Nations Unies

CCPR/C/132/D/2854/2016

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

21 septembre 2022

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2854/2016 * , **

Communication soumise par :

Islam Johar (représenté par un conseil, Carl K. Riber-Mohn)

Victime(s) présumée(s):

L’auteur

État partie :

Norvège

Date de la communication:

6 avril 2016 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise en application de l’article 92 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 15 novembre 2016 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations:

7 juillet 2021

Objet :

Détention arbitraire

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes

Question(s) de fond :

Liberté et sécurité de la personne

Article(s) du Pacte:

9 (par. 3)

Article(s) du Protocole facultatif:

5 (par. 2 b))

1.L’auteur de la communication est Islam Johar, de nationalité norvégienne, né en 1980. Il affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient de l’article 9 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 23 mars 1976. L’auteur est représenté par un conseil.

Exposé des faits

2.1L’auteur a été arrêté le jeudi 4 juillet 2013 à 9 h 45 et placé en garde à vue à 10 h 14 car il était soupçonné d’une infraction liée à la drogue, dont il a ensuite été accusé et déclaré coupable et pour laquelle il a été condamné. Il a été présenté à un juge du tribunal de district à Oslo le samedi 6 juillet 2013, à 14 heures, soit cinquante-deux heures et quinze minutes après son arrestation. L’auteur affirme que l’État partie n’a pas respecté la règle des quarante‑huit heures établie par le Comité, au regard de l’article 9 (par. 3) du Pacte.

2.2Le 6 juillet 2013, à 14 heures, une audience a eu lieu au tribunal de district à Oslo. Le juge a décidé que l’auteur serait placé en détention provisoire jusqu’à ce que l’autorité chargée des poursuites ou lui-même en décide autrement, mais au plus tard jusqu’au 3 août 2013. L’auteur a été interdit de correspondance et de visites pendant toute cette période et maintenu à l’isolement total jusqu’au 20 juillet 2013. Le juge a considéré que l’enquête était encore dans sa phase initiale et qu’il était important que l’auteur n’ait pas la possibilité de communiquer avec d’autres personnes potentiellement impliquées dans l’affaire. Le 8 juillet 2013, l’auteur a été transféré à la prison d’Oslo, après avoir été détenu pendant quatre jours en cellule d’isolement.

2.3Le 15 octobre 2014, l’auteur a été condamné à quatre ans et dix mois d’emprisonnement pour l’entreposage d’une quantité importante d’amphétamines. Il a fait appel de cette décision. Le 24 avril 2015, la Cour d’appel de Borgarting a confirmé le jugement rendu par le tribunal de district d’Oslo.

2.4L’auteur a contesté la condamnation devant la Cour suprême, faisant valoir qu’elle était trop sévère, que rien en droit n’autorisait les quatre jours qu’il avait passés à l’isolement complet, qu’il n’avait pas été présenté à un juge dans un délai de quarante-huit heures, en violation des conventions internationales relatives aux droits de l’homme. Le 21 octobre 2015, la Cour a rejeté les griefs de l’auteur et confirmé sa peine.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que l’État partie n’a pas donné de raison pour justifier le retard avec lequel il a été amené devant un juge, en violation de l’article 9 (par. 3) du Pacte. Il croit que ses droits ont été violés, et ce, même si la législation norvégienne autorise une détention de soixante-douze heures avant qu’une personne ne soit présentée à un juge. L’auteur a été présenté à un juge cinquante-deux heures et quinze minutes après son arrestation et son placement à l’isolement. Il affirme qu’il n’y avait aucune raison de ne pas le présenter à un juge plus tôt.

3.2Renvoyant à Kovsh c . Bélarus, l’auteur soutient que, selon le Comité, le délai doit être déterminé au cas par cas et une durée de détention supérieure à quarante-huit heures doit être justifiée par des circonstances spéciales. Il se réfère également au paragraphe 33 de l’observation générale no 35 (2014) du Comité, et rappelle que « tout délai supérieur à quarante-huit heures doit rester absolument exceptionnel et être justifié par les circonstances ». Selon lui, aucune raison suffisante ne permet de justifier qu’il ait été présenté à un juge cinquante-deux heures et quinze minutes après son arrestation. Il déclare qu’un pays comme la Norvège, en particulier, doit respecter ses obligations internationales et ne pas invoquer des arguments de facilité pour contourner le respect de droits politiques importants énoncés dans les observations générales du Comité.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans ses observations datées du 15 mai 2017, l’État partie a dit qu’il n’y avait aucune raison de contester la recevabilité de la communication.

