Nations Unies

CCPR/C/134/D/3272/2018

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

5 août 2022

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 3272/2018 * , **

Communication présentée par :

Arslan Begenchovich Begenchov (représenté par des conseils, Shane Brady et Haykaz Zoryan)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteur

État partie :

Turkménistan

Date de la communication :

19 juin 2018 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 7 décembre 2018 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

11 mars 2022

Objet :

Objection de conscience au service militaire obligatoire

Question(s) de procédure :

Recevabilité : épuisement des recours internes ; défaut de coopération

Question(s) de fond :

Détention arbitraire; liberté de religion

Article(s) du Pacte :

9 (par. 1 et 3) et 18 (par. 1 et 3)

Article(s) du Protocole facultatif :

5 (par. 2 b))

1.L’auteur de la communication est Arslan Begenchovich Begenchov, de nationalité turkmène, né le 16 mai 1999. Il affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient des articles 9 (par. 1 et 3) et 18 (par. 1 et 3) du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 1er août 1997. L’auteur est représenté par des conseils.

Exposé des faits

2.1Au moment où la communication a été soumise, l’auteur était âgé de 19 ans. Il est membre des Témoins de Jéhovah. Il a la ferme conviction, dictée par sa conscience religieuse, que les Saintes Écritures interdisent d’utiliser des armes et d’effectuer le service militaire. Il est disposé à accomplir un service civil de remplacement pour autant que celui-ci n’ait véritablement aucun caractère punitif ou dissuasif.

2.2Au printemps 2017, l’auteur a été convoqué aux fins du service militaire. Il a répondu à la convocation et, au cours de l’examen médical que l’armée lui a demandé de passer, on lui a diagnostiqué un prolapsus de la valve mitrale de premier degré.

2.3Malgré ce diagnostic, en octobre 2017, l’auteur a de nouveau été convoqué aux fins du service militaire. Il a répondu à la convocation, et l’armée lui a demandé de passer un nouvel examen médical. Le 11 novembre 2017, une commission médicale a déclaré l’auteur apte au service militaire, sans tenir aucun compte du diagnostic précédent concernant le prolapsus de la valve mitrale de premier degré.

2.4Le 11 novembre 2017 également, l’auteur a demandé par écrit aux autorités militaires à pouvoir effectuer un service civil de remplacement en raison de son problème de santé. Ignorant cette demande, le commissariat militaire a convoqué l’auteur pour qu’il effectue son service militaire à compter du 16 novembre 2017.

2.5Le 16 novembre 2017, l’auteur s’est présenté au commissariat militaire en réponse à la convocation. Il a expliqué oralement aux autorités militaires que sa conscience religieuse de Témoin de Jéhovah lui interdisait d’effectuer son service militaire. Il leur a également remis une déclaration manuscrite rédigée en ces termes : « Je soussigné, Arslan Begenchov, refuse, pour des motifs d’objection de conscience, d’effectuer mon service militaire, parce que, à l’armée, on apprend à se battre une arme à la main. Tuer des gens ou faire du mal à autrui, de quelque manière que ce soit, est contraire à mes convictions. Une autre raison tient au fait que si je tue quelqu’un ou lui fais du mal, je devrai en répondre devant la loi. L’article 4 de la Constitution turkmène dispose que les pouvoirs publics ont comme objectifs principaux de protéger la population, de lui venir en aide et de lui fournir des services. En outre, les articles 18 et 42 reconnaissent à chacun le droit à la liberté de pensée et d’expression ; voilà pourquoi je refuse de faire mon service militaire ».

2.6Les responsables du commissariat militaire ont refusé de donner suite à la déclaration de l’auteur et ont conduit celui-ci au Bureau du Procureur pour un interrogatoire. L’auteur a expliqué aux membres du parquet qu’il refusait d’accomplir son service militaire pour des motifs religieux et demandé à effectuer un service civil de remplacement. Le 17 novembre 2017, l’auteur s’est rendu de son plein gré au Bureau du Procureur pour y remettre une déclaration écrite dans laquelle il faisait part de son refus d’accomplir son service militaire et demandait à effectuer un service civil de remplacement.

2.7Le 14 décembre 2017, l’auteur a été convoqué au Bureau du Procureur pour savoir s’il avait changé d’avis. Il a réaffirmé qu’en raison de motifs religieux, il refusait d’effectuer son service militaire. Le Procureur lui a répondu que l’accusation de violation de l’article 219 (par. 1) du Code pénal qui avait été retenue lui vaudrait d’être poursuivi pénalement. Après avoir été autorisé à quitter les lieux, l’auteur est rentré chez lui.

2.8Le 30 décembre 2017, l’auteur a saisi le Bureau du Procureur de Türkmenabat d’une plainte, dans laquelle il affirmait que les informations sur son état de santé fournies par la Commission médicale du bureau d’enregistrement et de recrutement de l’armée étaient fausses, et que la décision finale par laquelle la Commission de conscription l’avait déclaré apte au service militaire était illégale.

2.9Le 2 janvier 2018, un fonctionnaire du Bureau du Procureur s’est présenté au domicile de l’auteur et a conduit celui-ci à un poste de police, où l’intéressé a été arrêté et placé en détention provisoire. Les agents des forces de l’ordre n’ont pas expliqué en quoi cette détention provisoire était nécessaire. L’auteur n’avait jamais manqué de répondre à toutes les demandes et convocations précédentes et n’avait à aucun moment tenté de fuir ou de nuire au bon déroulement de l’enquête.

2.10Le 6 janvier 2018, le père de l’auteur a déposé une plainte administrative auprès du Bureau du Procureur du district de Tchardjev (Türkmenabat), dans laquelle il affirmait que la détention de l’auteur était dénuée de fondement légal et demandait au Procureur de remettre son fils en liberté et de prononcer à son encontre une mesure de contrainte non privative de liberté. Il a également adressé des copies de sa plainte au Bureau du Procureur général du Turkménistan et aux représentants de l’Institut national pour la démocratie et les droits de l’homme. Le 16 janvier 2018, le Bureau du Procureur général a transmis la plainte de l’auteur à un procureur de la région de Lebap et lui a demandé d’y répondre le 25 janvier 2018 au plus tard. À cette même date, le Bureau du Procureur du district de Tchardjev (Türkmenabat) a informé le père de l’auteur que l’enquête sur sa plainte avait été close car il avait été établi que, bien qu’ayant été déclaré apte au service militaire à la suite d’examens médicaux, l’auteur avait opposé un refus de servir et avait été inculpé au titre de l’article 219 (par. 1) du Code pénal.

2.11Dans l’intervalle, le 17 janvier 2018, l’auteur a comparu devant le tribunal de district de Tchardjev, dans la région de Lebap, pour y être jugé. Le même jour, le tribunal a déclaré l’auteur coupable d’avoir enfreint l’article 219 (par. 1) du Code pénal et l’a condamné pour objection de conscience au service militaire à une peine d’un an d’emprisonnement à purger dans une colonie pénitentiaire à régime ordinaire. Dans sa décision, le tribunal de district a considéré que l’auteur avait été déclaré médicalement apte au service militaire mais avait opposé un refus de servir sans aucun motif légitime. Selon le tribunal de district, l’auteur se disait Témoin de Jéhovah et affirmait que les Saintes Écritures interdisaient d’utiliser des armes et d’effectuer le service militaire.

2.12Le 29 janvier 2018, l’auteur a formé un recours en cassation contre la décision du tribunal de district de Tchardjev. Le 13 février 2018, le tribunal régional de Lebap a rejeté son appel au motif que sa culpabilité avait été pleinement établie grâce aux dépositions des témoins interrogés pendant le procès et à d’autres éléments du dossier non précisés. Le tribunal régional de Lebap a considéré que le comportement de l’auteur avait été correctement qualifié par le tribunal de première instance de violation de l’article 219 (par. 1) du Code pénal. Il a également estimé que la sanction infligée, qui emportait une peine privative de liberté, était légale et tenait compte de la nature de l’infraction, de la dangerosité de l’infraction pour le public, ainsi que des circonstances atténuantes et aggravantes retenues. Il a en outre considéré que, conformément à la loi, le tribunal de district de Tchardjev avait déjà examiné les arguments soulevés en appel.

2.13L’auteur soutient qu’il a épuisé tous les recours internes pour contester la déclaration de culpabilité et l’incarcération dont il a fait l’objet. Dans une autre lettre, datée du 21 septembre 2018, il a indiqué que le Code pénal turkmène ne prévoyait qu’un seul degré d’appel, et que si une demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle pouvait également être déposée, elle constituait un recours extraordinaire et discrétionnaire. À cet égard, la procédure de contrôle était analogue à celles dont la Cour européenne des droits de l’homme avait dit qu’elles ne constituaient pas des recours utiles. En outre, à ce jour, les tribunaux de l’État partie n’ont fait droit à aucun recours déposé par un objecteur de conscience.

2.14L’auteur affirme ne pas avoir saisi d’autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Au moment où la communication a été soumise, il purgeait sa peine dans la colonie pénitentiaire LBK-12 de Seýdi. En dehors de l’accusation mentionnée ci-dessus, l’auteur n’a jamais été poursuivi pénalement ni accusé d’une infraction administrative.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que l’arrestation, la détention et l’incarcération arbitraires dont il a fait l’objet pour avoir refusé d’effectuer le service militaire obligatoire en raison de ses convictions religieuses ont constitué une violation par l’État partie des droits qu’il tient des articles 9 (par. 1 et 3) et 18 (par. 1 et 3) du Pacte. En ce qui concerne l’article 9 (par. 1) du Pacte, l’auteur a été appréhendé à son domicile par un fonctionnaire du Bureau du Procureur, le 2 janvier 2018, puis arrêté et placé en détention provisoire de manière arbitraire au seul motif de son objection de conscience au service militaire obligatoire, qui était fondée sur ses convictions religieuses sincères de Témoin de Jéhovah. L’arrestation n’était donc pas justifiable. Le Comité a précédemment estimé que l’incarcération d’un objecteur de conscience qui refusait d’effectuer son service militaire pour des motifs religieux constituait une violation de l’article 9 du Pacte. En effet, il ressort de la jurisprudence bien établie du Comité que l’article 18 « permet à tout individu d’être exempté du service militaire obligatoire si un tel service ne peut pas être concilié avec sa religion ou ses convictions. L’exercice de ce droit ne doit pas être entravé par des mesures coercitives ». L’auteur s’appuie mutatis mutandis sur les arguments ci-après, soulevés au titre de l’article 18 du Pacte.

3.2L’auteur a été arbitrairement placé en garde à vue du 2 au 17 janvier 2018, en violation de l’article 9 (par. 3) du Pacte. L’incarcération d’un objecteur de conscience qui refuse d’effectuer son service militaire pour des motifs religieux constitue une violation de l’article 9 du Pacte. Le Bureau du Procureur n’a aucunement justifié la détention provisoire de l’auteur. Le Comité a considéré que « la détention avant jugement [devait] être l’exception et que la libération sous caution [devait] être accordée, sauf dans les cas où le suspect risqu[ait] de se cacher ou de détruire des preuves, de faire pression sur les témoins ou de quitter le territoire de l’État partie ». L’État partie doit fournir des éléments de preuve établissant que la détention provisoire est nécessaire, car une simple conjecture ne justifie pas de faire exception à l’article 9 (par. 3) du Pacte. En l’espèce, l’État partie n’a fourni aucun élément de preuve ni avancé aucun motif visant à démontrer que la détention de l’auteur était nécessaire. D’ailleurs, il n’existait aucun motif de ce type.

3.3Par ailleurs, le Comité a affirmé à maintes reprises que le droit à l’objection de conscience était inhérent aux droits garantis par l’article 18 (par. 1) du Pacte et n’avait pas à être justifié au regard de l’article 18 (par. 3) du Pacte. Dans huit arrêts au moins, la Cour européenne des droits de l’homme a reconnu le droit des objecteurs de conscience de s’opposer au service militaire.

3.4L’auteur a informé à plusieurs reprises les autorités de l’État partie qu’il était disposé à effectuer un véritable service civil de remplacement en lieu et place du service militaire. Cette solution serait compatible avec ses devoirs civiques, conformément aux décisions rendues par le Comité dans de nombreuses affaires dans lesquelles des objecteurs de conscience ont été poursuivis et déclarés coupables par l’État partie. Dans chacune de ces affaires, le Comité a conclu que l’État partie était tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas et devait réviser sa législation eu égard à l’obligation qui lui incombait au titre de l’article 2 (par. 2) du Pacte, et en particulier la loi relative au service militaire et aux obligations militaires, modifiée le 25 septembre 2010, afin de garantir le droit à l’objection de conscience consacré par l’article 18 (par. 1) du Pacte. À ce jour, l’État partie n’a tenu aucun compte de la requête du Comité.

3.5À titre de réparation, l’auteur prie le Comité de rendre un jugement déclaratoire et de demander à l’État partie de lever les accusations portées contre lui au titre de l’article 219 (par. 1) du Code pénal, d’effacer son casier judiciaire, de l’indemniser à raison du préjudice moral subi et de lui rembourser les frais de justice engagés.

Défaut de coopération de l’État partie

4Les 7 décembre 2018, 23 novembre 2020 et 27 janvier 2021, le Comité a prié l’État partie de présenter des observations détaillées concernant la recevabilité et le fond de la communication. Il note toutefois qu’à ce jour, il n’a pas reçu les observations demandées. Il regrette que l’État partie n’ait apporté aucune information sur la recevabilité ou sur le fond des griefs de l’auteur. Il rappelle que, conformément à l’article 4 (par. 2) du Protocole facultatif, l’État partie est tenu de soumettre par écrit au Comité des explications ou déclarations éclaircissant la question et indiquant, le cas échéant, les mesures prises pour remédier à la situation. En l’absence de réponse de l’État partie, il y a lieu d’accorder le crédit voulu aux allégations de l’auteur, pour autant que celles-ci aient été suffisamment étayées.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

5.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

5.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

5.3Le Comité note que l’auteur dit avoir épuisé tous les recours internes utiles qui lui étaient ouverts. En l’absence d’objection de l’État partie sur ce point, le Comité considère que les conditions énoncées au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif sont réunies.

5.4Le Comité considère que l’auteur a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, les griefs qu’il tire des articles 9 (par. 1 et 3) et 18 du Pacte. Il déclare donc ces griefs recevables et passe à leur examen au fond.

Examen au fond

6.1Conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

6.2Le Comité note que l’auteur affirme que les droits qu’il tient de l’article 18 du Pacte ont été violés du fait de l’absence, dans l’État partie, d’un service qui se substitue au service militaire obligatoire, de sorte que son refus de servir en raison de ses convictions religieuses lui a valu d’être poursuivi au pénal, reconnu coupable et incarcéré. Le Comité fait observer que, sur le territoire de l’État partie, le service militaire est obligatoire pour les citoyens de sexe masculin, et qu’en l’absence de motifs légaux d’exemption, la soustraction aux obligations militaires est sanctionnée par l’article 219 (par. 1) du Code pénal.

6.3Le Comité rappelle son observation générale no 22 (1993) dans laquelle il a dit que le caractère fondamental des libertés consacrées par l’article 18 (par. 1) du Pacte était reflété dans le fait que l’article 4 (par. 2) du Pacte interdisait toute dérogation à l’article 18, même en cas de danger public exceptionnel (par. 1). Il rappelle également qu’il ressort de sa jurisprudence que, si le Pacte ne mentionne pas expressément le droit à l’objection de conscience, ce droit se déduit néanmoins de l’article 18 en ce que l’obligation d’utiliser la force meurtrière peut être gravement en conflit avec la liberté de pensée, de conscience et de religion. Le droit à l’objection de conscience au service militaire est inhérent au droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion. Il permet à toute personne d’être exemptée du service militaire obligatoire si celui-ci ne peut être concilié avec sa religion ou ses convictions. L’exercice de ce droit ne doit pas être entravé par des mesures coercitives. Un État peut néanmoins, s’il le souhaite, obliger l’objecteur de conscience à effectuer un service de remplacement dans un cadre civil, dans lequel l’intéressé ne serait pas soumis à l’autorité militaire. Le service de remplacement ne doit pas revêtir un caractère punitif. Il doit présenter un véritable intérêt pour la collectivité et être compatible avec le respect des droits de l’homme.

6.4En l’espèce, le Comité note que l’auteur a été condamné à une peine de douze mois d’emprisonnement, bien qu’il ait informé les autorités de l’État partie de sa volonté d’effectuer un service civil de remplacement. Il considère que le refus de l’auteur d’être enrôlé aux fins du service militaire obligatoire découle de ses convictions religieuses, dont celui-ci affirme qu’elles sont sincères. Il rappelle que réprimer le refus d’effectuer le service militaire obligatoire dans le cas de personnes dont la conscience ou la religion interdit l’usage des armes est incompatible avec l’article 18 (par. 1) du Pacte. En conséquence, il considère que le fait que l’auteur ait été poursuivi, déclaré coupable et incarcéré pour avoir refusé d’effectuer son service militaire en raison de ses convictions religieuses et de son objection de conscience a constitué une atteinte à son droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion, en violation de l’article 18 (par. 1) du Pacte.

6.5Le Comité note que l’auteur affirme que l’incarcération dont il a fait l’objet pour avoir refusé d’effectuer son service militaire constitue une détention arbitraire au regard de l’article 9 du Pacte, qui dispose, en son paragraphe premier, que nul ne peut faire l’objet d’une arrestation ou d’une détention arbitraire. Il rappelle que l’adjectif « arbitraire » n’est pas synonyme de « contraire à la loi », mais qu’il doit recevoir une interprétation plus large qui englobe le caractère inapproprié, l’injustice, l’absence de prévisibilité et le non-respect des garanties judiciaires. Il rappelle également que priver quelqu’un de liberté pour le punir d’avoir exercé légitimement un droit protégé par le Pacte, notamment le droit à la liberté de religion et de conscience tel que garanti par l’article 18 du Pacte, est ipso facto arbitraire par nature. En l’espèce, le Comité constate que le tribunal de district de Tchardjev, dans la région de Lebap, a déclaré l’auteur coupable d’avoir enfreint l’article 219 (par. 1) du Code pénal et l’a condamné pour objection de conscience au service militaire à une peine de douze mois d’emprisonnement, tout en prenant acte que l’auteur se disait Témoin de Jéhovah et affirmait que les Saintes Écritures interdisaient d’utiliser des armes et d’effectuer le service militaire (par. 2.11 ci-dessus). En conséquence, le Comité considère également que l’État partie a violé les droits que l’auteur tient de l’article 9 (par. 1) du Pacte.

6.6Le Comité note que l’auteur affirme que la détention provisoire dont il a fait l’objet sans que cette mesure soit nécessaire a constitué une violation par l’État partie des droits qu’il tient de l’article 9 (par. 3) du Pacte. Il rappelle son observation générale no 35 (2014), dans laquelle il a souligné que la détention avant jugement devait être l’exception et non la règle (par. 38). La détention avant jugement ne doit pas être obligatoire pour tous les défendeurs inculpés d’une infraction précise, mais doit reposer sur une évaluation au cas par cas déterminant qu’elle est raisonnable et nécessaire au regard de toutes les circonstances, par exemple pour éviter que l’intéressé ne prenne la fuite, ne modifie des preuves ou ne commette une nouvelle infraction. La loi doit préciser les facteurs qui peuvent justifier la détention et ne doit pas prévoir des motifs imprécis et vastes comme « la sécurité publique ».

6.7Selon les informations mises à la disposition du Comité, l’auteur a été placé en détention provisoire le 2 janvier 2018 et libéré le 17 janvier 2018, date à laquelle il a comparu devant le tribunal de district de Tchardjev pour violation de l’article 219 (par. 1) du Code pénal. Le Comité note en outre que, le 6 janvier 2018, le père de l’auteur a adressé une plainte détaillée au Bureau du Procureur du district de Tchardjev (Türkmenabat), dans laquelle il alléguait que la détention de l’auteur était dénuée de fondement juridique et demandait au Procureur de remettre celui-ci en liberté et d’envisager une solution de substitution sous la forme d’une mesure de contrainte non privative de liberté. Le 25 janvier 2018, le Bureau du Procureur a informé le père de l’auteur que l’enquête sur sa plainte avait été close car il avait été établi que, bien qu’ayant été déclaré apte au service militaire à la suite d’examens médicaux, l’auteur avait opposé un refus de servir et avait été inculpé au titre de l’article 219 (par. 1) du Code pénal. Le Comité note que ni le Bureau du Procureur ni aucun agent des forces de l’ordre n’a indiqué en quoi il avait été nécessaire de placer l’auteur en détention, ou si des solutions de substitution à la privation de liberté avaient été envisagées. Il note également que l’auteur a répondu à la convocation à effectuer le service militaire qui lui avait été adressée et s’est présenté devant les autorités comme celles-ci le lui avaient demandé. Il considère que les informations dont il dispose n’indiquent pas que l’auteur était susceptible de prendre la fuite ou d’entraver de quelque autre manière les activités des forces de l’ordre. En l’absence d’informations contraires de la part de l’État partie, le Comité considère également que la détention provisoire de l’auteur a constitué une violation des droits que l’auteur tient de l’article 9 (par. 3) du Pacte.

7.Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits que l’auteur tient des articles 9 (par. 1 et 3) et 18 (par. 1) du Pacte.

8.Conformément à l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile et une réparation effective. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, l’État partie est tenu, entre autres, d’effacer le casier judiciaire de l’auteur et de lui accorder une indemnisation adéquate, notamment en lui remboursant le montant des frais de justice engagés. Il est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas. À cet égard, le Comité réaffirme que l’État partie devrait réviser sa législation, conformément à l’obligation qui lui incombe au titre de l’article 2 (par. 2) du Pacte, afin de garantir effectivement le droit à l’objection de conscience consacré par l’article 18 (par. 1) du Pacte, par exemple en prévoyant la possibilité d’effectuer un service civil de remplacement.

9.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsque la réalité d’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles‑ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles.