Nations Unies

CCPR/C/137/D/2905/2016

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

19 mai 2023

Français

Original : anglais

Comité des droits de l ’ homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par.4)du Protocole facultatif, concernant la communication no 2905/2016 * , **

Communication soumise par :

Adil Turdukulov (représenté par un conseil, Gyulshaiyr Abdirasoulova)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteur

État partie :

Kirghizistan

Date de la communication :

2 août 2016 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 14 décembre 2016 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

10 mars 2023

Objet :

Condamnation à une amende pour non‑respect de la procédure régissant la tenue de rassemblements pacifiques

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes ; compatibilité ratione materiae

Question(s) de fond :

Liberté de réunion ; droit à un procès équitable

Article(s) du Pacte :

14 (par. 1) et 21

Article(s) du Protocole facultatif :

5 (par. 2 b))

1.L’auteur de la communication est Adil Turdukulov, de nationalité kirghize, né en 1981. Il affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient des articles 14 (par. 1) et 21 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 7 janvier 1995. L’auteur est représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur est un blogueur. Il affirme qu’il comptait participer, le 17 décembre 2015, avec six autres personnes, à un rassemblement pacifique organisé à proximité du Palais du Gouvernement à Bichkek. Les participants au rassemblement souhaitaient exprimer leur solidarité avec un journaliste qui risquait d’être arrêté parce qu’il n’avait pas payé l’indemnisation pour préjudice moral qu’un tribunal l’avait condamné à verser au Président de la République kirghize, à l’honneur et à la dignité duquel il aurait porté atteinte. L’auteur affirme qu’alors qu’il s’approchait du lieu du rassemblement, il a été arrêté par des policiers qui lui ont ordonné de ne pas tenir la manifestation, au motif que les autorités compétentes n’en avaient pas été informées. Il leur a répondu que la Constitution garantissait son droit d’organiser des rassemblements pacifiques et d’y participer, et qu’aucune notification n’était requise pour cela. Les policiers l’ont néanmoins arrêté et accusé de non‑respect de la procédure régissant la tenue de rassemblements pacifiques et de désobéissance aux ordres donnés en vertu de la loi par la police − des infractions administratives visées respectivement aux articles 392 (par. 1) et 371 (par. 1) du Code des infractions administratives.

2.2Le 17 décembre 2015, le tribunal du district Pervomaïsky de Bichkek a déclaré l’auteur coupable d’une infraction à l’article 392 (par. 1) du Code des infractions administratives et l’a condamné à payer une amende. Le tribunal a jugé que l’auteur avait pris part à un rassemblement pacifique organisé sans que les autorités compétentes en aient été informées au préalable, ce qui était contraire à la loi no 120 du 23 juillet 2002 sur le droit des citoyens de se réunir pacifiquement et sans armes afin de tenir librement des rassemblements et des manifestations, qui dispose que la tenue de réunions pacifiques, de marches, de rassemblements, de manifestations ou d’autres événements publics doit faire l’objet d’une notification préalable aux autorités administratives locales. Le tribunal a par conséquent conclu que la tenue du rassemblement pacifique sans notification préalable était illégale et entraînait l’engagement de poursuites.

2.3L’auteur a fait appel de la décision du tribunal, affirmant qu’il avait pris part à un rassemblement pacifique et que tel était son droit en vertu de l’article 34 de la Constitution. Il a en outre fait valoir que la loi no 120 n’était plus en vigueur au moment des faits, étant donné qu’elle avait été remplacée par la nouvelle loi no64 du 23 mai 2012 sur les rassemblements. Conformément à la nouvelle loi, le défaut de notification ne peut justifier l’interdiction d’organiser une réunion pacifique. Par conséquent, la dispersion ordonnée par la police n’était pas juridiquement fondée, pas plus que la condamnation de l’auteur pour infraction administrative au motif qu’il avait enfreint la procédure régissant la tenue de rassemblements pacifiques.

2.4Le 21 janvier 2016, le tribunal municipal de Bichkek (la cour d’appel) a confirmé la déclaration de culpabilité de l’auteur pour une infraction administrative. La cour d’appel a estimé que l’auteur avait pris part au rassemblement pacifique, dont les autorités compétentes n’avaient pas été informées, et qu’il n’avait pas respecté l’ordre de dispersion que la police avait formulé en vertu de la loi. Se référant aux dispositions de la loi no 120, elle a confirmé la décision du tribunal de première instance selon laquelle la tenue de manifestations pacifiques publiques sans que les autorités administratives locales en aient été informées au préalable était illégale et entraînait l’engagement de poursuites.

2.5L’auteur a saisi la Cour suprême d’une demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle, rappelant les arguments qu’il avait présentés en appel. Le 19 avril 2016, la Cour suprême a confirmé la déclaration de culpabilité, ayant constaté qu’il avait pris part à un rassemblement pacifique dont la tenue n’avait pas été notifiée au préalable aux autorités compétentes. Elle a accepté l’argument de l’auteur selon lequel les juridictions inférieures avaient appliqué une loi, à savoir la loi no 120, qui n’était plus en vigueur au moment des faits, mais elle a toutefois jugé que la législation applicable et en vigueur, en particulier l’article 11 de la loi no 64 sur les rassemblements pacifiques, contenait également une disposition concernant la notification des rassemblements pacifiques prévus aux autorités compétentes. Étant donné le défaut de notification préalable, la Cour suprême a conclu que l’auteur était coupable d’infraction à l’article 391 (par. 1) du Code des infractions administratives.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient des articles 14 (par. 1) et 21 du Pacte. Il affirme que l’ingérence des autorités de l’État partie dans la tenue du rassemblement public pacifique au motif qu’aucune notification n’avait été soumise a porté atteinte à son droit à la liberté de réunion. En outre, les tribunaux, pour le déclarer administrativement responsable de la violation de la procédure régissant la tenue de rassemblements pacifiques, se sont fondés sur une loi qui n’était plus en vigueur au moment des faits et n’ont pas tenu compte de la législation nationale applicable, qui n’impose pas aux organisateurs d’un rassemblement pacifique ou à ses participants d’informer les autorités de la tenue du rassemblement en question. L’auteur affirme qu’aucune obligation de ce type ne figure dans la loi no 64 sur les rassemblements pacifiques, qui est applicable aux faits en question. Il renvoie en outre à l’article 34 de la Constitution de l’État partie, qui dispose qu’une réunion pacifique ne peut être interdite ou restreinte en raison du défaut de notification. En outre, les organisateurs d’un rassemblement pacifique et les personnes qui y participent ne peuvent être tenus responsables du défaut de notification ou du non-respect de la forme, du contenu et du délai de notification.

3.2L’auteur demande au Comité de conclure à une violation des droits qu’il tient des articles 14 (par. 1) et 21 du Pacte et de prier l’État partie de mettre en place des garanties pour éviter que des violations analogues se reproduisent.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une note verbale datée du 19 octobre 2018, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication. L’État partie explique que pour déclarer l’auteur coupable d’une infraction administrative, les juridictions de première instance et d’appel se sont fondées sur la loi no 120, qui imposait aux personnes participant à une manifestation publique d’informer préalablement les autorités administratives locales de la tenue de celle-ci au plus tard douze jours calendaires à l’avance. Il précise que la loi no 120 ne s’applique plus depuis le 23 mai 2012, date de la promulgation de la loi no 64 sur les rassemblements pacifiques. Il précise en outre que, selon la loi no 64, la notification préalable d’un rassemblement pacifique n’est pas obligatoire.

4.2À cet égard, l’État partie fait observer que dans sa décision du 19 avril 2016, la Cour suprême a estimé que les juridictions inférieures avaient appliqué au cas de l’auteur une loi qui n’était plus en vigueur au moment des faits, mais elle a toutefois jugé que la législation applicable, à savoir l’article 11 de la loi no 64 sur les rassemblements pacifiques, contenait aussi des dispositions relatives à la notification d’une manifestation publique aux autorités. L’État partie est donc d’avis que l’argument de l’auteur selon lequel les tribunaux ont commis une erreur de droit en appliquant des dispositions juridiques qui n’étaient plus en vigueur au moment des faits n’est pas valable.

4.3Selon l’auteur, l’article 392 du Code des infractions administratives, qui prévoit des poursuites en cas de non-respect de la procédure régissant la tenue de rassemblements pacifiques, est en contradiction avec la Constitution, qui dispose qu’une réunion pacifique ne peut être interdite ou restreinte en raison du défaut de notification. À cet égard, l’État partie affirme que l’auteur avait la possibilité de contester la constitutionnalité de la disposition susmentionnée du Code des infractions administratives devant la chambre constitutionnelle de la Cour suprême. Étant donné que l’auteur ne l’a pas fait, on ne saurait considérer que les recours internes ont été épuisés en l’espèce.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1Le 25 janvier 2019, l’auteur a soumis des commentaires dans lesquels il affirme que fonder une décision de justice sur des normes juridiques qui n’étaient plus en vigueur au moment des faits en cause est contraire aux garanties d’un procès équitable prévues par le Pacte. Il soutient qu’en l’espèce, la législation en vigueur au moment des faits, en particulier la Constitution, ne permet pas d’interdire ou de restreindre la tenue d’un rassemblement pacifique en raison du défaut de notification. La Constitution interdit en outre de tenir qui que ce soit responsable du défaut de notification d’un rassemblement pacifique. L’article 34 (par. 2) de la Constitution garantit à chacun le droit de soumettre une notification de rassemblement. À cet égard, l’auteur avance que l’article 11 de la loi no 64 sur les rassemblements pacifiques établit un mécanisme pour les personnes qui souhaitent exercer leur droit constitutionnel. La loi no 64, en vigueur au moment des faits, garantit le droit de tenir un rassemblement avec ou sans notification préalable.

5.2En ce qui concerne l’argument de l’État partie relatif au non-épuisement des recours internes, l’auteur soutient qu’il n’est pas pertinent, étant donné que ses griefs ne portent pas sur la question de la constitutionnalité de l’article 392 du Code des infractions administratives, mais sur le fait que sa condamnation pour infraction administrative au motif qu’il n’avait pas notifié la tenue du rassemblement pacifique a porté atteinte aux droits qu’il tient du Pacte.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication est irrecevable au motif que les recours internes n’ont pas été épuisés, étant donné que l’auteur n’a pas contesté la constitutionnalité du Code des infractions administratives devant la chambre constitutionnelle de la Cour suprême. À cet égard, le Comité prend note de l’argument de l’auteur selon lequel sa communication ne vise pas à remettre en cause la constitutionnalité du Code des infractions administratives, mais porte sur le fait que sa condamnation pour infraction administrative au motif qu’il n’avait pas notifié la tenue du rassemblement pacifique a porté atteinte aux droits qu’il tient du Pacte. Étant donné l’objet de la communication, tel que formulé par l’auteur, le Comité ne voit aucune raison de conclure que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes pour les raisons indiquées par l’État partie. En conséquence, le Comité considère que les dispositions de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner la présente communication.

6.4.Concernant les griefs que l’auteur tire de l’article 14 (par. 1) du Pacte, le Comité rappelle que le droit de chacun à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial est garanti dans les procédures visant à décider du bien-fondé soit d’une accusation portée contre l’intéressé en matière pénale, soit de contestations sur ses droits et obligations de caractère civil. Il rappelle également qu’une accusation en matière pénale se rapporte en principe à des actes qui sont réprimés par la loi pénale interne. Cette notion peut toutefois être étendue à des mesures de nature pénale s’agissant de sanctions qui, indépendamment de leur qualification en droit interne, doivent être considérées comme pénales en raison de leur finalité, de leur caractère ou de leur sévérité. À cet égard, le Comité note que l’auteur a été condamné à une amende administrative pour non-respect de la procédure régissant la tenue de rassemblements pacifiques, en vertu des dispositions applicables du Code des infractions administratives. Il note également que, bien que les sanctions imposées à l’auteur soient de nature administrative selon le droit de l’État partie, elles visaient à réprimer, par les peines infligées, l’infraction dont il était accusé et à exercer un effet dissuasif sur autrui − des objectifs analogues à la finalité générale du droit pénal. Il note en outre que les règles juridiques que l’auteur est accusé d’avoir enfreintes ont un caractère général et visent toute personne qui, à titre individuel, participe à un rassemblement pacifique. Ainsi, le caractère général des règles et la finalité de la sanction, qui est par nature à la fois dissuasive et punitive, suffisent à établir que l’infraction en question revêtait bien un caractère pénal au sens de l’article 14 du Pacte. En conséquence, le Comité considère que le grief que l’auteur tire de l’article 14 (par. 1) du Pacte est recevable ratione materiae, étant donné que la procédure ayant abouti à la condamnation de l’auteur pour infraction administrative relève de « la détermination du bien‑fondé » d’une « accusation en matière pénale » au sens de l’article 14 (par. 1) du Pacte.

6.5Le Comité considère que l’auteur a suffisamment étayé aux fins de la recevabilité les griefs qu’il tire des articles 14 (par. 1) et 21 du Pacte. Il déclare donc la communication recevable et passe à son examen au fond.

Examen au fond

7.1Conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2Le Comité prend note du grief de l’auteur selon lequel son droit à la liberté de réunion garanti par l’article 21 du Pacte a été violé, étant donné qu’il a été sanctionné, en application des dispositions pertinentes de la législation nationale, pour avoir enfreint la procédure régissant la tenue de manifestations publiques au motif qu’il n’avait pas notifié aux autorités compétentes la tenue de la manifestation publique pacifique. Le Comité doit donc déterminer si la sanction administrative imposée à l’auteur constitue une violation des droits que celui‑ci tient de l’article 21 du Pacte.

7.3Dans son observation générale no 37 (2020), le Comité constate que le droit de réunion pacifique, consacré à l’article 21 du Pacte, est un droit de l’homme fondamental, essentiel à l’expression publique des points de vue et opinions de chacun et indispensable dans une société démocratique. L’article 21 du Pacte protège les réunions pacifiques, qu’elles se déroulent à l’extérieur, à l’intérieur ou en ligne, dans l’espace public ou dans des lieux privés, ou qu’elles combinent plusieurs de ces modalités. Ces réunions peuvent prendre de nombreuses formes, notamment celles de manifestations, protestations, rassemblements, défilés, sit-in, veillées à la bougie et mobilisations éclair. Elles sont protégées au titre de l’article 21 qu’elles soient statiques, comme les piquets, ou mobiles, comme les défilés ou les marches. L’exercice du droit de réunion pacifique ne peut faire l’objet que des seules restrictions : a) imposées conformément à la loi ; et b) nécessaires dans une société démocratique pour protéger la sécurité nationale, la sûreté publique, l’ordre public, la santé ou la moralité publiques, ou les droits et libertés d’autrui. L’État partie est donc tenu de justifier la limitation du droit garanti par l’article 21 du Pacte.

7.4Le Comité rappelle en outre que les systèmes de notification qui imposent à ceux qui ont l’intention d’organiser une réunion pacifique d’en informer les autorités à l’avance et de fournir certains détails importants sont autorisés dans la mesure nécessaire pour aider les autorités à faciliter le bon déroulement des réunions pacifiques et à protéger les droits d’autrui. Cette exigence ne doit pas être utilisée abusivement pour décourager la tenue de rassemblements pacifiques et elle doit être justifiée par les motifs énoncés à l’article 21. Le défaut de notification préalable aux autorités d’un rassemblement à venir, lorsque cette notification est requise, ne rend pas illégale la participation à la réunion en question, et ne doit pas en soi servir de motif pour disperser le rassemblement ou arrêter les participants ou les organisateurs, ou pour infliger des sanctions injustifiées, par exemple accuser les participants ou les organisateurs d’infractions pénales. Si des sanctions administratives sont infligées aux organisateurs pour défaut de notification, les autorités doivent en expliquer les raisons. L’absence de notification préalable n’exonère pas les autorités de l’obligation de faciliter la tenue de la réunion et de protéger les participants dans la mesure de leurs capacités.

7.5Le Comité constate qu’en l’espèce, l’auteur a été sanctionné pour avoir enfreint la procédure régissant la tenue de rassemblements pacifiques au motif qu’il n’avait pas notifié le rassemblement en question aux autorités. L’auteur affirme que la restriction qui lui a été imposée n’était pas prévue par la loi, le droit interne en vigueur au moment des faits ne prévoyant pas l’obligation de notifier les autorités de la tenue d’une réunion pacifique. Le Comité doit donc déterminer si la sanction administrative infligée à l’auteur en l’espèce constituait une restriction imposée « conformément à la loi », comme le prévoit la deuxième phrase de l’article 21 du Pacte.

7.6Le Comité constate, à la lumière des éléments dont il dispose, que les parties sont d’accord sur le caractère pacifique de la manifestation en question. Les parties ne sont pas d’accord sur la question de savoir si les dispositions de la législation nationale ont été correctement interprétées et appliquées dans la présente affaire. Le Comité constate que pour déclarer l’auteur coupable d’infractions visées par le Code des infractions administratives, les juridictions de première instance et d’appel se sont fondées sur la loi no 120, qui énonçait l’obligation de notifier tout rassemblement pacifique prévu aux autorités et qui était abrogée au moment des faits en question. Il constate également que la Cour suprême de l’État partie a admis que la loi sur laquelle les juridictions inférieures s’étaient fondées pour condamner l’auteur n’était plus en vigueur au moment des faits. La Cour suprême a néanmoins confirmé la déclaration de culpabilité au motif que la législation applicable et en vigueur au moment des faits, à savoir l’article 11 de la loi no 64 sur les rassemblements pacifiques, contenait également des dispositions concernant la notification des manifestations pacifiques publiques aux autorités compétentes (par. 2.5 ci-dessus). À cet égard, le Comité prend note des explications fournies par l’État partie dans ses observations sur la recevabilité et le fond, à savoir que conformément à la loi no 64, la notification aux autorités d’un rassemblement pacifique n’est pas obligatoire (par. 4.1 ci-dessus). En outre, il prend note des dispositions de la Constitution de l’État partie, telle qu’elle était en vigueur à l’époque des faits, en particulier des paragraphes 2 et 3 de l’article 34, qui disposent expressément ce qui suit : a) une réunion pacifique ne peut être interdite ou restreinte en raison du défaut de notification ou du non‑respect de la forme, du contenu et du délai de notification ; b) les organisateurs d’un rassemblement pacifique et les personnes qui y participent ne peuvent être tenus responsables du défaut de notification ou du non-respect de la forme, du contenu et du délai de notification.

7.7Dans ce contexte, le Comité est d’avis que l’État partie n’a pas démontré en quoi la restriction des droits de l’auteur, à savoir sa condamnation pour avoir enfreint la procédure administrative régissant la tenue de rassemblements pacifiques en raison du défaut de notification, avait été imposée conformément à la loi, comme l’exige l’article 21 du Pacte. Ilconsidère, eu égard aux dispositions de la Constitution de l’État partie citées plus haut, ainsi qu’aux explications fournies par l’État partie quant au caractère non obligatoire du système de notification prévu par la législation nationale, qu’en l’absence d’obligation légale de notifier aux autorités la tenue d’un rassemblement pacifique, il n’y avait pas de base légale pour condamner l’auteur à une amende administrative au motif qu’il n’avait pas notifié la manifestation pacifique publique aux autorités. Par conséquent, le Comité considère que la restriction aux droits de l’auteur n’a pas été imposée « conformément à la loi » au sens de la deuxième phrase de l’article 21 du Pacte. Compte tenu de ce qui précède, il estime qu’il n’y a pas lieu d’étudier la question de savoir si la restriction en question était justifiée par l’un des objectifs légitimes énoncés à l’article 21. L’État partie n’ayant pas donné d’autres explications sur ce point, leComité conclut qu’il a violé les droits que l’auteur tient de l’article 21 du Pacte.

7.8Compte tenu de cette conclusion, le Comité décide de ne pas examiner séparément les griefs que l’auteur tire de l’article 14 (par. 1) du Pacte.

8.Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 21 du Pacte.

9.Conformément à l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur une réparation effective. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, il est tenu, entre autres, de prendre des mesures appropriées pour octroyer à l’auteur une indemnisation adéquate, notamment de lui rembourser le montant de l’amende et les éventuels frais de justice engagés. Il est également tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour que des violations analogues ne se reproduisent pas.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsque la réalité d’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles.