Nations Unies

CCPR/C/134/D/3199/2018

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

2 juin 2022

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 3199/2018*,**

Communication présentée par :

Puniram Tharu et Nira Kumari Tharuni (représentés par TRIAL International et le Centre népalais pour les droits de l’homme et la justice)

Victime(s) présumée(s) :

Les auteurs et leur fils A. C.

État partie :

Népal

Date de la communication :

28 mars 2018 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 25 septembre 2018 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

14 mars 2022

Objet :

Privation arbitraire de liberté ; torture ; exécution extrajudiciaire

Question (s) de procédure :

Épuisement des recours internes

Question ( s ) de fond :

Droit à la vie ; torture, peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ; liberté de la personne ; droit au respect de la vie privée et de la vie familiale ; droit à des mesures spéciales de protection en tant que mineur ; non‑discrimination ; droit à un recours utile

Article ( s ) du Pacte :

2 (par. 1 à 3), 6, 7, 9, 17, 24 (par. 1) et 26

Article ( s ) du Protocole facultatif :

3 et 5 (par. 2 b))

1.Les auteurs de la communication sont Puniram Tharu et Nira Kumari Tharuni, de nationalité népalaise, nés respectivement en 1968 et 1971. Ils appartiennent à la communauté autochtone tharu ; ils soumettent la communication en leur nom propre et au nom de leur fils, A. C., né en 1988, décédé à l’âge de 15 ans. Ils affirment que l’État partie a violé les droits garantis à leur fils par les articles 6, 7 et 9 du Pacte, lus seuls et conjointement avec les articles 2 (par. 1 à 3), 24 (par. 1) et 26. Ils invoquent également une violation des droits qu’eux-mêmes tiennent des articles 7 et 17 du Pacte, lus seuls et conjointement avec l’article 2 (par. 3). Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 14 août 1991. Les auteurs sont représentés par un conseil.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Les auteurs indiquent que les faits exposés dans la communication doivent être lus dans le contexte du conflit armé qu’a connu le Népal (1996-2006), qui a été marqué par des violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme, dont des actes de torture, des disparitions forcées, des exécutions extrajudiciaires, des arrestations arbitraires et des violences sexuelles. Au cours de ce conflit, les membres de la communauté tharu étaient régulièrement la cible des forces de sécurité, qui les associaient aux guérilleros du Parti communiste népalais (maoïste). Le 15 mars 2004, le fils des auteurs a quitté à bicyclette la maison familiale située dans le village de Khuntipur, dans le district de Bardiya, pour se rendre dans le village de Fattepur où il était scolarisé. Il était vêtu de son uniforme scolaire et transportait des livres. En chemin, il a rencontré un camarade qu’il a pris sur sa bicyclette. Les deux garçons ont été interpellés par un groupe d’environ 200 agents de sécurité, composé de soldats de l’Armée royale népalaise, d’agents de la Police népalaise et de membres de la Force de police armée, qui menaient une opération de sécurité conjointe à la recherche de membres du mouvement de guérilla maoïste. Des opérations de sécurité conjointes de ce type étaient régulièrement menées dans le district de Bardiya pendant le conflit.

2.2Selon le témoignage de nombreux passants, les agents de sécurité, immédiatement après avoir appréhendé les deux garçons, leur ont lié les mains derrière le dos avec des lacets et les ont interrogés sur leurs liens éventuels avec les guérilleros maoïstes. Les deux garçons ont nié toute implication dans la guérilla. Les agents de sécurité les ont insultés et brutalisés, leur donnant notamment des coups de pied et de poing sur différentes parties du corps et les frappant avec la crosse de leurs armes. Le fils des auteurs a indiqué aux agents de sécurité l’endroit où il habitait et étudiait ainsi que le nom de ses parents. Les agents de sécurité ont menacé de le tuer et ont continué à le frapper pendant plus d’une demi-heure.

2.3Les agents de sécurité ont traîné les garçons jusqu’à un canal voisin, où ils ont continué à les frapper. Puis ils ont tiré sur l’autre garçon et l’ont tué. Le fils des auteurs a été témoin de cette exécution extrajudiciaire. Les agents de sécurité ont continué à l’interroger et à le maltraiter pendant encore une demi-heure avant de le tuer de trois balles dans la nuque alors qu’il gisait sur le sol. Ils ont ensuite réuni quelques villageois et leur ont demandé d’enterrer les corps des deux garçons, puis ont quitté les lieux. Le 16 mars 2004, une station de radio locale a évoqué l’incident, annonçant que deux maoïstes avaient été tués dans la zone du comité de développement villageois de Padmanh. Ayant entendu cette annonce et sachant que des incidents similaires s’étaient déjà produits, les auteurs, inquiets pour leur fils dont ils n’avaient pas de nouvelles depuis la veille, se sont rendus dans le village où se trouvait son école. À leur arrivée, les villageois les ont informés des meurtres survenus la veille et les ont emmenés à l’endroit où les deux corps étaient enterrés. Craignant le retour de la patrouille de sécurité conjointe et les conséquences qui pourraient s’ensuivre, les auteurs ont décidé de ne pas transporter le corps de leur fils à l’hôpital pour une autopsie. L’hôpital le plus proche se trouvait d’ailleurs à deux heures de barque ou d’autocar, et ils risquaient fort de tomber sur des agents de la patrouille de sécurité conjointe. Ils ont donc ramené le corps dans leur village, accompli les rites funéraires et inhumé leur fils le 17 mars 2004. Le corps n’a pas été autopsié ni exhumé pour examen. Quelques jours après l’exécution, des agents de la patrouille de sécurité conjointe sont venus au domicile des auteurs et l’ont perquisitionné sans produire de mandat à cet effet. Des perquisitions similaires ont eu lieu à cinq autres reprises. Elles étaient menées par 40 à 50 soldats, qui encerclaient le village et s’introduisaient dans chaque maison, souvent en en menaçant les habitants.

2.4Les auteurs indiquent qu’au cours du conflit les membres de la communauté autochtone tharu étaient particulièrement visés par les forces de sécurité dans le district de Bardiya. Ils invoquent un rapport publié par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) selon lequel les membres du groupe autochtone tharu représentaient 52 pour cent de la population du district pendant le conflit mais comptaient pour plus de 85 pour cent des disparitions imputables aux autorités de l’État dans les cas documentés par le HCDH. De plus, les Tharu s’entendaient dire en permanence par les agents de sécurité qu’ils étaient « tous des maoïstes » et, d’une manière générale, ce sont leurs installations et leurs maisons qui étaient principalement la cible des perquisitions. Le rapport indique aussi que les Tharu font partie des groupes autochtones qui ont de tout temps été marginalisés et victimes de discriminations au Népal.

2.5Les auteurs soulignent que cela fait 14 ans qu’ils tentent en vain d’obtenir réparation pour le préjudice qu’ils ont subi et de faire en sorte que les responsables des crimes commis soient identifiés, poursuivis et punis. Ils ont notamment saisi la Commission nationale des droits de l’homme le 17 mars 2004, sans suite. La demande d’indemnisation qu’ils ont soumise au tribunal de district de Bardiya en juin 2004 a de plus été rejetée, le tribunal considérant que les faits décrits ne relevaient pas de la définition interne de la torture, et cette décision a été confirmée par la Cour d’appel de Nepalgunj. Quand le conflit a pris fin, les auteurs, pensant que l’établissement des mécanismes ad hoc prévus par l’Accord de paix global conclu entre le Gouvernement népalais et le Parti communiste népalais (maoïste) leur donnerait accès à la justice, ont attendu la mise en place de ces mécanismes en sachant que les autorités de l’État partie avaient été informées en 2004 des crimes commis contre leur fils et étaient donc en mesure, et dans l’obligation, d’ouvrir une enquête d’office. Ayant vu échouer plusieurs tentatives visant à établir des mécanismes de justice transitionnelle et constatant qu’aucune enquête n’avait été ouverte par les autorités, les auteurs ont finalement décidé de prendre de nouvelles initiatives pour relancer le dossier.

2.6Les auteurs indiquent qu’ils ont tenté à plusieurs reprises de faire enregistrer un procès-verbal initial, indispensable au Népal pour déclencher l’ouverture d’une enquête pénale, mais que leurs tentatives ont été systématiquement contrariées. Le 4 octobre 2013, ils ont tenté de faire enregistrer un procès-verbal initial au Bureau de police et au Bureau de l’administration du district de Bardiya, mais l’un et l’autre ont refusé, alléguant qu’il n’était pas possible d’enquêter sur les faits parce qu’ils s’étaient produits pendant le conflit. Les auteurs affirment qu’au Népal le refus d’enregistrer des procès-verbaux initiaux concernant des infractions que les forces de sécurité auraient commises à l’occasion du conflit est une pratique systématique, qui perdure à ce jour et rend un tel recours inutile.

2.7Le 27 octobre 2013, les auteurs ont saisi la Cour d’appel de Nepalgunj, demandant et obtenant une ordonnance de mandamus pour obliger le Bureau de police du district de Bardiya à enregistrer un procès-verbal initial. Malgré cette ordonnance, le Bureau n’a pas enregistré de procès-verbal initial. En avril 2015, une nouvelle demande d’ordonnance de mandamus a été introduite devant de la Cour d’appel de Nepalgunj. Le 5 août 2015, la Cour d’appel a fait droit à la demande des auteurs et rendu une ordonnance de certiorari. Dans sa décision, elle a jugé que le Bureau de police du district n’avait pas fait preuve de la diligence voulue. Elle a également déclaré que le fait qu’aucun procès-verbal initial n’ait été enregistré depuis le 4 octobre 2013 alors qu’elle avait rendu une première ordonnance de mandamus avait causé un préjudice aux auteurs et porté atteinte aux principes de l’état de droit. Elle a souligné que les auteurs avaient tenté de faire enregistrer un procès-verbal initial bien avant l’établissement de la Commission Vérité et Réconciliation et donc que cet établissement ne pouvait pas être invoqué pour excuser ou justifier le manque de diligence des autorités. La Cour d’appel a de nouveau ordonné au Bureau de police du district de Bardiya d’enregistrer un procès-verbal initial et, le 17 décembre 2015, les auteurs ont déposé une nouvelle plainte auprès de ce bureau. Mais celui-ci a de nouveau refusé de l’enregistrer. Face à ce refus persistant d’exécuter les ordonnances de la Cour d’appel de Nepalgunj, les auteurs ont, le 28 février 2016, porté plainte pour entrave à l’exercice de la justice devant la Cour d’appel de Nepalgunj. Alors que cette plainte était en instance, le Bureau de police du district a indiqué qu’un procès-verbal initial avait entretemps été enregistré. Il a donc été mis fin à la procédure pour entrave à l’exercice de la justice le 15 juin 2016. Cependant, les tentatives faites par les auteurs pour obtenir copie du procès-verbal initial et des informations sur sa teneur et ses suites se sont heurtées au refus déclaré du Bureau de police du district de Bardiya. À la connaissance des auteurs, aucune mesure n’a été prise depuis que ce procès-verbal aurait été enregistré. Les auteurs ont saisi la Commission Vérité et Réconciliation le 5 juin 2016 mais celle-ci ne les a pas contactés et, à leur connaissance, n’a pas enquêté sur le décès de leur fils. Les auteurs indiquent qu’ils n’ont pas reçu d’indemnisation adéquate ni bénéficié d’aucune autre mesure de réparation pour le préjudice que leur a causé le meurtre de leur fils.

2.8Les auteurs font observer que l’exécution extrajudiciaire de leur fils et le fait que les autorités de l’État partie n’ont toujours pas ouvert d’enquête ni poursuivi et puni les responsables, et qu’elles ne leur ont pas accordé une réparation adéquate pour le préjudice subi, ont eu de graves conséquences sur leur vie et leur santé. Mme Tharuni est tombée malade et a dû rester alitée pendant six mois après la mort de son fils. Elle a souffert de dépression et de cauchemars récurrents et a été hospitalisée à deux reprises. Pendant ce temps, elle n’a pas pu travailler ni s’occuper convenablement de ses trois autres enfants. La situation a été aggravée par les visites récurrentes effectuées à leur domicile par des agents de sécurité sous prétexte de procéder à des perquisitions, visites qu’elle a ressenties comme une forme de harcèlement. Elle souffre toujours d’insomnie et fréquemment de maux de tête et de douleurs à la poitrine. Elle se remémore régulièrement le moment où il lui a fallu tirer du canal le corps sans vie de son fils, ce qui lui cause souffrance et douleur. M. Tharu est lui aussi tombé malade suite à la mort de son fils. En proie à des sentiments permanents d’angoisse, de tristesse et d’abattement, il a contracté une gastrite sévère et éprouve fréquemment des douleurs à la poitrine et des maux de tête. Il a lui aussi été hospitalisé mais cela n’a pas résolu ses problèmes de santé. Il estime qu’en raison de cette situation, il n’a pas pu dispenser à ses trois autres enfants les soins et l’attention dont ils avaient besoin, ce qui provoque chez lui un sentiment de culpabilité et de frustration. L’échec de sa lutte pour obtenir justice et réparation à raison de l’exécution extrajudiciaire de son fils l’épuise émotionnellement.

2.9Les auteurs affirment que la situation d’impunité et l’absence de réparation adéquate pour les victimes de violations flagrantes des droits de l’homme dans l’État partie sont facilitées par les carences de la législation relative à la justice transitionnelle et les déficiences de la législation pénale réprimant les violations flagrantes des droits de l’homme, en particulier l’absence de criminalisation de la torture. Les auteurs relèvent que l’article 7 de la loi de 1992 relative à l’enfance prévoit qu’aucun enfant ne peut être soumis à la torture ou à un traitement cruel. Les infractions visées à l’article 7 sont punies d’une peine d’amende de 5 000 roupies népalaises au plus (environ 40 dollars É.-U.) et/ou d’une peine d’emprisonnement d’un an au plus. Aux termes de l’article 54 de la loi, les plaintes pour infraction à la loi doivent être déposées dans un délai d’un an à compter de la date de la commission de l’infraction. Les auteurs soutiennent que la loi comporte plusieurs lacunes. Premièrement, elle ne donne pas de définition de la torture. Deuxièmement, les peines dont est punie la torture sur la personne d’un enfant sont extrêmement légères et ne sont pas proportionnelles à la gravité de l’infraction. Troisièmement, la loi consacre une notion indûment restrictive de la réparation pour les enfants victimes de torture qui, selon le texte, peuvent avoir droit à une indemnisation « raisonnable » de la part des coupables mais non à une réparation intégrale, comprenant des mesures de restitution, de réadaptation et de satisfaction ainsi que des garanties de non-répétition.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs affirment que leur fils a été victime d’une violation des droits qu’il tenait des articles 6, 7 et 9 (par. 1 à 5) du Pacte, lus seuls et conjointement avec les articles 2 (par. 1), 24 (par. 1) et 26, du fait de la privation arbitraire de liberté, de la torture puis de l’exécution extrajudiciaire dont il a fait l’objet le 15 mars 2004 aux mains d’agents de sécurité de l’État partie. Ces violations, qui avaient des motifs discriminatoires fondés sur l’origine ethnique de leur fils, sont aggravées du fait que celui-ci était âgé de 15 ans au moment des faits. De par son statut de mineur, il avait en effet droit à des mesures spéciales de protection. Son appartenance à la communauté autochtone tharu renforçait encore ce droit. Or les autorités de l’État partie ne l’ont pas protégé comme elles le devaient et l’ont au contraire pris pour cible, privé arbitrairement de liberté, torturé puis tué.

3.2En ce qui concerne les griefs tirés de l’article 9 du Pacte, les auteurs font observer en particulier que leur fils a été interpellé par des agents de sécurité alors qu’il se rendait à l’école. L’incident s’étant produit dans le contexte d’une pratique systématique d’arrestations arbitraires et dans une région où les enfants tharu étaient particulièrement visés par ce type d’opérations, les auteurs affirment que l’arrestation de leur fils était arbitraire, en violation des droits qu’il tenait de l’article 9 (par. 1) du Pacte. Ils ajoutent que les agents de sécurité n’ont pas présenté de mandat d’arrêt à leur fils, l’ont immédiatement immobilisé, n’ont formulé aucune accusation formelle contre lui et ne l’ont pas présenté à un juge ou une autre autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions judiciaires, en violation des droits qu’il tenait de l’article 9 (par. 2 et 3) du Pacte. Ils font également valoir qu’ayant ensuite été victime d’une exécution extrajudiciaire, leur fils ne pouvait pas saisir une juridiction pour contester la légalité de sa privation de liberté ni être entendu par un juge, en violation des droits qu’il tenait de l’article 9 (par. 3 et 4). Les auteurs dénoncent aussi une violation de l’article 9 (par. 5), car ils n’ont obtenu aucune indemnisation pour l’arrestation et la privation de liberté arbitraires de leur fils.

3.3Les auteurs allèguent également que les droits que leur fils tenait des articles 6, 7 et 9 du Pacte, lus conjointement avec les articles 2 (par. 3) et 24 (par. 1), ont été violés du fait que les autorités népalaises n’ont pas mené une enquête approfondie, impartiale, indépendante et efficace sur la privation arbitraire de liberté, la torture puis l’exécution extrajudiciaire de leur fils, ni poursuivi et puni les responsables. Malgré des tentatives répétées, les auteurs n’ont même pas obtenu d’indemnisation adéquate ou autre réparation pour le préjudice subi. Ils indiquent que, conformément aux recommandations formulées par le comité de développement villageois et la municipalité les 7 juin 2015 et 3 juillet 2017, respectivement, ils ont reçu 100 000 roupies népalaises (environ 900 dollars É.-U.) à titre d’indemnisation provisoire. Or il s’agit d’une mesure d’aide sociale qui ne saurait se substituer à une indemnisation ni être considérée comme telle.

3.4Les auteurs invoquent d’autre part une violation des droits que leur fils tenait de l’article 7 du Pacte, lu conjointement avec les articles 2 (par. 2) et 24 (par. 1), parce que les autorités népalaises n’ont pas adopté les mesures législatives voulues pour prévenir les actes de torture sur la personne d’enfants, pour punir les responsables de tels actes de manière proportionnelle à la gravité de l’infraction et pour accorder une indemnisation équitable et une réparation adéquate, comprenant des mesures de restitution, de réadaptation et de satisfaction ainsi que des garanties de non-répétition. Les auteurs renvoient aux observations finales du Comité sur le deuxième rapport périodique du Népal, dans lequel le Comité recommande une nouvelle fois à l’État partie de modifier sa législation relative à la torture en ce qui concerne la répression de ce crime et l’indemnisation des victimes.

3.5Les auteurs affirment être eux-mêmes victimes d’une violation des droits qu’ils tiennent des articles 7 et 17 du Pacte, lus seuls et conjointement avec l’article 2 (par. 3), en raison des souffrances que leur ont causées la privation arbitraire de liberté, la torture et l’exécution extrajudiciaire de leur fils, et parce que ces crimes n’ont toujours pas fait l’objet d’une enquête, que l’impunité règne et qu’aucune réparation ne leur a été accordée pour le préjudice subi. Cette situation a été aggravée par le fait que leur fils a été publiquement qualifié de terroriste alors qu’il n’était qu’un écolier et n’était impliqué dans aucune activité criminelle. Son honneur et sa réputation, de même que ceux des auteurs, n’ont pas encore été rétablis. Les auteurs affirment de plus que les droits qu’ils tenaient du Pacte ont aussi été violés du fait des immixtions dont leur vie privée et leur vie familiale ont fait l’objet, à savoir les perquisitions répétées, assimilables à un harcèlement, effectuées à leur domicile par des agents de sécurité népalais.

3.6Les auteurs demandent au Comité de prier l’État partie : a) de mener sans délai une enquête effective sur le cas de leur fils et de poursuivre et punir les responsables d’une manière proportionnelle à l’extrême gravité des crimes dont il a été victime ; b) de leur accorder une indemnisation adéquate et équitable ; c) de veiller à ce qu’ils aient accès gratuitement, dans le cadre d’établissements spécialisés, aux mesures de réadaptation psychologique et au traitement médical dont ils ont besoin ; d) d’accorder des mesures de satisfaction adéquates, notamment des excuses publiques de ses forces de sécurité et l’édification d’un monument à la mémoire de leur fils afin de rétablir le nom, la dignité et la réputation de celui-ci ; e) d’adopter des garanties de non‑répétition, notamment en modifiant sa législation déficiente en vigueur et en dispensant une formation aux droits de l’homme et au droit international humanitaire à tous les agents de l’État et aux autres personnes concernées.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 25 mars 2019, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication. Il déclare que la communication est irrecevable parce que les recours internes n’ont pas été épuisés. Au cas où le Comité jugerait la communication recevable, l’État partie affirme qu’elle n’est pas fondée.

4.2L’État partie indique que le 15 mars 2004 la patrouille de sécurité conjointe du district de Bardiya se trouvait dans la zone du village de Fattepur. Elle a repéré la victime présumée, qui roulait à bicyclette avec « un combattant du Parti communiste népalais (maoïste) » sur son porte-bagage. Lorsqu’elle a voulu arrêter les deux intéressés et les fouiller, le passager a sorti une grenade. Obligée d’agir en état de légitime défense, la patrouille a abattu les deux suspects. Comme il n’y avait personne pour réclamer les corps, la patrouille les a enterrés à proximité après avoir établi un rapport sur l’incident. Dès qu’elle a quitté les lieux, des combattants maoïstes seraient venus et auraient incinéré les corps. L’État partie fait valoir que la victime présumée n’a pas été arrêtée ni torturée par des agents de sécurité mais qu’elle est décédée des suites de l’intervention des forces de sécurité en service et agissant en état de légitime défense. Il affirme qu’elle a été une « victime accidentelle » et qu’elle n’a pas été ciblée en raison de son appartenance ethnique.

4.3L’État partie indique qu’une plainte a été déposée au nom de la victime présumée devant la Commission Vérité et Réconciliation le 5 juin 2016. Il fait observer que la Commission est saisie d’un grand nombre de plaintes et les instruit dans l’ordre dans lequel elle les reçoit. Il fait valoir que la Commission a compétence exclusive pour enquêter sur des cas comme celui de la victime présumée et qu’elle a le pouvoir d’accorder aux victimes des réparations comprenant des mesures de restitution, de satisfaction et de réadaptation et des garanties de non-répétition. La Commission est également habilitée à saisir directement le Bureau du Procureur général aux fins de poursuites contre toute personne soupçonnée d’être impliquée dans des violations graves des droits de l’homme. L’État partie affirme qu’étant donné que la plainte déposée devant la Commission est en instance, les auteurs n’ont pas épuisé tous les recours internes disponibles.

4.4S’agissant de la demande d’indemnisation présentée par Mme Tharuni, l’État partie note qu’elle a été rejetée par le tribunal de district de Bardiya, qui a jugé que les faits ne relevaient pas de la définition de la torture. Cette décision aurait pu être contestée devant la Cour d’appel en vertu de la loi de 1996 relative à l’indemnisation des victimes de torture mais les auteurs n’ont pas interjeté appel. L’État partie note également qu’à la suite des ordonnances de mandamus rendues par la Cour d’appel de Nepalgunj, un procès-verbal initial a été enregistré par le Bureau de police du district de Bardiya le 28 février 2016. Il ajoute que les auteurs ont affirmé n’avoir reçu que 100 000 roupies népalaises à titre d’indemnisation provisoire mais que 1,1 million de roupies népalaises leur a en fait été versé à ce titre, ce qui montre que les autorités de l’État partie se soucient de leur sort.

4.5L’État partie indique que sa législation relative à l’interdiction de la torture a été considérablement modifiée. La torture et les traitements cruels, inhumains ou dégradants sont expressément définis et réprimés dans le Code pénal de 2017. Toute personne reconnue coupable d’actes de torture encourt une peine de cinq ans d’emprisonnement et d’une peine d’amende de 50 000 roupies népalaises au plus. De même, le délai légal fixé pour faire enregistrer un procès-verbal initial a été porté à six mois. En 2018, une nouvelle loi relative à l’enfance a été promulguée, qui réprime la torture sur la personne d’enfants.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie

5.1Le 7 juin 2019, les auteurs ont fait part de leurs commentaires sur les observations de l’État partie. Ils affirment que la version des faits présentée par l’État partie est très contestable et n’est étayée par aucun élément en prouvant la véracité. Ils relèvent que l’État partie ne dit rien de la manière dont la patrouille de sécurité conjointe aurait cherché à arrêter et fouiller leur fils et le jeune homme qui était avec lui. Cette absence d’explication est particulièrement troublante, d’autant qu’un ensemble de violations flagrantes des droits de l’homme, notamment des actes de torture et des exécutions extrajudiciaires, commises dans le cadre d’opérations de sécurité conjointes, en particulier dans le district de Bardiya et contre des membres de l’ethnie tharu, a été attesté. Les auteurs font ensuite observer que la version des faits donnée par l’État partie est contredite par les dépositions de témoins oculaires, notamment celle du professeur de leur fils, qui a vu les agents de sécurité encercler celui-ci, l’attacher, l’insulter et le frapper. Les auteurs affirment que l’État partie n’a réfuté aucun des faits relatés par les passants, se contentant de donner une autre version des événements qui n’est étayée par aucune preuve. Les auteurs indiquent qu’à la plainte initiale qu’ils ont présentée au Comité étaient jointes des photographies du corps de leur fils qui montrent la présence de marques sur ses poignets ; des lacets de chaussure ont en outre été trouvés près de son corps, et ses vêtements étaient déchirés et les boutons de sa chemise brisés. Ils affirment que la version des faits présentée par l’État partie est incompatible avec ces éléments de preuve. Ils déclarent en outre que l’un des villageois a fait une déposition écrite dans laquelle il affirme que les agents de sécurité l’ont forcé à enterrer le corps de leur fils, contrairement à ce qu’affirme l’État partie dans sa version des faits. Ils font de plus observer que l’État partie n’a pas expliqué comment les agents de sécurité ayant participé à l’opération ont pu prendre un jeune civil vêtu d’un uniforme scolaire pour un combattant participant à des hostilités. Les auteurs renvoient en outre à la jurisprudence du Comité pour souligner que lorsqu’une personne est blessée ou décède alors qu’elle est détenue par des agents de l’État, il existe une présomption générale que ses blessures et, a fortiori, son décès, sont imputables à l’État partie lui-même.

5.2En ce qui concerne l’indemnisation provisoire qui leur a été versée, les auteurs précisent qu’entre 2009 et 2019 ils ont reçu à ce titre environ un million de roupies népalaises. Ils répètent que l’indemnisation provisoire est une forme d’aide sociale et ne saurait être considérée comme une indemnisation pour le préjudice subi, ni se substituer aux autres formes de réparation auxquelles ont droit les victimes de violations flagrantes des droits de l’homme comme celles dont il est question en l’espèce.

5.3S’agissant de l’épuisement des recours internes, les auteurs réitèrent leur argument selon lequel la saisine de la Commission Vérité et Réconciliation ne constitue pas un recours utile. Ils renvoient à la jurisprudence du Comité selon laquelle la mise en place d’un mécanisme de justice transitionnelle ne saurait dispenser de poursuivre pénalement les auteurs de violations graves des droits de l’homme et la saisine d’un tel mécanisme ne saurait donc constituer un recours utile. Ils font en outre observer que, bien qu’ils aient saisi la Commission le 5 juin 2016, celle-ci ne les a toujours pas contactés. Ils ajoutent que le Comité a également indiqué que le recours offert par la loi relative à l’indemnisation des victimes de torture n’était pas un recours utile. Néanmoins, pour faire preuve de la plus grande diligence possible, les auteurs ont tenté de déposer une demande d’indemnisation, mais cette demande a été rejetée. En ce qui concerne le procès-verbal initial, les auteurs indiquent qu’à la suite des multiples tentatives qu’ils ont faites, les autorités de l’État partie ont fini par enregistrer un procès-verbal initial en 2016. L’État partie n’a toutefois fourni aucune information sur les mesures effectives prises depuis pour enquêter sur l’affaire et pour identifier les responsables, les poursuivre et les punir. Les auteurs n’ont jamais été contactés par les autorités dans le cadre de l’enquête, et ils se sont en fait vu refuser par le Bureau de police du district de Bardiya, le 2 mai 2017, l’accès à toute information concernant le procès-verbal initial après avoir déposé une requête à cet effet en vertu de la loi sur le droit à l’information. Cela étant, les auteurs soutiennent que l’enquête est déraisonnablement longue et n’est pas efficace.

5.4Les auteurs observent que si la loi de 2018 relative à l’enfance peut être considérée comme une nette amélioration par rapport à la loi de 1992 sur le même sujet, elle n’est toujours pas conforme au droit international s’agissant des peines dont sont passibles les auteurs d’actes de torture sur la personne d’un enfant, du délai de prescription de l’action pénale et du montant de l’indemnisation. Ils relèvent qu’en cas d’actes de torture sur la personne d’un enfant, la loi ne prévoit pas de peines d’amende ou d’emprisonnement minimale, ce qui signifie qu’elle n’a aucun effet dissuasif et que les peines qu’elle prévoit ne sont pas proportionnelles à la gravité de l’infraction. Les auteurs prient instamment le Comité de constater que la loi de 2018 relative à l’enfance n’est pas conforme au droit international et devrait être modifiée. En ce qui concerne l’indemnisation, les auteurs font observer que, selon la loi, les coupables peuvent se voir ordonner de verser aux victimes, à titre d’indemnisation, un montant « raisonnable » qui ne devrait pas être inférieur au montant de l’amende à laquelle ils sont condamnés. Les auteurs font observer que le terme « raisonnable » est beaucoup trop vague. Ils notent en outre que le délai de prescription prévu à l’article 74.2 de la loi est d’un an. La loi précise d’autre part qu’un dossier doit être déposé dans le délai prévu « conformément à la loi en vigueur ». Les auteurs font observer que cette disposition renvoie au Code pénal de 2018, dont l’article 170 impose un délai de six mois pour l’enregistrement des plaintes concernant des faits de torture.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité note que les auteurs affirment que les droits que leur fils tenait de l’article 7 du Pacte, lu conjointement avec les articles 2 (par. 2) et 24 (par. 1), ont été violés. Il rappelle sa jurisprudence selon laquelle les dispositions de l’article 2 (par. 2) ne peuvent être invoquées conjointement avec d’autres dispositions du Pacte dans une communication présentée en vertu du Protocole facultatif, sauf lorsque le manquement de l’État partie aux obligations que lui impose l’article 2 est la cause immédiate d’une violation distincte du Pacte touchant directement la personne qui se dit lésée. Le Comité note toutefois que les auteurs ont déjà invoqué un violation des droits que leur fils tenait des articles 7 et 24, et il ne pense pas que l’examen de la question de savoir si l’État partie n’a pas non plus respecté les obligations générales que lui impose l’article 2 (par. 2) du Pacte, lu conjointement avec les articles 7 et 24, serait différent de l’examen d’une violation des droits du fils des auteurs au titre des articles 7 et 24. En conséquence, le Comité considère que les griefs des auteurs à cet égard sont incompatibles avec l’article 2 du Pacte et irrecevables au regard de l’article 3 du Protocole facultatif.

6.4Le Comité prend note de l’affirmation de l’État partie selon laquelle la communication est irrecevable parce que les recours internes n’ont pas été épuisés, au motif que les auteurs ont saisi la Commission Vérité et Réconciliation, le 5 juin 2016, d’une plainte qui est toujours en instance. Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle il n’est pas nécessaire d’épuiser toutes les voies de recours devant des organes non judiciaires pour satisfaire à la condition énoncée au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, et que la mise en place de mécanismes de justice transitionnelle ne saurait dispenser de poursuivre pénalement les auteurs de violations graves des droits de l’homme. Le Comité considère donc que la saisine de la Commission Vérité et Réconciliation ne constituerait pas un recours utile pour les auteurs.

6.5En outre, le Comité note que les auteurs ont exploré plusieurs voies pour faire valoir leurs droits quant au sort de leur fils, notamment : a) en saisissant la Commission nationale des droits de l’homme le 17 mars 2004 ; b) en introduisant une demande d’indemnisation devant le tribunal de district de Bardiya en juin 2004 ; c) en tentant de faire enregistrer un procès-verbal initial par le Bureau de police et le Bureau de l’administration du district de Bardiya le 4 octobre 2013, ce que les autorités ont refusé de faire ; d) en demandant à deux reprises, en 2013 et 2015, à la Cour d’appel de Nepalgunj de rendre une ordonnance de mandamus pour obliger le Bureau de police du district de Bardiya à enregistrer un procès-verbal initial, ce que celui-ci a fini par faire en 2016 après plusieurs refus du fonctionnaire de police responsable. Le Comité prend de plus note du grief des auteurs selon lequel, depuis l’enregistrement de leur plainte, ils n’ont pas été contactés par le Bureau de police du district et aucune mesure n’a été prise pour véritablement enquêter sur les circonstances de la mort de leur fils et identifier les responsables de celle-ci. Le Comité note en outre que l’État partie n’a fourni aucune information sur l’état d’avancement de l’enquête ou sur les mesures d’enquête prises par les autorités. Le Comité considère que, dans ces circonstances, l’enquête s’est prolongée indûment, eu égard en particulier à la gravité des infractions alléguées.

6.6À la lumière de ce qui précède, le Comité conclut qu’il n’est pas empêché par l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif d’examiner la présente communication.

6.7Tous les autres critères de recevabilité étant réunis, le Comité déclare la communication recevable pour ce qui est des griefs tirés des droits que le fils des auteurs tenait des articles 6, 7 et 9 du Pacte, lus seuls et conjointement avec les articles 2 (par. 1 et 3), 24 (par. 1) et 26, ainsi que des griefs tirés des droits que les auteurs tiennent des articles 7 et 17, lus seuls et conjointement avec l’article 2 (par. 3), et il va procéder à son examen au fond.

Examen au fond

7.1Le Comité a examiné la communication à la lumière de toutes les informations que lui ont communiquées les parties, conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif.

7.2Le Comité note que les auteurs affirment que, le 15 mars 2004, leur fils a été victime, aux mains d’agents de sécurité de l’État partie, d’une privation arbitraire de liberté et d’actes de torture puis d’une exécution extrajudiciaire. Il note qu’ils soutiennent qu’on s’en est pris à leur fils en raison de son appartenance ethnique et que les violations sont d’autant plus graves qu’il était âgé de 15 ans au moment des faits. Le Comité note par ailleurs que l’État partie ne conteste pas que le fils des auteurs a été tué par ses forces de sécurité mais nie qu’il ait été détenu, torturé et pris pour cible en raison de son appartenance ethnique. Il prend note de l’argument de l’État partie selon lequel les agents de sécurité en service ont agi en état de légitime défense et que la victime présumée a été une « victime accidentelle ». Le Comité prend également note de l’observation des auteurs selon laquelle la mort de leur fils doit être envisagée dans le contexte des incidents similaires survenus dans le district de Bardiya pendant le conflit. Il prend note de leur argument selon lequel les membres du groupe autochtone tharu étaient particulièrement visés par les forces de sécurité dans le district de Bardiya et représentent plus de 85 pour cent des personnes disparues dans ce district du fait des autorités de l’État.

7.3Le Comité rappelle qu’il ressort implicitement du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif que l’État partie est tenu d’enquêter de bonne foi sur toutes les allégations de violations du Pacte formulées contre lui et ses représentants et de communiquer au Comité les renseignements qu’il détient. Dans les cas où les allégations sont corroborées par des éléments crédibles soumis par l’auteur et où tout autre éclaircissement dépend d’informations que détient uniquement l’État partie, le Comité peut considérer que les allégations de l’auteur sont étayées lorsque l’État partie n’a pas fourni de preuves ou d’explications satisfaisantes démontrant le contraire. En l’espèce, le Comité prend note de l’argument des auteurs selon lequel la version des faits présentée par l’État partie n’est étayée par aucun élément de preuve et est contredite par des témoignages oculaires, notamment par celui du professeur de la victime présumée, qui aurait vu des agents de sécurité appréhender celle-ci, l’attacher, l’insulter et la frapper. Le Comité prend note également de l’argument des auteurs selon lequel des photographies du corps de leur fils montrent que celui-ci avait, aux poignets, des marques attestant qu’on lui avait lié les mains, que ses vêtements étaient déchirés et que les boutons de sa chemise étaient brisés. Ainsi, et en l’absence de toute explication probante fournie sur ce point par l’État partie, le Comité décide d’accorder tout le poids voulu aux allégations des auteurs.

7.4Le Comité rappelle son observation générale no 36 (2019) sur le droit à la vie, dans laquelle il indique que l’article 6 (par. 1) du Pacte interdit la privation arbitraire de la vie et que, en règle générale, la privation de la vie est arbitraire si elle est incompatible avec le droit international ou avec le droit interne. Toutefois, une privation de la vie peut être autorisée par le droit interne et être néanmoins arbitraire. La notion d’« arbitraire » ne doit pas être considérée comme équivalant exactement à celle de « contraire à la loi », mais doit être interprétée de manière plus large, comme englobant des éléments relatifs au caractère inapproprié, injuste et imprévisible de l’acte visé et au principe de légalité, tout comme des considérations de raisonnabilité, de nécessité et de proportionnalité. L’emploi d’une force potentiellement létale dans le cadre du maintien de l’ordre est une mesure extrême à laquelle il ne devrait être recouru que lorsque cela s’avère strictement nécessaire pour protéger la vie ou prévenir un préjudice grave découlant d’une menace imminente. Le Comité fait également observer qu’un élément important de la protection du droit à la vie assurée par le Pacte est l’obligation qu’ont les États parties, lorsqu’ils ont connaissance ou auraient dû avoir connaissance de privations de la vie résultant d’actes potentiellement illégaux, de faire procéder à une enquête et, le cas échéant, d’engager des poursuites contre les auteurs présumés de tels actes, ce qui vaut également pour les allégations d’usage excessif de la force ayant eu des conséquences mortelles. Le Comité rappelle que les poursuites auxquelles donnent lieu les privations potentiellement illégales de la vie devraient être menées conformément aux normes internationales pertinentes, notamment au Protocole du Minnesota relatif aux enquêtes sur les homicides résultant potentiellement d’actes illégaux, et doivent permettre de garantir que les responsables soient traduits en justice, de promouvoir l’établissement des responsabilités et de prévenir l’impunité, d’éviter le déni de justice et de tirer les enseignements voulus pour revoir les pratiques et méthodes employées afin d’empêcher de nouvelles violations.

7.5En l’espèce, le Comité note que les autorités de l’État partie n’ont fourni aucune information susceptible d’éclaircir les circonstances de la mort du fils des auteurs, compte tenu en particulier du fait que les déclarations de témoins oculaires contredisent le rapport établi par les forces de sécurité au sujet de l’incident, ni aucune information sur les mesures ayant pu être prises pour identifier les personnes responsables de la maltraitance et de la mort du fils des auteurs. Dans ce contexte, et compte tenu du fait que l’État partie n’a fourni aucune information, le Comité considère que celui-ci n’a pas expliqué les circonstances spécifiques de la maltraitance et de la mort du fils des auteurs et qu’il n’a pas produit d’éléments prouvant qu’il s’est acquitté de son obligation de protéger la vie de celui-ci. En conséquence, le Comité conclut que non seulement l’État partie a manqué à son obligation de protéger le fils des auteurs, qui était mineur au moment des faits, mais également que ses forces de sécurité ont directement et arbitrairement privé celui-ci de sa vie et l’ont soumis à la torture et maltraité. Le Comité prend également note de l’affirmation des auteurs selon laquelle leur fils a été pris pour cible par les forces de sécurité parce qu’il était membre de la communauté autochtone tharu. Il note que cette affirmation est étayée par des rapports sur le pays décrivant un ensemble de violations similaires contre des membres de cette communauté autochtone. Le Comité conclut donc que les droits que le fils des auteurs tenait des articles 6 et 7 du Pacte, lus seuls et conjointement avec les articles 24 (par. 1) et 26, ont été violés.

7.6Ayant constaté une violation des articles 6 et 7 du Pacte, lus conjointement avec les articles 24 (par. 1) et 26, le Comité décide de ne pas examiner séparément les griefs des auteurs dénonçant une violation des articles 6 et 7, lus conjointement avec l’article 2 (par. 1), pour les mêmes faits.

7.7Le Comité prend note de l’affirmation des auteurs selon laquelle leur fils a été privé arbitrairement de liberté en violation des droits qu’il tenait de l’article 9 du Pacte et cet incident s’est produit dans le contexte d’une pratique systématique d’arrestations arbitraires et dans une région où les enfants tharu étaient délibérément visés par ce type d’opérations. Il note également qu’ils font valoir que leur fils a été arrêté par un important contingent militaire et policier sans qu’un mandat d’arrêt lui soit présenté et sans être informé des charges retenues contre lui, et qu’il n’a pas été présenté à un juge, en violation des droits qu’il tenait du Pacte. Le Comité note que l’État partie nie que le fils des auteurs ait été arrêté mais ne fournit toutefois aucune explication démontrant le contraire, compte tenu en particulier du fait que les déclarations de témoins oculaires contredisent le rapport établi par les forces de sécurité au sujet de l’incident. Par conséquent, le Comité considère, en l’absence d’explication de l’État partie sur ce point, que la privation de liberté du fils des auteurs par les forces de sécurité de l’État partie dans le contexte du conflit interne a constitué une violation des droits que la victime tenait de l’article 9 du Pacte, lu seul et conjointement avec les articles 24 (par. 1) et 26.

7.8Le Comité prend de plus note que les auteurs font valoir que les droits que leur fils tenait des articles 6, 7 et 9 du Pacte, lus conjointement avec les articles 2 (par. 3) et 24 (par. 1), ont été violés du fait que les autorités de l’État partie n’ont pas mené une enquête approfondie, impartiale, indépendante et efficace sur la privation de liberté arbitraire, la torture puis l’exécution extrajudiciaire de leur fils, et n’en ont pas poursuivi ni puni les responsables. Le Comité note que, peu après la mort de leur fils, les auteurs ont tenté d’obtenir l’ouverture d’une enquête en déposant une plainte devant la Commission nationale des droits de l’homme. Une fois le conflit achevé, ils ont également saisi la Commission Vérité et Réconciliation et tenté à plusieurs reprises de faire enregistrer un procès-verbal initial par le Bureau de police du district de Bardiya, notamment en introduisant deux requêtes en ordonnance de mandamus et en portant plainte pour entrave à l’exercice de la justice. Malgré leurs efforts, aucune enquête n’a été menée à bien par l’État partie pour élucider les circonstances de la mort de leur fils et aucune action pénale n’a été engagée. L’État partie n’ayant donné aucune information à cet égard, le Comité considère qu’il n’a pas expliqué en quoi l’enquête qu’aurait menée le Bureau de police du district de Bardiya ou la Commission Vérité et Réconciliation aurait été efficace et adéquate, ni démontré que des mesures concrètes ont été prises pour élucider les circonstances de la mort du fils des auteurs. Par conséquent, le Comité considère que l’État partie n’a pas mené d’enquête approfondie et efficace sur cette mort. Le Comité rappelle par ailleurs que selon sa jurisprudence, les paiements effectués par l’État partie à titre d’indemnisation provisoire ne constituent pas une réparation adéquate, proportionnelle à la gravité des violations commises en l’espèce. En ce qui concerne les allégations des auteurs selon lesquelles l’État partie n’a pas adopté les mesures législatives voulues pour prévenir les actes de torture conformément aux normes internationales, le Comité considère que la législation révisée invoquée par l’État partie n’ayant pas d’effet rétroactif, elle n’est pas pertinente en l’espèce. Le Comité rappelle également que selon sa jurisprudence, le nouveau délai de prescription et les `peines prévues en cas de torture par la législation révisée ne sont toujours pas à la mesure de la gravité de l’infraction. En conséquence, le Comité conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits que le fils des auteurs tenait des articles 6, 7 et 9 du Pacte, lus conjointement avec les articles 2 (par. 3) et 24 (par. 1).

7.9Le Comité note que les auteurs font valoir que l’exécution de leur fils et le fait que les autorités de l’État partie n’ont toujours pas enquêté sur l’affaire ni poursuivi en justice et puni les responsables, et qu’elles ne leur ont pas accordé une réparation adéquate pour le préjudice subi, ont eu de graves conséquences pour leur vie et pour leur santé physique et mentale. Il note également qu’ils déclarent que les perquisitions répétées effectuées à leur domicile par les unités responsables de la mort de leur fils ont exacerbé leur sentiment de peur et d’anxiété. Compte tenu de la peur et de l’angoisse éprouvées par les auteurs, qui ont entraîné leur hospitalisation après le décès de leur fils, le Comité considère que ces faits font apparaître une violation des droits qu’ils tiennent de l’article 7 du Pacte, lu seul et conjointement avec l’article 2 (par. 3).

7.10En ce qui concerne l’allégation de violation de l’article 17, le Comité prend note de l’affirmation des auteurs selon laquelle leur vie familiale et leur droit à la vie privée ont fait l’objet d’immixtions arbitraires parce que des perquisitions ont été effectuées sans mandat à leur domicile et que leur fils a été qualifié de terroriste − ce qui a porté atteinte à l’honneur et à la réputation de la famille − et en raison des menaces répétées et du harcèlement auxquels les ont soumis les forces de sécurité responsables de la mort de leur fils, des perquisitions étant parfois effectuées dans leur village par 40 à 50 soldats encerclant celui-ci et en menaçant les habitants. Le Comité note également que l’État partie ne traite pas des faits présentés par les auteurs. En l’absence d’informations spécifiques de l’État partie réfutant les allégations des auteurs, le Comité conclut que le comportement des forces de sécurité a constitué une immixtion illégale dans la vie privée, la famille et le domicile des auteurs, en violation de l’article 17 du Pacte.

8.Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître des violations par l’État partie des droits que le fils des auteurs tenait des articles 6, 7 et 9 du Pacte, lus seuls et conjointement avec les articles 2 (par. 3), 24 (par. 1) et 26, ainsi que des droits que les auteurs tiennent de l’article 7 du Pacte, lu seul et conjointement avec l’article 2 (par. 3) et l’article 17.

9.Conformément à l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile. Il a notamment l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, l’État partie est tenu, entre autres, de prendre des mesures appropriées pour a) qu’une enquête approfondie et efficace sur les circonstances de la mort de A. C. et le traitement qu’il a subi pendant qu’il était privé de liberté soit menée ; b) que les responsables des violations commises soient poursuivis, jugés et punis ; c) que des informations détaillées sur les résultats de l’enquête soient rapidement fournies aux auteurs ; d) que les auteurs bénéficient gratuitement de l’accompagnement psychologique et du traitement médical qui peuvent leur être nécessaires et que ceux-ci soient adéquats ; e) que soient accordées aux auteurs pour les violations subies une indemnisation adéquate et des mesures de satisfaction appropriées, y compris des excuses officielles et l’édification d’un monument à la mémoire de leur fils afin de rétablir le nom, la dignité et la réputation de celui-ci et de sa famille. L’État partie est également tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour que des violations analogues ne se reproduisent pas, notamment en modifiant sa législation et les délais de prescription pour qu’ils soient conformes aux normes internationales, et en prescrivant, s’agissant de la torture, des peines et des réparations proportionnelles à la gravité de ce crime et conformes aux obligations que lui impose l’article 2 (par. 2) du Pacte.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsque la réalité d’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent-quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles.