Nations Unies

CCPR/C/130/D/2572/2015−CCPR/C/130/D/2573/2015

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

4 juin 2021

Français

Original : anglais

Communications présentées par :

Vladimir Sekerko (non représenté par un conseil)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteur

État partie :

Bélarus

Dates des communications :

21 juillet 2014 (no 2572/2015) et 12 octobre 2014 (no 2573/2015) (dates des lettres initiales)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 20 février 2015 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

5 novembre 2020

Objet :

Refus des autorités d’autoriser la tenue de piquets ; liberté d’expression

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes

Question(s) de fond :

Liberté de réunion ; liberté d’expression

Article(s) du Pacte :

19 et 21, lus seuls et conjointement avec l’article 2 (par. 2 et 3)

Article(s) du Protocole facultatif :

2 et 5 (par. 2 b))

1.1L’auteur des deux communications est Vladimir Sekerko, de nationalité bélarussienne, né en 1948. Il affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient des articles 19 et 21, lus seuls et conjointement avec l’article 2 (par. 2 et 3) du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 30 décembre 1992. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

1.2Le 5 novembre 2020, le Comité a décidé, en application de l’article 97 (par. 3) de son règlement intérieur, d’examiner conjointement les deux communications aux fins de sa décision, compte tenu des fortes similarités qu’elles présentent sur le plan des faits et du droit.

Rappel des faits présentés par l’auteur

Communication no 2573/2015

2.1L’auteur est le Président de la section régionale de Gomel du parti bélarussien de gauche Un monde juste. Le 20 juillet 2013, il a déposé auprès du Comité exécutif de la ville de Gomel une demande d’autorisation de tenir un piquet le 6 août 2013, avec cinq autres membres du parti, afin de sensibiliser le public aux travaux et aux objectifs d’Un monde juste. Le piquet devait se tenir dans le lieu que le Comité exécutif de la ville de Gomel avait préalablement défini comme étant la zone de la ville où pouvaient se tenir des rassemblements pacifiques.

2.2Le 31 juillet 2013, la demande de l’auteur a été rejetée par le Comité exécutif de la ville de Gomel, qui a indiqué dans sa réponse que le lieu était déjà réservé pour une autre manifestation, à savoir les répétitions de la cérémonie d’ouverture du septième Festival international d’arts chorégraphiques.

2.3À une date non précisée, l’auteur a formé un recours contre cette décision devant le tribunal du district central de Gomel, affirmant qu’il y avait eu violation du droit à la liberté d’expression et du droit de réunion pacifique, qui sont garantis par la Constitution du Bélarus et par les articles 19 et 21 du Pacte. Dans sa plainte, il a également précisé qu’aucune autre date n’avait été proposée par les autorités. Le 20 novembre 2013, le tribunal a jugé que la décision du Comité exécutif de la ville de Gomel était conforme aux dispositions de la loi relative aux manifestations collectives et a débouté l’auteur de son recours.

2.4Le 14 janvier 2014, le tribunal régional de Gomel a rejeté un nouveau recours qui avait été formé par l’auteur.

2.5Le 10 avril et le 3 juin 2014, l’auteur a saisi le Président du tribunal régional de Gomel et la Cour suprême d’une demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle. Ses recours ont été rejetés le 22 mai et le 4 septembre 2014, respectivement. Les tribunaux ont estimé que la décision du Comité exécutif de la ville de Gomel était objective, qu’elle n’interdisait pas totalement la tenue de manifestations et qu’elle ne visait pas à limiter les droits du parti. L’auteur n’a pas saisi le Bureau du Procureur général d’une nouvelle demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle. Il fait valoir que selon la jurisprudence du Comité, cette procédure n’est pas considérée comme un recours utile, et qu’il a donc épuisé tous les recours internes.

Communication no 2572/2015

2.6Le 11 septembre et le 22 octobre 2013, l’auteur a déposé auprès du Comité exécutif de la ville de Gomel une demande d’autorisation de tenir un piquet les 26 septembre et le 7 novembre 2013. L’objectif du piquet de septembre était de sensibiliser le public aux travaux et aux objectifs d’Un monde juste, tandis que celui de novembre avait pour objet de mettre en relief l’importance de la grande révolution socialiste d’octobre pour le peuple bélarussien. Dans sa demande, l’auteur a précisé l’emplacement prévu des piquets et le nombre attendu de participants.

2.7Le 20 septembre et le 31 octobre 2013, le Comité exécutif de la ville de Gomel a refusé d’autoriser les piquets pour les motifs suivants : a) l’emplacement proposé des piquets ne figurait pas parmi les lieux qui ont été désignés pour la tenue de telles manifestations, tels qu’ils sont énumérés dans la décision du Comité exécutif de la ville de Gomel no 775 du 15 août 2013 ; b) l’auteur n’avait pas présenté les contrats conclus avec les prestataires de services municipaux concernés afin d’assurer la fourniture de services médicaux pendant la manifestation et le nettoyage des lieux après celle-ci.

2.8Le 23 septembre et le 22 novembre 2013, l’auteur a formé un recours contre la décision du Comité exécutif de la ville de Gomel devant le tribunal du district central de Gomel, affirmant qu’il y avait eu violation du droit à la liberté d’expression et du droit de réunion pacifique, qui sont garantis par la Constitution du Bélarus et par les articles 19 et 21 du Pacte. Dans sa plainte, il a également précisé qu’aucune autre date ou heure n’avait été proposée par les autorités. Le 25 novembre 2013 et le 3 janvier 2014, le tribunal du district central a rejeté les recours et a confirmé la légalité des décisions du Comité exécutif de la ville de Gomel.

2.9Le 27 novembre 2013 et le 20 janvier 2014, l’auteur a formé un recours en cassation contre ces décisions devant la chambre civile du tribunal régional de Gomel. Le 11 février et le 20 mars 2014, celle-ci a rejeté les deux recours.

2.10À des dates non précisées, l’auteur a saisi le tribunal régional de Gomel d’une demande de réexamen, au titre de la procédure de contrôle, des décisions de la chambre civile. Le 29 mai 2014, le tribunal régional a rejeté ces deux recours. Les recours ultérieurs formés par l’auteur devant la Cour suprême ont été rejetés le 30 juin 2014.

2.11L’auteur affirme qu’il a épuisé tous les recours internes disponibles et utiles.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient des articles 19 et 21, lus conjointement avec l’article 2 (par. 2 et 3) du Pacte. Il estime que le motif pour lequel on lui a refusé l’autorisation d’organiser une réunion pacifique et de le priver de son droit à la liberté d’expression était illégal. Les communications de l’auteur, qui n’est pas représenté par un conseil, semblent également soulever des questions au regard des articles 19 et 21 du Pacte.

3.2L’auteur estime que lorsqu’elles ont placé des restrictions sur le droit à la liberté d’expression et le droit de tenir des piquets pacifiques, les autorités n’ont pas montré en quoi ces restrictions étaient nécessaires au regard des articles 19 et 21 du Pacte. Qui plus est, aucune autre date ou heure n’a été proposée pour la tenue du piquet.

3.3L’auteur soutient que la loi du Bélarus relative aux manifestations publiques et les décisions du Comité exécutif de la ville de Gomel concernant la tenue de manifestations collectives dans la ville devraient être mises en conformité avec les obligations internationales qui incombent à l’État partie en vertu des articles 19 et 21 du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans des notes verbales en date du 14 avril et du 21 juillet 2015, l’État partie soutient que la communication devrait être déclarée irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif, l’auteur n’ayant pas épuisé tous les recours internes disponibles.

4.2L’État partie constate avec regret que l’interprétation faite par le Comité des articles 2 et 5 du Protocole facultatif est arbitraire et illégitime, qu’elle ne découle pas des dispositions du Pacte et qu’elle est contraire aux principes d’interprétation établis par la Convention de Vienne sur le droit des traités.

4.3L’État partie indique qu’il rejette les communications parce que l’auteur et le Comité ne respectent pas les conditions de procédure énoncées par le Pacte et le Protocole facultatif s’y rapportant, et qu’il cesse toute correspondance à ce sujet.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1Dans des lettres en date du 5 mai 2015 et du 18 janvier 2016, l’auteur a fait valoir que, conformément à la jurisprudence du Comité, les recours doivent être non seulement disponibles, mais aussi utiles. En conséquence, les recours doivent être considérés comme épuisés s’ils ne satisfont pas à l’une de ces exigences. Il fait observer que le Comité a souligné à plusieurs reprises que demander le réexamen au titre de la procédure de contrôle concernant des décisions qui sont passées en force de chose jugée et chose courante dans les anciennes républiques de l’Union soviétique, et que le Comité ne reconnaît pas cette procédure comme étant un recours utile aux fins de l’épuisement des recours internes.

5.2L’auteur explique qu’il n’a pas saisi le Bureau du Procureur général d’une demande de réexamen au titre de la procédure spéciale parce qu’il ne considérait pas que cette procédure constituait un recours utile.

5.3En ce qui concerne la compétence du Comité pour examiner l’affaire, l’auteur estime que l’État partie, ayant librement accepté la juridiction du Comité, n’est pas en droit de contester la compétence du Comité ou de ne pas tenir compte de ses avis qui font autorité. L’auteur estime que l’État partie est tenu non seulement de se conformer strictement aux décisions du Comité, mais aussi de reconnaître ses critères, ses pratiques, ses méthodes de travail et sa jurisprudence.

Défaut de coopération de l’État partie

6.1Le Comité prend note de l’affirmation de l’État partie selon laquelle la communication de l’auteur a été enregistrée en violation de l’article 2 du Protocole facultatif, et de son indication selon laquelle il rejette les communications parce que l’auteur et le Comité ne respectent pas les conditions de procédure énoncées par le Pacte et le Protocole facultatif s’y rapportant et cesse toute correspondance à ce sujet.

6.2Le Comité fait observer que tout État partie au Pacte qui adhère au Protocole facultatif reconnaît que le Comité a compétence pour recevoir et examiner des communications émanant de particuliers qui se déclarent victimes d’une violation de l’un quelconque des droits énoncés dans le Pacte (préambule et art. 1). En adhérant au Protocole facultatif, les États parties s’engagent implicitement à coopérer de bonne foi avec le Comité pour lui permettre et lui donner les moyens d’examiner les communications qui lui sont soumises et, après examen, de faire part de ses constatations à l’État partie et au particulier concernés (par. 1 et 4 de l’article 5). Pour un État partie, l’adoption d’une mesure, quelle qu’elle soit, qui empêche le Comité de prendre connaissance d’une communication, d’en mener l’examen à bonne fin et de faire part de ses constatations, est incompatible avec ces obligations. C’est au Comité qu’il appartient de déterminer si une communication doit être enregistrée. En ne reconnaissant pas la compétence du Comité pour ce qui est de décider de l’opportunité d’enregistrer une communication et en déclarant purement et simplement qu’il cessera toute correspondance, l’État partie a manqué aux obligations qui lui incombent au titre de l’article premier du Protocole facultatif.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Le Comité note que l’État partie conteste la recevabilité de la communication no 2572/2015 comme de la communication no 2573/2015, au motif du non-épuisement des recours internes. Il prend également note du fait que l’auteur n’a pas saisi le Bureau du Procureur général d’une demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle parce qu’il ne considérait pas que cette procédure constituait un recours utile. Le Comité prend également note de l’argument de l’auteur selon lequel les recours qu’il a formés contre les décisions du Comité exécutif de la ville de Gomel, y compris la demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle, ont été rejetés par le tribunal du district central de Gomel, par le tribunal régional de Gomel et par la Cour suprême.

7.4Le Comité rappelle sa jurisprudence, selon laquelle l’introduction auprès du ministère public d’une demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle de décisions devenues exécutoires (dont l’issue relève du pouvoir discrétionnaire du procureur) ne constitue pas un recours qui doit être épuisé aux fins de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif. En conséquence, il estime que les dispositions de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner la communication.

7.5Le Comité prend note de l’affirmation de l’auteur selon laquelle l’État partie a violé les droits qu’il tient de l’article 2 (par. 2), lu conjointement avec les articles 19 et 21 du Pacte. Il rappelle que les dispositions de l’article 2 ne peuvent pas être invoquées en conjonction avec d’autres dispositions du Pacte pour fonder une communication présentée en vertu du Protocole facultatif, sauf lorsque le manquement de l’État partie aux obligations que lui impose cet article est la cause immédiate d’une violation distincte du Pacte portant directement atteinte à la personne qui se dit victime. Le Comité constate que l’auteur a déjà allégué une violation des droits qu’il tient des articles 19 et 21, qui résulterait de l’interprétation et de l’application des lois en vigueur dans l’État partie. En outre, il n’estime pas que l’examen de la question de savoir si l’État partie a manqué aux obligations générales mises à sa charge par l’article 2 (par. 2), lu conjointement avec les articles 19 et 21 du Pacte, soit distinct de l’examen de la question de savoir si les droits que l’auteur tient des articles 19 et 21 du Pacte ont été violés. En conséquence, le Comité considère que les griefs soulevés par l’auteur à cet égard sont incompatibles avec l’article 2 du Pacte et, partant, qu’ils sont irrecevables au regard de l’article 3 du Protocole facultatif.

7.6Le Comité considère que l’auteur n’a pas suffisamment étayé les griefs qu’il tire des articles 19 et 21, lus conjointement avec de l’article 2 (par. 3) du Pacte, et déclare donc cette partie de la communication irrecevable.

7.7Le Comité considère que l’auteur a suffisamment étayé les griefs qu’il tire des articles 19 et 21 du Pacte aux fins de la recevabilité des deux communications, et passe à leur examen au fond.

Examen au fond

8.1Conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné les deux communications en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

8.2Le Comité prend note de l’affirmation de l’auteur selon laquelle ses droits à la liberté d’expression et à la liberté de réunion ont été restreints, en violation des articles 19 et 21 du Pacte, car il s’est vu refuser l’autorisation d’organiser des réunions pacifiques pour sensibiliser le public aux travaux et aux objectifs d’Un monde juste (voir les communications no 2573/2015 et no 2572/2015) et à l’importance de la grande révolution socialiste d’octobre (voir la communication no 2572/2015). Le Comité prend également note de l’affirmation de l’auteur selon laquelle les autorités n’ont pas expliqué en quoi l’interdiction de tenir des piquets était nécessaire dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique ou de l’ordre public, ou pour protéger la santé ou la moralité publiques ou les droits et libertés d’autrui, comme l’exigent les articles 19 (par. 3) et 21 du Pacte, et, partant, que ces restrictions étaient illégales.

8.3Le Comité prend note du grief, formulé par l’auteur dans les deux communications, selon lequel le refus du Comité exécutif de la ville de Gomel de l’autoriser, ainsi que d’autres membres d’Un monde juste, de tenir des piquets, a aussi constitué une violation du droit à la liberté de réunion pacifique garanti par l’article 21 du Pacte. Dans son observation générale no 37 (2020), le Comité a indiqué que les réunions pacifiques peuvent en principe être organisées en tout lieu accessible au public ou auquel le public devrait avoir accès, comme les places publiques et la voie publique. Les réunions pacifiques ne devraient pas être reléguées dans des endroits isolés où elles ne peuvent pas attirer l’attention de ceux à qui elles s’adressent ou du grand public. En règle générale, il ne peut être imposé d’interdictions générales d’organiser des rassemblements en tous lieux de la capitale, en tous lieux publics à l’exception d’un lieu unique en ville ou en dehors du centre-ville, ou sur l’ensemble de la voie publique d’une ville. Le Comité note en outre qu’exiger des participants ou des organisateurs qu’ils assurent l’encadrement et le maintien de l’ordre et la fourniture de soins médicaux pendant les rassemblements pacifiques et le nettoyage du site après la réunion ou tous autres services publics connexes, et qu’ils en assument les coûts, n’est généralement pas compatible avec l’article 21.

8.4Le Comité rappelle que le droit de réunion pacifique, garanti par l’article 21 du Pacte, est un droit de l’homme fondamental qui est essentiel à l’expression publique des points de vue et opinions de chacun et est indispensable dans une société démocratique. Ce droit suppose la possibilité d’organiser une réunion pacifique, notamment un rassemblement immobile (tel qu’un piquet) dans un lieu public, et d’y participer. Les organisateurs d’une réunion ont, en principe, le droit de choisir un lieu qui soit à portée de vue et d’ouïe du public visé, et l’exercice de ce droit ne peut faire l’objet que des seules restrictions imposées conformément à la loi et qui sont nécessaires dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique ou de l’ordre public, ou pour protéger la santé ou la moralité publiques ou les droits et libertés d’autrui. Lorsqu’ils imposent des restrictions au droit de réunion des particuliers afin de concilier ce droit avec les intérêts généraux susmentionnés, les États parties doivent chercher à faciliter l’exercice de ce droit et non s’employer à le restreindre par des moyens qui ne sont ni nécessaires ni proportionnés. L’État partie est donc tenu de justifier la limitation du droit garanti à l’article 21 du Pacte.

8.5Dans les deux affaires, le Comité doit déterminer si les restrictions imposées au droit de réunion pacifique de l’auteur sont justifiées au regard de l’un quelconque des critères énoncés dans la deuxième phrase de l’article 21 du Pacte. Dans la communication no 2573/2015, l’auteur indique que sa demande de tenir un piquet a été rejetée parce qu’une autre manifestation (les répétitions de la cérémonie d’ouverture du septième Festival international d’arts chorégraphiques) devait se tenir au même endroit, tandis que dans la communication no 2572/2015, il indique que sa demande a été rejetée au motif que le lieu choisi ne figurait pas parmi ceux autorisés par les autorités exécutives de la ville et parce qu’il n’avait pas présenté les contrats conclus avec les prestataires de services municipaux concernés afin d’assurer des services médicaux pendant la manifestation et le nettoyage des lieux après celle-ci. À cet égard, le Comité constate que ni le Comité exécutif de la ville de Gomel ni les tribunaux internes n’ont justifié leur décision ou expliqué en quoi, dans la pratique, la manifestation que l’auteur souhaitait organiser aurait menacé les intérêts visés à l’article 21 du Pacte, à savoir la sécurité nationale ou la sûreté publique ou l’ordre public, ou aurait entraîné un défaut de protection de la santé ou la moralité publiques ou les droits et libertés d’autrui. L’État partie n’a pas non plus montré que d’autres mesures avaient été prises pour faciliter l’exercice des droits que l’auteur tient de l’article 21.

8.6En l’absence de toute explication de l’État partie sur cette question, le Comité conclut, concernant les communications no 2753/2015 et no 2752/2015, que l’État partie a violé les droits que l’auteur tient de l’article 21 du Pacte.

8.7Le Comité note que l’auteur affirme que son droit à la liberté d’expression a été restreint illégalement, en ce qu’on lui a refusé l’autorisation de tenir des piquets pour exprimer publiquement son opinion sur les objectifs d’Un monde juste (communications no 2573/2015 et no 2572/2015) et sur l’importance de la grande révolution socialiste d’octobre (communication no 2572/2015). La question dont le Comité est saisi est celle de savoir si l’interdiction de tenir un piquet public faite à l’auteur par des autorités municipales exécutives de l’État partie constitue une violation de l’article 19 du Pacte.

8.8Le Comité renvoie à son observation générale no 34 (2011), dans laquelle il a souligné, entre autres, que la liberté d’expression est essentielle pour toute société et constitue le fondement de toute société libre et démocratique. Il note que l’article 19 (par. 3) du Pacte n’autorise certaines restrictions à la liberté d’expression, y compris la liberté de répandre des informations et des idées, que s’il s’agit de restrictions fixées par la loi et qui sont nécessaires : a) au respect des droits ou de la réputation d’autrui ; ou b) à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques. Enfin, aucune restriction de la liberté d’expression ne doit avoir une portée trop large : elle doit constituer le moyen le moins perturbateur parmi ceux qui pourraient permettre d’obtenir le résultat recherché et doit être proportionnée à l’intérêt à protéger. Le Comité rappelle que c’est à l’État partie qu’il incombe de démontrer que les restrictions apportées aux droits que l’auteur tient de l’article 19 du Pacte étaient nécessaires et proportionnées.

8.9S’agissant des deux communications, le Comité fait observer que limiter la tenue de piquets à certains lieux préétablis, compte tenu aussi du fait que dans la communication no 2753/2015 l’auteur avait indiqué qu’il était disposé à envisager de tenir le piquet à une autre heure et à une autre date, ne semble pas répondre aux critères de la nécessité et de la proportionnalité énoncés à l’article 19 du Pacte. Le Comité constate que ni l’État partie ni les juridictions nationales n’ont expliqué en quoi ces restrictions servaient un but légitime. Il considère que, dans les circonstances des deux affaires, les interdictions imposées à l’auteur, même si elles étaient fondées sur la législation interne, n’étaient pas justifiées au regard de l’article 19 (par. 3) du Pacte. En l’absence de toute explication de la part de l’État partie, le Comité conclut que les droits que l’auteur tient de l’article 19 du Pacte ont été violés.

9.Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie des droits que l’auteur tient des articles 19 et 21 du Pacte.

10.Conformément à l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, il est tenu, entre autres, d’octroyer à l’auteur une indemnisation adéquate. L’État partie est également tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour que des violations analogues ne se reproduisent pas. À cet égard, le Comité fait observer que l’État partie devrait réviser son cadre normatif relatif aux manifestations publiques, conformément à l’obligation qui lui incombe au titre de l’article 2 (par. 2) du Pacte, afin de garantir la pleine jouissance des droits consacrés par les articles 19 et 21 sur son territoire.

11.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles.