Nations Unies

CCPR/C/133/D/3258/2018

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

28 janvier 2022

Français

Original : anglais

Comité des droits de l ’ homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 3258/2018 * , ** , ***

Communication soumise par :

Tierri Amedzro (représenté par des conseils, Shane H. Brady et Haykaz Zoryan)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteur

État partie :

Tadjikistan

Date de la communication:

17 octobre 2018 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise en application de l’article 92 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 23 octobre 2018 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

15 octobre 2021

Objet :

Détention illégale ; condamnation à une amende et expulsion de l’État partie d’un ressortissant étranger, Témoin de Jéhovah, pour avoir participé à un rassemblement religieux

Questions de procédure :

Néant

Questions de fond :

Arrestation et détention arbitraires ; non‑refoulement ; liberté de circulation ; liberté de religion ; discrimination

Article(s) du Pacte :

9, 12, 13, 18, 26 et 27

Article(s) du Protocole facultatif:

5 (par. 2 b))

1.1L’auteur de la communication est Tierri Amedzro, de nationalité russe, né en 1988. Le 16 octobre 2018, le tribunal de district de Firdavsi à Douchanbé a ordonné son expulsion du Tadjikistan vers la Fédération de Russie. L’auteur affirme que le Tadjikistan a violé les droits qu’il tient des articles 9 (par. 1), 13, lu seul et conjointement avec l’article 12, 18 (par. 1 et 3), 26 et 27 du Pacte, en l’arrêtant, en le plaçant en détention, en le condamnant administrativement, en lui imposant une amende et en l’expulsant. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 4 avril 1999. L’auteur est représenté par des conseils.

1.2Le 23 octobre 2018, en application de l’article 94 de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire de ses rapporteurs spéciaux chargés des nouvelles communications et des mesures provisoires, a demandé à l’État partie de ne pas expulser l’auteur vers la Fédération de Russie tant que sa communication serait à l’examen.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur est un ressortissant russe, Témoin de Jéhovah pratiquant. Il vit au Tadjikistan avec un permis de séjour valide depuis juillet 2017, à Douchanbé.

2.2L’auteur explique que, le 11 octobre 2007, le Ministère de la culture du Tadjikistan (auquel a succédé le Comité chargé des affaires religieuses) a mis fin unilatéralement aux activités de l’entité juridique que constituaient les Témoins de Jéhovah au Tadjikistan, au motif que ceux-ci violaient la législation nationale en diffusant publiquement des textes religieux auprès des personnes intéressées. Il ajoute que les Témoins de Jéhovah sont de ce fait contraints de se réunir en secret dans des maisons privées pour pratiquer leur foi.

2.3Le 4 octobre 2018 au soir, l’auteur et 17 autres Témoins de Jéhovah étaient réunis pacifiquement pour le culte au domicile de R. N. D., à Douchanbé. Peu après le début du service religieux, un groupe d’agents du Comité d’État à la sécurité nationale du Tadjikistan a frappé violemment à la porte de l’appartement et exigé d’y entrer. R. N. D. a refusé d’ouvrir. L’auteur affirme que les agents ont continué de marteler la porte jusqu’au lendemain matin, le 5 octobre 2018, lorsque lui-même et les autres Témoins de Jéhovah, n’ayant pas d’autre choix, ont essayé de quitter l’appartement peu après 8 heures. Les agents du Comité d’État à la sécurité nationale ont arrêté 10 d’entre eux, dont l’auteur, et les ont emmenés pour les interroger le jour même au siège de l’institution.

2.4L’auteur dit que pendant son interrogatoire, les agents du Comité d’État à la sécurité nationale l’ont menacé. Il affirme que les agents lui ont dit que, comme son activité religieuse était interdite, ils allaient engager une procédure judiciaire contre lui et l’expulser vers la Fédération de Russie, où le Service fédéral de sécurité l’inculperait pour extrémisme religieux. Il informe le Comité des droits de l’homme que les agents du Comité d’État à la sécurité nationale travaillaient manifestement en collaboration avec la police des migrations. Après l’interrogatoire, les agents du Comité d’État ont insisté pour fouiller le domicile où, d’après sa carte de résidence, l’auteur était enregistré, pour confirmer que celui-ci y vivait effectivement. La perquisition a eu lieu cet après-midi-là en présence du colocataire de l’auteur. L’auteur a ensuite été libéré, tard le même jour, mais les agents du Comité d’État ont conservé son passeport et dit à ses avocats qu’il serait convoqué pour un nouvel interrogatoire dans les jours suivants.

2.5Le 9 octobre 2018, le chef de la Direction du Comité d’État à la sécurité nationale pour la ville de Douchanbé a écrit au chef de la Direction du service des migrations du Ministère du travail, des migrations et de l’emploi du Tadjikistan pour la ville de Douchanbé, exigeant que le service des migrations prenne des mesures contre l’auteur et fasse rapport à ses services.

2.6Le 15 octobre 2018, l’auteur a été convoqué à la police des migrations et accusé d’avoir commis une infraction visée à l’article 499 (par. 1) du Code des infractions administratives en violant les règles de résidence applicables aux ressortissants étrangers. La police des migrations a affirmé qu’il « résidait temporairement » au domicile de R. N. D. lorsque la police a envahi le domicile de celle-ci les 4 et 5 octobre 2018 et qu’il ne se trouvait pas à son lieu de résidence officiel. Aucun élément de preuve n’a été produit à l’appui de cette allégation. L’auteur soutient que cette allégation était manifestement un prétexte, puisque, dans la lettre qu’il a adressée le 9 octobre 2018 aux services des migrations, le Comité d’État à la sécurité nationale l’accusait uniquement d’activité religieuse soi-disant illégale et non de violation des règles de résidence applicables aux ressortissants étrangers. En outre, le Comité d’État avait fouillé son domicile le jour même de son arrestation (le 5 octobre 2018) et était manifestement convaincu qu’il vivait effectivement à l’adresse indiquée sur son permis de séjour.

2.7Le 16 octobre 2018, l’auteur a été traduit devant le tribunal de district de Firdavsi à Douchanbé. À l’issue de l’audience, le juge a déclaré l’auteur coupable d’une infraction visée à l’article 499 (par. 1) du Code des infractions administratives, l’a condamné à payer une amende équivalant à 80 fois le montant de l’indice mensuel de calcul (4 000 somoni) et a ordonné son expulsion vers la Fédération de Russie. L’auteur affirme que son témoignage et ceux de la propriétaire de la maison, R. N. D., et de deux autres témoins − confirmant sa véritable adresse − ont été sommairement rejetés par le tribunal parce que les intéressés étaient des Témoins de Jéhovah.

2.8Le 17 octobre 2018, l’auteur a fait appel de la décision du tribunal de district de Firdavsi devant le tribunal municipal de Douchanbé. Ce recours a été rejeté le 24 octobre 2018.

2.9Le 30 octobre 2018, l’auteur a été expulsé du Tadjikistan mais a pu choisir d’être expulsé vers le Kazakhstan plutôt que vers la Fédération de Russie. L’auteur fait observer à cet égard que les autorités semblent s’être conformées en partie à la lettre du Comité dans laquelle celui-ci demandait l’application de mesures provisoires (à savoir s’abstenir d’expulser l’auteur « vers la Fédération de Russie ») mais n’ont pas respecté l’esprit de ces mesures provisoires, à savoir ne pas l’expulser du tout.

2.10Le 27 mars 2019, l’auteur a saisi le présidium du tribunal municipal de Douchanbé d’une demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle, recours discrétionnaire prévu par le droit interne. Ce recours a été rejeté le 10 avril 2019.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient des articles 9 (par. 1), 13, lu seul et conjointement avec l’article 12, 18 (par. 1 et 3), 26 et 27 du Pacte en l’arrêtant, en le plaçant en détention, en le déclarant coupable, en le condamnant à une amende et en l’expulsant. Il soutient à cet égard que la police n’a fourni aucun élément de preuve pour justifier son arrestation, qui était arbitraire et juridiquement non nécessaire, et que sa détention était illégale et discriminatoire en ce qu’il avait été visé parce qu’il était un ressortissant étranger et un Témoin de Jéhovah, en violation de l’article 9 du Pacte.

3.2L’auteur affirme également que le Comité d’État à la sécurité nationale a ordonné qu’il soit poursuivi parce qu’il était « un prédicateur (défenseur) de l’organisation religieuse internationale des Témoins de Jéhovah et qu’il était venu à Douchanbé pour impliquer des citoyens de la République du Tadjikistan dans cette organisation », en violation du droit de pratiquer sa foi et de se réunir avec ses coreligionnaires, que lui garantit l’article 18 du Pacte. Il soutient en outre que les interventions de l’État partie étaient motivées uniquement par son objectif discriminatoire, à savoir empêcher les Témoins de Jéhovah de pratiquer leur religion, en violation des articles 26 et 27 du Pacte.

3.3L’auteur affirme en outre avoir été expulsé de l’État partie sous le prétexte qu’il avait passé une nuit au domicile de R. N. D., avec 17 de ses coreligionnaires, alors que rien en droit interne ne l’interdit, et que si une telle interdiction existait, elle serait contraire à l’essence même du droit à la liberté de circulation, en violation de l’article 13 du Pacte, lu seul et conjointement avec l’article 12.

3.4L’auteur prie le Comité d’engager l’État partie : a) à supprimer toutes les restrictions, y compris celles qui figurent dans les lois, règlements ou décrets de l’État, au droit de s’associer librement à des fins religieuses ou autres ; b) à lui restituer les 4 000 somoni qu’il a été condamné à payer en application de l’article 499 (par. 1) du Code des infractions administratives ; c) à lui accorder une réparation en espèces pour le préjudice moral subi du fait de sa détention, de son arrestation, de sa condamnation et de son expulsion ; d) à lever toute sanction administrative ou judiciaire prononcée contre lui qui empêcherait sa libre entrée au Tadjikistan ; e) à lui accorder une réparation en espèces adéquate pour les dépens et autres frais de justice encourus dans le cadre des procédures internes et de la procédure devant le Comité.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une note verbale du 2 août 2019, l’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité et sur le fond. Il indique que la charte de la communauté religieuse des Témoins de Jéhovah a été enregistrée par le Comité chargé des affaires religieuses du Gouvernement du Tadjikistan le 15 janvier 1997 sous le numéro 13. Par la suite, cette communauté religieuse a, par ses activités, systématiquement enfreint les prescriptions de la législation tadjike en vigueur. En conséquence, le Comité chargé des affaires religieuses a ordonné à la communauté religieuse de remédier à ces violations, ce qui, malheureusement, n’a pas été fait.

4.2Le Comité chargé des affaires religieuses a envoyé le 17 octobre 2000 une lettre officielle portant le numéro 271, dans laquelle il demandait la révision du point 2.2 de la charte de la communauté, qui était contraire à la législation du Tadjikistan. La communauté religieuse n’a pas réagi à cet avertissement et a poursuivi ses activités illégales. Par conséquent, le Comité chargé des affaires religieuses a rendu le 11 septembre 2002 la décision no 90, dans laquelle il a suspendu pour trois mois les activités de la communauté religieuse au motif que celle-ci avait eu recours à la propagande dans des lieux publics et au domicile de citoyens.

4.3L’État partie affirme que les membres de la communauté ont poursuivi leurs activités illégales et ont distribué dans des lieux publics, dans des domiciles privés et dans la rue des brochures, textes et dépliants qui incitent au fanatisme et à l’extrémisme. Selon l’État partie, les textes, brochures et cassettes audio et vidéo distribués par l’organisation religieuse des Témoins de Jéhovah encouragent tous au fanatisme et à l’extrémisme et ont une influence psychologique négative sur les jeunes. L’activité illégale de la communauté religieuse des Témoins de Jéhovah, qui consiste à faire la propagande de ses enseignements et de ses opinions et à distribuer ses textes dans les lieux publics et les immeubles résidentiels, dérangeait les gens, et de nombreux citoyens du Tadjikistan ont de ce fait déposé des plaintes contre les membres de cette communauté auprès des forces de l’ordre et de l’organisme compétent pour les affaires religieuses.

4.4Toutes ces circonstances ont entraîné l’imposition d’une suspension de trois mois, puis la mise à l’arrêt des activités de la communauté, conformément à la requête no 913/3‑05 du Procureur général du Tadjikistan, datée du 27 juillet 2007, et à la décision no 11/3 du Ministère tadjik de la culture, datée du 11 octobre 2007, sur le fondement de l’article 16 (par. 2) de la loi sur la religion et les organisations religieuses du Tadjikistan. La charte de la communauté religieuse des Témoins de Jéhovah, enregistrée sous le numéro 13 le 15 janvier 1997 par le Comité chargé des affaires religieuses, a été révoquée.

4.5Des membres de la communauté religieuse des Témoins de Jéhovah ont saisi différentes juridictions mais les organes judiciaires concernés les ont déboutés. Lors de l’examen de telles demandes au civil, les tribunaux ont conclu à l’absence de violation des droits civils et politiques des intéressés. La question a été examinée au regard de la législation du Tadjikistan. Les procédures judiciaires civiles concernant la communauté religieuse des Témoins de Jéhovah se sont déroulées lors d’audiences publiques dans le respect des principes du contradictoire et de l’égalité des moyens ; les décisions de ces tribunaux à tous les niveaux sont devenues exécutoires.

4.6En application de l’article 42 de la Constitution du Tadjikistan, le Gouvernement et tous les citoyens de l’État partie doivent respecter et appliquer la Constitution et les lois et se conformer aux décisions de justice rendues légalement.

4.7L’État partie fait observer que les arguments présentés dans la plainte de l’auteur sont sans fondement et ne correspondent pas aux éléments factuels de l’affaire. En particulier, selon le Comité d’État à la sécurité nationale, l’auteur n’a pas été arrêté et sa maison n’a pas été perquisitionnée, contrairement à ce qui est indiqué dans la plainte. Au moment des faits, l’auteur se trouvait dans l’appartement de R. N. D., une autre Témoin de Jéhovah.

4.8L’État partie fait en outre observer que l’auteur a été expulsé du pays par décision de justice parce qu’il avait enfreint les prescriptions de l’article 499 du Code des infractions administratives, et que cette décision de procédure n’est en rien liée à l’attitude de l’intéressé à l’égard de l’organisation religieuse internationale des Témoins de Jéhovah. Malgré toutes les tentatives de l’auteur visant à contester la légalité de son expulsion, la décision du tribunal a été confirmée.

4.9L’État partie affirme que les activités de l’organisation des Témoins de Jéhovah sont interdites dans de nombreux pays − 30 pays, précisément − en particulier en Chine, en Égypte, en Fédération de Russie, dans la République démocratique populaire lao, à Singapour et au Viet Nam. Parmi les pays dans lesquels les activités de cette secte sont interdites figurent non seulement ceux qui professent l’islam, mais aussi des pays qui comptent des bouddhistes, des chrétiens et des fidèles d’autres confessions. Les membres de la communauté religieuse des Témoins de Jéhovah considèrent généralement les musulmans comme leurs adversaires idéologiques. À cet égard, leur prédication conduit effectivement à l’incitation à la haine et à l’inimitié religieuses. L’analyse de cette organisation religieuse montre que les frictions entre les musulmans et les Témoins de Jéhovah ne sont pas nouvelles, ces derniers prêchant activement, en contestant la véracité et la justesse du Coran. Les Témoins de Jéhovah affirment dans leurs textes que l’islam a été la cause de guerres et d’un grand nombre de morts et de destructions, et ils évoquent, entre autres, la polygamie et les mariages temporaires pour arguer de l’immoralité de cette religion. Compte tenu de tous les faits présentés ci-dessus, il est manifeste que les activités des Témoins de Jéhovah sont dirigées contre toutes les religions du monde et sont donc extrêmement dangereuses.

4.10En outre, l’État partie soutient que les textes de propagande des Témoins de Jéhovah sont dangereux dans la mesure où ils influencent les personnes sur le plan conscient et sur le plan inconscient, et constituent ainsi un lavage de cerveau. Les membres de cette secte se font passer pour des chrétiens orthodoxes : ce fut par exemple le cas en 2018 dans la ville de Panjakent, lorsque des Témoins de Jéhovah se sont présentés comme des chrétiens « orthodoxes » et ont organisé des manifestations contre la construction d’une chapelle orthodoxe dans un cimetière russe. La secte des Témoins de Jéhovah existe depuis 1870 et, dès le début, ses membres se sont comportés comme ceux d’une secte extrémiste, détruisant les relations familiales et s’opposant aux pouvoirs publics.

4.11Conformément à l’article 8 (par. 5) de la Constitution du Tadjikistan, le Ministère tadjik de l’intérieur estime que, pour prévenir l’incitation à la haine ou à l’inimitié et le traitement dégradant d’une personne ou d’un groupe de personnes en raison de leur race, de leur religion et de leur appartenance à un groupe social, quel qu’il soit, il est jugé souhaitable de reconnaître la communauté religieuse des Témoins de Jéhovah comme une organisation extrémiste au Tadjikistan.

4.12L’État partie fait observer que le Comité peut uniquement accepter d’examiner une communication après épuisement de tous les recours internes. Il affirme que, conformément aux articles 183 et 184 du Code des infractions administratives du Tadjikistan, l’auteur avait le droit de saisir la Cour suprême du Tadjikistan d’une demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle. L’auteur ne s’est pas prévalu de ce droit et n’a donc pas épuisé tous les recours internes nécessaires. Compte tenu de ce qui précède, l’État partie conclut que la communication a été présentée prématurément au Comité.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Dans une note du 17 octobre 2019, l’auteur soumet ses commentaires sur les observations de l’État partie et apporte des précisions factuelles concernant l’allégation de l’État partie selon laquelle il n’a pas été arrêté et sa maison n’a pas été perquisitionnée, contrairement à ce qui est indiqué dans sa communication, et selon laquelle il se trouvait au moment des faits dans l’appartement d’une autre Témoin de Jéhovah, R. N. D.

5.2L’auteur soutient que le soir du 4 octobre 2018, lui et 18 de ses coreligionnaires étaient réunis au domicile de R. N. D. Des agents du Comité d’État à la sécurité nationale sont arrivés et ont martelé la porte, exigeant d’entrer. Le groupe des Témoins de Jéhovah a décidé de rester à l’intérieur dans l’espoir que les agents s’en iraient. Le lendemain matin à 8 heures, le 5 octobre 2018, alors qu’ils essayaient de quitter l’habitation, l’auteur et neuf de ses coreligionnaires ont été arrêtés par les agents du Comité d’État et emmenés au siège de celui‑ci à Douchanbé pour y être interrogés, ce qui, selon la jurisprudence du Comité, équivaut à une arrestation au sens de l’article 9 (par. 1) du Pacte. Il est donc évident que l’auteur a été arrêté par le Comité d’État à la sécurité nationale dans la matinée du 5 octobre 2018 et qu’il est resté sous la garde du Comité d’État jusque tard dans la journée. L’État partie a raison de faire remarquer que l’appartement de l’auteur n’a pas été perquisitionné par le Comité d’État à la sécurité nationale ; il a en fait été fouillé par la police dans l’après-midi du 5 octobre 2018.

5.3L’auteur conteste en outre les affirmations de l’État partie selon lesquelles « les textes, brochures et cassettes audio et vidéo distribués par l’organisation religieuse des Témoins de Jéhovah encouragent tous au fanatisme et à l’extrémisme et ont une influence psychologique négative sur les jeunes », les Témoins de Jéhovah « considèrent généralement les musulmans comme leurs adversaires idéologiques » et les activités des Témoins de Jéhovah sont interdites dans certains pays, « en particulier en Chine, en Égypte, en Fédération de Russie, dans la République démocratique populaire lao, à Singapour et au Viet Nam ». Selon l’auteur, les deux premières allégations sont fausses et discriminatoires, et la troisième est trompeuse. En outre, aucune des trois n’est pertinente pour son cas.

5.4Premièrement, les Témoins de Jéhovah ne considèrent pas ni musulmans, ni les adeptes de toute autre religion, comme leurs « adversaires idéologiques ». Sur leur site officiel, www.jw.org, on peut lire ce qui suit : « La Bible recommande la tolérance. Elle conseille de respecte[r] tous les êtres humains, quelles que soient leurs opinions religieuses (1 Pierre 2:17, Bible en français courant). Et c’est ce que nous faisons. ».

5.5Deuxièmement, les textes religieux des Témoins de Jéhovah sont fondés sur la Bible et sont distribués à des millions d’exemplaires et dans des centaines de langues dans le monde entier. Chacun peut les lire gratuitement sur le site officiel des Témoins de Jéhovah. Ces textes religieux encouragent les lecteurs à être des citoyens modèles. La Bible, les publications religieuses des Témoins de Jéhovah et leurs services religieux sont entièrement pacifiques et ne comportent aucun appel à la violence, aucune incitation à la haine religieuse ou déclaration constituant une attaque gratuite.

5.6Troisièmement, l’auteur fait observer que l’activité religieuse des Témoins de Jéhovah est effectivement limitée dans plusieurs pays, mais que cela est dû à l’intolérance et à la persécution des pouvoirs publics. De plus, les Témoins de Jéhovah sont reconnus légalement dans la plupart des pays démocratiques, y compris dans des pays à majorité musulmane comme l’Azerbaïdjan, le Kazakhstan, le Kirghizistan et la Turquie. Leur activité religieuse pacifique est respectueuse des droits de l’homme fondamentaux, comme l’ont confirmé à plusieurs reprises différents organes régionaux et internationaux chargés des droits de l’homme.

5.7L’auteur conclut que la situation des Témoins de Jéhovah dans d’autres pays ne peut en aucun cas justifier la violation par le Tadjikistan des droits qui lui sont reconnus par le Pacte. Bien au contraire, la jurisprudence des organes régionaux et internationaux chargés des droits de l’homme confirme que l’activité religieuse de cette minorité religieuse pacifique est protégée par les droits de l’homme.

5.8En ce qui concerne la recevabilité et le fond de la communication, l’État partie se borne à affirmer que l’auteur aurait dû saisir le présidium de la Cour suprême du Tadjikistan d’une demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle, en vertu des articles 183 et 184 du Code des infractions administratives. À cet égard toutefois, l’auteur renvoie aux conclusions du Comité, qui « considère que le dépôt auprès [...] d’un tribunal d’une demande au titre de la procédure de contrôle visant des décisions judiciaires devenues exécutoires, dont l’issue dépend du pouvoir discrétionnaire d’un juge, constitue un recours extraordinaire et que l’État partie doit montrer qu’il y a des chances raisonnables qu’une telle demande assurerait un recours utile dans les circonstances de l’espèce ». L’auteur affirme que l’État partie n’a pas prouvé que le dépôt d’une demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle devant la Cour suprême du Tadjikistan offrait au requérant une chance raisonnable de succès. Ainsi, les objections de l’État partie à la recevabilité de la communication doivent être rejetées.

5.9S’agissant du fond de la communication, l’auteur réaffirme les arguments présentés dans sa lettre initiale et s’appuie sur ceux-ci.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité note que l’État partie a contesté la recevabilité de la communication au motif que l’auteur n’avait pas épuisé les recours internes, comme l’exige l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif, puisqu’il n’avait pas saisi le présidium de la Cour suprême du Tadjikistan d’une demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle en vertu des articles 183 et 184 du Code des infractions administratives. Toutefois, le Comité note que l’auteur a saisi le 27 mars 2019 le présidium du tribunal municipal de Douchanbé d’une demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle, demande dont il a été débouté le 10 avril 2019. Le Comité rappelle également sa jurisprudence, selon laquelle les demandes de contrôle de décisions judiciaires devenues exécutoires adressées à un tribunal et subordonnées au pouvoir discrétionnaire du juge constituent un recours extraordinaire et l’État partie doit montrer qu’il existe des chances raisonnables que ces demandes constituent un recours utile dans les circonstances de l’espèce. En l’espèce, le Comité note que l’État partie n’a pas démontré, en particulier, que les demandes adressées au Président de la Cour suprême au titre de la procédure de contrôle étaient accueillies dans des affaires d’expulsion de Témoins de Jéhovah ou de membres d’autres minorités religieuses et n’a pas indiqué, le cas échéant, dans combien d’affaires ces demandes avaient abouti. De ce fait, le Comité considère que ce recours était inefficace en ce qu’il n’offrait aucune chance de succès et que les dispositions de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif ne font pas obstacle à l’examen de la communication.

6.4Le Comité considère que l’auteur a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, ses griefs relatifs à son arrestation, sa détention, sa condamnation et son expulsion en raison de ses convictions religieuses, eu égard aux articles 9 (par. 1), 13, lu conjointement avec l’article 12, 18 (par. 1 et 3), 26 et 27 du Pacte. Il déclare donc la communication recevable et passe à son examen au fond.

Examen au fond

7.1Conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2Le Comité examinera en premier lieu les griefs que l’auteur soulève au titre de l’article 9 du Pacte, à savoir que, le 5 octobre 2018, à partir de 8 heures, alors qu’il tentait de quitter le domicile de R. N. D., il a été arrêté avec d’autres Témoins de Jéhovah par des agents du Comité d’État à la sécurité nationale, conduit à leur siège pour être interrogé, et maintenu en détention à cet endroit jusque tard dans la journée, que son domicile a été fouillé en son absence et qu’il a été menacé de poursuites judiciaires et d’expulsion vers la Fédération de Russie qui serait assortie d’une demande que le Service fédéral de sécurité de la Fédération de Russie engage des poursuites pénales contre lui pour « extrémisme » religieux. Le Comité note que bien que l’État partie affirme que l’auteur n’a pas été arrêté et placé en détention, le tribunal de district de Firdavsi a établi que l’auteur avait été arrêté pour avoir enfreint les règles de résidence applicables aux ressortissants étrangers.

7.3Le Comité rappelle son observation générale no 35 (2014) sur la liberté et la sécurité de la personne, dans laquelle il fait référence à l’interdiction de toute privation arbitraire ou illégale de liberté, c’est-à-dire de toute privation de liberté qui n’est pas imposée pour les motifs et selon la procédure prévus par la loi. Il rappelle que la liberté de la personne vise le non-enfermement physique. Des exemples de privation de liberté sont la garde à vue, la détention provisoire, l’incarcération après une condamnation, l’assignation à résidence, l’internement administratif et le maintien dans une zone circonscrite d’un aéroport, ainsi que le transfert d’une personne contre son gré. L’adjectif « arbitraire » doit être interprété de manière à intégrer le caractère inapproprié, l’injustice, le manque de prévisibilité et le non‑respect des garanties judiciaires. Il y a arbitraire si l’arrestation ou la détention vise à sanctionner quelqu’un pour l’exercice légitime des droits protégés par le Pacte, comme le droit à la liberté d’opinion et d’expression (art. 19) et la liberté de religion (art. 18). Le Comité rappelle également que le terme « arrestation » désigne l’interpellation d’une personne qui constitue le début de la privation de liberté et le terme « détention » désigne la privation de liberté qui commence avec l’arrestation et dure de l’interpellation à la remise en liberté. Il peut y avoir arrestation au sens de l’article 9 sans que l’intéressé soit officiellement arrêté selon la législation nationale. Il y a arbitraire si l’arrestation ou la détention vise à sanctionner quelqu’un pour l’exercice légitime des droits protégés par le Pacte, comme le droit à la liberté d’opinion et d’expression (art. 19), la liberté de réunion (art. 21), la liberté d’association (art. 22), la liberté de religion (art. 18) et le droit au respect de la vie privée (art. 17). Une arrestation ou une détention fondée sur des motifs discriminatoires, en violation des articles 2 (par. 1), 3 ou 26, est elle aussi en principe arbitraire.

7.4En l’espèce, le Comité note que, selon les informations communiquées par les parties, la détention de l’auteur a commencé lorsqu’il quittait le domicile de R. N. D. en compagnie d’autres personnes, s’est poursuivie au siège du Comité d’État à la sécurité nationale et s’est terminée tard dans la même journée après que la police a terminé sa perquisition dans l’appartement de l’auteur. Il rappelle qu’une arrestation, pour être conforme à l’article 9 (par. 1), doit être non seulement légale, mais également raisonnable et nécessaire en toutes circonstances. Il considère que l’État partie n’a pas montré pourquoi il était nécessaire de placer l’auteur en détention. Compte tenu des circonstances décrites, le Comité conclut que l’État partie a violé les droits garantis à l’auteur par l’article 9 (par. 1) du Pacte.

7.5En ce qui concerne le grief que l’auteur soulève au titre de l’article 18 (par. 1 et 3) du Pacte, le Comité renvoie à son observation générale no 22 (1993) sur le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion, et rappelle ainsi que l’article 18 n’autorise aucune restriction quelle qu’elle soit à la liberté de pensée et de conscience ou à la liberté d’avoir ou d’adopter la religion ou la conviction de son choix (par. 3). En revanche, le droit à la liberté de manifester sa religion ou ses convictions peut faire l’objet de restrictions, mais seulement celles qui sont prévues par la loi et qui sont nécessaires à la protection de la sécurité, de l’ordre et de la santé publics, ou de la morale ou des libertés et droits fondamentaux d’autrui. De plus, le droit à la liberté de manifester sa conviction par le culte, l’accomplissement des rites, les pratiques et l’enseignement englobe des actes très variés, notamment les actes indispensables aux groupes religieux pour mener leurs activités essentielles, tels que la liberté de choisir leurs responsables religieux, leurs prêtres et leurs enseignants, et la liberté de fonder des séminaires ou des écoles religieuses.

7.6Le Comité doit maintenant se pencher sur la question de savoir si les restrictions au droit de l’auteur de manifester sa religion sont « nécessaires à la protection de la sécurité, de l’ordre et de la santé publique, ou de la morale ou des libertés et droits fondamentaux d’autrui » au sens de l’article 18 (par. 3) du Pacte. Le Comité rappelle que l’article 18 (par. 3) doit être interprété au sens strict, et que les restrictions ne doivent être appliquées qu’aux fins pour lesquelles elles ont été prescrites et doivent être en rapport direct avec l’objectif spécifique qui les inspire et proportionnelles à celui-ci. Il rappelle aussi qu’en interprétant la portée des clauses relatives aux restrictions autorisées, les États parties devraient s’inspirer de la nécessité de protéger les droits garantis en vertu du Pacte, y compris le droit à l’égalité et le droit de ne faire l’objet d’aucune discrimination fondée sur les motifs spécifiés aux articles 2, 3 et 26.

7.7En l’espèce, le Comité note que l’auteur aurait été inculpé, reconnu coupable, condamné à une amende et expulsé pour avoir enfreint les règles de résidence applicables aux ressortissants étrangers (art. 499 (par. 1) du Code des infractions administratives). Cependant, il est indiqué dans la lettre que le Directeur du Comité d’État à la sécurité nationale a adressée à la Direction du service des migrations que l’auteur, « un prédicateur (défenseur) de l’organisation religieuse internationale des “Témoins de Jéhovah” », est venu à Douchanbé pour « impliquer des citoyens de la République du Tadjikistan dans cette organisation » et qu’il a été placé en détention et a vu ses documents contrôlés pendant l’instruction religieuse de 21 personnes ; il est également indiqué dans cette lettre que l’activité de l’organisation religieuse internationale a été suspendue. Conformément à son observation générale no 22 (1993), le Comité considère que les activités susmentionnées font partie du droit de l’auteur de manifester ses convictions et que le fait que ce dernier ait été déclaré coupable et condamné à une amende a restreint ce droit.

7.8Le Comité note que l’État partie a cherché à justifier la violation des droits en affirmant que l’auteur avait enfreint les règles de résidence applicables aux ressortissants étrangers et que la décision de l’expulser n’était en rien liée à l’attitude de l’intéressé à l’égard de l’organisation religieuse internationale des Témoins de Jéhovah. L’élément de preuve sur lequel l’État partie s’est fondé est que l’auteur avait passé la nuit du 4 octobre 2018 au domicile de R. N. D., avec d’autres Témoins de Jéhovah, et avait donc résidé temporairement à cet endroit. Toutefois, le Comité prend note des arguments de l’auteur selon lesquels les tribunaux n’ont pas tenu compte du fait qu’il avait agi ainsi parce que le Comité d’État à la sécurité nationale attendait à l’extérieur pour arrêter les personnes qui s’étaient rassemblées pacifiquement à l’intérieur pour le culte, et la législation nationale n’interdit pas aux étrangers de passer la nuit dans un logement autre que leur lieu de résidence enregistré et, par conséquent, l’ingérence n’était pas prévue par la loi.

7.9Le Comité rappelle que l’article 18 (par. 1) du Pacte protège le droit de tous les membres d’une congrégation religieuse de manifester leur religion en commun, par le culte, l’accomplissement des rites, les pratiques et l’enseignement. Il conclut que la peine infligée à l’auteur, et notamment ses lourdes conséquences pour l’intéressé, qui a été expulsé de l’État partie, constitue une restriction du droit de l’auteur de manifester sa religion que lui garantit l’article 18 (par. 1) du Pacte, et que cette restriction, bien que prévue par la loi, n’était ni proportionnée ni justifiée. De plus, le Comité observe que l’État partie n’a pas démontré que cette restriction servirait un quelconque objectif légitime visé à l’article 18 (par. 3), ni que cette restriction générale du droit de manifester sa religion était proportionnée à un objectif légitime, quel qu’il soit. Le Comité conclut donc que la restriction ne répond pas aux critères énoncés à l’article 18 (par. 3) du Pacte et que les droits que l’auteur tient de l’article 18 (par. 1) ont été violés.

7.10Ayant conclu à la violation de l’article 18 du Pacte, le Comité décide de ne pas examiner séparément les griefs que l’auteur soulève au titre de l’article 13, lu seul et conjointement avec l’article 12, et des articles 26 et 27.

8.Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie des articles 9 (par. 1) et 18 du Pacte.

9.Conformément à l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile et une réparation effective. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, l’État partie a l’obligation, entre autres, de ne pas empêcher l’auteur de revenir dans l’État partie s’il le souhaite, de lui restituer l’amende qu’il a été condamné à payer en vertu de l’article 499 (par. 1) du Code des infractions administratives et de lui accorder une indemnisation adéquate pour le préjudice moral subi du fait de sa détention, de son arrestation, de sa condamnation et de son expulsion, ainsi qu’une indemnisation pour les dépens et autres frais de justice encourus dans le cadre des procédures internes et de la procédure devant le Comité. L’État partie est également tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour que des violations analogues ne se reproduisent pas.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile lorsque la réalité d’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles.

Annexe I

Opinion conjointe (partiellement dissidente) d’Imeru Tamerat Yigezu et de Gentian Zyberi

1.Nous sommes d’accord avec les constatations du Comité en l’espèce. Notre désaccord porte uniquement sur une partie des réparations, où le Comité est allé au-delà de ce qu’il peut suggérer comme réparation, en l’absence de constatation d’une violation du Pacte. Ainsi, au paragraphe 9, le Comité a indiqué que « l’État partie [avait] l’obligation, entre autres, de ne pas empêcher l’auteur de revenir dans l’État partie s’il le souhaite ». Cela ne correspond pas à la conclusion précédente du Comité qui, au paragraphe 8, a constaté que les faits dont il était saisi faisaient apparaître une violation par l’État partie des articles 9 (par. 1) et 18 du Pacte. Aucune violation de l’article 13 n’a été constatée en l’espèce.

2.Le paragraphe normal que le Comité consacre aux recours et réparations est habituellement libellé comme suit: « Conformément à l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile et une réparation effective. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. ». Cette formule signifie qu’une violation constatée et la réparation mentionnée par le Comité sont étroitement liées, puisque cette réparation est destinée à remédier à la violation.

3.Le Comité a abordé la question des recours et des réparations dans ses directives concernant les mesures de réparation. En 2005, l’Assemblée générale a donné d’importantes orientations dans le cadre des Principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à réparation des victimes de violations flagrantes du droit international des droits de l’homme et de violations graves du droit international humanitaire. Au paragraphe 15 de ce texte, l’Assemblée générale dispose ce qui suit : « Conformément à sa législation interne et à ses obligations juridiques internationales, l’État assure aux victimes la réparation des actes ou omissions qui peuvent lui être imputés et qui constituent des violations flagrantes du droit international des droits de l’homme ou des violations graves du droit international humanitaire. ». La forme de la réparation est étroitement liée à la violation par l’État des obligations que lui impose le droit international et vise à remédier de manière adéquate à une constatation de violation faite par le mécanisme de règlement saisi de la plainte.

4.Bien que l’auteur ait demandé, en guise de réparation, que l’État partie lève « toute sanction administrative ou judiciaire prononcée contre lui qui empêcherait sa libre entrée au Tadjikistan » (par. 3.4), le Comité a décidé de ne pas examiner séparément les griefs que l’auteur soulève au titre de l’article 13, lu seul et conjointement avec l’article 12 (par. 7.10).

5.Ainsi, ayant décidé de ne pas examiner le grief tiré de l’article 13, qui concerne le droit d’un étranger de résider légalement sur le territoire d’un État partie au Pacte, le Comité n’est pas en mesure de dire que l’État partie ne devrait pas empêcher l’auteur de revenir sur son territoire, si celui-ci le souhaite. Sans autres informations, l’on ne saurait considérer que ce droit de retourner librement sur le territoire d’un État partie relève de l’article 18 du Pacte.

Annexe II

Opinion individuelle (partiellement dissidente) de Vasilka Sancin

1.Je partage pleinement l’avis du Comité, à savoir que les droits que l’auteur tient des articles 9 (par. 1) et 18 du Pacte ont été violés. Mon désaccord partiel porte sur une partie précise du paragraphe relatif aux recours et réparations, à savoir la décision de la majorité d’indiquer au paragraphe 9 que « l’État partie a l’obligation, entre autres, de ne pas empêcher l’auteur de revenir dans l’État partie s’il le souhaite ».

2.Je ne suis pas d’accord avec cette partie du paragraphe sur les recours et réparations pour deux raisons. Premièrement, et à titre de remarque générale, je partage l’avis de MM. Zyberi et Yigezu (qui ont écrit séparément sur ce point), selon lequel la violation constatée et la réparation mentionnée par le Comité sont inextricablement liées, puisque cette réparation est destinée à remédier à la violation constatée. Deuxièmement, et c’est tout aussi important, je suis d’avis qu’il n’existe aucun droit général pour un étranger d’obtenir l’entrée dans un autre pays (dont il n’est pas ressortissant) − sans entrer dans les particularités de la situation d’un demandeur d’asile, dont il n’est pas question en l’espèce − et ce, indépendamment de toute constatation préalable d’une violation de l’un quelconque des droits énoncés dans le Pacte, et que, par conséquent, il n’existe aucune obligation pour un État partie de ne pas empêcher un étranger d’entrer sur son territoire puisque les décisions relatives à l’admission des étrangers sur le territoire d’un État demeurent une prérogative souveraine de cet État.

3.Ainsi, le Comité a certes décidé de ne pas examiner séparément les griefs que l’auteur soulève au titre de l’article 13 du Pacte, lu seul et conjointement avec l’article 12 (par. 7.10), mais je suis convaincue que, s’il avait constaté une violation de cette article, la réparation consistant à ramener un étranger sur le territoire de l’État partie (découlant de l’obligation mentionnée de ne pas empêcher que l’auteur y revienne) dépasserait la portée des obligations découlant des articles du Pacte, et qu’une telle réparation contrevient en fait aux règles du droit international établies de longue date.

4.Pour ces raisons, je suis convaincue qu’en ce qui concerne le paragraphe relatif aux recours et réparations, le Comité aurait dû se contenter de demander une indemnisation adéquate et le remboursement de l’amende et des frais, mais omettre complètement cette référence que je considère erronée à « l’obligation […] de ne pas empêcher l’auteur de revenir dans l’État partie s’il le souhaite ».