Nations Unies

CCPR/C/135/D/3297/2019

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

17 août 2023

Français

Original : espagnol

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 3297/2019 * , ** , ***

Communication soumise par:

Oriol Junqueras i Vies, Raül Romeva i Rueda, Josep Rull i Andreu et Jordi Turull i Negre (représentés par Nico Krisch)

Victime(s) présumée(s):

Les auteurs

État partie:

Espagne

Date de la communication:

18 décembre 2018 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise en application de l’article 97 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 1er février 2019 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations:

12 juillet 2022

Objet:

Suspension de députés pendant une enquête pénale pour l’infraction présumée de rébellion

Question(s) de procédure:

Examen de la même question devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement ; épuisement des recours internes

Question(s) de fond:

Vote et élections ; participation aux affaires publiques

Article(s) du Pacte:

25

Article(s) du Protocole facultatif:

5 (par. 2 b))

1.1Les auteurs de la communication sont Oriol Junqueras i Vies, RaülRomeva i Rueda, Josep Rull i Andreu et Jordi Turull i Negre, de nationalité espagnole, nés respectivement le 11 avril 1969, le 12 mars 1971, le 2 septembre 1968 et le 6 septembre 1966. Ils affirment que l’État partie a violé les droits qu’ils tiennent de l’article 25 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 25 avril 1985. Les auteurs sont représentés par un conseil.

1.2Dans leur lettre initiale, les auteurs ont prié le Comité de demander à l’État partie de prendre des mesures provisoires consistant à lever la suspension de l’exercice de leurs mandats jusqu’à ce que leur procès ait lieu et qu’ils aient épuisé les voies de recours qui leur étaient ouvertes. Le 1erfévrier 2019, le Comité, par l’intermédiaire de ses rapporteurs spéciaux chargés des nouvelles communications et des mesures provisoires, a invité l’État partie à soumettre ses observations concernant la demande de mesures provisoires présentée par les auteurs. L’État partie a soumis ses observations le 1er mars 2019, puis des informations complémentaires le 3 avril 2019. Le 22 mai 2019, les auteurs ont transmis des renseignements supplémentaires sur la demande de mesures provisoires et l’État partie a demandé à ce qu’il soit mis fin à l’examen de la communication. Le 10 septembre 2019, les auteurs ont fait part de leurs commentaires concernant la demande de classement soumise par l’État partie.

1.3Le 22 juillet 2020, les rapporteurs spéciaux chargés des nouvelles communications et des mesures provisoires, agissant au nom du Comité, ont informé les parties que, compte tenu des faits nouveaux survenus dans la procédure, la demande de mesures provisoires des auteurs était devenue sans objet. Ils ont toutefois rejeté les demandes de l’État partie tendant à ce qu’il soit mis fin à l’examen de la communication, au motif que les faits nouveaux susmentionnés ne faisaient pas disparaître les violations alléguées des droits des auteurs.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Les auteurs sont d’anciens membres du Gouvernement catalan : M. Junqueras en était le Vice-Président, et MM. Romeva, Rull et Turull, en étaient des ministres. Ils affirment qu’ils ont été élus au sein d’une coalition indépendantiste et qu’ils ont contribué à amorcer et à soutenir le processus du référendum d’indépendance de 2017.

2.2Le 6 septembre 2017, le Parlement catalan a adopté la loi no 19/2017 autorisant la tenue d’un référendum sur l’indépendance de la Catalogne. Le 7 septembre 2017, la Cour constitutionnelle a suspendu cette loi en attendant de statuer sur sa constitutionnalité. Malgré cela, le 1er octobre 2017, un référendum a été organisé et 43 % des électeurs y ont participé. Quatre-vingt-douze pour cent des votants se sont exprimés en faveur de l’indépendance. Les auteurs soulignent que, le jour du référendum, les quelque 6 000 policiers envoyés en Catalogne par l’État partie sont intervenus de manière brutale, faisant près de 900 blessés et arrêtant de nombreux organisateurs du référendum. 

2.3Le 17 octobre 2017, la Cour constitutionnelle a déclaré la loi no 19/2017 inconstitutionnelle et nulle. Les auteurs affirment que le Parlement et le Gouvernement catalans ont invité le Gouvernement de l’État partie à engager un dialogue afin de résoudre pacifiquement la crise constitutionnelle et à accepter une médiation internationale, ce que celui-ci aurait refusé de faire. Le 27 octobre 2017, le Parlement catalan a déclaré l’indépendance et a été immédiatement dissous, en application de l’article 155 de la Constitution, par le Gouvernement de l’État partie, qui a convoqué de nouvelles élections régionales le 21 décembre 2017.

2.4Le 30 octobre 2017, le Procureur général de l’État partie a engagé une procédure pénale contre les auteurs pour rébellion et détournement de fonds publics. Le 2 novembre 2017, la juge d’instruction de la Audiencia Nacional a ordonné le placement en détention provisoire des auteurs. Le 24 novembre 2017, le Tribunal suprême s’est déclaré compétent pour connaître de la procédure pénale, et le 4 décembre 2017, il a confirmé le placement en détention provisoire de M. Junqueras et a fixé une caution pour la remise en liberté de MM. Romeva, Rull et Turull.

2.5Le 21 mars 2018, le juge d’instruction du Tribunal suprême a officiellement confirmé les poursuites pénales engagées contre les auteurs. Le 23 mars 2018, il a ordonné que MM. Romeva, Rull et Turull soient de nouveau placés en détention. Les auteurs ont été maintenus en détention provisoire depuis lors et n’ont pu participer aux travaux parlementaires qu’au moyen du vote par procuration. Leurs demandes en vue d’assister aux séances du Parlement ont été rejetées. M. Turull, qui était candidat à la présidence de la Catalogne lorsqu’il a été placé en détention provisoire pour la deuxième fois, s’est vu empêché de se présenter au scrutin prévu le lendemain, le 24 mars 2018. En mai 2018, MM. Rull et Turull ont été nommés ministres du Gouvernement catalan, mais ont été empêchés d’exercer leurs mandats. Le 26 juin 2018, la Chambre d’appel du Tribunal suprême a rejeté le recours introduit contre la décision du juge d’instruction, confirmant l’ouverture de la procédure pénale.

2.6Le 9 juillet 2018, le juge d’instruction a déclaré que la phase d’instruction était terminée, a notamment informé le Parlement catalan que les auteurs avaient automatiquement été suspendus, en application de l’article 384 bis de la [loi de procédure pénale] des charges et mandats publics qu’ils exerçaient et a indiqué que le Bureau du Parlement devait adopter les mesures nécessaires pour donner pleinement effet à cette disposition légale.

2.7Les auteurs font valoir que l’infraction de rébellion est définie à l’article 472 du Code pénal de l’État partie, qui prévoit que se rendent coupables de rébellion les personnes qui se soulèvent violemment et publiquement dans le but d’abroger, de suspendre ou de modifier tout ou partie de la Constitution (par. 1), ou de déclarer l’indépendance d’une partie du territoire national (par. 5). Ils ajoutent que l’article 384 bis de la loi de procédure pénale de l’État partie dispose que dès lors qu’elles font l’objet d’une ordonnance de renvoi définitive et d’une ordonnance de placement en détention provisoire pour une infraction commise par un membre d’une bande armée ou en association avec une bande armée, des terroristes ou des rebelles, les personnes accusées qui exercent une charge ou un mandat public en sont automatiquement suspendues pendant toute la durée de leur détention.

2.8Le 30 juillet 2018, la Chambre d’appel du Tribunal suprême a rejeté le recours formé par les auteurs contre la décision du juge d’instruction. Les auteurs soulignent que le Tribunal a indiqué que l’article 384 bis s’appliquait automatiquement et qu’il était compatible avec les droits politiques des auteurs. MM. Junqueras et Romeva et MM. Rull et Turull ont formé devant la Cour constitutionnelle des recours en amparo contre la décision du Tribunal suprême les 19 septembre et 10 octobre 2018, respectivement. Ils ont également demandé que des mesures provisoires de protection soient ordonnées afin de geler la décision de les suspendre de leurs mandats. Ils affirment qu’à la date de soumission de la communication, la Cour constitutionnelle n’avait statué ni sur le fond de l’affaire ni sur la demande de mesures provisoires. Le procès des auteurs pour rébellion, entre autres infractions, s’est ouvert devant le Tribunal suprême le 24 octobre 2018.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs affirment que l’exercice des droits politiques qu’ils tiennent de l’article 25 du Pacte « ne peut être suspendu ou supprimé que pour des motifs prévus par la loi, qui soient raisonnables et objectifs, et par la mise en œuvre de procédures équitables ». Ils ajoutent que les motifs doivent être particulièrement solides lorsque les restrictions visent les vainqueurs d’un scrutin et faussent, par conséquent, l’expression libre de la volonté des électeurs. Les restrictions doivent faire l’objet d’un contrôle particulier lorsqu’elles sont dirigées, comme en l’espèce, non pas contre des représentants individuels de groupes politiques mais contre leurs dirigeants, et lorsqu’elles sont appliquées sans même attendre l’issue d’un procès pénal présentant les garanties d’une procédure régulière. Les auteurs affirment que leur suspension : a) n’était pas fondée sur des motifs raisonnables et objectifs prévus par la loi ; b) était arbitraire en ce que la situation individuelle des auteurs n’a pas été prise en compte ; et c) n’a pas été appliquée dans le respect des garanties d’une procédure régulière et d’impartialité.

3.2En ce qui concerne le premier point, les auteurs font valoir que leur suspension n’était pas prévue par la loi, étant donné que l’infraction de rébellion, en droit interne, est constituée lorsque des personnes se soulèvent violemment et publiquement (voir par. 2.7) dans certains buts, notamment celui de déclarer l’indépendance d’une partie du territoire de l’État partie. Ils ajoutent que l’élément de violence est déterminant dans la définition de cette infraction, comme le montre le fait que l’article 384 bis de la loi de procédure pénale assimile la rébellion au terrorisme et à l’appartenance à des bandes armées. Les auteurs expliquent que le Tribunal suprême considère l’élément de violence comme faisant partie d’un plan politique dans lequel la mobilisation populaire est instrumentalisée afin de faire pression sur l’État partie. Ils ajoutent que le Tribunal suprême relève l’élément de violence à deux autres reprises : premièrement, lors d’une manifestation tenue le 20 septembre 2017, qui s’est déroulée globalement de manière pacifique et où un petit nombre de participants seulement ont causé des dommages aux véhicules de police ; deuxièmement, lors du référendum du 1er octobre 2017, bien que les seuls actes de violence enregistrés ce jour-là, comme les journalistes du monde entier en ont fait état, aient été commis par des policiers tentant de pénétrer de force dans des bureaux de vote où se trouvaient de nombreux citoyens. Les auteurs affirment que, dans les deux cas, avec d’autres dirigeants du Gouvernement catalan et de la société civile, ils n’ont cessé d’exhorter les citoyens à se comporter de manière strictement pacifique.

3.3Les auteurs soutiennent que ces faits ne sont normalement pas qualifiés de « violents », comme l’a conclu le tribunal allemand qui s’est prononcé sur l’extradition de l’ancien Président du Gouvernement catalan, M. Puigdemont. Ce tribunal a souligné que M. Puigdemont avait cherché à légitimer la cause séparatiste précisément en utilisant des moyens démocratiques, qu’il existait un pacte tacite de renonciation à la violence et que les actes qui lui étaient reprochés n’étaient pas suffisants, en droit allemand, pour déclencher une action pénale. Les auteurs soulignent que, d’après ce tribunal, dans un État social et démocratique, le système de justice pénale est tenu, par la Constitution, de faire preuve de retenue lorsqu’il intervient dans les différends politiques. Le tribunal a donc rejeté la demande d’extrader M. Puigdemont pour rébellion. Les auteurs soulignent que le Rapporteur spécial sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression, constatant avec préoccupation que les accusations de rébellion pour des actes qui ne s’accompagnaient ni de violence ni d’incitation à la violence pouvaient porter atteinte aux droits à la protestation publique et à la dissidence, a demandé aux autorités de l’État partie de s’abstenir de poursuivre les responsables politiques catalans pour rébellion.

3.4Les auteurs soutiennent que le Tribunal suprême a quant à lui opté pour une interprétation exagérée de la violence, qui s’écarte de la lecture restrictive retenue par la Cour constitutionnelle dans le passé, selon laquelle, par définition, la rébellion est le fait d’un groupe dont l’objectif est d’utiliser de manière illégitime des armes de guerre ou des explosifs afin de détruire ou renverser l’ordre constitutionnel. Ils affirment que le juge d’instruction n’a pas mentionné cette jurisprudence lorsqu’il a statué sur les suspensions le 9 juillet 2018. Les auteurs indiquent qu’à la fin de 2017, une centaine de juristes espagnols se sont opposés à la décision d’accuser les auteurs de rébellion, arguant qu’un soulèvement violent devait avoir eu lieu pour que cette infraction soit constituée. À la fin de 2018, 120 juristes se sont de nouveau prononcés en ce sens. Les auteurs ajoutent que même la Procureure générale de l’État partie a décidé de ne pas engager de poursuites pour rébellion et, ce faisant, s’est écartée de la position du juge d’instruction et des autres parties formant l’accusation (le Bureau du Procureur de l’État partie et le parti politique Vox). Ils expliquent qu’elle s’est limitée aux accusations de sédition, de désobéissance et de détournement de fonds publics, lesquelles n’entraînent pas une suspension automatique des mandats publics exercés.

3.5Les auteurs affirment qu’il serait également déraisonnable d’autoriser une telle interprétation de la loi. Ils soutiennent que si la mobilisation populaire visant à faire pression sur l’État afin d’obtenir un changement constitutionnel était un motif suffisant pour suspendre les mandats politiques, les gouvernements pourraient agir au mépris total des garanties énoncées à l’article 25 du Pacte. Ils affirment que leur situation s’apparente aux restrictions imposées au fonctionnement des partis politiques qui « défendent pacifiquement des idées qui ne sont pas accueillies favorablement par le Gouvernement ou la majorité de la population », car elle concerne la suspension de la plupart des dirigeants des groupes politiques partisans de l’indépendance. Ils expliquent que, selon le Comité, l’État partie doit « démontrer [...] que l’interdiction de l’association et l’engagement de poursuites pénales contre des particuliers pour leur adhésion à cette association sont véritablement nécessaires pour écarter un danger réel, et non pas seulement hypothétique, pour la sécurité nationale et l’ordre démocratique et que des mesures moins draconiennes seraient insuffisantes pour atteindre cet objectif ».

3.6En ce qui concerne le deuxième point, les auteurs affirment que les restrictions à l’article 25 du Pacte doivent tenir compte de la gravité de l’intervention, ainsi que de la force des motifs invoqués dans chaque situation. Ils considèrent que l’application automatique de l’article 384 bis de la loi de procédure pénale ne laisse aucune place à cette évaluation individuelle. Ils concluent que l’interprétation large du Tribunal suprême a conduit à ce que des personnes soient suspendues de leurs mandats dans des circonstances si disparates que cette mesure ne peut être considérée comme proportionnée si une analyse individuelle approfondie des motifs de la restriction n’est pas menée dans chaque cas.

3.7En ce qui concerne le troisième et dernier point, les auteurs font valoir que l’article 25 du Pacte suppose que « [l]es motifs de destitution de personnes élues à une charge officielle [soient] établis par des lois [...] prévoyant des procédures équitables » (voir par. 3.1). Ils estiment que si, en application du Pacte, on ne peut, dans une telle situation, exclure totalement une destitution, celle-ci devra toujours être soumise à un contrôle, être justifiée par des motifs exceptionnels et respecter des normes d’intégrité élevées sur le plan procédural. Ils rappellent que le Comité a conclu que dans les cas où des opposants au gouvernement sont condamnés ou renvoyés devant les tribunaux à l’issue d’une enquête, toute suspension ou conséquence négative sur le droit de vote ou le droit de se porter candidat à une élection peut être arbitraire si elle résulte d’un procès au cours duquel les garanties d’une procédure régulière ne sont pas respectées. Ils affirment que, dans leur cas, leur suspension n’a pas respecté ces normes élevées de contrôle du respect des garanties d’une procédure régulière, au sens de l’article 25 du Pacte, ce qui met sérieusement en doute, notamment, l’impartialité des tribunaux saisis.

3.8En ce qui concerne la condition de l’épuisement des recours internes, les auteurs font valoir qu’ils ont épuisé toutes les voies de recours ouvertes et utiles qui leur auraient permis de faire lever leur suspension. Ils affirment que bien qu’ils aient déposé deux recours en amparo devant la Cour constitutionnelle en octobre 2018, en les accompagnant de demandes de mesures provisoires de protection, ces recours ne peuvent être considérés comme utiles. Ils expliquent que, le 11 décembre 2018, la Cour constitutionnelle a rejeté les demandes de mesures provisoires présentées dans le cadre d’une affaire parallèle dans laquelle des citoyens demandaient à ce qu’il soit mis fin à la suspension des auteurs au motif que celle-ci violait leur propre droit de vote. Les auteurs affirment que dans cette affaire, la Cour n’a pas examiné si les mesures provisoires avaient des chances d’aboutir, mais a fondé sa décision uniquement sur l’argument selon lequel lever la mesure de suspension reviendrait à anticiper une éventuelle décision faisant droit au recours en amparo. Ils soutiennent que ce raisonnement doit également s’appliquer à leurs propres demandes de mesures provisoires, et que ces demandes n’ont par conséquent aucune chance d’aboutir. Ils soulignent également que les droits politiques sont particulièrement sensibles au passage du temps et ajoutent que leur suspension reviendrait à annuler leur victoire dans les urnes, dans la mesure où une décision sur le fond de la Cour constitutionnelle prend plus de deux ans en moyenne, et pourrait prendre plus longtemps encore. Ils affirment qu’en l’espèce, le recours en amparo est devenu inutile aux fins du critère d’épuisement et ne pourrait donc pas empêcher qu’un préjudice irréparable soit causé à leurs droits.

3.9Les auteurs demandent au Comité de déclarer : a) que la suspension de leurs mandats respectifs viole l’article 25 du Pacte ; b) que l’État partie et toutes ses institutions sont tenus de lever cette suspension.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans les observations sur la recevabilité et le fond qu’il a présentées le 20 novembre 2020, l’État partie souligne que les auteurs ont accepté d’être remplacés par d’autres députés de leur groupe parlementaire pendant la durée de leur suspension. Il ajoute qu’à l’exception de M. Romeva, les auteurs ont démissionné le 17 mai 2019 de leur mandat de député du parlement autonome afin de devenir membres du Congrès des députés des Cortes Generales, après avoir été élus en avril 2019. Il précise que le 14 octobre 2019, la Chambre pénale du Tribunal suprême a condamné les auteurs non pas pour rébellion, mais pour sédition, et que la suspension de M. Romeva en tant que député du parlement autonome a été immédiatement levée.

4.2Premièrement, l’État partie fait valoir que la communication devrait être déclarée irrecevable au regard de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif, car au moment où elle a été soumise, les recours en amparo n’avaient fait l’objet d’aucune décision et étaient toujours pendants. Il explique que la Cour constitutionnelle a statué respectivement les 28 janvier et 25 février 2020. Il soutient que même si les auteurs estiment que les recours en amparo ne sont pas efficaces, les doutes quant à l’efficacité des recours internes ne les dispensent pas de les épuiser, et qu’ils doivent faire preuve de diligence pour exercer ces recours. Il affirme qu’il appartient aux auteurs de justifier que les recours qui leur sont ouverts sont inefficaces. Enfin, il ajoute que le Comité n’a pas considéré qu’une durée de deux ans pour examiner un recours constitutionnel était excessive.

4.3Deuxièmement, l’État partie fait valoir qu’il n’y a pas eu violation de l’article 25 du Pacte étant donné que la mesure de suspension est prévue à l’article 384 bis de la loi de procédure pénale, qui, de par son caractère raisonnable et objectif, est compatible avec le Pacte, et a été appliqué de manière personnalisée et proportionnée à la situation des auteurs.

4.4En ce qui concerne la compatibilité de l’article 384 bis de la loi de procédure pénale avec le Pacte, l’État partie soutient que ledit article a été introduit en 1988 et déclaré constitutionnel en 1994 par la Cour constitutionnelle, de sorte qu’on ne peut pas dire que son adoption visait à limiter les droits des auteurs. Il affirme que la suspension de l’emploi et des charges publics énoncée dans cette règle de procédure est une mesure : a) nécessaire pour la préservation de la société démocratique et, par conséquent, raisonnable ; b) objective, car conçue dans un but général et non destinée à une personne en particulier ; c) proportionnée, compte tenu de la nature de l’attaque imputée, qui est une atteinte à la société démocratique elle-même ; et d) adoptée lorsque la procédure pénale est déjà à un stade avancé, à savoir lorsque le renvoi devant les tribunaux et le placement en détention provisoire ont été ordonnés.

4.5En ce qui concerne l’application de l’article 384 bis aux auteurs, l’État partie affirme qu’elle : a) a eu lieu dans le respect des dispositions dudit article ; et b) a été personnalisée afin que la limitation des droits politiques des auteurs soit la plus proportionnée possible et la moins préjudiciable aux intérêts de leur groupe politique au Parlement de Catalogne. En ce qui concerne le premier point, l’État partie soutient que les conditions d’application de l’article 384 bis aux auteurs sont réunies, étant donné que ceux-ci : i) ont été inculpés pour rébellion ; ii) ont été placés en détention provisoire ; et iii) ont fait l’objet d’une ordonnance de renvoi. En ce qui concerne le deuxième point, l’État partie explique que l’individualisation de la mesure de suspension prise à l’égard des auteurs ne se limite pas à la décision du 9 juillet 2018, mais que, comme il ressort de cette décision, il appartenait au Parlement catalan de l’appliquer pleinement. Il précise que le Parlement catalan a individualisé la décision de sorte à ne pas modifier les majorités parlementaires. À cette fin, le Parlement a remplacé les députés suspendus par d’autres parlementaires du même groupe, mesure qui a été approuvée par le groupe parlementaire des auteurs et par les auteurs eux‑mêmes. L’État partie fait valoir que la suspension n’est donc pas « automatique », puisqu’elle nécessite la participation du Parlement, qui adopte le moyen restreignant le moins les droits politiques des auteurs et, par extension, de leur groupe parlementaire. Il souligne que les auteurs ont accepté d’être remplacés par d’autres députés de leur groupe parlementaire, mesure qui n’a finalement été mise en place que pour M. Romeva, le seul à ne pas avoir démissionné de son siège de député du parlement autonome. Il ajoute que la mesure de suspension a été levée après que le Tribunal suprême a considéré, dans son jugement du 14 octobre 2019, que l’infraction de rébellion n’était pas constituée, précisément parce que l’élément de violence instrumentale, requis pour cette qualification, faisait défaut. Le juge d’instruction a donc immédiatement levé la mesure de suspension prise à l’égard de M. Romeva.

4.6En ce qui concerne les arguments tirés par les auteurs du manque d’impartialité des tribunaux et du fait que les poursuites pénales pour rébellion visaient à persécuter les indépendantistes, l’État partie souligne que le Tribunal suprême, accusé de partialité par les auteurs, a lui-même considéré que l’infraction de rébellion n’était pas constituée, faute de preuves suffisantes de violence instrumentale. Selon lui, cela démontre que son système judiciaire fonctionne correctement, puisqu’une distinction est faite entre la phase d’instruction et la phase de poursuites, et que les deux phases de la procédure pénale sont menées de manière totalement indépendante. Il soutient que cette procédure répond de manière satisfaisante à l’argument principal des auteurs, à savoir que l’infraction de rébellion n’a pas été commise.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1Dans leurs commentaires du 7 mars 2021, les auteurs répètent les arguments qu’ils avaient formulés dans leur lettre initiale au sujet de la recevabilité. Ils ajoutent que la question du non-épuisement des recours internes ne se pose plus, la Cour constitutionnelle ayant définitivement rejeté leurs recours dans ses arrêts du 28 janvier et du 25 février 2020. Ils affirment que le système juridique interne ne propose pas d’autres voies de recours, de sorte que l’État partie n’a pas exploité la possibilité offerte par la règle de l’épuisement des recours de remédier aux violations dans le cadre de son propre système judiciaire. Ils soutiennent qu’en règle générale, le Comité ne considère pas comme un obstacle le fait que le dernier échelon d’un recours particulier soit atteint après la présentation de la communication, mais avant qu’il ne se prononce sur la recevabilité de celle-ci.

5.2Sur le fond, les auteurs soutiennent que l’État partie ne fait que reproduire, dans une large mesure, les décisions de la Cour constitutionnelle, qui s’est bornée à analyser si la loi en question avait été appliquée de manière arbitraire. Ils ajoutent qu’à aucun moment l’État partie n’aborde la question de savoir si l’atteinte aux droits des auteurs était justifiée en l’espèce, eu égard à l’absence : a) de violence ; b) d’examen individuel ; et c) de procédure juste et équitable.

5.3En ce qui concerne l’absence de violence, les auteurs affirment que l’article 384 bis de la loi de procédure pénale établit une mesure exceptionnelle, puisqu’à ce stade de la procédure, avant l’ouverture d’un procès pénal, la suspension des fonctions ne peut être imposée que pour l’infraction de rébellion. Ils soutiennent que ce type d’infraction suppose un « soulèvement violent », élément qui n’a jamais été prouvé en l’espèce et qui était totalement absent de leurs actes, appels ou stratégies, comme cela est désormais unanimement reconnu. Ils ajoutent que cela n’a pas empêché le juge d’instruction d’utiliser une interprétation large des faits pour écarter l’opposition politique pacifique du centre de la vie politique. Ils affirment que le juge a considéré qu’ils avaient commis des actes « violents » en grande partie parce, que lors des manifestations et du référendum, quelques participants isolés avaient endommagé des véhicules de police et empêché le passage de la police, et parce que les policiers avaient eu recours à la violence pour disperser les manifestants. Ils soulignent que dans l’observation no 37 (2020) qu’il a récemment adoptée, le Comité a estimé que de tels faits ne pouvaient conduire à considérer comme violentes les personnes qui n’avaient pas eu recours à la violence ni n’en avaient fait la promotion. Les auteurs soutiennent qu’en avril 2019, le Groupe de travail sur la détention arbitraire a constaté qu’ils avaient agi de manière non violente et pacifique, et estimé que l’État partie avait manifestement violé les droits de six militants et responsables politiques du mouvement indépendantiste catalan, dont trois d’entre eux. Ils ajoutent que même le Tribunal suprême a fini par reconnaître que leur action politique n’avait pas atteint pas le seuil de violence requis pour être qualifié de « rébellion ».

5.4Les auteurs affirment que l’accusation de « rébellion » n’a jamais reposé sur des bases factuelles et que la mise en accusation formelle par le juge d’instruction − à l’origine de la suspension − n’avait pas de fondement légal et résultait d’une interprétation trop large du Code pénal. Ils ajoutent que, en l’absence de violence, la mesure de suspension était disproportionnée et n’était pas fondée sur des critères « objectifs et raisonnables », ainsi que le requiert le Pacte. Selon les auteurs, l’adoption d’un seuil d’exigence inférieur pour une mesure aussi grave que la suspension des droits démocratiques fondamentaux avant le procès ne remplirait pas cette condition. Ils ajoutent que la liberté d’expression et les droits politiques sont interdépendants et se renforcent mutuellement. Les campagnes politiques non violentes étant protégées par la liberté d’expression, elles ne peuvent justifier la restriction du droit de se porter candidat aux élections.

5.5Les auteurs soutiennent que la Cour constitutionnelle n’a pas évalué les motifs au fond lorsqu’elle a contrôlé la décision de suspension. Selon eux, la Cour s’est contentée d’un examen très limité, consistant uniquement à se demander si le juge d’instruction avait interprété la loi de manière arbitraire, déraisonnable ou manifestement erronée, ce que celle‑ci a exclu. Lesauteurs affirment que la Cour s’est, en substance, fondée sur le raisonnement selon lequel aucune interprétation de l’infraction de « rébellion » n’est déraisonnable tant qu’elle s’applique à un acte de remise en cause de l’essence même de l’État démocratique. Les auteurs soutiennent qu’une telle position revient à ignorer totalement le sens premier du « soulèvement violent » requis par le Code pénal et permet d’appliquer ce terme à un large éventail de contestations politiques pacifiques, notamment les initiatives de réforme constitutionnelle fondamentale. Ils ajoutent que cela supprime toute limite claire et transforme l’infraction de rébellion (qui est passible d’une peine pouvant atteindre vingt-cinq années de prison et peut donner lieu à une suspension des droits politiques avant le procès) en un outil susceptible d’être utilisé pour persécuter l’opposition politique.

5.6En ce qui concerne l’absence d’évaluation individuelle, les auteurs signalent que le Comité a récemment souligné l’importance de procéder à des évaluations individualisées lorsque des restrictions sont imposées aux droits énoncés à l’article 25. Ils soutiennent que l’analyse de l’État partie est erronée, étant donné que celui-ci considère que la simple application de l’article 384 bis de la loi de procédure pénale suffit à cette individualisation et que, selon la Cour constitutionnelle elle-même, la suspension découle automatiquement ex lege , ce qui ne laisse pas de marge d’interprétation dans son application, une fois qu’il est établi que les conditions dans lesquelles l’article prévoit l’application de la mesure de suspension sont réunies.

5.7En ce qui concerne le fait que les conditions d’une procédure juste et équitable ne sont pas réunies pour justifier les restrictions des droits énoncés à l’article 25 du Pacte, les auteurs affirment que dans son arrêt, le Tribunal suprême n’a pas évalué de manière objective les questions d’impartialité, mais qu’il a considéré qu’elles n’étaient a priori pas justifiées. Ils soulignent que la question est d’autant plus problématique si l’on considère le stade de la procédure auquel la mesure de suspension a été décidée, à savoir au moment où une ordonnance de mise en accusation pour l’infraction de rébellion a été rendue par un juge d’instruction unique, sans procédure contradictoire.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1Dans ses observations complémentaires du 9 août 2021, l’État partie soutient, s’agissant du cadre légal régissant la suspension, que l’article 384 bis de la loi de procédure pénale prévoit que la suspension est prononcée dans des circonstances très précises et ne revêt donc pas un caractère général. Il fait observer que cet article ne s’applique pas automatiquement, mais nécessite dans chaque cas une décision judiciaire, ce qui implique d’individualiser et de définir les faits qui relèvent des circonstances factuelles restreintes et particulières donnant lieu à l’application de la mesure de suspension. L’État partie réaffirme que l’examen individuel définitif suppose un acte du Parlement catalan (voir par. 4.5). Ilrenvoie à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, faisant valoir que la privation des droits politiques ne nécessite pas nécessairement de décision judiciaire particulière. Il conclut que le cadre juridique régissant la suspension est conforme aux normes universelles et régionales puisqu’il répond à la nécessité du « renforcement du sens civique et du respect de l’État de droit ainsi que [du] bon fonctionnement et [du] maintien de la démocratie ».

6.2L’État partie rappelle que la suspension intervient au stade de l’instruction, lorsque le juge d’instruction apprécie, de manière indirecte, l’existence d’éléments constitutifs de l’infraction qui donnent lieu à cette suspension. Il ajoute que cette décision n’est pas définitive mais temporaire, et qu’elle est valable tant que dure la procédure pour rébellion. Il affirme que le fait que la Chambre pénale du Tribunal suprême ait conclu à l’inexistence des éléments de l’infraction de rébellion que le juge d’instruction avait évalués, et qu’elle ait, dans son arrêt, qualifié les faits de sédition, annule la mesure de suspension adoptée à titre provisoire par ce même juge. L’État partie soutient que cela montre que le système pénal espagnol fonctionne correctement, qu’il existe une différence entre les phases d’instruction et de poursuites, que les juges sont indépendants et impartiaux, et qu’en l’espèce, le pouvoir judiciaire n’a pas agi de manière concertée.

6.3L’État partie affirme que les auteurs ont une appréciation des faits différente de celle faite à l’époque par le juge d’instruction, mais que cela n’implique pas qu’il y ait eu violation du Pacte, sauf si le Comité considère que cette appréciation a été arbitraire ou a constitué un déni de justice. Même si l’on peut être en désaccord avec le raisonnement du juge d’instruction, son appréciation des faits n’a pas été arbitraire et, à plus forte raison, n’a pas constitué un déni de justice, et, par conséquent, n’implique pas qu’il y ait eu violation du Pacte. L’État partie fait valoir que la jurisprudence du Comité est claire sur ce point et que le réexamen de la qualification des faits décidée par les tribunaux nationaux ne fait pas partie des pouvoirs conférés par le Protocole facultatif au Comité.

6.4En ce qui concerne l’argument des auteurs selon lequel il y aurait eu une action concertée des autorités de l’État contre le mouvement indépendantiste, l’État partie affirme que les auteurs ont été poursuivis et condamnés pour avoir tenté d’obtenir l’indépendance de la Catalogne par une voie de fait, sans suivre la procédure constitutionnelle de réforme de la Constitution, qui permet le changement de régime territorial. Il répète qu’en agissant de la sorte, les auteurs ont violé l’état de droit. Il affirme qu’il n’y a pas non plus eu de volonté de faire taire le mouvement indépendantiste et rappelle qu’à l’issue des élections convoquées par le Gouvernement national en décembre 2017, une majorité indépendantiste s’est dégagée au Parlement de Catalogne et a ensuite pris les rênes du Gouvernement catalan. Il affirme que depuis les élections de février 2021, le Gouvernement catalan est de nouveau composé de partis qui prônent l’indépendance de la Catalogne. Il soutient que dans ce contexte, toutes les mesures judiciaires prises dans le cadre de la procédure pénale visaient à faire en sorte que les majorités au Parlement soient respectées, afin que la procédure judiciaire ne modifie pas le résultat des élections. Ainsi, lorsque la mesure de suspension temporaire des mandats des auteurs a été adoptée, il a été décidé de remplacer les députés suspendus par d’autres députés du même groupe afin que la majorité indépendantiste au Parlement catalan reste inchangée, mesure que les auteurs ont eux-mêmes approuvée.

6.5Enfin, l’État partie souligne que, le 22 juin 2021, son Gouvernement a, dans l’intérêt public, dispensé les auteurs d’exécuter leur peine de prison.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Le Comité prend note de la réserve formulée par l’État partie à l’égard de l’article susmentionné, qui exclut également de la compétence du Comité les affaires dans lesquelles la même question est déjà en cours d’examen ou a déjà été examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Le Comité note qu’en avril 2019, le Groupe de travail sur la détention arbitraire a émis deux avis concernant six militants et responsables politiques du mouvement indépendantiste catalan, parmi lesquels MM. Junqueras, Rull et Romeva. Le Comité doit donc déterminer si, s’agissant des trois auteurs susmentionnés, la même question a été examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Le Comité rappelle sa jurisprudence, selon laquelle il faut entendre par « la même question », au sens de l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, une question concernant le même individu, les mêmes faits et les mêmes droits substantiels. En l’espèce, le Comité constate que la communication des auteurs concerne la suspension, préalable à toute déclaration de culpabilité, de leurs fonctions et mandats publics résultant du placement en détention provisoire ordonné contre eux, suspension qui violerait les droits qu’ils tiennent de l’article 25 du Pacte (voir par. 3.1 et 3.12). Le Comité note cependant que la communication soumise au Groupe de travail vise à déterminer s’ils ont été détenus de manière arbitraire. Il note également que, dans cette communication, les auteurs renvoient à l’article 25 du Pacte, non pas pour dénoncer la suspension de leurs fonctions et charges publiques, mais de manière générale pour faire valoir le caractère arbitraire de leur détention au regard de l’article 9 du Pacte, détention qui selon eux a résulté de l’exercice de droits ou de libertés garantis par le Pacte. Le Comité estime donc que la communication dont le Groupe de travail a été saisi ne porte pas sur la « même question » au sens de l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif. Dans ces conditions, et sans aborder la question de savoir si le Groupe de travail sur la détention arbitraire constitue « une autre instance internationale d’enquête ou de règlement », le Comité considère qu’il n’existe pas d’obstacle à la recevabilité de la présente communication au regard de cette disposition.

7.4En ce qui concerne la condition de l’épuisement des recours internes, le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication devrait être déclarée irrecevable au regard de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif, étant donné que, au moment où elle a été présentée, les recours en amparo étaient pendants (voir par. 4.2). Toutefois, le Comité renvoie à sa jurisprudence établie de longue date et rappelle qu’il détermine si les recours ont été épuisés au moment où il examine la communication. Il rappelle également qu’il procède ainsi par souci d’économie de procédure, puisqu’une communication pour laquelle les recours internes ont été épuisés après sa soumission pourrait être immédiatement resoumise au Comité si elle était déclarée irrecevable pour ce motif. Il fait observer qu’en l’espèce, chaque partie a eu la possibilité de déposer des informations et arguments complémentaires, qui ont été transmis à l’autre partie pour commentaires, et donc la possibilité de contester chaque nouveau fait et les allégations correspondantes.

7.5Le Comité prend note également de l’argument de l’État partie selon lequel les doutes des auteurs quant à l’utilité des recours internes ne les dispensent pas de les épuiser et ils doivent faire preuve de la diligence voulue pour s’en prévaloir (voir par. 4.2). Le Comité fait observer de nouveau que la communication des auteurs concerne la suspension, préalable à toute déclaration de culpabilité, de leurs fonctions et mandats publics résultant du placement en détention provisoire ordonné contre eux (voir par. 3.1 et 3.12), et que c’est sur ce point qu’ils auraient dû épuiser les recours internes. À cet égard, le Comité note que les auteurs ont déposé devant la Cour constitutionnelle, qui a statué en janvier et février 2020, deux recours en amparo assortis de demandes de mesures provisoires tendant à ce qu’il soit mis fin à la mesure de suspension dont ils faisaient l’objet. Le Comité prend note de l’argument des auteurs selon lequel ces recours n’étaient pas utiles pour ce qui était de prévenir le préjudice irréparable qu’ils alléguaient (voir par. 4.7 et 5.1), argument qu’il avait à l’époque considéré comme suffisamment étayé aux fins de l’enregistrement de la communication. Le Comité note que les auteurs affirment qu’il n’existe pas, à ce stade, d’autres recours internes pour remédier aux violations alléguées et que les recours en amparo susmentionnés ont donné à l’État partie la possibilité, eu égard à la règle de l’épuisement des recours, de remédier auxdites violations dans le cadre de son propre système judiciaire (voir par. 5.1). Le Comité observe que l’État partie n’a mentionné aucun autre recours utile et raisonnablement disponible dont les auteurs devraient se prévaloir à ce stade. Il estime par conséquent que les dispositions de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif ne font pas obstacle à la recevabilité de la communication.

7.6Le Comité considère que les griefs des auteurs qui concernent la suspension, préalable à toute déclaration de culpabilité, de leurs fonctions et mandats publics ont été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité. En l’absence d’autres questions concernant la recevabilité, il déclare la communication recevable au regard de l’article 25 du Pacte et procède à son examen au fond.

Examen au fond

8.1Conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

8.2Le Comité prend note des griefs des auteurs, qui soutiennent que la suspension, préalable à toute déclaration de culpabilité, de leurs fonctions et charges publiques pendant la procédure pénale engagée contre eux a violé les droits qu’ils tenaient de l’article 25 du Pacte, étant donné que cette suspension : a) n’était pas fondée sur des motifs raisonnables et objectifs prévus par la loi ; b) était arbitraire en ce que la situation individuelle des auteurs n’a pas été prise en compte ; et c) n’a pas été appliquée dans le respect des garanties d’une procédure régulière et d’impartialité (voir par. 3.1 et 3.12).

8.3Le Comité souligne que l’article 25 du Pacte est l’essence même du gouvernement démocratique. Il rappelle que cet article reconnaît et protège le droit de tout citoyen de prendre part à la direction des affaires publiques, de voter et d’être élu, et le droit d’accéder aux fonctions publiques. Quelle que soit la forme de la constitution ou du gouvernement qu’adopte un État, l’exercice de ces droits par les citoyens ne peut être suspendu ou supprimé que pour des motifs prévus par la loi, qui soient raisonnables et objectifs et s’accompagnent de procédures justes et équitables. Le Comité note que pour qu’une restriction de ces droits soit considérée comme établie par la loi, elle doit être prévisible, à savoir être définie avec suffisamment de précision pour permettre aux individus d’adapter leur comportement à la loi, qui ne peut conférer aux personnes chargées de son application un pouvoir illimité ou très étendu. Le Comité rappelle que, si le fait d’avoir été condamné pour une infraction est un motif de privation du droit de voter et de se porter candidat à une charge élective, la période pendant laquelle cette restriction s’applique devrait être en rapport avec l’infraction et la sentence. Il rappelle enfin que, quand la condamnation est clairement arbitraire ou qu’elle équivaut à une erreur manifeste ou à un déni de justice, ou que les actes judiciaires donnant lieu à la condamnation portent atteinte au droit à un procès équitable, la restriction des droits protégés par l’article 25 peut devenir arbitraire. Le Comité note que lorsque la restriction de ces droits précède, et non pas suit, la déclaration de culpabilité pour une infraction commise, les garanties susmentionnées doivent être appliquées avec plus de diligence. Compte tenu de ce qui précède, il doit donc déterminer, en premier lieu, si la suspension des auteurs de leurs fonctions, et ce avant toute déclaration de culpabilité, reposait sur des motifs raisonnables et objectifs prévus par la loi.

8.4Le Comité prend note de l’argument des auteurs selon lequel leur suspension préalable à toute déclaration de culpabilité n’était pas prévue par la loi, étant donné que l’infraction de rébellion visée à l’article 472 du Code pénal ne concerne que les personnes qui se soulèvent violemment et publiquement, que cette condition de violence est également requise par l’article 384 bis de la loi de procédure pénale et que les actions des auteurs ne peuvent être comprises comme remplissant cette condition (voir par. 2.7 et 3.2). Il prend note de l’argument de l’État partie selon lequel l’article 384 bis est compatible avec le Pacte en ce que la mesure de suspension qu’elle prévoit est raisonnable, objective, proportionnée et est adoptée lorsque la procédure pénale est déjà à un stade avancé (voir par. 4.3 et 4.4). Le Comité constate que les parties ne contestent pas le fait que l’article 384 bis ne s’applique qu’en cas d’inculpation de l’infraction de rébellion (voir par. 4.5 et 5.3) et en conclut que l’analyse de la légalité de la suspension préalable à la déclaration de culpabilité doit couvrir également l’interprétation que les tribunaux nationaux ont donnée de cette infraction, visée à l’article 472 du Code pénal et à l’article 384 bis de la loi de procédure pénale. Il observe que les auteurs ont souligné, avant même leur mise en accusation formelle, le lien qui existe entre ces deux types de règles et l’incidence que les poursuites pour rébellion auraient sur leurs droits politiques.

8.5En ce qui concerne l’article 472 du Code pénal, le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la manière dont le juge d’instruction a apprécié les faits n’a pas été arbitraire et n’a donc pas constitué un déni de justice (voir par. 6.1 et 6.6). Il renvoie à sa jurisprudence établie de longue date et rappelle qu’il appartient généralement aux juridictions des États parties au Pacte d’apprécier les faits et les éléments de preuve, ainsi que l’application ou l’interprétation de la législation nationale, sauf lorsque cette appréciation a été arbitraire, manifestement entachée d’erreur ou a représenté un déni de justice. Le Comité considère toutefois qu’en l’espèce, il n’a pas à se prononcer sur le bien-fondé de l’interprétation faite du droit interne par les juridictions nationales ni sur leur appréciation des faits et des éléments de preuve. Il doit en revanche déterminer si l’application, par ces juridictions, de l’article 472 du Code pénal puis de l’article 384 bis de la loi de procédure pénale remplit les conditions énoncées à l’article 25 du Pacte, comme cela a été dit (voir par. 8.3).

8.6En l’espèce, le Comité note que le juge d’instruction a inculpé les auteurs de l’infraction de rébellion, estimant qu’ils entendaient inciter à la mobilisation populaire puis l’instrumentaliser pour faire pression sur l’État, notamment par des actes de confrontation violente, y compris au moyen d’émeutes et d’actes de violence, commis le 20 septembre et le 1er octobre 2017 (voir par. 3.2). À cet égard, le Comité prend note de l’argument des auteurs selon lequel si la mobilisation populaire visant à faire pression sur l’État afin d’obtenir un changement constitutionnel était un motif suffisant pour suspendre les mandats politiques, les gouvernements pourraient agir au mépris total des garanties énoncées à l’article 25 (voir par. 3.5). Il prend également note de l’argument des auteurs selon lequel divers organismes nationaux et internationaux ont souligné que les auteurs et d’autres dirigeants politiques et sociaux catalans qui ont été poursuivis pour rébellion avaient agi de manière pacifique (voir par. 3.3 et 5.3). Il note que les tribunaux nationaux ont, en définitive, condamné les auteurs pour sédition et non pour rébellion, au motif que la condition de violence requise par l’article 472 du Code pénal n’était pas remplie (voir par. 4.1, 6.1 et 6.5). Il rappelle que les droits garantis par l’article 25 du Pacte sont étroitement liés à la liberté d’expression, de réunion et d’association. Sans s’attarder sur la question de savoir s’il existait, à l’époque, des preuves suffisantes que la condition de violence était remplie, au sens où le juge d’instruction avait interprété la loi pénale au fond pour décider d’inculper les auteurs, le Comité souligne que ceux-ci ont exhorté le public à se comporter de manière strictement pacifique et rappelle qu’« il existe une présomption en faveur du caractère pacifique des réunions » et que « les actes de violence sporadiques perpétrés par certains participants ne doivent pas être attribués aux autres participants, aux organisateurs ou au rassemblement lui-même ».

8.7En ce qui concerne l’article 384 bis de la loi de procédure pénale, le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel le cadre légal de la mesure de suspension des fonctions publiques est conforme aux normes universelles et régionales, étant donné qu’il répond à la nécessité du « renforcement du sens civique et du respect de l’état de droit ainsi que [du] bon fonctionnement et [du] maintien de la démocratie » (voir par. 6.4). Le Comité considère que l’État partie a un intérêt légitime à poursuivre ces objectifs. Il prend également note de l’argument des auteurs selon lequel l’article 384 bis établit une mesure exceptionnelle, puisqu’il prévoit que la suspension des fonctions peut être prononcée avant l’ouverture d’un procès pénal et uniquement en cas de poursuites pour rébellion (voir par. 5.3). Compte tenu de ce qui précède, le Comité rappelle que lorsque la suspension exceptionnelle des fonctions publiques précède la déclaration de culpabilité, les critères pour que cette suspension soit compatible avec le Pacte sont, en principe, plus stricts que lorsque la suspension intervient après (voir par. 8.3), et ce d’autant plus que les juridictions internes ont établi que la suspension préalable à toute déclaration de culpabilité découle automatiquement ex lege , ce qui ne laisse pas de marge d’interprétation dans son application, une fois qu’il est établi que les conditions dans lesquelles l’article prévoit l’application de la mesure de suspension sont réunies (voir par. 5.6).

8.8Compte tenu de ce qui précède, le Comité considère que l’État partie n’a pas démontré que l’application de l’article 472 du Code pénal puis de l’article 384 bis de la loi de procédure pénale décidée par les tribunaux nationaux satisfait à l’exigence de prévisibilité requise par l’article 25 du Pacte. De même, dans les circonstances de l’espèce, l’application d’une disposition du droit interne qui entraîne automatiquement la suspension des fonctions publiques avant toute déclaration de culpabilité et sur la base d’actions publiques pacifiques empêche qu’une évaluation individuelle de la proportionnalité de la mesure soit réalisée et ne saurait par conséquent être jugée conforme aux conditions de raisonnabilité et d’objectivité requises. Par conséquent, le Comité conclut que l’État partie a violé les droits que les auteurs tiennent de l’article 25 du Pacte, étant donné que la décision d’inculper les auteurs de l’infraction de rébellion, qui a entraîné automatiquement la suspension de leurs fonctions publiques avant même qu’ils aient été déclarés coupables, n’était pas fondée sur des motifs raisonnables et objectifs prévus par la loi.

9.Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie de l’article 25 du Pacte.

10.Conformément à l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer aux auteurs un recours utile. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits ont été violés. Le Comité considère qu’en l’espèce, ses constatations sur le fond de la communication constituent une réparation suffisante de la violation constatée. L’État partie est également tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour éviter que des violations analogues se reproduisent.

11.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsque la réalité d’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans les langues officielles de l’État partie.

Annexe

[Original : anglais]

Opinion conjointe (dissidente) de José Manuel Santos Pais et Wafaa Ashraf Moharram Bassim

1.Nous regrettons de ne pouvoir nous associer aux présentes constatations. La communication des auteurs aurait dû être déclarée irrecevable pour non-épuisement des recours internes. Bien que les griefs aient été jugés recevables, nous n’aurions pas constaté de violation des droits que les auteurs tiennent de l’article 25 du Pacte.

2.Les auteurs sont d’anciens membres du Gouvernement catalan. Le 6 septembre 2017, le Parlement catalan a adopté la loi no 19/2017 autorisant la tenue d’un référendum sur l’indépendance de la Catalogne. Le lendemain, la Cour constitutionnelle d’Espagne a suspendu cette loi en attendant de statuer sur sa constitutionnalité. Malgré cela, le 1er octobre 2017, un référendum a été organisé et 43 % des électeurs y ont participé (voir par. 2.2). Le 17 octobre 2017, la Cour constitutionnelle a déclaré la loi no 19/2017 inconstitutionnelle et nulle. En dépit de cette décision, le 27 octobre, le Parlement catalan a déclaré l’indépendance et a été immédiatement dissous par le Gouvernement espagnol. De nouvelles élections régionales ont été convoquées en décembre 2017 (voir par. 2.3).

3.La situation politique de l’État partie était alors très délicate et l’unité nationale menaçait de voler en éclat. Des manifestations étaient organisées non seulement en Catalogne mais aussi dans d’autres régions et faisaient peser un risque considérable sur la sécurité nationale et l’ordre démocratique. Les auteurs étaient conscients des risques qu’ils prenaient en faisant ouvertement fi de la loi et des décisions de la Cour constitutionnelle, mais ils ont persisté dans leur entreprise d’indépendance de la Catalogne. Le Procureur général a donc engagé une procédure pénale contre eux pour rébellion et détournement de fonds publics. La juge d’instruction a placé les auteurs en détention provisoire le 2 novembre 2017. Le Tribunal suprême a confirmé cette décision en ce qui concernait l’un des auteurs et a fixé la caution pour les autres (voir par. 2.4).

4.Le 9 juillet 2018, le Tribunal suprême a informé le Parlement catalan que les auteurs avaient été suspendus, en application de l’article 384 bis de la loi de procédure pénale, des charges et mandats publics qu’ils exerçaient et a indiqué que le Bureau du Parlement devait adopter les mesures nécessaires (voir par. 2.6 et 4.5). Les auteurs ont accepté d’être remplacés par d’autres députés de leur groupe parlementaire (voir par. 4.1). Le 30 juillet 2018, le Tribunal suprême a rejeté leur recours contre la décision de suspension. Ils ont formé devant la Cour constitutionnelle des recours en amparo les 19 septembre et 10 octobre 2018 et ont demandé que des mesures provisoires de protection soient ordonnées afin de geler la décision de les suspendre de leurs mandats. À peine deux mois plus tard, le 18 décembre 2018, ils ont soumis leur communication au Comité.

5.Au moment de la soumission de la communication, les recours en amparo n’avaient fait l’objet d’aucune décision et étaient toujours pendants. La Cour constitutionnelle a statué le 28 janvier et le 25 février 2020 (voir par. 4.2). Elle a donc mis un an à se prononcer, ce qui est un délai raisonnable pour un tel recours. Quant au Tribunal suprême, il a rendu une décision sur la déclaration de culpabilité des auteurs le 15 octobre 2019, également dans les délais impartis. Les recours internes n’étaient donc pas futiles, mais utiles et n’ont pas occasionné de retard excessif, les juridictions ayant répondu aux griefs des auteurs et même accepté certains de leurs arguments. La communication aurait donc dû être déclarée irrecevable. Nous sommes d’avis que le raisonnement suivi dans les présentes constatations (voir par. 7.4 et 7.5) est de nature à compliquer considérablement l’application effective de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif à l’avenir.

6.L’article 384 bis de la loi de procédure pénale a été introduit en 1988 et déclaré constitutionnel par la Cour constitutionnelle en 1994. Il ne s’agit donc pas d’une nouvelle disposition dont les auteurs n’avaient pas connaissance. La mesure de suspension des fonctions publiques était nécessaire, raisonnable, objective et proportionnée, étant donné les conséquences politiques considérables des actions des auteurs. Elle a été décidée par un juge d’instruction, après un examen approfondi et détaillé de tous les éléments de preuve disponibles à l’époque, dans le cadre d’une enquête pénale, avec toutes les garanties d’une procédure régulière (voir par. 4.4, 4.5 et 6.1 à 6.4). Le 14 octobre 2019, le Tribunal suprême a jugé que les auteurs n’avaient pas commis le crime de rébellion mais celui de sédition, faute de preuves suffisantes de violence instrumentale, et la mesure de suspension a donc été immédiatement révoquée (voir par. 4.1). L’enchaînement des faits atteste le bon fonctionnement des tribunaux nationaux : une décision ultérieure (prise pendant le procès) vient modifier une décision antérieure (prise par un juge d’instruction) pour tenir compte d’éléments de preuve plus détaillés et plus nombreux. Il n’y a donc eu ni décision arbitraire ni déni de justice de la part des juridictions internes et aucun préjudice irréparable n’a été causé aux auteurs, ceux-ci ayant été rétablis dans leurs droits politiques (la plupart d’entre eux ont été élus députés au sein des Cortes Generales en 2019). Enfin, le 22 juin 2021, le Gouvernement de l’État partie, agissant dans l’intérêt public, a dispensé les auteurs d’exécuter leur peine d’emprisonnement (voir par. 6.5).

7.En ce qui concerne la violation alléguée de l’article 25 du Pacte, les auteurs ont agi illégalement et n’ont pas respecté les décisions de la Cour constitutionnelle. Leurs droits ont été restreints parce qu’ils ont ignoré les voies constitutionnelles disponibles et ont eu recours à des moyens illégaux pour réformer la Constitution de l’État partie. Dans ses constatations, le Comité a tenté d’éviter l’écueil de sa jurisprudence établie sur l’interprétation de la législation nationale et l’appréciation des faits et éléments de preuve par les tribunaux nationaux (voir par. 8.5 et 8.6). Aussi subtil que soit le raisonnement, il se heurte à l’interprétation, dans le droit interne, des infractions de rébellion et de sédition et à l’applicabilité de l’article 384 bis de la loi de procédure pénale. Les juridictions nationales sont parvenues à cette interprétation de manière raisonnable et opportune et le Comité ne devrait donc pas agir en tant que quatrième instance et contester leur appréciation. L’État partie a également expliqué que l’article 384 bis de la loi de procédure pénale n’était pas appliqué de manière automatique mais seulement dans certains cas, après un examen individualisé et au vu des circonstances de l’espèce (voir par. 4.5 et 6.1). En tout état de cause, la mesure de suspension des fonctions publiques était raisonnable, nécessaire, proportionnée et, de surcroît, prévisible étant donné la situation tendue dans laquelle les juridictions nationales devaient exercer leurs activités à l’époque. Nous n’aurions donc pas conclu à une violation des droits que les auteurs tiennent de l’article 25 du Pacte.