Nations Unies

CCPR/C/133/D/3003/2017

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

25 janvier 2022

Français

Original : espagnol

Comité des droits de l ’ homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 3003/2017 * , ** , ***

Communication présentée par :

Allan Brewer-Carías (représenté par PedroNikken, Claudio Grossman, Douglas Cassel, HéctorFaúndez, Juan Méndez et Carlos Ayala)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteur

État partie :

République bolivarienne du Venezuela

Date de la communication :

21 décembre 2016 (date de la lettre initiale)

Référence s:

Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 7 juillet 2017 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

18 octobre 2021

Objet :

Violation des garanties d’une procédure régulière et discrimination fondée sur des motifs politiques

Question ( s ) de procédure :

Chose jugée et non-épuisement des recours internes

Question ( s ) de fond :

Droit à un procès équitable ; droit à l’assistance d’un avocat ; droit à la défense ; droit d’être entendu ; égalité devant les tribunaux et les cours de justice ; liberté d’expression ; atteintes au droit à l’honneur et à la réputation ; privation de liberté

Article(s) du Pacte :

2 (par. 3), 9, 12, 14 (par. 1, 2 et 3 b) et e)), 17, 19 et 26

Article(s) du Protocole facultatif:

5 (par. 2 a) et b))

1.1L’auteur de la communication est Allan Brewer‑Carías, de nationalité vénézuélienne, né le 13 novembre 1939. Il affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient des articles 2 (par. 3), 9, 12, 14 (par. 1, 2 et 3 b) et e)), 17, 19 et 26 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 10 août 1978. L’auteur est représenté par des avocats.

1.2Le 24 avril 2018, les Rapporteurs spéciaux chargés des nouvelles communications et des mesures provisoires, agissant au nom du Comité, ont décidé de rejeter la demande de l’État partie tendant à ce que la question de la recevabilité de la communication soit examinée séparément du fond.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Aux premières heures du 12 avril 2002, l’état-major de l’armée de l’État partie a annoncé à la télévision avoir demandé et obtenu la démission du Président Hugo Chávez. L’après‑midi du même jour, Pedro Carmona Estanga, l’un des leaders de l’opposition, a annoncé la dissolution des pouvoirs publics et l’instauration, par voie de décret, d’un « gouvernement de transition démocratique ». L’auteur affirme avoir reçu ce matin-là un appel téléphonique de M. Carmona qui sollicitait d’urgence sa présence en tant qu’avocat pour le conseiller sur une question juridique. L’auteur ajoute qu’il a été conduit au complexe militaire connu sous le nom de « Fuerte Tiuna », où M. Carmona participait à des réunions, auxquelles lui-même n’a pas assisté. Là, on lui a donné à lire le texte d’un projet de décret (qui plus tard serait connu sous le nom de « décret Carmona ») qui devait être annoncé l’après‑midi même. Il n’en connaissait pas l’auteur et en a désapprouvé le contenu. L’auteur dit qu’il n’a pas pu rencontrer M. Carmona à Fuerte Tiuna, qu’il s’est alors rendu au Palais de Miraflores le même jour à la mi-journée pour s’entretenir avec lui, mais n’a pas pu le rencontrer et a quitté les lieux quelques minutes plus tard. L’auteur soutient qu’il n’a pu échanger avec M. Carmona que par téléphone, le soir, et qu’il lui a alors donné son avis juridique, à savoir un rejet ferme et définitif du décret en question. Cette communication téléphonique a eu lieu avant l’annonce du décret à la télévision, annonce que l’auteur a suivie depuis son domicile. L’auteur explique qu’il a été sollicité en tant qu’avocat spécialiste du droit public et constitutionnaliste renommé pour rendre un avis juridique sur un texte déjà rédigé, le fait qu’il ait été consulté et qu’il ait rejeté le texte prouvant bien qu’il ne l’avait pas rédigé. Dans les jours qui ont suivi, les médias ont spéculé sur la présence de l’auteur à Fuerte Tiuna, lui attribuant la paternité intellectuelle et la rédaction du décret Carmona, ce que l’auteur a immédiatement et publiquement démenti.

2.2En juillet 2002, la Commission parlementaire spéciale chargée d’enquêter sur les événements d’avril 2002, créée par l’Assemblée nationale, sans avoir préalablement convoqué ou entendu l’auteur, a publié un rapport dans lequel elle considère comme établi que celui-ci a participé à la planification et à la réalisation du coup d’État et qu’il a corédigé le décret d’autoproclamation et de dissolution de tous les pouvoirs publics.

2.3Le 27 janvier 2005, la sixième Procureure provisoire du parquet national ayant pleine compétence, Mme Luisa Ortega Díaz, a mis l’auteur en accusation pour « complot visant à modifier la Constitution en faisant usage de violence », pour sa participation présumée aux discussions préparatoires et à la conception, la rédaction et l’annonce du décret Carmona. Cette mise en accusation avait pour fondement et pour origine une plainte privée, formulée le 22 mai 2002 par le colonel et avocat ÁngelBellorín, selon qui la participation de l’auteur à la rédaction du décret était un fait notoire, dont témoignaient les articles parus dans la presse. L’auteur explique que les articles de presse présentés comme éléments de preuve ne sont que le reflet de l’opinion de journalistes et de rumeurs, et qu’il en a immédiatement démenti le contenu.

2.4L’auteur explique que, dans le cadre de la procédure relative aux événements faisant l’objet de l’enquête, la juge provisoire du tribunal de contrôle de première instance du circuit judiciaire pénal de Caracas (25e tribunal de contrôle), Josefina Gómez Sosa, a prononcé une interdiction de sortie du territoire à l’encontre de plusieurs citoyens faisant l’objet d’une enquête pour leur participation présumée aux événements d’avril 2002. La Cour d’appel a annulé cette décision, considérant qu’elle n’était pas motivée. Le 3 février 2005, la Commission judiciaire du Tribunal suprême de justice a suspendu de leurs fonctions les deux juges qui s’étaient prononcés en faveur de l’annulation de la décision contestée, ainsi que la juge provisoire Gómez Sosa, qui avait pris la décision prétendument non motivée. L’auteur explique que la juge Gómez Sosa a été remplacée par le juge temporaire Manuel Bognanno. À deux reprises, le juge Bognanno a ordonné à la sixième Procureure provisoire d’envoyer aux avocats de l’auteur une copie des pièces du dossier qu’ils avaient demandées et de lui remettre le dossier. Face au refus de la Procureure, le juge a informé officiellement le Procureur principal des irrégularités commises par la Procureure. Deux jours plus tard, le juge Bognanno a été suspendu de ses fonctions.

