Nations Unies

CCPR/C/137/D/2888/2016

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

2 juin 2023

Français

Original : espagnol

Comité des droits de l’homme

Décision adoptée par le Comité au titre du Protocole facultatif, concernant la communication no 2888/2016 * , **

Communication soumise par:

O. R. C. H., T. G. et S. A. A. M.

Victime(s) présumée(s):

T. G. et S. A. A. M.

État partie:

République bolivarienne du Venezuela

Date de la communication:

17 août 2016 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise en application de l’article 92 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 1erdécembre 2016 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision:

22 mars 2023

Objet:

Interdiction d’une chaîne télévisée internationale d’information, ainsi que de ses portails Web, sur le territoire de l’État partie

Question(s) de fond:

Liberté d’expression ; droit de recevoir des informations ; droit de participer aux affaires publiques ; droit à un recours utile

Question(s) de procédure:

Compétence ratione personae ;épuisement des recours internes

Article(s) du Pacte:

2, 14, 19 et 25

Article(s) du Protocole facultatif:

2 et 5

1.1Les auteurs de la communication sont O. R. C. H., avocat en exercice, qui intervient à titre personnel et en qualité de représentant juridique de l’organisation non gouvernementale Espacio Público, T. G., journaliste, qui intervient à titre personnel et en qualité de représentant de la Société nationale des journalistes, et S. A. A. M., journaliste, qui intervient à titre personnel et en qualité de représentant de l’association civile Expresión Libre ; tous trois sont de nationalité vénézuélienne. Ils affirment que l’État partie a violé les droits qui leur sont reconnus par l’article 2 (par. 1 et 2) du Pacte, par l’article 2 (par. 3) lu conjointement avec l’article14, et par les articles 19 et 25. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 10août 1978. Les auteurs ne sont pas représentés par un conseil.

1.2Les auteurs ont prié le Comité de présenter une demande de mesures provisoires de sorte que l’État partie autorise les chaînes câblées nationales à retransmettre librement et sans encourir de sanctions les programmes de NTN24, et débloque l’accès aux portails Web de cette chaîne internationale, en autorisant les fournisseurs d’accès à Internet à permettre aux internautes d’accéder aux pages Web concernées et aux contenus qui y sont diffusés.

1.3Le 1er décembre 2016, le Comité, agissant par l’intermédiaire de ses rapporteurs spéciaux chargés des nouvelles communications et des mesures provisoires, a décidé de ne pas présenter de demande de mesures provisoires.

1.4Le 24 juin 2019, le Comité, agissant par l’intermédiaire de ses rapporteurs spéciaux chargés des nouvelles communications et des mesures provisoires, a estimé que la recevabilité de la communication devrait être examinée séparément du fond.

1.5Le 12 janvier 2023, les auteurs ont avisé le Comité que, depuis la soumission de la communication, O. R. C. H. était décédé. Par conséquent, et puisque les auteurs n’ont présenté aucun document l’informant de l’intervention de tiers, par exemple, des ayants droit de O. R. C. H., en qualité de victimes au nom de celui-ci dans le contexte de la communication, le Comité décide qu’il est mis fin à l’examen de la communication s’agissant de cet auteur.

Exposé des faits

2.1Les auteurs font valoir que la chaîne d’information NTN24 a joué un rôle fondamental en diffusant des informations sur la situation politique dans l’État partie au cours des manifestations d’opposition au Gouvernement, qui ont eu lieu en 2014. Ils affirment qu’à l’époque, le public disposait de peu de canaux d’information pour se tenir informé des mouvements de protestation et que les autorités avaient pris des mesures sur les plan législatif et politique pour créer un climat d’intimidation à l’égard des médias indépendants, ce qui portait atteinte à la liberté d’expression. Ils ajoutent que cela avait eu pour effet de faire taire les médias d’information qui ne se conformaient pas à la ligne politique officielle, et que cela avait laissé la porte ouverte à une « monopolisation communicationnelle pro‑gouvernementale » (voir par. 2.7 à 2.10).

2.2Les auteurs affirment que, le 11février 2014, la Commission nationale des télécommunications, qui relevait effectivement de l’exécutif, a publié un communiqué dans lequel elle se faisait l’écho de l’appel lancé par le Président de la République, NicolásMaduro, en faveur de la pacification et de la consolidation de la paix. Dans ce communiqué, la Commission nationale des télécommunications a signalé que la couverture médiatique dont avaient fait l’objet, dans certains médias, les faits de violence survenus au cours des manifestations pouvait être considérée comme constitutive d’une violation de l’article 27 de la loi sur la responsabilité sociale des prestataires de services radiotélévisés et des médias électroniques, qui interdit la diffusion de contenus faisant l’apologie de la haine ou de la violence. De même, la Commission nationale des télécommunications s’est inquiétée de la manière dont les événements avaient été présentés par certains médias, craignant que la couverture médiatique des faits n’incite à la violence ou au trouble à l’ordre public. La Commission a également souligné que toute infraction à la loi était passible de peines et de sanctions. Les auteurs affirment que ce communiqué était une menace qui a dissuadé les chaînes de télévision nationales de couvrir les manifestations. Néanmoins, la chaîne de télévision internationale NTN24 a consacré une grande partie de sa programmation à ces événements.

2.3Les auteurs affirment que, le 12 février 2014, après la diffusion, sur NTN24, d’informations concernant le meurtre de trois jeunes, commis au cours des manifestations, le Président, qui s’exprimait à la télévision nationale, a ordonné que toutes les entreprises de télédiffusion interrompent la diffusion de NTN24 et que l’accès aux pages Web de NTN24 soit bloqué. Les auteurs affirment que le Directeur général de la Commission nationale des télécommunications s’est conformé aux ordres du Président, sans engager, au préalable, de procédure administrative ni judiciaire, déclarant publiquement que cette mesure avait été décidée conformément à l’article 27 de la loi sur la responsabilité sociale des prestataires de services radiotélévisés et des médias électroniques, qui interdit l’incitation à la haine et à la violence. Selon les auteurs, le Directeur de la Commission nationale des télécommunications a ajouté que cette mesure visait à éviter que ne se reproduise « le coup d’État sans précédent qui avait été orchestré [en République bolivarienne du Venezuela] en avril 2002 depuis les réseaux sociaux[, lesquels s’étaient faits le vecteur] de l’intolérance, de la haine et de la terreur [et avaient favorisé l’instauration d’]un climat émotionnel propice à la destruction du vivre-ensemble » (traduction non officielle). De même, le Directeur aurait affirmé que, dans le cadre du contrôle exercé par la Commission nationale des télécommunications, il avait pu être confirmé que NTN24, qui était pourtant une chaîne d’information internationale, avait consacré 90 % de sa programmation du 12 février 2014 à la couverture des manifestations en République bolivarienne du Venezuela, ne présentant 80 % du temps qu’un seul aspect du conflit, à savoir la version des porte-paroles des manifestants, qui « appelaient à la déstabilisation du pays ». Enfin, les auteurs affirment que le Directeur de la Commission a fait savoir qu’il n’était pas nécessaire, aux fins de la mesure en question, que la Direction de la responsabilité sociale des prestataires de services radiotélévisés engage une procédure administrative, puisqu’il s’agissait d’une chaîne de télévision étrangère.

2.4Les auteurs soutiennent qu’au cours des mois qui ont suivi, l’accès aux principaux domaines du site Web de NTN24 a été bloqué. Ils font savoir qu’à la date de soumission de la communication, le contenu diffusé par NTN24 était toujours censuré et que l’interdiction d’accès visait 16 des portails Web de la chaîne, ce qui empêchait la population vénézuélienne de s’informer par l’intermédiaire de ce média.

2.5Le 28 juillet 2015, les auteurs ont introduit devant la chambre constitutionnelle du Tribunal suprême de justice un recours en protection d’intérêts diffus assorti d’une demande de mesure d’amparo conservatoire avec suspension d’effets tendant à ce que la chambre constitutionnelle ordonne aux autorités compétentes de recommencer à diffuser la programmation de NTN24 et de débloquer l’accès aux portails Web de la chaîne pour garantir la liberté d’expression des citoyens vénézuéliens, consacrée par les articles57 et 58 de la Constitution, et par l’article 19 du Pacte. Les auteurs ont fait valoir que la mesure prise à l’égard de NTN24 constituait une restriction injustifiée de la liberté d’expression, puisqu’elle portait atteinte au droit à la liberté d’expression dans sa double dimension, en tant que droit individuel de chacun de s’exprimer dans le média de son choix, puisque les Vénézuéliens ne pouvaient plus transmettre leurs idées sur NTN24, et en tant que droit individuel de chacun de recevoir des informations, des opinions et des idées transmises par d’autres personnes, puisque le droit des Vénézuéliens de s’informer par l’intermédiaire de NTN24 avait été restreint. Concernant la question de savoir s’ils avaient qualité à exercer un recours en protection d’intérêts diffus, les auteurs ont renvoyé à la jurisprudence du Tribunal suprême de justice en la matière, dont il ressort qu’il n’est pas nécessaire qu’il existe un lien entre l’auteur de l’infraction et le plaignant, lequel agit en tant que membre de la société et fait valoir un droit ou un intérêt qu’il partage avec le reste de la société. Les auteurs ont fait savoir qu’ils agissaient en qualité de membres de la société vénézuélienne et d’utilisateurs et de titulaires du droit à la liberté d’expression ; ils ont fait valoir l’intérêt qu’ils partageaient avec le reste de la société, se sont dits lésés dans l’exercice de leur droit et ont dit réclamer autant pour eux-mêmes qu’au nom de la collectivité la réparation de ce préjudice. Ils indiquent qu’au moment de la soumission de la communication au Comité, bien qu’il se fût écoulé plus d’un an depuis l’introduction du recours susdit, celui-ci n’avait même pas été déclaré recevable ; seul un juge rapporteur avait été désigné pour examiner le dossier.

2.6Les auteurs disent avoir demandé au Tribunal suprême de justice de statuer sur le recours le 4 août 2015, les 28 janvier, 13 juillet et 3 novembre 2016, les 28 mars, 20 juillet et 28 novembre 2017, ainsi que les 16 mai et 8 août 2018.

2.7Les auteurs font référence au contexte dans lequel se sont produits les faits, contexte qui aurait été caractérisé par un recul progressif de la liberté d’expression dû à des déclarations stigmatisantes faites par de hauts fonctionnaires de l’État à l’égard des médias indépendants, ainsi qu’à une série de règles et de pratiques destinées à restreindre indûment le droit à la liberté d’expression. Les auteurs appellent l’attention sur les pratiques suivantes : a) les discours officiels destinés à intimider et portant atteinte à la liberté d’expression ; b) le contrôle politique exercé par la Commission nationale des télécommunications et l’application de la loi sur la responsabilité sociale des prestataires de services radiotélévisés et des médias électroniques ; c) le black-out numérique visant à limiter l’utilisation d’Internet comme vecteur du droit à la liberté d’expression.

2.8Concernant le premier point, les auteurs décrivent différentes affaires dans lesquelles des restrictions selon eux injustifiées ont été apportées au droit à la liberté d’expression. Dans ces affaires, la Cour interaméricaine des droits de l’homme a établi que les autorités de l’État partie, par leurs déclarations, avaient d’une certaine manière encouragé, soutenu ou sanctionné les actes de certains individus visant à causer des préjudices, corporels et autres, à des journalistes. De même, les auteurs évoquent des cas dans lesquels les médias eux‑mêmes ont subi des préjudices ; ils citent notamment le cas de Radio Caracas Televisión, qui s’est vu retirer son autorisation de diffusion sur ordre du Président de l’époque, en représailles de sa ligne éditoriale. Ils renvoient en outre à l’observation générale no 25 (1996), dans laquelle le Comité a souligné l’importance, pour la protection des droits politiques garantis par l’article 25 du Pacte, de l’existence d’une presse et d’autres organes d’information libres en mesure de commenter toute question publique sans censure ni restriction et capables d’informer l’opinion publique. Les auteurs citent le rapport de 2014 publié par Espacio Público, dans lequel on peut lire que l’on a assisté, en 2014, à une hausse du nombre et de la virulence des allocutions publiques critiques à l’égard des médias et des journalistes (350 cas) et que les mesures prises à l’égard de NTN24 s’inscrivaient dans le cadre de ces atteintes généralisées à la liberté d’expression, imputables au Gouvernement.

2.9Pour ce qui est du deuxième point, qui concerne le contrôle politique exercé par la Commission nationale des télécommunications et l’application de la loi sur la responsabilité sociale des prestataires de services radiotélévisés et des médias électroniques, les auteurs répètent que la Commission n’est pas indépendante de l’exécutif ; ils ajoutent que de nombreux acteurs internationaux ont appelé l’attention sur la loi sur la responsabilité sociale des prestataires de services radiotélévisés et des médias électroniques, qu’ils jugeaient dangereuse pour la liberté d’expression en raison des dispositions générales qu’elle contient, en vertu desquelles le simple fait de tenir des propos critiques qui dérangent les fonctionnaires chargés de son application est passible de sanctions excessivement lourdes. Les auteurs renvoient aux observations finales du Comité concernant le quatrième rapport périodique de l’État partie, dans lesquelles le Comité recommandait à l’État partie de veiller à ce que toute restriction de l’exercice de la liberté d’expression, y compris l’exercice des pouvoirs de contrôle, respecte pleinement les exigences strictes établies à l’article 19 (par. 3) du Pacte, et à ce que les autorités chargées d’appliquer les lois relatives à l’exercice de la liberté d’expression exercent leur mandat de manière indépendante et impartiale. Les auteurs ajoutent que le contexte décrit et le contrôle exercé par les autorités, en particulier la Commission nationale des télécommunications, sur la couverture médiatique des manifestations de 2014, notamment l’interruption de la diffusion de NTN24 et le blocage de l’accès aux pages Web de la chaîne, ont eu pour effet d’inciter les autres médias vénézuéliens à s’autocensurer, en ne diffusant aucune information sur les manifestations contre le Gouvernement, alors même qu’il s’agissait là d’une question d’intérêt public. Par conséquent, le fait d’interrompre la diffusion de NTN24 a constitué une restriction grave du droit à la liberté d’expression, puisque NTN24 était le seul média qui diffusait des informations concernant ces événements.

2.10S’agissant du troisième point, qui concerne le black-out numérique et ses effets, les auteurs affirment qu’au cours des dernières années, Internet est devenu un outil fondamental dont les Vénézuéliens se servent pour s’informer, eu égard au contrôle exercé par les autorités sur les médias traditionnels et aux manœuvres d’intimidation dont ces derniers font l’objet de la part des pouvoirs publics. Ils affirment qu’en 2014, on a assisté à une hausse de 55 % des restrictions apportées au droit à la liberté d’expression sur Internet, parmi lesquelles on peut citer l’incrimination des utilisateurs de Twitter, la censure, les attaques visant des contenus et des applications, l’ingérence dans la diffusion de contenus et le fonctionnement d’applications, ainsi que les fuites ou le piratage de profils sur les réseaux sociaux et de courriers électroniques. Les auteurs citent différentes mesures prises en lien avec les manifestations de 2014, notamment le blocage d’accès à Twitter imposé le 13 février 2014, qui aurait été reconnu par le Directeur de la Commission nationale des télécommunications, le blocage d’accès à un portail d’information et à une application le même mois, ainsi que le blocage de divers portails d’information, dont celui de NTN24, tout au long de l’année, mesures qui ont toutes été appliquées sans décision de justice préalable. Les auteurs font savoir que cet ensemble de mesures prises par le Gouvernement a constitué, dans le contexte des manifestations de 2014, un black-out médiatique visant à limiter l’accès des Vénézuéliens à des informations critiques à l’égard du Gouvernement, ce qui a eu pour effet d’instaurer un monopole idéologique et informationnel.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs affirment que l’État partie a violé les droits qui leur sont reconnus par l’article 2 (par. 1 et 2), l’article 2 (par. 3) lu conjointement avec l’article 14, et les articles 19 et 25 du Pacte.

3.2Les auteurs affirment que les mesures prises par l’État partie contre NTN24 constituent un acte arbitraire de censure de l’exercice du droit à la liberté d’expression, consacré par l’article 19 du Pacte, dans sa double dimension : a) en tant que droit individuel de chacun de s’exprimer et de diffuser ses messages dans le média de son choix, puisque les Vénézuéliens ne pouvaient plus transmettre et diffuser leurs idées sur NTN24 ; b) en tant que droit collectif de tous de recevoir des informations, notamment sur des faits, ainsi que des opinions transmises par d’autres personnes, puisque les Vénézuéliens ont été privés de la possibilité de prendre connaissance de ce que d’autres pouvaient exprimer et diffuser sur NTN24. Ils ajoutent que le droit à la liberté d’expression s’applique pleinement aux communications, aux idées et aux informations diffusées et accessibles sur Internet. Ils indiquent que ce droit, en plus de garantir l’accès à Internet, englobe le droit à ce que le réseau Internet lui-même ne soit pas bloqué ou coupé arbitrairement, et à ce que l’on n’introduise pas de changement qui ait pour effet d’entraver l’expression et de réduire les contenus diffusés. C’est pourquoi les auteurs estiment que le blocage de l’accès à des domaines Web aurait dû être justifié au regard des dispositions de l’article 19 (par. 3) du Pacte ; or, ce n’était pas le cas. Ils affirment : que la législation de l’État partie ne prévoit pas clairement la possibilité d’imposer de telles restrictions, compte tenu du caractère général des dispositions de la loi sur la responsabilité sociale des prestataires de services radiotélévisés et des médias électroniques ; que l’État partie n’a pas montré que ces restrictions, qui n’étaient ni nécessaires ni proportionnées, avaient un objectif légitime ; que ces restrictions ont été imposées sans l’intervention d’une autorité judiciaire.

3.3Les auteurs affirment que la législation de l’État partie sur la réglementation des médias, en particulier la loi sur la responsabilité sociale des prestataires de services radiotélévisés et des médias électroniques, et son application en l’espèce sont incompatibles avec l’article 19 du Pacte. De même, ils indiquent que les faits qui font l’objet de la communication s’inscrivaient dans un contexte de manœuvres d’intimidation visant à entraver la liberté d’expression et de représailles à l’égard des organes d’information qui ne se faisaient pas l’écho des politiques gouvernementales, autant de mesures qui ont incité les médias à l’autocensure et qui ont eu pour effet d’entraver, voire d’empêcher la diffusion d’une information abondante et plurielle, nécessaire dans toute société démocratique, instaurant ainsi un monopole médiatique en faveur de l’État. Ces manœuvres d’intimidation étaient le fait des plus hautes autorités de l’État, y compris du Président. Les auteurs indiquent que la Commission nationale des télécommunications a décidé d’interrompre la diffusion de NTN24 et de bloquer l’accès aux domaines du site Web de la chaîne en application d’une décision qui avait été prise par le Président et qui visait à l’évidence à exercer des représailles contre NTN24 pour avoir couvert les manifestations contre le Gouvernement et la crise des hôpitaux.

3.4Les auteurs affirment en outre que les mesures prises contre NTN24 et, partant, les restrictions apportées à la liberté d’expression, ont également constitué, dans la pratique, une violation de leur droit de participer aux affaires publiques, garanti par l’article 25 du Pacte. Au moment de la soumission de la communication, le fait que NTN24 ne soit plus diffusé et que ses portails Web ne soient plus accessibles continuait de restreindre la participation des auteurs aux affaires publiques, en limitant arbitrairement : a) la possibilité d’exercer un contrôle social de la gouvernance par l’intermédiaire de ce média − ce qui constituait en soi une manière de participer aux affaires publiques − limitant ainsi la possibilité de porter des jugements de valeur et d’agir face à la conduite des représentants de l’État ; b) la possibilité pour les acteurs sociaux de s’organiser pour participer aux affaires publiques et, qui plus est, à la prise de décisions judicieuses et éclairées, puisque l’accès aux informations susceptibles d’être utiles ou importantes à cette fin était restreint. Les auteurs ajoutent qu’il a été porté atteinte au rôle essentiel d’« observateurs publics » qu’ils jouent en tant que membres actifs d’organisations de la société civile intimement liées à la liberté d’expression et d’information dans l’État partie. Concrètement, leur capacité à jouer ce rôle a été mise à mal car ils ne disposaient plus de la possibilité de diffuser, en temps utile et auprès d’un large public, par l’intermédiaire de la chaîne NTN24, des informations sur les manifestations de 2014, ni n’ont actuellement la possibilité de se mettre au service de la société vénézuélienne en informant le public sur d’autres questions d’intérêt public.

3.5Pour ce qui est des articles 2 (par. 3) et 14 du Pacte, les auteurs affirment que les mesures en question n’ont pas fait l’objet d’une décision judiciaire préalable et que leur légalité ne pouvait être soumise à un contrôle juridictionnel. D’autre part, la décision de la Commission nationale des télécommunications n’a pas non plus été prise dans le cadre d’une procédure de sanction administrative, comme le prescrit la loi sur la responsabilité sociale des prestataires de services radiotélévisés et des médias électroniques, ce qui a eu des répercussions sur le droit des auteurs et de la société vénézuélienne dans son ensemble, dont les membres auraient pu intervenir dans le cadre de la procédure en qualité de tierces parties ou de parties intéressées. Les auteurs font observer que, compte tenu du contexte, marqué par un recul de la liberté d’expression, il fallait respecter toutes les garanties, y compris celles prévues par la loi sur la responsabilité sociale des prestataires de services radiotélévisés et des médias électroniques concernant les procédures de sanction, et notamment suivre les étapes visant à garantir le droit à la défense, en matière tant administrative que judiciaire, et ce, d’autant plus que le Directeur de la Commission a justifié la décision qui avait été prise d’interrompre la diffusion de NTN24 en invoquant une violation de l’article 27 de la loi sur la responsabilité sociale des prestataires de services radiotélévisés et des médias électroniques.

3.6En outre, les auteurs font savoir que, bien qu’ils aient introduit, en juillet 2015, un recours en protection d’intérêts diffus assorti d’une demande de mesure d’amparo conservatoire avec suspension d’effets, et que, selon la loi, les recours de cette nature doivent être examinés rapidement, au moment de la soumission de la communication, aucune procédure judiciaire n’avait été engagée et le recours n’avait même pas été déclaré recevable. Les auteurs estiment que cette omission de la part des autorités judiciaires constitue un déni de justice, puisque le recours n’a pas été examiné dans un délai raisonnable. Ils renvoient à la jurisprudence de la Cour interaméricaine des droits de l’homme, dont il ressort que, pour apprécier le caractère raisonnable d’un délai, il faut tenir compte de la complexité de l’affaire, des démarches effectuées par l’intéressé dans le cadre de la procédure, de la conduite des autorités judiciaires et des conséquences pour la situation juridique des personnes concernées par la procédure. Selon les auteurs, aucun de ces critères n’a été rempli en l’espèce, puisque l’affaire n’était pas complexe (elle ne nécessitait pas de mener une enquête plus approfondie ni de produire d’autres éléments de preuve), les plaignants n’ont pas entravé le bon déroulement de la procédure de quelque manière que ce soit, les autorités judiciaires ont agi avec une négligence manifeste et les auteurs ont été gravement lésés compte tenu du recul de la liberté d’expression dans l’État partie. Un tel cas de figure relève de l’exception à la règle de l’épuisement des recours internes prévue par l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif, et constitue une violation de l’article 2 (par. 3) du Pacte.

3.7Concernant l’article 2 (par. 1 et 2) du Pacte, les auteurs affirment que la mesure prise par la Commission nationale des télécommunications au préjudice de NTN24 se fondait sur l’article 27 de la loi sur la responsabilité sociale des prestataires de services radiotélévisés et des médias électroniques, lequel prévoit des motifs généraux et excessivement discrétionnaires qui facilitent, comme c’est le cas en l’espèce, l’application discriminatoire et abusive de la loi précitée par la Commission nationale des télécommunications, en violation du droit à la liberté d’expression. Ils renvoient, en outre, à l’article 20 de la loi sur la responsabilité sociale des prestataires de services radiotélévisés et des médias électroniques, qui dispose que la Direction de la responsabilité sociale, qui peut prendre des décisions en matière de télécommunications, est composée du Directeur de la Commission et de représentants de trois ministères ; selon les auteurs, cela revient à dire que les cinq membres de cet organe relèvent directement de l’exécutif, ce qui est contraire aux principes d’indépendance et d’impartialité dans la prise de décisions ayant trait à la liberté d’expression.

3.8Concernant la recevabilité, les auteurs répètent que le recours en protection d’intérêts diffus assorti d’une demande de mesure d’amparo conservatoire avec suspension d’effets n’a pas constitué un recours utile, puisque l’examen de ce recours a été retardé sans justification. Ils ajoutent qu’il n’existe dans l’État partie aucune autre voie de recours interne permettant de contester les actes ou décisions de la chambre constitutionnelle du Tribunal suprême de justice, puisqu’il s’agit de la plus haute instance judiciaire de l’ordre constitutionnel local.

3.9Les auteurs soumettent la communication à titre personnel et en leur qualité de membres et représentants juridiques de l’association de la société civile Espacio Público, de la Société nationale des journalistes et de l’association de la société civile Expresión Libre, respectivement. En leur qualité de membres actifs de ces associations, étroitement liées à la liberté d’expression et d’information, ils sont directement lésés par les mesures prises par l’État partie à l’égard de NTN24, qui portent atteinte aux droits qui leur sont reconnus par le Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1L’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité le 1er février 2017 ; il fait savoir qu’il considère que la communication devrait être déclarée irrecevable pour non‑épuisement des recours internes et parce que les auteurs n’ont pas qualité de victimes.

4.2Concernant le premier argument, l’État partie avance que les auteurs n’ont pas épuisé les voies de recours qui leur étaient ouvertes, lesquelles étaient utiles en l’espèce. Il renvoie aux règles relatives à l’épuisement des recours internes, en particulier aux articles 2 et 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif, à l’article 41 du Pacte et à l’article 78 du Règlement intérieur du Comité, et fait observer que le recours choisi par les auteurs, à savoir un recours en protection d’intérêts diffus assorti d’une demande de mesure d’amparo conservatoire avec suspension d’effets, qu’ils ont introduit devant la chambre constitutionnelle du Tribunal suprême de justice, n’était pas adéquat. Il fait savoir que, puisque, pour ordonner que l’on interrompe la diffusion de NTN24, la Commission nationale des télécommunications s’était fondée sur l’article 27 de la loi sur la responsabilité sociale des prestataires de services radiotélévisés et des médias électroniques, le recours qui aurait dû être introduit était celui prévu par cette loi, c’est-à-dire un recours administratif. L’État partie ajoute qu’en vertu de la loi précitée, la Direction de la responsabilité sociale rend des décisions administratives définitives et que, par conséquent, les auteurs auraient dû saisir d’abord le Tribunal administratif puis, en deuxième instance, le Tribunal suprême de justice, ce qu’ils n’ont pas fait.

4.3L’État partie fait observer, en outre, que les auteurs auraient aussi dû épuiser le recours en amparo, qui leur était également accessible. Il renvoie à l’article 27 de la Constitution (voir par. 3.6) qui dispose que toute personne a le droit d’être protégée par les tribunaux dans la jouissance et l’exercice des droits et garanties constitutionnels au moyen de la procédure d’amparo constitutionnel, qui est orale, publique, brève et gratuite et n’est subordonnée à aucune formalité. L’État partie fait savoir que la procédure d’amparo était une voie de recours adaptée, qui aurait été utile, puisqu’elle est destinée à rétablir les droits et garanties constitutionnels qui ont été violés ou menacés, mais qu’aucun des auteurs n’a introduit ce recours.

4.4L’État partie fait valoir, en outre, que les auteurs n’étaient pas les victimes présumées des violations en cause et que, par conséquent, la communication n’est pas conforme aux prescriptions du Règlement intérieur du Comité s’agissant de la qualité de victimes des auteurs.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1Le 17 avril 2017, les auteurs ont soumis leurs commentaires sur les observations de l’État partie. Ils estiment que l’État partie commet une erreur de jugement dans son appréciation de la question de savoir qui peut être victime de violations des droits consacrés par le Pacte et au nom de qui l’on peut soumettre une communication au Comité. L’erreur commise ici tient au fait que l’État partie considère que les seules victimes possibles sont les personnes qui ont un lien avec la chaîne NTN24. Selon les auteurs, ces personnes ne sont pas les seules à pouvoir être qualifiées de victimes ; d’autres personnes, n’ayant aucun lien avec la chaîne, peuvent également l’être. Les auteurs affirment qu’en leur qualité de membres de la société civile, qui jouent, en sus, un rôle clef dans des organisations qui défendent la liberté d’expression dans l’État partie, ils peuvent eux aussi être victimes de la censure qui a été exercée à titre de représailles à l’égard de la chaîne NTN24, et ce, parce qu’en les privant d’accès à l’information communiquée par cet organe d’information, on les a empêchés d’exercer pleinement leur rôle, en violation des droits qui leur sont reconnus en tant que membres de la société civile, eu égard en particulier à la dimension sociale du droit à la liberté d’expression, ce qui a eu, en outre, une incidence sur les voies de recours adéquates et utiles qui leur étaient ouvertes.

5.2Concernant l’argument de l’État partie selon lequel ils n’ont pas respecté la règle de l’épuisement des recours internes, les auteurs affirment que l’État partie, en commettant l’erreur susdite, se trompe également sur le point de savoir quelles voies de recours internes sont accessibles aux membres de la société civile qui ont été victimes de violations, puisque les recours administratifs ne sont ouverts qu’aux auteurs présumés d’infractions à la loi sur la responsabilité sociale des prestataires de services radiotélévisés et des médias électroniques, ainsi que le prévoit cette loi. Par conséquent, les auteurs font savoir que ces recours n’étaient accessibles qu’aux personnes ayant un lien avec NTN24, en sa qualité d’auteur présumé, sanctionné par la Commission nationale des télécommunications. Les auteurs, en tant que membres de la société civile, n’avaient donc pas la possibilité d’introduire un recours administratif. Ils ajoutent que, si les voies de recours susmentionnées ne leur étaient pas ouvertes en l’espèce, c’est aussi parce qu’il aurait fallu qu’une décision administrative ait été rendue, ce qui n’était pas le cas, puisque que l’ordre d’interrompre la diffusion de NTN24 était une décision de facto prise par le Président de la République, en violation des garanties d’une procédure régulière.

5.3Les auteurs rappellent que l’unique voie de recours disponible, adéquate et utile était le recours en protection d’intérêt diffus, assorti d’une demande de mesure d’amparo conservatoire avec suspension d’effets, qu’ils ont introduit devant la chambre constitutionnelle du Tribunal suprême de justice et dans lequel ils demandaient que la chaîne NTN24 cesse d’être soumise à la censure et que l’on autorise les chaînes câblées à la diffuser, faisant valoir la violation de leurs droits à la liberté d’expression et des garanties d’une procédure régulière, notamment. Les auteurs ajoutent que l’État partie n’a pas expliqué pourquoi ce recours n’était pas adéquat, ne leur était pas ouvert ou n’avait aucune chance d’aboutir en l’espèce, sachant que les auteurs soumettent la communication en tant que membres de la société civile. Au contraire, l’État partie s’est contenté de défendre l’argument selon lequel d’autres recours, qui n’étaient pas disponibles en l’espèce, comme expliqué précédemment, auraient été indiqués et utiles.

5.4Les auteurs affirment en outre que la justice a pris un retard excessif dans le traitement du recours qu’ils considèrent comme étant le seul adéquat et utile en l’espèce, à savoir le recours en protection d’intérêts diffus assorti d’une demande de mesure d’amparo conservatoire avec suspension d’effets. Ils ajoutent que, bien qu’ils aient introduit ce recours le 28 juillet 2015, et qu’ils aient demandé le 4 août 2015, les 28 janvier, 13 juillet et 3 novembre 2016, ainsi que le 28 mars 2017 que le Tribunal suprême de justice statue sur ce recours, à la date de soumission de leurs observations, la seule démarche enregistrée dans le dossier avait été la désignation d’un juge rapporteur, et ce, bien que la législation nationale exige qu’il soit statué sur le recours dans un délai de cinq jours. Les auteurs renvoient à la jurisprudence du Comité concernant le délai raisonnable et rappellent que rien ne justifie qu’un retard d’un an et huit mois soit pris dans l’examen d’un recours. Par conséquent, ils estiment que leur cas relève de l’exception à la règle de l’épuisement des recours internes prévue par l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif et réaffirment qu’il a été porté atteinte à leur droit à un recours utile, consacré par l’article 2 (par. 3) du Pacte.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité note que, selon l’État partie, les auteurs n’étaient pas les victimes présumées des violations en cause et que, par conséquent, la communication n’est pas conforme aux dispositions de l’article 99(al.b)) de son règlement intérieur. Il note en outre que les auteurs disent avoir soumis la communication tant à titre personnel qu’en leur qualité de membres et représentants juridiques d’associations qui œuvrent pour la défense des droits de l’homme, et qui interviennent en particulier sur des questions touchant la liberté d’expression ; en tant que membres actifs de ces associations, les auteurs disent avoir été directement lésés par les mesures prises par l’État partie à l’égard de NTN24, qui ont porté atteinte aux droits qui leur sont reconnus par le Pacte. Le Comité note également que, selon les auteurs, le rôle d’observateurs publics qu’ils jouent en qualité de membres de ces associations a été mis à mal par les mesures prises à l’égard de NTN24, puisqu’en privant les auteurs d’accès à l’information communiquée par ce média, on les a empêchés d’exercer pleinement leur rôle, en violation des droits qui leur sont reconnus en tant que membres de la société civile, eu égard en particulier à la dimension sociale du droit à la liberté d’expression.

6.3Le Comité note en outre que, selon les auteurs, le contexte dans lequel sont survenus les faits qui font l’objet de la communication était marqué par un recul progressif de la liberté d’expression dans l’État partie, dû à différents facteurs, notamment : aux discours officiels destinés à intimider les médias et les journalistes ; au contrôle politique exercé par les autorités sur les médias par l’intermédiaire de la Commission nationale des télécommunicationset par l’application de la loi sur la responsabilité sociale des prestataires de services radiotélévisés et des médias électroniques, qui aurait incité les médias à l’autocensure, les prescriptions de caractère général de cette loi pouvant donner lieu à des sanctions excessivement lourdes ; à l’application, par le Gouvernement, d’un ensemble de mesures, parmi lesquelles le blocage d’accès à des portails d’information et à des applications Internet, et l’interruption de la diffusion de stations de radio, qui ont constitué un black-out informationnel dans le contexte des manifestations de 2014, black-out qui visait à limiter l’accès aux informations critiques à l’égard du Gouvernement. Le Comité observe que, compte tenu des circonstances de l’espèce, les auteurs, en tant que membres d’associations de la société civile ayant pour mission d’exercer un contrôle sur les actions des autorités, en particulier pour ce qui a trait aux questions liées à la liberté d’expression, lesquelles sont au cœur de l’action menée par les associations en question, ont peut-être été privés d’accès à des informations qui auraient pu leur être utiles dans l’exercice de leurs fonctions par suite de l’interruption de la diffusion de NTN24 et du blocage de l’accès aux sites Internet de la chaîne.

6.4Le Comité renvoie à l’article 1er du Protocole facultatif et à l’article 99 (al. b)) de son règlement intérieur, qui reprend les dispositions de l’article 96 (par. b)) de l’ancien règlement, cité par l’État partie. Selon ces dispositions, le Comité doit vérifier que le particulier qui soumet une communication prétend, par des allégations suffisamment étayées, être victime d’une violation, par cet État partie, de l’un quelconque des droits énoncés dans le Pacte. À cet égard, le Comité rappelle sa jurisprudence, dont il ressort que quiconque se dit victime d’une violation d’un droit garanti par le Pacte doit démontrer soit que l’État partie a déjà, par action ou par omission, porté atteinte à l’exercice de son droit, soit qu’il est sur le point de le faire, en s’appuyant par exemple sur la législation en vigueur ou sur telle ou telle décision ou pratique judiciaire ou administrative. En outre, le Comité renvoie à sa jurisprudence, dont il ressort que le Protocole facultatif n’autorise pas les particuliers à contester la législation ou la pratique juridique d’un État partie dans l’abstrait, par voie d’actio popularis.

6.5Le Comité rappelle sa position concernant la presse et les médias, à savoir que les acteurs du secteur des médias ont le droit d’avoir accès aux informations relatives aux questions publiques, et que le public a le droit de connaître le fruit du travail de ces médias. Il rappelle que la création de forums de débat public et la formation d’opinions publiques ou individuelles sur des questions légitimes d’intérêt public ne se limitent pas aux médias ni aux journalistes professionnels ; ces activités peuvent aussi être menées, par exemple, par des associations publiques ou des particuliers. Le Comité observe qu’en l’espèce, les auteurs sont membres d’associations de la société civile qui ont pour mission de surveiller le comportement des autorités, en particulier pour ce qui est de la liberté d’expression ; on peut donc considérer qu’ils jouent un rôle particulier d’observateurs des questions d’intérêt public. Par conséquent, et étant donné que l’État partie n’explique pas les raisons pour lesquelles les auteurs ne seraient pas fondés à soumettre la communication, le Comité estime que rien ne fait obstacle à la recevabilité de la communication au regard de l’article 1er du Protocole facultatif.

6.6Le Comité note que, selon les auteurs, la seule voie de recours adéquate et utile qui leur était ouverte était un recours en protection d’intérêts diffus assorti d’une demande de mesure d’amparo conservatoire avec suspension d’effets introduit devant la Chambre constitutionnelle du Tribunal suprême de justice, compte tenu de la qualité de victimes des auteurs en tant que membres de la société civile qui jouent un rôle clef au sein d’organisations ayant pour mission de défendre le droit à la liberté d’expression. Le Comité note également que, d’après l’État partie, les auteurs auraient dû se prévaloir du recours en amparo, consacré par la Constitution, qui leur était accessible, puisque toute personne qui a été victime d’une violation de ses droits ou qui risque de l’être peut introduire ce recours, qui a pour finalité le rétablissement des droits et garanties constitutionnels, et constitue donc un recours adéquat et utile.

6.7Le Comité prend note de l’article 27 de la Constitution, qui dispose que toute personne a le droit d’être protégée par les tribunaux dans la jouissance et l’exercice des droits et garanties constitutionnels. De même, il note que, selon cette disposition, la procédure d’amparo constitutionnel est orale, publique, brève et gratuite, et n’est soumise à aucune formalité, et que l’autorité judiciaire compétente est habilitée à rétablir immédiatement, dans toute la mesure possible, la situation juridique qui était celle des intéressés préalablement aux violations en cause. Le Comité note en outre que le recours en amparo peut être introduit à tout moment, qu’il est traité en priorité par le tribunal quelles que soient les autres affaires dont celui-ci est saisi, et que l’accès à ce recours ne saurait en aucun cas être restreint, même en situation d’état d’urgence ou en cas de restriction des garanties constitutionnelles. Le Comité observe qu’aucun des auteurs n’a introduit de recours en amparo, que ce soit à titre personnel ou en qualité de membre de la société civile exerçant des fonctions particulières d’observateur des questions d’intérêt public − étant précisé que c’est en cette qualité que les auteurs ont soumis la communication − et ce, alors même que le recours en question, selon la disposition constitutionnelle précitée, était ouvert à toute personne se disant victime d’une violation de ses droits constitutionnels, y compris le droit à la liberté d’expression et le droit de participer aux affaires publiques. En outre, le Comité observe que les auteurs n’ont pas commenté l’argument de l’État partie selon lequel le recours en amparo était adéquat et utile en l’espèce. Il considère qu’en l’absence d’explication de la part des auteurs et compte tenu des arguments de l’État partie et de la disposition constitutionnelle citée ci-dessus, le recours en amparo était adéquat et utile s’agissant des faits dont il est question dans la communication. Par conséquent, le Comité conclut que les auteurs n’ont pas épuisé les recours internes s’agissant des allégations de violation de l’article 2 (par. 1 et 2), de l’article 2 (par. 3), lu conjointement avec l’article 14, et des articles 19 et 25 du Pacte.

7.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et aux auteurs de la communication.