Nations Unies

CCPR/C/133/D/2850/2016

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

21 janvier 2022

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2850/2016 * , **

Communication soumise par :

E. S. (représenté par un conseil, Rysbek Adamaliev)

Victime(s) présumée(s):

L’auteur

État partie :

Kirghizistan

Date de la communication :

23 juin 2016 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 16 novembre 2016 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations:

19 octobre 2021

Objet :

Brutalités infligées par la police en détention ; traitement des détenus ; conditions de détention

Question(s) de procédure :

Fondement des griefs

Question(s) de fond :

Torture ou peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant ; conditions de détention

Article(s) du Pacte :

7 et 10 (par. 1), lus seuls et conjointement avec l’article 2 (par. 3)

Article(s) du Protocole facultatif:

3

1.L’auteur de la communication est E. S., de nationalité kirghize. Il affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient des articles 7 et 10 (par. 1) du Pacte, lus seuls et conjointement avec l’article 2 (par. 3). Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour le Kirghizistan le 7 janvier 1995. L’auteur est représenté par un conseil.

Exposé des faits

2.1Le 14 septembre 2011, vers 9 heures, l’auteur qui à ce moment-là était détenu dans un centre de détention provisoire du district Issyk-Ata, dans la province de Tchouï (Kirghizistan), a été réveillé dans sa cellule par un coup violent dans le dos. Quatre policiers ont commencé à crier et à le frapper, de même que ses deux compagnons de cellule. L’auteur et ses compagnons de cellule ont été amenés dans le couloir, où ils ont vu une quinzaine d’autres détenus. Tous ont ensuite été conduits dans la cour du centre de détention, où ils ont continué à subir des brutalités. L’auteur a été frappé à la tête, notamment avec un jeu de grosses et lourdes clefs, et l’un des policiers lui a sauté sur la tête. Il a reçu de multiples coups de bottes, de matraques et de bâtons sur tout le corps. Ce passage à tabac a duré environ trente minutes. L’auteur a demandé pour quelle raison il subissait ce traitement, mais en réponse à sa question les coups n’ont fait que redoubler. Par la suite, il a appris qu’un détenu d’une autre cellule, qui avait demandé à utiliser les toilettes, avait réagi violemment au refus grossier que lui avait opposé le policier de garde. Celui-ci avait donc appelé du renfort et le passage à tabac collectif avait commencé. L’auteur pense également que les brutalités exercées contre lui sont liées au fait qu’il était accusé de s’être battu avec un policier.

2.2Le 16 septembre 2011, un groupe de surveillance composé de représentants du bureau du médiateur et de membres de deux organisations non gouvernementales (ONG) de défense des droits de l’homme a effectué une visite au centre de détention où ses membres se sont entretenus avec les détenus et ont pris des clichés qui confirment les blessures infligées à ceux-ci.

2.3Le 17 septembre 2011, l’auteur et d’autres détenus ont officiellement déposé plainte auprès du bureau du procureur du district Issyk-Ata. Le 27 septembre 2011, le procureur a refusé d’engager des poursuites pénales. Il avait interrogé l’agent de service au centre de détention au moment des faits. Selon ce dernier, le 14 septembre 2011, vers 9 h 40, M. T. un détenu de la cellule no 3 devait être escorté au tribunal. Lorsque l’agent avait ouvert la cellule, trois occupants de celle-ci l’avaient bousculé et avaient couru vers la cour, ignorant ses injonctions de regagner leur cellule. L’un des détenus l’avait agressé, lui jetant du papier toilette usagé, le frappant avec une bouteille en plastique et déchirant son uniforme. Lorsque l’agent avait donné l’alarme, un autre détenu l’avait frappé à la poitrine et bousculé. Les agents venus à son aide avaient dû employer la force pour rétablir l’ordre dans le centre. Deux autres agents ont donné la même description des faits. D’après la décision du bureau du procureur, la demande d’ouverture de poursuites contre les agents ayant fait usage de la force devait être rejetée au motif que les rapports médico-légaux n’étaient pas encore prêts et qu’une enquête interne était en cours.

2.4Le 9 janvier 2012, le bureau du Procureur général a annulé la décision du procureur du district Issyk-Ata et ordonné au bureau du procureur de Bichkek de procéder à un complément d’enquête. Toutefois, le 13 janvier 2012, le bureau du procureur du district Issyk-Ata a de nouveau refusé d’engager l’action pénale dans cette affaire. Dans sa décision, il fait référence aux rapports médico-légaux de tous les plaignants, dont celui de l’auteur. Selon ce dernier rapport, l’auteur aurait subi des blessures légères sans conséquence pour sa santé. Le procureur précise dans sa décision que 13 des plaignants ont retiré leur plainte. En ce qui concerne l’emploi de la force par les agents du centre de détention, il considère que ceux-ci ont agi légalement, conformément à l’instruction no 263 du Ministère de l’intérieur relative à la détention, à la protection et à l’escorte de suspects et de prévenus. Il indique également que, le 14 septembre 2011, l’agent de service a déposé plainte auprès du directeur du centre de détention provisoire du district Issyk-Ata contre les cinq détenus qui l’avaient agressé et avaient tenté de s’évader. Ces allégations ont donné lieu à l’ouverture d’une enquête pénale le 24 septembre 2011. Le 17 novembre 2011, l’agent a retiré sa plainte et demandé qu’il soit mis fin à l’enquête. Celle-ci a été clôturée le 19 novembre 2011. Étant donné que les agents du centre de détention provisoire avaient légalement employé la force pour empêcher l’évasion de détenus et rétablir l’ordre, le procureur de district a décidé de ne pas ouvrir d’information pénale.

2.5Le 25 avril 2012, l’auteur a contesté cette dernière décision auprès du bureau du procureur régional de Tchouï. Il a fait observer que ses allégations concernant les brutalités subies avaient été confirmées par le rapport médico-légal. En revanche, rien ne confirmait qu’il avait tenté de s’évader ou opposé quelque résistance que ce soit au personnel du centre de détention.Un autre détenu a introduit un recours contre la même décision devant le tribunal du district d’Issyk-Ata. Celui-ci a annulé le 18 avril 2012 la décision renduele 13 janvier 2012 par le bureau du procureur de district d’Issyk-Ata et ordonné descompléments d’enquête. Le 16 juin 2012, le bureau du procureur de district a une nouvelle fois refusé d’ouvrir une information pénale. Le procureur avait interrogé sept détenus impliqués dans les événements du 14 septembre 2011. Tous avaient déclaré n’avoir aucun grief ou avaient refusé de donner une explication. L’un d’entre eux avait retiré sa plainte. L’auteur a contesté ce nouveau refus auprès du bureau du procureur régional de Tchouï, faisant valoir que le procureur de district avait omis d’interroger les membres du groupe de surveillance qui s’étaient entretenus avec lesdétenus.

2.6Le 13 septembre 2012, le bureau du procureur régional de Tchouï a annulé la décision du 16 juin 2012, par laquelle le procureur du district Issyk‑Ata avait refusé l’ouverture d’une information pénale. Il a fait observer, en particulier, que les personnes détenues dans d’autres cellules, notamment les femmes, n’avaient pas été interrogées.

2.7Le 25 septembre 2012, après avoir interrogé deux détenues, le bureau du procureur du district Issyk-Ata a refusé l’ouverture d’une information pénale. L’une des femmes interrogées a confirmé avoir vu les agents ouvrir toutes les cellules, sauf celle des femmes, emmener les détenus dans la cour et les frapper avec des matraques et des bâtons. Une autre détenue a dit qu’elle n’avait pas vu de passage à tabac mais qu’elle avait entendu des altercations et des cris, et vu passer près de sa cellule des détenus escortés par des agents. Le 16 octobre 2012, l’auteur a déposé auprès du bureau du procureur du district Issyk-Ata une requête tendant à ce que celui-ci entende tous les témoins (hommes et femmes) qui étaient en détention dans le même centre que l’auteur le 14 septembre 2011, ainsi qu’une défenseuse des droits de l’homme, membre du groupe de surveillance, qui s’était personnellement entretenue avec l’auteur. Cette demande a été rejetée au motif que tous les témoins avaient déjà été entendus.

2.8Le 22 avril 2013, l’auteur a contesté auprès du bureau du procureur régional de Tchouï la décision de refus prononcée le 25 septembre 2012 par le procureur de district. Le 13 mai 2013, le procureur régional a annulé ladite décision. Le 27 mai 2013, le bureau du procureur du district Issyk-Ata a encore une fois refusé d’ouvrir une information pénale. Il a dit dans sa décision que l’auteur, qui purgeait à cette date une peine au centre pénitentiaire no 3, s’était refusé à témoigner dans cette affaire, ce qui avait été dûment consigné.

2.9Le 21 octobre 2013, l’auteur a introduit devant le tribunal du district Issyk-Ata un recours contre la décision du 27 mai 2013. Il a affirmé que cette décision était illégale et sans fondement. Il a soutenu que l’argument du procureur selon lequel la police avait employé la force conformément à l’Instruction no 263 pour empêcher l’évasion de détenus n’était pas valable, car personne n’était en mesure de confirmer que l’auteur et d’autres détenus avaient tenté de s’échapper. En outre, même s’ils avaient effectivement tenté de s’évader, ils n’étaient pas armés et rien ne justifiait un usage excessif de la force à leur encontre. L’argument du procureur selon lequel les blessures subies par l’auteur étaient légères et sans conséquence pour sa santé ne faisait que confirmer que l’auteur avait bien reçu des coups. La gravité des blessures n’était pas déterminante. La défenseuse des droits de l’homme n’avait pas été entendue, alors qu’elle avait vu les blessures des détenus après le passage à tabac.

2.10Le tribunal de district a rejeté le recours de l’auteur le 25 novembre 2013, au motif que plusieurs détenus avaient retiré leurs plaintes. Il a conclu que l’enquête avait été réalisée de manière exhaustive et conforme à la loi. Cette décision ne fait pas directement mention de l’auteur.

2.11Le 18 décembre 2013, l’auteur a interjeté appel devant le tribunal régional de Tchouï. Celui-ci l’a débouté le 14 février 2014. Il a alors présenté une demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle à la Cour suprême, qui l’a rejetée le 23 avril 2014.

2.12L’auteur affirme que les conditions de détention dans les centres de détention provisoire au Kirghizistan sont inadéquates. Il invoque à l’appui de cette affirmation un rapport de suivi réalisé en 2011 dans 47 lieux de privation de liberté.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que les brutalités qu’il a subies au centre de détention provisoire du district Issyk-Ata constituent une violation des droits qu’il tient des articles 7 et 10 (par. 1) du Pacte.

3.2Il soutient que l’absence d’enquête efficace sur ses allégations constitue une violation des articles 7 et 10 (par. 1) du Pacte, lus conjointement avec l’article 2 (par. 3). Il fait observer que malgré la réouverture de l’enquête à cinq reprises, le bureau du procureur n’a jamais identifié les auteurs des mauvais traitements qui lui avaient été infligés, alors qu’il les avait nommément désignés. Les enquêteurs n’ont interrogé que trois agents, alors que de nombreux autres étaient impliqués dans les événements du 14 septembre 2011. L’enquête a été superficielle et apparemment destinée à justifier l’usage que les policiers avaient fait de la force. Tous les témoins, en particulier les membres du groupe de surveillance, n’ont pas été entendus.

3.3L’auteur affirme en outre que les conditions de détention déplorables, qui sont décrites dans un rapport de suivi de 2011, ont contribué à aggraver ses souffrances pendant sa détention, en violation des droits qui lui sont garantis par les articles 7 et 10 (par. 1) du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une note verbale du 25 mai 2017, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité et sur le fond. En ce qui concerne les événements du 14 septembre 2011, il rappelle les faits tels qu’ils sont relatés dans la décision rendue le 27 septembre 2011 par le bureau du procureur du district Issyk‑Ata, à savoir que l’agent de service a été agressé par des détenus de la cellule no 6 alors qu’il s’apprêtait à escorter l’un d’eux au tribunal. L’agent a appelé des renforts et l’emploi de la force a été nécessaire pour rétablir l’ordre, conformément aux articles 12 et 13 de la loi sur les services de l’intérieur du Kirghizistan.

4.2Le 17 septembre 2011, plusieurs détenus ont déposé plainte auprès du bureau du procureur de district Issyk-Ata en raison de l’emploi de la force à leur encontre par les agents du centre de détention. L’auteur, qui occupait la cellule no 5, a lui aussi déposé plainte. Il a par ailleurs été dûment consigné que 13 détenus avaient refusé de témoigner.

4.3Selon l’examen médico-légal pratiqué le 19 septembre 2011, l’auteur présentait des éraflures sur le torse qui pouvaient avoir été infligées par un objet contondant et correspondaient à la date des faits.

4.4Les allégations de l’auteur ont fait l’objet d’une enquête objective, approfondie et complète, comme le montrent les décisions des procureurs de niveau supérieur portant annulation des décisions du bureau du procureur du district Issyk-Ata relatives au refus d’ouverture d’une information pénale. Celui-ci a mené des enquêtes préliminaires et décidé à plusieurs reprises de ne pas ouvrir d’information pénale faute d’élément délictueux dans les actes des agents du centre de détention. Ceux-ci avaient agi dans le cadre des articles 12 et 13 de la loi sur les services de l’intérieur. Ces dispositions exposent les circonstances dans lesquelles des agents des forces de l’ordre peuvent faire usage de la force, notamment pour prévenir et réprimer des infractions ou délits, arrêter les auteurs d’infractions ou vaincre une résistance aux ordres légitimes des forces de l’ordre, lorsque l’emploi de mesures non violentes ne permet pas à celles-ci de s’acquitter de leur mission.

4.5L’auteur a attaqué devant les tribunaux la dernière décision du procureur de ne pas ouvrir d’information pénale. Toutes les instances ont conclu, dans leurs décisions des 25 novembre 2013, 14 février 2014 et 23 avril 2014, que la décision du bureau du procureur était légale et fondée, et ont débouté l’auteur.

4.6Compte tenu de ce qui précède, l’État partie conclut que les griefs présentés par l’auteur au Comité sont dépourvus de fondement.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Le 26 juillet 2017, l’auteur a présenté ses commentaires au sujet des observations de l’État partie. Il fait observer que les membres du bureau du procureur ont conclu que l’emploi de la force avait été nécessaire pour rétablir l’ordre dans le centre de détention lors des événements du 14 septembre 2011. Selon l’État partie, le détenu à l’origine des faits avait agressé l’agent de garde. Or, l’auteur qui dormait dans une autre cellule a aussi été passé à tabac. Il n’avait opposé aucune résistance et se trouvait entièrement sous le contrôle des policiers. L’auteur réitère son allégation selon laquelle il aurait été en fait passé à tabac pour s’être précédemment battu avec un policier. Affirmer que l’emploi de la force par les agents de détention se justifiait par le fait qu’il aurait résisté est dès lors inexact.

5.2L’État partie affirme que l’emploi de la force par les policiers était légitime au regard des articles 12 et 13 de la loi sur les services de l’intérieur. Cependant, l’État partie ne faisant état d’aucun acte illégal commis par l’auteur, la loi susmentionnée ne saurait être invoquée pour justifier les actes des policiers à son égard.

5.3Bien que l’examen médico-légal de l’auteur ait révélé que celui-ci avait reçu des coups, les autorités n’ont pas engagé d’action pénale pour coups et blessures, se bornant à procéder à une enquête préliminaire. Les trois policiers interrogés par le procureur ont justifié le recours à la force par la nécessité d’empêcher une évasion et de rétablir l’ordre, invoquant l’instruction no 263. Il est indiqué dans les décisions du procureur que l’auteur et d’autres détenus avaient tenté de s’évader. Rien ne vient cependant corroborer cette affirmation et aucune poursuite pénale n’a jamais été engagée du chef de tentative d’évasion. L’auteur fait observer que, même s’il y avait eu tentative d’évasion, les détenus n’étaient pas armés et il n’était aucunement nécessaire d’user d’une force excessive à leur égard. Il fait également remarquer que la raison pour laquelle les détenus avaient été extraits de toutes les cellules et amenés dans la cour pour y être passés à tabac demeure obscure.

5.4L’auteur réaffirme que tous les témoins pertinents n’ont pas été entendus dans le cadre de l’enquête. Il fait observer que les juridictions qu’il a saisies de recours l’ont débouté au motif que la plupart des détenus avaient retiré les plaintes qu’ils avaient déposées auprès du bureau du procureur et refusé de témoigner ; ce qui est sans rapport avec son cas.

Observations complémentaires

De l’État partie

6.1Le 10 novembre 2017, l’État partie a réitéré ses précédentes observations.

De l’auteur

6.2Le 7 décembre 2017, l’auteur a fait part de nouveaux commentaires au sujet des observations de l’État partie, affirmant que si celui-ci s’était dûment acquitté de ses obligations, une enquête efficace aurait été menée au sujet des allégations de torture qu’il avait formulées, et des poursuites pénales auraient été engagées eu égard au fait que ses blessures lui avaient été infligées en détention alors qu’il se trouvait entièrement sous le contrôle de la police.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3En ce qui concerne les arguments de l’auteur selon lesquels les articles 7 et 10 (par. 1) du Pacte ont été violés du fait des conditions de détention déplorables au centre de détention provisoire d’Issyk-Ata, le Comité note qu’au vu des éléments du dossier, l’auteur n’a pas soulevé ces griefs devant les autorités nationales compétentes. Partant, il déclare cette partie de la communication irrecevable au regard de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif.

7.4Le Comité considère que l’auteur a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, les griefs qu’il tire des articles 7 et 10 (par. 1) du Pacte, lus seuls et conjointement avec l’article 2 (par. 3), et qui concernent le passage à tabac par les agents du centre de détention et l’absence d’enquête effective. Partant, il déclare la communication recevable et passe à son examen au fond.

Examen au fond

8.1Conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

8.2Le Comité prend note du grief soulevé par l’auteur au titre de l’article 7 du Pacte, à savoir que le 14 septembre 2011, alors qu’il était détenu et qu’il dormait dans sa cellule au centre de détention provisoire du district Issyk-Ata, il a été soudainement réveillé et frappé à la tête et sur tout le corps par des agents du centre. L’auteur fournit un récit détaillé de son passage à tabac, qui aurait duré environ trente minutes. Il affirme que les brutalités qu’il a subies étaient en réalité liées au fait qu’il s’était précédemment battu avec un policier, ce qui d’ailleurs constituait l’un des motifs d’accusation dans l’action pénale ouverte contre lui. Le Comité note que l’auteur a produit plusieurs photographies prises le 16 septembre 2011 par un groupe de surveillance composé de représentants du bureau du médiateur et de deux ONG de défense des droits de l’homme, qui montrent que son dos était marqué de deux longues stries rouges. Le Comité note également que, bien que l’auteur n’ait pas produit de rapport médico-légal, l’existence d’un tel rapport est mentionnée dans les décisions prononcées par le bureau du procureur de district (voir par. 2.4). Il note une incohérence entre, d’une part, le passage à tabac prolongé et violent décrit par l’auteur, et de l’autre, les blessures mineures que révèlent les photographies − pourtant prises quelques jours seulement après les faits − et les blessures apparemment légères et superficielles attestées par le rapport médico-légal.Il note qu’en tout état de cause l’État partie reconnaît que l’auteur a reçu des coups et subi des blessures légères alors qu’il se trouvait en détention.

8.3Selon la jurisprudence du Comité, un État partie est responsable de la sécurité de toute personne placée en détention et, lorsqu’une personne placée en détention présente des lésions, il incombe à l’État partie de produire des éléments de preuve l’exonérant de toute responsabilité. Le Comité a affirmé à plusieurs reprises qu’en pareil cas, la charge de la preuve ne saurait incomber uniquement à l’auteur de la communication, d’autant que l’État partie est souvent le seul à disposer des renseignements voulus.

8.4Le Comité prend en considération l’argument de l’État partie selon lequel les policiers ont recouru à la force pour un motif légitime, à savoir prévenir l’évasion de détenus et rétablir l’ordre dans le centre de détention à la suite de troubles causés par les détenus de l’une des cellules. Il relève toutefois que l’État partie n’a pas fourni d’arguments suffisants pour étayer l’allégation selon laquelle des détenus avaient bien tenté de s’échapper et l’argument selon lequel l’emploi de la force était resté dans les limites de ce qui était strictement nécessaire pour prévenir l’évasion et rétablir l’ordre.

8.5Le Comité note que, s’il indique que des détenus occupant la cellule no 6 étaient à l’origine des troubles dans le centre de détention et que l’auteur occupait la cellule no 5 (voir par. 4.1 et 4.2), l’État partie n’explique aucunement pourquoi l’auteur a aussi été conduit à l’extérieur par les policiers et passé à tabac. Dans ce contexte, le Comité renvoie aux termes de son observation générale no 20 (1992), selon lesquels l’interdiction visée par l’article 7 du Pacte s’étendaux peines corporelles, y compris aux châtiments excessifs infligés à titre de sanction pénale ou de mesure disciplinaire.

8.6Compte tenu des considérations qui précèdent, le Comité considère que les faits dont il est saisi révèlent que les brutalités infligées à l’auteur par les policiers le 14 septembre 2011 constituent un traitement cruel et dégradant en violation de l’article 7 du Pacte.

8.7Le Comité prend en outre note de l’argument de l’auteur qui dénonce une violation de l’article 7 du Pacte, lu conjointement avec l’article 2 (par. 3) du fait de l’absence d’enquête efficace sur ses allégations de passage à tabac par les policiers. À cet égard, le Comité note que l’enquête préliminaire a été rouverte à quatre reprises et a duré un an et demi, une période au cours de laquellele bureau du procureur du district Issyk-Ataa entendu un nombre limité de témoins du centre de détention. Le Comité note également que, étant parvenus à la conclusion que les policiers avaient employé la force conformément à l’instruction no 263 pour empêcher une évasion et rétablir l’ordre, les procureurs n’ont à aucun moment tenté d’établir pourquoi tant de détenus qui n’avaient pas participé à l’agression du policier de garde, parmi lesquels l’auteur, avaient été passés à tabac. Il semble que l’État partie n’ait pas tenté d’étayer l’affirmation selon laquelle une tentative d’évasion avait eu lieu, ni de déterminer si l’usage qui avait été fait de la force était proportionné à l’objectif de rétablir l’ordre dans le centre de détention ou d’empêcher la tentative d’évasion. De surcroît, les procureurs n’ont pas entendu tous les témoins pertinents, en particulier les membres du groupe de surveillance qui avait effectué une visite au centre de détention et interrogé les détenus deux jours seulement après les faits. L’État partie n’a fourni aucune information au sujet d’actes de l’auteur qui auraient justifié l’emploi de la force dans le cadre des articles 12 et 13 de la loi sur les services de l’intérieur. Le Comité note en outre que, lorsque l’auteur avait fait appel de la décision prononcée le 27 mai 2013 par le bureau du procureur du district Issyk‑Ata, les juges l’avaient débouté au seul motif que les autres détenus, qui avaient initialement déposé plainte auprès du bureau du procureur en raison du passage à tabac, avaient entre temps retiré leurs plaintes. Les juridictions n’ont pas tenu compte du fait que l’auteur avait maintenu sa plainte. Compte tenu de ces éléments, le Comité conclut qu’aucune enquête efficace n’a été menée sur les allégations formulées par l’auteur concernant les brutalités qu’il aurait subies, enviolation de l’article 7 du Pacte, lu conjointement avec l’article 2 (par. 3).

8.8Ayant conclu qu’en l’espèce il y avait eu violation de l’article 7 du Pacte, lu conjointement avec l’article 2 (par. 3), le Comité décide de ne pas examiner séparément les griefs que l’auteur tire de l’article 10 (par. 1) du Pacte.

9.Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie de l’article 7 du Pacte, lu seul et conjointement avec l’article 2 (par. 3).

10.Conformément à l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, l’État partie est tenu, entre autres, de prendre les mesures voulues pour faire procéder sans délai à une enquête efficace sur les brutalités subies par l’auteur et, si elles sont avérées, poursuivre, juger et sanctionner les responsables ; et accorder à l’auteur une indemnisation adéquate pour les violations de ses droits. L’État partie est également tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour que des violations analogues ne se reproduisent pas.

11.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsque la réalité d’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles.