Nations Unies

CCPR/C/130/D/3052/2017

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

17 juin 2021

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Décision adoptée par le Comité en vertu du Protocole facultatif, concernant la communication no 3052/2017 * , **

Communication présentée par :

A. G. (représentée par un conseil, J. Bravo Mougán)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteure

État partie :

Pays-Bas

Date de la communication :

31 octobre 2017 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 23 novembre 2017 (non publiée sous forme de document)

Date de de la décision :

6 novembre 2020

Objet :

Travail forcé

Questions de procédure :

Griefs insuffisamment étayés

Questions de fond :

Droit à un recours utile ; protection contre le travail forcé et la servitude

Article(s) du Pacte:

2 (par. 3), lu conjointement avec l’article 8

Article(s) du Protocole facultatif :

2

1.1L’auteure de la communication est A. G., de nationalité marocaine, née en 1962. Elle se dit victime d’une violation par les Pays-Bas des droits qu’elle tient de l’article 2 (par. 3), lu conjointement avec l’article 8, du Pacte. L’auteure est représentée par un conseil.

1.2Le 23 novembre 2017, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a décidé qu’il ne présenterait pas de demande de mesures provisoires au titre de l’article 94 de son règlement intérieur.

Rappel des faits présentés par l’auteure

2.1L’auteure est née le 27 avril 1962 au Maroc et vit actuellement à Amsterdam (Pays‑Bas). Elle a grandi au Maroc dans une famille très pauvre. Elle n’a reçu aucune instruction et a travaillé comme domestique, tout d’abord en Arabie saoudite, puis au Maroc, où elle a été employée par une néerlando-marocaine nommée Naïma. En 2002, Naïma a demandé à l’auteure de venir travailler pour elle aux Pays-Bas. L’auteur ayant accepté, Naïma a tenté de la faire entrer clandestinement dans le pays en voiture, mais a été appréhendée à la frontière. En 2003, Naïma a de nouveau caché l’auteure dans sa voiture et a cette fois réussi à la faire entrer clandestinement aux Pays-Bas. Lorsqu’elle est entrée dans le pays, l’auteure avait son passeport mais pas de visa valide.

2.2Aux Pays-Bas, l’auteure a vécu chez son employeuse, Naïma. Elle a travaillé pour elle pendant huit ans, s’occupant de ses enfants. Elle était logée et nourrie mais ne recevait aucun salaire pour son travail. Elle devait être à la disposition de Naïma vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept. Elle n’avait pas d’horaires de travail fixes et était maltraitée. Par exemple, il arrivait à Naïma de l’envoyer dehors au milieu de la nuit sans manteau ou de lui adresser des paroles humiliantes.

2.3Naïma avait promis de demander et d’obtenir un permis de séjour pour l’auteure, mais n’a jamais tenu sa promesse. Elle disait au contraire à l’auteure qu’elle serait arrêtée par la police si elle décidait de partir. L’auteure n’a jamais été payée, si l’on excepte les quelques fois où elle a reçu environ 50 euros. En outre, elle n’a jamais reçu les soins médicaux dont elle avait besoin pour son diabète et Naïma n’a pas contracté d’assurance maladie pour elle, alors qu’elle connaissait ses problèmes de santé. En 2010, après avoir travaillé pour Naïma pendant huit ans environ, l’auteure est partie alors que Naïma était au travail et s’est cachée chez une autre famille, pour laquelle elle a aussi travaillé.

2.4Le 8 décembre 2015, l’auteure a dénoncé Naïma à la police pour traite d’êtres humains, infraction visée à l’article 273f du Code pénal. Dans une lettre datée du 11 novembre 2016, le procureur a décidé de ne pas engager de poursuites, le procès-verbal d’infraction officiel ne contenant aucun élément laissant présumer un cas d’exploitation par le travail qui justifierait une enquête pénale − l’auteure avait un passeport valide, sa situation irrégulière ne l’empêchait pas de faire ce qu’elle voulait et elle avait réussi à survivre pendant les cinq années qui avaient suivi son départ de chez Naïma. Leprocureur estimait en outre que les tâches dont l’auteure devait s’acquitter n’étaient pas pénibles, sales ou trop longues et que l’auteure était nourrie et logée, avait bénéficié de soins médicaux et avait reçu un téléphone. En conséquence, elle n’était pas contrainte de travailler ou d’assurer des services ou exploitée de toute autre manière au sens de l’article 273 f duCode pénal. Le procureur a aussi tenu compte du fait que l’auteure n’avait dénoncé l’infraction que cinq ans après les faits, lorsqu’elle avait cherché à rester aux Pays‑Bas et que la suite de son séjour dans le pays dépendait de la dénonciation de cette infraction.

2.5Le 2 mars 2017, l’auteure a saisi la Cour d’appel d’une plainte pour non-engagement de poursuites contre l’auteur d’une infraction. Renvoyant à la loi et aux décisions de tribunaux, l’auteure soulignait que sa situation contenait tous les éléments de l’exploitation et que le Procureur n’avait pas suffisamment motivé sa conclusion relative à l’absence d’exploitation telle que définie à l’article 273 f du Code pénal.

