Nations Unies

CCPR/C/134/D/2632/2015

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

22 septembre 2022

Français

Original : anglais

Comité des droits de l ’ homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2632/2015 * , ** , ***

Communication présentée par :

O., P., Q., R. et S.

Victime(s) présumée(s):

Les auteurs

État partie :

Suède

Date de la communication :

16 juin 2015 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise en application de l’article 92 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 15 juillet 2015 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations:

15 mars 2022

Objet :

Expulsion vers l’Albanie

Question(s) de procédure :

Même question examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement ; épuisement des recours internes ; fondement des griefs

Question(s) de fond :

Non-refoulement

Article(s) du Pacte:

2 et 7

Article(s) du Protocole facultatif :

2 et 5 (par. 2 a) et b))

1.1Les auteurs de la communication sont O., né le 12 novembre 1966, P., née le 24 avril 1972, et leurs enfants, Q., née le 28 septembre 1992, R., né le 29 août 1994 et S., née le 12 octobre 1998, tous de nationalité albanaise. Ils affirment que l’État partie a violé les droits qu’ils tiennent de l’article 7, lu seul et conjointement avec l’article 2, du Pacte. Le Protocole facultatif se rapportant au Pacte est entré en vigueur pour la Suède le 23 mars 1976. Les auteurs ne sont pas représentés par un conseil.

1.2Le 15 juillet 2015, le Comité a enregistré la communication au nom de O. et S. et a décidé de ne pas demander de mesures provisoires au titre de son règlement intérieur. Le 15 janvier 2016, comme suite à la réception de nouvelles observations et d’une demande de mesures provisoires, il a décidé d’ajouter les auteurs P., Q. et R. à la communication et a demandé à l’État partie de s’abstenir d’expulser les auteurs vers l’Albanie tant que leur communication serait à l’examen.

1.3Le 23 décembre 2015, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication au titre des articles 3 et 5 (par. 2 a) et b)) du Protocole facultatif et a demandé au Comité de se prononcer sur la recevabilité séparément du fond. Le 14 mars 2016, les auteurs ont fait part de leurs commentaires sur la demande de l’État partie. Le 1er juillet 2016, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a décidé d’examiner la recevabilité de la communication en même temps que le fond.

1.4Le 2 mai 2017, le Comité a décidé de suspendre l’examen de la communication jusqu’à ce qu’il soit statué sur la seconde demande d’asile. Il a précisé que les mesures provisoires restaient valides pendant la suspension. Le 29 juillet, le 25 septembre et le 9 octobre 2019, les auteurs lui ont demandé de reprendre l’examen de la communication. L’État partie n’a pas objecté à la demande. Le 29 septembre 2020, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a décidé de reprendre l’examen.

1.5Les 22 et 23 septembre 2021, les auteurs ont demandé que des mesures provisoires de protection soient prises à leur égard, car leurs permis de travail respectifs avaient été annulés. Le 24 septembre 2021, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a rejeté leur demande.

Exposé des faits

2.1O. est poète et journaliste. En 2004, son neveu a été tué en Allemagne par X, un criminel albanais notoire impliqué dans des infractions graves. À une date non précisée, X a été arrêté en Italie, mais a réussi à s’échapper. Voulant obtenir justice pour son neveu, O. aurait mené une enquête et découvert où X se trouvait en Albanie. Le 6 février 2008, il a fait part du résultat de son enquête à la police albanaise, ce qui a conduit à l’arrestation de X le 6 mars 2008. Les auteurs affirment que X a découvert que O. avait informé la police de l’endroit où il se trouvait. À partir de là, les auteurs ont commencé à recevoir des menaces de mort. Avant qu’ils fuient l’Albanie, un inconnu s’est rendu à l’école de R. et a proféré des menaces à l’encontre de O. Les auteurs craignent des représailles de la part de X et de réseaux de criminalité organisée.

2.2Les auteurs affirment qu’au cours de son enquête sur le meurtre de son neveu, O. a découvert un réseau de corruption aux niveaux les plus élevés du pouvoir albanais, impliquant un ancien Premier Ministre et un membre du Parlement, et a écrit un livre sur le sujet. Ils affirment également que des lettres et des courriers électroniques de menaces leur ont été envoyés en Suède depuis l’Albanie. Ils avancent que ces menaces ont engendré des problèmes de santé mentale chez tous les membres de la famille, en particulier chez O., qui est devenu dépressif et suicidaire (voir par. 2.8 ci-dessous).

Première procédure d’asile

2.3Le 1er juin 2011, O., P., R. et S. ont demandé l’asile en Suède. Le 4 août 2011, l’Office suédois des migrations a rejeté leur demande. Il a semblé reconnaître que X était un criminel internationalement connu, mais a considéré que les auteurs n’avaient pas prouvé que les autorités albanaises ne les protégeraient pas contre lui.

2.4Q. est arrivée en Suède en août 2011 et a demandé l’asile le 14 octobre 2011. Elle a indiqué qu’elle n’était pas venue en Suède avec sa famille parce qu’elle participait à un voyage d’études au Kosovo au moment de leur départ. Lorsqu’elle était revenue au domicile familial pour récupérer son passeport, elle avait trouvé une lettre de menaces envers sa famille. En outre, des voisins lui avaient dit que plusieurs personnes avaient demandé où se trouvait O. Le 29 décembre 2011, l’Office des migrations a rejeté la demande de Q., arguant qu’elle n’avait pas démontré que les autorités albanaises refuseraient de la protéger.

2.5Entre août et octobre 2011, O. a découvert que son ordinateur et certains de ses dossiers avaient été volés au domicile familial en Albanie. L’ordinateur contenait une ébauche de son livre sur la corruption au sein des autorités albanaises.

2.6Les auteurs ont conjointement contesté les décisions de l’Office des migrations devant le Tribunal administratif de l’immigration. Le Tribunal les a déboutés le 4 mai 2012, considérant qu’ils n’avaient pas démontré qu’ils couraient objectivement un risque. Il a indiqué n’avoir aucun doute quant à l’existence de X et à son casier judiciaire, y compris son implication dans le meurtre du neveu de O., mais il a estimé qu’il n’était pas crédible que X déploie autant d’efforts pour persécuter la famille alors que, d’après les auteurs, il était recherché par l’Organisation internationale de police criminelle (INTERPOL). De surcroît, le Tribunal a trouvé étrange que O. n’ait pas mentionné son livre lors des premiers entretiens avec l’Office des migrations. Bien que ce silence puisse se justifier par le fait que l’ordinateur a été volé après que l’Office avait rendu sa décision, le Tribunal a jugé que les explications de O. concernant le contenu de l’ordinateur étaient vagues.

2.7Le 25 mai 2012, les auteurs ont demandé l’autorisation de saisir la Cour administrative d’appel de l’immigration. Ils ont déclaré qu’ils avaient respecté le niveau de preuve exigé pour les affaires d’asile dans lesquelles des personnes privées étaient à l’origine du risque, étant donné qu’ils avaient fourni des preuves de l’existence de ces personnes, de leur casier judiciaire et de leurs liens avec les autorités, démontrant par la même occasion que les autorités en question ne seraient pas en mesure de les protéger efficacement. Ils ont aussi fait le récit des menaces reçues, preuves écrites à l’appui, et ont indiqué que les autorités chargées de l’asile étaient mieux placées qu’eux pour obtenir des informations des autorités albanaises, étant donné qu’ils avaient dû fuir le pays en raison des risques qu’ils couraient. Le 9 septembre 2012, ils ont transmis à la Cour de l’immigration la déclaration d’un écrivain albanais, dans laquelle celui-ci affirmait que deux individus armés étaient venus le menacer, lui demander où se trouvait O. et poser des questions sur son livre. Le 25 septembre 2012, la Cour a rejeté la demande des auteurs, considérant que les conditions requises pour obtenir l’autorisation de faire appel n’étaient pas réunies.

2.8En janvier 2013, un message menaçant S. et sa famille a été laissé sur la boîte vocale de l’école de S.. Le 22 août 2013, après que O. avait publié des extraits de son livre sur son blog en juillet 2013, le directeur de l’école de S. a reçu une lettre de menaces adressée à S. accompagnée d’une cartouche réelle. À ces deux occasions, les auteurs ont été relogés par la police suédoise. Ils affirment en outre que le 20 juillet 2013, on a fait exploser leur maison en Albanie. Ils ajoutent que la santé mentale de O. et de S. s’était détériorée et qu’ils avaient été internés dans un hôpital psychiatrique pendant « de longues périodes » en raison de tentatives de suicide.

2.9Compte tenu de ces faits nouveaux, les auteurs ont demandé à plusieurs reprises entre janvier et septembre 2013 que leur demande d’asile soit réexaminée. L’Office des migrations a rejeté toutes les demandes, et le Tribunal administratif de l’immigration et la Cour administrative d’appel de l’immigration ont fait de même pour les appels ultérieurs. Selon les décisions rendues, un réexamen de la demande d’asile ne peut être accordé que si les conditions énoncées aux articles 18 et 19 du chapitre 12 de la loi sur les étrangers sont remplies. Selon ces articles, seules les nouvelles circonstances constituant un obstacle à l’expulsion peuvent être invoquées. Ces circonstances doivent en outre être permanentes et les requérants doivent prouver qu’elles ne pouvaient pas être invoquées plus tôt ou fournir une excuse valable de ne pas l’avoir fait. Les autorités ont estimé que les faits présentés par les auteurs ne pouvaient être considérés comme nouveaux, puisqu’il s’agissait de compléments aux motifs déjà analysés pour la demande d’asile. Concernant les griefs relatifs à la santé mentale de O., elles ont déclaré que le certificat médical soumis par les auteurs ne remplissait pas certaines conditions énoncées dans le droit national, notamment parce qu’il ne comprenait pas d’évaluation indépendante de la santé mentale de O., ni de prévisions de ses besoins à venir en matière de prise en charge ni d’informations détaillées sur les examens réalisés. Elles ont aussi jugé que le certificat était largement fondé sur les faits tels que racontés par O. et que, de ce fait, sa valeur probante était faible. De surcroît, le Tribunal et la Cour ont indiqué que les autres documents concernant la santé mentale des auteurs ne pouvaient pas être pris en compte pour déterminer s’il y avait lieu de procéder à un réexamen de leur droit à un permis de séjour.

2.10Les auteurs ont fait appel du dernier refus opposé par le Tribunal administratif de l’immigration à leur demande de réexamen, sur la base de l’explosion du domicile familial en Albanie, des menaces reçues par l’école de S. et de la publication d’extraits du livre de O. sur son blog en juillet 2013. Le 11 septembre 2013, la Cour administrative d’appel de l’immigration a rejeté leur appel au motif que l’expulsion de la famille rendait la procédure sans objet.

2.11Le même jour, les auteurs ont été expulsés vers l’Albanie. Ils affirment que O. a été arrêté à leur arrivée et placé à l’isolement pendant deux jours au cours desquels il a été torturé et soumis à d’autres mauvais traitements. Les autres membres de la famille se sont rendus au Kosovo et O. les a rejoints à sa libération. En octobre 2013, O. s’est rendu en Albanie pour chercher des objets de valeur dans la maison détruite par l’explosion. Il a été attaché et battu par deux hommes qui l’ont ensuite abandonné dans un champ. Il a reconnu leurs voix, qui étaient celles des policiers qui l’avaient arrêté à son arrivée en Albanie. O. a été trouvé par un agriculteur, qui l’a conduit à un centre médical. Lors d’un second voyage en Albanie le 12 décembre 2013, le taxi dans lequel O. se trouvait a essuyé des tirs. Les faits ont été signalés à la police.

2.12Les auteurs sont retournés en Suède en 2014. Ne pouvant pas déposer une nouvelle demande d’asile tant que la mesure d’expulsion les concernant serait en vigueur, soit jusqu’au 25 septembre 2016, le 16 avril 2014, ils ont demandé à l’Office des migrations de réexaminer leur droit à un permis de séjour. Ils ont décrit ce qui était arrivé en Albanie après leur expulsion et ont rappelé les menaces qu’ils avaient reçues en Suède en juillet et en août 2013 (voir par. 2.8 et 2.10 ci-dessus). Le 19 juin 2014, l’Office des migrations a rejeté leur demande, considérant que la plupart des griefs venaient en complément de ceux déjà analysés pendant la procédure d’asile. Concernant les faits survenus en Albanie après l’expulsion, l’Office a jugé que les dires des auteurs manquaient de crédibilité. Il a notamment considéré que le récit que O. avait fait des actes de torture et de mauvais traitements qu’il aurait subis en détention était très vague et n’était étayé par aucun élément de preuve. Concernant l’agression de O. à son domicile, l’Office a estimé que les photographies et le certificat médical n’indiquaient pas les causes des blessures et que l’affirmation de O. selon laquelle les deux hommes en question étaient des policiers était purement spéculative. Il a également jugé qu’aucun élément permettant de savoir comment et pourquoi on avait tiré sur le taxi n’avait été fourni et que rien n’indiquait que les autorités n’avaient pas l’intention d’ouvrir une enquête − au contraire les auteurs avaient fourni un rapport de police sur le sujet. Enfin, concernant les menaces et agressions supposément liées au blog de O., l’Office a estimé qu’elles ne sauraient être considérées comme de nouvelles circonstances. Les auteurs ont fait appel de cette décision auprès du Tribunal administratif de l’immigration, qui les a déboutés le 1er août 2014 en reprenant les arguments avancés par l’Office. Le 9 septembre 2014, le Tribunal a refusé d’autoriser les auteurs à déposer un recours.

2.13En mars 2015, les auteurs ont déposé une requête devant la Cour européenne des droits de l’homme, dans laquelle ils affirmaient que l’État partie avait violé leur droit à une procédure régulière et qu’une expulsion vers l’Albanie violerait les droits qu’ils tenaient de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Le 24 mars 2015, la Cour européenne a déclaré la requête irrecevable.

Seconde procédure d’asile

2.14Le 10 novembre 2016, après l’expiration de la mesure d’expulsion les concernant, les auteurs ont soumis de nouvelles demandes d’asile. Le 22 décembre 2017, l’Office des migrations les a toutes rejetées en invoquant les mêmes motifs que pour ses décisions précédentes. Il a considéré qu’il n’y avait aucune raison de revenir sur l’examen des griefs analysés pendant la première procédure d’asile, puisqu’ils avaient été jugés peu crédibles. Il a toutefois examiné les griefs qui ne l’avaient pas encore été, à savoir le message de menaces laissé sur la boîte vocale de l’école de S. le 22 janvier 2013, l’explosion du domicile familial le 20 juillet 2013, la lettre de menaces accompagnée d’une cartouche réelle reçue par l’école de S. le 22 août 2013, l’agression de O. dans la maison détruite par l’explosion le 8 octobre 2013, et le lien éventuel entre le blog de O. et un rapport de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE).

2.15Concernant le message vocal de menaces, l’Office des migrations a indiqué qu’il ne remettait pas en question la gravité des menaces proférées depuis l’Albanie, mais que l’enregistrement ne permettait pas de savoir qui avait laissé le message et pourquoi cette personne menaçait de tuer la famille. Bien que l’enregistrement vienne étayer dans une certaine mesure le récit des auteurs, il ne prouvait pas l’existence de la menace alléguée par la famille. Concernant l’explosion de la maison, l’Office a déclaré que les preuves écrites présentées par les auteurs − des articles de la presse albanaise et une déclaration écrite du maire du village dans lequel se situait la maison − avaient une valeur probante limitée, étant donné qu’il s’agissait de copies de documents. S’agissant de la lettre de menaces accompagnée de la cartouche réelle, l’Office n’a pas remis en question sa réception. Il a toutefois jugé que sa valeur probante était faible, car on ne savait pas qui l’avait envoyée, ni si elle avait un lien avec la publication sur le blog de O. Concernant le certificat médical visant à prouver que O. avait été agressé le 8 octobre 2013, l’Office a déclaré qu’il s’agissait d’une copie et que sa valeur probante était donc limitée. Pour ce qui était des photographies présentées en même temps, il a considéré qu’elles ne prouvaient pas qui était l’agresseur ni comment les blessures avaient été infligées. Quant à l’affirmation selon laquelle un rapport de l’OSCE était fondé sur le blog de O., l’Office a déclaré que les informations communiquées par les auteurs étaient vagues.

2.16L’Office des migrations a pris note du rapport du Bureau européen d’appui en matière d’asile sur l’Albanie, selon lequel les autorités albanaises disposent de mécanismes permettant d’enquêter sur les actes de violence et de corruption et de sanctionner les responsables et « continuent d’améliorer » leurs capacités en matière d’application de la loi. Il a jugé que les autorités albanaises avaient les capacités et la volonté de réprimer les infractions, et que rien n’indiquait que les agressions et les menaces dont les auteurs avaient été victimes ne feraient pas l’objet d’une enquête et de sanctions, ou que ces agressions avaient été autorisées par l’État albanais. Il a également soutenu qu’en ne signalant pas les agressions et les menaces aux autorités albanaises, les auteurs n’avaient pas effectué les démarches nécessaires avant de demander une protection internationale.

2.17Les auteurs ont contesté les décisions de l’Office des migrations devant le Tribunal administratif de l’immigration. Le Tribunal les a déboutés le 28 janvier 2019, faisant siennes les conclusions de l’Office concernant les griefs présentés par les auteurs pendant la première procédure d’asile. S’agissant des griefs formulés dans le cadre de la seconde procédure d’asile, le Tribunal a affirmé qu’il convenait de déterminer si les actes des autorités albanaises rendaient plausible l’existence d’une menace concrète et actuelle émanant de l’État albanais. Il a jugé que ce n’était pas le cas, même en tenant compte des allégations de O. concernant son arrestation et les mauvais traitements subis à son arrivée en Albanie, puisque l’arrestation d’un demandeur d’asile ne constituait pas nécessairement une persécution ; elle pouvait, par exemple, être considérée comme telle si elle s’inscrivait dans un ensemble de persécutions. Dans le cas de O., le Tribunal a jugé qu’aucun autre élément de son récit ne corroborait cette conclusion. Concernant l’affirmation selon laquelle le blog de O. avait servi de fondement à un rapport de l’OSCE, il a indiqué que bien qu’il y ait des similitudes de contenu, le blog et le rapport étaient généraux et rien ne permettait d’expliquer raisonnablement pourquoi les autorités albanaises agiraient sur la base d’informations générales. S’agissant de l’affirmation selon laquelle des policiers avaient agressé O. devant la maison détruite par l’explosion, le Tribunal a indiqué que les policiers devaient faire l’objet d’une enquête en Albanie et que selon certaines informations, le Médiateur albanais donnait suite aux plaintes déposées contre des policiers. Concernant l’argument des auteurs selon lequel la décision rendue par la Cour européenne des droits de l’homme en l’affaire J . K . et autres c . Suède leur était applicable, le Tribunal a déclaré que la situation des auteurs était très différente et que ceux-ci devaient donc prouver que les autorités albanaises ne voudraient ou ne pourraient pas les protéger, ce qu’ils n’ont pas fait puisqu’ils n’ont même pas sollicité leur protection.

2.18Le 21 mai 2019, la Cour administrative d’appel de l’immigration a décidé de ne pas autoriser les auteurs à déposer un recours et la décision d’expulsion est devenue définitive. Toutefois, le 13 juin 2019, l’Office suédois pour les réfugiés a décidé de surseoir à l’exécution de la mesure d’expulsion, conformément aux mesures provisoires demandées par le Comité.

2.19En août 2019, S. a demandé un permis de travail. À une date non précisée, les autorités de l’État partie ont rejeté la demande de S. et annulé les permis de travail de tous les auteurs.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs affirment que les décisions prises pendant la première procédure d’asile constituent une violation de l’article 7 du Pacte, lu conjointement avec l’article 2. Ils soutiennent que l’État partie applique un niveau de preuve excessivement élevé aux demandes d’asile, les demandeurs devant prouver qu’il est probable à 75 % que les risques allégués se concrétisent. Cela est contraire à la jurisprudence du Comité, selon laquelle le risque de mauvais traitement doit seulement être réel, à celle de la Cour européenne des droits de l’homme, qui établit un niveau de preuve plus bas, à 50 % de probabilité minimum, et à celle de certains pays.

3.2Les auteurs affirment que le refus des autorités de faire traduire plusieurs documents qu’ils avaient soumis concernant la criminalité, la corruption et la culture des représailles en Albanie, au motif qu’elles disposaient de toutes les informations dont elles avaient besoin, constitue une autre violation des dispositions de l’article 7 du Pacte. Ils affirment également que les refus répétés de leur accorder un réexamen de leurs demandes d’asile entre septembre 2012 et septembre 2013 sont constitutifs d’une violation de la même disposition du Pacte, et que la violation est encore plus manifeste si l’on prend en compte les faits survenus pendant cette période. Ils estiment qu’en considérant ces faits comme de « simples modifications ou compléments », l’État partie n’a pas respecté le principe selon lequel l’autorité doit fonder sa décision sur une analyse de tous les éléments de preuve disponibles à ce moment-là. Ils affirment en outre que les faits auxquels ils faisaient référence étaient justement la preuve que le risque qu’ils couraient était réel. Ils ajoutent que le refus systématique de leur accorder une aide juridictionnelle ou de faire droit à leurs demandes d’audience est venu aggraver la violation de leurs droits résultant de la première procédure.

3.3De surcroît, les auteurs affirment que l’État partie a aussi violé l’article 7 du Pacte, lu conjointement avec l’article 2, lorsque la Cour administrative d’appel de l’immigration a rejeté leur dernière demande de réexamen − qui était fondée sur les menaces reçues par l’école de S. et l’explosion du domicile familial − au motif que leur expulsion la rendait sans objet.

3.4Les auteurs ajoutent que l’État partie a violé l’article 7 du Pacte, lu conjointement avec l’article 2, lorsqu’il a refusé de réexaminer leur demande d’asile à leur retour en Suède en 2014. Ils avancent qu’en excluant toute analyse de leurs griefs au motif que ceux-ci avaient déjà été examinés, les autorités ont répété, dans leurs décisions de 2014, les erreurs commises pendant la première procédure d’asile. Ils ajoutent que l’analyse que les autorités avaient faite du certificat médical ayant trait à l’agression de O. par deux hommes dans la maison détruite portait atteinte aux mêmes dispositions du Pacte. Ils affirment qu’un certificat médical n’indique jamais qui a causé les blessures, ni pour quelles raisons. Si l’État partie avait des doutes à propos du certificat, il aurait dû demander une expertise médicale indépendante. S’agissant des actes de torture et des mauvais traitements subis par O. lorsqu’il était détenu à l’isolement, après son arrivée en Albanie, les auteurs indiquent qu’il est faux de dire que les affirmations de O. manquaient de crédibilité. Celui-ci a livré un récit aussi détaillé que pouvait l’être celui de quelqu’un ayant subi des actes de torture et des mauvais traitements. De plus, l’audience qu’il avait demandée pour pouvoir mieux expliquer les circonstances en question lui a été refusée.

3.5Les auteurs soutiennent que dans sa décision du 28 janvier 2019, le Tribunal administratif de l’immigration a commis plusieurs erreurs. Premièrement, concernant l’examen par le Tribunal du message de menaces laissé sur la boîte vocale de l’école de S., les auteurs ont indiqué qu’il leur était impossible de savoir qui avait passé l’appel. Il suffisait que la police suédoise ait découvert que l’appel avait été passé depuis l’Albanie et que le signalement des faits à l’ambassade albanaise n’ait pas entraîné l’ouverture d’une enquête. S’agissant des éléments de preuve relatifs à l’explosion de la maison familiale, les auteurs affirment avoir soumis le témoignage original du maire de B. et non des copies comme l’a dit le Tribunal. En ce qui concerne le certificat médical relatif aux faits du 8 octobre 2013, les auteurs affirment avoir bien soumis le certificat original, dont le contenu était très « professionnel ». Enfin, concernant le rapport de l’OSCE et ses similitudes avec le blog de O., les auteurs soutiennent que ni l’un ni l’autre ne sont de nature générale, puisqu’ils donnent des informations détaillées sur des infractions commises par des agents bien précis de l’État albanais.

3.6En outre, les auteurs affirment que le Tribunal administratif de l’immigration a violé leurs droits en ce qu’il n’a pas respecté un principe énoncé par la Cour européenne des droits de l’homme, à savoir que la charge de la preuve est inversée lorsque l’État partie affirme que les autorités du pays d’origine sont en mesure d’assurer une protection. Ils donnent l’exemple d’un ressortissant albanais que la Suède avait expulsé en 2015 au motif qu’il pourrait demander la protection des autorités albanaises, et qui a été tué après son expulsion. Ils disent craindre de subir le même sort et ajoutent que le Tribunal a porté atteinte à leurs droits en refusant de divulguer, comme ils l’avaient demandé, les cas dans lesquels les autorités migratoires avaient accordé l’asile à des ressortissants albanais au motif que les autorités albanaises ne seraient pas en mesure de les protéger.

3.7Concernant les informations générales sur la situation en matière de droits de l’homme en Albanie, les auteurs font savoir que l’État partie a refusé de faire traduire plusieurs documents, y compris des extraits du livre de O., qui prouvaient que les autorités albanaises ne seraient pas en mesure de les protéger. En outre, les autorités suédoises n’ont pas précisé sur quelles informations elles s’étaient fondées pour affirmer qu’ils pourraient obtenir une telle protection, d’autant que selon les rapports de l’État partie lui-même, les journalistes et les lanceurs d’alerte qui s’attaquent au crime organisé sont susceptibles de ne pas être protégés. Les auteurs ajoutent qu’ils ont démontré que les autorités albanaises ne les protégeraient pas. Ils expliquent qu’un membre de la famille de O. a adressé à la police albanaise un rapport concernant les menaces reçues en lien avec les écrits de O., et que la police n’a pas ouvert d’enquête, indiquant qu’elle n’avait pas assez de ressources pour enquêter sur ce type de faits.

3.8Les auteurs indiquent aussi qu’étant donné l’ampleur de la corruption en Albanie, il est difficile de savoir si les menaces et agressions dont ils sont victimes sont imputables aux réseaux de criminalité organisée ou à des agents de l’État, ou aux deux. Ils affirment que les autorités suédoises ont reconnu que X était un criminel international, qu’il avait tué le neveu de O. et que la famille avait réellement peur de lui. En outre, il est attesté que O. a fourni à la police albanaise des informations qui ont conduit à l’arrestation de X. Concernant le risque émanant d’agents de l’État albanais, les auteurs déclarent que la corruption endémique, la criminalité organisée et la culture des représailles en Albanie sont elles aussi attestées. Ils renvoient à un rapport du Ministère suédois des affaires étrangères selon lequel la faiblesse des institutions, souvent liées au crime organisé, est à l’origine d’un défaut de protection des citoyens, en particulier des victimes de la criminalité organisée et des journalistes qui enquêtent sur les faits de corruption. Selon le même rapport, les policiers n’appliquent pas tous la loi de la même manière et une certaine impunité demeure. Il est donc évident que les autorités albanaises ne seraient pas en mesure de protéger les auteurs, ce qui cadre avec les éléments de preuve fournis, en particulier concernant l’explosion du domicile familial et les actes de torture et les autres mauvais traitements subis par O.

3.9De surcroît, les auteurs affirment que l’État partie violerait l’article 7 du Pacte s’il les renvoyait en Albanie. Ils font référence à la jurisprudence du Comité, selon laquelle l’expulsion vers des pays où le risque de torture ou de mauvais traitements émane d’acteurs privés et où les autorités ne peuvent pas ou ne veulent pas assurer une protection efficace constitue une violation du Pacte.

3.10Les auteurs affirment également que l’annulation des permis de travail de tous les membres de la famille, à l’issue de la seconde procédure d’asile, constitue une autre violation des droits qu’ils tiennent du Pacte. Ils font savoir qu’ils ne sont pas en mesure de subvenir à leurs besoins élémentaires, ce qui leur cause beaucoup d’anxiété et de stress qui, associés à la longue procédure d’asile et à l’incertitude concernant leur statut, entraînent chez eux des dommages psychologiques importants. Ils estiment en outre que l’annulation de leur permis de travail a été décidée en représailles à la présentation de la communication au Comité.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Le 23 décembre 2015, l’État partie a fait parvenir ses observations sur la recevabilité de la communication. Il affirme que les auteurs ont déposé une requête auprès de la Cour européenne des droits de l’homme et que leur communication devrait donc être jugée irrecevable au regard de l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif. Il rappelle que selon la jurisprudence du Comité, « la même question » au sens de l’article 5 (par. 2a)) est une question qui a trait aux mêmes parties, aux mêmes faits et aux mêmes droits substantiels. Il considère que les plaintes soumises par les mêmes auteurs à la Cour européenne et au Comité portent sur la même question, étant donné qu’elles concernent toutes deux des violations présumées des garanties d’une procédure régulière pendant les procédures d’asile et qu’elles contiennent des allégations de risque de torture et de mauvais traitements en cas de renvoi vers le pays d’origine.

4.2L’État partie fait aussi remarquer que la Cour européenne des droits de l’homme a déclaré que la requête des auteurs était irrecevable au motif que les conditions énoncées aux articles 34 et 35 de la Convention européenne des droits de l’homme (Convention européenne) n’étaient pas réunies. Il relève que rien dans la communication des auteurs n’indique que leur requête devant la Cour européenne ne satisfaisait pas aux critères énoncés à l’article 34, puisque la décision relative à l’expulsion des auteurs était définitive et que ceux-ci avaient épuisé les recours internes en septembre 2012, avant de saisir la Cour. Il soutient en outre que rien dans les informations fournies par les auteursn’indique que les motifs d’irrecevabilité énoncés à l’article 35 (par. 2 a) et b)) de la Convention européenne s’appliqueraient. Dès lors, les seuls motifs sur lesquels la Cour européenne pourrait se fonder pour contester la recevabilité de la requête sont ceux énoncés à l’article 35 (par. 3 a) et b)) de la Convention européenne. L’État partie affirme qu’il ressort clairement du texte de la Convention européenne que l’évaluation de ces deux motifs doit passer par un certain examen du fond de l’affaire. Par conséquent, l’État partie considère que la Cour européenne a dû déclarer la requête des auteurs irrecevable pour des motifs de fond.

4.3De surcroît, l’État partie affirme que la communication est incompatible avec les dispositions du Pacte, car les auteurs n’ont pas suffisamment étayé leurs griefs aux fins de la recevabilité. Il renvoie à la jurisprudence du Comité, selon laquelle le risque doit être personnel et il doit y avoir des motifs sérieux de conclure à l’existence d’un risque réel de préjudice irréparable. Dans ces circonstances, il convient d’accorder un poids considérable à l’appréciation faite par l’État. L’État partie rappelle en outre que selon la jurisprudence du Comité, il appartient généralement aux autorités des États parties d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée, sauf s’il peut être établi que l’appréciation a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice. Il précise que les griefs des auteurs ont fait l’objet d’un examen approfondi et considère qu’il n’y a aucune raison de penser que les procédures internes étaient d’une quelconque manière arbitraires ou avaient constitué un déni de justice.

4.4Concernant les griefs des auteurs relatifs au rapport de l’OSCE, l’État partie indique que le rapport en question ne porte pas spécialement sur l’affaire des auteurs et qu’il n’a pas été transmis aux autorités nationales, aucune demande de réexamen n’ayant été présentée à cet égard. Il considère donc que les auteurs n’ont pas épuisé les recours internes pour ce grief. Il ajoute que les auteurs peuvent soumettre une communication visant l’Albanie, puisque c’est là qu’ils ont reçu des menaces de mort.

4.5Le 8 septembre 2016, l’État partie a demandé au Comité de déclarer la communication irrecevable ; il la considérait en effet incompatible ratione personae avec le Pacte, car une fois le délai d’expulsion expiré, le 25 septembre 2016, les auteurs n’avaient plus qualité de victimes. Il explique que, la décision rendue le 25 septembre 2012 par la Cour administrative d’appel de l’immigration étant devenue prescrite, les auteurs ne pourraient plus être expulsés et auraient la possibilité de déposer une nouvelle demande d’asile. Celle-ci serait examinée par l’Office des migrations, dont les décisions étaient susceptibles d’appel. L’État partie a ajouté que la nouvelle procédure d’asile constituait un recours utile et que si les auteurs décidaient de ne pas s’en prévaloir, leur communication serait irrecevable pour non-épuisement des recours internes.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1Le 14 mars 2016, les auteurs ont fait part de leurs commentaires sur les observations de l’État partie. Ils ne considèrent pas que leur communication a déjà été examinée par la Cour européenne des droits de l’homme, étant donné que celle-ci n’a pas motivé sa décision du 24 mars 2015. Ils rappellent que le Comité a déjà considéré qu’une décision d’irrecevabilité de la Cour européenne basée sur un examen au fond ne rendait pas nécessairement une communication irrecevable à ses yeux si la Cour n’avait pas motivé sa décision.

5.2Concernant l’argument de l’État partie selon lequel ils n’ont pas suffisamment étayé leurs griefs aux fins de la recevabilité, les auteurs contestent l’affirmation selon laquelle les autorités ont examiné leur demande d’asile de manière approfondie. Ils soutiennent que leur affaire met en lumière des lacunes systémiques de la procédure suédoise d’asile, notamment le niveau élevé de preuve exigé concernant les risques, le fait que les autorités ne font pas traduire certains éléments de preuve clefs, et le refus, opposé à plusieurs reprises, de procéder à un réexamen des demandes d’asile alors que des faits nouveaux venaient prouver que la famille courait un risque en Albanie, en particulier les menaces de mort reçues par l’école de S. et l’explosion du domicile familial − deux faits incontestés par l’État partie.

5.3Les auteurs font remarquer que l’État partie n’a pas contesté le fait qu’ils avaient épuisé les recours internes, sauf pour leurs griefs liés au rapport de l’OSCE. Ils affirment que, les autorités ayant rejeté toutes les demandes de réexamen, il semble déraisonnable d’exiger d’eux qu’ils épuisent ce recours pour le rapport de l’OSCE. Concernant l’argument de l’État partie selon lequel ils auraient dû soumettre une communication visant l’Albanie, ils indiquent que cela va à l’encontre d’un principe du droit international, à savoir que des personnes qui risquent d’être persécutées dans leur pays d’origine ne sauraient être mises en danger par la divulgation de leurs griefs aux auteurs présumés de tels faits. Les auteurs réaffirment que les risques sont liés à la publication par O. d’informations sur les liens qui unissent l’État et la criminalité organisée.

5.4Le 19 octobre 2016, les auteurs ont fait parvenir leurs commentaires sur les observations de l’État partie datées du 8 septembre 2016. Ils affirment que leur communication porte non seulement sur les violations liées au risque d’expulsion, mais aussi sur les violations déjà commises. L’expiration de la mesure d’expulsion le 25 septembre 2016 n’atténue en aucune manière les secondes violations, vu que celles-ci ont déjà été perpétrées, ne change rien au statut de victime des auteurs et ne signifie pas qu’ils ne risquent plus d’être expulsés. Les auteurs renvoient à une lettre datée du 17 octobre 2016 dans laquelle l’Office des migrations indique à P. qu’elle doit soumettre une nouvelle demande d’asile sous peine d’être expulsée.

5.5Concernant l’argument selon lequel ils disposeraient d’un nouveau recours utile depuis le 25 septembre 2016, les auteurs indiquent que ce recours excède des délais raisonnables. Ils soutiennent en outre qu’ils doutent de l’efficacité de ce recours, compte tenu du refus systématique de l’État partie d’appliquer un niveau de preuve approprié lors de l’évaluation d’un risque et de son « manque de coopération », la famille n’ayant reçu aucune indemnité de subsistance pendant plusieurs mois. Ils indiquent enfin qu’ils déposeront une nouvelle demande d’asile, poussés par la crainte d’être expulsés ou de perdre leurs allocations.

Observations de l’État partie sur le fond

6.1Le 26 juin 2020, l’État partie a une nouvelle fois soutenu que la communication était manifestement infondée. Concernant le fond, il rappelle la jurisprudence du Comité, selon laquelle le risque de préjudice irréparable dans le pays d’origine doit être réel. En d’autres termes, le risque doit être une conséquence nécessaire et prévisible de l’expulsion et doit être personnel. Il affirme en outre qu’il faut des motifs sérieux de conclure qu’il existe un risque réel de préjudice irréparable et que c’est aux auteurs qu’il incombe de démontrer qu’ils courent un risque réel de subir un préjudice irréparable s’ils sont expulsés.

6.2L’État partie réaffirme qu’il appartient généralement aux autorités de l’État partie d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée, à moins qu’il ne soit établi que cette appréciation a été manifestement arbitraire ou a constitué un déni de justice. Il réaffirme également que les demandes d’asile des auteurs ont été examinées de manière approfondie. Il affirme que conformément à la jurisprudence du Comité, il convient d’accorder un poids considérable aux décisions des autorités nationales, car rien ne permet de conclure qu’elles étaient inappropriées, arbitraires ou manifestement erronées ou qu’elles constituaient un déni de justice.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie concernant le fond

7.1Le 31 décembre 2020, les auteurs ont fait part de leurs commentaires sur les observations de l’État partie concernant le fond. Ils affirment que les autorités de l’État partie ont procédé à une appréciation arbitraire des faits et des éléments de preuve qu’ils leur ont présentés pendant les deux procédures d’asile et que cela équivaut à un déni de justice. Ils font référence à la décision du 16 juin 2018, dans laquelle le Tribunal administratif de l’immigration a rejeté leurs demandes tendant à faire traduire plusieurs documents qu’ils avaient soumis, ainsi que leurs demandes d’audience, y compris celles déposées après les nouvelles menaces reçues en mars 2018. Ils soutiennent que le Tribunal n’a pas motivé sa décision et qu’ils n’ont donc pas pu la contester. Les auteurs considèrent que ces refus ont porté atteinte à leur droit à un recours utile garanti par le Pacte.

7.2Les auteurs contestent l’affirmation de l’État partie selon laquelle les informations publiées sur le blog de O. sont générales. Ils expliquent que O. a établi que X et d’autres membres de réseaux de criminalité organisée étaient les « soldats » de certaines personnalités politiques albanaises, et que d’autres étaient eux-mêmes devenus des politiciens. En outre, O. a publié une liste de personnalités politiques et du monde des affaires corrompues. Les auteurs rappellent que O. a accusé le Président albanais d’avoir ordonné deux meurtres et que la publication des informations susmentionnées fait courir un risque considérable à toute la famille en cas d’expulsion. Ils ajoutent que l’organisation PEN International, une organisation non gouvernementale qui défend la liberté d’expression, a mené des recherches sur O. et a confirmé ses dires.

7.3De surcroît, les auteurs renvoient à des rapports de pays sur l’Albanie, selon lesquels toutes les branches du pouvoir sont touchées par la corruption, l’impunité est répandue et les restrictions de la liberté d’expression et les cas d’intimidation de journalistes sont nombreux. Ils soulignent que les infractions commises par les élites font rarement l’objet de poursuites, car les enquêteurs craignent les représailles. En outre, plusieurs agressions de journalistes ont été signalées récemment. Les auteurs affirment par ailleurs que depuis 2008, l’État partie a octroyé le statut de réfugié à 269 demandeurs albanais, dont 10 étaient des journalistes, ce qui signifie qu’il est conscient que les autorités albanaises constituent une menace pour les demandeurs ou qu’elles ne peuvent ou ne veulent pas protéger les personnes en danger.

7.4Les auteurs avancent qu’ils ont dû faire face à deux procédures d’asile complexes, longues et arbitraires qui leur ont causé des souffrances psychologiques. Ils n’ont pas pu s’épanouir personnellement et professionnellement, en particulier Q., R. et S. qui étaient adolescents quand ils sont arrivés dans l’État partie et qui sont aujourd’hui des adultes sans perspectives d’avenir. Ils ont grandi dans la pauvreté et souffrent de la peur d’être éventuellement expulsés.

Nouvelles observations de l’État partie

8.Le 12 août 2021, l’État partie a fait savoir qu’il maintenait sa position. Concernant le grief des auteurs selon lequel ils n’auraient pas eu droit à une audience avant la décision du 28 janvier 2019, il explique que les audiences ne sont qu’un simple complément aux procédures écrites et que la décision en question ne saurait donc être considérée comme inappropriée.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

9.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

9.2Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel les auteurs ont déposé une requête devant la Cour européenne des droits de l’homme et, de ce fait, leur communication devrait être jugée irrecevable au regard de l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif. Il note que selon l’État partie, sa jurisprudence sur l’interprétation de l’expression « la même question » s’applique en l’espèce, étant donné que les mêmes auteurs ont saisi la Cour européenne d’une requête portant sur les mêmes griefs que ceux formulés devant lui. Il note également que, toujours selon l’État partie, au vu de la décision du 24 mars 2015, la Cour européenne a dû déclarer la requête des auteurs irrecevable pour des motifs de fond. Il note aussi que, selon les auteurs, conformément à sa jurisprudence, leur communication n’a pas été examinée par la Cour européenne puisque celle-ci n’a pas motivé sa décision.

9.3Le Comité prend note de la réserve que l’État partie a formulée à propos de l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif et rappelle sa jurisprudence selon laquelle la même question a déjà été « examinée » au sens de cette disposition lorsque la décision d’irrecevabilité rendue par la Cour européenne est fondée non seulement sur des raisons procédurales, mais aussi, dans une certaine mesure, sur un examen du fond de la requête. Il constate que le 24 mars 2015, la Cour européenne, statuant en formation de juge unique, a jugé la requête des auteurs irrecevable et s’est bornée à indiquer que les conditions énoncées aux articles 34 et 35 de la Convention européenne des droits de l’homme n’étaient pas remplies. Le Comité considère donc que les critères énoncés à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif ne font pas obstacle à l’examen des griefs des auteurs.

9.4Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel les auteurs n’ont pas épuisé les recours internes concernant le rapport de l’OSCE, car ils n’ont pas demandé un réexamen de leur affaire dans ce contexte. Il note aussi que, selon les auteurs, exiger d’eux qu’ils fassent une telle demande n’était pas raisonnable, étant donné que toutes leurs demandes de ce type avaient été rejetées. Il constate que les demandes de réexamen des auteurs ont été rejetées à chaque fois parce qu’elles étaient considérées comme de simples compléments aux motifs d’asile déjà analysés. Renvoyant à sa jurisprudence, il rappelle que, même s’il n’existe pas d’obligation d’épuiser les recours internes lorsque ceux-ci n’ont aucune chance d’aboutir, les auteurs de communications doivent faire preuve de diligence pour exercer les recours disponibles. Il fait observer que les auteurs ont fait preuve de toute la diligence voulue pour les demandes de réexamen et qu’ils avaient des raisons de croire qu’un tel recours concernant le rapport de l’OSCE n’avait aucune chance d’aboutir. Le Comité considère donc que les dispositions de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif ne font pas obstacle à la recevabilité de la communication. Il constate en outre que l’État partie n’a pas contesté le fait que les auteurs avaient épuisé les recours internes concernant les autres griefs. Il constate également que le grief des auteurs selon lequel l’annulation de leurs permis de travail respectifs porte atteinte aux droits qu’ils tiennent du Pacte n’a pas été soumis aux autorités de l’État partie. Par conséquent, le Comité décide que les dispositions de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner la communication, sauf en ce qu’elle concerne le grief des auteurs relatif à l’annulation de leurs permis de travail.

9.5Le Comité note que l’État partie conteste la recevabilité de la communication au motif que les griefs que les auteurs tirent de l’article 7 du Pacte ne sont pas étayés. Il considère néanmoins que ces griefs ont été suffisamment étayés et devraient être examinés au fond. En conséquence, il décide que la communication est recevable en ce qu’elle soulève des questions au regard de l’article 7 du Pacte et passe à son examen au fond.

Examen au fond

9.6 Conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

9.7 Le Comité prend note de l’affirmation des auteurs selon laquelle les décisions rendues dans leur affaire mettent en lumière les lacunes systémiques de la procédure d’asile de l’État partie, notamment le niveau élevé de preuve exigé concernant les risques encourus par les demandeurs, en particulier en ce qui concerne leurs allégations relatives aux menaces reçues en Suède, à l’explosion du domicile familial en Albanie et aux agressions subies par O. dans ce pays, après son expulsion. Le Comité prend note également de l’argument de l’État partie selon lequel les auteurs n’ont pas suffisamment étayé leurs griefs aux fins de la recevabilité, alors que le Pacte l’exige, étant donné qu’ils n’ont pas démontré que le risque qu’ils couraient était réel et personnel et qu’il constituait une conséquence nécessaire et prévisible de l’expulsion.

9.8Le Comité rappelle son observation générale no 31 (2004), dans laquelle il indique que les États parties ont l’obligation de ne pas extrader, déplacer, expulser quelqu’un ou le transférer par d’autres moyens de leur territoire s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque réel de préjudice irréparable, tel le préjudice envisagé à l’article 7 du Pacte, qui interdit les traitements cruels, inhumains ou dégradants. Le Comité a aussi indiqué que le risque devait être personnel et que le critère appliqué pour déterminer si les motifs invoqués pour établir l’existence d’un risque réel de préjudice irréparable sont sérieux était rigoureux. En outre, il renvoie à sa jurisprudence et rappelle qu’il convient d’accorder un poids important à l’analyse qu’a faite l’État partie de l’affaire et que, d’une manière générale, c’est aux organes des États parties au Pacte qu’il appartient d’examiner ou d’apprécier les faits et les preuves en vue d’établir l’existence d’un tel risque, sauf s’il peut être établi que cette appréciation a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice.

9.9Le Comité note que, dans sa décision du 22 décembre 2017, l’Office des migrations a considéré que le message menaçant laissé sur la boîte vocale de l’école de S. ne prouvait pas l’existence de la menace alléguée par les auteurs, puisqu’il était impossible de savoir qui avait passé l’appel, que la déclaration du maire de B. avait une faible valeur probante car il s’agissait d’une copie, que le certificat médical concernant l’agression dont O. avait été victime le 8 octobre 2013 avait une valeur probante limitée car il s’agissait d’une copie, que la lettre de menace accompagnée d’une cartouche réelle reçue par l’école de S. avait une faible valeur probante car on ne savait pas qui l’avait envoyée, ni si elle avait un lien avec le blog de O. Le Comité note également que, par une décision du 28 janvier 2019, le Tribunal administratif de l’immigration a approuvé l’appréciation que l’Office avait exposée dans sa décision du 22 décembre 2017.

9.10Le Comité note que l’État partie ne conteste pas le fait que la maison des auteurs en Albanie a été détruite par une explosion, ni le fait que O. a été agressé le 8 octobre 2013. Il prend note aussi de l’argument que les auteurs ont soulevé devant les juridictions nationales, à savoir que les autorités chargées de l’asile étaient mieux placées qu’eux pour obtenir des informations des autorités albanaises, étant donné qu’ils avaient fui le pays en raison des risques encourus. Il note que l’État partie n’explique pas pourquoi il considère que parce que les documents présentés par les auteurs à l’appui de leurs griefs sont des copies, il convient de leur attribuer une faible valeur probante. Il note également que l’État partie n’a rien fait pour vérifier l’authenticité des documents en question. Sur ce point, il fait observer que les demandeurs d’asile rencontrent souvent des difficultés lorsqu’ils recueillent des preuves à l’étranger. Le Comité note en outre que l’État partie ne fait pas référence à l’article de presse présenté par les auteurs pour prouver que quelqu’un avait fait exploser leur maison.

9.11Le Comité note que les autorités de l’État partie ont considéré que les deux menaces reçues à l’école de S. n’étayaient pas suffisamment les griefs des auteurs, car on ne savait pas qui les avait proférées, ni pourquoi les personnes qui les avaient proférées menaçaient de tuer la famille, ni si ces menaces avaient un lien avec le blog de O. Il fait toutefois remarquer que les autorités de l’État partie n’ont pas contesté l’existence ou la gravité de ces menaces et que les auteurs ont même été relogés à deux reprises par la police suédoise. Le Comité note également que les autorités de l’État partie ont reconnu qu’au moins une des menaces reçues à l’école de S. venait « étayer dans une certaine mesure le récit des auteurs ».

9.12Le Comité observe que, dans le cadre de l’une comme de l’autre procédure d’asile, les auteurs ont présenté plusieurs documents et autres éléments de preuve afin de démontrer le risque qu’ils courraient s’ils étaient expulsés vers l’Albanie, notamment des pièces démontrant qu’ils faisaient l’objet de menaces et d’attaques, et que leur maison avait été détruite par une explosion. Le Comité note également que les autorités de l’État partie se sont fondées sur les contradictions dans le récit des auteurs et n’ont rien fait pour vérifier les affirmations de ceux-ci, se bornant à indiquer que les preuves présentées n’étaient pas suffisantes et que les auteurs n’avaient pas cherché à obtenir la protection des autorités albanaises. Le Comité considère que dans les circonstances particulières de l’espèce, les contradictions relevées par l’État partie ne le dispensaient pas de prendre d’autres mesures raisonnables pour lever les doutes concernant le risque encouru par les auteurs s’ils étaient expulsés vers leur pays d’origine, lequel risque pouvait aboutir à une situation incompatible avec l’article 7 du Pacte. De ce fait, il considère que dans ces circonstances particulières, et compte tenu des informations et des éléments de preuve dont il dispose, l’évaluation des griefs des auteurs par l’État partie a manifestement été arbitraire et leur renvoi en Albanie constituerait une violation de l’article 7 du Pacte.

10.Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, constate que l’expulsion des auteurs vers l’Albanie constituerait une violation des droits qu’ils tiennent de l’article 7 du Pacte.

11.Conformément à l’article 2 (par. 1) du Pacte, qui dispose que les États parties s’engagent à respecter les droits reconnus dans le Pacte et à garantir ces droits à tous les individus se trouvant sur leur territoire et relevant de leur juridiction, l’État partie est tenu de réexaminer les griefs des auteurs, compte tenu des obligations que lui impose le Pacte et des présentes constatations du Comité. Il est également prié de ne pas expulser les auteurs vers l’Albanie tant que leur demande d’asile est en cours de réexamen.

12.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsque la réalité d’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans sa langue officielle.

Annexe

Opinion conjointe (dissidente) de Marcia V. J. Kran, Photini Pazartzis, Vasilka Sancin et Imeru Tamerat Yigezu

1.Nous ne parvenons pas à la même conclusion que la majorité, qui a estimé que si les auteurs étaient expulsés vers l’Albanie, cela porterait atteinte aux droits qu’ils tiennent de l’article 7 du Pacte.

2.En l’espèce, la question qui se pose est celle de savoir si l’évaluation de la situation des auteurs par l’État partie était clairement arbitraire ou manifestement erronée, ou a constitué un déni de justice.

3.Dans sa jurisprudence établie de longue date, le Comité a affirmé qu’il appartenait généralement à l’État partie d’apprécier les faits et les éléments de preuve concernant une affaire afin de déterminer s’il existait un risque réel de préjudice irréparable si les auteurs étaient expulsés de son territoire. L’État partie doit donc procéder à une évaluation individualisée du risque encouru par les auteurs en cas d’expulsion. En général, il faut des motifs sérieux de conclure à l’existence d’un risque personnel et c’est aux auteurs qu’il incombe de prouver qu’un tel risque existe. En outre, il convient d’accorder du poids à l’évaluation effectuée par l’État partie, à moins qu’il ne puisse être établi qu’elle était clairement arbitraire ou manifestement erronée, ou a constitué un déni de justice. Cette approche déférente fait écho à la pratique du Comité qui consiste à examiner les communications sur la base des informations écrites fournies par les auteurs et l’État partie. Le Comité n’est pas en mesure de procéder à une vérification indépendante des faits, mais il accorde le poids nécessaire à l’appréciation faite par l’État partie.

4.La majorité affirme que les auteurs ont suffisamment étayé leurs griefs aux fins de la recevabilité (par. 9.5). Il ressort toutefois de la jurisprudence du Comité que les auteurs doivent fournir le minimum d’éléments de preuve requis pour prouver que le risque encouru est plus qu’une simple possibilité théorique.

5.En l’espèce, l’État partie a analysé et examiné les informations et les éléments de preuve dont il disposait au cours des deux procédures d’asile et, à notre avis, son analyse satisfait aux exigences énoncées dans la jurisprudence du Comité. L’Office suédois des migrations a rejeté la première demande d’asile des auteurs parce que ceux-ci n’avaient pas fourni suffisamment d’éléments prouvant que les autorités albanaises ne les protégeraient pas (par. 2.3). Cette décision a fait l’objet d’un recours devant le Tribunal administratif de l’immigration, qui a rejeté le recours au motif que les auteurs n’avaient pas démontré qu’ils couraient objectivement un risque (par. 2.6). Les auteurs ont fait appel de cette décision devant la Cour administrative d’appel de l’immigration et ont de nouveau été déboutés (par. 2.7). Après cette série de décisions, les auteurs ont demandé que leur demande d’asile soit réexaminée, ce qui leur a été refusé car la nouvelle procédure ne remplissait pas les conditions prévues par la législation nationale, en particulier la loi sur les étrangers (par. 2.9). Les auteurs ont été expulsés en 2013 en vertu d’une mesure d’expulsion (par. 2.12).

6.Les auteurs sont ensuite revenus en Suède et ont attendu l’expiration de la mesure d’expulsion pour engager une seconde procédure d’asile, au cours de laquelle leurs griefs ont de nouveau été examinés en détail, mais rejetés, l’État partie ayant conclu que leurs allégations n’étaient pas crédibles (par. 2.14). Conformément à son obligation de tenir compte, dans son évaluation, de la situation des droits de l’homme dans le pays d’origine, l’État partie s’est appuyé sur des rapports fiables du Bureau européen d’appui en matière d’asile, selon lesquels les autorités albanaises disposent de mécanismes permettant de sanctionner la corruption et sont disposées à engager des poursuites en cas d’infraction (par. 2.16).

7.Au cours de la procédure, les auteurs ont affirmé à plusieurs reprises qu’ils avaient communiqué à l’État partie des informations démontrant qu’ils couraient personnellement un risque (par. 2.7 et 2.9). Cependant, à chaque fois qu’elles ont examiné les griefs des auteurs, les autorités compétentes de l’État partie ont conclu que ces informations ne permettaient pas d’établir que les intéressés couraient personnellement un risque réel de préjudice irréparable s’ils étaient expulsés vers l’Albanie. Elles sont parvenues à cette conclusion après avoir effectué un examen approfondi et individuel des faits. De plus, à chaque fois qu’elles ont pris une décision, elles ont fourni des explications aux auteurs. Ceux-ci n’ont pas démontré que l’évaluation de leurs demandes d’asile par les autorités nationales était clairement arbitraire ou manifestement erronée, ou qu’elle avait constitué un déni de justice.

8.Compte tenu du respect à accorder à l’évaluation faite par les autorités nationales, qui ont dûment examiné les faits et décidé qu’il n’existait pas de risque auquel l’État d’origine ne pouvait pas faire face, nous concluons que les auteurs n’ont pas suffisamment étayé leur allégation selon laquelle les autorités nationales ont apprécié les éléments de preuve ou interprété la législation nationale de manière clairement arbitraire ou ont manifestement commis une erreur dans leur détermination de la question de savoir si l’expulsion constituerait une violation de l’article 7 du Pacte.

9.Nous considérons donc que les auteurs n’ont pas suffisamment étayé leurs griefs et nous les aurions jugés irrecevables au regard de l’article 3 du Protocole facultatif.