich à la mise au secret pendant plusieurs mois, ne l’autorisant pas à s’entretenir avec son avocat ; des agents l’ont harcelé et menacé. L’État partie n’ayant pas commenté les allégations de l’auteure à ce propos, le crédit voulu doit être accordé à ces allégations et le Comité considère que les faits tels qu’ils lui sont soumis font apparaître une violation de l’article 7 du Pacte.

7.3Compte tenu des conclusions qui précèdent, le Comité ne juge pas nécessaire d’examiner séparément les griefs soulevés par l’auteure au titre de l’article 10 du Pacte.

7.4Le Comité prend note du grief soulevé par l’auteure au titre de l’article 9 du Pacte selon lequel M. Statkevich n’a été informé ni des raisons de son arrestation ni des accusations portées contre lui, et sa détention provisoire était illégale parce qu’injustifiée. L’intéressé a été présenté pour la première fois à un juge plus de cinq mois après son arrestation, lorsque son procès s’est ouvert. Le Comité fait observer que l’État partie n’a pas démontré que l’arrestation de M. Statkevich était raisonnable et nécessaire. En l’absence de toute autre information, le Comité conclut donc qu’il y a eu violation de l’article 9 (par. 1) du Pacte.

7.5Le Comité prend note également de l’affirmation de l’auteure selon laquelle le placement de M. Statkevich en détention provisoire a été décidé par le procureur, qui n’est pas habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires, contrairement à ce qu’exige l’article 9 (par. 3) du Pacte. Il rappelle que cette disposition donne à une personne inculpée d’une infraction pénale placée en détention le droit à un contrôle juridictionnel de sa privation de liberté. Il est inhérent au bon exercice du pouvoir judiciaire que ce contrôle soit assuré par une autorité indépendante, objective et impartiale par rapport aux questions à traiter. Le Comité n’est pas convaincu que le procureur puisse être considéré comme ayant l’objectivité et l’impartialité institutionnelles nécessaires pour être qualifié d’« autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions judiciaires » au sens de l’article 9 (par. 3) du Pacte et conclut par conséquent qu’il y a eu violation de cette disposition.

7.6Le Comité note que l’auteure affirme que M. Statkevich s’est vu privé du droit à ce que sa cause soit entendue équitablement par un tribunal indépendant et impartial, en violation de l’article 14 (par. 1) du Pacte, et que les tribunaux de l’État partie ne l’ont pas fait bénéficier des garanties minimales prévues au paragraphe 3 b), d) et e) de l’article 14 du Pacte. Le Comité note également que l’auteure affirme que, pendant sa détention provisoire dans les locaux du Comité de sécurité de l’État, son époux a été soumis à de longs interrogatoires de nuit, en l’absence de son avocat, qu’il a été mis au secret et n’a pas été autorisé à communiquer avec son avocat pendant les trois mois qui ont suivi son arrestation, et que par la suite son droit de s’entretenir avec son avocat a été restreint. Il note en outre que, selon l’auteure, l’avocat de son époux n’a pas été autorisé à contre-interroger les principaux témoins à charge et le tribunal n’a pas contraint certains témoins à comparaître. L’État partie n’ayant pas fait de commentaire pour contester les allégations de l’auteure, le Comité conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 14 (par. 1 et 3 b), d) et e)) du Pacte.

7.7En ce qui concerne les allégations de violation de l’article 14 (par. 2) du Pacte, le Comité prend note du grief de l’auteure selon lequel le droit de M. Statkevich à la présomption d’innocence a été violé étant donné que les médias étatiques et les plus hautes autorités de l’État partie l’ont accusé publiquement d’avoir tenté de renverser le Président en exercice et ont affirmé qu’il était coupable d’infractions pénales commises dans le contexte des événements du 19 décembre 2010 avant que sa culpabilité n’ait été dûment établie par un tribunal. L’auteur a également affirmé qu’il avait été menotté et placé dans une cage au tribunal tout au long de son procès. L’État partie n’a pas contesté ces allégations. Le Comité rappelle que le droit d’un accusé d’être présumé innocent tant que sa culpabilité n’a pas été établie par un tribunal compétent est garanti par le Pacte. L’État partie n’ayant communiqué aucun renseignement utile sur ce point, le Comité conclut que les faits décrits par l’auteure font apparaître une violation de l’article 14 (par. 2) du Pacte.

7.8Le Comité rappelle sa jurisprudence, selon laquelle la disposition contenue à l’article 14 (par. 3 g)) du Pacte, à savoir que toute personne accusée d’une infraction pénale a droit à ne pas être forcée de témoigner contre elle-même ou de s’avouer coupable, doit s’entendre comme interdisant toute pression physique ou psychologique, directe ou indirecte, des autorités chargées de l’enquête préliminaire sur l’accusé, dans le but d’obtenir un aveu. Le Comité rappelle aussi que, dans les cas où sont formulées des allégations d’aveux forcés, il incombe à l’État partie de prouver que l’accusé a fait des déclarations de son plein gré. Dans les circonstances de l’espèce, le Comité conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 14 (par. 3 g)) du Pacte.

7.9Le Comité prend note du grief de l’auteure, selon lequel l’État partie a violé l’article 17 du Pacte, en ce que ses autorités ont illégalement mis la ligne téléphonique de M. Statkevich sur écoute, enregistré les appels passés par l’intéressé pendant la campagne présidentielle de 2010, et en ont ensuite publié la transcription. L’auteure soutient que ces écoutes téléphoniques n’étaient pas nécessaires et qu’elles étaient illégales et injustifiées, et qu’elles ont par conséquent constitué une violation du droit de son époux à la vie privée. D’autre part, des renseignements obtenus illégalement de cette manière ont été utilisés par la juridiction de première instance pour prouver sa culpabilité. Le Comité note que l’État partie n’a pas commenté les allégations de l’auteure à ce sujet. Il conclut, par conséquent, que les faits dont il est saisi constituent une violation par l’État partie du droit garanti à l’auteure par l’article 17 du Pacte.

7.10Le Comité prend note de l’allégation de l’auteure selon laquelle la déclaration de culpabilité prononcée contreM. Statkevich sur le fondement de l’article 293 (première partie) du Code pénal a constitué une violation de son droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et de son droit à la liberté d’expression garantis par l’article 19 du Pacte, parce que les restrictions imposées par l’État partie à l’exercice de ces droits n’étaient ni prévues par la loi ni nécessaires à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, ou de la santé publique. Le Comité prend également note du grief de l’auteure selon lequel les autorités de l’État partie ont poursuivi M. Statkevich et l’ont condamné à une peine de cinq années d’emprisonnement pour avoir exercé son droit à la liberté d’expression et pour avoir mené des activités politiques. Le Comité prend note en outre du grief de l’auteure selon lequel une telle peine était manifestement disproportionnée dans la mesure où les organes chargés de l’enquête n’avaient pas démontré l’existence d’un lien de causalité direct entre les déclarations reprochées à M. Statkevich et les actes illégaux commis par les individus non identifiés qui avaient attaqué le palais du Gouvernement le 19 décembre 2010.

7.11Le Comité renvoie à son observation générale no 34 (2011) sur la liberté d’opinion et la liberté d’expression, dans laquelle il a dit que ces libertés sont des conditions indispensables au plein épanouissement de l’individu, et sont essentielles pour toute société. Elles constituent le fondement de toute société libre et démocratique. Le Comité rappelle que l’article 19 (par. 3) du Pacte n’autorise certaines restrictions que si elles sont expressément fixées par la loi et nécessaires : a) au respect des droits ou de la réputation d’autrui ; b) à la protection de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques. Toute restriction à l’exercice de ces libertés doit répondre aux critères stricts de nécessité et de proportionnalité. Les restrictions doivent être appliquées exclusivement aux fins pour lesquelles elles ont été prescrites et doivent être en rapport direct avec l’objectif particulier qui les inspire. Le Comité rappelle également qu’il incombe à l’État partie de montrer que les restrictions imposées aux droits garantis à M. Statkevich par l’article 19 étaient nécessaires et proportionnées. En l’espèce, le Comité constate toutefois que ni l’État partie ni ses tribunaux n’ont expliqué en quoi les restrictions apportées à l’exercice par M. Statkevichde son droit à la liberté d’expression étaient justifiées au regard des critères denécessité et de proportionnalité énoncés à l’article 19 (par. 3) du Pacte. En conséquence, le Comité conclut que l’État partie a violé les droits garantis à l’auteure par l’article 19 (par. 2) du Pacte.

7.12Le Comité prend note du grief de l’auteure selon lequel, en condamnant M. Statkevich à une peine de six années d’emprisonnement sur le fondement de l’article 293 (première partie) du Code pénal pour avoir organisé un rassemblement public non autorisé, mais pacifique, l’État partie s’est immiscé de façon disproportionnée dans l’exercice de son droit de réunion pacifique garanti par l’article 21 du Pacte. Une telle immixtion n’est pas prévue par la loi étant donné que les dispositions de l’article 293 du Code pénal sont trop vagues et trop générales pour qu’une personne puisse entrevoir les conséquences juridiques de ses actes et il n’y a pas de définition de ce qui constitue des « troubles de grande ampleur » en droit interne. Le Comité rappelle que le droit de réunion pacifique, garanti par l’article 21 du Pacte, est un droit de l’homme fondamental qui est indispensable dans une société démocratique. Ce droit implique la possibilité d’organiser des réunions pacifiques, y compris des réunions spontanées, dans un lieu public et d’y participer. Le droit de réunion pacifique peut, dans certains cas, être restreint mais il incombe aux autorités de démontrer que toute restriction est justifiée. Les autorités doivent être en mesure de démontrer que toute restriction satisfait au critère de légalité, et qu’elle est à la fois nécessaire et proportionnée à l’un au moins des motifs de restriction autorisés, énumérés à l’article 21. En l’absence de toute information pertinente de la part de l’État partie, le Comité conclut qu’en l’espèce, l’État partie a violé les droits que l’auteure tient de l’article 21 du Pacte.

7.13Compte tenu des conclusions qui précèdent, le Comité ne juge pas nécessaire d’examiner séparément les griefs soulevés par l’auteure au titre de l’article 25 du Pacte.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie des articles 7, 9 (par. 1 et 3), 14 (par. 1, 2 et 3 b), d), e) et g)), 17, 19 (par. 2) et 21 du Pacte.

9.Conformément à l’article 2 (par. 3a)) du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteure un recours utile et une réparation effective. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, l’État partie est tenu, entre autres, d’accorder à Mikalai Statkevich une indemnisation adéquate, d’effacer sa condamnation de son casier judiciaire et de mener immédiatement une enquête impartiale, sérieuse et approfondie sur les allégations de torture et de mauvais traitements et d’engager des poursuites judiciaires contre les responsables. Il est également tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour que des violations analogues ne se reproduisent pas.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y a eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsque la réalité d’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatation. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles.