Nations Unies

CCPR/C/131/D/3259/2018

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

10 mai 2021

Français

Original : espagnol

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 3259/2018 * , **

Communication présentée par :

Irma Leticia Hidalgo Rea (représentée par Philip Grant, Blanca Isabel Martínez Bustos et Michael William Chamberlin Ruiz)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteure et Roy Rivera Hidalgo (le fils disparu de l’auteure)

État partie:

Mexique

Date de la communication:

15 janvier 2018

Références:

Décision prise en application de l’article92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 24 octobre 2018 (non publiée sous forme de document)

Date de s constatations :

25 mars 2021

Objet:

Disparition forcée

Question(s) de procédure:

Épuisement des recours internes

Question(s) de fond:

Droit à un recours utile ; droit à la vie ; interdiction de la torture et des traitements cruels et inhumains ; droit à la liberté et à la sécurité de sa personne ; reconnaissance de la personnalité juridique ; droit de ne pas faire l’objet d’immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée

Article(s) du Pacte:

2 (par. 3), 6, 7, 9, 16 et 17

Article(s) du Protocole facultatif:

5 (par. 2 b))

1.L’auteure de la communication, datée du 15 janvier 2018, est Irma Leticia Hidalgo Rea, de nationalité mexicaine, née en 1962. Elle agit en son nom propre et au nom de Roy Rivera Hidalgo, son fils aîné, lui aussi de nationalité mexicaine, né en 1992 et disparu depuis le 11 janvier 2011. Elle affirme que l’État partie a violé les droits que M. Rivera Hidalgo tient des articles 6, 7, 9 et 16 du Pacte, lus seuls et conjointement avec l’article 2 (par. 3). Elle affirme également être victime d’une violation des droits qu’elle tient des articles 7 et 17, lus seuls et conjointement avec l’article 2 (par. 3). Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 15 juin 2002. L’auteure est représentée par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteure

Contexte et faits antérieurs à la disparition

2.1L’auteure affirme que les faits relatés dans la présente communication s’inscrivent dans un contexte de graves violations des droits de l’homme perpétrées avec la participation directe ou indirecte d’agents de l’État partie ou avec leur acquiescement. Elle souligne que les disparitions constituent une pratique généralisée dans l’État partie et qu’aucune mesure efficace n’est prise pour enquêter sur les faits ou rechercher les disparus, ce qui garantit aux auteurs de ces actes une impunité totale. Entre 2011 et 2013 en particulier, l’État de Nuevo León a été le théâtre d’une « guerre » entre Los Zetas et le cartel du Golfe, deux organisations criminelles. L’auteure ajoute que l’on a mis en évidence quatre types de situations impliquant les autorités locales et la criminalité organisée, qui se distinguent selon que le fait a été commis par des agents de l’État, par des agents de l’État qui travaillent en même temps pour une organisation criminelle, par une organisation criminelle avec l’appui direct d’agents de l’État ou par une organisation criminelle avec l’acquiescement de l’État.

2.2L’auteure affirme en outre que, quelques jours avant que M. Rivera Hidalgo disparaisse, deux de ses amis ont subi le même sort. Le 7 janvier 2011, alors qu’il se trouvait avec M. Rivera Hidalgo et un autre ami, M. S. J. a été capturé par des hommes armés et emmené dans une camionnette Dodge Nitro noire sans plaque d’immatriculation (le type de véhicules que la police municipale utilisait à l’époque). M. Rivera Hidalgo et le second ami ont réussi à s’échapper. L’auteure ajoute qu’une radio tombée de la camionnette au moment de l’enlèvement a été remise aux autorités pour analyse. Cependant, l’expert sollicité a dit ne pas avoir pu effectuer l’analyse demandée parce qu’il ne disposait pas du matériel nécessaire, et rien n’indique que des mesures aient été prises pour tenter de remédier aux carences techniques ou que la piste ait été exploitée d’une autre manière. Le 8 janvier 2011, un autre ami de M. Rivera Hidalgo, M. C. H., a été capturé par des hommes armés alors qu’il se trouvait dans le véhicule de son père. Ses parents n’ont pas porté plainte par peur des représailles et parce qu’ils craignaient que cela diminue les chances de le retrouver vivant. Le sort de MM. S. J. et C. H. et le lieu où ils se trouvent restent inconnus à ce jour.

2.3Le 11 janvier 2011, vers 1 heure, entre 12 et 20 individus armés et encagoulés sont arrivés au domicile de l’auteure, à San Nicolás de los Garza (Nuevo León), où elle vivait avec ses deux fils. Une douzaine d’hommes armés de fusils ont réussi à pénétrer dans le logement ; tous sauf un avaient le visage couvert et trois portaient un gilet pare-balles avec l’inscription « Policía de Escobedo » (Police d’Escobedo), Escobedo étant une ville du Nuevo León. Les hommes ont ordonné à l’auteure de se mettre à genoux et ont immobilisé ses enfants et commencé à les frapper. Ils ont affirmé appartenir à l’organisation criminelle connue sous le nom de « cartel du Golfe » et avoir été envoyés par les autorités. Ils ont demandé qui était Roy Rivera Hidalgo, l’accusant de vendre de la drogue. L’intéressé s’est identifié et les hommes l’ont emmené, en emportant également de l’argent, divers objets de valeur et deux véhicules.

2.4Juste après l’enlèvement de son fils, l’auteure a vu les hommes s’éloigner dans les deux véhicules qu’ils venaient de voler et dans une voiture de marque Seat gris foncé sans plaque d’immatriculation. Avec son fils cadet, elle est allée chez une voisine car elle ne voulait pas passer la nuit dans sa maison. De là, ils ont vu passer deux voitures de patrouille de la police municipale de San Nicolás de los Garza. Devant le domicile de l’auteure, deux policiers sont descendus de voiture, sont allés jusqu’à l’entrée de la maison, dont les portes étaient ouvertes, et sont repartis. Compte tenu du contexte et ne faisant pas confiance aux autorités locales, l’auteure n’a pas immédiatement rapporté les faits.

2.5Le même jour, vers 16 h 30, l’auteure a reçu un appel téléphonique au cours duquel son interlocuteur lui a intimé de ne pas porter plainte et de verser 500 000 pesos si elle voulait revoir son fils. Dans les heures qui ont suivi et jusqu’au lendemain, elle a reçu 12 appels du même type provenant de trois numéros différents. Lors d’un des appels du 12 janvier 2011, elle a parlé à son fils, à sa demande. Lui ayant ainsi prouvé qu’ils détenaient bien son fils, les ravisseurs ont repris le téléphone et l’auteure a pu entendre son fils crier sous les coups. Toujours le 12 janvier 2011, l’auteure a remis 100 000 pesos ainsi que les factures signées des deux véhicules qui lui avaient été volés. Le 13 janvier 2011, à 6 heures, elle a appelé le numéro grâce auquel elle communiquait avec les ravisseurs présumés de son fils afin de recevoir des indications sur l’endroit où elle devait venir le chercher. Les ravisseurs lui ont assuré qu’ils allaient « bien se comporter envers elle », mais ils ne lui ont plus jamais parlé et ont cessé de répondre à ses appels. Le sort de M. Rivera Hidalgo et le lieu où il se trouve restent inconnus à ce jour.

2.6Au vu des menaces proférées et dans l’espoir que son fils soit libéré, l’auteure n’a pas tout de suite déposé plainte. En outre, elle craignait que les autorités locales soient impliquées dans l’enlèvement. Le 4 février 2011, elle s’est présentée devant les autorités de la septième zone militaire, à Apodaca (Nuevo León), pour déposer plainte. Elle n’a jamais obtenu de copie de la plainte et ne sait pas si celle-ci a donné lieu à une enquête ou à des recherches. Le 28 février 2011, alors qu’elle s’était de nouveau présentée devant ces autorités, elle a été informée qu’il n’y avait aucune trace de sa plainte et a été invitée à en déposer une nouvelle auprès du ministère public. Le jour même, elle a porté plainte auprès du bureau du Procureur général de l’État de Nuevo León, en précisant notamment que des agents de la police d’Escobedo auraient pris part à l’enlèvement de son fils. Le 1er mars 2011, l’enquête préliminaire no 79/2011-1-3 a été ouverte. Le 12 mars 2011, l’auteure a ajouté de nouveaux éléments à sa plainte, puisqu’en rentrant chez elle ce jour-là, elle a découvert que quelqu’un s’était introduit dans sa maison et avait laissé la chambre de M. Rivera Hidalgo en désordre.

2.7L’auteure affirme que l’avancement du dossier dépend intégralement des initiatives qu’elle prend, puisque les autorités sont passives et que leur enquête accuse un retard injustifié. Ainsi, les autorités n’ont rien fait avant le 5 avril 2011, date à laquelle elles ont demandé à l’entreprise TELCEL de tracer l’un des numéros de téléphone communiqués par l’auteure. Toutefois, la demande comportant des erreurs dans l’adresse et le nom de l’entreprise, elle a dû être renvoyée le 26 juillet 2011, et la réponse n’a été versée au dossier que le 25 mai 2012. De même, le 8 avril 2011, l’auteure et son fils cadet se sont rendus de leur propre chef à la Direction des services d’expertise du bureau du Procureur général de l’État de Nuevo León, dont les conclusions n’ont été versées au dossier que le 5 août 2014. Ce n’est qu’à cette date que, à la demande de l’auteure, son profil et celui de son fils cadet ont été ajoutés à la base de données ADN des proches des personnes disparues. Le 22 juillet 2011, l’auteure et son fils cadet se sont rendus dans les locaux de la police d’Escobedo pour examiner les gilets pare-balles utilisés par les policiers. S’ils n’ont pas reconnu le modèle que portaient les individus qui avaient fait irruption chez eux, ils ont constaté que les gilets pare‑balles de la police étaient très semblables à ceux utilisés par certaines des personnes impliquées dans la disparition de M. Rivera Hidalgo. Cependant, la police a déclaré qu’aucun vol de gilet pare-balles n’avait été signalé et rien n’a été fait pour déterminer si les gilets que portaient les hommes armés responsables des faits dénoncés appartenaient à la police d’Escobedo.

2.8Le 13 juin 2011, l’auteure a déposé une plainte devant la Commission nationale des droits de l’homme de Nuevo León, mais cela n’a pas eu d’incidence notable sur l’enquête.

2.9Le 10 août 2011, des agents de la marine mexicaine ont arrêté M. G. R., alias « El Sureño », membre présumé du cartel Los Zetas que l’auteure et son fils cadet ont reconnu comme étant l’homme qui ne portait pas de cagoule la nuit de l’enlèvement. Le 19 août 2011, l’auteure s’est rendue au bureau du Procureur général de l’État de Nuevo León pour rapporter ce fait.

2.10Le 13 septembre 2011, l’auteure a déposé une plainte pour les mêmes faits auprès du Service spécialisé dans les enquêtes sur la criminalité organisée du bureau du Procureur général de la République. Le 2 octobre 2011, elle s’est rendue dans les locaux du Service pour identifier M. G. R. comme l’un des responsables de la disparition de son fils, et sa plainte a été ajoutée aux éléments recueillis dans le cadre de l’enquête préliminaire déjà ouverte contre lui.

2.11Le 31 janvier 2012, l’auteure a complété sa plainte après avoir lu dans la presse que M. C. P., un policier de San Nicolás de los Garza, avait été arrêté avec un autre agent pour l’enlèvement de jeunes gens. Selon sa déclaration, tous deux auraient agi sur ordre d’« El Sureño » afin de livrer ces jeunes à des organisations criminelles. Dans sa déclaration, l’auteure a suggéré plusieurs pistes d’enquête et a demandé que des actes particuliers soient accomplis.

2.12L’auteure affirme que les autorités de l’État partie n’ont accompli aucun acte notable de leur propre initiative entre 2012 et 2017 et que les seuls éléments versés au dossier pendant ces cinq ans ont été ses demandes et les informations qu’elle a elle-même fournies. À la date de la présentation de la communication, soit sept ans après la disparition de M. Rivera Hidalgo, seules six personnes susceptibles d’être liées à la disparition sont en détention et aucune d’entre elles n’a été mise en examen ou poursuivie pour ces faits. L’auteure a également fourni des informations sur d’autres personnes qui pourraient être liées à la disparition de son fils.

2.13L’auteure ajoute que, depuis 2013, elle a demandé à sept reprises au bureau du Procureur général de l’État de Nuevo León de bénéficier du statut de victime en vertu de la loi sur les victimes, mais qu’elle n’a obtenu gain de cause que le 2 février 2017, comme suite à la demande de la Commission exécutive d’aide aux victimes. L’auteure et son fils cadet ont été inscrits au Registre national des victimes respectivement le 29 avril 2016 et le 21 mars 2017. Ils n’ont toutefois reçu aucune aide. L’auteure a notamment sollicité une aide alimentaire en août 2017 et une assistance médicale en septembre de la même année, mais elle n’a jamais reçu de réponse.

2.14Enfin, le 15 décembre 2017, l’auteure a déposé un recours en amparo devant un tribunal pénal de district de l’État de Nuevo León. Elle dit avoir décidé de présenter ce recours pour que le dossier concernant la disparition forcée de son fils reste ouvert et pour inciter de nouveau les autorités locales à prendre, après sept ans d’inactivité, des mesures visant à faire la lumière sur le sort de son fils et le lieu où il se trouve et à identifier, poursuivre et punir les auteurs des infractions commises. Elle soutient néanmoins que ce recours ne permet pas de faire avancer l’enquête ou d’en changer le cours de manière notable. Elle en veut pour preuve que, le 2 janvier 2018, le juge compétent l’a citée à comparaître pour qu’elle explique son grief, après lui avoir demandé de « communiquer au tribunal l’adresse ou les adresses qui permettraient de localiser son fils », dans le but que celui-ci confirme le recours en amparo. Dans ces circonstances, et sans autre recours à sa disposition, l’auteure a décidé de soumettre la présente communication au Comité.

2.15L’auteure soutient que la communication satisfait à la condition énoncée à l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif, étant donné que tous les recours internes disponibles ont été épuisés sans qu’aucun s’avère utile, et qu’aucun autre recours n’a de réelles chances d’aboutir. Citant la jurisprudence du Comité, elle affirme qu’il n’est nécessaire d’épuiser que les recours disponibles et utiles, pas ceux qui n’ont objectivement aucune chance d’aboutir, et qu’il incombe à l’État partie de prouver qu’il existe des recours utiles et disponibles. Elle souligne qu’elle a présenté plusieurs plaintes et participé activement à toutes les enquêtes, et explique que, près de sept ans après le dépôt de la première plainte, aucune enquête efficace n’a été menée, aucun des recours qu’elle a déposés n’a objectivement de chance d’aboutir et le traitement de ces recours a excédé un délai raisonnable. Concernant l’amparo, elle affirme, à l’instar de la Commission interaméricaine des droits de l’homme, que les critères de recevabilité du recours prévus par la loi relative à l’amparo rendent ce recours inefficace. Elle donne comme preuve la réponse du juge chargé du recours.

Teneur de la plainte

3.1L’auteure affirme que M. Rivera Hidalgo a été victime d’une disparition forcée imputable à l’État partie, et donc d’une violation des droits qu’il tient des articles 6, 7, 9 et 16 du Pacte. Elle soutient que les trois éléments constitutifs de cette infraction sont réunis : a) M. Rivera Hidalgo a été privé de liberté lorsqu’il a été enlevé à son domicile ; b) l’acte a été commis par des agents de l’État ou par des personnes ou groupes de personnes qui agissent avec l’autorisation, l’appui ou l’acquiescement de l’État ; c) l’État partie nie sa participation aux faits ou dissimule le sort réservé à M. Rivera Hidalgo et le lieu où il se trouve en ne menant pas une enquête en bonne et due forme.

3.2L’auteure affirme que la communication doit être lue dans le contexte de la pratique généralisée des disparitions au Mexique et de l’impunité totale des auteurs de ces faits, et ajoute que l’absence d’enquête peut équivaloir à une forme d’acquiescement et être constitutive d’une disparition forcée, y compris dans le cas d’enlèvements perpétrés par des acteurs non étatiques. Elle affirme en outre qu’il convient de prendre en considération le contexte particulier de cette disparition, étant donné qu’en 2011, de nombreuses infractions, y compris des disparitions forcées, ont été commises dans l’État de Nuevo León par des agents de l’État qui agissaient de concert avec des organisations criminelles. De surcroît, elle soutient que l’État partie ne s’est pas acquitté de son obligation positive de prévenir ce type d’actes et d’enquêter sur eux de manière efficace, ce qui a empêché de déterminer avec certitude si des agents de l’État avaient participé directement ou indirectement à la disparition (à plus forte raison dans le contexte susmentionné), et que, par conséquent, il doit être tenu responsable de la disparition forcée de M. Rivera Hidalgo. L’auteure affirme que c’est à l’État partie de prouver : a) que le groupe d’hommes qui a fait disparaître son fils n’a pas agi avec l’approbation ou l’acquiescement − ou la participation directe − d’agents de l’État ; b) qu’en 2011, dans l’État de Nuevo León, et plus précisément à San Nicolás de los Garza, il n’existait aucun lien (y compris en ce qui concerne des enlèvements et des disparitions forcées) entre les organisations criminelles et les forces de l’État ; c) que les nombreuses plaintes qu’elle a déposées ont donné lieu à des enquêtes en bonne et due forme de la part des autorités, et que celles-ci ont tenu compte du contexte et du mode opératoire des ravisseurs et qu’elles n’ont exclu aucune hypothèse. Dans le cas contraire, l’État partie doit être considéré comme internationalement responsable de la disparition forcée.

3.3L’auteure affirme que M. Rivera Hidalgo a également été victime d’une violation des droits qu’il tient de l’article 2 (par. 3) du Pacte, lu conjointement avec les articles 6, 7, 9 et 16, étant donné qu’il n’a pas bénéficié d’un recours utile. Elle soutient que les États parties ont des obligations positives, parmi lesquelles l’obligation de prendre sans délai toutes les mesures nécessaires pour rechercher et localiser la personne disparue, de mener d’office une enquête rapide, approfondie, indépendante et impartiale, d’identifier, de poursuivre et de sanctionner les responsables, et de garantir que les victimes bénéficient rapidement d’une indemnisation juste et appropriée et de mesures de réparation, notamment de mesures de réadaptation et de satisfaction et de garanties de non-répétition. En l’espèce, près de sept ans se sont écoulés depuis que les autorités ont reçu la première plainte de l’auteure et aucun progrès notable n’a été accompli, rien ne prouve qu’une enquête en bonne et due forme ait été menée et, face à la passivité des autorités, c’est l’auteure elle-même qui est à l’origine de chaque initiative.

3.4L’auteure affirme avoir été victime d’une violation du droit qu’elle tient de l’article 7 du Pacte, lu seul et conjointement avec l’article 2 (par. 3), en raison des profondes souffrances que lui cause le fait de ne pas savoir où se trouve son fils, ni le sort qu’il a subi. La disparition de son fils a provoqué chez elle une angoisse terrible, une grande frustration et un sentiment de culpabilité qui ont nécessité une prise en charge psychologique et la mise en place d’un traitement médical pour soigner sa dépression clinique, son insomnie et son anxiété et atténuer le stress et la peur constante avec lesquels elle vit.

3.5L’auteure affirme également qu’elle a été victime d’immixtions arbitraires dans sa vie privée et son domicile, en violation de l’article 17 (par. 1) du Pacte, lu seul et conjointement avec l’article 2 (par. 3). Elle rappelle que les ravisseurs de son fils, parmi lesquels se trouvaient des agents de l’État partie, ont fait irruption chez elle au petit matin, ont détruit des objets qui lui appartenaient et ont endommagé sa maison et ses dépendances. En outre, les représailles, le harcèlement et les menaces dont elle a fait l’objet l’ont terrorisée au point qu’elle ne pouvait plus vivre dans sa maison et qu’elle a dû déménager. L’auteure soutient aussi que son droit à la vérité et, si son fils est décédé, son droit à l’exhumation, à l’identification, au respect et à la restitution de la dépouille de celui-ci n’ont pas été respectés, en violation de l’article susmentionné.

3.6À titre de réparation, l’auteure demande au Comité de : a) déclarer que l’État partie a violé les droits que M. Rivera Hidalgo tient des articles 6, 7, 9 et 16 du Pacte, lus seuls et conjointement avec l’article 2 (par. 3), ainsi que les droits qu’elle tient des articles 7 et 17 (par. 1), lus seuls et conjointement avec l’article 2 (par. 3) ; b) prier l’État partie d’offrir un recours utile, qui passe notamment par la réalisation d’une enquête indépendante, approfondie et efficace visant à identifier les auteurs des infractions commises, à les poursuivre et à les condamner à des peines appropriées et proportionnées ; c) prier l’État partie de rechercher M. Rivera Hidalgo de manière rigoureuse et systématique en utilisant pour ce faire les ressources humaines et financières adéquates et, si l’intéressé est décédé, de localiser sa dépouille, de l’exhumer, de l’identifier, de la respecter et de la restituer à sa famille, le tout dans le cadre d’une action coordonnée avec celle-ci ; d) prier l’État partie d’offrir une réparation intégrale pour le préjudice causé, y compris une prise en charge médicale et psychosociale pour elle et son fils cadet, de s’excuser publiquement, de reconnaître officiellement sa responsabilité dans la disparition forcée de M. Rivera Hidalgo et d’accorder rapidement une indemnisation juste et appropriée ; e) prier l’État partie, à titre de garantie de non-répétition, de faire appliquer sans délai la loi générale relative aux disparitions forcées, aux disparitions imputables à des particuliers et au système national de recherche des personnes disparues, et de mettre en place un protocole unifié de recherche et un mécanisme international de lutte contre l’impunité qui serait chargé d’enquêter sur les infractions au droit international et les violations graves des droits de l’homme et d’en poursuivre les responsables ; f) prier l’État partie de faire connaître, dans un délai de cent quatre-vingts jours, les mesures qu’il aura prises pour donner effet aux constatations du Comité ; g) prier l’État partie de publier les constatations du Comité au journal officiel ou dans un journal national à grand tirage, afin de les diffuser le plus largement possible.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Le 30 janvier 2019, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité de la communication et a affirmé que celle-ci devait être déclarée irrecevable au regard de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif pour non-épuisement des recours internes.

4.2L’État partie mentionne les mesures prises tant par le bureau du Procureur général de l’État de Nuevo León que par le bureau du Procureur général de la République pour retrouver la trace de M. Rivera Hidalgo et pour localiser les responsables de sa disparition, énumérant plusieurs actes accomplis dans le cadre de chaque enquête. Il affirme que les deux procédures ont suivi leur cours sans interruption depuis la plainte déposée par l’auteure et qu’elles ont permis, à l’échelon fédéral, la délivrance d’un mandat d’arrêt contre M. G. R., qui est poursuivi dans le cadre de l’affaire pénale no 152/2011-IV. Il ajoute que les procédures sont toujours en cours à l’heure actuelle et constituent le moyen approprié de poursuivre l’enquête sur la disparition de M. Rivera Hidalgo. Il fait également référence à la procédure engagée devant la Commission nationale des droits de l’homme de Nuevo León, précisant que la Commission a certes constaté des retards dans l’enquête menée par le bureau du Procureur général de l’État de Nuevo León, mais que le bureau du Procureur général continue d’appliquer la recommandation formulée à ce sujet par la Commission. Par conséquent, étant donné que l’État partie s’emploie toujours à faire la lumière sur les faits regrettables à l’origine de la présente communication, l’auteure n’a pas épuisé les recours internes et la communication doit être déclarée irrecevable.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1Dans une note du 8 mai 2019, l’auteure a présenté ses commentaires sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité, ainsi que les faits nouveaux intervenus jusqu’à cette date. Elle commence par affirmer que, contrairement aux dires de l’État partie, la procédure a excédé des délais raisonnables et les recours internes ne sont donc pas utiles, raison pour laquelle la communication est recevable. Selon elle, le fait que plus de huit ans se sont écoulés depuis les plaintes, sans que l’absence de progrès notable ne soit de son fait ni ne soit attribuable à la complexité de l’affaire, constitue en soi un retard injustifié. L’auteure souligne que l’État partie ne fournit aucune justification pour le retard pris dans l’enquête et ne donne aucune information concrète sur la manière dont le bureau du Procureur général de l’État de Nuevo León applique la recommandation de la Commission nationale des droits de l’homme de Nuevo León, celle-ci ayant établi que l’enquête menée par les autorités accusait un retard injustifié et n’était ni sérieuse, ni approfondie. L’auteure souligne également qu’aucun progrès notable n’a été accompli depuis que la Commission nationale a fait sa recommandation. Enfin, l’État partie affirme que les procédures existantes sont « le moyen approprié de poursuivre l’enquête » mais n’explique pas pourquoi, compte tenu de l’absence de résultats, elles devraient être considérées comme telles, et il fait référence à des actes accomplis entre 2011 et 2013, sans donner de renseignement sur les démarches entreprises depuis. Pour toutes ces raisons, les recours actuels ne sauraient être considérés comme utiles et n’ont pas de réelle chance d’aboutir.

5.2L’auteure ajoute que, le 9 mai 2018, des avocats de la Commission exécutive d’aide aux victimes lui ont dit que la copie d’un courrier électronique daté du 27 décembre 2013 − et envoyé à l’entité qui a précédé la Commission exécutive − avait été versée au dossier ; selon ce courrier, on aurait retrouvé dans les archives des services de médecine légale la photographie d’un corps découvert dans l’État de Coahuila qui pourrait être celui de M. Rivera Hidalgo. Le 15 mai 2018, les représentants de l’auteure se sont présentés devant le procureur de l’État de Coahuila, qui leur a indiqué que le corps, identifié entre-temps grâce aux empreintes digitales, était celui de quelqu’un d’autre. L’auteure a soumis plusieurs demandes visant à ce que l’identité du défunt soit confirmée, mais ce n’est que le 22 avril 2019 qu’elle a été informée qu’un rapport d’expertise photographique daté de juillet 2018 (soit près de neuf mois plus tôt) avait établi une correspondance morphologique entre le corps découvert et celui de M. Rivera Hidalgo. Étant donné la marge d’erreur considérable de ce type d’expertises, le sort de M. Rivera Hidalgo reste inconnu et les autorités n’ont pas pris les mesures nécessaires pour confirmer ou infirmer le résultat de l’expertise. L’auteure subit donc en permanence une nouvelle victimisation, à laquelle s’ajoute la frustration de savoir que le corps en question a été découvert en 2013 mais qu’elle n’en a été informée que près de cinq ans plus tard. Elle affirme que ces faits aggravent les violations dénoncées tout au long de la communication.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

6.1Le 24 avril 2019, l’État partie a présenté ses observations complémentaires sur la recevabilité et ses observations sur le fond de la communication. Il rappelle que plusieurs enquêtes sont en cours et souligne que celle menée par le bureau du Procureur général de l’État de Nuevo León suit trois pistes différentes : a) M. Rivera Hidalgo a été enlevé par des personnes appartenant à des organisations criminelles ; b) M. Rivera Hidalgo a été enlevé par des personnes qui pourraient appartenir à un secrétariat à la sûreté publique ; c) MM. Rivera Hidalgo, S. J. et C. H. auraient eu des ennuis avec des personnes appartenant à des organisations criminelles. L’État partie réaffirme que les recours internes n’ont pas été épuisés et que la communication est donc irrecevable.

6.2Concernant le fond de la communication, l’État partie affirme que l’obligation d’enquêter et de traduire les responsables en justice n’est pas une obligation de résultat, mais de moyens, qui doit être interprétée de manière à ne pas imposer une charge irréaliste ou disproportionnée aux autorités. Pour s’acquitter de cette obligation, il doit mener une enquête rapide, impartiale et approfondie afin d’élucider le sort de la victime présumée et de déterminer l’endroit où elle se trouve. Il soutient qu’il a réalisé une enquête diligente à partir du moment où il a eu connaissance de la disparition, à savoir le 28 février 2011, puisque la plainte a été transmise au Département de lutte contre les enlèvements du bureau du Procureur général de l’État de Nuevo León le 1er mars 2011. En outre, les enquêtes ont été menées avec impartialité : les observations des proches de M. Rivera Hidalgo ont été prises en compte pendant les enquêtes, les auteurs présumés ont été identifiés et un mandat d’arrêt a été émis contre M. G. R.. De surcroît, le fait que l’auteure a affirmé que des agents de la police locale étaient susceptibles d’avoir participé aux faits n’a eu aucune incidence sur l’impartialité de l’enquête. Enfin, l’État partie affirme que les enquêtes ont été approfondies et il énumère à nouveau bon nombre des actes accomplis dans le cadre de chacune des enquêtes. Il dit avoir fait preuve, par conséquent, de la diligence voulue dans toutes les enquêtes concernées.

6.3L’État partie soutient que la disparition de M. Rivera Hidalgo ne lui est pas imputable car la participation d’agents de l’État n’est pas prouvée et il n’a pas commis de faute par omission. En ce qui concerne le premier point, l’évaluation du caractère approprié de l’enquête et l’imputation de la responsabilité de la disparition à l’État partie sont deux choses distinctes. En particulier, l’imputation de la responsabilité à l’État partie requiert l’existence d’éléments de preuve. Même si le Comité conclut que les enquêtes n’ont pas été adéquates, il ne s’ensuit pas que l’État partie est responsable de la disparition, puisqu’il faut en apporter des preuves. L’État partie souligne qu’en l’espèce, le seul élément suggérant que la disparition de M. Rivera Hidalgo est le fait d’agents de l’État est la déclaration de l’auteure et de son fils cadet, mais cela ne constitue pas une preuve suffisante pour lui imputer la responsabilité. Bien que l’État partie ait pris toutes les mesures nécessaires, il n’est pas parvenu à corroborer les allégations de l’auteure. En effet, l’auteure et son fils cadet ont pu examiner des gilets pare-balles de la police municipale d’Escobedo, et ils ont conclu qu’il ne s’agissait pas des gilets que portaient les ravisseurs mais qu’ils leur ressemblaient. Qui plus est, le bureau du Procureur général de l’État de Nuevo León a demandé aux forces de l’ordre de lui remettre la totalité des registres dans lesquels étaient consignés les gardes à vue de la journée et les opérations menées, les agents en service et les uniformes utilisés ce jour-là, mais rien n’a permis d’établir jusqu’à présent que des agents de l’État avaient pris part aux faits ou étaient présents dans la zone concernée le jour en question. Enfin, bien que l’intervention d’agents de l’État n’ait pas été prouvée, cette piste n’a pas été abandonnée. À la lumière des éléments de preuve analysés et des actes accomplis, on ne saurait accorder foi aux simples déclarations de l’auteure et de son fils cadet.

6.4En ce qui concerne une éventuelle omission de sa part, l’État partie affirme que les mesures de prévention qu’il est tenu de prendre pour protéger les droits consacrés par le Pacte doivent être déterminées en fonction d’un risque raisonnablement prévisible et dont il aurait connaissance. Ainsi, il y a omission si l’État sait ou devrait savoir qu’il existe un risque réel ou immédiat, dans des circonstances raisonnablement prévisibles. Or, l’État partie affirme qu’il n’avait pas connaissance des raisons pour lesquelles M. Rivera Hidalgo aurait pu disparaître et qu’il n’était pas censé les connaître. Par conséquent, il demande au Comité de déclarer que la disparition de M. Rivera Hidalgo ne peut lui être imputée.

