Nations Unies

CCPR/C/130/D/2946/2017

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

8 juin 2021

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Décision adoptée par le Comité en vertu du Protocole facultatif, concernant la communicationno 2946/2017 * , **

Communication présentée par :

F. M. (représenté par un conseil, Daniel Nørrung)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteur

État partie :

Danemark

Date de la communication :

1er février 2017 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 3 février 2017 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision:

6 novembre 2020

Objet :

Expulsion vers l’Afghanistan

Question(s) de procédure :

Fondement des griefs

Question(s) de fond :

Non-refoulement

Article(s) du Pacte :

6 et 7

Article(s) du Protocole facultatif :

2

1.1L’auteur de la communicationest F. M., de nationalité afghane. Le Danemark ayant rejeté sa demande d’asile, il risque d’être expulsé vers l’Afghanistan. Il affirme qu’en l’expulsant, le Danemark violerait les droits qu’il tient des articles6 et 7 du Pacte. L’auteur est représenté par un conseil.

1.2Le 3 février 2017, le Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, agissant au nom du Comité, a demandé à l’État partie de ne pas expulser l’auteur tant que sa communication serait à l’examen. Le 6 février 2017, la Commission danoise de recours des réfugiés a suspendu jusqu’à nouvel ordre le délai fixé pour le départ de l’auteur du Danemark.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1La famille de l’auteur a fui l’Afghanistan pour se réfugier en République islamique d’Iran en raison d’un conflit dans le cadre duquel le père de l’auteur a été enlevé, torturé et blessé par balle. L’auteur est né en République islamique d’Iran. La famille a déménagé plusieurs fois puis a fini par fuir le pays, le père de l’auteur craignant d’être retrouvé et maltraité par ceux qui l’avaient déjà agressé. Il n’a guère donné de détails à l’auteur sur le conflit auquel il avait été mêlé en Afghanistan et lui a simplement expliqué qu’il avait peur de retourner dans ce pays et que des individus étaient venus au domicile de la famille en République islamique d’Iran pour tenter de le retrouver.

2.2L’auteur ne sait pas exactement quand il a quitté la République islamique d’Iran avec sa famille. Ils ont ensuite résidé en Turquie pendant environ onze mois. L’auteur et son frère cadet ont perdu contact avec le reste de la famille lorsque, par manque de place, ils ont dû embarquer sur un autre bateau pour se rendre en Grèce. Ils ont été arrêtés au Danemark, où le frère cadet de l’auteur, qui était mineur, s’est vu accorder l’asile.

2.3L’auteur avait en Afghanistan un grand-père à qui il téléphonait une fois par an. L’auteur ne sait plus exactement où vit celui-ci ni même s’il est encore en vie. Il avait une grand‑mère en République islamique d’Iran, mais lorsque sa famille et lui ont quitté le pays, elle a dit qu’elle rentrerait peut-être en Afghanistan. L’auteur n’a aucun contact avec elle et ne sait pas où elle se trouve. Il n’a pas d’autres parents et ne connaît personne en Afghanistan. Il n’y est jamais allé et en connaît mal la langue et les traditions. Il ne fait pas la différence, par exemple, entre coutumes iraniennes et coutumes afghanes.

2.4Le 17 juillet 2016, la demande d’asile présentée par l’auteur a été rejetée par le Service danois de l’immigration. Le 5 janvier 2017, la Commission de recours des réfugiés a confirmé cette décision et l’auteur a été placé en détention en attendant d’être expulsé.

2.5Entre-temps, le 31 décembre 2016, l’auteur s’est fait tatouer une croix et une rose sur le bras. Il a expliqué qu’il savait que la croix était un symbole chrétien, qu’il était attiré par la religion chrétienne, dont il savait qu’elle prêchait l’amour, mais qu’il n’en savait pas plus sur le christianisme et ne s’était pas converti. Lorsqu’on lui a demandé s’il était conscient qu’il était risqué d’avoir une croix tatouée sur le bras en Afghanistan, il a expliqué qu’il ne comprenait pas ce qu’impliquait le fait d’aller en Afghanistan, puisqu’il n’y était jamais allé, et qu’il n’avait donc pas tenu compte des risques. Lorsqu’on lui a demandé s’il se ferait enlever son tatouage s’il était expulsé vers l’Afghanistan, il a répondu qu’il ne pouvait pas et ne voulait pas enlever ce qu’il avait dans le cœur. Il a également expliqué qu’en République islamique d’Iran, il portait au cou, comme talisman, une croix qu’il dissimulait aux yeux de tous à l’exception de ses amis les plus proches. Il n’avait pas informé plus tôt les autorités de l’État partie de l’existence de cette croix ou de ce tatouage parce qu’il estimait qu’ils étaient sans rapport avec sa demande d’asile.

2.6Sur la base de ces nouveaux éléments, l’auteur a demandé la réouverture de son dossier d’asile le 13 janvier 2017. Quatre jours plus tard, la Commission de recours des réfugiés a fait savoir à l’auteur que sa demande serait instruite dans un délai de dix à douze mois et que la procédure n’avait pas d’effet suspensif.

2.7L’auteur soutient qu’étant donné que les décisions de la Commission de recours des réfugiés ne peuvent pas être contestées devant les tribunaux et que, de surcroît, sa demande de réouverture de son dossier d’asile n’a pas d’effet suspensif, il a épuisé tous les recours internes disponibles.

Teneur de la plainte

3.L’auteur affirme que son expulsion vers l’Afghanistan l’exposerait à un risque réel de subir un traitement contraire aux articles 6 et 7 du Pacte parce qu’il n’est pas né en Afghanistan et n’y est jamais allé, parce qu’il est jeune, ne connaît pas bien la langue et les traditions de ce pays et n’y a ni famille ni réseau, parce que son plus jeune frère réside légalement au Danemark (du fait qu’il y est arrivé mineur) et parce qu’il n’est pas un musulman pratiquant, qu’il a une croix tatouée sur le bras et qu’il s’intéresse à la religion chrétienne. Renvoyant aux constatations adoptées par le Comité en l’affaire A. A. S. c. Danemark,il soutient que les autorités de l’État partie n’ont pas accordé suffisamment de poids à l’effet cumulatif de ces circonstances.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une note verbale datée du 1er août 2017, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et sur le fond. Il soutient que la communication est irrecevable pour défaut manifeste de fondement et que l’expulsion de l’auteur vers l’Afghanistan ne constituerait pas une violation de l’article 7 du Pacte.

4.2L’auteur est arrivé au Danemark et a demandé l’asile le 7 septembre 2015. Le Service danois de l’immigration a rejeté sa demande le 17 juillet 2016. Cette décision a été confirmée par la Commission de recours des réfugiés le 5 janvier 2017. La Commission a ajouté foi au récit fait par l’auteur de ce qui lui était arrivé mais elle a noté qu’il n’avait jamais eu de conflit en Afghanistan et qu’affirmer qu’il y serait persécuté en raison du conflit passé de son père, antérieur à sa naissance, relevait d’une supposition de sa part. De même, son affirmation selon laquelle les inconnus qui s’étaient présentés au domicile de sa famille en République islamique d’Iran étaient ceux qui avaient enlevé son père relevait d’une supposition. Les circonstances socioéconomiques invoquées par l’auteur, notamment la situation générale en Afghanistan, et le fait qu’il n’y soit jamais allé et n’y dispose pas d’un réseau de connaissances, ne justifiaient pas une évaluation différente, la Commission ayant fait observer que l’intéressé était un homme jeune, en bonne santé et apte à travailler, et que les circonstances qu’il invoquait n’entraient pas dans le champ de l’évaluation.

4.3Le 11 avril 2017, la Commission de recours des réfugiés a rejeté la demande de réouverture de son dossier présentée par l’auteur le 13 janvier 2017, demande dans laquelle il indiquait qu’il s’était fait tatouer une rose et une croix sur le bras et qu’il était attiré par le christianisme. La Commission a estimé qu’aucun nouvel élément essentiel n’avait été présenté et que l’attirance pour le christianisme et le tatouage de l’auteur n’étaient pas de nature à modifier ses conclusions. Elle a noté qu’il avait déclaré, lorsqu’il avait été entendu par les agents du Service danois de l’immigration le 13 novembre 2015, qu’il était musulman sunnite, qu’il jeûnait pendant le ramadan, qu’il ne priait pas beaucoup et qu’il n’avait pas de raison particulière de prier ou ne pas prier. La Commission a également noté que lors de cette audition, il n’avait pas indiqué qu’il s’était fait tatouer ce qu’il déclare être un symbole chrétien et qu’il n’avait évoqué son intérêt pour le christianisme que dans sa demande de réouverture de son dossier. Étant donné que l’auteur ne se considérait pas comme chrétien, la Commission a estimé que son tatouage de ce qu’il disait être une croix ne permettait pas en soi d’affirmer qu’il serait probablement considéré comme chrétien en Afghanistan.

4.4L’État partie fait observer que, selon l’article 53 a) de la loi sur les étrangers, les décisions de rejet des demandes d’asile rendues par le Service danois de l’immigration font automatiquement l’objet de recours devant la Commission de recours des réfugiés, et que ces recours suspendent l’exécution de la décision contestée. La Commission de recours des réfugiés est un organe quasi judiciaire indépendant. Son président et son vice-président sont des magistrats et ses autres membres doivent être avocats ou occuper un poste au Ministère de l’immigration et de l’intégration. Aux termes du paragraphe1 de l’article53 de la loi sur les étrangers, les membres de la Commission siègent en toute indépendance et ne peuvent accepter ni solliciter d’instructions des autorités responsables de leur nomination, et ils ne peuvent être suspendus ou révoqués (à l’instar des juges) que par la Cour spéciale de mise en accusation et de révision. Les décisions de la Commission sont définitives. Toutefois, en vertu des dispositions de la Constitution, les étrangers peuvent saisir les juridictions de droit commun, qui sont habilitées à statuer sur des questions relatives aux limites de la compétence des autorités publiques. Le contrôle juridictionnel des décisions de la Commission porte donc uniquement sur les points de droit.

4.5L’État partie fait observer que les étrangers se voient accorder un permis de séjour en vertu de la loi sur les étrangers s’ils ont le statut de réfugié au regard de la Convention relative au statut des réfugiés, ou s’ils risquent la peine de mort ou d’être soumis à la torture ou à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. La loi sur les étrangers prévoit l’application sans exception du principe denon-refoulement, et un certain nombre de directives sur la protection juridique des demandeurs d’asile en droit international garantissent la conformité des décisions des autorités aux obligations en la matière.

4.6L’État partie souligne qu’en pratique la Commission de recours des réfugiés commet d’office, dans toutes les affaires d’asile, un conseil auquel elle transmet le dossier du demandeur d’asile bien avant la date de l’audition. En pratique, avant d’être entendus, les demandeurs d’asile s’entretiennent toujours avec leur conseil, lequel dépose des conclusions dans la grande majorité des cas. Sont présents aux auditions de la Commission le demandeur d’asile et son conseil ainsi qu’un interprète et un représentant du Service danois de l’immigration. Le demandeur d’asile fait une déclaration et peut produire des éléments de preuve supplémentaires. Des questions lui sont posées, à la suite de quoi son conseil et le représentant du Service danois de l’immigration peuvent présenter oralement des arguments. Le demandeur d’asile peut faire une déclaration finale. En principe, la Commission se prononce immédiatement après l’audition. Ses décisions se fondent sur une appréciation faite au cas par cas à la lumière de tous les éléments utiles, y compris des informations sur le pays d’origine du demandeur d’asile.

4.7L’État partie fait observer que les demandeurs d’asile sont informés qu’ils sont tenus de fournir des informations détaillées et qu’il est important qu’ils le fassent. La Commission de recours des réfugiés fonde son évaluation sur une appréciation générale des déclarations faites par le demandeur d’asile et de son attitude au cours de son audition, ainsi que sur d’autres informationsconcernant notamment le pays d’origine de l’intéressé. La Commission dispose d’un ensemble complet d’informations, qu’elle met constamment à jour en se fondant sur diverses sources. En principe, elle ajoute foi aux déclarations des demandeurs d’asile si celles‑ci sont cohérentes et concordantes, et demande des éclaircissements lorsqu’elles comportent des incohérences, des variationsou des omissions. Toute incohérence au sujet d’éléments essentiels peut entamer la crédibilité du requérant ; en pareil cas, la Commission tient compte, entre autres, des explications du demandeur d’asile, ainsi que de sa situation, notamment des différences culturelles, de son âge et de son état de santé. Dans certains cas, il peut être nécessaire d’accorder davantage de poids aux éléments objectifs en raison de l’âge du demandeur d’asile ou de son état de santé mentale.

