Comité des droits de l’homme
Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2521/2015 * , **
Communication présentée par : |
Ermek Narymbaev |
Victime(s) présumée(s): |
L’auteur |
État partie : |
Kazakhstan |
Date de la communication : |
2 septembre 2014 (date de la lettre initiale) |
Références: |
Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 8 janvier 2015 (non publiée sous forme de document) |
Date des constatations: |
6 novembre 2020 |
Objet : |
Participation à une manifestation pacifique non autorisée ; procès équitable |
Question(s) de procédure : |
Fondement des griefs |
Question(s) de fond : |
Liberté d’expression ; liberté de réunion ; garanties d’un procès équitable |
Article(s) du Pacte: |
14 (par. 3, al. d) et g)), 19 et 21 |
Article(s) du Protocole facultatif: |
2 |
1.L’auteur est Ermek Narymbaev, de nationalité kazakhe, né en 1970. Il se dit victime d’une violation par le Kazakhstan des droits qui lui sont reconnus par l’article 14 (par. 3, al. d) et g)), et les articles 19 et 21 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (le Pacte). Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 30 septembre 2009. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.
Rappel des faits présentés par l’auteur
2.1L’auteur est défenseur des droits de l’homme et fondateur d’une organisation non gouvernementale qui œuvre pour « les travailleurs et les chômeurs ». Le 30 septembre 2013, il a apporté son concours à la remise au Bureau des Nations Unies à Almaty d’une pétition contre l’utilisation par la Fédération de Russie de la base de lancement de Baïkonour pour le tir d’un lanceur. L’auteur estime que ces tirs ont des effets inacceptables sur l’écologie du Kazakhstan et sur la santé de la population. Il affirme que toutes les nations civilisées, à l’exception de la Russie, ont cessé d’utiliser l’heptyle, gaz employé pour la mise à feu de lanceurs. En juillet 2013, un lanceur mis à feu avec de l’heptyle a explosé une minute après son lancement avant de retomber au sol. Selon la compagnie d’assurances, le lanceur a rejeté quelque 500 tonnes de combustible, composé d’heptyle et d’amyle, deux substances hautement toxiques. L’auteur souligne que l’heptyle est une substance extrêmement toxique qui peut avoir de multiples effets sur l’organisme, notamment sur les organes internes, le système nerveux central ou l’appareil circulatoire.
2.2Le 2 octobre 2013, l’auteur a été condamné à une amende de 86 550 tenge par le tribunal administratif interdistrict spécial d’Almaty sur le fondement de la loi sur la procédure relative à l’organisation et à la tenue de rassemblements, réunions, marches, piquets et manifestations pacifiques pour avoir participé à une manifestation non autorisée. Le 5 novembre 2013, cette décision a été confirmée en appel.
2.3L’auteur a saisi le Bureau du Procureur d’Almaty et le Bureau du Procureur général d’une demande de réexamen de la décision de la cour d’appel au titre de la procédure de contrôle juridictionnel. Le 25 avril 2014, le procureur général adjoint de la ville d’Almaty a estimé qu’il n’y avait pas matière à procéder au réexamen de l’affaire. Le 14 juillet 2014, un autre procureur général adjoint a rejeté le recours. L’auteur estime donc que les recours internes ont été épuisés.
2.4L’auteur rappelle qu’en vertu de l’article 14 (par. 3, al. d)), toute personne a le droit de se défendre en présence d’un avocat, et affirme n’avoir pas pu exercer ce droit. De plus, le tribunal n’a pas entendu les témoins de la police dont les dépositions ont servi de fondement à la décision d’infliger une amende à l’auteur.
2.5Au cours du procès, les droits que l’auteur tient de l’article 14 (par. 3, al. d) et g)) ont également été violés, en ce qu’il n’a pas été informé de la date de l’audience d’appel, qui a eu lieu en son absence.
2.6En outre, selon l’auteur, les juges ont agi de manière partiale, ignorant ses arguments et le témoignage d’un de ses témoins, ainsi que les normes du droit national et international des droits de l’homme, agissant clairement en faveur de la police. Dès le début du procès, le tribunal a traité l’auteur comme un délinquant.
2.7L’auteur renvoie à la jurisprudence du Comité en matière de liberté d’expression, en particulier aux constatations qu’il a adoptées dans les affaires Olechkevitch c. Bélarus (communication no 1785/2008) et Protsko et Tolchin c. Bélarus (communications nos 1919 et 1920/2009), dans lesquelles il a conclu que les restrictions apportées à la liberté d’expression des auteurs étaient injustifiées.
Teneur de la plainte
3.1L’auteur affirme que les droits qui lui sont reconnus par l’article 14 (par. 3, al. d)) du Pacte ont été violés en ce qu’il n’a pas été informé de la date de l’audience d’appel et que la cour a examiné son recours en son absence. Le Président du tribunal administratif interdistrict spécial d’Almaty n’a pas pris en considération le fait que sa culpabilité n’avait jamais été établie et il n’a pas entendu un certain nombre de témoins importants.
3.2L’auteur affirme qu’au cours du procès, il a admis avoir été présent lors de la remise de la pétition au Bureau des Nations Unies mais a nié toute culpabilité. Le Président du tribunal n’a pas tenu compte de ses arguments selon lesquels il n’avait pas organisé la manifestation, n’était pas intervenu et n’avait pas accordé d’entretiens, et s’était simplement présenté comme observateur. L’auteur a également expliqué qu’au regard du Code des infractions administratives, il existait des éléments de nature à l’exonérer de sa responsabilité pour la manifestation en cause.
3.3L’auteur affirme que le tribunal n’a pas tenu compte du fait qu’il avait le droit de se joindre à la remise de la pétition en vertu du droit national et du droit international. L’article 22 de la Constitution kazakhe et l’article 19 du Pacte consacrent la liberté d’expression, à savoir la liberté d’avoir des opinions, de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, et l’expression artistique, sans considération de frontières, sous une forme orale ou écrite, dans la presse ou par d’autres moyens.
3.4La manifestation du 30 septembre 2013 était pacifique, elle ne menaçait pas la sécurité de l’État et ne portait pas atteinte aux droits ou aux libertés d’autrui. En vertu de l’article 21 du Pacte, le droit de réunion pacifique ne peut faire l’objet que des seules restrictions imposées conformément à la loi et qui sont nécessaires dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l’ordre public ou pour protéger la santé ou la moralité publiques, ou les droits et les libertés d’autrui. Selon le Comité, lorsqu’ils imposent des restrictions, les États ne doivent pas mettre en danger le principe du droit à la liberté de réunion. Ils doivent justifier de telles restrictions par la nécessité d’agir dans le cadre d’une des exceptions susmentionnées.
3.5Comme la Cour suprême l’a affirmé dans son arrêt du 10 juillet 2008, le Kazakhstan est tenu de protéger les droits et libertés de toutes les personnes relevant de sa juridiction, conformément à la Constitution et à ses obligations internationales.
3.6L’auteur estime que l’amende qui lui a été infligée visait à le punir d’avoir remis la pétition au Bureau des Nations Unies à Almaty, en violation de ses droits à la liberté d’expression et à la liberté de réunion, droits qui sont garantis par les articles 19 et 21 du Pacte. Les autorités n’ont pas expliqué en quoi les restrictions imposées étaient nécessaires.
3.7Selon l’auteur, la remise de la pétition ne saurait être qualifiée de rassemblement puisqu’elle a eu lieu en présence d’à peine cinq ou six personnes. La participation de l’auteur en tant qu’observateur ne saurait justifier l’imposition d’une amende. De plus, l’accusation n’a produit aucun élément de preuve et les conclusions du tribunal ne concordent pas avec les faits de l’espèce. Le tribunal a jugé l’auteur coupable des faits qui lui étaient reprochés en se fondant sur le rapport de police faisant état de la commission d’une infraction. La soumission de la pétition ne menaçait en rien la sécurité nationale, la sûreté publique, l’ordre public, la protection de la santé ou de la moralité publiques, ni les droits et libertés d’autrui. L’auteur est donc d’avis que les organisateurs n’avaient pas l’obligation d’informer les autorités de l’action prévue.
3.8L’auteur estime non seulement que les États doivent garantir le droit de réunion pacifique, mais qu’ils doivent aussi éviter d’apporter des restrictions indirectes injustifiées à la réalisation de ce droit.
Observations de l’État partie
4.1L’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et sur le fond dans une note verbale datée du 1er avril 2015. Dans cette note verbale, il rappelle les faits de l’espèce : le 30 septembre 2013, vers 11 heures, devant le bâtiment des Nations Unies à Almaty, l’auteur, sans avoir obtenu au préalable l’autorisation des autorités locales et dans le but d’attirer l’attention du public, a organisé avec les membres d’une organisation non gouvernementale une manifestation visant à dénoncer l’utilisation de l’heptyle pour la mise à feu des lanceurs Protons à Baïkonour. L’auteur distribuait des dépliants au format A3 sur lesquels on pouvait lire « Si le Gouvernement autorise les Protons, moi je suis contre ».
4.2Des représentants du parquet ont expliqué à ceux qui participaient à l’action que les dispositions de la loi sur la procédure relative à l’organisation et à la tenue de rassemblements, réunions, marches, piquets et manifestations pacifiques n’étaient pas respectées et les ont invités à mettre fin à leurs actes illégaux, mais en vain.
4.3Toujours le 30 septembre 2013, un procès-verbal d’infraction a été dressé contre l’auteur en application de l’article 373 (par. 3) du Code des infractions administratives. Dans une décision du 2 octobre 2013, le tribunal administratif interdistrict spécial d’Almaty a condamné l’auteur à une amende de 86 550 tenge. La culpabilité de l’auteur a été dûment établie, sur le fondement du procès-verbal précité du 30 septembre 2013, des dépositions de l’auteur et des témoins, et d’autres éléments de preuve versés au dossier, tous examinés par le tribunal.
4.4L’auteur a fait appel de la décision susmentionnée. Le 5 novembre 2013, le tribunal municipal d’Almaty a confirmé le jugement du tribunal de première instance.
4.5L’auteur a saisi le ministère public et le Bureau du Procureur général d’Almaty d’une demande de réexamen des décisions rendues au titre de la procédure de contrôle juridictionnel. Le ministère public a estimé qu’il n’y avait pas matière à procéder à un tel réexamen.
4.6L’État partie considère que la communication soumise par l’auteur est dénuée de fondement et irrecevable. Le fait que l’auteur a participé à la remise d’une pétition dans le cadre d’une manifestation non autorisée, à proximité du bâtiment des Nations Unies, le 30 septembre 2013 a été dûment établi en justice et n’a pas été contesté par l’auteur. Cependant, l’auteur conteste l’accusation selon laquelle ses actes constituent une infraction et affirme qu’il n’a participé à la manifestation qu’en tant qu’observateur et s’est contenté d’exercer son droit de réunion pacifique et son droit à la liberté d’expression.
4.7Toutefois, il a été établi, sur la base des dépositions des témoins et d’autres pièces du dossier, que l’auteur était l’un des organisateurs de la manifestation et qu’il y participait très activement, notamment en brandissant une pancarte.
4.8D’une manière générale, le droit à la liberté d’expression est soumis à des restrictions. L’article 19 (par. 3) du Pacte précise que ce droit peut être soumis à des restrictions, si celles‑ci sont prévues par la loi et nécessaires : a) au respect des droits ou de la réputation d’autrui ; b) à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques.
4.9L’article 21 du Pacte protège le droit de réunion pacifique. Ce droit est lui aussi soumis à des restrictions, qui doivent néanmoins être imposées conformément à la loi et qui sont nécessaires dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l’ordre public ou pour protéger la santé ou la moralité publiques, ou les droits et les libertés d’autrui.
4.10Les dispositions susmentionnées ont été transposées dans le droit national. L’article 32 de la Constitution protège le droit de réunion pacifique. Ce droit ne peut faire l’objet que des seules restrictions prévues par la loi dans l’intérêt de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la défense de la nation ou de la santé publique et pour protéger les droits et les libertés d’autrui. L’article 2 de la loi sur la procédure relative à l’organisation et à la tenue de rassemblements, réunions, marches, piquets et manifestations pacifiques dispose que ceux-ci doivent être autorisés par les organes compétents. L’article 9 de cette même loi prévoit que quiconque enfreint ces dispositions engage sa responsabilité administrative.
4.11Les réunions, assemblées, rassemblements, piquets et autres manifestations pacifiques ne sont pas interdits au Kazakhstan mais ils sont réglementés, et notamment soumis à certaines restrictions.
4.12Les sources démocratiques du droit écrit, comme les recommandations du Bureau des institutions démocratiques et des droits de l’homme (BIDDH) de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), reconnaissent la nécessité de prévoir des restrictions particulières du droit à la liberté d’association.
4.13L’État partie constate qu’au cours de ces dernières années en Europe, des États ont subi des dommages en raison de l’exercice du droit à la liberté de réunion par une certaine partie de la société. Il y a eu, notamment, des émeutes, des détériorations de biens publics et privés, et des interruptions de l’activité des entreprises ou du fonctionnement des réseaux de transport. Ces actes ont toujours commencé par des réunions pacifiques. C’est pourquoi il convient de réglementer − et non d’interdire − la tenue de telles manifestations, y compris en exigeant des organisateurs qu’ils obtiennent l’autorisation des autorités compétentes.
4.14En l’espèce, l’État partie fait observer que la conduite de telles actions spontanées et non autorisées dans des lieux inadaptés, notamment des lieux où la circulation est importante, ou des lieux où l’expression d’une opinion risque de provoquer des réactions violentes de la part d’autres membres de la société, est susceptible de porter atteinte au calme et à la sécurité des environs et de perturber le fonctionnement normal des moyens de transport et des infrastructures. La manifestation dont l’auteur était l’un des organisateurs pouvait donc à l’évidence troubler l’ordre public, constituer ainsi une menace pour la santé et la sécurité de l’auteur lui-même et d’autres personnes, et faire peser une menace grave sur la sécurité publique.
4.15La jouissance de la liberté d’expression et de réunion implique des obligations et des responsabilités particulières, car l’exercice abusif de cette liberté peut avoir de graves conséquences. Il risque de perturber le fonctionnement normal des réseaux de transport et de donner lieu à des émeutes et à d’autres formes de comportement antisocial. C’est pourquoi ces droits sont soumis à des restrictions ; la loi prévoit notamment que quiconque enfreint la loi sur la tenue de manifestations engage sa responsabilité administrative. Grâce à l’intervention opportune de la police, les agissements illégaux de l’auteur n’ont eu aucune conséquence grave.
4.16L’État partie ajoute que, dans de nombreux pays développés, les droits à la liberté de réunion et à la liberté d’organiser des rassemblements sont restreints par des lois spéciales. Au Kazakhstan, les autorités locales ont délimité les lieux où peuvent se tenir des rassemblements.
4.17L’État partie fait observer qu’à New York (États-Unis d’Amérique), par exemple, les organisateurs de tout rassemblement sont tenus de soumettre une demande d’autorisation au moins quarante‑cinq jours à l’avance et de préciser l’itinéraire exact de la manifestation ; les autorités peuvent déterminer un autre itinéraire. En Suède, les organisateurs de rassemblements qui ont été interdits ou dispersés voient leur nom inscrit sur une liste noire. En France, les autorités peuvent refuser la tenue de toute réunion. Au Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, des moratoires temporaires sur les rassemblements peuvent être instaurés et aucun rassemblement ne peut se tenir sans l’autorisation préalable de la police. En Allemagne, toute réunion, tout rassemblement ou toute manifestation de masse, en salle ou en plein air, doit être préalablement autorisé(e) par les autorités.
4.18Ainsi, la réglementation relative aux manifestations de masse au Kazakhstan est pleinement conforme aux normes du droit international, y compris à la Déclaration universelle des droits de l’homme et au Pacte, ainsi qu’à la pratique des démocraties développées.
4.19L’État partie clarifie sa pratique concernant les manifestations de masse. Quiconque prévoit d’organiser une manifestation doit solliciter l’autorisation de l’organe exécutif local. En application de l’article 9 de la loi sur la procédure relative à l’organisation et à la tenue de rassemblements, réunions, marches, piquets et manifestations pacifiques, les contrevenants sont passibles de poursuites.
4.20Ainsi qu’il ressort des éléments du dossier, aucun akim (responsable des autorités locales) n’a autorisé la tenue d’une réunion, d’un rassemblement ou d’un piquet le 30 septembre 2013 à proximité du bâtiment des Nations Unies à Almaty. Ce fait n’est pas contesté par l’auteur, qui a délibérément décidé d’enfreindre la loi. L’argument de l’auteur, selon lequel il n’a commis aucune infraction en participant activement à une réunion non autorisée, a été examiné et déclaré dépourvu de fondement en première instance comme en appel. L’auteur a été sanctionné non pas pour avoir librement exprimé son opinion, mais pour avoir enfreint la procédure relative à la tenue d’une manifestation socioculturelle.
4.21L’État partie considère que les allégations de violations des garanties d’un procès équitable formulées par l’auteur au motif qu’il n’aurait pas été informé de son droit d’être représenté par un avocat et que l’audience d’appel a eu lieu en son absence, ont été prises en considération par les tribunaux mais déclarées sans fondement. Il convient de souligner que, lorsque le procès-verbal d’infraction a été établi, ainsi que pendant le procès, l’auteur s’est vu expliquer ses droits mais n’a pas demandé qu’un avocat de la défense soit désigné. Le tribunal de première instance a informé l’auteur de tous les droits procéduraux qui lui étaient reconnus par l’article 584 du Code des infractions administratives, y compris de son droit d’être représenté par un avocat. La signature que l’auteur a apposée sur le formulaire correspondant l’atteste.
4.22L’article 589 du Code des infractions administratives énumère les situations dans lesquelles la présence d’un avocat de la défense est obligatoire. Les circonstances de l’espèce ne font pas partie de ces situations.
4.23En vertu de l’article 584 (par. 2) du Code des infractions administratives, une affaire peut être examinée en l’absence de l’accusé(e) si l’on sait que celui-ci ou celle‑ci a été dûment informé(e) du lieu et de l’heure de l’audience et qu’aucune demande d’ajournement n’a été reçue. La cour d’appel a estimé que l’auteur avait été dûment informé et, en l’absence de toute demande d’ajournement, a décidé de procéder à l’examen du recours en l’absence de l’auteur.
4.24En outre, l’État partie estime que la communication est irrecevable au motif que l’auteur n’a pas épuisé toutes les voies de recours internes qui lui étaient ouvertes. Par exemple, il n’a pas introduit de demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle directement auprès du Procureur général pour contester la décision du Procureur général adjoint.
4.25En conclusion, l’État partie considère qu’en déclarant l’auteur responsable d’une infraction administrative, les autorités ont respecté les dispositions du Pacte. La communication est donc dénuée de fondement et irrecevable.
Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie
5.1Dans une lettre datée du 21 mai 2015, l’auteur a soumis ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il souligne que la remise de la pétition le 30 septembre 2013 ne constituait pas une menace pour l’État ou la sécurité publique, ni ne portait atteinte à l’ordre public, à la santé publique, à la moralité publique ou à la protection des droits et libertés d’autrui. Au contraire, les questions soulevées pendant la campagne portaient sur la protection de la sécurité et de la santé publiques. L’heptyle contient des substances extrêmement toxiques susceptibles d’avoir des effets néfastes sur la santé humaine. Tous les pays civilisés, y compris la Fédération de Russie, ont renoncé à utiliser l’heptyle sur leur territoire. Dans les régions où ce gaz est encore utilisé, les populations souffrent d’un vaste éventail de maladies. Un groupe de militants a préparé une pétition contre l’utilisation de l’heptyle par la Fédération de Russie au Kazakhstan et voulait la remettre au Bureau des Nations Unies à Almaty. L’auteur, militant et directeur d’une organisation non gouvernementale, est venu soutenir cette manifestation après en avoir été informé sur les médias sociaux.
5.2L’auteur note que les droits à la liberté d’expression et à la liberté de réunion peuvent être soumis à des restrictions. Toutefois, l’État partie n’a pas expliqué pour quelles raisons un citoyen ne pourrait pas exprimer son opinion ni pourquoi une réunion pacifique avait été interrompue et les participants condamnés à une amende administrative. Les autorités ont voulu museler la société civile, en faisant savoir aux citoyens qu’ils n’avaient pas le droit d’exprimer leur opinion ou de formuler des revendications publiquement.
5.3L’auteur renvoie aux Lignes directrices sur la liberté de réunion pacifique, publiées en 2007 par l’OSCE, selon lesquelles le droit à la liberté de réunion pacifique est un droit majeur dont l’exercice ne devrait être soumis à aucune réglementation extérieure, dans la mesure du possible. Les personnes désireuses de participer à une réunion pacifique ne doivent pas être tenues d’obtenir une autorisation. La législation devrait créer sans équivoque une présomption en faveur de la liberté de réunion. Les États doivent protéger les réunions pacifiques et prévoir une série de mécanismes et de procédures aux fins de la réalisation effective, dans la pratique, de la liberté de réunion, sans réglementation bureaucratique superflue. Toute restriction de la liberté de réunion doit être proportionnée. Les autorités doivent choisir la forme la moins intrusive possible d’ingérence dans le droit de réunion pacifique.
5.4L’auteur affirme que la remise publique de la pétition susmentionnée était un moyen d’exprimer une opinion, qui ne menaçait pas le pouvoir de l’État ni l’ordre public, et qu’il était donc inutile de l’interrompre.
5.5L’auteur explique que la répression de l’action civile peut avoir des conséquences tragiques. À l’appui de cet argument, il cite les déclarations faites par le Rapporteur spécial sur les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association au sujet de sa visite au Kazakhstan. Le Rapporteur spécial avait constaté en 2015 que les personnes qui ne pouvaient pas exprimer leur mécontentement de manière pacifique avaient tendance à le faire par la violence ou à trouver une consolation dans l’idéologie extrémiste.
5.6L’auteur commente les exemples de réglementation de la liberté de réunion dans d’autres pays que cite l’État partie. Pour ce qui est de la comparaison avec les États-Unis d’Amérique, où les organisateurs de toute manifestation doivent soumettre une demande d’autorisation quarante‑cinq jours à l’avance et préciser l’itinéraire prévu, l’auteur fait observer qu’au Kazakhstan, un tel droit ne peut être réalisé puisque les autorités ont désigné comme lieu pour la tenue de manifestations de masse la place située près du cinéma « Sary‑Arka » à Almaty. À Almaty comme ailleurs, les entités privées ne peuvent organiser de manifestations de masse que dans une seule zone.
5.7L’auteur ajoute que la saisine du Bureau du Procureur ne constitue pas un recours utile mais fait observer que cela ne l’a pas empêché de solliciter le réexamen des décisions rendues auprès du Bureau du Procureur et du Procureur général.
5.8Selon l’auteur, les juges qui ont examiné l’affaire ont immédiatement adopté la position des autorités, sans tenir compte des normes internationales et en ignorant ses demandes orales, en violation de l’article 14 du Pacte. De plus, aucun compte rendu d’audience n’a été conservé. L’auteur n’a pu présenter aucune demande écrite. Le dossier ne contient pas de déclaration précisant qu’il refusait l’assistance d’un avocat de la défense. En outre, l’auteur n’ayant pas été informé de la date et du lieu de l’audience d’appel, il n’y a pas assisté et n’a pas pu représenter ses intérêts devant le tribunal.
5.9Selon l’auteur, l’État partie refuse d’examiner au fond la violation de son droit à la liberté d’expression et son droit de réunion pacifique.
5.10En vue d’améliorer la situation au Kazakhstan, l’auteur propose notamment ce qui suit : a) les autorités devraient adopter une nouvelle loi sur la liberté de réunion pacifique qui soit conforme à la Constitution et aux normes internationales ; b) la nouvelle loi devrait faire obligation aux organisateurs d’adresser aux autorités une notification et non une demande d’autorisation ; la notification serait transmise par lettre, par message électronique, quelle qu’en soit la forme, ou par tout autre moyen de communication ; c) les autorités locales devraient être tenues d’accuser réception de la notification le jour-même et, dans un souci de transparence, un calendrier en ligne devrait être publié dans les médias sociaux ou tenu par les autorités locales ; d) les notifications devraient être soumises au plus tôt quarante‑cinq jours et au plus tard trois jours avant la tenue de la manifestation prévue ; e) l’interdiction d’une réunion ou l’imposition de restrictions devrait être décidée par un tribunal. C’est aux autorités locales (c’est-à-dire à l’akimat) qu’il devrait incomber de démontrer qu’il existe des motifs justifiant l’interdiction d’une réunion.
Observations complémentaires
De l’État partie
6.Dans une note verbale datée du 30 juillet 2015, l’État partie a déclaré qu’il n’avait pas d’autres observations à formuler et a renvoyé à sa lettre initiale. Il réaffirme qu’aucune violation des droits de l’auteur n’a eu lieu et soutient que la communication devrait être déclarée irrecevable.
De l’auteur
7.1L’auteur a présenté de nouveaux commentaires dans une lettre datée du 14 septembre 2015. Il constate qu’après avoir soumis sa communication à l’examen du Comité, il a fait l’objet, en juillet et août 2015, de mesures d’internement administratif de quinze et vingt jours, respectivement, pour avoir tenu d’autres réunions non autorisées.
7.2L’auteur rappelle qu’en 2015, le Rapporteur spécial sur les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association a relevé que la situation relative à la liberté de réunion était assez mauvaise dans l’État partie. Dans son rapport, le Rapporteur spécial a notamment constaté que, bien que la Constitution garantisse le droit de réunion pacifique, l’approche des autorités en matière de réglementation de la liberté d’association vidait ce droit de tout sens. La loi sur la procédure relative à l’organisation et à la tenue de rassemblements, réunions, marches, piquets et manifestations pacifiques impose aux organisateurs d’obtenir une autorisation des autorités locales au plus tard dix jours avant la date de la manifestation prévue.
7.3En outre, l’interdiction de tenir des réunions pacifiques partout ailleurs que dans un seul lieu désigné à cette fin constitue, selon l’auteur, une violation du droit international des droits de l’homme.
7.4L’auteur constate que les autorités ont reconnu que les dispositions de la loi sur la procédure relative à l’organisation et à la tenue de rassemblements, réunions, marches, piquets et manifestations pacifiques étaient contraires au droit international. En 2007, la Commission des droits de l’homme, organe consultatif du Bureau exécutif du Président, a conclu que cette loi ne satisfaisait pas aux normes internationales. En 2010, dans le cadre de l’Examen périodique universel, le Kazakhstan a accepté les recommandations tendant à ce qu’il adopte une nouvelle loi, moins restrictive, sur les manifestations de masse. En 2014, dans le cadre du nouveau cycle de l’Examen périodique universel, les autorités ont confirmé leur intention de donner suite à ces recommandations.
De l’État partie
8.Dans une note verbale datée du 4 décembre 2015, l’État partie a fait savoir qu’il n’avait pas de nouvelles observations à formuler. Il réaffirme sa position antérieure et souligne que la communication devrait être déclarée irrecevable.
De l’auteur
9.Dans une lettre datée du 31 janvier 2016, l’auteur réitère in extenso ses commentaires précédents.
Délibérations du Comité
Examen de la recevabilité
10.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.
10.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2, al. a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.
10.3Le Comité constate que l’État partie conteste la recevabilité de la communication, au motif que l’auteur n’a pas saisi directement le Procureur général au titre de la procédure de contrôle devant la Cour suprême pour contester le refus de son adjoint de demander le réexamen des décisions rendues. Le Comité prend note de l’affirmation de l’auteur selon laquelle, le 20 novembre 2013, il a saisi le Bureau du Procureur d’Almaty, puis le Bureau du Procureur général, d’un recours au titre de la procédure de contrôle. Le premier recours a été rejeté par le Bureau du Procureur et le second par le Procureur général adjoint. Le Comité rappelle sa jurisprudence, dont il ressort que l’introduction auprès du ministère public d’une demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle de décisions de justice devenues exécutoires, demande dont l’issue relève du pouvoir discrétionnaire du procureur, ne constitue pas un recours qui doit être épuisé aux fins de l’article 5 (par. 2, al. b)) du Protocole facultatif. Dans ces circonstances, le Comité estime que les dispositions de l’article 5 (par. 2, al. b)) du Protocole facultatif ne font pas obstacle à l’examen de la présente communication.
10.4L’auteur se dit simplement victime d’une violation des droits qu’il tient de l’article 14 du Pacte. Il affirme en particulier : a) qu’il n’a pas été informé de la date de l’audience d’appel ; b) que le Président du tribunal n’a pas pris en considération le fait que sa culpabilité n’avait jamais été établie ; c) que des témoins n’ont pas été entendus ; d) qu’il a été traité comme un délinquant dès le début du procès ; e) qu’aucun avocat n’a été désigné pour le représenter. Le Comité note toutefois que, selon l’État partie, les allégations de violations des garanties d’un procès équitable formulées par l’auteur ont été examinées par le tribunal et jugées sans fondement, la culpabilité de l’auteur a été pleinement établie sur la base du procès-verbal d’infraction administrative, de la déposition de l’auteur lui-même et de celles des témoins, et d’autres éléments du dossier, et l’auteur a été dûment informé de la date de l’audience d’appel. En l’absence d’autres renseignements ou précisions à l’appui des allégations en question et au vu des explications données par l’État partie, le Comité considère que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ce grief aux fins de la recevabilité. Par conséquent, il déclare cette partie de la communication irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.
10.5Le Comité considère que l’auteur a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, les griefs qu’il soulève au titre des articles 19 et 21 du Pacte. Il déclare donc ces griefs recevables et procède à leur examen quant au fond.
Examen au fond
11.1Conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.
11.2Le Comité constate que l’auteur affirme que l’État partie a violé son droit à la liberté de réunion, tel qu’il est protégé par l’article 21 du Pacte, en le condamnant à une amende pour avoir participé à la remise d’une pétition au Bureau des Nations Unies à Almaty le 30 septembre 2013, et que ni la police ni les tribunaux n’ont tenté de justifier les restrictions imposées à ses droits en se fondant sur l’un des objectifs légitimes énoncés à l’article 21 du Pacte.
11.3Le Comité rappelle que le droit de réunion pacifique est un droit de l’homme fondamental, qui est essentiel à l’expression publique des points de vue et opinions de chacun et indispensable dans une société démocratique. Le droit de réunion pacifique implique la possibilité de participer à une réunion pacifique dans l’intention de soutenir ou de désapprouver une cause particulière. Le droit de réunion pacifique permet aux individus de s’exprimer collectivement et de contribuer à modeler la société dans laquelle ils vivent. Ce droit est intrinsèquement important puisqu’il protège la capacité de chacun à exercer son autonomie en étant solidaire d’autrui. Associé à d’autres droits connexes, il forme aussi le socle même des systèmes de gouvernance participative fondés sur la démocratie, les droits de l’homme, l’état de droit et le pluralisme. Ce droit ne peut faire l’objet que des seules restrictions qui sont imposées conformément à la loi et qui sont nécessaires dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l’ordre public ou pour protéger la santé ou la moralité publiques, ou les droits et les libertés d’autrui.
11.4Le Comité rappelle que, si le droit de réunion pacifique peut dans certains cas être restreint, il incombe aux autorités de justifier toute restriction. Les autorités doivent être en mesure de démontrer que toute restriction répond à l’exigence de légalité, et qu’elle est à la fois nécessaire et proportionnée à au moins un des motifs de restriction autorisés énoncés à l’article 21, comme indiqué ci-dessous. Lorsque cette preuve n’est pas faite, il y a violation de l’article 21. Lorsqu’on impose des restrictions, il convient de le faire en cherchant à faciliter l’exercice du droit visé et non en s’employant à le restreindre par des moyens qui ne sont ni nécessaires ni proportionnés.
11.5Le Comité rappelle en outre qu’en vertu de l’article 21, toute restriction doit être nécessaire dans une société démocratique. Elle doit aussi être le moyen le moins intrusif d’atteindre l’objectif de protection recherché. Elle doit aussi être proportionnée, ce qui suppose de porter un jugement de valeur et de mettre en balance, d’une part, la nature de l’ingérence et son effet préjudiciable sur l’exercice du droit et, d’autre part, le résultat bénéfique de cette ingérence au regard du motif invoqué. Si le préjudice causé l’emporte sur le bénéfice obtenu, la restriction est disproportionnée et, partant, inadmissible.
11.6Le Comité fait observer en outre que, lorsqu’un État impose une restriction aux droits garantis par le Pacte, il est tenu de démontrer que cette restriction était nécessaire en l’espèce. Les restrictions apportées aux droits énoncés à l’article 21 du Pacte doivent répondre aux critères stricts de nécessité et de proportionnalité, être appliquées exclusivement aux fins pour lesquelles elles ont été prescrites et être en rapport direct avec l’objectif spécifique qui les inspire.
11.7Le Comité note que, selon l’État partie, la conduite de manifestations spontanées et non autorisées dans des lieux inadaptés, notamment des lieux où la circulation est importante ou des lieux où l’expression d’une opinion, comme en l’espèce, peut provoquer des réactions violentes de la part d’autres membres de la société, est susceptible de porter atteinte au calme et à la sécurité des environs et de perturber le fonctionnement normal des moyens de transport et des infrastructures. À ce propos, le Comité fait observer que la possibilité qu’une réunion pacifique puisse provoquer des réactions négatives, voire violentes, de la part de certains membres du public ne constitue pas un motif suffisant pour interdire ou restreindre la réunion en question. Les États sont tenus de prendre toutes les mesures raisonnables qui ne leur imposent pas une charge disproportionnée pour protéger tous les participants et pour permettre à de telles réunions de se dérouler de manière ininterrompue.
11.8Le Comité constate que ni l’État partie ni les tribunaux nationaux n’ont invoqué le moindre motif précis justifiant la nécessité des restrictions imposées à l’auteur, comme l’exige l’article 21 du Pacte. En particulier, l’État partie n’a pas expliqué en quoi, dans les circonstances de l’espèce, l’obtention auprès des autorités locales d’une autorisation officielle avant de soumettre une pétition en compagnie de cinq ou six autres personnes était nécessaire à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques, ou au respect des droits ou de la réputation d’autrui. À cet égard, le Comité fait observer que le fait de devoir demander l’autorisation des autorités remet en cause l’idée selon laquelle le droit de réunion pacifique est un droit fondamental. Les systèmes de notification, selon lesquels ceux qui ont l’intention d’organiser une réunion pacifique sont tenus d’en informer les autorités à l’avance et de fournir certains détails importants, sont autorisés dans la mesure nécessaire pour aider les autorités à faciliter le bon déroulement des réunions pacifiques et à protéger les droits d’autrui. L’État partie n’a pas non plus montré que les mesures prises, à savoir déclarer l’auteur coupable et lui infliger une amende en application de l’article 373 (par. 1) du Code des infractions administratives, constituaient le moyen le moins perturbateur d’obtenir le résultat recherché ou étaient proportionnées à l’intérêt à protéger. Le Comité considère que, dans les circonstances de l’espèce, il n’a pas été démontré que les restrictions imposées à l’auteur étaient justifiées par un but légitime ou étaient nécessaires et proportionnées à ce but, au regard des conditions énoncées à l’article 21 du Pacte. Il conclut par conséquent que les droits que l’auteur tient de l’article 21 du Pacte ont été violés.
11.9Le Comité note que l’auteur se dit également victime d’une violation de son droit à la liberté d’expression, garanti par l’article 19 du Pacte. Il doit donc déterminer si les restrictions imposées à l’auteur font partie de celles qui sont autorisées par l’article 19 (par. 3) du Pacte.
11.10Le Comité note que le fait de punir l’auteur pour avoir exprimé ses opinions en participant à la remise d’une pétition a porté atteinte au droit de celui-ci de répandre des informations et des idées de toute espèce, garanti par l’article 19 (par. 2) du Pacte. Il rappelle que l’article 19 (par. 3) du Pacte n’autorise certaines restrictions à ce droit que si elles sont expressément prévues par la loi et nécessaires au respect des droits ou de la réputation d’autrui et à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques. Dans son observation générale no 34 (2011), le Comité a souligné que ces libertés étaient des conditions indispensables au plein épanouissement de l’individu, et qu’elles étaient essentielles pour toute société. Elles constituent le fondement de toute société libre et démocratique. Les restrictions à l’exercice de ces libertés doivent répondre à des critères stricts de nécessité et de proportionnalité. Elles doivent être appliquées exclusivement aux fins pour lesquelles elles ont été prescrites et doivent être en rapport direct avec l’objectif précis qui les inspire. Le Comité rappelle également que c’est à l’État partie qu’il incombe de montrer que les restrictions imposées à l’exercice des droits que l’auteur tient de l’article 19 du Pacte étaient nécessaires et proportionnées.
11.11Concernant la restriction de la liberté d’expression de l’auteur, le Comité rappelle qu’il importe de préserver un espace pour le discours politique, qui bénéficie d’une protection particulière en tant que forme d’expression. Il prend note des griefs de l’auteur, qui affirme avoir été puni pour avoir participé à la remise au Bureau des Nations Unies à Almaty d’une pétition contre l’utilisation par la Fédération de Russie de l’heptyle pour la mise à feu de lanceurs à Baïkonour (Kazakhstan). L’État partie n’ayant pas expliqué en quoi la restriction imposée était conforme aux dispositions de l’article 19 (par. 3) du Pacte, le Comité constate que les droits que l’auteur tient de l’article 19 (par. 2) du Pacte ont été violés.
12.Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation, par le Kazakhstan, des droits que l’auteur tient des articles 19 et 21 du Pacte.
13.Conformément à l’article 2 (par. 3, al. a)) du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. Il est donc tenu, notamment, de prendre les mesures voulues pour accorder à l’auteur une indemnisation suffisante et lui rembourser le montant de l’amende qui lui a été infligée, ainsi que tous les frais de justice occasionnés. Il est également tenu de veiller, à l’avenir, à ce que des violations analogues ne se produisent pas. À ce sujet, le Comité rappelle que, conformément aux obligations qui lui incombent au regard de l’article 2 (par. 2) du Pacte, l’État partie devrait revoir sa législation et sa pratique en vue de faire en sorte que les droits garantis par les articles 19 et 21 du Pacte puissent être pleinement exercés sur son territoire.
14.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques, à les faire traduire dans ses langues officielles et à les diffuser largement.