2.6À la demande de la Cour d’appel, la plainte a été transmise à l’Avocat général, qui, dans une lettre datée du 24 avril 2017, a reconnu que l’auteure avait travaillé pendant longtemps, durant de longues heures, et n’avait pas été dûment rémunérée. Il concluait toutefois que ce fait ne permettait pas de considérer que les conditions de travail de l’auteure étaient constitutives d’exploitation telle que définie à l’article 273 f du Code pénal, puisque le travail de l’auteure consistait dans des « activités normales exercées par de nombreuses Néerlandaises travaillant à temps partiel ou à plein temps ». L’Avocat général déclarait aussi que l’auteure était en possession de son passeport, était libre de quitter le domicile et n’avait pas été employée à des travaux insalubres.

2.7Le 27 juin 2017, l’auteure a de nouveau saisi la Cour d’appel, affirmant que l’Avocat général avait conclu à tort que sa situation ne relevait pas de l’exploitation, de la servitude ou du travail forcé. Elle ajoutait que, bien que les autorités néerlandaises aient mené une enquête, celle-ci n’était pas adéquate. Pour conclure, elle affirmait que le Gouvernement ne s’acquittait pas de son obligation positive de respecter et garantir ses droits en tant que victime et ne prenait pas les dispositions nécessaires pour adopter des mesures visant à protéger ses droits. Dans sa décision datée du 12 juillet 2017, la Cour d’appel a confirmé la décision du procureur.

Teneur de la plainte

3.1L’auteure affirme que les Pays-Bas ont violé les droits qu’elle tient de l’article 8 du Pacte parce que sa situation est constitutive d’exploitation, de servitude ou de travail forcé et que les procédures juridiques et administratives appliquées n’étaient pas conformes aux garanties prévues à l’article 2 (par. 3) du Pacte.

3.2L’auteure déclare que sa situation relève de l’article 8 du Pacte, la traite des êtres humains s’entendant généralement du processus par lequel des personnes sont placées ou maintenues dans une situation d’exploitation à des fins lucratives. Elle signale également que les Pays-Bas ont ratifié le Protocole visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants le 27 juillet 2005. Elle renvoie à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et affirme qu’elle a été victime d’exploitation, de servitude ou de travail forcé. Elle souligne que l’ensemble des quatre éléments de l’article 273 f du Code pénal sont présents, à savoir : a) l’acte, puisqu’elle a été amenée en voiture et est entrée illégalement aux Pays-Bas ; b) les moyens, puisque, n’étant pas en situation régulière au Pays-Bas, ne parlant pas la langue et ne connaissant pas le pays, elle faisait l’objet de menaces et d’actes hostiles, y compris des actes de violence, était victime d’abus de pouvoir et ne recevait aucun salaire ; c) l’intention, puisque l’employeuse de l’auteure savait parfaitement que celle-ci était dans une situation de vulnérabilité et dépendait totalement d’elle ; et d) l’objectif, qui comprend la nature et la durée de son travail et l’avantage économique qu’en a tiré son employeuse.

3.3En conséquence, l’auteure affirme que le procureur n’a pas apprécié valablement sa situation compte tenu de toutes les circonstances. Elle renvoie à la jurisprudence des tribunaux nationaux, à un rapport concernant sa situation établi par une organisation locale nommée FairWork et à l’Organisation internationale du Travail (OIT) et fait valoir que sa situation correspond aux indicateurs de l’exploitation constitutive de servitude ou de travail forcé, notamment l’abus d’une situation de vulnérabilité, la tromperie, la restriction de la liberté de circulation, l’isolement, l’abandon matériel, l’intimidation et les menaces, la rétention de salaire, la servitude pour dettes, les conditions de travail et de vie abusives et les heures supplémentaires excessives.

3.4Certes, les autorités ont ouvert une enquête, mais l’auteure estime que celle-ci comportait des carences, puisque le procureur n’avait pas suffisamment motivé sa conclusion selon laquelle l’affaire de l’auteure ne relevait pas de l’exploitation telle que définie à l’article 273 f (par. 1) du Code pénal et à l’article 8 du Pacte. Elle fait observer que l’article 2 (par. 3) du Pacte implique une obligation procédurale pour les États, qui doivent incriminer le fait de maintenir une personne dans une situation d’esclavage ou de servitude ou de soumettre une personne au travail forcé ou obligatoire, et engager des poursuites effectives contre les auteurs de tels actes, et qui doivent mettre en place un cadre législatif et administratif permettant d’interdire et de punir ces actes. Se référant au Protocole visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants et à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, l’auteure soutient que l’État partie n’a pas respecté son obligation positive d’enquêter sur l’exploitation par le travail et que c’est à tort qu’elle a été déboutée.

3.5Après qu’elle a eu signalé son affaire à la police, l’auteure s’est vu proposer un hébergement et a reçu des soins médicaux. Toutefois, depuis le classement de l’affaire, en 2016, il a été mis fin à toutes les mesures de protection et à tous les soins. L’auteure affirme que les Pays-Bas doivent continuer de lui offrir une protection et un soutien après la fin de la procédure pénale, raison pour laquelle elle a fait une demande de mesures provisoires.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 23 mai 2018, l’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité et sur le fond. L’État partie considère que la communication est dénuée de fondement et devrait être déclarée irrecevable.

4.2L’État partie rappelle les principaux faits exposés dans la communication, indiquant que, le 14 décembre 2015, une unité de police d’Amsterdam a procédé à un premier entretien avec l’auteure pour déterminer si elle pouvait avoir été victime de traite des êtres humains, infraction réprimée par l’article 273 f du Code pénal. Certains éléments laissant supposer un cas de traite des êtres humains à des fins d’exploitation par le travail, l’auteure a bénéficié d’une autorisation de résidence temporaire fondée sur des raisons humanitaires, conformément à la partie B8 des Directives relatives à l’application de la loi sur les étrangers (procédure B8). Dans ce cadre, elle s’est vu accorder un délai de trois mois pour déposer une plainte pénale, et un permis de séjour au Pays-Bas pendant cette période.

4.3L’État partie explique que, le 8 décembre 2015, l’auteure a déposé une plainte pénale pour traite des êtres humains. Elle indiquait dans sa plainte qu’elle avait pu fuir cette situation en 2010. Après sa fuite, elle avait séjourné dans divers lieux aux Pays-Bas. Elle n’avait signalé sa situation aux autorités qu’en 2015. Les autorités ont décidé d’office de prendre sa plainte en considération et lui ont accordé un permis de séjour assorti de la restriction « raisons humanitaires temporaires », pour une période d’un an à compter du 8 décembre 2015, dans le cadre du programme pour les victimes et les témoins présentant une plainte pour traite des êtres humains visé à l’article 3.45 (par. 1 a)) de la loi sur les étrangers et à la partie B8/3 des Directives relatives à l’application de la loi sur les étrangers.

4.4Le 11 novembre 2016, le procureur a décidé de ne pas engager de procédure pénale suite à la plainte de l’auteure. Il n’était pas convaincu que l’affaire de l’auteure relevât du travail forcé tel que défini à l’article 273 f du Code pénal ; cette décision a été confirmée par la Cour d’appel de La Haye dans son arrêt du 12 juillet 2017. Se fondant sur les éléments de preuve à sa disposition, la Cour d’appel a jugé qu’il n’y avait pas eu de travail ou de services forcés au sens de l’article 273 f du Code pénal. L’État partie fait observer que tous les appels formés par l’auteure contre les refus du procureur d’engager une procédure pénale ont été examinés par les tribunaux compétents, qui ont confirmé les décisions rendues, et qu’il considère par conséquent que l’auteure a eu accès à des recours internes utiles. S’agissant de l’avantage économique de l’employeuse, il a été reconnu dans le cadre de la procédure que l’employeuse avait tiré un avantage financier important du travail de l’auteure. L’auteure a alors été informée de la possibilité qu’elle avait d’obtenir le versement des salaires impayés en engageant une procédure civile contre son employeuse.

4.5Le 14 septembre 2016, l’auteure a demandé le renouvellement de son permis de séjour. Le 23 novembre 2016, elle a été informée que le Ministre de la migration avait l’intention de révoquer son permis de séjour avec effet rétroactif au 11 novembre 2016 et de rejeter sa demande de renouvellement de ce permis, au motif que le procureur avait décidé de ne pas engager de procédure pénale suite à la plainte déposée par l’auteure pour traite des êtres humains.

4.6Le 17 janvier 2017, l’auteure a répondu à cette notification d’intention et a demandé que son permis de séjour soit modifié et transformé en permis « fondé sur des raisons humanitaires non temporaires » au sens de l’article 3.51 (par. 1 k)) de la loi sur les étrangers. Le 24 février 2017, le permis de séjour de l’auteure a été révoqué avec effet rétroactif au 11 novembre 2016 et ses demandes de renouvellement et de modification ont été rejetées. Le 16 mars 2017, l’auteure a présenté une notification d’opposition concernant la décision du 24 février 2017, qui a été déclarée infondée dans une décision datée du 9 octobre 2017. Le 26 octobre 2017, l’auteur a fait appel de cette décision devant le tribunal de district, qui a examiné sa demande en audience. Le 28 février 2018, le tribunal de district a déclaré que la demande de contrôle juridictionnel était infondée. Le 28 mars 2018, l’auteure a fait appel de cette décision devant la Section du contentieux administratif ; son appel est toujours pendant.

4.7L’État partie rappelle les critères de recevabilité énoncés aux articles 1, 2, 3 et 5 du Protocole facultatif et ajoute que, si le Comité est compétent pour examiner d’éventuelles violations des droits garantis par le Pacte, il n’agit toutefois pas en tant que juridiction d’appel ou tribunal de quatrième instance. L’État partie estime aussi que, selon la jurisprudence établie du Comité, c’est aux tribunaux nationaux et non au Comité qu’il revient d’apprécier les faits et les éléments de preuve. Les autorités nationales sont mieux placées que le Comité pour établir et examiner les circonstances particulières d’une affaire et il n’appartient pas au Comité de réévaluer les faits qui ont été examinés par les tribunaux nationaux.

4.8Si toutefois le Comité devait déclarer la communication de l’auteure recevable, l’État partie considère qu’elle est infondée. L’État partie note que l’auteure affirme avoir été victime de servitude ou de travail forcé, en violation de l’article 8 du Pacte. À ce sujet, il rappelle que la traite des êtres humains est réprimée par l’article 273 f du Code pénal, conformément au Protocole visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants et à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, et que la procédure interne pour le dépôt d’une plainte pénale relative à des faits de traite des êtres humains et pour l’instruction de l’affaire a été mise en place avec toute la diligence voulue. Aussi l’État partie considère-t-il qu’il s’est acquitté de son obligation positive de combattre l’exploitation par le travail de personnes vulnérables par des acteurs privés.

4.9L’État partie rappelle que la situation de l’auteure a été évaluée par un procureur spécialisé au sens de l’article 273 f du Code pénal, qui a conclu que les circonstances de l’affaire ne permettaient raisonnablement pas de soupçonner un cas d’exploitation au sens dudit article. Selon l’État partie, l’appréciation du procureur et celle de la Cour d’appel n’ont pas été déraisonnables et sont compatibles avec l’article 8 du Pacte. En outre, contrairement à ce qu’elle affirme dans sa communication au Comité, l’auteure, pendant l’entretien du 8 décembre 2015 avec la police, a nié avoir fait l’objet de violence ou de menaces.

4.10En ce qui concerne la jurisprudence invoquée par l’auteure, l’État partie considère que les situations ne sont pas comparables à celle de l’auteure. L’affaire Siliadin c. Franceconcerne une mineure qui avait été amenée en France et n’avait pas de titre de séjour régulier, avait travaillé sept jours par semaine sans être payée pendant plusieurs années, sans aucun jour de congé et privée du droit de circuler librement, et à laquelle on avait confisqué le passeport. Dans l’affaire Mehak, le tribunal de district a en effet jugé que la situation des personnes concernées était désespérée et que les circonstances étaient dégradantes. Ces personnes n’avaient pas accès à leur passeport sans demander une autorisation spéciale et avaient très peu voire pas du tout de contacts avec le monde extérieur ; il y avait de la violence physique. Dans les affaires Siliadin c. France et C. N. c. Royaume ‑ Uni la Cour européenne des droits de l’homme a conclu à une violation parce que la loi n’incriminait pas de manière effective la servitude et le travail forcé. Contrairement aux systèmes juridiques mentionnés dans ces affaires, la législation néerlandaise incrimine expressément la servitude et le travail forcé.

4.11En ce qui concerne le rapport de FairWork sur la situation de l’auteure, daté du 28 février 2017, l’État partie note que, contrairement à ce que l’auteure affirme dans sa communication, ce rapport ne conclut pas que l’auteure a effectivement été victime d’exploitation. Le fait qu’à un stade précoce on ait supposé que des indices pouvaient laisser présumer un cas d’exploitation ne signifie pas que les éléments de l’infraction de traite des êtres humains ou d’exploitation étaient réunis et est, en tout état de cause, indépendant du devoir d’enquêter qui incombe aux autorités.

4.12L’État partie considère aussi qu’il s’est acquitté du devoir d’enquêter qui découle de l’article 2 (par. 3), lu conjointement avec l’article 8, du Pacte. Il rappelle qu’au sens de l’article 2 (par. 3) du Pacte, il convient de donner accès à des recours utiles qui permettent l’examen par les juridictions internes de griefs tirés du Pacte, s’agissant de griefs suffisamment bien fondés pour être défendables en vertu du Pacte. En outre, afin d’assurer comme il se doit le droit à un recours, un État doit aussi prendre des mesures concrètes face à des allégations crédibles de violations du Pacte.

4.13L’État partie renvoie à l’affaire Horvath c. Australie et reconnaît qu’il a l’obligation positive de protéger les victimes contre ceux qui les exploitent. Cela signifie notamment qu’une enquête doit être ouverte dès lors que les autorités ont connaissance d’éléments laissant présumer un cas d’exploitation. Le Gouvernement estime que les dispositions et procédures prévues par la législation néerlandaise en vue de prévenir et réprimer la traite des êtres humains et en punir les auteurs sont suffisantes.

4.14L’État partie note que l’auteure n’a pas présenté d’argument montrant que l’enquête n’avait pas été conduite avec la diligence voulue. Par conséquent, la communication est infondée. Le fait que l’issue n’ait pas été celle souhaitée par l’auteure − à savoir des poursuites pénales et la délivrance d’un permis de séjour à l’auteure − ne signifie pas que l’article 2 (par. 3) du Pacte ait été violé. L’article 2 (par. 3), lu conjointement avec l’article 8, du Pacte ne va pas jusqu’à conférer un droit au déclenchement de poursuites pénales.

4.15L’État partie ajoute que l’auteure a eu accès à un recours utile et qu’il a été satisfait à l’obligation d’enquêter sur une affaire d’exploitation présumée. De même, l’auteure s’est vu accorder une période de réflexion de trois mois à la suite du premier entretien et la possibilité de donner un récit détaillé de sa situation à des agents de police formés, en présence d’un interprète. Le procureur a rendu sa conclusion, informant l’auteure de sa décision et des raisons qui la fondaient. L’État partie considère que les éléments qui pouvaient laisser présumer un cas de traite des êtres humains concernant l’auteure ont été analysés avec soin et examinés quant au fond. L’auteure a eu la possibilité de contester la décision du procureur de ne pas engager de poursuites pénales. Sur le fond, le procureur et la Cour d’appel ont conclu que rien ne prouvait que l’auteure avait été exploitée au sens de l’article 273 f du Code pénal.