4.8L’État partie fait observer que la communication à l’examen ne contient aucun élément justifiant une remise en question de l’appréciation de la Commission de recours des réfugiés. Il soutient que l’auteur n’a pas démontré que son expulsion vers l’Afghanistan constituerait une violation des droits qu’il tient de l’article 7 du Pacte. Il rappelle que, selon le Comité, il faut des motifs sérieux pour conclure à l’existence d’un risque réel de préjudice irréparable. Il invoque également la norme qu’applique le Comité lors de l’examen des communications, à savoir qu’un poids considérable doit être accordé à l’évaluation faite par l’État partie et que, d’une manière générale, c’est aux organes des États parties qu’il appartient d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée, sauf s’il peut être établi que cette appréciation a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice. L’État partie avance qu’en l’espèce, l’auteur n’a pas établi que tel était le cas car il s’est contenté de contester l’appréciation en cause et n’a relevé aucune irrégularité dans la procédure de prise de décisionsni aucun facteur de risque qui n’aurait pas été dûment pris en considération. Il soutient que l’auteur cherche à utiliser le Comité comme une instance d’appel pour obtenir le réexamen de son dossier, alors même que celui-ci a déjà été examiné deux fois au Danemark et que l’auteur a eu la possibilité de présenter ses arguments oralement et par écrit avec l’aide d’un conseil, ce qui a permis à la Commission de recours des réfugiés de procéder à une évaluation exhaustive et approfondie.

4.9L’État partie fait observer que la communication ne contient aucun élément nouveau sur la situation de l’auteur en Afghanistan. Il relève que la situation générale en Afghanistan n’est pas de nature à justifier que l’auteur se voie accorder l’asile. S’agissant des conclusions de la Commission de recours des réfugiés, il fait remarquer que l’auteur n’a pas démontré qu’il courrait personnellement un risque particulier d’être victime de persécution ou de sévices en Afghanistan. En soi, le fait qu’il ne connaisse pas bien la société et les traditions afghanes et qu’il n’aitni famille ni connaissances sur place ne justifie pas non plus qu’on lui accorde l’asile. L’auteur est un homme jeune, en âge de travailler, célibataire et qui n’a pas de problèmes de santé ; en outre, compte tenu de ses déclarations concernant ses grands‑parents, on ne saurait considérer qu’il n’a pas de famille en Afghanistan. Il n’a jamais eu de conflit dans ce pays et semble être quelqu’un qui n’attire pas l’attention. Sonaffirmation selon laquelle il serait persécuté en Afghanistan en raison du conflit passé de son père relève d’une supposition de sa part.

4.10En ce qui concerne son intérêt pour le christianisme, son tatouage et la croix qu’il porte au cou, l’auteur n’en a fait état que dans sa demande de réouverture de son dossier, alors même qu’il avait été informé qu’il était important qu’il fournisse toutes les informations pertinentes ; il aurait donc dû communiquer ces informations avant son audition par la Commission le 5janvier 2017. En outre, interrogé sur son appartenance religieuse en plusieurs occasions au cours de la procédure, il a répondu qu’il était musulman sunnite sans toutefois être un croyant assidu. L’État partie a jugé peu convaincante l’explication qu’il a donnée pour justifier la communication tardive de ces informations, à savoir qu’il estimait qu’elles étaient sans rapport avec son dossier. L’État partie trouve étrange que l’auteur ait décidé de se faire tatouer ce qu’il dit être une croix quelques jours à peine avant d’être entendu par la Commission de recours des réfugiés et n’en ait informé ni son conseil ni la Commission, alors qu’il déclare que son intérêt pour le christianisme et ce tatouage symbolique sont très importants pour lui. L’État partie en conclut que l’intérêt qu’il prétend porter au christianisme est feint. Il est peu probable qu’en raison de ce seul tatouage l’auteur soit considéré comme chrétien en Afghanistan ; lui‑même ne se considère pas comme tel, et selon les informations disponibles sur le pays, même si l’on apprend qu’une personne a invoqué sa conversion pour demander l’asile, cela ne signifie pas qu’elle est en danger, car les Afghans se montrent très compréhensifs envers leurs compatriotes qui sont prêts à tout pour obtenir un permis de séjour en Europe.

4.11L’État partie fait observer que les constatations adoptées par le Comité en l’affaire A. A. S . c. Danemark, auxquelles se réfère l’auteur, et l’argument de l’auteur selon lequel les autorités n’ont pas accordé suffisamment de poids à l’effet cumulatif des particularités de sa situation individuelle ne sauraient conduire à une appréciation différente, puisque la Commission de recours des réfugiés a procédé à une évaluation globale fondée sur les déclarations de l’auteur et les informations disponibles sur le pays. L’État partie soutient que cette évaluation ne permet pas de conclure que l’auteur courrait un risque de persécution ou de violences justifiant l’octroi de l’asile.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1Le 15janvier 2019, l’auteur a présenté, sur les observations de l’État partie, des commentaires dans lesquels il reprend ses arguments initiaux (voir par. 2.1 à 2.3 ci‑dessus).

5.2L’auteur soutient que, dans le cadre de la procédure devant le Service danois de l’immigration, les demandeurs d’asile ne bénéficient pas obligatoirement de l’aide d’un conseil ou d’une tierce partie indépendante. Il réaffirme qu’en droit danois les décisions de la Commission de recours des réfugiés ne sont pas susceptibles de recours devant les juridictions de droit commun bien qu’elles portent sur des questions cruciales. Il fait valoir que la Commission n’est pas une juridiction : ses audiences ne sont pas publiques, elle n’entend des témoins que dans des circonstances exceptionnelles et imprévisibles, et l’un de ses membres est nommé et généralement employé par le ministère qui rend la décision initiale et dont le Service danois de l’immigration relève administrativement, ce qui compromet la neutralité de laCommission.

5.3L’auteur avance que les faits de l’espèce l’exposeraient au risque de subir un traitement contraire aux articles6 et 7 du Pacte s’il était expulsé vers l’Afghanistan. Il soutient, premièrement, que l’État partie ajoute foi à son récit ;deuxièmement, que l’État partie ne lui a pas accordé le bénéfice du doute pour ce qui est du conflit de son père et que nul ne sait si ceux qui ont persécuté son père n’essaieront pas de le persécuter aussi ; troisièmement, que sa jeunesse, le fait qu’il ne pratique pas assidûment l’islam, le fait que sa manière de parler révélera qu’il n’est jamais venu en Afghanistan et le fait qu’il n’a nulle part où aller pour trouver refuge dans ce pays sont autant d’éléments qui, pris ensemble, l’exposent à un risque de préjudice irréparable en cas d’expulsion ; et,quatrièmement, que son tatouage représentant une croix aggrave ce risque. L’auteur ne savait pas que ce tatouage était pertinent aux fins de sa demande d’asile et conteste par conséquent l’observation de l’État partie selon laquelle le moment qu’il a choisi pour se faire tatouer était « étrange ». Il a déclaré dans le cadre de la procédure d’asile que depuis son arrivée au Danemark sa pratique de l’islam avait été très limitée et que, s’il ne prétendait pas s’être converti au christianisme, son intérêt pour cette religion, attesté par son tatouage, ainsi que sa connaissance insuffisante des normes afghanes l’exposeraient à un risque sérieux qu’on le soupçonne de s’être converti s’il était expulsé d’un pays européen.

Observations complémentaires de l’État partie

6.Le 8 février 2019, l’État partie a fait savoir que les commentaires de l’auteur ne modifiaient en rien ses précédentes observations. Il soutient que la communication devrait être déclarée irrecevable parce que manifestement dénuée de fondement et, à titre subsidiaire, que l’expulsion de l’auteur vers l’Afghanistan ne constituerait pas une violation de l’article 7 du Pacte.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Le Comité note que l’auteur affirme qu’il a épuisé tous les recours internes utiles à sa disposition et que les décisions de la Commission de recours des réfugiés ne peuvent pas être contestées devant les tribunaux. En l’absence d’objection de l’État partie sur ce point, le Comité considère que les conditions énoncées au paragraphe2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif sont remplies.

7.4Le Comité note également que, selon l’auteur, les autorités de l’État partie n’ont pas accordé un poids suffisant à l’effet cumulatif des circonstances découlant des faits suivants : il n’est pas né en Afghanistan et n’y est jamais allé, il est jeune, il ne connaît pas bien la langue et les traditions de l’Afghanistan et n’a pas de réseau familial ou autre dans ce pays, son frère mineur réside légalement au Danemark, il n’est pas un musulman convaincu, il a une croix tatouée sur le bras et il est attiré par le christianisme. Le Comité considère que ces arguments montrent que l’auteur conteste l’appréciation des autorités nationales compétentes mais n’établissent pas que des erreurs aient été commises. Il prend note des arguments de l’État partie selon lesquels il a tenu compte de toutes les particularités de la situation de l’auteur et constaté que celui-ci n’avait jamais eu de conflit avec quiconque en Afghanistan et semblait être quelqu’un qui n’attire pas l’attention, et qu’il était un homme jeune, célibataire, en âge de travailler et qui n’avait pas de problème de santé. Le Comité note en outre que, selon les éléments versés au dossier, la langue maternelle de l’auteur est le dari et qu’il lit, écrit, parle et comprend cette langue.

7.5Si les autorités de l’État partie ont ajouté foi au récit que l’auteur a fait de son passé, le Comité note que l’intéressé n’explique pas pourquoi elles auraient dû le croire lorsqu’il affirme qu’il risque d’être pris pour cible par les inconnus qui ont torturé son père et l’ont blessé par balle en Afghanistan, des faits antérieurs à sa naissance. Il note aussi que l’auteur n’a pas démontré qu’il était déraisonnable de conclure, comme l’ont fait les autorités, que son affirmation selon laquelle il serait persécuté en raison de ce conflit n’était qu’une supposition de sa part, tout comme le fait que les inconnus qui étaient venus au domicile de sa famille en République islamique d’Iran étaient ceux qui avaient agressé son père.

7.6Concernant son tatouage et son attirance pour la religion chrétienne, le Comité note que l’auteur se déclare musulman sunnite et que, même s’il a admis que sa pratique n’était pas assidue, il pratique l’islam et ne s’est jamais converti au christianisme. Il note aussi que l’auteur, tout en affirmant qu’il risque d’être considéré comme un chrétien converti en Afghanistan, n’a pas répondu à l’argument de l’État partie selon lequel, d’après les informations sur le pays, les Afghans se montrent très compréhensifs envers leurs compatriotes qui sont prêts à tout pour obtenir un permis de séjour en Europe.

7.7Le Comité rappelle le paragraphe12 de son observation générale no31 (2004),qui souligne l’obligation des États parties de ne pas extrader, déplacer, expulser ou transférer de toute autre manière une personne de leur territoire s’il existe des motifs sérieux de croire qu’elle court un risque réel de préjudice irréparable, tel celui envisagé aux articles6 et 7 du Pacte. Le Comité a aussi indiqué que ce risque devait être personnel et qu’il fallait des motifs sérieux pour conclure à l’existence d’un risque réel de dommage irréparable. Pour évaluer l’existence d’un tel risque, il convient de tenir compte de tous les faits et circonstances pertinents, notamment la situation générale des droits de l’homme dans le pays d’origine de l’auteur. Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle un poids considérable doit être accordé à l’évaluation faite par l’État partie et il réaffirme que, d’une manière générale, l’appréciation des faits et des éléments de preuve dans une affaire donnée doit rester la prérogative des organes des États parties , sauf s’il est établi que cette appréciation a été manifestement arbitraire ou a constitué un déni de justice.

7.8Compte tenu de ce qui précède, le Comité fait observer que l’auteur n’a relevé aucune irrégularité de cette nature dans la procédure de prise de décisions suivie par les autorités danoises de l’immigration dans le cadre de la procédure d’asile et qu’il n’a pas suffisamment démontré queles décisions de ces autorités étaient manifestement arbitraires ou erronées ou constituaient un déni de justice. S’agissant du renvoi de l’auteur aux constatations du Comité en l’affaire A. A. S. c. Danemark, le Comité note qu’en dépit de similarités apparentes, cette affaire est fondamentalement différente de la présente espèce du fait qu’en raison de la situation qui régnait en Somalie au moment des faits et de la situation particulière de l’auteur de la communication, celui-ci était particulièrement vulnérable, et il considère par conséquent que cette affaire est dénuée de pertinence en l’espèce.

7.9Sans préjudice de la responsabilité qui incombe toujours à l’État partie de prendre en considération la situation dans le pays vers lequel l’auteur serait expulsé, et sans sous‑estimer les préoccupations que peut légitimement susciter la situation générale des droits de l’homme en Afghanistan, le Comité estime que, compte tenu de toutes les informations dont il dispose sur la situation personnelle de l’auteur, les griefs que celui-ci tire des articles6 et 7 du Pacte sont insuffisamment étayés aux fins de la recevabilité et sont donc irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.En conséquence, le Comité décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.