Nations Unies

CCPR/C/132/D/2651/2015

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

28 juillet 2022

Français

Original : anglais

Comité des droits de l ’ homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2651/2015 * , ** , ***

Communication présentée par :

A. M. F. et A. M. (représentés par un conseil, Daniel Nørrung)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteure et son fils

État partie :

Danemark

Date de la communication :

25 septembre 2015 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 28 septembre 2015 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

22 juillet 2021

Objet :

Expulsion vers l’Éthiopie

Question(s) de procédure :

Fondement des griefs ; épuisement des recours internes

Question(s) de fond :

Non-refoulement ; torture ; droit à la vie

Article(s) du Pacte :

6, 7 et 24 (par. 1)

Article(s) du Protocole facultatif :

2 et 5 (par. 2 b))

1.1L’auteure de la communication est A. M. F., de nationalité éthiopienne, née en 1987. Elle présente la communication en son propre nom et au nom de son fils, A. M., né en 2010. Elle affirme que l’État partie a violé les droits qu’ils tiennent des articles 6, 7 et 24 (par. 1) du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 23 mars 1976. L’auteure et son fils sont représentés par un conseil.

1.2Le 28 septembre 2015, conformément à l’article 94 de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a décidé de ne pas demander de mesures provisoires.

Rappel des faits présentés par l’auteure

2.1Le 3 septembre 2013, l’auteure s’est rendue au Danemark avec son fils et a demandé l’asile. Elle appartient à l’ethnie oromo d’Éthiopie. Elle est la fille d’un dirigeant affirmé du Front de libération des Oromo (FLO), mort en prison en 2002 ou 2003 après avoir été torturé. Elle et sa sœur ont fui vers le Soudan trois semaines après la mort de leur père. Plus tard, le reste de la fratrie ainsi que sa mère se sont également enfuis au Soudan, où la famille s’est vu accorder le statut de réfugié par le Haut‑Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR). Au Soudan, l’auteure a rejoint une fraction du FLO, pour laquelle elle a mené des tâches concrètes et participé à des événements culturels, mais ces réunions ont été interrompues par la police soudanaise à trois reprises. Elle a alors fui vers l’Europe, en 2006, et elle est arrivée en Italie, où elle a obtenu le statut de réfugié. En Italie, elle a, la plupart du temps, vécu dans la rue, où elle a contracté la tuberculose et a été victime d’abus sexuels. Son fils a été conçu à la suite de ces violences sexuelles ; il est né après que l’auteure a fui vers la Norvège. Cependant, elle a été renvoyée en Italie, où elle a de nouveau vécu dans la rue pendant deux autres années avant de partir pour le Danemark en 2013.

2.2À son arrivée au Danemark, l’auteure s’est initialement vu intimer l’ordre de repartir en Italie, conformément au Règlement no 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (Règlement Dublin). Les autorités ont annulé cette décision lorsqu’elles ont appris que l’auteure avait déjà le statut de réfugié en Italie. En novembre 2013, on lui a de nouveau intimé de retourner en Italie. En avril 2015, suite à l’introduction d’une nouvelle pratique, la mesure d’expulsion adoptée à l’encontre de l’auteure a été annulée et on l’a informée que sa demande d’asile serait examinée sur le fond. Le 14 juillet 2015, le Service danois de l’immigration a rejeté sa demande, estimant premièrement qu’elle n’avait pas été persécutée en Éthiopie et deuxièmement que si l’on devait prêter foi à ses déclarations, son pays d’asile serait l’Italie. Le Service danois de l’immigration a décidé qu’elle devait être renvoyée en Italie.

2.3Dans une décision rendue en appel, le 4 septembre 2015, la Commission de recours des réfugiés a prêté foi au récit de l’auteure. Elle a néanmoins rejeté son recours, estimant que l’auteure ne serait pas exposée personnellement à un risque réel, car, après le décès de son père, elle était restée en Éthiopie pendant trois semaines sans faire l’objet de persécutions. De surcroît, plusieurs membres de sa famille étaient restés encore plus longtemps, notamment sa mère, qui n’avait quitté le pays qu’en 2010, soit environ quatre ans après que l’auteure eut cessé ses activités au Soudan. En outre, il ne semblait pas que l’auteure ait joué un rôle de premier plan au sein du FLO. La Commission a décidé que l’auteure et son enfant pouvaient être renvoyés en Éthiopie.

2.4L’auteure soumet, entre autres documents, des copies des pages de son dossier médical concernant les années 2013 et 2014, une lettre de la présidence du Comité pour le FLO au Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord datée du 30 août 2015 et une lettre du Ministère italien de l’intérieur confirmant qu’elle avait le statut de réfugié en Italie.

Teneur de la plainte

3.1L’auteure affirme que les renvoyer en Éthiopie, elle et son fils, constituerait une violation des droits qu’ils tiennent de l’article 6 du Pacte car, compte tenu des activités qu’elle-même et d’autres membres de sa famille ont menées pour le FLO, elle serait, aux mains des autorités, exposée à un danger immédiat pour sa vie. Selon l’auteure, ce risque a été reconnu puisque l’Italie lui a accordé le statut de réfugié.

3.2L’auteure souligne que le Service danois de l’immigration a décidé qu’elle pouvait être renvoyée en Italie. Pourtant, dans ce pays, elle a vécu dans la rue, a contracté la tuberculose et a été victime d’abus sexuels, dont son fils est le fruit. Par conséquent, la renvoyer en Italie constituerait une violation de l’article 7 du Pacte.

3.3L’auteure fait valoir également qu’un renvoi en Italie constituerait une violation de l’article 24 du Pacte. En Italie, son fils serait amené à vivre dans la rue et elle-même risquerait de subir à nouveau des abus sexuels. En cas de renvoi en Éthiopie, du fait de son affiliation et de celle de sa famille au FLO, le risque serait grand, pour son fils, d’être détenu, et pour elle-même, de subir un préjudice en raison de son statut de mère célibataire.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 24 mars 2016, l’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication. Il relève que le Service danois de l’immigration a rejeté la demande d’asile de l’auteure le 14 juillet 2015 et que le 4 septembre 2015, la Commission de recours des réfugiés a confirmé cette décision.

4.2L’État partie décrit sa législation et ses procédures applicables, détaille le fondement juridique des décisions prises par la Commission de recours des réfugiés, le type de procédures dont elle est saisie et les normes juridiques appliquées, notamment le principe du premier pays d’asile.

4.3L’État partie dit que l’auteure affirme à tort que le Service danois de l’immigration a décidé que l’Italie devait être considérée comme son premier pays d’asile et comme celui de son fils. En réalité, le Service de l’immigration n’a pas considéré que l’auteure et son fils risquaient d’être persécutés en Éthiopie, car il a estimé que les déclarations de l’auteure n’étaient pas dignes de foi. Il a estimé également que l’auteure n’était pas une personnalité en vue, et qu’il était peu probable qu’elle soit persécutée par les autorités éthiopiennes en raison du soutien que sa famille ou elle-même avaient apporté au FLO. Ce n’est que si la Commission de recours des réfugiés acceptait ses déclarations comme des faits avérés et constatait que sa situation relevait de l’article 7 de la loi sur les étrangers, qui incorpore l’article 1 A) de la Convention relative au statut des réfugiés dans le droit danois que l’Italie pourrait être considérée comme le premier pays d’asile de l’auteure et de son fils. La Commission a également examiné le risque que l’auteure dit courir si elle est renvoyée en Éthiopie plutôt qu’en Italie. L’État partie affirme que l’auteure et son fils font l’objet d’une mesure d’expulsion vers l’Éthiopie et que leurs griefs concernant l’Italie sont donc sans objet et irrecevables car manifestement infondés au regard de l’article 99 b) du règlement intérieur du Comité.

4.4L’État partie ajoute que l’auteure n’a pas non plus suffisamment étayé ses griefs au titre des articles 6 et 7 du Pacte en ce qui concerne son renvoi et celui de son fils en Éthiopie.

4.5L’État partie fait observer que le grief que l’auteure soulève au titre de l’article 24 du Pacte ne contient pas d’allégation de violation tenant à la manière dont son fils et elle-même ont été traités au Danemark ou sur un territoire sur lequel les autorités danoises exercent un contrôle effectif, ni à la conduite de ces autorités. Le Comité ne semble pas avoir jamais examiné au fond une communication concernant l’expulsion d’une personne craignant la violation dans l’État de réception de dispositions autres que les articles 6 et 7 du Pacte. En outre, il ressort de l’observation générale no31 (2004) du Comité que l’obligation faite à l’article 2 aux États parties de respecter et garantir à toutes les personnes se trouvant sur leur territoire et à toutes les personnes soumises à leur contrôle les droits énoncés dans le Pacte entraîne l’obligation de ne pas extrader, déplacer, expulser quelqu’un ou le transférer par d’autres moyens de leur territoire s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque réel de préjudice irréparable dans le pays vers lequel doit être effectué le renvoi ou dans tout pays vers lequel la personne concernée peut être renvoyée par la suite, tel le préjudice envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte. L’expulsion d’une personne craignant une violation des droits qui lui sont garantis par exemple à l’article 24 du Pacte par un autre État partie n’entraînera pas un préjudice irréparable tel que celui envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte. Ce grief est donc incompatible ratione lociet ratione materiae avec les dispositions du Pacte, et le Comité n’est pas compétent pour l’examiner.

4.6L’État partie affirme que le renvoi de l’auteure et de son fils en Éthiopie ne serait pas contraire aux articles 6 et 7 du Pacte. Il fait observer que la communication ne contient aucune information nouvelle, à l’exception de la lettre de la présidence du Comité du FLO au Royaume-Uni datée du 30 août 2015. La Commission de recours des réfugiés a reconnu que l’auteure, après la mort de son père en 2003, avait pu rester en Éthiopie environ trois semaines sans être contactée par les autorités éthiopiennes. Elle a également reconnu que plusieurs membres de la famille de l’auteure étaient restés longtemps en Éthiopie, notamment sa mère, qui n’avait quitté le pays qu’en 2010, soit environ quatre ans après que l’auteure eut cessé ses activités au Soudan. En outre, l’auteure ne jouait pas un rôle de premier plan au sein du FLO. La Commission a donc estimé que l’existence d’un risque personnel et concret de persécution n’était pas vraisemblable.

4.7L’État partie fait observer qu’il apparaît, au vu de ce qu’a déclaré l’auteure dans le cadre de la procédure d’asile, qu’elle-même, sa mère et ses frères et sœurs n’avaient eu aucuns démêlés d’aucune sorte avec les autorités éthiopiennes liés aux activités du père de l’auteure, mis à part plusieurs perquisitions à son domicile, avant ou après sa mort, malgré son engagement de longue date auprès du FLO et le fait qu’il avait été emprisonné plusieurs fois dans ce contexte et que sa mort était le résultat d’actes de torture. La mère et les frères et sœurs de l’auteure étaient eux aussi des membres politiquement actifs du FLO en Éthiopie, sans pour autant avoir subi de représailles, et la mère de l’auteure avait pu continuer à vivre en Éthiopie jusqu’en 2010 environ. De plus, l’auteure elle-même ne participait pas aux activités du FLO lorsqu’elle vivait encore en Éthiopie.

4.8L’État partie observe en outre que l’auteure a déclaré que sa mère avait souvent été convoquée par les autorités éthiopiennes, qui cherchaient à obtenir des informations sur le lieu où se trouvaient ses enfants, et que ces convocations étaient devenues plus fréquentes après son départ. L’État partie souligne que la mère de l’auteure n’était questionnée que sur le départ de ses enfants et le lieu où ils se trouvaient et qu’elle n’avait pas subi de violences lors de ces entretiens. Interrogée sur les raisons pour lesquelles sa mère avait été convoquée, l’auteure avait répondu qu’il n’y avait pas de véritable réponse à cette question, mais qu’elle supposait que les autorités les soupçonnaient, elle et ses frères et sœurs, de se livrer à des activités politiques illégales.

4.9En ce qui concerne le séjour de deux ans environ de l’auteure au Soudan, entre 2003 et 2006, l’État partie note que selon ses propres dires, elle n’avait eu à aucun moment de contact quel qu’il soit avec les autorités soudanaises et n’avait pas été identifiée ou connue en raison des activités qu’elle menait auprès du FLO au Soudan. Entre 600 et 700 personnes étaient présentes aux réunions du FLO auxquelles elle avait participé. De plus, il ne semble pas qu’elle ait joué un rôle de premier plan, puisqu’elle travaillait dans une cafétéria et faisait le ménage, que sa contribution financière était limitée et que ses seules activités pour le FLO consistaient à chanter, cuisiner et recevoir un enseignement. En outre, elle n’a pris part à des activités pour le FLO qu’au Soudan et pendant deux ans seulement et a cessé ces activités en 2006. L’auteure n’a jamais été identifiée comme sympathisante du FLO et n’a jamais eu de démêlés avec les autorités éthiopiennes en raison de ses activités.

4.10L’État partie prend note avec préoccupation des informations faisant état de violations des droits de l’homme en Éthiopie, notamment contre des dissidents réels ou présumés dans la région d’Oromia. Au cours des dernières années, de très nombreux Oromo ont encore été arrêtés ou détenus pour avoir exprimé pacifiquement des vues dissidentes ou parce qu’ils étaient soupçonnés d’être des opposants au Gouvernement. À la suite des manifestations contre le projet d’expansion d’Addis-Abeba en territoire oromo, le nombre d’arrestations de dissidents réels ou présumés a augmenté. Toutefois, les informations concernant la situation générale ne permettent pas de conclure que de simples contacts ou une simple affiliation avec le peuple oromo ou la simple participation à son combat justifieraient l’octroi de l’asile. En outre, il n’est pas signalé de cas de ressortissants éthiopiens emprisonnés ou soumis à d’autres abus à la suite d’un retour forcé, et certaines sources ont indiqué qu’elles auraient été informées de tels incidents, le cas échéant. Les personnes les plus susceptibles d’attirer l’attention sont celles qui sont perçues comme une menace, celles qui sont prêtes à utiliser la puissance militaire, et les chefs et les membres les plus en vue des groupes d’opposition. Toutefois, la participation anonyme à des manifestations réunissant des centaines de participants ne saurait conduire à elle seule à des persécutions.

4.11L’État partie note en outre que l’auteure n’est pas retournée en Éthiopie et qu’il n’y a aucune raison particulière de penser que les autorités soudanaises disposent d’informations ou de documents concernant sa participation aux activités du FLO au Soudan entre 2003 et 2006 qui auraient pu être transmis aux autorités éthiopiennes. L’État partie fait valoir que cette perception n’est que pure conjecture de la part de l’auteure. En outre, la lettre du 30 août 2015 de la présidence du Comité du FLO au Royaume-Uni ne saurait conduire à une évaluation différente, car elle ne concerne que les activités limitées menées par l’auteure à Khartoum et ne fournit que des informations générales sur la surveillance des activités des Oromo en dehors d’Éthiopie, qui ne concernent pas spécifiquement l’auteure. En outre, une recherche générale sur Internet, y compris une recherche sur le site Internet du FLO, n’a pas permis à l’État partie de vérifier que l’auteur de la lettre était effectivement à la tête du Comité du FLO au Royaume-Uni ou pouvait être associée à celui-ci d’une quelconque autre manière. Ainsi, ni la situation générale des Oromo en Éthiopie ni les informations fournies par l’auteure ne permettent de conclure que celle-ci risque d’être emprisonnée, torturée, enlevée ou tuée à son retour en Éthiopie. Les informations concernant sa santé non plus ne sauraient conduire à une évaluation différente, et elle a été guérie de la tuberculose.

4.12L’État partie rappelle la jurisprudence du Comité, dont il ressort qu’il convient d’accorder un poids important à l’appréciation faite par les autorités nationales, sauf s’il peut être établi que cette appréciation a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice, et que d’une manière générale, c’est aux organes des États parties au Pacte qu’il appartient d’examiner et d’apprécier les faits et les preuves en vue d’établir l’existence d’un risque. L’État partie fait valoir que l’auteure a bénéficié des garanties d’une procédure régulière, qu’elle n’a fourni aucun élément nouveau sur sa situation en particulier et que la communication n’a révélé aucune irrégularité dans le processus décisionnel ni aucun facteur de risque que les autorités n’auraient pas dûment pris en considération.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1Dans ses commentaires en date du 22 septembre 2016, l’auteure a convenu qu’invoquer l’article 24 du Pacte n’était pas pertinent puisqu’il n’avait pas été établi précédemment qu’il ait un effet extraterritorial. Toutefois, le fait qu’elle ait un enfant, né d’abus sexuels dont elle a été victime en Italie, les rendent, son enfant et elle-même, plus vulnérables aux préjudices graves envisagés dans les articles 6 et 7 en cas de renvoi en Éthiopie, où ils n’ont plus aucune famille.

5.2L’auteure note que la décision du Service danois de l’immigration est de nature purement administrative et qu’il n’est pas nécessaire d’être assisté d’un conseil ou d’un tiers indépendant pour intervenir. Au cours de l’entretien, le représentant du Service de l’immigration a émis un avis négatif sur les chances qu’elle avait que la décision la concernant soit positive. En dehors de la décision du Service de l’immigration, il n’existe aucune autre voie de recours interne, puisque la loi sur les étrangers n’autorise pas l’introduction d’un recours devant une juridiction ordinaire, malgré les questions cruciales qui sont soulevées dans les procédures d’asile. L’auteure y voit un manquement à l’obligation de garantir une procédure régulière et au principe de non-discrimination. En outre, la Commission de recours des réfugiés n’a pas les attributs d’un véritable tribunal, puisque les réunions ont toujours lieu à huis clos. De plus, un des cinq membres qui la composent est nommé par le Ministère de la justice et l’intéressé est généralement un fonctionnaire de ce ministère, qui est l’organe administratif dont relève le Service de l’immigration. En outre, la qualité des services d’interprétation est très variable, et aucun enregistrement audio n’a été mis à disposition.

5.3L’auteure relève que le Service danois de l’immigration a estimé qu’en vertu de l’article 7 (par. 3) de la loi sur les étrangers, l’Italie pouvait être le premier pays d’asile de l’auteure. Il a conclu qu’en conséquence, conformément à l’article 32 a) de la loi sur les étrangers, la police pouvait expulser l’auteure vers l’Italie si elle ne quittait pas le territoire de son plein gré. C’est pourquoi, dans son recours, l’auteure a principalement exposé ses arguments concernant le cas d’un renvoi en Italie, où elle a été obligée de vivre dans la rue, a contracté la tuberculose et a subi des abus sexuels. L’Italie étant connue pour manquer de ressources à consacrer à la prise en charge des réfugiés, elle et son fils seraient exposés à un risque imminent de subir des violences répétées et de contracter des maladies. S’il existait un doute sur ses déclarations, les autorités auraient dû interroger les autorités soudanaises et italiennes à son sujet. La Commission de recours des réfugiés l’avait jugée digne de foi, mais avait décidé qu’elle et son fils pouvaient être renvoyés en Éthiopie. Elle répète qu’elle a démontré que ses griefs concernant leur renvoi, que ce soit vers l’Éthiopie ou vers l’Italie, étaient à première vue recevables.

5.4L’auteure souligne que l’État partie ne conteste pas que les autorités italiennes et le HCR lui aient reconnu le statut de réfugié. Étant donné l’historique du traitement de son dossier au Danemark, notamment les décisions contradictoires frustrantes qui ont été prises après son arrivée au Danemark après sa fuite d’Éthiopie à l’âge de 16 ans, il serait injuste de la renvoyer en Éthiopie, tant juridiquement qu’humainement. Elle répète ses arguments concernant les risques inhérents à un tel renvoi, et affirme une nouvelle fois que cela constituerait également une violation de l’article 7 du Pacte.

5.5L’auteure indique qu’elle n’avait que 16 ans au moment de la mort de son père et durant les trois semaines qui ont suivi. Après sa fuite, sa mère a été questionnée à plusieurs reprises au sujet de l’endroit où ses frères et sœurs et elle-même se trouvaient. Elle est devenue majeure alors qu’elle était au Soudan, et a commencé à exprimer son soutien à la cause que défendait sa famille. Toutefois, le camp de réfugiés dans lequel elle vivait a été attaqué par l’armée, lors d’une opération conjointe des autorités éthiopiennes et soudanaises. De nombreux réfugiés oromo ont été arrêtés, mais elle est parvenue à s’échapper. Elle craint d’être emprisonnée et maltraitée et de perdre la vie, comme son père, à cause de l’action que celui-ci a menée et de la loyauté qu’elle-même exprimait publiquement envers le FLO. N’étant plus une enfant, et sans famille pour la protéger, elle ne manquerait pas d’être prise pour cible. En outre, elle a déclaré lors de l’entretien que la situation des Oromo était pire que lorsqu’elle était partie et que des personnes étaient exécutées simplement parce qu’elles étaient membres du FLO. Si elle était renvoyée en Éthiopie, sa fuite illégale serait connue des autorités, et les activités qu’elle avait menées au Soudan pour le FLO pourraient être connues, compte tenu de la coopération entre les autorités éthiopiennes et soudanaises et des interrogatoires auxquels sa mère avait été soumise. Même si elle n’avait pas été contactée personnellement par les autorités soudanaises, il était probable qu’elle ait été reconnue ou surveillée, étant donné qu’elle participait fréquemment à des manifestations publiques hostiles au Gouvernement éthiopien, lequel coopérait étroitement avec les autorités soudanaises. En outre, les sources citées par l’État partie indiquent que « la riposte du Gouvernement éthiopien aux manifestations d’Oromia a fait quantité de morts et que le risque d’un bain de sang augmente rapidement ». L’auteure soutient qu’elle a passé de nombreuses années à tenter d’échapper à l’oppression dont est victime le peuple oromo et que, pour cette raison, sur la question de savoir si les autorités éthiopiennes avaient connaissance de ses activités, on devrait lui accorder le bénéfice du doute.

Observations complémentaires

De l ’ État partie

6.1Dans une note verbale datée du 20 février 2017, l’État partie a soumis des observations complémentaires. Il dit que les commentaires de l’auteure ne contiennent aucun élément nouveau concernant la situation en Éthiopie. Il fait observer que l’article 13 du Pacte ne garantit pas le droit d’appel, ni le droit de faire entendre sa cause par un tribunal dans les affaires concernant l’expulsion d’un étranger. Le cas de l’auteure a été examiné par deux organes, et une réouverture du dossier est possible si de nouveaux éléments importants sont soumis. La Commission de recours des réfugiés étant un organe quasi judiciaire, ses décisions sont définitives. Toutefois, les étrangers ont la possibilité de former un recours devant les tribunaux de droit commun, dont la compétence est alors limitée à l’examen de points de droit. Les membres de la Commission siègent en toute indépendance et ne peuvent accepter ni solliciter de directives de l’autorité responsable de leur nomination, y compris de l’administration centrale du Ministère de l’immigration et de l’intégration (anciennement le Ministère de la justice). Sur le fait que les audiences de la Commission de recours des réfugiés se déroulent à huis clos et sur l’absence de niveau de formation requis pour les interprètes, l’État partie relève que l’auteure n’a pas demandé que d’autres personnes soient autorisées à assister à l’audience la concernant, et qu’elle n’a pas signalé d’erreurs d’interprétation. En outre, le Service de l’immigration et la Commission de recours des réfugiés sont très vigilants quant à l’exactitude de l’interprétation fournie et suspendraient une audience en cas de problème. Quant à l’utilité des enregistrements audio, l’État partie souligne qu’un agent chargé du dossier rédige un procès-verbal écrit des déclarations que fait le demandeur d’asile devant le Service de l’immigration et qu’après l’entretien, il est donné lecture du procès-verbal au demandeur d’asile, qui peut formuler des observations, corriger toute erreur éventuelle et apporter des précisions si nécessaire. Un compte rendu analytique des déclarations faites par le demandeur d’asile devant la Commission de recours des réfugiés est également établi, et tout problème est clarifié au cours de l’audience. En l’espèce, l’auteure ne s’est pas plainte d’erreurs ou de malentendus qui auraient affecté la décision de la Commission.

6.2En ce qui concerne l’affirmation de l’auteure selon laquelle il serait injuste de faire exécuter la mesure d’expulsion compte tenu des décisions contradictoires qui ont été prises dans son dossier, l’État partie note que le fait qu’il ait fallu près de deux ans au Service de l’immigration pour parvenir à une décision ne signifie pas que la situation de l’auteure doive être considérée comme relevant de l’article 7 de la loi sur les étrangers. De plus, la Commission de recours des réfugiés a prêté foi au récit de l’auteure, et celle-ci n’a pas expliqué en quoi les dossiers des autorités italiennes ou du HCR la concernant auraient appuyé sa cause. Elle n’a pas non plus expliqué en quoi le commentaire négatif du représentant du Service de l’immigration aurait influencé la décision de la Commission de recours ou l’examen de la présente communication par le Comité.

6.3Selon l’État partie, l’auteure a soutenu à tort que le Service danois de l’immigration avait décidé qu’elle devait être expulsée vers l’Italie. En réalité, le Service de l’immigration a conclu qu’il ne pouvait pas considérer comme un fait établi que l’auteure risquait des persécutions en Éthiopie. La Commission de recours des réfugiés ayant confirmé cette conclusion, il était inutile d’évaluer si l’Italie pouvait être considérée comme son premier pays d’asile. Dans les cas où le Service danois de l’immigration a estimé qu’un demandeur d’asile ne relève pas de l’article 7 de la loi sur les étrangers, il est d’usage, au moment de la présentation de la demande d’asile, d’examiner s’il existe une possibilité de trouver refuge ailleurs dans le pays ou un autre premier pays d’asile, aux fins d’une audience ultérieure devant la Commission de recours des réfugiés. Le conseil de l’auteure qui a déposé la lettre initiale dans le cadre de la présente communication est aussi celui qui a représenté l’auteure devant la Commission de recours des réfugiés, et il ressortait clairement de son mémoire qu’ils étaient conscients que l’affaire portait sur les raisons pour lesquelles l’auteure s’opposait à son retour en Éthiopie. Compte tenu de son expérience des procédures nationales, le conseil ne pouvait pas avoir eu de doute sur le sens de la décision de la Commission de recours.

6.4L’État partie répète que l’auteure ne peut pas être considérée comme une personnalité en vue par les autorités éthiopiennes, qu’elle n’a mené d’activités pour le FLO qu’à l’extérieur de l’Éthiopie et qu’elle n’a jamais été identifiée dans ce contexte. Il n’y a donc aucune raison de penser que les autorités éthiopiennes disposent d’informations, encore moins de documents, sur ces activités. En outre, l’auteure n’a pas étayé son argument selon lequel le bénéfice du doute devrait lui être accordé sur ce point. Elle n’a pas non plus expliqué en quoi son statut de mère célibataire d’un enfant né hors mariage entraînerait un risque de violation des articles 6 ou 7 du Pacte. En outre, malgré la situation générale en matière de sécurité et les difficultés auxquelles est confronté le peuple oromo en Éthiopie, notamment le nombre croissant de manifestations antigouvernementales dans les régions d’Oromia et d’Amhara et la déclaration de l’état d’urgence en octobre 2016, on ne peut pas conclure que de simples contacts ou une simple affiliation avec les Oromo justifieraient l’octroi de l’asile.

De l ’ auteure

7.1Le 8 juin 2017, l’auteure a soumis de nouveaux commentaires. Elle confirme qu’elle n’a pas demandé que d’autres personnes soient présentes lors de son audition devant la Commission de recours des réfugiés et qu’elle n’a pas formulé de plainte au sujet de l’interprétation. Son intention était simplement d’illustrer les faiblesses du régime national de l’asile en général.

7.2Elle répète qu’elle craint pour sa vie et celle de son fils en cas de renvoi en Éthiopie en raison de son jeune âge lorsqu’elle a fui l’Éthiopie, des activités que menait son père pour le FLO, qui lui ont valu d’être torturé et lui ont coûté la vie, de son propre soutien au FLO, du fait qu’elle ne dispose d’aucun soutien familial et que son fils est né hors mariage. Elle rappelle également que les autorités compétentes en matière d’asile ont prêté foi à son récit et que l’État partie a reconnu les difficultés auxquelles les Oromo était confronté en Éthiopie. Elle renvoie à un article dans lequel il est dit que « dans certains villages d’Éthiopie, les enfants considérés comme mingi, c’est-à-dire maudits, sont tués. Un enfant peut être considéré comme mingi parce qu’il présente des malformations physiques, qu’il est né hors mariage ou en raison d’autres superstitions ». L’auteure note que, selon des informations publiques, il est fréquent que des Oromo soient arbitrairement arrêtés et accusés d’appartenir au FLO, ce qui, selon elle, illustre bien qu’elle court personnellement un risque, compte tenu de sa situation.

De l ’ État partie

8.Dans les nouvelles observations qu’il a soumises le 8 août 2017, l’État partie fait observer que dans le cadre des procédures internes, l’auteure n’a pas fait valoir de risque découlant du fait que son fils était né hors mariage. Elle n’a pas non plus expliqué pourquoi il courrait un danger particulier. De plus, elle vient de la ville de Jima, qui compte 160 000 habitants, alors que l’article cité, rédigé en 2011, décrit la situation dans les villages. En outre, l’auteure a dit craindre d’être persécutée par les autorités éthiopiennes, alors que, selon l’article, les enfants sont tués par les chefs tribaux. Les informations recueillies par la Commission de recours des réfugiés montrent que les violences fondées sur le genre et les crimes d’honneur se produisent souvent dans les zones rurales et les régions de l’Éthiopie qui sont en proie au conflit. Il est en outre plus courant aujourd’hui, dans les grandes villes, que de jeunes hommes et de jeunes femmes se fréquentent sans se cacher et aient des relations sexuelles avant le mariage. L’État partie conclut que l’allégation de l’auteure concernant le fait que son fils est né hors des liens du mariage ne saurait conduire à une évaluation différente, y compris lorsqu’elle est examinée conjointement avec les autres circonstances de l’affaire.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

9.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

9.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

9.3Le Comité note que l’État partie ne prétend pas que l’auteure n’a pas épuisé les recours internes disponibles, hormis le fait qu’elle n’ait pas évoqué, dans les procédures internes, la question d’un risque découlant du fait que son fils était né hors mariage. L’auteure n’a pas contesté ce fait. En conséquence, le Comité considère qu’il n’est pas empêché par les dispositions de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif d’examiner la communication, à l’exception de l’allégation de l’auteure concernant le fait que la naissance de son fils hors mariage l’exposerait à un risque de préjudice.

9.4Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel les griefs que l’auteure soulève au titre des articles 6 et 7 du Pacte sont irrecevables au motif qu’elle n’a pas démontré qu’ils étaient à première vue recevables. En ce qui concerne l’affirmation de l’auteure selon laquelle elle a établi la recevabilité prima facie des griefs tenant à son renvoi et à celui de son fils en Italie, le Comité note que la déclaration du Service danois de l’immigration selon laquelle ils pouvaient être renvoyés en Italie était destinée à une audience ultérieure devant la Commission de recours des réfugiés, et que l’État partie a précisé que l’intention de ses autorités était de renvoyer l’auteure et son fils en Éthiopie, et non en Italie. Par conséquent, le Comité considère que ces griefs, tels qu’ils sont présentés par l’auteure, ne sont pas pertinents en l’espèce, et décide qu’il ne les examinera pas.

9.5Le Comité prend note également de l’argument de l’auteure selon lequel elle a démontré que ses griefs concernant son renvoi et celui de son fils en Éthiopie étaient à première vue recevables, compte tenu des conditions de sécurité pour les Oromo en Éthiopie, des tortures qu’avaient subies son père à cause de ses activités pour le FLO, qui lui avaient aussi coûté la vie, de ses propres activités pour le FLO au Soudan, des interrogatoires auxquels avait été soumise sa mère, du fait qu’elle ne disposait d’aucune protection familiale et de son jeune âge lorsqu’elle avait quitté l’Éthiopie. Elle a en outre fait valoir que l’État partie avait prêté foi au récit qu’elle avait fait de ce qui lui était arrivé, et que le HCR et les autorités italiennes lui avaient reconnu le statut de réfugié. Le Comité considère qu’aux fins de la recevabilité, l’auteure a suffisamment étayé les allégations formulées au titre des articles 6 et 7 du Pacte. Au vu de ce qui précède, le Comité déclare la communication recevable en ce qu’elle soulève des questions au regard des articles 6 et 7 du Pacte, et passe à son examen au fond.

Examen au fond

10.1Conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

10.2Le Comité rappelle son observation générale no31 (2004), dans laquelle il renvoie à l’obligation faite aux États parties de ne pas extrader, déplacer, expulser ou transférer de toute autre manière une personne de leur territoire s’il existe des motifs sérieux de croire qu’elle court un risque réel de préjudice irréparable, tel celui envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte. Le Comité a aussi indiqué que le risque devait être personnel et qu’il fallait des motifs sérieux pour conclure à l’existence d’un risque réel de préjudice irréparable. Pour évaluer l’existence d’un tel risque, il convient de tenir compte de tous les faits et éléments utiles, y compris de la situation générale sur le plan des droits de l’homme dans le pays d’origine de l’auteur. Le Comité rappelle sa jurisprudence, dont il ressort qu’un poids considérable doit être accordé à l’évaluation faite par l’État partie et que, d’une manière générale, c’est aux organes des États parties au Pacte qu’il revient d’examiner ou d’apprécier les faits et les preuves en vue de déterminer l’existence d’un tel risque, sauf s’il peut être établi que cette appréciation était arbitraire ou manifestement erronée ou a constitué un déni de justice.

10.3Le Comité prend note de l’information selon laquelle les autorités de l’État partie n’ont pas l’intention de renvoyer l’auteure et son fils vers l’Italie, en tant que premier pays d’asile, mais vers l’Éthiopie, qui est le pays d’origine de l’auteure. Le Comité prend note de l’affirmation de l’État partie selon laquelle les griefs de l’auteure ne sont pas suffisamment étayés pour démontrer l’existence d’un danger de mort ou d’un risque de torture en cas de renvoi de l’auteure et de son fils en Éthiopie. L’État partie affirme que l’auteure a pu rester en Éthiopie durant trois semaines après le décès de son père en 2003, et que plusieurs membres de sa famille, dont sa mère, ont pu vivre en Éthiopie pendant longtemps. L’État partie ajoute que l’auteure ne semble pas avoir joué un rôle de premier plan au sein du FLO et qu’elle-même n’a pas pris part aux activités du FLO pendant qu’elle résidait en Éthiopie. En ce qui concerne les activités que l’auteure a menées pour le FLO alors qu’elle se trouvait au Soudan, l’État partie affirme qu’elle faisait le ménage et travaillait dans une cafétéria, que ses contributions financières étaient limitées et que ses activités pour le FLO se limitaient à chanter, à cuisiner et à recevoir un enseignement. Si l’État partie admet les préoccupations concernant des violations des droits de l’homme en Éthiopie, notamment contre des dissidents réels ou présumés dans la région d’Oromia, il dit ne pas pouvoir conclure que de simples contacts ou une simple affiliation avec les Oromo ou la simple participation à leur combat justifierait l’octroi de l’asile. L’État partie fait valoir qu’un poids important doit être accordé aux conclusions des autorités nationales, et que l’auteure a bénéficié des garanties d’une procédure régulière, alors qu’elle n’a fourni aucun élément nouveau sur sa situation en particulier dans la communication et n’a relevé aucune irrégularité dans le processus décisionnel ni aucun facteur de risque que les autorités n’auraient pas dûment pris en considération.

10.4Le Comité note que l’auteure prétend que s’ils étaient renvoyés en Éthiopie, son fils et elle risqueraient d’être torturés et tués en raison des activités de sa famille et de ses propres activités. L’auteure explique que son père était un dirigeant affirmé du FLO, qui est mort en prison après avoir été torturé en raison de ses activités pour le FLO alors qu’elle-même était jeune. Elle ajoute que c’est également en raison de ces événements et des menaces qui en ont découlé qu’elle-même mais aussi ses frères et sœurs et sa mère ont été contraints de fuir le pays à un moment donné (voir par. 2.1 ci-dessus). L’auteure affirme en outre qu’avant que sa mère ne fuie le pays, elle a été questionnée à plusieurs reprises au sujet du lieu où se trouvaient l’auteure et ses frères et sœurs (voir par. 5.5 ci-dessus), et leur domicile a été perquisitionné à plusieurs reprises (voir par. 4.7 ci-dessus). L’auteure dit avoir participé activement aux activités du FLO au Soudan. Elle fait valoir en outre, en tant qu’élément supplémentaire, un risque tenant au fait que son fils est né hors mariage, car ces enfants sont considérés comme maudits et risquent d’être tués (par. 7.2).

10.5Le Comité réaffirme que ce sont les organes de l’État qui sont les mieux placés pour établir les faits sur la base des témoignages et des autres éléments de preuve dont ils disposent, à moins que leur appréciation de ces éléments soit arbitraire ou constitue une erreur manifeste ou un déni de justice. À cet égard, le Comité estime que l’auteure a fourni suffisamment d’informations, assorties d’éléments de preuve lorsque c’était possible, pour démontrer qu’elle et son fils seraient en danger de mort ou risqueraient de subir la torture, en donnant suffisamment de détails sur le fait qu’elle a dû fuir l’Éthiopie trois semaines après que son père, une figure du FLO, est mort après avoir subi la torture, et qu’elle-même, mais aussi ses frères et sœurs et sa mère, ont fait l’objet de menaces et ont dû fuir. Ces éléments, considérés séparément et dans leur ensemble, nécessitaient d’être examinés attentivement afin de déterminer si l’auteure courait un risque réel et personnel de subir un traitement contraire au Pacte.

10.6En l’absence d’un examen tenant compte des conséquences des activités de l’auteure et de celles qu’avait menées son père, du traitement subi par les frères et sœurs de l’auteure et par sa mère, ainsi que de la situation dans laquelle se trouverait le fils de l’auteure et du traitement qu’il risquerait de subir en cas de renvoi, le Comité estime que l’État partie n’a pas démontré que les autorités administratives et judiciaires ont procédé à un examen suffisamment individualisé des circonstances pertinentes pour pouvoir déterminer s’il y avait ou non des motifs sérieux de croire que, s’ils étaient renvoyés en Éthiopie, l’auteure et son fils courraient un risque réel de préjudice irréparable tel qu’envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte.

11.Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, constate que renvoyer l’auteure et son fils en Éthiopie sans avoir dûment apprécié le risque réel et personnel qu’ils courraient en cas d’expulsion porterait atteinte aux droits que l’auteure et son fils tiennent des articles 6 et 7 du Pacte.

12.Conformément à l’article 2 (par. 1) du Pacte, aux termes duquel les États parties s’engagent à respecter et à garantir à tous les individus se trouvant sur leur territoire et relevant de leur compétence les droits reconnus dans cet instrument, l’État partie est tenu de réexaminer la situation de l’auteure en tenant compte des obligations que lui impose le Pacte et des présentes constatations. L’État partie est également prié de ne pas expulser l’auteure tant que sa demande d’asile n’aura pas été dûment examinée.

13.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles.

Annexe

Opinion conjointe (dissidente) de Furuya Shuichi, Photini Pazartzis et Vasilka Sancin

1.Nous ne pouvons souscrire à la conclusion formulée dans les présentes constatations selon laquelle le renvoi de l’auteure et de son fils en Éthiopie constituerait une violation des droits qu’ils tiennent des articles 6 et 7 du Pacte.

2.Selon la jurisprudence du Comité, il appartient généralement aux organes de l’État partie d’examiner les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée afin de déterminer si une personne serait exposée à un risque réel de dommage irréparable si elle était expulsée vers son pays d’origine, sauf s’il peut être établi que l’évaluation a été clairement arbitraire ou manifestement erronée, ou qu’elle a représenté un déni de justice. Cela signifie que, dans les affaires d’expulsion, le Comité ne s’écarte de l’évaluation des risques qu’a faite l’État partie que lorsqu’il établit, sur la base des preuves et des informations qui lui ont été soumises, que l’évaluation de l’État partie était, sur le fond ou sur la forme, clairement arbitraire, manifestement erronée ou qu’elle a constitué un déni de justice. En outre, c’est à l’auteur de la communication qu’il incombe d’établir que l’évaluation réalisée par l’État partie n’a pas respecté les critères susmentionnés.

3.En l’espèce, l’État partie a donné à l’auteure suffisamment d’occasions d’expliquer sa situation et celle de son fils et a ensuite procédé à une évaluation individualisée à la lumière du contexte factuel. L’auteure n’a relevé aucune irrégularité dans le processus décisionnel ni de facteurs de risque dont les autorités n’auraient pas tenu compte. La divergence entre les auteurs et l’État partie porte sur l’évaluation de ces facteurs qu’ils ont reconnus.

4.Les constatations du Comité, qui vont dans le sens des griefs des auteurs, indiquent que « l’auteure a fourni suffisamment d’informations, assorties d’éléments de preuve lorsque c’était possible, pour démontrer qu’elle et son fils seraient en danger de mort ou risqueraient de subir la torture, en donnant suffisamment de détails sur le fait qu’elle a dû fuir l’Éthiopie trois semaines après que son père, une figure du FLO, est mort après avoir subi la torture, et qu’elle-même, mais aussi ses frères et sœurs et sa mère, ont fait l’objet de menaces et ont dû fuir ». Nous sommes toutefois d’avis que cette constatation n’est pas appropriée. L’auteure n’a fourni aucune explication détaillée sur ce qui s’est passé au cours des trois semaines qui ont suivi le décès de son père, ni sur les raisons qui l’ont décidée à quitter l’Éthiopie. Elle n’a pas non plus expliqué clairement pourquoi sa mère a été convoquée par les autorités éthiopiennes, ni pourquoi sa mère et d’autres membres de la famille n’ont pas décidé de quitter l’Éthiopie avec elle et comment ils ont pu y vivre pendant une longue période s’ils étaient réellement confrontés à des menaces et à des violences. Comme l’a observé l’État partie, l’un des principaux éléments sur lesquels s’est fondée l’évaluation des risques est le fait que l’auteure ait pu rester en Éthiopie trois semaines sans être contactée par les autorités éthiopiennes (voir par. 4.6 ci-dessus) et que sa mère ait pu continuer à vivre dans ce pays jusqu’en 2010 sans subir de représailles (voir par. 4.7). L’auteure devait savoir que ces éléments étaient des points essentiels dans l’évaluation. Toutefois, ses commentaires concernant les observations de l’État partie (voir par. 5.5 et 7.2 ci-dessus) ne contiennent rien qui explique de façon convaincante qu’elle et les membres de sa famille risquaient réellement d’être tués ou de subir des mauvais traitements en Éthiopie, contrairement aux observations de l’État partie.

5.De plus, l’auteure n’a pas fourni suffisamment d’informations pour démontrer qu’elle‑même serait exposée à un risque réel et concret d’être tuée ou de subir des tortures ou des mauvais traitements en raison de sa participation aux activités du FLO au Soudan. L’État partie fait observer qu’elle n’a eu aucun contact avec les autorités soudanaises à aucun moment durant son séjour au Soudan, et qu’elle n’a pas été identifiée ou connue en raison des activités qu’elle menait auprès du FLO au Soudan. Entre 600 et 700 personnes étaient présentes aux réunions du FLO auxquelles elle a participé et, selon l’État partie, la participation anonyme à des manifestations réunissant des centaines de participants ne saurait conduire à elle seule à des persécutions (voir par. 4.9 ci-dessus). L’État partie note en outre qu’il n’y a aucune raison particulière de penser que les autorités soudanaises disposent d’informations ou de documents concernant sa participation aux activités du FLO qui auraient pu être transmis aux autorités éthiopiennes (voir par. 4.11 ci-dessus). Enfin, l’auteure n’a pas réfuté clairement ces observations de l’État partie.

6.Ainsi qu’il est admis dans les présentes constatations, ce sont les organes de l’État qui sont les mieux placés pour établir les faits sur la base des témoignages et des autres éléments de preuve dont ils disposent (voir par. 10.5 ci-dessus). C’est précisément pour cette raison que le Comité respecte en principe l’évaluation de l’État partie, à moins que l’auteur de la communication ne démontre de manière suffisante et convaincante que l’évaluation de l’État partie a été clairement arbitraire ou manifestement erronée ou a représenté un déni de justice. En l’espèce, nous estimons, en l’absence d’informations pertinentes fournies par l’auteure, que celle-ci n’a pas démontré que l’évaluation faite par les autorités de l’État partie avait été clairement arbitraire ou manifestement erronée ou avait représenté un déni de justice. En conséquence, nous concluons que le renvoi des auteurs ne constituerait pas une violation des articles 6 et 7 du Pacte.