2.5L’auteur affirme que le 29 septembre 2005, il a quitté légalement le territoire de l’État partie pour honorer des engagements pris auprès de l’Université Columbia à New York. Il ajoute que depuis cette date, il est resté hors du pays, dont il s’est exilé pour protéger sa liberté et son intégrité physique et morale. Le 4 octobre 2005, la défense de l’auteur a présenté un recours en annulation au tribunal d’instance après que le Procureur général de la République, déjà en fonctions, avait publié, un mois plus tôt, un livre dans lequel il affirmait que l’auteur, entre autres choses, avait rédigé le décret Carmona. Dans son recours en annulation, l’auteur a soutenu que l’enquête avait été menée par une entité dont la plus haute autorité était totalement partiale, en violation de ses droits à la défense, à la présomption d’innocence et à une procédure régulière. Le 21 octobre 2005, la sixième Procureure provisoire a mis l’auteur en accusation, demandant son placement en détention provisoire. Le 26 octobre 2005, les avocats de l’auteur ont demandé par anticipation que la privation de liberté de l’auteur pendant le procès soit déclarée irrecevable. Le 8 novembre 2005, la défense de l’auteur a formé un nouveau recours en annulation, concernant l’ensemble de la procédure. L’auteur soutient qu’aucune suite n’a été donnée à ce jour aux recours en annulation ni à la demande visant à ce que sa privation de liberté pendant le procès soit déclarée irrecevable.

2.6L’auteur explique que, le 10 mai 2006, il a informé le 25e tribunal de contrôle qu’il allait occuper un poste de professeur adjoint à l’université Columbia. Il prétend l’avoir fait pour ne pas perturber le cours de la procédure pour les autres mis en cause. Cependant, le 15 juin 2006, le juge provisoire de contrôle a prononcé la mise en examen de l’auteur et demandé son placement en détention provisoire. L’auteur ne se trouvant pas sur le territoire de l’État partie, il n’a pas pu être mis en détention. L’auteur ajoute que le 29 août 2006, l’Ambassadrice de l’État partie au Costa Rica a adressé une note à l’Institut interaméricain des droits de l’homme et une note identique au Gouvernement costaricien au sujet d’une invitation qui avait été faite à l’auteur de donner une conférence au Costa Rica. Dans cette lettre, l’Ambassadrice disait sa perplexité au sujet de cette invitation et demandait l’interpellation de l’auteur, assurant que celui-ci avait participé, concrètement et intellectuellement, à la rédaction du décret Carmona et avait donné des instructions pour y apporter des corrections, qu’il était conscient de toutes les infractions qu’il commettait et qu’il avait fui le pays pour cette raison.

2.7L’auteur explique que le 1er février 2007, le décret no 5790 ayant rang, valeur et force de loi spéciale d’amnistie a été publié, qui prévoit l’extinction de toutes les actions pénales concernant les faits en relation avec la rédaction et la signature du décret Carmona. Le 11 janvier 2008, la défense de l’auteur a demandé au juge de contrôle de déclarer un non‑lieu dans l’affaire concernant l’auteur, sur le fondement du décret d’amnistie. Cette demande a été rejetée le 25 janvier 2008, seulement à l’égard de l’auteur et non de ses coaccusés, qui, selon l’auteur, se trouvaient dans une situation identique à la sienne du point de vue procédural. L’appel formé par l’auteur a été rejeté le 3 avril 2008 par la cinquième chambre de la Cour d’appel du circuit judiciaire pénal de la zone métropolitaine de Caracas.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient des articles 2 (par. 3), 9, 12, 14 (par. 1, 2 et 3 b) et e)), 17, 19 et 26 du Pacte. Il souligne que les violations dont il fait état ont eu lieu dans un contexte d’assujettissement politique du pouvoir judiciaire et du ministère public, qui a été amplement documenté par plusieurs organes internationaux de défense des droits de l’homme.

3.2Sur la question de la duplication des procédures, l’auteur indique que la Cour interaméricaine des droits de l’homme a statué sur son affaire le 26 mai 2014, déclarant la requête irrecevable sans examiner le fond de l’affaire. Il allègue que la question n’étant en cours d’examen devant aucune autre instance internationale, la communication est recevable au regard de l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif.

3.3Sur la question de l’épuisement des recours internes, l’auteur explique que le seul recours approprié qui lui était ouvert n’a pas produit d’effets et que les autres recours disponibles n’étaient ni appropriés ni utiles, et que sa communication est donc recevable au regard de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif. Il ajoute que chacune des violations de son droit à une procédure régulière a donné lieu à l’introduction, en temps utile, d’un recours, dont l’issue a chaque fois été défavorable. Il souligne qu’en dépit du manque d’indépendance de la justice, il a déployé des efforts raisonnables pour épuiser toutes les voies de recours disponibles, y compris le recours en annulation de l’ensemble de la procédure, sur lequel les tribunaux ne se sont jamais prononcés. L’auteur explique que le juge de contrôle a ordonné qu’il soit mis en détention sans avoir examiné son recours en annulation, et qu’à partir de là, l’État partie a subordonné tout acte de procédure et l’exercice de tout recours à la détention provisoire de l’auteur. Il soutient que les recours en appel et en cassation non seulement ne sont pas disponibles puisqu’il n’a pas été rendu de décisions judiciaires qu’il pourrait contester, mais qu’ils ne sont pas non plus adaptés à l’objectif visé, à savoir faire cesser les violations commises dans la phase d’enquête, qui ont une incidence sur les phases ultérieures de la procédure. Il ajoute que l’État partie ne peut pas exiger de lui, alors qu’il fait l’objet de persécutions pour des motifs politiques, qu’il accepte, pour épuiser les recours disponibles, de se soumettre à ces persécutions, notamment une détention arbitraire et des violations plus graves que celles qu’il dénonce. L’auteur souligne qu’un recours qui suppose que la victime se soumette à une détention illégale et arbitraire n’est pas un recours utile et n’est pas une obligation raisonnable imposée à la victime.

3.4En ce qui concerne le droit d’être entendu par un tribunal indépendant et impartial, consacré par l’article 14 (par. 1) du Pacte, l’auteur affirme que depuis 1999 s’est engagé un processus d’intervention dans le système judiciaire qui a permis de procéder à la nomination de juges à tous les échelons. Il ajoute qu’entre 60 et 80 % des juges ont un statut provisoire, et que le problème concerne également les procureurs. Il souligne que de 2005 à aujourd’hui, la Chambre constitutionnelle du Tribunal suprême de justice n’a déclaré recevable aucun recours constitutionnel en amparocontre le Président de la République, et n’a annulé aucun acte de gouvernement. L’auteur ajoute que l’État partie a été condamné en trois occasions par la Cour interaméricaine des droits de l’homme pour avoir manqué à garantir la stabilité du système judiciaire. Il souligne que le Tribunal suprême de justice lui-même a déclaré que les juges provisoires, qui sont nommés de manière discrétionnaire, peuvent être démis de leurs fonctions de la même façon, à savoir de manière discrétionnaire.

3.5L’auteur explique que le manque d’indépendance du pouvoir judiciaire a eu des répercussions concrètes dans son cas, car tous les juges et procureurs qui ont pris part à la procédure pénale sont des fonctionnaires temporaires ou provisoires nommés et remplacés de manière discrétionnaire pour des motifs politiques. Le cas des deux juges qui ont été suspendus pour avoir exprimé des avis contraires à ceux des procureurs en charge du dossier (voir par. 2.4 ci-dessus) en est un exemple flagrant. L’auteur explique que l’insécurité du mandat des juges provisoires, associée au parti pris manifestement politique de la sixième Procureure provisoire de l’époque, est l’un des facteurs qui l’ont privé de toute possibilité d’être jugé par un juge indépendant et impartial.

3.6En ce qui concerne la violation du droit à la présomption d’innocence, garanti par l’article 14 (par. 2) du Pacte, l’auteur explique que le Comité a lui-même déclaré que les autorités publiques ont le devoir de s’abstenir de faire des déclarations publiques affirmant la culpabilité de l’accusé. Il souligne que dans l’affaire Cedeño c. République bolivarienne du Venezuela, le Comité a conclu que l’évocation directe de l’affaire par le Président de l’État partie, alors qu’aucun tribunal n’avait statué sur la culpabilité de l’auteur, avait porté atteinte au principe de la présomption d’innocence. Dans le même ordre d’idées, le Comité a conclu dans une autre affaire que les déclarations publiques faites par de hauts responsables de l’application des lois qui avaient présenté l’auteur comme coupable et qui avaient fait l’objet d’une large couverture médiatique montraient que les autorités n’avaient pas agi avec la retenue requise par l’article 14 (par. 2). L’auteur explique que, dans son cas, les actes du Président de la République, de la Commission parlementaire spéciale (voir par. 2.2 ci‑dessus), du Procureur général de la République (voir par. 2.5 ci-dessus) et des Ambassadeurs de l’État partie (voir par. 2.6 ci-dessus) ont non seulement constitué une violation de son droit à la défense, mais aussi contribué à établir une présomption de culpabilité à son encontre.

3.7L’auteur affirme également qu’il y a eu violation de son droit à disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense, protégé par l’article 14 (par. 3 b)) du Pacte. Il soutient qu’à aucun moment de la procédure il n’a pu obtenir copie d’aucune des pièces. Ses avocats ont seulement été autorisés à recopier à la main les différentes pièces du dossier, qui contenait des milliers de pages réparties en 27 pièces. En outre, l’auteur explique que des enregistrements vidéo de journalistes faisant des déclarations, qu’il a demandé à voir à plusieurs reprises, mais dont deux seulement lui ont été montrées, ont servi de base à sa mise en accusation. Dans certains cas, on lui a dit que l’on n’avait pas trouvé les bandes, ou que, compte tenu du grand nombre de mis en cause, il était difficile de trouver le moment adéquat, ou encore que le bureau était occupé à autre chose. L’auteur explique qu’il ressort des enregistrements qu’il a pu visionner que les propos retranscrits dans l’acte de mise en accusation étaient faux et ne correspondaient pas à ce qui était dit dans les vidéos. Dans ces conditions, l’auteur a demandé une transcription complète de tous les enregistrements vidéo du dossier qui devaient être examinés comme éléments de preuve à charge, demande qui a également été rejetée. L’auteur explique que ces obstructions, faites sans motif raisonnable, à l’accès aux copies du dossier et aux éléments de preuve lui ont porté préjudice et l’ont empêché de préparer sa défense.

3.8L’auteur explique qu’il n’a pu assister à l’interrogatoire d’aucun des témoins par le ministère public ni procéder à leur contre-interrogatoire, en violation de l’article 14 (par. 3 e)) du Pacte. Dans certains cas seulement, il a été autorisé à proposer des questions à poser, qui devaient être soumises à la sixième Procureure provisoire et dont elle seule disposait, sans aucun contrôle. L’auteur explique que sa défense s’est vu refuser arbitrairement la présentation de témoins ou d’éléments de preuve pertinents.

3.9En ce qui concerne le droit à un recours utile garanti par l’article 2 (par. 3), lu conjointement avec l’article 14 (par. 1) du Pacte, l’auteur explique qu’il s’est adressé à plusieurs reprises au juge de contrôle provisoire et à la cour d’appel pour demander que ses droits soient rétablis. Cependant, sa demande a chaque fois été rejetée au motif que l’on ne pouvait s’ingérer dans le travail de la Procureure provisoire, qui dirigeait l’enquête de manière « autonome », ou que ce n’était pas le bon moment pour faire une telle demande. Dans certains cas, il n’a simplement pas été donné de réponse, comme dans le cas des recours en annulation. L’auteur explique que ce comportement l’a laissé sans possibilité de se défendre face aux décisions arbitraires de la Procureure provisoire, ce qui constitue une violation de son droit à un recours utile.

3.10L’auteur affirme que la persécution politique et l’ordre de placement en détention provisoire dont il fait l’objet constituent une violation de son droit à la liberté d’expression et du libre exercice de la profession d’avocat, garantis par l’article 19 du Pacte, ainsi que de sa liberté et de son droit à la liberté de circuler, reconnus par les articles 9 et 12 du Pacte. L’auteur estime qu’en réalité, c’est la divergence de vues qu’il a manifestée à l’égard du Gouvernement qui lui a valu d’être l’objet de persécutions. En atteste le fait que l’État partie n’a pas tenu compte des déclarations publiques qu’a immédiatement faites l’auteur, qui ont été corroborées par des témoins, à savoir qu’il avait été sollicité pour donner son avis en tant qu’avocat, et qu’il avait désapprouvé le contenu du décret Carmona. L’auteur ajoute que l’Organisation internationale de police criminelle (INTERPOL) elle-même a considéré à première vue que l’infraction dont l’auteur était accusé entrait dans la catégorie des « infractions politiques pures » et, qu’après avoir demandé un complément d’information à l’État partie, en vain, elle a décidé de retirer les renseignements concernant l’auteur de ses bases de données.

3.11En ce qui concerne la violation de son droit à l’égalité et à la non‑discrimination, consacré par l’article 26 du Pacte, l’auteur explique que seuls des civils ont été poursuivis pour les événements d’avril 2002, mais aucun militaire, en raison du privilège constitutionnel qui accorde aux généraux et aux amiraux le droit à un « jugement préalable » devant le Tribunal suprême de justice, lequel a établi qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments pour les juger. L’auteur ajoute que la violation de son droit résulte également du refus de lui appliquer la loi spéciale d’amnistie, alors qu’il se trouvait dans la même situation en fait et en droit que les autres personnes auxquelles cette loi a été appliquée.

3.12L’auteur dit également que les déclarations des autorités de l’État qui ont violé son droit à la présomption d’innocence ont également constitué une atteinte à son droit à l’honneur et à la réputation, consacré par l’article 17 du Pacte.

3.13L’auteur prie le Comité de constater l’existence d’une violation par l’État partie des droits susmentionnés et de demander à l’État partie de prendre des mesures visant à assurer une réparation intégrale en : a) déclarant nulle l’ensemble de la procédure engagée contre l’auteur et en prononçant immédiatement un non-lieu, et en annulant l’ordre de mise en détention provisoire le concernant ; b) lui offrant un recours utile devant des juges indépendants et impartiaux ; c) l’indemnisant et en lui remboursant les frais de justice engagés ; d) garantissant l’indépendance et l’impartialité du pouvoir judiciaire afin d’éviter que des violations analogues se reproduisent ; e) rendant publiques les constatations adoptées par le Comité ; f) faisant parvenir, dans un délai de quatre-vingt-dix jours, des informations sur les mesures prises pour donner effet aux constatations du Comité.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Le 7 septembre 2017, l’État partie a présenté des observations sur la recevabilité de la communication, demandant qu’elle soit déclarée irrecevable au regard de l’article 5 (par. 2 a) et b)) du Protocole facultatif.

4.2L’État partie souligne que l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif dispose que le Comité n’examine aucune communication si la même question est déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Il soutient que la même affaire a été examinée par la Commission interaméricaine des droits de l’homme et par la Cour interaméricaine des droits de l’homme, qui ont chacune rendu leur décision. L’État partie explique que l’auteur cherche à obtenir que le Comité agisse comme un organe d’appel ou de révision de l’arrêt de la Cour, en violation du Protocole facultatif.

4.3En ce qui concerne l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif, l’État partie explique qu’après l’ouverture de la procédure judiciaire, l’auteur a quitté le territoire de l’État partie et n’est pas revenu pour faire face aux poursuites intentées contre lui. En conséquence, la procédure judiciaire est en suspens et l’auteur n’a pas exercé les actions que prévoit le Code de procédure pénale pour remédier aux violations présumées de ses droits humains. L’État partie ajoute que la Cour interaméricaine des droits de l’homme a déjà conclu, dans son arrêt du 26 mai 2014, que l’auteur n’avait pas épuisé les recours utiles et appropriés et qu’aucune des exceptions à l’obligation d’épuiser ces recours ne s’appliquait.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1Dans les commentaires qu’il a soumis le 15 février 2018, l’auteur indique que le Comité a précisé que les termes « no ha sido sometido » de la version espagnole de l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif doivent s’interpréter comme signifiant que la même question « n’est pas déjà en cours d’examen » devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Il ajoute que l’État partie n’a formulé aucune réserve expresse à l’égard de la disposition contenue dans ledit article, de sorte que le Comité est compétent pour recevoir et examiner la présente communication, ainsi qu’il l’a fait dans un certain nombre de cas où les États parties n’avaient pas formulé de réserves et où la même question avait déjà été examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

5.2S’agissant de l’épuisement des recours internes, l’auteur rappelle que, conformément à l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif, cette règle ne s’applique pas lorsque la procédure excède des délais raisonnables et que cette prolongation est imputable à l’État partie. L’auteur souligne que, bien qu’il ait collaboré activement à la procédure, il s’est écoulé plus de douze ans sans que soient réunies les conditions nécessaires à la poursuite de la procédure, ce qui l’a empêché de continuer à se défendre et a porté atteinte à ses droits. L’auteur rappelle les différents recours qu’il a exercés et explique qu’alors que le dernier d’entre eux, le recours en annulation ou recours en amparopénal, aurait dû être examiné dans les trois jours suivant son dépôt, il n’a jamais reçu de décision du tribunal à cet égard.

Observations de l’État partie sur le fond

6.1Le 17 juin 2020, l’État partie a soumis des observations sur le fond de la communication. Concernant l’ensemble des violations alléguées, l’État partie répète que la procédure pénale est en suspens parce que l’auteur ne se trouve pas dans l’État partie, et qu’il n’a donc pas exercé les actions prévues par le Code de procédure pénale pour remédier aux violations présumées de ses droits, ce qui empêche le système judiciaire de résoudre les questions soulevées par sa défense.

6.2En ce qui concerne le droit d’être entendu par un juge ou un tribunal indépendant et impartial, l’État partie fait valoir que l’auteur n’a pas expliqué dans quelles circonstances de temps et de lieu, ni en quoi son droit avait été violé, mais se contente de décrire les événements qui se sont produits dans le cadre de la procédure judiciaire.

6.3Au sujet du droit à la présomption d’innocence, l’État partie fait valoir que l’auteur n’indique pas quelle instance judiciaire est, selon lui, responsable de la violation de son droit, et n’explique pas en quoi a consisté la violation. Il ajoute que l’auteur reproduit des lettres émanant d’agents des services diplomatiques qui n’étaient pas parties à la procédure judiciaire engagée contre lui, ayant trait à des activités sans lien avec la procédure pénale et dont le contenu n’a pas été utilisé pour étayer les accusations portées par le ministère public. Il souligne qu’aucune décision de justice n’établit sa responsabilité pour les actes qui lui sont attribués.

6.4S’agissant du droit de présenter des témoins et de contre-interroger les témoins de l’accusation, l’État partie observe que les violations alléguées de ce droit auraient été commises dans le cadre de l’enquête menée par le ministère public, en dehors du tribunal. Il explique que, dans une procédure pénale, c’est pendant la phase du procès que les preuves doivent être présentées et examinées et que l’on peut aussi demander qu’un élément de preuve quelconque soit déclaré irrecevable.

6.5En ce qui concerne le droit de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de la défense, l’État partie argue que le fait de ne pas fournir de copies de documents ne constitue pas une violation de ce droit. Il explique que la défense a été autorisée à examiner le dossier aussi longtemps qu’elle le souhaitait, et à recopier à la main les documents qu’il contenait. En ce qui concerne l’accès à l’un des éléments de preuve utilisés par le ministère public pour mettre en cause l’auteur, l’État partie explique que c’est au moment de l’audience préliminaire et pendant le procès qu’il convient de faire examiner et de contester les preuves.

6.6En ce qui concerne le droit à un recours utile, l’État partie explique que l’auteur relate les différentes occasions où il a saisi les tribunaux compétents pour exercer sa défense et les décisions que ceux-ci ont rendues. Cela montre bien que l’auteur a eu accès sans restriction au tribunal chargé d’instruire son affaire pour exercer sa défense ainsi qu’aux recours disponibles pour contester les décisions rendues. L’État partie souligne que l’auteur n’a pas épuisé les recours prévus par la loi car il n’a exercé d’actions qu’au début de la procédure, et que la phase préliminaire n’est pas achevée, ni l’éventuelle phase de procès.

6.7En ce qui concerne la violation alléguée du droit à la liberté d’expression et du libre exercice de la profession d’avocat par la restriction du droit de l’auteur à la liberté de circuler, l’État partie explique que l’enquête pénale contre l’auteur est fondée sur des éléments qui laissent présumer qu’une infraction a été commise.

6.8L’État partie soutient que faire l’objet d’une enquête pénale ou d’une mise en cause ne signifie pas que l’on soit victime d’une violation du droit à l’égalité et à la non‑discrimination. Il ajoute que la loi spéciale d’amnistie a été appliquée à toutes les personnes qui, jusqu’à ce jour, étaient visées par ses dispositions et avaient répondu aux poursuites pénales. Il explique que le tribunal a refusé d’appliquer la loi d’amnistie à l’auteur car celui-ci ne remplissait pas les conditions énoncées dans la loi, parce qu’il n’avait pas répondu aux poursuites pénales à son encontre et qu’il n’était pas en situation régulière au moment de l’adoption de la loi. Il fait valoir que les autres accusés ne se trouvaient pas dans la même situation juridique que l’auteur, puisqu’ils étaient légalement présents sur le territoire de l’État partie.

6.9En ce qui concerne le droit à l’honneur et à la réputation, l’État partie fait valoir que les déclarations de l’auteur sont très brèves et qu’il se contente de répéter que la procédure pénale a été suspendue du fait de son absence et qu’il n’a donc pas engagé d’actions judiciaires pour dénoncer les violations alléguées ou y remédier.

6.10L’État partie demande au Comité de déclarer la communication irrecevable ou de constater l’absence de violation des droits de l’auteur.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant le fond

7.1Le 25 septembre 2020, l’auteur a fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie concernant le fond de la communication. Il estime que l’État partie se contente de répéter l’argument d’irrecevabilité selon lequel il ne peut être remédié aux décisions arbitraires prises contre l’auteur parce que celui-ci ne se trouve pas sur le territoire de l’État partie. L’auteur soutient qu’aucune disposition de droit interne n’exige la présence de la personne mise en cause pour que le juge puisse examiner une demande ou un recours valablement introduit par celle-ci. Par conséquent, les juges peuvent et doivent examiner son recours en annulation ou en amparo pénal. Cependant, l’État partie a suspendu de factola procédure judiciaire et subordonné l’exercice de tout acte de procédure à son placement en détention provisoire.

7.2En ce qui concerne le droit d’être entendu par un juge ou un tribunal indépendant et impartial, l’auteur soutient qu’il a documenté et détaillé dans sa lettre initiale chacune des violations alléguées. Il estime que le fait que son affaire soit entendue et puisse continuer d’être entendue par des juges qui peuvent être révoqués à tout moment et de façon discrétionnaire atteste de la violation du droit d’être jugé par des juges indépendants, et montre bien la nécessité que le Comité intervienne pour protéger la victime.

7.3S’agissant du droit à la présomption d’innocence, l’auteur affirme qu’il a documenté et détaillé dans sa lettre initiale chacune des violations alléguées. Il ajoute qu’en paralysant la procédure pénale et en maintenant l’ordre d’interpellation et le mandat d’arrêt délivré à son encontre, sans examiner aucun des recours qu’il a formés, l’État partie le prive du droit à la présomption d’innocence. L’auteur estime que la présomption d’innocence est incompatible avec l’attitude hostile du juge, qui fait obstacle à son droit à la défense et, en pratique, le condamne, sans avoir rendu de jugement, à l’exil, à la rupture de ses liens familiaux et au mépris.

7.4Concernant le droit de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de la défense, l’auteur estime que l’obliger à copier à la main des milliers et des milliers de pages de dossier pénal constitue une charge déraisonnable, arbitraire et disproportionnée. Il rappelle qu’il s’est également vu refuser l’accès à des documents et à des pièces du dossier, notamment des enregistrements vidéo et des entretiens qui étaient en possession de la Procureure et qui ont été utilisés à charge. L’auteur réaffirme que ces obstructions l’ont empêché de se défendre.

7.5Sur le droit de présenter des témoins et de contre-interroger les témoins de l’accusation, l’auteur explique que, dans la pratique, en lui refusant ce droit, l’État partie a empêché la clarification des faits, pour prononcer une condamnation annoncée. Il ajoute que l’État partie prétend limiter l’exercice du droit en question à la dernière phase de la procédure, à savoir le procès. Toutefois, cela impliquerait que le Bureau du Procureur dispose d’un pouvoir absolu et illimité, arbitraire et total. L’auteur fait valoir que c’est précisément pour empêcher cela que l’État partie a adopté le système accusatoire, en introduisant la figure du juge de contrôle dès les premières étapes de la procédure pour vérifier la légalité de l’enquête du ministère public et la protection des droits de l’accusé. Il explique que les premières étapes de la procédure pénale sont précisément celles qui peuvent avoir des conséquences graves, comme la mise en examen ou la détention provisoire, entre autres, et que c’est pour cette raison qu’il est essentiel et fondamental que ce droit soit garanti dès le début de la procédure.

7.6Au sujet du droit à un recours utile, l’auteur explique que bien qu’il ait saisi le juge provisoire de contrôle et la cour d’appel à maintes reprises pour qu’il soit remédié à la violation de ses droits, à aucun moment les juges, dépourvus de toute indépendance et impartialité, n’ont assuré une protection effective. Il soutient qu’il s’agissait de voies de recours de pure forme qui ne pouvaient donner aucun résultat réel, et que le recours en amparopénal qu’il a introduit n’a, quant à lui, jamais été examiné.

7.7Concernant son droit à l’égalité et à la non-discrimination, l’auteur ajoute que poser comme condition à l’application de la loi d’amnistie la présence de l’intéressé dans le pays ne semble pas être légitime, ni répondre à l’obligation d’agir de bonne foi. Il explique que l’État partie a agi ainsi en refusant arbitrairement d’appliquer la loi spéciale d’amnistie à l’auteur, alors que les autres accusés en ont bénéficié. L’auteur ajoute que les poursuites pénales arbitraires à son encontre ont été engagées précisément à des fins de persécution, ce qui constitue une discrimination fondée sur des motifs politiques.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

8.2En ce qui concerne l’examen de l’affaire par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, le Comité note que, selon l’État partie, la communication devrait être déclarée irrecevable car la même question a été soumise à la Commission interaméricaine des droits de l’homme et à la Cour interaméricaine des droits de l’homme.

8.3Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle, conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, une communication sera déclarée irrecevable si elle est en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Il rappelle également sa jurisprudence selon laquelle, si la version espagnole de l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif peut donner lieu à une interprétation du sens de cet alinéa différente de celle qui ressort des autres versions linguistiques, il convient de résoudre cette différence conformément aux dispositions de l’article 33 (par. 4) de la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969, en adoptant le sens qui concilie le mieux les textes authentiques, compte tenu de l’objet et du but du traité. Les termes « ha sido sometido », dans la version espagnole, doivent donc être interprétés à la lumière des autres versions linguistiques, ce qui signifie que le Comité doit s’assurer que la même question « n’est pas déjà en cours d’examen » par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Le Comité considère que cette interprétation concilie le sens de l’article 5 (par. 2 a)) des textes qui, comme il est indiqué à l’article 14 (par. 1) du Protocole facultatif, font également foi. Compte tenu du fait que la même affaire n’est plus pendante devant les instances régionales susmentionnées et que l’État partie n’a pas formulé de réserve à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, le Comité considère qu’il n’y a pas d’obstacle, en vertu de cet article, à ce que la communication soit déclarée recevable. Le Comité considère qu’il convient de prendre dûment en considération les décisions pleinement motivées que les organes du système interaméricain ont prises à l’issue de l’examen de griefs fondamentalement semblables soulevés par l’auteur contre l’État partie. Toutefois, cela ne signifie pas que le Comité ne puisse pas arriver à une conclusion différente, en particulier sur les questions relatives aux normes de droit applicables à la lumière du Pacte.

8.4Le Comité note que l’État partie affirme que la procédure contre l’auteur est suspendue parce que celui-ci a quitté le territoire de l’État partie et n’est pas revenu pour faire face aux poursuites engagées contre lui. Le Comité prend note également des allégations de l’auteur selon lesquelles le seul recours adéquat disponible (en annulation ou amparopénal), bien qu’il ait été exercé, n’a pas donné de résultat ; les autres recours disponibles n’étaient ni adéquats ni utiles ; et les recours en appel ou en cassation qui auraient pu lui être ouverts n’auraient pas permis de faire cesser les violations commises pendant la phase d’enquête et impliquaient une violation de ses droits en exigeant qu’il soit soumis à une détention illégale et arbitraire. Le Comité fait observer, s’agissant des griefs de violation de son droit à l’honneur et à la réputation protégé par l’article 17 du Pacte, que l’auteur ne donne aucune information attestant que ceux-ci ont été soulevés devant les juridictions nationales. Par conséquent, le Comité déclare les griefs soulevés par l’auteur au titre de l’article 17 du Pacte irrecevables au regard de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif.

8.5Le Comité fait observer cependant qu’en l’espèce, en ce qui concerne les autres griefs, la question de l’épuisement des recours internes est intimement liée aux questions de fond. Il estime par conséquent que les dispositions de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif ne font pas obstacle à la recevabilité de la communication.

8.6En ce qui concerne les griefs de l’auteur relatifs aux droits à la liberté et à la sécurité et à la liberté de circuler protégés par les articles 9 et 12 du Pacte, respectivement, le Comité considère que ces griefs n’ont pas été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité et les déclare irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.7S’agissant de la violation alléguée du droit à la liberté d’expression protégé par l’article 19 du Pacte, le Comité prend note de l’argument de l’auteur selon lequel il fait l’objet de poursuites pénales en raison de ses opinions politiques et pour avoir donné son avis professionnel sur le décret en question. Le Comité estime qu’il n’est pas en mesure de déterminer le niveau d’implication de l’auteur dans l’élaboration du décret en question et que l’auteur n’a pas suffisamment expliqué, aux fins de la recevabilité, en quoi la procédure pénale dont il fait l’objet a porté atteinte à son droit à la liberté d’expression. En conséquence, le Comité déclare cette partie de la communication irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.8En ce qui concerne les allégations de l’auteur concernant le droit à l’égalité et à la non‑discrimination protégés par l’article 26 du Pacte, le Comité considère que l’auteur n’a pas suffisamment expliqué, aux fins de la recevabilité, en quoi l’exigence de la loi spéciale d’amnistie selon laquelle les individus doivent être « en situation régulière » pourrait constituer une discrimination contraire au Pacte. Concernant le fait que seuls des civils ont fait l’objet de poursuites pénales en raison du privilège constitutionnel dont bénéficieraient les généraux et les amiraux, lesquels seraient soumis à une procédure spéciale devant le Tribunal suprême de justice (voir par. 3.11 ci-dessus), le Comité considère que l’auteur n’a pas non plus suffisamment démontré, aux fins de la recevabilité, l’existence prima facie d’un traitement discriminatoire fondé sur son statut de civil. En conséquence, il déclare ces griefs irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.9Le Comité considère que les autres griefs soulevés par l’auteur ont été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité. Par conséquent, le Comité déclare recevables les griefs soulevés au titre de l’article 14 (par. 1, 2 et 3 b) et e)) et de l’article 2 (par. 3), lu conjointement avec l’article 14 (par. 1) du Pacte, et passe à leur examen au fond.

Examen au fond

9.1Conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

9.2Le Comité prend note de l’argument de l’auteur selon lequel tous les juges et procureurs qui sont intervenus dans le traitement de son affaire sont des fonctionnaires dont le statut est temporaire ou provisoire, qui sont nommés et peuvent être remplacés de manière discrétionnaire pour des raisons politiques. Il prend note également de l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur n’a pas expliqué dans quelles circonstances de temps et de lieu, ni en quoi son droit avait été violé, mais se contente de décrire les événements qui se sont produits dans le cadre de la procédure judiciaire. Il note que, selon l’État partie, il n’existait pas de lien de causalité particulier avec les révocations de juges mentionnées par l’auteur, puisque celles-ci faisaient suite à des décisions prises par ces juges à l’égard d’autres accusés dans la procédure. Le Comité rappelle que la procédure de nomination des juges et les garanties relatives à leur inamovibilité sont des conditions indispensables à l’indépendance de la justice, et que toute situation dans laquelle le pouvoir exécutif peut contrôler ou diriger le pouvoir judiciaire est incompatible avec le Pacte, une garantie qui s’étend indubitablement aux juges de contrôle aux stades préliminaires de la procédure. À cet égard, la nomination à titre provisoire de membres du pouvoir judiciaire ne saurait dispenser un État partie d’assurer les garanties indispensables à la sécurité dans leur charge des membres ainsi désignés. Indépendamment de la nature de leur nomination, les membres de la magistrature doivent être indépendants, et paraître indépendants. De plus, les nominations à titre provisoire devraient être exceptionnelles et limitées dans le temps. Cette garantie s’étend également aux procureurs en tant que membres du corps judiciaire, car elle constitue une condition élémentaire du bon accomplissement de leurs fonctions procédurales.

9.3En l’espèce, le Comité observe que la garantie d’indépendance ne saurait exiger que l’auteur prouve l’existence d’un lien de causalité direct entre les révocations de juges ou de procureurs et sa situation particulière. Le Comité note que l’auteur a démontré que tous les procureurs et les juges qui sont intervenus dans son affaire avaient été nommés à titre provisoire et que, en droit comme dans les faits, ils pouvaient être révoqués sans motif ni possibilité de recours, conformément à la propre jurisprudence de la Chambre constitutionnelle du Tribunal suprême de justice (voir par. 3.4 ci-dessus). Le Comité observe que l’auteur a démontré que dans le cadre de la procédure pénale à laquelle il était partie, au moins un juge de contrôle (le juge Bognanno) et deux juges d’appel ont effectivement été révoqués sans motif immédiatement après avoir pris des décisions pouvant être considérées comme visant à garantir les droits des coaccusés. Le Comité considère que cela suffit à faire basculer sur l’État partie la charge de prouver que les juges et les procureurs qui sont intervenus dans l’affaire bénéficiaient de garanties d’inamovibilité leur permettant d’exercer leurs fonctions en toute indépendance. L’État partie n’ayant pas communiqué d’informations réfutant les allégations de l’auteur ou démontrant l’existence de ces garanties, le Comité estime, à la lumière des renseignements dont il dispose, que les juges et les procureurs qui sont intervenus dans la procédure pénale concernant l’auteur ne jouissaient pas des garanties d’indépendance nécessaires pour garantir le droit de l’auteur à être entendu par un tribunal indépendant conformément à l’article 14 (par. 1) du Pacte, en violation de cette disposition.

9.4Le Comité prend note de l’argument de l’auteur selon lequel plusieurs autorités publiques ont établi une présomption de culpabilité à son encontre en faisant des déclarations publiques le déclarant coupable de l’infraction pour laquelle il était poursuivi, en violation de l’article 14 (par. 2) du Pacte. Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur reproduisait des lettres émanant d’agents des services diplomatiques qui n’étaient pas parties à la procédure judiciaire engagée contre lui, ayant trait à des activités sans lien avec la procédure pénale et dont le contenu n’avait pas été utilisé pour étayer les accusations portées par le ministère public. Le Comité rappelle que toutes les autorités publiques ont le devoir de s’abstenir de préjuger de l’issue d’un procès, par exemple de s’abstenir de faire des déclarations publiques affirmant la culpabilité de l’accusé. Le Comité considère qu’il peut y avoir violation du droit à la présomption d’innocence même si les autorités ne sont pas directement impliquées dans la procédure, et même si leurs commentaires n’ont pas servi de base à la mise en cause de l’intéressé.

9.5Dans le cas présent, le Comité prend note en particulier des déclarations du Président en exercice dans l’État partie à l’époque des faits, qui, dans des propos tenus à la télévision, a identifié l’auteur comme ayant rédigé le décret en question et participé au coup d’État. Le Comité observe également qu’en septembre 2005, soit un mois avant la mise en accusation de l’auteur par la Procureure provisoire le 21 octobre, le Procureur général de la République de l’époque, responsable de la nomination de ladite Procureure, a publié un ouvrage dans lequel il affirmait que la paternité du décret en question revenait à l’auteur. Le Comité souligne aussi que l’Ambassadrice de l’État partie au Costa Rica a affirmé que l’auteur avait participé matériellement et intellectuellement à la rédaction du décret et avait donné des instructions pour apporter des corrections au texte, et qu’il était conscient de toutes les infractions qu’il commettait et avait fui le pays pour cette raison. L’État partie n’ayant pas communiqué d’informations réfutant les allégations de l’auteur, et en l’absence, au moment où ont été faites les déclarations des autorités publiques, d’un jugement établissant la responsabilité pénale de l’auteur, le Comité considère, au vu des renseignements dont il dispose, qu’il y a eu violation du principe de la présomption d’innocence, protégé par l’article 14 (par. 2) du Pacte, à l’égard de l’auteur.

9.6Le Comité prend note de l’argument de l’auteur selon lequel il n’a pas été autorisé à obtenir une copie du dossier à charge et s’est vu refuser l’accès à certains enregistrements vidéo versés au dossier, dont certains ont servi à sa mise en accusation, en violation de son droit à disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense, protégé par l’article 14 (par. 3 b)) du Pacte. Le Comité note que l’État partie affirme que l’auteur a pu consulter le dossier et recopier à la main les documents qu’il contient, et que c’est au moment de l’audience préliminaire et du procès que les preuves peuvent être vérifiées. Le Comité rappelle que le droit d’un accusé à disposer des facilités nécessaires à la préparation de sa défense comprend l’accès à tous les éléments à charge que l’accusation compte produire à l’audience, ou à décharge. Le Comité considère également que le refus de délivrer des copies du dossier d’enquête peut constituer une charge disproportionnée au détriment d’un accusé. Toutefois, en l’espèce, le Comité observe que l’auteur et ses avocats ont pu avoir pleinement accès au dossier et copier à la main les éléments qui présentaient selon eux un intérêt pour la défense. Le Comité considère que, au vu des informations disponibles, il ne peut pas déterminer dans quelle mesure le fait de ne pas avoir obtenu de copies ou ne pas avoir eu accès à des enregistrements vidéo qui auraient été versés au dossier, ycompris à leur transcription complète, aurait porté atteinte au droit de l’auteur à disposer du temps et des moyens nécessaires à la préparation de sa défense. Le Comité observe également que, compte tenu du stade précoce de la procédure, il ne peut conclure que le droit de l’auteur à présenter des témoins et à contre‑interroger les témoins à charge, protégé par l’article 14 (par. 3 e)) du Pacte, a été violé. Le Comité estime donc que les faits décrits par l’auteur ne lui permettent pas de conclure à une violation des droits que ce dernier tient de l’article 14 (par. 3 b) et e)) du Pacte.

9.7En ce qui concerne le droit à un recours utile, protégé par l’article 2 (par. 3), lu conjointement avec l’article 14 (par. 1) du Pacte, le Comité prend note de l’argument de l’auteur selon lequel il n’a jamais reçu de réponse au seul recours qui était approprié (le recours en annulation ou amparopénal, qu’il a exercé à deux reprises), ce qui l’a laissé sans possibilité de se défendre. Le Comité note également que l’État partie soutient que l’auteur a exercé uniquement les recours prévus au début de la procédure et n’a pas exercé ceux de la phase préliminaire et du procès et a eu accès sans restriction au tribunal de contrôle lors de la phase initiale. Le Comité note que tous les recours que l’État partie présente comme des recours utiles supposent que l’auteur revienne dans l’État partie et soit placé en détention provisoire.

9.8Le Comité souligne le contexte particulier dans lequel s’inscrit la situation de contumace dans laquelle se trouve l’auteur, notamment le fait que l’auteur a amplement collaboré à la procédure pénale engagée contre lui (il a notamment personnellement contribué à la prise de notes sur son dossier), qu’il a fait preuve de la diligence voulue pendant la phase préliminaire d’enquête, en formant plusieurs recours visant à contester les preuves à charge et à présenter des preuves en sa faveur, qu’il a quitté légalement le territoire de l’État partie, qu’il a formé un recours en annulation avant sa mise en accusation par la Procureure, et qu’il a formé un deuxième recours en annulation avant sa mise en examen par le juge et la demande de détention provisoire. Le Comité considère que l’auteur a suffisamment étayé sa crainte de faire l’objet d’un procès arbitraire, en violation de ses droits et garanties, et de violations plus graves encore en cas de placement en détention provisoire, autant d’arguments qui ont été dûment et à maintes reprises portés à l’attention des autorités judiciaires chargées de veiller au respect de son droit à une procédure régulière. Le Comité observe que, dans les circonstances de l’espèce, l’accès à un recours qui donne effet au droit à une procédure régulière ne saurait être subordonné à la condition que l’intéressé se soumette à une procédure injustifiée. Cela implique que, indépendamment des dispositions du droit interne, l’État partie ne peut invoquer ces dispositions pour justifier le non-respect de ses obligations au titre du Pacte. Par conséquent, et compte tenu des informations dont il dispose, le Comité estime qu’il y a eu violation du droit de l’auteur à un recours utile en ce qu’il a été porté atteinte à son droit à une procédure régulière, en particulier le droit d’avoir accès à un tribunal indépendant, reconnu par l’article 2 (par. 3), lu conjointement avec l’article 14 (par. 1) du Pacte.

10.Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie de l’article 14 (par. 1 et 2) et de l’article 2 (par. 3), lu conjointement avec l’article 14 (par. 1), du Pacte.

11.Conformément à l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits ont été violés. En conséquence, l’État partie est tenu, entre autres, de : a) déclarer nulle la procédure engagée contre l’auteur, et donc d’invalider l’ordre de détention provisoire délivré à son encontre ; b) dans le cas où une nouvelle procédure serait engagée contre l’auteur, veiller à ce que celle-ci soit menée dans le respect de toutes les garanties d’une procédure régulière prévues à l’article 14 du Pacte et garantir l’accès à des recours utiles conformément à l’article 2 (par. 3) ; c) offrir à l’auteur une indemnisation appropriée. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas.

12.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsque la réalité d’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles.

Annexe I

[Original : anglais]

Opinion conjointe (partiellement dissidente) d’Arif Bulkan et Hélène Tigroudja

1.Nous regrettons que la majorité n’ait pas examiné de façon rigoureuse les griefs soulevés au titre de l’article 14 (par. 3 b) et e) concernant l’accès à certains éléments de preuve versés au dossier et le droit de contre-interroger les témoins.

2.Nous estimons que le raisonnement de la majorité sur ces points (par. 9.6 des constatations) est ambigu et ne reflète pas la jurisprudence internationale établie de longue date. La Cour européenne des droits de l’homme et la Cour interaméricaine des droits de l’homme ont toutes les deux affirmé de façon claire que les droits de la défense s’appliquaient dès le stade de l’enquête, soulignant que cette protection précoce contribuait à éviter les erreurs judiciaires et à garantir les objectifs du droit à un procès équitable. Nous pensons que ce principe est suffisamment important pour le réaffirmer avant de déterminer à quel moment l’auteur a invoqué ces droits. Il est vrai que, d’après le dossier, l’auteur n’a pas développé son argumentation sur le droit de citer des témoins et la majorité aurait pu rejeter cette partie de la communication pour défaut de fondement.

3.En ce qui concerne l’accès aux preuves en tant que pilier du droit à la préparation de sa défense, dans son observation générale no 32 (2007), le Comité a souligné que ce droit doit « comprendre l’accès aux documents et autres éléments de preuve, à tous les éléments à charge que l’accusation compte produire à l’audience, ou à décharge » (par. 33). Le Comité a conclu à une violation de l’article 14 (par. 3 b)) dans une affaire où l’auteur avait été empêché de voir certaines preuves classées secrètes, rappelant « qu’au sens de l’alinéa b) du paragraphe 3 de l’article 14, les “facilités nécessaires” [devaient] comprendre l’accès aux documents et autres éléments de preuve, notamment à tous les éléments que l’accusation [comptait] produire à l’audience ». La Cour interaméricaine des droits de l’homme a également souligné ce point dans une autre affaire dans laquelle l’accès aux preuves et au dossier d’enquête était en question.

4.Cependant, en l’espèce, la position de la majorité (par. 9.6 des constatations) ne suit pas cette jurisprudence bien établie. Notamment, bien que l’État partie n’ait pas répondu à l’allégation de l’auteur selon laquelle il s’était vu refuser l’accès à des enregistrements vidéo, la majorité des membres du Comité n’a pas tenu compte de ce manquement et a, au contraire, fait peser la charge de la preuve sur l’auteur, au motif qu’il n’avait pas démontré dans quelle mesure le fait de ne pas avoir eu accès à des copies ou à la transcription complète de certains enregistrements versés au dossier avait porté atteinte à son droit de disposer du temps et des moyens nécessaires à sa défense. Non seulement la charge de la preuve est déraisonnable, mais il s’agit en réalité d’une forme de probatio diabolica, c’est-à-dire que, pour se voir accorder le droit d’accéder aux copies et aux enregistrements vidéo en question, l’auteur doit démontrer que le fait de ne pas y avoir eu accès a porté atteinte à son droit à la défense.

5.Nous sommes d’avis que, compte tenu des allégations circonstanciées de l’auteur concernant l’accès à certains éléments de preuve et en l’absence d’explications suffisantes de la part de l’État partie, les faits font apparaître une violation de l’article 14 (par. 3 b)) du Pacte.

Annexe II

[Original : anglais]

Opinion individuelle (partiellement dissidente) de Vasilka Sancin

1.Je ne suis pas d’accord avec la conclusion de la majorité selon laquelle les faits présentés par l’auteur ne permettent pas au Comité de conclure à une violation des droits protégés par l’article 14 (par. 3 b)) du Pacte. J’estime que l’État partie a également manqué à veiller à ce que l’auteur dispose des moyens nécessaires à la préparation de sa défense, puisque celui-ci n’a pas eu accès à tous les éléments, en particulier à toutes les vidéos qui ont servi à sa mise en accusation.

2.L’État partie n’a jamais réfuté l’argument de l’auteur selon lequel il n’avait pas eu accès à toutes les vidéos ayant servi à sa mise en accusation (par. 3.7, 6.5 et 7.4 des constatations). Toute documentation recueillie et utilisée avant l’audience préliminaire et le procès est également indispensable à la préparation de la défense et le comportement de l’État partie a constitué une restriction injustifiée de la capacité de l’auteur à préparer sa défense. Il s’ensuit que les facilités dont l’auteur a bénéficié pour préparer sa défense n’étaient pas adéquates, ce qui a porté atteinte au principe de l’égalité des armes.

3.Je ne suis pas d’accord avec le raisonnement de la majorité selon lequel c’est l’auteur qui aurait dû démontrer dans quelle mesure ne pas avoir eu accès à des copies ou à la transcription complète de certains enregistrements versés au dossier avait porté atteinte à son droit de disposer des facilités nécessaires à la préparation de sa défense (par. 9.6 des constatations). À mon sens, ce droit fait obligation à l’État partie de communiquer tous les éléments que l’accusation compte produire à l’audience et, lorsque, comme c’est le cas en l’espèce, l’auteur démontre que l’État partie a, à un stade quelconque de la procédure, considérablement limité son accès à de tels éléments, le Comité devrait conclure à une violation du droit protégé par l’article 14 (par. 3 b)) du Pacte.

Annexe III

[Original : anglais]

Opinion individuelle (partiellement dissidente) de José Manuel Santos Pais

1.J’hésite à conclure, comme le fait la majorité, qu’il n’est pas nécessaire que les autorités soient directement impliquées dans la procédure en question pour que leurs actions donnent lieu à la violation de droits, ni que leurs commentaires soient présentés comme des éléments de la mise en accusation.

2.En l’espèce, la procédure pénale est encore à un stade préliminaire, où la mise en accusation met fin à la phase préparatoire de la procédure (voir la deuxième note de bas de page au paragraphe 2.5 des constatations). L’auteur se trouvant hors du territoire de l’État partie, la procédure a dû être suspendue à partir de ce moment-là en raison de son absence (par. 6.1 des constatations). Les déclarations publiques des fonctionnaires concernés n’auraient donc pas pu, du moins à ce moment-là, avoir une incidence significative sur cette procédure : l’auteur n’a pas encore présenté sa défense, on ne sait pas s’il y aura un procès et encore moins, le cas échéant, quelle en sera l’issue, puisqu’aucun jugement établissant la responsabilité pénale de l’auteur n’a encore été rendu.

3.En concluant, à ce stade, qu’il y a eu violation de l’article 14 (par. 2) du Pacte, le Comité établit une présomption de culpabilité de l’État partie, que celui-ci ne pourra jamais renverser, quelle que soit l’issue future de la procédure pénale en cours contre l’auteur, puisque les déclarations publiques des agents publics concernés ont déjà été faites. La même conclusion s’imposera inévitablement si une nouvelle procédure pénale, remplaçant la procédure actuelle, est engagée contre l’auteur, si la procédure pénale en cours est considérée comme nulle et non avenue.

4.D’autre part, en concluant d’ores et déjà à une violation de l’article 14 (par. 2), le Comité empêche les juridictions internes de renverser cette présomption de culpabilité de l’État partie et de prouver que l’ingérence de l’exécutif ou d’autres branches du Gouvernement n’a finalement pas suffi à porter atteinte à l’indépendance de la justice.

5.Plusieurs constatations du Comité, contrairement à la position adoptée en l’espèce, semblent exiger que l’auteur fournisse des preuves de l’incidence qu’une déclaration publique particulière a eue sur l’issue de son procès, comme dans les affaires Khudayberdiev c. Kirghizistan, Kh . B. c. Kirghizistan et Orkin c. Fédération de Russie .

6.Je n’aurais donc pas conclu à une violation par l’État partie de l’article 14 (par. 2) du Pacte à un tel stade préliminaire de la procédure pénale.