4.16L’État partie ajoute que l’auteure n’a saisi les autorités de ses allégations d’exploitation que cinq ans après avoir quitté son employeuse. Il était peu probable qu’une enquête conduite en 2015 et 2016 sur des faits présumés d’exploitation par le travail qui remonteraient à la période allant de 2003 à 2010 débouche sur des pistes suffisantes, compte tenu du temps écoulé.

4.17L’État partie considère que l’auteure n’a pas suffisamment étayé son grief selon lequel l’État partie ne lui a pas assuré une protection suffisante dans la présente affaire. L’enquête conduite par les autorités nationales dans l’affaire de l’auteure était suffisante aux fins de l’article 2 (par. 3), lu conjointement avec l’article 8, du Pacte. En conclusion, l’État partie considère que la communication est irrecevable puisque le Comité n’a pas pour fonction d’agir en tant qu’instance d’appel. L’État partie estime, si le Comité devait ne pas souscrire à cet avis, qu’il n’y a pas eu de violation de l’article 2 (par. 3), lu conjointement avec l’article 8, du Pacte, et que la communication dans son ensemble est infondée.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1Le 27 août 2018, l’auteure a soumis ses commentaires sur les observations de l’État partie. L’auteure affirme que le problème est que l’État partie, s’agissant de la décision du procureur relative au classement de l’affaire, n’a pas procédé à un examen des éléments de preuve ou de la responsabilité pénale d’un individu ni à un examen de la question de l’innocence ou de la culpabilité.

5.2L’auteure rappelle qu’elle a affirmé non pas que l’État partie n’avait pas conduit une enquête en bonne et due forme, mais qu’il avait commis une erreur d’appréciation pour ce qui est de déterminer si des faits et circonstances crédibles constituaient une violation de l’article 8 du Pacte et, en conséquence, ne lui a pas assuré de recours utile au sens de l’article 2 (par. 3) du Pacte. Ainsi, l’auteure souligne qu’elle demande au Comité non pas de rendre une décision sur les éléments de preuve, la responsabilité pénale ou la question de l’innocence ou de la culpabilité, mais de prier l’État partie de rouvrir l’affaire afin de reprendre l’enquête.

5.3L’auteure renvoie à l’affaire S. M. c. Croatie, examinée par la Cour européenne des droits de l’homme, et fait observer qu’en cette affaire, la Cour a conclu que, même si l’État membre disposait d’un cadre juridique approprié pour réprimer la traite des êtres humains, la prostitution forcée et l’exploitation, il y avait eu des lacunes dans l’enquête menée par les autorités. Par conséquent, la Cour n’était pas convaincue que les autorités de poursuite et les tribunaux nationaux avaient soumis l’affaire de la requérante à l’examen approfondi exigé par l’article 4 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme).

5.4L’auteure note que la « doctrine de la quatrième instance » suppose que le Comité ne peut pas réexaminer les conclusions concernant les faits et le droit rendues par un tribunal national agissant dans le cadre de ses compétences, à moins qu’il ne considère qu’une violation du Pacte a été commise. Étant donné que le grief formulé dans la présente communication concerne le fait que la décision de la juridiction interne bafoue le droit à un recours utile et viole par conséquent un autre droit garanti par le Pacte, l’auteure estime que le Comité est compétent pour déclarer sa communication recevable et statuer sur le fond.

5.5L’auteure ajoute qu’en l’espèce, le fait que les recours internes ont été épuisés n’est pas contesté et que la communication remplit la condition énoncée à l’article  5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif. Elle considère que sa communication est recevable et demande au Comité de l’examiner quant au fond.

5.6En ce qui concerne l’évaluation de la communication sur le fond, l’auteure affirme que l’État partie n’a pas suffisamment pris en considération la nature et la durée du travail qu’elle a accompli. Elle renvoie à l’affaire Faure c. Australie, dans laquelle le Comité a fait observer que le Pacte ne précisait pas le sens des termes « travail forcé ou obligatoire ». Elle rappelle les facteurs énoncés par l’OIT et soutient que la question de savoir si une affaire concerne des faits de servitude ou de travail forcé tels que définis à l’article 8 du Pacte devrait être évaluée au vu des circonstances concrètes de l’affaire. L’auteure mentionne aussi l’affaire C. N. c. Royaume-Uni , dans laquelle la Cour européenne des droits de l’homme a jugé que « la servitude domestique constitu[ait] une infraction spécifique […] qui met[tait] en jeu une dynamique propre comportant des manières ouvertes et d’autres, plus subtiles, d’exercer une coercition pour contraindre à la docilité. Mener une enquête approfondie sur de telles plaintes nécessitait de connaître toutes les manières subtiles dont une personne peut tomber sous la coupe d’une autre». Compte tenu de ce qui précède, l’auteure affirme que, même s’ils ne constituent pas en soi une exploitation par le travail, le travail domestique et les soins aux enfants peuvent être considérés comme de la servitude ou du travail forcé au sens de l’article 8 du Pacte à la suite de l’appréciation de l’ensemble des circonstances de l’affaire.

5.7L’auteure affirme que l’État partie n’a pas non plus reconnu les conditions difficiles dans lesquelles elle devait accomplir son travail, y compris les moyens de coercition, car elle était humiliée verbalement, menacée de violence physique et menacée d’être dénoncée à la police néerlandaise, laquelle l’aurait alors remise à la police marocaine, qui l’aurait battue. Parconséquent, elle avait peur lorsqu’elle marchait dans la rue et ne pensait qu’à rentrer chez son employeuse le plus vite possible, ce qui explique aussi qu’elle ait attendu de si nombreuses années pour porter plainte. Elle ne recevait pas non plus l’assistance médicale nécessaire et appropriée pour son diabète ni les soins médicaux nécessaires dans d’autres situations : elle s’était un jour blessé le pied et son employeuse avait refusé de l’autoriser à se faire soigner, jusqu’à ce que la blessure s’infecte et qu’un ami de son employeuse l’emmène à l’hôpital. Une autre fois, alors qu’elle avait mal à une dent, son employeuse avait fait venir chez elle un dentiste clandestin, qui lui avait ôté la dent sans anesthésie.

5.8L’auteure affirme que, contrairement à l’évaluation faite par l’État partie et conformément à la note explicative de l’article 273 f du Code pénal, la question de savoir si la victime de traite des êtres humains était consentante n’est pas pertinente s’il a été fait usage de l’un des moyens de coercition, en l’occurrence le fait qu’elle ait suivi son employeuse aux Pays-Bas. Elle déclare avoir été manipulée par son employeuse, qui lui avait promis un brillant avenir au Pays-Bas. L’auteure affirme qu’elle avait voulu partir à plusieurs reprises, mais qu’elle avait eu trop peur de le faire. Elle ajoute qu’elle a été victime de « domination résultant de l’abus de circonstances réelles », ce qui, selon la Cour suprême des Pays-Bas, est l’abus d’une position dominante dans une relation, qui est davantage susceptible de se produire lorsqu’une personne ne réside pas légalement aux Pays-Bas. L’auteure était aussi vulnérable du fait qu’elle était issue d’un milieu pauvre et qu’elle ne maîtrisait pas le néerlandais et manquait de connaissances générales sur le pays, et était par conséquent totalement dépendante de son employeuse.

5.9L’auteure fait observer que même l’État partie a reconnu que son employeuse avait tiré un important avantage économique de son travail. Elle ajoute que, certes elle avait accès à son passeport, mais que son employeuse y avait aussi librement accès et le prenait parfois à son insu pour faire prolonger sa validité par l’ambassade du Maroc.

5.10En ce qui concerne l’affirmation de l’État partie selon laquelle il était peu probable que l’enquête sur l’exploitation par le travail présumée menée en 2015 et 2016 débouche sur des pistes suffisantes, compte tenu du temps écoulé, l’auteure souligne que la question des preuves n’est pas pertinente dans la présente communication, puisqu’elle a été déboutée non pas pour manque de preuves, mais pour manque d’éléments laissant présumer une exploitation par le travail qui justifieraient l’ouverture d’une enquête pénale. De même, elle avait donné le nom et l’adresse complets de son ancienne employeuse et, par conséquent, l’État partie aurait pu mener un complément d’enquête et engager des poursuites contre son ancienne employeuse.

5.11Compte tenu de ce qui précède, l’auteure conclut que la décision de l’État partie de classer son affaire n’était pas suffisamment motivée en ce qui concerne la conclusion selon laquelle il ne s’agissait pas de faits de servitude ou de travail forcé, tels que définis à l’article 8 du Pacte. De même, l’article 2 (par. 3) du Pacte fait obligation aux États d’enquêter promptement et de manière approfondie et efficace sur les allégations de violation, et l’État partie ne s’est pas acquitté de son obligation positive de combattre l’exploitation par le travail et de respecter et garantir les droits de l’auteure en tant que victime. En conséquence, l’État partie a violé le droit à un recours utile au sens de l’article 2 (par. 3) du Pacte.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1Le 4 décembre 2018, l’État partie a soumis de nouvelles observations et a réaffirmé que la communication devrait être déclarée irrecevable ou infondée. En ce qui concerne la recevabilité de la communication, l’État partie fait observer que l’auteure se concentre sur la question de savoir si les faits de la cause permettent de conclure qu’elle a été victime de servitude ou de travail forcé et non sur celle de savoir si l’enquête a été correctement effectuée. L’État partie réaffirme qu’il n’appartient pas au Comité de réévaluer les faits.

6.2L’État partie fait valoir que l’auteure renvoie à un arrêt dans lequel la Cour européenne des droits de l’homme a conclu que l’enquête menée par les autorités présentait des lacunes. L’État partie estime qu’il ressort de cet arrêt que la Cour n’a pas évalué les faits, mais a simplement déterminé si l’enquête avait satisfait aux obligations procédurales découlant de l’article 4 de la Convention européenne des droits de l’homme.

6.3En ce qui concerne le fond de la communication, au cas où le Comité déclarerait la communication recevable, l’État partie souligne de nouveau que les faits ont été appréciés par le procureur et par un tribunal indépendant, qui ont cherché à déterminer s’ils justifiaient le déclenchement de poursuites pénales. Les assertions avancées par l’auteure dans ses observations, concernant la question de savoir si l’État partie avait conscience de la difficulté de sa situation et de la nature et de la durée du travail accompli, nécessitent une appréciation des faits et de la mesure dans laquelle ces faits correspondent aux éléments de la définition d’une infraction pénale et, par conséquent, n’entrent pas dans le champ de la communication. L’État partie réaffirme qu’il s’est acquitté de son devoir d’enquêter et souligne qu’il n’a pas l’obligation d’aboutir à un résultat particulier.

Observations complémentaires de l’auteure

7.1Le 28 mars 2019, l’auteure a soumis ses commentaires sur les observations communiquées par l’État partie le 4 décembre 2018 et a réitéré ses précédentes déclarations. L’auteure considère que le Comité est compétent pour déterminer si les faits en question constituent une violation des droits garantis par le Pacte et pour apprécier la question de savoir si l’État partie s’est acquitté de son obligation positive de respecter, garantir et réaliser les droits de l’auteure en tant que victime. L’obligation positive de l’État partie de déterminer si la plaignante a été victime d’exploitation découle de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et nécessite non seulement un examen attentif de l’affaire, mais aussi l’incrimination et la répression effective de tout acte visant à maintenir une personne en situation d’esclavage, de servitude ou de travail forcé ou obligatoire.

7.2L’auteur a inclus dans ses commentaires un rapport de l’organisation locale FairWork, qu’elle présente comme une intervention de tiers. Dans son rapport, FairWork s’attache à déterminer si l’auteure a été victime d’exploitation par le travail dans la sphère domestique au regard du droit international et de la législation nationale. Il est dit dans le rapport que, selon l’article 4 de la Convention européenne des droits de l’homme, l’État partie a l’obligation positive de mener une enquête effective sur les allégations de servitude et de travail forcé et que les enquêtes doivent prendre en considération les circonstances propres à chaque cas. FairWork affirme que cette obligation procédurale pourrait ne pas avoir été respectée du fait du classement de l’affaire de l’auteure, car les autorités néerlandaises pourraient ne pas avoir eu une connaissance et une compréhension suffisantes des formes subtiles de coercition qui peuvent jouer un rôle dans les situations de servitude lorsqu’elles ont enquêté sur l’affaire. L’organisation affirme qu’il existe d’importantes raisons de croire, au regard du droit international et de la législation nationale, que la plaignante pourrait avoir été victime d’exploitation dans le cadre du travail domestique et conseille d’enquêter de manière plus approfondie sur cette affaire.

Nouvelles observations de l’État partie

8.1Le 28 mai 2019, l’État partie a soumis de nouvelles observations concernant les commentaires présentés par l’auteure le 28 mars 2019, comprenant notamment le rapport de FairWork. L’État partie réaffirme sa position et considère que les commentaires de l’auteure ne soulèvent pas de nouveaux points. Il s’oppose également à ce que le rapport de FairWork soit considéré comme une intervention de tiers au sens de l’article 96 du Règlement intérieur du Comité.

8.2L’État partie note que, dans son rapport, FairWork évalue principalement la question de savoir si l’auteure a été victime d’exploitation par le travail dans la sphère domestique au regard du droit international ou de la législation nationale. L’État partie estime que cette question n’a pas de rapport avec la question centrale que le Comité doit examiner. Cette question est celle de savoir si l’État partie a manqué à son devoir d’enquêter de manière approfondie et efficace sur les circonstances de l’affaire et, en conséquence, a violé le droit de l’auteure à un recours utile au sens de l’article 2 (par. 3) du Pacte.

8.3L’État partie souligne que plusieurs faits ont été déformés ou mal interprétés dans le rapport de FairWork. Par exemple, FairWork avance que l’auteure n’avait pas accès à son passeport, ce qui témoignerait d’une situation de servitude ou de travail forcé. Cette affirmation est en contradiction avec les faits de la cause, puisque l’auteure avait en fait librement accès à son passeport et sa liberté de circulation n’était donc pas restreinte. FairWork mentionne aussi brièvement l’obligation qu’ont les Parties contractantes d’enquêter sur les allégations de violation de l’article 4 de la Convention européenne des droits de l’homme, mais ne dit rien de l’enquête effectivement menée par le Service des poursuites, concluant que les autorités n’avaient peut-être pas suffisamment conscience des nombreuses et subtiles formes de contrainte qui existaient. L’État partie considère que cette conclusion est fondée sur des suppositions et est factuellement erronée, l’affaire de l’auteure ayant été traitée au niveau national par un procureur spécialisé, nommé responsable des dossiers relatifs à la traite des êtres humains au sein du Bureau national des poursuites pour les infractions financières, économiques et environnementales et qui s’est attaché à déterminer, à partir des déclarations de l’auteure, s’il s’agissait d’un cas d’exploitation par le travail au sens de l’article 273 f du Code pénal. Chaque bureau du Service des poursuites dispose d’un responsable des affaires relatives à la traite des êtres humains, qui conseille les autres procureurs menant des enquêtes sur des faits de traite des êtres humains, assure la liaison avec les organismes qui signalent les faits de traite et sert de point de contact pour le Service de l’immigration et des naturalisations dans les cas où le statut de la victime en matière de résidence est une question essentielle.

8.4L’État partie partage l’avis de FairWork sur le fait que, dans la présente affaire, des éléments laissaient penser que l’auteure pouvait avoir été victime de travail forcé. Après tout, ce sont ces éléments qui ont conduit à ouvrir une enquête sur l’affaire de l’auteure et à accorder à celle-ci un permis de séjour temporaire après qu’elle a déposé une plainte pénale. Toutefois, comme FairWork en convient, l’existence d’un ou de plusieurs éléments ne signifie pas nécessairement que des faits de traite des êtres humains ou de travail forcé se sont réellement produits ou peuvent réellement être prouvés. Si l’enquête montre que la traite ou le travail forcé ne peut pas être prouvé, le Service des poursuites peut décider de ne pas engager de poursuites, ce qui a été le cas dans la présente affaire. Le fait qu’il soit décidé de ne pas engager de poursuites ne signifie pas que les autorités n’ont pas mené d’enquête approfondie et efficace sur les circonstances de l’affaire.

Nouveaux commentaires de l’auteure

9.Le 18 mars 2020, l’auteure a fait part de ses nouveaux commentaires sur les nouvelles observations de l’État partie. Elle précise que le rapport de FairWork devrait être considéré comme faisant partie de sa communication, en application de l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, et non comme une intervention de tiers.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

10.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

10.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

10.3Le Comité note que l’auteure affirme avoir épuisé tous les recours internes disponibles. En l’absence d’objection de l’État partie sur ce point, le Comité considère que les conditions énoncées à l’article 5 (par.2b)) du Protocole facultatif sont réunies.

10.4Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication est irrecevable au motif que les griefs ne sont pas suffisamment étayés. Il prend également note de l’argument de l’État partie selon lequel c’est aux tribunaux nationaux qu’il appartient d’examiner les faits et les preuves et le Comité n’a pas à agir en tant que juridiction d’appel ou tribunal de quatrième instance. En ce qui concerne le grief que l’auteure tire de l’article 8 du Pacte, le Comité note aussi que l’État partie affirme que la plainte de l’auteure a été examinée attentivement par un procureur spécialisé, nommé responsable des dossiers relatifs à la traite au sein du Bureau national des poursuites pour les infractions financières, économiques et environnementales. Les griefs de l’auteure ont été évalués au sens de l’article 273 f du Code pénal et l’auteure s’est vu délivrer un permis de séjour d’un an pour la durée de la procédure. Enfin, le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la législation néerlandaise incrimine expressément la servitude et le travail forcé.

10.5Le Comité prend note du grief de l’auteure qui affirme que l’enquête sur sa situation de travail forcé et de servitude a été inefficace, en violation des droits qu’elle tient de l’article 2 (par. 3), lu conjointement avec l’article 8, du Pacte, le procureur n’ayant pas suffisamment motivé sa conclusion selon laquelle son affaire ne relevait pas de l’exploitation telle que définie à l’article 273 f (par. 1) du Code pénal et à l’article 8 du Pacte. Le Comité relève par ailleurs que l’auteure a eu un entretien avec la police, laquelle lui a donné trois mois pour déposer une plainte pénale. Il note qu’à un stade précoce, l’État partie a admis que la victime pouvait avoir été soumise au travail forcé ou à la servitude, mais qu’ensuite le procureur a estimé que son affaire ne relevait pas de l’article 273 f (par. 1) du Code pénal et a décidé de ne pas engager de poursuites pénales. Il prend également note du grief de l’auteure selon lequel l’enquête a été inefficace car les faits relatifs à sa plainte n’ont pas été convenablement examinés et appréciés. Il rappelle qu’il a souligné à maintes reprises qu’il n’est pas une instance de dernier ressort qui serait compétente pour réexaminer les conclusions de fait ou apprécier l’application de la législation nationale, sauf s’il peut être établi que les procédures engagées devant les juridictions nationales ont été manifestement arbitraires ou entachées d’erreur ou qu’elles ont constitué un déni de justice.

10.6En l’espèce, le Comité fait observer que les éléments dont il est saisi ne lui permettent pas de conclure que l’enquête pénale a été inefficace ou que la procédure judiciaire qui a suivi la décision du procureur de ne pas engager de poursuites pénales n’était pas dûment motivée et a manqué de transparence, d’indépendance ou d’impartialité ou qu’elle a été manifestement arbitraire ou entachée d’erreur ou a constitué un déni de justice. Le Comité estime que l’auteure n’a pas fourni suffisamment d’informations pour étayer les griefs qu’elle tire de l’article 2 (par. 3), lu conjointement avec l’article 8, du Pacte et les déclare irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

11.En conséquence, le Comité décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteure.