Nations Unies

CCPR/C/132/D/2508/2014

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

29 mars 2022

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2508/2014 * , **

Communication présentée par :

Dodanpegamage Asantha Aravinda (représenté par des conseils, Sarah Fulton et Alejandra Vicente, de Redress Trust)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteur

État partie :

Sri Lanka

Date de la communication :

31 octobre 2011 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 16 décembre 2014 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

2 juillet 2021

Objet :

Manquement à l’obligation de mener une enquête en bonne et due forme sur la détention arbitraire et les tortures auxquelles la victime aurait été soumise par un particulier et des policiers, de juger les responsables et d’assurer réparation

Question(s) de procédure :

Défaut de coopération de l’État partie ; épuisement des recours internes ; fondement des griefs

Question(s) de fond :

Peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant ; détention arbitraire ; discrimination fondée sur une autre situation ; recours utile

Article(s) du Pacte :

7, 9 et 26, lus seuls et conjointement avec l’article 2 (par. 3)

Article(s) du Protocole facultatif :

2 et 5 (par. 2 b))

1.L’auteur de la communication est Dodanpegamage Asantha Aravinda, de nationalité sri-lankaise, né en 1985. Il affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient des articles 7, 9 et 26 du Pacte, lus seuls et conjointement avec l’article 2 (par. 3). Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour Sri Lanka le 3 janvier 1998. L’auteur est représenté par des conseils.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 28 février 2008, l’auteur et un ami ont failli entrer en collision à moto avec un camion conduit par M. P. V. Ch., qui traversait la route sans vérifier s’il y avait des véhicules en sens inverse. Après cet incident, les parties ont échangé quelques mots puis l’auteur et son ami sont repartis. Cependant, M. P. V. Ch. les a suivis dans son camion et a percuté la moto peu après, blessant grièvement l’auteur et son ami. Par la suite, un véhicule s’est approché du lieu de l’accident et M. P. V. Ch., qui avait précédemment pris la fuite, est sorti de la voiture en compagnie d’agents du poste de police de Pitabaddara. L’auteur et son ami ont été attachés par les agents puis passés à tabac par les policiers et M. P. V. Ch. Celui-ci a ensuite versé de l’acide sur le visage de l’auteur, qui a énormément souffert et a été gravement blessé à l’œil.

2.2Par la suite, l’auteur et son ami ont été emmenés au poste de police de Pitabaddara. Ils ont été physiquement agressés par des policiers, puis enfermés dans une cellule. Vers minuit, M. P. V. Ch. s’est présenté au poste de police, a agressé l’auteur dans sa cellule et a versé de l’alcool sur ses brûlures. La douleur étant insupportable, l’auteur a perdu connaissance. Lorsqu’il a repris ses esprits, des policiers l’ont menacé et forcé à signer des documents vierges.

2.3Le père de l’auteur a été informé de la détention de son fils le même jour ; il n’a toutefois pas été autorisé à voir l’auteur malgré les demandes répétées de la famille et les visites rendues au poste de police entre le 29 février et le 1er mars 2008. Les agents ont dit à la famille que l’auteur et son ami avaient été agressés par des locaux, qu’au cours de l’agression, l’auteur avait été brûlé à l’acide, et que des policiers avaient découvert que l’ami de l’auteur avait une arme à feu.

2.4Le 1er mars 2008, l’auteur et son ami ont été contraints de montrer leurs blessures à un groupe de cameramen et de journalistes à l’extérieur du poste de police. L’auteur n’a été hospitalisé que vers 20 heures le même jour, malgré ses demandes répétées et celles de ses parents à cet effet. Sur le chemin de l’hôpital, deux policiers ont sommé l’auteur et son ami de ne pas parler au personnel médical des mauvais traitements qu’ils avaient subis.

2.5Alors que l’auteur était hospitalisé, le chef du poste de police de Pitabaddara, M. K., a falsifié les accusations portées contre l’auteur et son ami devant le tribunal de première instance de Morawaka pour possession d’une arme à feu et d’une grenade à main. Le chef de la police a affirmé que l’auteur avait tenté de tirer sur M. P. V. Ch. avec une arme à feu et que, pendant l’arrestation, de nombreuses personnes s’étaient rassemblées sur place et un passant non identifié avait jeté de l’acide sur l’auteur. À la date de la soumission de la requête au Comité, les procédures étaient toujours en cours. D’autres accusations pour vol fabriquées de toutes pièces contre l’auteur ont été rejetées par le tribunal de première instance.

2.6Le 5 mars 2008, l’auteur a été transféré à l’hôpital de la prison. Sa vue s’est détériorée et il a fini par perdre complètement la vue à l’œil atteint. L’auteur indique qu’il n’a été examiné par un médecin légiste que le 6 mars 2008. Le 2 avril 2008, il a été transféré au Colombo Eye Hospital où il a subi 6 interventions chirurgicales entre le 15 avril et le 16 décembre 2008. Il est toujours traité en ambulatoire et souffre d’une cécité permanente à l’œil à la suite des mauvais traitements infligés par M. P. V. Ch. et les policiers.

2.7Immédiatement après les faits, le père de l’auteur a déposé plusieurs plaintes concernant l’illégalité de la détention de son fils et les actes de torture qui lui avaient été infligés par les agents du poste de police de Pitabaddara. Le 27 mars 2008 notamment, il a porté plainte auprès du chef de la police de Matara et du bureau régional de la Commission sri-lankaise des droits de l’homme à Matara. Quelques jours plus tard, il a déposé plainte auprès de l’Inspecteur général et de l’Inspecteur général adjoint de la police de la province du Sud, de la Commission nationale de la police et du siège de la Commission sri-lankaise des droits de l’homme à Colombo. Aucune mesure n’ayant été prise, il a également demandé à un avocat d’adresser une plainte écrite au Directeur adjoint de la police, sollicitant l’ouverture immédiate d’une enquête.

2.8Le 23 août 2008, l’Inspecteur général adjoint de la police a présenté un rapport à la Commission nationale de la police et a recommandé que des mesures disciplinaires et pénales soient prises à l’encontre des agents du poste de police de Pitabaddara pour faute grave et violations des droits de l’homme de l’auteur, en application du Code pénal et de la loi 22 de 1994 sur la torture. Parallèlement, des poursuites pénales ont été engagées contre M. P. V. Ch. pour avoir versé de l’acide sur le visage de l’auteur. Bien que M. P. V. Ch. ait été d’abord placé en détention, il a ensuite été libéré après avoir versé deux cautions et n’a jamais été jugé devant un tribunal.

2.9Le 27 février 2009, la Commission sri-lankaise des droits de l’homme a publié ses recommandations finales sur l’affaire. Elle a estimé que le fait que le chef de la police et les autres agents n’ont pas engagé de procédure contre M. P. V. Ch. constituait une violation de l’article 12 (par. 1) de la Constitution sri-lankaise, qui dispose que toutes les personnes sont égales devant la loi et ont droit à une égale protection de la loi. La Commission a recommandé de verser à l’auteur une indemnisation à hauteur de 5 000 roupies sri-lankaises (environ 50 dollars américains). Pour obtenir cette indemnisation, l’auteur devait déposer une demande de dommages et intérêts devant un tribunal. La Commission n’a cependant pas traité les allégations de l’auteur concernant les actes de torture que les policiers lui avaient fait subir, son arrestation arbitraire et les accusations mensongères portées contre lui.

2.10En outre, en février 2009, le père de l’auteur a saisi, au nom de son fils, la Cour suprême au titre de l’article 126 de la Constitution sri-lankaise, invoquant la violation des articles 11, 12 (par. 1) et 13 (par. 1 et 2) de la Constitution sri-lankaise.

2.11À une date non précisée en 2009, l’auteur a également introduit une action en réparation devant le tribunal de district de Morawaka.

2.12Le 15 juillet 2020, l’auteur a fourni des informations à jour sur l’état d’avancement de la procédure interne et a informé le Comité que deux actions pénales avaient été engagées contre les policiers au titre de la loi sur la torture devant la Haute Cour de Matara. Les deux affaires avaient été transmises au Procureur général pour avis le 21 mai 2019, mais ses instructions n’avaient pas encore été reçues. En conséquence, les procédures étaient toujours en cours plus de treize ans après les faits.

2.13L’auteur a en outre indiqué que, le 2 août 2016, la Cour suprême avait rendu son jugement, estimant que le refus du poste de police de Pitabaddara de faire soigner immédiatement l’auteur, qui avait été gravement blessé, constituait un traitement cruel, inhumain et dégradant. Elle a estimé que cette décision était de la seule responsabilité du chef du poste de police de l’époque, feu M. K., qui a également été jugé responsable de ne pas avoir garanti le droit de l’auteur à une égale protection de la loi. Selon elle, la responsabilité des autres policiers, qui ne faisaient que suivre les ordres de M. K., ne pouvait être établie. La Cour suprême a accordé à l’auteur une indemnisation de 200 000 roupies sri-lankaises (environ 1 075 dollars américains), montant qui lui a effectivement été versé.

2.14En outre, l’auteur a indiqué que sa demande d’indemnisation au civil était toujours en instance devant le tribunal de district de Morawaka.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que les droits qu’il tient des articles 7, 9 et 26, lus seuls et conjointement avec l’article 2 (par. 3) du Pacte, ont été violés par l’État partie qui n’a pas mené d’enquête sur ses allégations de torture et de détention arbitraire et n’a pas traduit les responsables en justice.

3.2L’auteur fait valoir qu’il a été battu et torturé de différentes façons pendant son arrestation et sa détention, par des agents du poste de police de Pitabaddara et à leur su, ce qui constitue une violation de l’article 7 du Pacte. À cet égard, il affirme que l’État partie a violé non seulement l’obligation négative mise à sa charge par cet article de ne pas soumettre l’auteur à la torture par des agents de l’État, mais aussi ses obligations positives, dont l’obligation de protéger les détenus contre les violences infligées par des acteurs privés. En outre, l’auteur n’a pas été soigné correctement et rapidement, malgré ses demandes répétées, et il a donc enduré d’atroces souffrances, qui ont laissé des séquelles permanentes.

3.3Il affirme que son arrestation était arbitraire au regard de l’article 9 (par. 1 et 2) du Pacte puisque sa détention n’avait aucun fondement légal et qu’il n’a pas été informé immédiatement des motifs de son arrestation. Selon lui, il n’a appris qu’il était accusé de posséder une arme à feu et une grenade à main que lorsqu’il a été transféré à l’hôpital de Matara le 1er mars 2008. En outre, il n’a pas été traduit rapidement devant un tribunal et son conseil n’a reçu le dossier le concernant que le 1er mars 2008. Il fait valoir qu’en pratique, il a été privé de son droit de faire examiner la légalité de sa détention par un tribunal, ce qui constitue une violation de l’article 9 (par. 4) du Pacte.

3.4L’auteur affirme que les mauvais traitements qu’il a subis en garde à vue constituent une différence de traitement interdite au regard de l’article 26 du Pacte. À cet égard, il fait valoir que les détenus sont plus susceptibles que tout autre groupe de personnes d’être soumis à la torture en toute impunité et qu’il n’existe aucune justification raisonnable et objective à cette différence de traitement, qui équivaut à une discrimination fondée sur la condition de détenu.

3.5Enfin, l’auteur fait valoir que l’État partie n’a pas mené d’enquête prompte, indépendante et impartiale sur ses allégations de torture et que les responsables n’ont pas été traduits en justice, ce qui constitue une violation de l’article 2 (par. 3), lu conjointement avec les articles 7, 9 et 26 du Pacte. Il estime que les procédures internes sont déraisonnablement longues et inefficaces. Le Procureur général n’a toujours pas pris de décision concernant les deux procédures pénales engagées contre les policiers au titre de la loi sur la torture, et cela plus de treize ans après les faits. L’auteur affirme que la pratique répandue consistant à poursuivre certains auteurs d’actes de torture et pas d’autres, ou consistant à n’engager aucune poursuite, est contraire à l’interdiction absolue de la torture et à l’obligation de l’État partie d’enquêter sur ce type de plaintes, et constitue une violation du principe d’égalité devant la loi. Il fait également valoir qu’il craint d’engager toute autre procédure contre la police puisque les agents impliqués sont toujours en fonction.

3.6Dans ses observations datées du 15 juillet 2020, l’auteur maintient sa position selon laquelle la violation de ses droits reste impunie. Il affirme que, malgré les décisions rendues par la Cour suprême et la Commission sri-lankaise des droits de l’homme en faveur de certains aspects de son affaire, les faits ont été interprétés de façon étroite, la portée de la responsabilité établie des personnes impliquées était limitée et l’indemnisation accordée ne tenait pas compte de la gravité de la violation de ses droits. La Cour suprême a reconnu que l’absence de soins médicaux pendant la garde à vue de l’auteur constituait un acte de torture et un traitement inhumain, mais elle n’a pas abordé la question de l’arrestation arbitraire et des autres formes de violence qu’il avait subies. En outre, la Cour suprême n’a pas ordonné aux autorités compétentes de traduire les responsables en justice, comme le prévoit l’article 2 (par. 3) du Pacte. La seule personne qui avait été jugée responsable de la violation des droits de l’auteur est décédée et nul n’a été reconnu coupable d’une quelconque infraction dans le cadre d’une procédure pénale. L’auteur fait valoir de surcroît que son cas n’est pas isolé, car la culture de l’impunité est directement imputable à l’ensemble du système de justice pénale de l’État partie. Le Procureur général de Sri Lanka et le pouvoir judiciaire rechignent à enquêter sur les allégations de torture et à engager des poursuites, et les autorités compétentes ne sont pas indépendantes. En outre, ceux qui saisissent les tribunaux peuvent faire l’objet d’actes de représailles. L’auteur soutient que les mesures prises jusqu’à présent pour lutter contre l’impunité sont insuffisantes. Il fait en outre valoir que, d’après les conclusions du Comité contre la torture, depuis 2012, seuls 17 cas de torture ont donné lieu à l’engagement de poursuites en application de la loi relative à la Convention contre la torture, dont seulement deux ont abouti à une déclaration de culpabilité, ce qui porte à croire que seul un faible nombre d’allégations de torture ont effectivement fait l’objet d’une enquête. Le Comité contre la torture a relevé avec préoccupation l’écart considérable entre le faible nombre de plaintes pour actes de torture qui auraient été reçues par la police depuis 2012 (150 cas) et le nombre élevé d’allégations de torture reçues par la Commission sri-lankaise des droits de l’homme au cours de la même période (2 259 cas).

3.7L’auteur affirme en outre qu’il a enduré d’importantes souffrances physiques et mentales à la suite des mauvais traitements que lui avaient infligés les autorités sri-lankaises et qu’il en ressent encore les séquelles à ce jour. Il signale qu’il a perdu l’usage d’un œil et que cela limite considérablement ses possibilités d’emploi.

3.8En ce qui concerne les recours exercés, l’auteur invite le Comité à ordonner à l’État partie de traduire les responsables en justice et de lui présenter des excuses publiques, de lui accorder une indemnisation adéquate pour le préjudice pécuniaire et non pécuniaire subi et de veiller à ce qu’il ait accès à une réadaptation complète, y compris un soutien psychologique.

Défaut de coopération de l’État partie

4.Par des notes verbales datées des 16 décembre 2014, 22 décembre 2015, 23 mai 2016, 17 juillet 2018 et 23 juillet 2020, le Comité a prié l’État partie de faire parvenir des informations sur la recevabilité et le fond de la communication. Le Comité constate que ces informations ne lui sont pas parvenues. Il regrette que l’État partie n’ait apporté aucun éclaircissement sur la recevabilité ou le fond des griefs de l’auteur. Il rappelle que l’article 4 (par. 2) du Protocole facultatif oblige les États parties à examiner de bonne foi toutes les allégations portées contre eux et à communiquer au Comité toutes les informations dont ils disposent. En l’absence de réponse de l’État partie, il y a lieu d’accorder le crédit voulu aux allégations de l’auteur, pour autant que celles-ci aient été suffisamment étayées.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

5.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

5.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

5.3En l’absence de toute observation de l’État partie sur la recevabilité de la communication, et compte tenu de la déclaration de l’auteur selon laquelle les recours internes se sont révélés inefficaces ou excessivement longs, le Comité estime qu’il n’est pas empêché d’examiner la communication par les dispositions de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif.

5.4Le Comité prend note des allégations de l’auteur selon lesquelles l’État partie a violé le droit qu’il tient de l’article 26 du Pacte, car, du fait de sa condition de détenu, il a été soumis à la torture en toute impunité, sachant que les détenus sont plus susceptibles que tout autre groupe de personnes d’être torturés et qu’il n’existe aucune justification raisonnable et objective à cette différence de traitement. Le Comité considère toutefois que l’auteur n’a pas présenté de comparateur réel, c’est-à-dire une personne se trouvant dans une situation comparable, aux fins d’apporter un commencement de preuve. À cet égard, le Comité estime que l’on ne peut pas établir de comparaison entre la façon dont sont traitées des personnes en détention et des personnes qui ne le sont pas, car elles ne se trouvent pas dans une situation semblable. Le Comité considère par conséquent que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ses griefs de violation de l’article 26 du Pacte et que, de ce fait, ses allégations sont irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

5.5Le Comité estime que l’auteur a suffisamment étayé les griefs qu’il tire des articles 7 et 9, lus seuls et conjointement avec l’article 2 (par. 3) du Pacte, aux fins de la recevabilité et il passe à leur examen au fond.

Examen au fond

6.1Conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

6.2En ce qui concerne les griefs que l’auteur tire de l’article 7 du Pacte, le Comité prend note des faits qui se sont produits le 28 février 2008, lorsque la moto de l’auteur a été percutée par un camion conduit par M. P. V. Ch. Il prend note en particulier des déclarations de l’auteur selon lesquelles, outre les blessures liées à l’accident, il a été roué de coups sur place par des policiers et par le chauffeur du camion qui lui a même jeté de l’acide au visage. Le Comité constate que l’auteur, au lieu d’être soigné rapidement compte tenu de son état de santé critique, a été placé en détention, où il est resté jusqu’au soir du 1er mars 2008. Pendant cette période, il a de nouveau été maltraité par des policiers et par le chauffeur du camion qui est réapparu au poste de police. Le Comité note que l’auteur explique qu’à la suite des mauvais traitements subis et de l’intervention médicale tardive, il a fini par perdre un œil malgré de multiples opérations. Il continue de souffrir sur le plan physique et mental et son état de santé lui pose d’autres problèmes dans certains domaines, comme pour trouver un emploi.

6.3Le Comité rappelle son observation générale no 20 (1992), dans laquelle il est dit que l’État partie a le devoir d’assurer à toute personne, par des mesures législatives ou autres, une protection contre les actes prohibés par l’article 7, que ceux-ci soient le fait de personnes agissant dans le cadre de leurs fonctions officielles, en dehors de celles-ci ou à titre privé (par. 2). En outre, s’appuyant sur sa jurisprudence, le Comité réaffirme sa position, à savoir que la charge de la preuve ne peut incomber uniquement à l’auteur de la communication, d’autant que seul l’État partie dispose de certains renseignements nécessaires. En l’absence de toute réfutation ou observation de l’État partie concernant les faits susmentionnés, le Comité accorde le crédit voulu aux affirmations de l’auteur qui ont également été confirmées par certaines instances nationales. Le Comité considère que la torture et les événements décrits, notamment l’utilisation de l’acide et les coups infligés par le chauffeur du camion, le fait que la police n’a pas protégé l’auteur pendant qu’il se trouvait sous son contrôle et ne l’a pas fait rapidement soigner, et les autres violences physiques que lui ont infligées les policiers pendant sa détention, qui ont causé à l’auteur de graves douleurs et une invalidité permanente, sont de nature à violer le droit de ne pas être soumis à un traitement cruel, inhumain ou dégradant que l’auteur tient de l’article 7 du Pacte.

6.4Le Comité note également que, selon l’auteur, l’État partie n’a pas été en mesure de prouver que son arrestation était « raisonnable » ou « nécessaire » compte tenu des circonstances. Il note également que, selon les informations dont il dispose, l’auteur n’a jamais été reconnu coupable des accusations, inventées ou non, portées contre lui. En l’absence d’explication de la part de l’État partie concernant les motifs de détention de l’auteur du 28 février au 1er mars 2008, le Comité constate une violation par l’État partie des droits que l’auteur tient de l’article 9 du Pacte.

6.5L’auteur invoque également l’article 2 (par. 3) du Pacte, lu conjointement avec les articles 7 et 9 du Pacte, qui impose aux États parties l’obligation de garantir un recours utile à toutes les personnes dont les droits reconnus dans le Pacte auraient été violés. Le Comité rappelle que l’ouverture d’une enquête pénale et l’engagement de poursuites judiciaires sont des mesures nécessaires en cas de violation des droits de l’homme tels que ceux protégés par les articles 6 et 7 du Pacte. Dans le cas présent, le Comité constate avec préoccupation que plus de treize ans après les faits, personne n’a été traduit en justice pour les mauvais traitements infligés à l’auteur. À cet égard, le Comité observe que deux affaires pénales liées aux allégations de torture de l’auteur ont été engagées contre les policiers impliqués et transmises au Procureur général pour avis, mais qu’elles sont toujours en cours et que les responsables continuent d’occuper leur fonction. D’après les informations dont dispose le Comité, M. P. V. Ch. n’a pas été jugé par un tribunal et est désormais décédé. En outre, le Comité note avec préoccupation qu’il a fallu près de huit ans à la Cour suprême pour se prononcer sur le cas de l’auteur. Le Comité souligne que, selon l’auteur, les constatations de la Cour suprême et celles de la Commission sri-lankaise des droits de l’homme sont incomplètes en ce qui concerne les faits de l’espèce et n’établissent la responsabilité limitée que d’une seule personne, et l’indemnisation qui lui est accordée ne correspond pas à la gravité de la violation de ses droits. Enfin, le Comité observe que l’action en dommages et intérêts engagée par l’auteur devant le tribunal de district de Morawaka en 2009 n’a pas encore abouti. Ayant dûment examiné ce qui précède et en l’absence de toute explication de la part de l’État partie, le Comité conclut que l’État partie n’a pas mené d’enquête en bonne et due forme sur la détention de l’auteur et les actes de torture qu’il a subis, n’a pas poursuivi les responsables et n’a pas assuré réparation, ce qui constitue une violation des droits que l’auteur tient de l’article 2 (par. 3), lu conjointement avec les articles 7 et 9 du Pacte.

7.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie des articles 7 et 9, lus seuls et conjointement avec l’article 2 (par. 3) du Pacte.

8.Conformément à l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, l’État partie est tenu, entre autres : a) de mener une enquête approfondie, impartiale, indépendante et efficace sur les faits présentés par l’auteur ; b) de poursuivre, juger et punir les personnes responsables de l’arrestation arbitraire de l’auteur et des mauvais traitements qui lui ont été infligés, et de rendre publics les résultats de ces mesures ; et c) d’indemniser l’auteur de manière adéquate pour les violations subies et de prendre des mesures de satisfaction appropriées en sa faveur. L’État partie est en outre tenu de prendre des mesures pour empêcher que des violations analogues se reproduisent à l’avenir.

9.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans sa langue officielle.