4.2L’État partie rappelle les faits, notamment que l’auteur a été arrêté et fouillé car il était soupçonné d’entreposer une quantité considérable de stupéfiants. Il explique que l’arrestation a été jugée nécessaire parce que l’on craignait que l’auteur ne se soustraie à la justice et qu’il y avait un risque imminent qu’il altère des éléments de preuve de l’affaire. Le 4 juillet 2013, l’auteur a été arrêté à 9 h 45 et placé en garde à vue à Oslo à 10 h 14. Le même jour à 16 heures, l’auteur a communiqué avec son avocat par téléphone. Le vendredi 5 juillet 2013, de 10 h 10 à 14 h 28, l’auteur a été entendu par la police, en même temps que B., un autre suspect. Le samedi 6 juillet 2013 à 10 h 20 (quarante-huit heures et trente-cinq minutes après son arrestation), l’auteur a été amené du lieu de la garde à vue au tribunal de district à Oslo, où il a été placé dans une cellule jusqu’à l’audience, qui a débuté à 14 heures. Le tribunal a décidé d’interdire à l’auteur toutes communications et visites jusqu’au 20 juillet 2013 afin de l’empêcher de communiquer avec le coaccusé ou d’autres personnes impliquées dans l’affaire et d’influencer l’enquête. Aucun appel n’a été formé contre cette décision. Par la suite, le tribunal de district a reconnu l’auteur coupable d’avoir entreposé des stupéfiants et l’a condamné à quatre ans et dix mois d’emprisonnement ; ce jugement a été confirmé par la Cour d’appel de Borgarting et par la Cour suprême norvégienne dans son arrêt du 21 octobre 2015.

4.3L’État partie rappelle que, dans son arrêt daté du 21 octobre 2015, la Cour suprême s’est penchée sur la séquence d’événements entre l’arrestation de l’auteur et l’audience portant sur la détention. Elle a jugé que des motifs suffisants avaient été fournis pour justifier le dépassement des quarante-huit heures réglementaires et a conclu qu’il n’y avait pas eu violation de l’article 9 (par. 3) du Pacte.

4.4L’État partie renvoie à sa législation nationale, en particulier à l’article 183 de la loi de procédure pénale, qui dispose que le délai dans lequel une personne arrêtée que l’autorité chargée des poursuites souhaite placer en détention doit être présentée à un juge est dès que possible et au plus tard le troisième jour suivant l’arrestation. Cette formulation résulte d’une modification apportée par la loi no 55 du 28 juin 2002 et s’explique par la volonté d’instaurer un délai absolu et par l’hypothèse que la possibilité de garder les suspects en détention jusqu’à trois jours entraînerait, au total, une diminution du recours à la détention pendant l’enquête. Plusieurs éléments pourraient en effet contribuer à cette diminution : ainsi, la police aurait suffisamment de temps pour enquêter et la détention ne serait donc pas nécessaire (par exemple, le risque d’altération d’éléments de preuve diminuerait) ou une enquête plus approfondie permettrait de mieux établir les faits sur la base desquels les tribunaux de district apprécient les conditions d’un placement en détention, ce qui conduirait à des périodes de détention plus courtes ou à la libération d’un plus grand nombre de personnes. Ce raisonnement doit s’entendre dans le contexte du cadre strict qui régit le placement en détention en droit norvégien et selon lequel deux conditions minimales doivent être réunies : a) la personne est raisonnablement soupçonnée (c’est-à-dire avec une probabilité supérieure à 50 %) d’avoir commis une infraction passible d’une peine d’emprisonnement de plus de six mois ; b) une raison suffisante justifie la garde à vue, et elle ne constituerait pas une mesure disproportionnée au regard de la nature de l’affaire et d’autres circonstances. En outre, l’une au moins des conditions supplémentaires suivantes doit être remplie : a) il y a des raisons de croire que la personne se soustraie à la justice ; b) il existe un risque imminent que la personne altère des éléments de preuve de l’affaire, par exemple en détruisant des preuves ou en influençant des témoins ou des complices ; c) la détention est jugée nécessaire pour empêcher la personne de commettre une infraction passible d’une peine d’emprisonnement de plus de six mois.

4.5S’agissant de l’article 9 (par. 3) du Pacte, l’État partie rappelle que le Pacte et d’autres traités internationaux relatifs aux droits de l’homme ont force de loi sur son territoire puisqu’ils sont contraignants pour lui et priment toute autre disposition législative qui leur serait contraire. Il est donc bien établi que le délai prévu à l’article 183 de la loi de procédure pénale doit s’interpréter conformément à l’article 9 (par. 3) du Pacte et que les obligations découlant du Pacte primeront la loi de procédure pénale en cas de conflit de normes. Concernant l’interprétation de l’article 9 (par. 3), la Cour suprême a établi que les constatations du Comité avaient un « poids considérable » en tant que sources de droit lorsqu’il s’agissait d’interpréter non seulement le Pacte mais aussi les dispositions juridiques nationales. Dès lors, elle a dit dans son arrêt concernant l’auteur que « le délai ne devait dépasser qu’exceptionnellement quarante-huit heures et uniquement si cela était justifié par les circonstances ». Ce délai est fondé sur l’avis du Comité selon lequel quarante-huit heures suffisent généralement à transférer l’individu et à préparer l’audition judiciaire. La position de la Cour suprême implique que la règle générale de droit norvégien qui fixe le délai dans lequel une personne arrêtée doit être présentée au juge est conforme à la disposition de l’observation générale no 35 (2014), à savoir quarante-huit heures. L’État partie est conscient de la contradiction apparente dans le libellé de l’article 183 de la loi de procédure pénale, mais explique que plusieurs éléments permettent de l’atténuer quelque peu : a) l’expression « dès que possible » implique qu’il n’est pas toujours nécessaire d’attendre la fin du délai absolu ; b) les acteurs juridiques savent qu’il faut interpréter les sources traditionnelles du droit norvégien à la lumière des règles énoncées dans les sources internationales ; c) le législateur a souligné que les tribunaux devaient veiller au respect des sources internationales, y compris du Pacte ; d) le directeur général des poursuites suit constamment la jurisprudence élaborée dans le cadre du Pacte.

4.6L’État partie rappelle que le Comité s’est exprimé à de nombreuses occasions sur l’interprétation de l’expression « dans le plus court délai » inscrite à l’article 9 (par. 3) du Pacte. Selon la jurisprudence du Comité, des détentions de cinquante et soixante-treize heures n’ont pas été considérées comme des violations de l’article 9 (par. 3). Progressivement, le Comité a complété la doctrine consistant à ne « pas dépasser quelques jours » par une recommandation de limiter le délai à quarante-huit heures, ultérieuremet incluse dans l’observation générale no 35 (2014). Premièrement, l’État partie soutient que l’on peut se demander si l’expression « absolument exceptionnel » est une mesure qualitative dans chaque cas, ou plutôt une mesure quantitative adressée aux États parties, c’est-à-dire que : a) le nombre d’audiences judiciaires tardives dans cet État doit être relativement peu élevé ; et b) chaque cas doit être justifié par les circonstances. L’État partie signale également que les faits visés dans la présente communication se sont produits en 2013, avant l’adoption de l’observation générale no 35 (2014) en décembre 2014. Deuxièmement, l’État partie avance que le Comité ne s’est jamais prononcé sur une exception à la règle des quarante-huit heures dans un cas similaire à celui décrit dans la présente communication : en effet, dans les autres cas, soit la durée de la détention avait dépassé de manière significative les quarante‑huit heures, soit la personne n’avait jamais été présentée à un juge avant le procès, soit l’État partie concerné n’avait donné aucune raison ou avait donné des raisons manifestement insatisfaisantes pour le retard.

4.7L’État partie estime que la Cour suprême a pris la bonne approche pour l’évaluation de la règle des quarante-huit heures. Il rappelle que le risque de mauvais traitements en garde à vue du fait des forces de l’ordre est un motif important qui sous-tend la règle des quarante-huit heures. Il estime qu’il peut être pertinent, au moins dans les cas limites, d’examiner si la personne arrêtée a eu accès à un avocat pendant sa détention. Le moment où la personne a été sortie de la garde à vue au poste de police et amenée au tribunal peut aussi être déterminant, car le risque de mauvais traitements par des agents de la loi au tribunal est considérablement plus faible, d’autant plus si la personne y rencontre son conseil. L’État partie considère que le Comité pourrait s’appuyer sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme qui a jugé que le premier examen par un juge devait avoir lieu dans un délai maximum de quatre jours après l’arrestation. Il ne dit pas que le Comité devrait aligner la règle générale du Pacte sur celle de la Cour européenne des droits de l’homme, mais bien qu’il prenne en considération la vaste jurisprudence de la Cour européenne concernant le critère de promptitude et s’en inspire lorsqu’il analyse dans la pratique une exception à la règle des quarante-huit heures établie au regard du Pacte.

4.8L’État partie est d’avis que l’auteur n’a pas été victime d’une violation de l’article 9 (par. 3) du Pacte. Le retard dont il est question (quatre heures et quinze minutes) est relativement marginal et l’auteur a bien été présenté à un juge le deuxième jour après son arrestation. La demande d’arrestation avait été envoyée au tribunal de district la veille. Ensuite, l’auteur a été sorti de sa garde à vue au poste de police et amené au tribunal de district quarante-huit heures et trente-cinq minutes après son arrestation. Il a parlé à son conseil le jour de l’arrestation et le lendemain, et a revu celui-ci au tribunal à l’occasion de l’audience judiciaire. Selon l’État partie, les faits montrent qu’il s’agissait d’une affaire complexe concernant une infraction grave et impliquant un coaccusé, et qu’une meilleure vue d’ensemble était nécessaire pour déterminer si l’affaire pouvait s’inscrire dans le cadre d’une opération criminelle plus large. L’État partie soutient que l’enquête a bien progressé au cours de la période concernée. Ce temps a été utilisé efficacement pour préciser les raisons invoquées par le tribunal de district pour maintenir l’auteur en détention et pour recueillir des informations pertinentes pour la suite de l’enquête. Dans sa décision concernant la garde à vue, le tribunal de district a souligné que l’affaire était clairement dans sa phase initiale et qu’une enquête approfondie devait être menée. La complexité de l’affaire a obligé la police à se préparer minutieusement à l’interrogatoire, notamment en étudiant des rapports de surveillance. Après l’interrogatoire, un certain temps a également été nécessaire pour analyser et comparer les informations recueillies lors des deux interrogatoires, puis pour incorporer l’exposé des motifs de la garde à vue dans la requête adressée au tribunal de district. Quant à l’heure de l’audience judiciaire du samedi 6 juillet 2013, il convient de noter que le juge utilise le temps précédant les audiences du jour pour les préparer. Comme cela a été le cas dans la présente affaire, le dossier de l’affaire et la requête de l’autorité chargée des poursuites sont normalement envoyés au tribunal la veille de l’audience. Sur ce point, il est fait référence aux conditions strictes qui régissent la détention dans le droit norvégien, notamment l’exigence du soupçon raisonnable et la présence d’au moins une autre condition (en l’espèce, le risque imminent d’altération d’éléments de preuve dans l’affaire) et l’exigence que la détention ne soit pas une mesure disproportionnée. En particulier dans les affaires complexes comme la présente, le juge doit nécessairement disposer d’un temps suffisant pour préparer l’audience afin d’évaluer si les conditions pour le placement en détention sont réunies.

4.9Par conséquent, l’État partie estime que le léger dépassement des quarante-huit heures réglementaires qui s’est produit en l’espèce était justifié par les circonstances et n’a pas constitué une violation de l’article 9 (par. 3) du Pacte.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1Le 28 juin 2018, l’auteur a fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie. Selon lui, il ressort de la jurisprudence du Comité et de l’observation générale no 35 (2014) que tout délai supérieur à quarante-huit heures doit être absolument exceptionnel et justifié par les circonstances. Cela s’applique même si l’État partie affirme qu’il n’y a aucun risque de mauvais traitements.

5.2L’auteur affirme que l’État partie n’a pas essayé de montrer que des raisons absolument exceptionnelles expliquaient le retard et n’a pas démontré que celui-ci était justifié par les circonstances.

5.3L’auteur souligne que, selon l’arrêt de la Cour suprême, l’une des raisons pour lesquelles le délai a été si long vient du fait que le tribunal de district à Oslo programme les audiences initiales concernant la détention provisoire après le déjeuner, ce qui signifie qu’il n’était pas possible de le faire comparaître beaucoup plus tôt le même jour. Selon l’auteur, cette raison ne saurait être qualifiée d’absolument exceptionnelle et justifiée par les circonstances. Si les futilités de la programmation des pauses déjeuner devaient primer la règle des quarante-huit heures et justifier qu’elle ne soit pas respectée, celle-ci deviendrait totalement inutile. L’auteur renvoie à la jurisprudence du Comité, en particulier à l’affaire Fillastre et Bizouarn c . Bolivie, dans laquelle les importantes contraintes budgétaires d’un pays dont la situation économique est assez différente de celle de la Norvège n’ont pas été considérées comme pouvant justifier le non-respect de la règle.

5.4Selon l’auteur, l’État partie ne peut affirmer que, bien qu’en principe la règle des quarante-huit heures ait été enfreinte, parce qu’il n’y a pas eu de mauvais traitements physiques, il n’y a finalement pas eu de manquement. Selon lui, l’État partie remet en cause le fait que « [m]aintenir quelqu’un sous la garde de policiers plus longtemps, sans contrôle judiciaire, augmente inutilement le risque de mauvais traitements ». L’auteur renvoie à l’affaire Kovsh c . Bélarus, dans laquelle le Comité a précisé qu’un délai ne devait pas être dépassé.

5.5Selon l’auteur, l’État partie tend à dire que même s’il reconnaît globalement l’interprétation que le Comité fait de l’article 9 (par. 3) sur ce point, y compris l’importance et l’opportunité d’une règle générale de quarante-huit heures, celle-ci ne s’applique pas à lui ou en l’espèce. L’auteur rappelle avoir écrit dans sa communication qu’un pays comme la Norvège, en particulier, devait respecter ses obligations internationales et ne pas invoquer des arguments de facilité pour contourner le respect de droits politiques importants énoncés dans les observations générales du Comité.

5.6L’auteur soutient que, même si l’État partie affirme qu’il a parlé à son conseil le jour de son arrestation puis après avoir été amené au tribunal de district, il était toujours en garde à vue. De plus, il importe peu que l’auteur ait parlé à son avocat à ce moment-là.

5.7L’auteur soutient que, d’après l’observation générale no 35 (2014), certains États fixent des délais inférieurs à quarante-huit heures, alors que l’État partie avait fixé le délai à quarante-huit heures avant de l’allonger à soixante-seize heures en 2002. Ainsi, les dépassements des quarante-huit heures réglementaires sont devenues davantage la règle que l’exception. Même si l’objectif de l’État partie était de réduire la durée moyenne de la garde à vue, soixante-seize heures sont maintenant devenues la règle et les prolongations font l’objet de nouvelles exceptions. L’allongement décidé en 2002 devait s’accompagner d’une surveillance et d’une évaluation étroites et continues, lesquelles n’ont pas eu lieu comme prévu. Au contraire, les dépassements se sont multipliés, année après année, en violation du nouveau délai prolongé. Cette situation a été critiquée par l’Association norvégienne des juges en 2011, le Médiateur parlementaire norvégien et plusieurs organes de contrôle des Nations Unies et du Conseil de l’Europe.

5.8L’auteur avance que son affaire est l’une des nombreuses affaires classiques de stupéfiants, puisque moins de cinq kilos d’amphétamine et de drogue ont été trouvés à son domicile, et ne peut être qualifiée de complexe.

5.9Quant à l’argument de l’État partie selon lequel les faits se sont produits avant l’adoption de l’observation générale no 35 (2014), l’auteur signale que la Cour suprême ne soulève pas ce point dans son arrêt de 2015. En outre, la jurisprudence du Comité était fermement établie bien avant les faits ou les décisions de justice concernant la plainte.

5.10L’auteur demande au Comité de préciser les conséquences d’un délai de plus de quarante-huit heures qui n’est pas absolument exceptionnel et justifié par les circonstances. Il soutient que le Comité devrait préciser à l’État partie qu’il existe une obligation de libération et d’indemnisation en cas de dépassement de la règle des quarante-huit heures.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1Le 29 novembre 2018, l’État partie a soumis des observations complémentaires. S’agissant de son droit interne, il est inexact d’affirmer, selon lui, qu’il a « fixé le délai à quarante-huit heures avant de l’allonger à soixante-seize heures en 2002 ». Il rappelle que selon les anciens termes de la loi norvégienne, une personne détenue devait être amenée devant le tribunal de district « dès que possible et, dans la mesure du possible, le jour suivant l’arrestation ». Le délai n’était pas absolu, et des exceptions pouvaient être faites lorsqu’une comparution le lendemain de l’arrestation était impossible ou lorsque le délai expirait un samedi ou un jour férié. L’État partie soutient également qu’il est inexact d’affirmer que soixante-seize heures est la règle en droit norvégien. L’article 183 de la loi de procédure pénale fixe un délai absolu de trois jours après l’arrestation. À l’intérieur de ce délai, les autorités sont tenues de présenter la personne arrêtée « dès que possible ». Les prolongations au-delà de trois jours ne sont jamais autorisées. La règle générale en Norvège est conforme aux vues exprimées par le Comité dans son observation générale no 35 (2014), puisqu’elle fixe un délai de quarante-huit heures avec dérogation possible si les circonstances le justifient, mais jamais au-delà du délai absolu de trois jours.

6.2L’État partie rejette l’affirmation de l’auteur selon laquelle les dépassements se seraient multipliés, année après année. Il n’a pas connaissance de tels faits et l’argument du conseil n’est corroboré par aucune statistique ni aucun exemple d’affaire pertinente. Ilsoutient par ailleurs que, contrairement à ce qu’affirme l’auteur, un examen de suivi de la modification apportée en 2002 à la loi de procédure pénale a été effectué et envoyé pour consultation en 2010. Aucune modification n’a encore été adoptée, mais cela s’explique par le fait que la législation norvégienne est appliquée conformément aux vues exprimées par le Comité dans son observation générale no 35 (2014). Le 21juin 2018, un document de consultation sur la modification du libellé de l’article 183 a été publié et contenait les deux propositions suivantes : a) dès que possible et au plus tard le deuxième jour après l’arrestation ; b) dès que possible et au plus tard quarante-huit heures après l’arrestation, ou plus tard si nécessaire (c’est-à-dire si c’est justifié par les circonstances (voir, entre autres, les vues du Comité dans l’observation générale no 35 (2014))), mais jamais plus tard que le troisième jour après l’arrestation. Les propositions sont en cours d’examen au Ministère de la justice.

6.3L’État partie souligne que la question centrale de la présente communication est la compréhension des exceptions à la règle des quarante-huit heures, et non la viabilité de la règle générale elle-même. À sa connaissance, il s’agit de la première communication portée devant le Comité où le dépassement contesté du délai général réglementaire est de quelques heures et non jours, et où l’État partie concerné a fourni des raisons adéquates pour le retard. À ce sujet, l’État partie soutient que le libellé de l’article 9 (par. 3) doit être apprécié au cas par cas, non seulement que le dépassement de quarante-huit heures doit être justifié par les circonstances, mais que les raisons invoquées pour le justifier seront examinées d’autant plus minutieusement que le délai sera long. Il n’est pas évident, d’après les termes de l’article, que les raisons justifiant un retard doivent répondre à des conditions beaucoup plus strictes au moment précis où la période dépasse quarante-huit heures. L’État partie réaffirme qu’il est favorable à la règle générale des quarante-huit heures et souligne que le Comité devrait prendre cette position de départ en considération lorsqu’il apprécie, en l’espèce, l’exception à la règle des quarante-huit heures.

6.4L’État partie réfute l’argument du conseil selon lequel la formulation exacte figurant dans l’observation générale no 35 (2014) découle de constatations établies par le Comité bien avant les faits ou les décisions de justice concernant la plainte. Dans Kovsh c . Bélarus, la formulation utilisée est la suivante : « Toute durée supérieure doit être justifiée par des circonstances spéciales pour être compatible avec le paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte » et rien n’est dit du fait que tout délai supérieur doit rester « absolument exceptionnel », selon les termes utilisés dans l’observation générale no 35 (2014). En tout état de cause, selon l’État partie, les critères auxquels il doit être satisfait pour déroger à la règle des quarante-huit heures ne sont pas plus stricts dans l’observation générale no 35 (2014) que dans les constatations du Comité qui précèdent l’adoption de l’observation générale no 35 (2014). L’État partie répète son argument selon lequel le critère « absolument exceptionnel » ne saurait être compris comme une exigence qualitative relative aux circonstances qui, dans un cas particulier, peuvent ou non justifier une exception à la règle des quarante-huit heures, mais plutôt comme une mesure quantitative qui limite strictement la fréquence à laquelle un État partie peut déroger à cette règle. De l’avis de l’État partie, il n’est pas nécessaire que les circonstances d’un cas particulier soient intrinsèquement « exceptionnelles » en elles-mêmes. Il suffit que les circonstances soient telles que le dépassement de quarante-huit heures est justifié, une question qui variera en fonction de la durée du dépassement de quarante-huit heures. Si des circonstances absolument exceptionnelles étaient exigées dans chaque cas de détention dépassant quarante-huit heures, quelle que soit sa durée, le sens du terme « dans le plus court délai » ne serait plus déterminé au cas par cas.

6.5L’État partie rappelle qu’en l’espèce, il y a eu une infraction grave et un coaccusé, et il conteste que les faits incriminés relèvent d’une « affaire classique de stupéfiants », comme l’affirme l’auteur. Enfin, il explique une nouvelle fois que le juge utilise le temps précédant l’audience du jour pour la préparer, en particulier dans une affaire complexe comme l’espèce, et que l’on ne saurait qualifier cette organisation de « futilités de la programmation des pauses déjeuner », comme l’a fait l’auteur.

Commentaires de l’auteur sur les observations complémentaires de l’État partie

7.1Le 31 mars 2019, l’auteur a soumis des commentaires sur les observations complémentaires de l’État partie. Il réaffirme qu’il n’y a aucun motif exceptionnel en l’espèce qui permette de justifier une violation de l’article 9 (par. 3) du Pacte.

7.2L’auteur soutient que la préparation de l’audience judiciaire dans une affaire complexe ne saurait justifier le non-respect de la règle des quarante-huit heures. Il souligne que l’État partie semble affirmer que la complexité augmente la nécessité de préparer l’audience. Dans ce cas, cela signifierait qu’il s’agit d’une exception ou prolongation générale et l’on ne voit pas comment la « complexité » en général pourrait justifier la règle des quarante-huit heures. L’auteur avance que l’État partie n’a pas montré en quoi la complexité alléguée de l’affaire était pertinente pour la question dont le Comité est saisi.

7.3L’auteur rappelle que la principale question portée devant la Cour suprême était la réduction de sa peine en raison des quatre jours qu’il avait passés à l’isolement complet dans une cellule de la police (« glattcelle »). Il ajoute que l’État partie a tendance à cacher au Comité l’usage excessif qu’il fait de l’isolement. Dans son arrêt, la Cour suprême a considéré que les quatre jours d’isolement complet en détention étaient proportionnés. Le juge a également admis que, littéralement interprétées, les dispositions législatives concernant l’isolement en prison ne s’appliquaient pas à l’isolement en cellule de garde à vue. L’auteur souligne que sa plainte est un cas classique justifiant une application stricte de la règle des quarante-huit heures.

7.4L’auteur soutient que les critères « absolument exceptionnel » et « justifié par les circonstances » sont cumulatifs ; l’on ne peut donc pas choisir auquel des deux il sera satisfait mais qu’il doit être satisfait aux deux ensemble. Selon lui, ni la complexité, ni la nécessité de préparer l’audience, ni la programmation ne peuvent justifier une infraction à la règle des quarante-huit heures.

7.5S’agissant de la consultation en cours au sujet de la modification de 2002, l’auteur rappelle que l’Association du Barreau norvégien a demandé qu’une règle de quarante-huit heures soit expressément incluse dans la loi de procédure pénale et considéré qu’un critère plus exigeant que « si nécessaire » devait être adopté pour que l’article 9 du Pacte et l’observation générale no 35 (2014) soient respectés. L’auteur soutient ces positions.

7.6L’auteur demande au Comité de préciser et d’énoncer une nouvelle fois la règle des quarante-huit heures et ses exceptions au regard de la présente communication.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

8.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.3Le Comité note que l’auteur affirme avoir épuisé tous les recours internes raisonnables qui lui étaient ouverts. Faute d’objection de l’État partie sur ce point, le Comité considère que les conditions énoncées à l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif sont remplies.

8.4Le Comité considère que l’auteur a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, son grief de violation des droits qu’il tient de l’article 9 (par. 3) du Pacte. Il déclare ce grief recevable et passe à son examen au fond.

Examen au fond

8.5Conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

8.6Le Comité prend note du grief de l’auteur qui affirme que les droits qu’il tient de l’article 9 (par. 3) du Pacte ont été violés parce que, du 4 juillet 2013 à 9 h 20, moment de son arrestation initiale, au 6 juillet 2013 à 14 heures, soit pendant cinquante-deux heures et quarante minutes au total, il n’a pas été présenté à un juge. Le Comité prend note de l’argument de l’auteur selon lequel l’État partie n’a donné aucune raison permettant de justifier le dépassement du délai de quarante-huit heures avant qu’il ne soit amené devant un juge, en violation de l’article 9 (par. 3) du Pacte.

8.7Le Comité note que, selon l’État partie, le retard en question (quatre heures et quinze minutes) est relativement marginal et l’auteur a bien été présenté à un juge le deuxième jour après son arrestation. Il note également que, toujours selon l’État partie, le délai a été dépassé en partie en raison de la complexité de l’affaire et en partie en raison de la pratique du tribunal en matière de programmation (par. 4.8 ci-dessus). Il note en outre la déclaration de l’État partie selon laquelle, conformément à la loi sur les droits de l’homme, le Pacte et d’autres traités internationaux relatifs aux droits de l’homme ont force de loi en Norvège et les obligations qui en découlent l’emportent sur la loi de procédure pénale en cas de conflit de normes. Le Comité note de surcroît que l’État partie s’est dit favorable à la règle générale des quarante-huit heures et que l’article 183 de la loi de procédure pénale dispose qu’une personne arrêtée doit être présentée à un juge dès que possible et au plus tard le troisième jour suivant l’arrestation.

8.8Dans ce contexte, le Comité rappelle que tout individu arrêté ou détenu du chef d’une infraction pénale sera traduit dans le plus court délai devant un juge et que quarante-huit heures suffisent généralement à transférer l’individu et à préparer l’audition judiciaire ; tout délai supérieur doit rester absolument exceptionnel et être justifié par les circonstances. Le déclenchement rapide d’un contrôle judiciaire constitue également une garantie importante contre le risque de mauvais traitements de la personne détenue. La période à prendre en compte pour évaluer la longueur du délai commence au moment de l’arrestation et non au moment où la personne arrive dans un lieu de détention. Il y a lieu de déterminer dans chaque cas le sens des mots « dans le plus court délai » qui figurent à l’article 9 (par. 3) du Pacte et toute période supérieure à quarante-huit heures nécessiterait une justification spéciale pour être compatible avec l’article 9 (par. 3) du Pacte.

8.9En l’espèce, le Comité note que l’auteur a été amené au tribunal de district quarante‑huit heures et trente-cinq minutes après son arrestation, et présenté au juge cinquante-deux heures et quinze minutes après cette arrestation. Si ce délai dépasse formellement la règle des quarante-huit heures énoncée dans sa jurisprudence et dans l’observation générale no 35 (2014), le Comité note que le retard de quatre heures était purement logistique et simplement dû à la pratique du tribunal en matière de programmation, et n’était ni excessif ni arbitraire. Pendant les quatre heures supplémentaires, l’auteur se trouvait dans les locaux du tribunal et avait la possibilité de communiquer avec son avocat. Compte tenu des informations dont il dispose, le Comité ne peut conclure que l’État partie a insuffisamment montré que le dépassement de la règle des quarante-huit heures était absolument exceptionnel et justifié par les circonstances et, par conséquent, il ne constate aucune violation des droits que l’auteur tient de l’article 9 (par. 3) du Pacte.

8.10Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître une violation par l’État partie de l’article 9 (par. 3) du Pacte.