6.5Enfin, l’État partie affirme que les atteintes à l’intégrité physique dénoncées par l’auteure et dues à l’angoisse de ne pas connaître le sort de son fils ne sauraient lui être imputables, étant donné que la disparition n’est pas le fait d’agents de l’État et qu’il a agi immédiatement après avoir eu connaissance des faits et avec la diligence voulue. Il ajoute que la Commission exécutive d’aide aux victimes a fourni aux proches de M. Rivera Hidalgo l’appui dont ils avaient besoin.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie concernant le fond

7.1Dans ses commentaires du 25 juillet 2019 sur les observations de l’État partie concernant le fond, l’auteure commente les informations communiquées par l’État partie et les faits nouveaux survenus jusqu’à cette date. Premièrement, elle affirme qu’il existe des éléments prouvant que deux patrouilles de la Sécurité publique de San Nicolás de los Garza se trouvaient à moins de 200 mètres de son domicile vers 1 heure le jour des faits. L’État partie a omis cette information dans ses observations et semble ne pas en avoir tenu dûment compte dans l’enquête. Deuxièmement, l’auteure avance que l’assistance fournie par la Commission exécutive d’aide aux victimes ne saurait être considérée comme globale ou efficace, en particulier au vu des longues périodes pendant lesquelles elle n’a reçu aucun soutien, alors qu’elle l’avait sollicité, et de l’absence de réponse à sa demande de prise en charge médicale. Troisièmement, elle ajoute que, le 20 mai 2019, le premier tribunal pénal de district de l’État de Nuevo León a décidé de suspendre la procédure d’amparo pour une période d’un an, au motif qu’aucune des mesures prises pour retrouver M. Rivera Hidalgo n’avait abouti. Ce qui précède démontre l’inefficacité du recours en amparo et va à l’encontre des observations de l’État partie selon lesquelles les mesures prises étaient efficaces et appropriées. Quatrièmement, l’auteure affirme qu’elle n’a pas été informée de la condamnation de M. G. R. De surcroît, d’après les renseignements fournis par la Commission exécutive, rien n’indique que cette procédure ait permis de trouver ou de faire apparaître des éléments propres à faire la lumière sur le sort de M. Rivera Hidalgo et le lieu où se trouve l’intéressé. Quant à M. G. R., il n’a pas été condamné pour disparition forcée, mais pour privation illégale de liberté constitutive d’enlèvement, entre autres infractions. Par conséquent, rien n’indique que sa condamnation soit liée à la disparition de M. Rivera Hidalgo et, même si elle l’était, cela n’exonère pas l’État partie de son obligation de retrouver M. Rivera Hidalgo et de poursuivre toutes les personnes responsables de sa disparition.

7.2L’auteure ajoute que, le 23 mai 2019, elle s’est entretenue avec ses représentants et des représentants du parquet de l’État de Coahuila, du Bureau du Procureur général de la République, de la Commission nationale des droits de l’homme de Nuevo León, de la Commission nationale de recherche et de la Commission exécutive d’aide aux victimes. C’est à cette occasion que les représentants du parquet de Coahuila lui ont indiqué que le corps découvert en 2013 n’était pas celui de son fils. Cependant, ils lui ont dit aussi qu’il n’avait pas été possible de comparer l’empreinte génétique du corps retrouvé et celle des proches de M. Rivera Hidalgo. L’auteure affirme que les contradictions et l’absence de collaboration efficace entre les différentes autorités de l’État partie témoignent de l’indifférence des pouvoirs publics à l’égard de sa souffrance et de son inquiétude.

7.3En ce qui concerne les observations sur le fond, l’auteure cite une décision d’une juridiction internationale, dans laquelle celle-ci dit accorder, dans le contexte et les circonstances particulières des cas de disparition forcée, une valeur probante élevée aux déclarations des témoins, aux déductions logiques pertinentes et aux liens avec l’existence d’une pratique généralisée en matière de disparitions. L’auteure affirme que les preuves actuelles et l’existence d’un contexte global dans l’État partie, et en particulier dans l’État de Nuevo León, renversent la charge de la preuve. Toutefois, l’État partie n’a pas fait de commentaire sur le contexte mentionné et n’a apporté aucun élément contredisant les affirmations de l’auteure (supra, par. 3.1 et 3.2).

7.4En ce qui concerne l’imputation de la disparition forcée, l’auteure met en lumière plusieurs contradictions dans les observations de l’État partie. Premièrement, celui-ci affirme que les preuves recueillies montrent qu’aucun policier ne se trouvait dans la zone le jour des faits. Deuxièmement, s’il indique que les enquêteurs envisagent la possibilité que des policiers aient participé à la disparition, il affirme ensuite que la disparition « n’est pas le fait d’agents de l’État ». Troisièmement, il dit n’être pas parvenu à corroborer le témoignage de l’auteure, mais il s’avère qu’il n’a pas pu l’infirmer non plus. L’auteure ajoute que c’est justement l’absence d’enquête diligente de la part de l’État partie qui empêche d’établir avec certitude la participation directe ou indirecte d’agents de l’État.

7.5L’auteure constate que l’État partie affirme avoir mené une enquête « rapide, impartiale et approfondie ». Il admet toutefois que, le 27 juillet 2017, la Commission nationale des droits de l’homme de Nuevo León a établi que « l’enquête menée par les autorités accusait un retard injustifié et n’était ni sérieuse, ni approfondie ». Preuve en est que, plus de huit ans après la disparition forcée de M. Rivera Hidalgo, on ne sait toujours pas ce qu’il est advenu de lui ni où il se trouve, et les faits restent impunis. L’auteure fait remarquer que l’État partie ne précise pas à quelle piste se rapporte chaque acte d’enquête, ni à quel objectif il répond. Elle affirme en outre que, si l’enquête visant à identifier les auteurs d’une infraction relève d’une obligation de moyens, le fait d’établir ce qu’il est advenu de la victime d’une disparition forcée et de déterminer le lieu où elle se trouve constitue une obligation de résultat. L’État partie a violé les deux obligations. C’est pour cette raison qu’il ne peut affirmer qu’il n’est pas responsable du préjudice causé à l’intégrité physique de l’auteure, en violation de l’article 7 du Pacte, puisqu’il s’agit d’une conséquence directe de l’indifférence dont les autorités ont fait preuve et de l’absence d’enquête efficace, et ce, indépendamment de la question de savoir s’il est responsable ou non de la disparition forcée de M. Rivera Hidalgo.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel les recours internes n’ont pas été épuisés, étant donné que des enquêtes sont toujours en cours, en particulier celles du bureau du Procureur général de l’État de Nuevo León et du bureau du Procureur général de la République. Il constate néanmoins que l’auteure affirme que les recours internes n’ont pas été utiles, puisque les procédures ont excédé un délai raisonnable, et que l’on ignore donc toujours ce qu’il est advenu de M. Rivera Hidalgo et où il se trouve.

8.4Le Comité rappelle que l’obligation d’épuisement des recours internes vise à ce que l’État partie lui-même ait la possibilité de s’acquitter de son devoir de protéger et de garantir les droits consacrés par le Pacte. Cependant, comme le prévoit l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif, il ne faut pas que les procédures de recours excèdent des délais raisonnables. Étant donné que dix ans se sont écoulés depuis la disparition de M. Rivera Hidalgo et le dépôt des premières plaintes par l’auteure, sans que les enquêtes aient fait des progrès notables et que l’État partie ait correctement justifié un tel retard, le Comité estime que les enquêtes en question ont excédé un délai raisonnable et qu’en conséquence, les dispositions de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner la présente communication.

8.5Constatant que toutes les conditions de recevabilité sont réunies et que les griefs que l’auteure tire des articles 2 (par. 3), 6 (par. 1), 7, 9, 16 et 17 du Pacte ont été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité, le Comité déclare que la communication est recevable et passe à son examen au fond.

Examen au fond

9.1Conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

9.2Le Comité prend note des allégations de l’auteure selon lesquelles les faits de la présente affaire constituent une disparition forcée, étant donné que : a) M. Rivera Hidalgo a été privé de sa liberté lorsqu’il a été enlevé à son domicile ; b) l’acte a été commis par des agents de l’État ou par des personnes ou groupes de personnes qui agissent avec l’autorisation, l’appui ou l’acquiescement de l’État ; et c) l’État partie nie sa participation aux faits ou dissimule le sort réservé à M. Rivera Hidalgo et le lieu où il se trouve en ne menant pas une enquête en bonne et due forme. Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle la charge de la preuve ne peut incomber uniquement à l’auteur d’une communication, étant donné que l’auteur et l’État partie n’ont pas toujours un accès égal aux éléments de preuve et que, souvent, seul l’État partie dispose des renseignements nécessaires.

9.3En l’espèce, le Comité prend note de l’affirmation de l’auteure selon laquelle certains des hommes qui ont fait irruption à son domicile portaient des gilets pare-balles avec l’inscription « Policía de Escobedo » et ont affirmé avoir été envoyés par les autorités (supra, par. 2.3). Le Comité prend note également de la présence avérée de policiers à proximité du domicile de l’auteure après la disparition (supra , par. 7.1 et note 27). Il prend note en outre des informations communiquées par l’auteure concernant le contexte global des disparitions forcées dans l’État partie (supra, note 1), notamment dans l’État de Nuevo León (supra, note 2). Le Comité prend note également des liens présumés entre les forces de sécurité de San Nicolás de los Garza et des organisations criminelles et, en particulier, la personne présumée responsable de la disparition de M. Rivera Hidalgo (supra, par. 2.11). Au vu de tout ce qui précède, le Comité considère que les preuves circonstancielles et indirectes de la participation d’agents de l’État sont suffisantes pour renverser la charge de la preuve et exiger que l’État partie fournisse des éléments qui contredisent ces preuves et démontrent que la disparition ne lui est pas imputable, au moyen d’une enquête menée avec la diligence voulue.

9.4Le Comité constate que l’État partie n’a pas démontré que l’enquête sur la disparition de M. Rivera Hidalgo avait été menée avec la diligence voulue, ni avant que la Commission nationale des droits de l’homme de Nuevo León ait rendu ses constatations, ni après (supra, par. 4.2, 5.1 et 7.5). Il fait observer qu’en l’absence de contestation par l’État partie des allégations de l’auteure relatives au contexte, en particulier au contexte dans l’État de Nuevo León, ni même des liens supposés entre les policiers de San Nicolás de los Garza et le responsable présumé de la disparition de M. Rivera Hidalgo, il accordera le poids voulu à ces allégations. Enfin, le Comité prend note des allégations de l’auteure concernant les contradictions de l’État partie, qui affirme que les faits n’ont pas été commis par des agents de l’État tout en admettant que la participation d’agents de l’État constitue effectivement l’une des pistes de l’enquête, et concernant le fait c’est l’absence d’enquête diligente qui empêcherait d’exclure la participation directe ou indirecte d’agents de l’État, au vu des preuves circonstancielles et indirectes existantes (supra, par. 7.4). À la lumière de tout ce qui précède, le Comité estime que l’auteure a suffisamment étayé ses allégations et que l’État partie n’a pas dûment réfuté l’argument selon lequel la disparition de M. Rivera Hidalgo est imputable à l’État. Par conséquent, le Comité considère que les faits tels qu’ils sont décrits sont constitutifs d’une disparition forcée imputable à l’État partie.

9.5Le Comité rappelle que, même si le terme « disparition forcée » n’est pas expressément employé dans le Pacte, ce type de disparition peut néanmoins être défini comme une série unique et intégrée d’actes qui représentent une atteinte continue à divers droits reconnus par le traité, comme le droit à la vie, le droit de ne pas être soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, le droit à la liberté et à la sécurité de la personne, et le droit à la reconnaissance de sa personnalité juridique. Il rappelle également que, dans les cas de disparition forcée, le fait que les autorités ne reconnaissent pas la privation de liberté et nient savoir où se trouve la personne disparue soustrait l’intéressé à la protection de la loi et l’expose à un risque grave et constant pour sa vie, ce dont l’État doit répondre. En l’espèce, la disparition étant imputable à l’État partie, celui-ci n’a pas pris les mesures nécessaires pour protéger la vie de M. Rivera Hidalgo, en violation de l’article 6 (par. 1) du Pacte.

9.6En outre, le Comité prend note de l’affirmation de l’auteure selon laquelle les faits constituent un traitement contraire à l’article 7 du Pacte, en raison des grandes souffrances subies par M. Rivera Hidalgo, de la situation d’incertitude dans laquelle il s’est trouvé et des atteintes à son intégrité physique et psychologique, qui résultent de sa disparition forcée. Il note en outre qu’il ressort des faits présentés que l’intéressé aurait subi pendant sa privation de liberté des violences physiques qui pourraient être constitutives de torture ou de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. En l’absence de toute information de l’État partie sur ce point, le Comité considère que les faits décrits constituent une violation du droit que M. Rivera Hidalgo tient de l’article 7 du Pacte. Il prend également note des allégations de l’auteure concernant l’angoisse et les souffrances que lui ont causées la disparition de son fils et sa quête de justice, en particulier du fait qu’elle a appris en 2018 que les autorités disposaient depuis 2013 d’un corps qui pourrait être celui de son fils et qu’elles n’avaient jusqu’à présent pas réalisé d’examen permettant d’établir sans aucun doute l’identité du corps en question. En l’absence de toute information de l’État partie sur ce point, le Comité considère que les faits décrits constituent une violation du droit que l’auteure tient de l’article 7 du Pacte.

9.7En ce qui concerne l’allégation de violation de l’article 9 du Pacte, le Comité rappelle son observation générale no 35 (2014), dans laquelle il a déclaré que la disparition constituait une forme particulièrement grave de détention arbitraire. En l’espèce, étant donné que la disparition est imputable à l’État partie, le Comité considère que la privation de liberté de M. Rivera Hidalgo porte atteinte aux droits que celui-ci tient de l’article 9 du Pacte.

9.8Le Comité rappelle que le fait de soustraire délibérément quelqu’un à la protection de la loi constitue un déni du droit de cette personne à la reconnaissance de sa personnalité juridique, en particulier si toutes les tentatives des membres de sa famille pour former un recours utile ont été systématiquement entravées, en violation de l’article 16 du Pacte. En l’espèce, il constate que l’État partie n’a donné aucune explication sur ce qui était arrivé à M. Rivera Hidalgo, ni sur le lieu où il se trouvait, et, en particulier, qu’il n’a pas mené une enquête qui satisfasse aux normes de diligence raisonnable. Par conséquent, le Comité conclut que la disparition forcée de M. Rivera Hidalgo l’a soustrait à la protection de la loi et l’a privé de son droit à la reconnaissance de sa personnalité juridique, en violation de l’article 16 du Pacte.

9.9De surcroît, le Comité note que l’auteure affirme que les ravisseurs de son fils ont fait irruption chez elle au petit matin, ont volé divers biens de valeur (dont deux véhicules), ont détruit des objets et ont endommagé la maison et ses dépendances, ce qui constitue une immixtion illégale dans sa vie privée. En l’absence d’observations de la part de l’État partie et compte tenu des circonstances de l’espèce, le Comité considère que ces faits sont constitutifs d’une immixtion arbitraire et illégale dans la vie privée de l’auteure et son domicile. Par conséquent, il conclut que l’État partie a violé les droits que l’auteure tient de l’article 17 du Pacte.

9.10Enfin, le Comité note que, selon l’auteure, les faits constituent aussi une violation de l’article 2 (par. 3) du Pacte, lu conjointement avec les articles susmentionnés, étant donné qu’elle n’a pas eu accès à un recours utile. Il note également que l’État partie affirme que son obligation d’enquêter est une obligation de moyens, qu’il a mené une enquête rapide, impartiale et approfondie dès qu’il a eu connaissance des faits et qu’il a fait preuve de la diligence voulue. Le Comité constate cependant qu’en 2017, la Commission nationale des droits de l’homme de Nuevo León a établi que « l’enquête menée par les autorités accusait un retard injustifié et n’était ni sérieuse, ni approfondie » (supra, par. 4.2, 5.1 et 7.5). En l’absence de preuve du contraire, il considère que ce qui précède suffit pour confirmer la violation du droit à un recours utile et fait observer que l’État partie n’a pas non plus prouvé qu’il avait agi avec la diligence voulue, y compris après que la Commission nationale a rendu ses constatations. En effet, l’État partie n’a pas démontré qu’une seule des 20 personnes qui auraient directement participé à la disparition de M. Rivera Hidalgo ait été arrêtée ou poursuivie pour ces faits. Le Comité renvoie aux observations concernant le corps découvert en 2013, le fait qu’aucune mesure n’a été prise pour établir définitivement l’identité du défunt et le manque d’informations de la part de l’État partie sur ce point (supra, par. 5.2 et 7.2). À la lumière de tout ce qui précède, le Comité considère que, dix années s’étant écoulées depuis le dépôt de la plainte concernant la disparition forcée de M. Rivera Hidalgo, les enquêtes menées n’ont pas été efficaces s’agissant d’élucider les circonstances de sa disparition, de déterminer ce qui lui était arrivé et le lieu où il se trouvait, et d’identifier les responsables. Par conséquent, il estime que l’État partie a violé le droit à un recours utile que M. Rivera Hidalgo tient de l’article 2 (par. 3) du Pacte, lu conjointement avec les articles 6, 7, 9 et 16. Il considère également qu’il a violé le droit que tient l’auteure de l’article 2 (par. 3), lu conjointement avec les articles 7 et 17.

10.Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie des droits que M. Rivera Hidalgo tient des articles 6 (par. 1), 7, 9 et 16 du Pacte et de l’article 2 (par. 3) lu conjointement avec les articles 6, 7, 9 et 16, ainsi que des droits que l’auteure tient des articles 7 et 17 et de l’article 2 (par. 3) lu conjointement avec les articles 7 et 17.

11.Conformément à l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteure un recours utile. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits ont été violés. À cet égard, il est tenu : a) de mener une enquête rapide, efficace, approfondie, indépendante, impartiale et transparente sur les circonstances de la disparition de M. Rivera Hidalgo ; b) de libérer M. Rivera Hidalgo s’il est en vie ; c) si M. Rivera Hidalgo est mort, de restituer sa dépouille aux membres de sa famille dans des conditions dignes ; d) d’enquêter sur tous les actes susceptibles d’avoir compromis l’efficacité des activités de recherche et de localisation et, s’il y a lieu, de sanctionner les responsables ; e) de fournir à l’auteure des informations détaillées sur les résultats de l’enquête ; f) de poursuivre et de sanctionner les responsables des violations commises et de faire connaître les résultats des mesures prises à cet effet ; et g) d’accorder à l’auteure, ainsi qu’à M. Rivera Hidalgo s’il est encore en vie, une réparation intégrale, y compris une indemnisation appropriée pour le préjudice subi, et une assistance médicale et psychologique. L’État partie est également tenu de prendre des mesures pour empêcher que des violations similaires se reproduisent et garantir que toute disparition forcée donne lieu à une enquête rapide, efficace, approfondie, indépendante, impartiale et transparente.

12.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsque la réalité d’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement.