Nations Unies

CCPR/C/132/D/3313/2019

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

11 août 2022

Français

Original : anglais

Comité des droits de l ’ homme

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 3313/2019 * , **

Communication soumise par :

S. R. (représenté par un conseil, Stanislovas Tomas)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteur

État partie :

Lituanie

Date de la communication :

23 novembre 2017 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 5 mars 2019 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision :

23 juillet 2021

Objet :

Violation du droit à un procès équitable ; application rétroactive du droit pénal

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes ; fondement des griefs ; abus du droit de présenter des communications

Question(s) de fond :

Procès équitable ; procès équitable − témoins ; procès équitable − retards excessifs ; droit de recours ; non-rétroactivité

Article(s) du Pacte :

14 (par. 1, 2, 3 c) et e) et 5), 15 et 26

Article(s) du Protocole facultatif :

2, 3 et 5 (par. 2 b))

1.L’auteur de la communication est S. R., de nationalité lituanienne, né le 20 janvier 1960. Il affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tenait des articles 14 (par. 1), 2), 3 c) et e) et 5)), 15 et 26 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour la Lituanie le 20 février 1992. L’auteur est représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 19 avril 2004, le Bureau du Procureur général de Lituanie a ouvert une enquête préliminaire sur l’auteur parce que l’Inspection des impôts de Lituanie soupçonnait trois entreprises « influencées » par celui-ci de n’avoir pas payé la taxe sur la valeur ajoutée. Le 2 septembre 2005, l’Inspection des impôts a entrepris de procéder à un audit fiscal à l’issue duquel l’auteur, par une décision datée du 19 juin 2006, a été sommé de payer, pour la période comprise entre le 1er janvier 2000 et le 31 décembre 2004, le montant des impôts non acquittés assorti de pénalités, soit 86 486,33 euros (au titre de l’impôt sur le revenu des personnes physiques) et 190 409,23 euros (au titre de l’impôt sur le revenu des résidents).

2.2L’auteur a contesté la décision de l’Inspection d’abord devant le tribunal administratif régional de Vilnius, qui l’a débouté de son recours le 24 avril 2010, puis devant la Cour administrative suprême de Lituanie, qui a confirmé la décision du tribunal de première instance le 6 octobre 2011.

2.3Le 30 décembre 2009, le procureur a accusé l’auteur de plusieurs infractions, notamment d’escroquerie sur le fondement de l’article 182 (par. 2) du Code pénal. Les faits avaient trait à l’organisation, du 25 août 2000 au 31 décembre 2004, d’un groupe d’évasion fiscale qui aurait détourné plus de 457 000 euros de taxe sur la valeur ajoutée. L’auteur a toutefois été acquitté, le 23 décembre 2011, par décision du deuxième tribunal de district de la ville de Vilnius.

2.4Le 12 janvier 2012, le procureur a modifié l’acte d’accusation, portant à 476 225,49 euros le montant de la taxe sur la valeur ajoutée non acquittée, et formé un recours devant le tribunal régional de Vilnius. Le 10 mai 2012, il a introduit une requête en modification des éléments des faits de l’espèce tels qu’énoncés dans l’acte d’accusation, de façon à pouvoir porter d’un à huit le nombre des groupes criminels d’évasion fiscale mis en cause.

2.5Étant donné que l’acte d’accusation avait été modifié à deux reprises devant la juridiction d’appel et que l’auteur affirmait n’avoir pas eu la possibilité de contester certains points mentionnés dans l’acte d’accusation original, le tribunal régional de Vilnius a saisi la Cour constitutionnelle pour qu’elle détermine à titre préjudiciel si la modification d’un acte d’accusation en cause d’appel était compatible avec le principe de l’équité du procès. Le 15 novembre 2013, la Cour constitutionnelle a statué, estimant qu’un acte d’accusation pouvait être modifié en cause d’appel à la demande du procureur même si, dans un tel cas, le mis en cause perdait son droit de contester les points modifiés. Le 27 février 2014, le tribunal régional de Vilnius a validé les deux modifications apportées à l’acte d’accusation.

2.6Le 30 décembre 2014, le tribunal régional a reconnu l’auteur coupable des faits qui lui étaient reprochés dans l’acte d’accusation modifié et l’a condamné à une peine de deux ans et six mois d’emprisonnement. Le 3 mars 2016, la décision du tribunal régional a été confirmée par la Cour suprême de Lituanie.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme qu’en violation de l’article 15 du Pacte, le tribunal régional de Vilnius a appliqué rétroactivement l’article 182 (par. 2) du Code pénal, qui est entré en vigueur le 5 juillet 2004, et l’a reconnu coupable d’escroquerie le 30 décembre 2014. L’évasion fiscale en cause aurait été commise entre 2000 et 2004. Par conséquent, c’est la qualification moins stricte de fraude définie à l’article 274, en vigueur jusqu’au 5 juillet 2004, qui aurait dû être retenue pour des faits commis avant l’entrée en vigueur de l’article 182 (par. 2) du Code. L’auteur affirme avoir été reconnu coupable d’escroquerie « au profit d’autrui », un élément que la notion de fraude ne comportait pas avant le 5 juillet 2004. Cette notion ne renvoyait pas davantage au fait de se soustraire à une obligation liée à un bien (par exemple, à l’obligation de payer la taxe sur la valeur ajoutée) et se limitait au fait de s’approprier le bien d’autrui. L’auteur affirme que la peine d’emprisonnement dont est passible l’infraction d’escroquerie a été portée de cinq à huit ans dans le nouvel article et que les tribunaux lui ont donc appliqué une peine plus lourde.

3.2L’auteur affirme que le fait que la juridiction d’appel ait examiné l’affaire au regard d’un acte d’accusation modifié l’a privé du droit à un procès équitable et du droit de faire réexaminer sa condamnation par une juridiction d’appel, en violation de l’article 14 (par. 1 et 5) du Pacte. Il affirme que la Cour suprême, qui a réexaminé la condamnation prononcée par le tribunal régional, est une juridiction de cassation qui, en droit, ne pouvait se prononcer que sur des points de droit et n’était pas compétente pour examiner les faits et les éléments de preuve.

3.3L’auteur affirme en outre n’avoir pas eu la possibilité de formuler des observations sur la décision prise par le procureur, le 23 janvier 2013, de mettre fin à l’enquête préliminaire concernant Mme J. S., − la directrice d’une des trois entreprises en cause. Il soutient que cette décision lui a porté préjudice et que le tribunal régional a utilisé le texte de cette décision comme preuve dans son jugement. L’auteur n’avait pas été informé de la décision du procureur et il n’en a eu connaissance que lorsqu’elle a été mentionnée par l’avocat de son coaccusé dans sa plaidoirie devant le tribunal régional de Vilnius, le 9 décembre 2014.

3.4L’auteur explique qu’il n’a pas pu soumettre le témoin (M. S.) à un contre‑interrogatoire, celui-ci étant décédé, et que, pour rendre son jugement, le tribunal régional s’est fondé sur les déclarations faites par ce témoin avant le procès. M. S. avait déclaré qu’il pensait s’être vu proposer un pot-de-vin par l’auteur pour régler certains problèmes que rencontrait l’une des entreprises en cause, avec laquelle l’auteur n’avait aucun lien officiel. Sur la foi de ces déclarations, le tribunal a conclu que l’auteur avait un « intérêt informel » dans les sociétés en question. Selon l’auteur, en n’excluant pas le témoignage de M. S., le tribunal régional a violé l’article 14 (par. 3 e)) du Pacte.

3.5L’auteur affirme en outre qu’en violation de l’article 14 (par. 1), le délai légal de prescription de dix ans applicable aux infractions pénales graves (en l’espèce à l’escroquerie) prévu à l’article 95 (par. 1, al. 1) du Code pénal n’a pas été respecté. L’auteur a commis son dernier acte délictueux − soumission d’une déclaration d’impôts comportant des renseignements inexacts − avant le 25 septembre 2004. L’auteur n’ayant pas commis d’autres actes par la suite, c’est à cette date que le délai de dix ans a commencé à courir. La décision du tribunal régional de considérer que la fraude à la taxe sur la valeur ajoutée avait eu lieu du 19 juillet 2000 au 31 décembre 2004 était donc arbitraire.

3.6En violation de l’article 14 (par. 3 c)) du Pacte, la procédure pénale a duré plus de douze ans. L’enquête préliminaire a duré cinq ans et huit mois, du 19 avril 2004 au 30 décembre 2009. La Cour suprême a rendu sa décision définitive le 3 mars 2016. Elle a refusé de réduire la peine prononcée contre l’auteur pour tenir compte de la longueur excessive de la procédure.

3.7L’auteur demande à être jugé de nouveau et à ce que des dommages-intérêts lui soient versés.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Par une note verbale datée du 30 juillet 2019, l’État partie a présenté ses observations. Il estime que la communication de l’auteur concernant la prétendue violation des articles 14 et 15 du Pacte devrait être déclarée irrecevable pour défaut de fondement au regard de l’article 2 du Protocole facultatif. Concernant les griefs ayant trait à la durée de la procédure, l’État partie estime que cette partie de la communication est irrecevable au regard de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif pour non-épuisement des recours internes.

4.2L’État partie informe le Comité que les griefs de l’auteur ont été déclarés irrecevables par la Cour européenne des droits de l’homme les 20 octobre 2016 et 6 avril 2017. Compte tenu de la brièveté de l’exposé des motifs des décisions rendues par la Cour européenne des droits de l’homme lorsqu’elle siège en formation de juge unique, ses décisions en l’espèce n’auront peut-être aucune incidence sur l’examen de la présente communication par le Comité. L’État partie estime que l’auteur, n’étant pas satisfait des décisions des tribunaux nationaux, entend utiliser les mécanismes internationaux comme des juridictions de « quatrième instance ».

4.3L’État partie récapitule les faits comme suit : l’auteur était soupçonné de faux en écriture (art. 300, par. 2 du Code pénal), de fraude (art. 182, par. 2 du Code pénal) en bande organisée (art. 24, par. 3 et 4, et art. 25, par. 3 du Code pénal) avec intention de s’approprier un bien de grande valeur appartenant à autrui et de gestion frauduleuse (art. 222, par. 1 du Code pénal) des comptes de plusieurs entreprises entre 2000 et 2004. L’enquête préliminaire a été ouverte le 19 avril 2004 et l’affaire a été renvoyée au tribunal le 30 décembre 2009. Au cours de l’enquête préliminaire, de nombreux actes d’enquête ont été effectués : des témoins et des suspects ont été interrogés à plusieurs reprises, des perquisitions ont été autorisées et effectuées, des mesures restrictives ont été imposées, des entreprises ont fait l’objet d’inspections, des documents ont été examinés, les droits de propriété de certaines sociétés ont été limités et des demandes d’entraide judiciaire ont été adressées au Canada et à la Fédération de Russie. Le 23 décembre 2011, le deuxième tribunal de district de la ville de Vilnius a acquitté l’auteur de tous les chefs d’accusation. Il a estimé qu’on ignorait quelle activité économique était commune à toutes les entreprises auxquelles l’auteur était lié et quel lien unissait ces entreprises, quel était le mécanisme par lequel l’auteur avait détourné le montant de la taxe sur la valeur ajoutée et quel était le rôle joué par chaque entreprise.

4.4En janvier 2012, le procureur a relevé appel de ce jugement, sollicitant la modification des faits de l’espèce. À l’audience du 20 mars 2012, les parties ont été informées de la position du procureur et n’ont exprimé aucune opinion à ce sujet. Les coaccusés se sont vu accorder un délai pour prendre connaissance des chefs d’accusation modifiés. Au cours d’une audience, le 10 mai 2012, le procureur a fait savoir qu’il entendait modifier de nouveau les chefs d’accusation, en distinguant pleinement les différentes infractions pénales commises. Il n’était question d’aucun fait nouveau ni d’aucune autre infraction pénale ; les chefs d’accusation ont simplement été détaillés pour mieux faire apparaître les rouages du mécanisme frauduleux et pour faciliter l’évaluation du préjudice. Le procureur a demandé que l’auteur soit déclaré coupable sur le fondement des mêmes articles qu’en première instance et qu’il soit condamné à une peine de cinq ans d’emprisonnement.

4.5À la demande de l’avocat de l’auteur, le tribunal régional de Vilnius a saisi la Cour constitutionnelle pour qu’elle indique si la modification de l’acte d’accusation ou l’introduction de nouveaux chefs d’accusation étaient conformes à la Constitution. Dans son arrêt du 15 novembre 2013, la Cour constitutionnelle a indiqué que, lorsque les éléments essentiels des faits étaient modifiés en cause d’appel, le condamné pouvait encore former un pourvoi sur des points de droit en invoquant une fausse application de la loi par la juridiction d’appel. La Cour constitutionnelle a estimé qu’il fallait appliquer la même logique pour déterminer si la juridiction d’appel était habilitée à requalifier les faits, et elle a conclu que la requalification des faits en cause d’appel n’était pas inconstitutionnelle.

4.6Le tribunal régional de Vilnius a repris l’instance et rendu son jugement le 30 décembre 2014. Le 27 février 2014, il avait fait droit à la demande de modification des chefs d’accusation introduite par le procureur le 10 mai 2012. Il avait examiné les demandes de modification de l’acte d’accusation en premier ressort, conformément au Code de procédure pénale, et avait tenu compte des chefs d’accusation tant initiaux que modifiés. L’auteur a été condamné à une peine de deux ans et six mois d’emprisonnement pour fraude en bande organisée.

4.7L’auteur a formé un pourvoi en cassation devant la Cour suprême. Il estimait que le tribunal régional avait outrepassé les limites de la déclaration d’appel au motif qu’au début de l’instance d’appel il était accusé d’avoir commis des infractions pénales au sein d’un groupe criminel organisé et que le procureur avait modifié l’acte d’accusation en cours d’instance de sorte qu’il était désormais accusé d’avoir commis des infractions au sein de plusieurs groupes criminels. L’auteur estimait également que le délai de prescription n’avait pas été correctement appliqué et que le tribunal régional n’avait pas expliqué pourquoi ce délai avait commencé à courir le 31 décembre 2004 et non le 25 septembre 2004. Il a soulevé la question de l’application rétroactive du droit pénal, arguant que, depuis le 30 avril 2003, la législation donnait une définition plus large de l’infraction de fraude. Il estimait en outre que la juridiction d’appel n’aurait pas dû tenir compte des éléments de preuve ayant trait à la décision de mettre fin à l’enquête préliminaire concernant Mme J. S., éléments qui n’avaient pas été examinés à l’audience, ni du témoignage de M. S., qui était décédé en cours d’instance. L’auteur estimait également que la procédure pénale avait été excessivement longue. Pendant plus de cinq ans, il n’avait pas pu se déplacer librement, devant constamment demander la permission des autorités pour pouvoir quitter le pays. Il a demandé à bénéficier d’une peine moins sévère que la privation de liberté.

4.8Le 3 mars 2016, la Cour suprême a rendu sa décision. Concernant l’argument de l’auteur selon lequel il avait été reconnu coupable sur le fondement de nouvelles accusations, la Cour suprême a conclu que les modifications apportées étaient nécessaires pour expliquer quelle activité économique était commune à toutes les entreprises auxquelles l’auteur était lié et quel lien unissait ces entreprises, et au moyen de quel mécanisme l’auteur avait détourné le montant de la taxe sur la valeur ajoutée. Les accusés s’étaient vus accorder un délai pour pouvoir prendre connaissance des modifications et ne les avaient pas contestées. Ils avaient simplement demandé que la Cour constitutionnelle soit saisie. Le tribunal régional avait comparé les chefs d’accusation initiaux aux chefs d’accusation modifiés et conclu que tous ceux-ci étaient détaillés individuellement mais restaient fondés sur les mêmes faits que dans l’acte d’accusation initial. Les modifications n’avaient influé ni sur la qualification des faits ni sur la peine prononcée et n’avaient pas limité les droits de la défense.

4.9Concernant le délai de prescription, la Cour suprême a estimé que, parce que les entreprises en cause n’avaient pas déclaré leurs biens, leurs capitaux propres, leurs obligations et leurs coûts avec exactitude entre 2000 et 2004, il était impossible d’établir la liste des biens de ces entreprises, le montant de leurs capitaux propres, et l’étendue et la structure de leurs obligations pendant cette période. L’enquête préliminaire avait été ouverte le 19 avril 2004 et ce n’est qu’en mai et juin 2005 que les infractions pénales commises avaient pu être établies plus précisément. Les déclarations annuelles des bénéfices et les déclarations des bénéfices anticipés devaient être soumises après la fin de l’exercice fiscal et avant le premier jour du dixième mois suivant le début du nouvel exercice fiscal, c’est-à-dire avant le 1er octobre 2005. Les infractions commises en l’espèce avaient donc pris fin au mois d’octobre 2005, moment où les déclarations relatives à la taxe sur la valeur ajoutée ainsi que les fausses factures devaient être soumises. La Cour suprême ayant toutefois estimé que considérer que les infractions avaient pris fin en octobre 2005 excéderait la portée de l’acte d’accusation, elle a décidé de s’en tenir à la période allant de 2000 à 2004. Selon la Cour suprême, la question la plus importante concernait non pas la dernière opération comptable réalisée, mais plutôt tous les indicateurs financiers des entreprises en cause tout au long de l’exercice fiscal. Elle a donc estimé que c’était à juste titre que la juridiction d’appel avait conclu que les infractions pénales avaient pris fin le 31 décembre 2004 et que le délai de prescription de dix ans devait être calculé à compter de cette date.

4.10Concernant la durée de la procédure, la Cour suprême a relevé que la procédure, qui avait duré plus de dix ans, avait été excessivement longue, ce qui pouvait justifier le prononcé d’une peine plus légère. La Cour devait toutefois apprécier la gravité des faits, les caractéristiques positives et négatives du condamné et le mobile de l’infraction, entre autres éléments. Dans le cas de l’auteur, elle a noté que les infractions pénales commises par celui‑ci avaient causé un préjudice financier substantiel à l’État. L’auteur avait mis sur pied un mécanisme extrêmement sophistiqué de fraude à la taxe sur la valeur ajoutée, et avait coordonné et dirigé les activités de groupes criminels organisés. De plus, le 6 mars 2014, il avait été accusé d’avoir commis une autre infraction pénale le 6 décembre 2013, pour laquelle il avait échappé à la justice. De ce fait, l’exécution de la peine ne pouvait être suspendue. Au demeurant, la peine prononcée par le tribunal régional était déjà moins lourde que la moyenne des peines prononcées pour des infractions similaires.

4.11L’État partie répond ensuite à chacune des allégations de l’auteur. S’agissant du grief formulé par l’auteur au titre de l’article 14 (par. 1) du Pacte selon lequel, pour rendre son jugement, le tribunal régional avait invoqué la décision du procureur de clore l’enquête préliminaire concernant Mme J. S. comme élément de preuve et versé cette décision au dossier sans procéder à un nouvel examen des preuves, l’État partie affirme que ce grief est dénué de fondement. Il fait valoir que dans son jugement le tribunal régional n’a pas expressément visé cette décision et ne l’a pas retenue comme élément de preuve. Si le nom de Mme J. S. figure dans toutes les décisions des juridictions nationales concernant l’auteur, c’est parce que celle-ci dirigeait l’une des entreprises en cause et gérait les documents comptables de plusieurs autres entreprises visées. Cela étant, la décision du procureur n’avait aucun lien factuel avec la mise en cause de l’auteur et ne saurait avoir eu un effet préjudiciable sur l’appréciation de la responsabilité pénale de celui‑ci.

4.12S’agissant du délai de prescription de dix ans, l’État partie renvoie à l’analyse détaillée à laquelle la Cour suprême a procédé dans son arrêt du 3 mars 2016. Les tribunaux ont décidé que les faits en cause avaient pris fin le 31 décembre 2004 − le dernier jour de l’exercice fiscal. Le calcul du délai de prescription de dix ans était justifié et ne semble pas manifestement arbitraire ni entaché d’erreur ou constitutif d’un déni de justice.

4.13Concernant le grief que l’auteur tire de l’article 14 (par. 3 c)) du Pacte au sujet de la durée de la procédure dans le cadre de l’action pénale le concernant, l’État partie fait observer qu’il existe en Lituanie une voie de recours interne utile permettant de contester la durée excessive d’une procédure judiciaire. L’article 6.272 du Code civil prévoit la possibilité de réclamer des dommages et intérêts en cas de durée excessive d’une procédure judiciaire. La Cour européenne des droits de l’homme a constaté que, depuis le 6 février 2007, les demandes de dommages et intérêts au titre de l’article 6.272 du Code civil constituaient une voie de recours interne utile. L’auteur n’a pas saisi les tribunaux nationaux pour dénoncer la durée excessive de la procédure et n’a pas épuisé les recours internes, comme il était tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif. Concernant le fond de ce grief, l’État partie fait observer que la Cour suprême a effectivement jugé que l’enquête préliminaire avait été excessivement longue puisqu’elle avait duré plus de cinq ans. Toutefois, la Cour n’a pas estimé que les autorités n’avaient pas agi ou qu’il y avait eu des périodes d’inactivité prolongées. Elle a considéré qu’elles n’avaient pas agi efficacement puisque les chefs d’accusation devaient être mieux définis et qu’il fallait distinguer les différentes infractions pénales commises. Compte tenu de la complexité des groupes criminels organisés et de leurs agissements, ainsi que des conséquences financières pour l’État, qui avait subi des pertes à hauteur de 476 225 euros, l’État partie estime que c’est à juste titre que la Cour suprême a décidé de ne pas suspendre l’exécution de la peine prononcée contre l’auteur.

4.14L’État partie fait observer que l’enquête préliminaire s’est achevée le 30 décembre 2009. Le jugement de première instance a été rendu le 23 décembre 2011. En appel, il a été décidé de saisir la Cour constitutionnelle de la question de la modification d’un acte d’accusation en cause d’appel. La Cour constitutionnelle a statué le 15 novembre 2013 et le tribunal régional de Vilnius a rendu son jugement le 30 décembre 2014. La Cour suprême a ensuite statué le 3 mars 2016. Le Gouvernement affirme de nouveau que la durée excessive de l ’ enquête préliminaire a été compensée par le prononcé d ’ une peine moins sévère à l ’ égard de l ’ auteur. Ce grief de l ’ auteur est donc dénué de fondement.

4.15L’État répond ensuite au grief que l’auteur tire de l’article 14 (par. 3 e)) du Pacte, concernant le fait qu’il n’a pas eu la possibilité de soumettre à un contre‑interrogatoire un témoin − M. S. − décédé en cours d’instance et que les déclarations de ce témoin ont été retenues comme élément de preuve par le tribunal régional. L’État partie fait observer que le témoignage de M. S. a été corroboré par d’autres preuves et que la condamnation de l’auteur était fondée sur un faisceau de preuves dont ce témoignage ne constituait qu’un élément. L’auteur a eu la possibilité de contester ce témoignage et de présenter ses arguments, qui ont été dûment examinés par les tribunaux nationaux. Le fait que le témoin soit décédé ne justifiait pas d’exclure ce témoignage, qui ne constituait qu’un élément de preuve parmi d’autres. L’État partie estime que ce grief est dénué de fondement et qu’il devrait être déclaré irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

4.16S’agissant du grief que l’auteur tire de l’article 14 (par. 5) du Pacte en ce qui concerne la modification de l’acte d’accusation et des charges devant la juridiction d’appel, l’État partie fait valoir que le Comité n’a jamais considéré que le pourvoi en cassation ne satisfaisait pas en soi aux prescriptions de l’article 14 (par. 5). Lorsqu’elle examine si la loi pénale a été correctement appliquée, la juridiction de cassation vérifie, notamment, la légalité des preuves examinées par les juridictions inférieures. Si celles-ci ont commis des erreurs, elle a de nombreux moyens d’y remédier et, si ces erreurs ont trait à l’interprétation des faits et des preuves, elle a la possibilité de renvoyer l’affaire devant la juridiction inférieure pour qu’elle soit rejugée.

4.17La Cour suprême a procédé à un examen approfondi des allégations de l’auteur concernant la modification des chefs d’accusation retenus contre lui et estimé que, premièrement, les parties avaient été informées de cette modification et avaient eu suffisamment de temps pour préparer leur défense et que, deuxièmement, les chefs d’accusation avaient simplement été modifiés sans changement radical et que cela n’avait pas eu d’incidence ni sur la qualification des faits ni sur le prononcé de la peine. La Cour constitutionnelle, qui avait été saisie de la question, avait estimé que les parties à l’instance n’avaient pas été privées de leur droit de recours. L’État partie ajoute que l’auteur n’a pas précisé quels aspects de son pourvoi n’avaient pas été pris en considération en raison de la portée limitée du réexamen par la juridiction de cassation. Il conclut que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ce grief, qui devrait être déclaré irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

4.18Concernant l’argument de l’auteur selon lequel les tribunaux nationaux devaient appliquer l’article 274 (par. 1 ou 2) du Code pénal de 1961, puisque c’est cette disposition qui était en vigueur au moment où la majeure partie des faits délictueux ont été commis, l’État partie relève que l’auteur a été reconnu coupable de fraude sur le fondement de la disposition entrée en vigueur le 1er mai 2003. L’auteur n’a pas mentionné l’article 274 (par. 3) du Code pénal de 1961, qui disposait que la fraude à grande échelle était passible d’une peine d’un à dix ans d’emprisonnement. En l’espèce, l’auteur s’est rendu coupable d’une fraude à grande échelle ; les dispositions applicables du Code pénal de 1961 et du nouveau Code pénal étaient donc très similaires. On pourrait même dire que l’article 182 (par. 2) du Code pénal prévoyait une peine moins lourde. L’auteur affirme que la formule « au profit d’autrui » ne figurait pas dans le Code pénal de 1961 et dit avoir été pénalisé par l’application de l’article 182 (par. 2) du nouveau Code pénal. Or il n’a pas été reconnu coupable de l’appropriation d’un bien ou d’un droit de propriété sur un bien de grande valeur au profit d’autrui, si bien que son grief sur ce point est dénué de fondement. Enfin, l’État partie soutient que la peine de deux ans et six mois d’emprisonnement prononcée contre l’auteur est bien moins lourde que la peine maximale de huit ans d’emprisonnement prévue par l’article 182 (par. 2). L’État partie conclut que les allégations formulées par l’auteur au titre de l’article 15 du Pacte devraient être déclarées irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif pour défaut de fondement.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1Le 7 octobre 2019, l’auteur a présenté ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il affirme une nouvelle fois que la disjonction des procédures pénales intentées respectivement contre lui-même et Mme J. S. ainsi que la clôture de l’enquête judiciaire concernant celle-ci ont violé son droit à un procès équitable. Il affirme que, puisqu’il avait été établi que Mme J. S. n’avait pas agi en connaissance de cause lorsqu’elle avait commis des faux en écriture, il avait été considéré comme celui qui lui avait sciemment donné des directives pour qu’elle agisse. Aussi l’auteur affirme-t-il qu’il existe un lien entre la mise en cause de Mme J. S. et son propre procès et soutient que le fait qu’il n’ait pas pu prendre connaissance des documents relatifs à la procédure pénale intentée contre Mme J. S. ni soumettre celle-ci à un contre-interrogatoire a violé les droits qu’il tenait de l’article 14 (par. 1) du Pacte.

5.2L’auteur note que l’État partie admet qu’il n’a pas commis d’infractions pénales après le 25 septembre 2004. La décision de fixer au 31 décembre 2004 la date à laquelle le délai de prescription de dix ans commençait à courir relève de la conjecture et est contraire à l’article 14 (par. 1) du Pacte.

5.3Concernant les griefs soulevés au titre de l’article 14 (par. 3 c)) du Pacte, l’auteur affirme que son but n’était pas d’être indemnisé financièrement de la durée excessive de la procédure mais de créer un précédent, de sorte qu’en cas de durée excessive d’une procédure pénale, la peine prononcée serait moins sévère, ce que les tribunaux civils ne pouvaient faire. Du reste, les tribunaux nationaux n’ayant pas reconnu que la procédure avait été excessivement longue, les juridictions civiles considéreraient cette décision comme revêtue de l’autorité de la chose jugée et refuseraient de l’indemniser. L’auteur affirme que le fait que la Cour constitutionnelle ait été saisie pour trancher une question ne devrait pas être considéré comme justifiant le retard pris dans la procédure. Il affirme également que les informations qui avaient été demandées à d’autres pays au cours de l’enquête n’ont pas été retenues comme preuves par les tribunaux et ne devraient pas non plus servir à justifier le retard accumulé. Ayant purgé sa peine, l’auteur souhaite recevoir une somme équivalant à 30 fois le salaire minimum lituanien à titre d’indemnisation pour la violation de l’article 14 (par. 3 c)) du Pacte. Il indique que, lorsqu’elle s’est prononcée sur sa peine, la Cour suprême a tenu compte du fait qu’il était soupçonné d’avoir commis une autre infraction en 2014. Il affirme qu’en fondant sa décision sur une infraction qui n’avait pas été établie, la Cour suprême a violé le droit à la présomption d’innocence qu’il tenait de l’article 14 (par. 2) du Pacte.

5.4S’agissant de l’article 14 (par. 3 e)) du Pacte, l’auteur fait observer que M. S. était l’unique témoin de la prétendue tentative de l’auteur d’offrir un pot-de-vin au profit d’une entreprise dont il n’était ni directeur ni actionnaire et que le témoignage de M. S. était décisif. Dans ces circonstances, M. S. n’ayant pu être soumis à un contre-interrogatoire, son témoignage aurait dû être exclu. L’auteur demande la réouverture de l’affaire et le réexamen des preuves à l’exclusion du témoignage de M. S.

5.5L’auteur réaffirme qu’il estime que la modification des chefs d’accusation par le procureur en appel et non en première instance l’a privé de la possibilité de faire réexaminer les faits et les preuves par une juridiction supérieure et, partant, du droit de recours garanti par l’article 14 (par. 5) du Pacte. Il ajoute qu’on pourrait également considérer l’absence d’un examen plein et entier des points de fait par une instance d’appel et d’un réexamen des preuves comme constitutive d’une violation du droit à un procès équitable énoncé à l’article 14 (par. 1) du Pacte, puisqu’un procès est inéquitable lorsqu’un accusé est privé de la possibilité de faire réexaminer sa condamnation en appel quand d’autres ne le sont pas, et comme discriminatoire au sens de l’article 26 du Pacte, puisque l’auteur a été traité différemment des accusés ordinaires, qui obtiennent, au stade de l’appel, le réexamen des faits.

5.6L’auteur ne partage pas l’opinion de l’État partie concernant l’application par les tribunaux de l’article 182 (par. 2) du Code pénal de 1961 en lieu et place de l’article 274 qui était en vigueur à compter du 5 juillet 2004. Il affirme que les nouvelles formules, à savoir « se soustraire à une obligation monétaire » et « au profit d’autrui », ont été appliquées rétroactivement et que ce sont ces formules qui lui ont le plus porté préjudice. Il ajoute que l’article 182 (par. 2) du nouveau Code pénal fixe à huit ans la durée de la peine maximale d’emprisonnement alors que l’ancien Code pénal prévoyait une peine maximale de cinq ans d’emprisonnement ; il affirme que si l’on avait pris pour référence la peine maximale la moins sévère, la peine prononcée contre lui aurait été plus légère. L’argument de l’État partie selon lequel la fraude à grande échelle était passible d’une peine de dix ans d’emprisonnement selon l’ancien Code pénal est inopérant, puisque le nouveau Code pénal a aboli la notion de fraude à grande échelle. La notion de manquement volontaire à une obligation monétaire importante n’est pas équivalente à celle de fraude à grande échelle. Lorsqu’il est établi qu’un individu s’est soustrait à une obligation monétaire importante, cela ne signifie pas automatiquement qu’il s’est rendu coupable de fraude à grande échelle.

5.7L’auteur demande la réouverture de son procès, le versement d’une somme équivalent à 50 fois le salaire minimum, soit 30 350 euros, au titre de l’indemnisation des violations de ses droits, et le remboursement de ses frais de justice à hauteur de 10 000 euros.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1Dans une note verbale datée du 6 décembre 2019, l’État partie a présenté des observations complémentaires dans lesquelles il réitère sa position concernant la recevabilité de la communication au regard des articles 3 et 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif. L’État partie fait observer que, dans ses commentaires, l’auteur a formulé de nouveaux griefs au titre des articles 14 (par. 2) et 26 du Pacte et que, puisque ces griefs ont été formulés après la soumission de ses observations par l’État partie et non dans la communication initiale, ils devraient être déclarés irrecevables.

6.2L’État partie réaffirme que la décision de mettre fin à l’enquête pénale concernant Mme J. S. n’a eu aucune incidence sur le procès de l’auteur. La décision de disjoindre les deux instances pénales a été motivée par différents facteurs et ne constitue pas, en soi, une violation de l’article 14 (par. 1) du Pacte. La question de la clôture de l’enquête concernant Mme J. S. a été examinée par la Cour suprême, qui n’a constaté aucun vice de procédure. L’auteur n’a invoqué la possibilité de soumettre Mme J. S. à un contre-interrogatoire ni devant les autorités nationales ni dans sa communication initiale. Il n’a pas davantage demandé qu’il soit procédé à une nouvelle appréciation des preuves. Il ne s’est pas prévalu de deux autres possibilités d’exprimer son opinion concernant la clôture de l’enquête préliminaire visant Mme J. S., pendant les réquisitoires et au procès, au cours duquel il aurait pu demander au tribunal d’entendre Mme J. S. comme témoin en vertu de l’article 270 du Code de procédure pénale. L’État partie estime qu’à cet égard, l’auteur n’a pas épuisé les recours internes.

6.3L’État partie réitère sa position initiale au sujet du défaut de fondement des griefs soulevés au titre de l’article 14 (par. 1) du Pacte concernant le calcul du délai de prescription, ainsi qu’au titre de l’article 14 (par. 3 e) et 5) et de l’article 15 du Pacte. Il maintient que les griefs soulevés au titre de l’article 14 (par. 3 c)) du Pacte concernant la durée de la procédure devraient être rejetés pour non-épuisement des recours internes et, en tout état de cause, pour défaut de fondement. L’État partie fait observer que l’affirmation de l’auteur selon laquelle « les tribunaux nationaux [n’ont] pas reconnu que la procédure avait été excessivement longue » est inexacte et que la Cour suprême a déclaré sans ambiguïté qu’en l’espèce, la procédure ne s’était pas achevée dans un délai raisonnable et qu’elle avait été excessivement longue. L’État partie communique également des informations et cite des exemples de décisions rendues par ses tribunaux pour démontrer que les tribunaux civils apprécient les preuves de manière indépendante et peuvent parvenir à une conclusion différente de celle des juridictions pénales concernant la durée des procédures et le préjudice qui peut en résulter.

Nouveaux commentaires de l’auteur

7.1L’auteur a présenté de nouveaux commentaires le 13 janvier 2020. Concernant l’observation de l’État partie selon laquelle les nouveaux griefs qu’il a formulés au titre des articles 14 (par. 2) et 26 du Pacte devraient être déclarés irrecevables parce qu’ils ne figuraient pas dans sa communication initiale, l’auteur affirme que le Comité peut être saisi dans un délai de cinq ans après l’épuisement des recours internes. L’auteur est donc en droit de saisir le Comité de tous les griefs qu’il souhaite soulever avant l’expiration de ce délai de cinq ans, le 3 mars 2021. Il pouvait également soumettre une nouvelle communication, mais il ne l’a pas fait pour ne pas alourdir la procédure.

7.2L’auteur formule ensuite des commentaires sur les questions traitées dans sa communication datée du 7 octobre 2018.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Il prend note des informations communiquées par l’État partie selon lesquelles, les 20 octobre 2016 et 6 avril 2017, la Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en formation de juge unique, a déclaré irrecevables les requêtes introduites par l’auteur. Le Comité rappelle sa jurisprudence relative à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, à savoir que, lorsque la Cour européenne déclare une requête irrecevable non seulement pour vice de procédure mais aussi pour des motifs reposant, dans une certaine mesure, sur un examen au fond, il considère que la question a déjà été examinée au sens des réserves audit article. Toutefois, le Comité rappelle également que, même dans les cas où des requêtes ont été déclarées irrecevables par la Cour européenne au motif qu’elles ne faisaient apparaître aucune violation, le raisonnement succinct livré par la Cour dans certaines de ces décisions ne permet pas au Comité de supposer qu’elle a procédé à un examen des éléments des affaires en question au fond. En l’espèce, il note que la lettre de la Cour européenne, que lui a transmise l’État partie atteste uniquement que les requêtes introduites par l’auteur ont été déclarées irrecevables, sans expliquer les raisons de cette décision. Cela étant, le Comité estime que les dispositions de l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner la présente communication.

8.3Le Comité prend note des observations de l’État partie selon lesquelles les griefs formulés par l’auteur au titre de l’article 14 (par. 3 c)) du Pacte concernant la durée excessive de la procédure pénale devraient être déclarés irrecevables pour non-épuisement des recours internes. Il prend note des informations que lui a communiquées l’État partie concernant l’ar ticle 6.272 du Code civil, qui prévoit la possibilité de demander des dommages et intérêts en cas de durée excessive d ’ une procédure, ainsi que des exemples de cas dans lesquels cet article a été invoqué avec succès devant les tribunaux nationaux. Le Comité prend également note de l ’ argument de l ’ auteur selon lequel l ’ indemnisation de la durée excessive de la procédure était une solution qui ne lui convenait pas. Il voulait que les tribunaux reconnaissent que la durée excessive de la procédure intentée contre lui devait être compensée par le prononcé d ’ une peine plus légère, ce qu ’ il ne pouvait obtenir devant les juridictions civiles.

8.4 À ce propos, le Comité note que, dans sa communication, l ’ auteur demande à l ’ État partie de l ’ indemniser de la violation de l ’ article 14 (par. 3 c)) du Pacte dont il dit avoir été victime. Concernant l ’ argument de l ’ auteur selon lequel la Cour suprême a refusé de réduire la peine prononcée contre lui pour tenir compte de la durée excessive de la procédure, il note qu ’ il ne peut pas se substituer aux juridictions internes en interprétant et en appliquant le droit interne et en décidant de la peine à prononcer dans une affaire donnée. Le rôle du Comité est de déterminer si la procédure appliquée par les tribunaux pour rendre leur décision était conforme aux normes énoncées à l ’ article 14 du Pacte. Le Comité prend note, à cet égard, de l ’ argument de l ’ État partie selon lequel l ’ auteur n ’ a pas saisi les tribunaux nationaux pour dénoncer la durée excessive de la procédure. Il note que la Cour suprême a admis que la procédure intentée contre l ’ auteur avait été excessivement longue mais qu ’ elle n ’ a pas estimé que les autorités n ’ avaient pas agi ou qu ’ il y avait eu de longues périodes d ’ inactivité. Dans le même temps, elle est parvenue à la conclusion, dûment motivée, que la peine de deux ans et six mois d ’ emprisonnement à laquelle l ’ auteur avait été condamné ne pouvait être commuée en une peine non privative de liberté pour les raisons suivantes : les infractions pénales commises par l’auteur avaient causé un préjudice financier substantiel à l’État ; l’auteur avait mis sur pied un mécanisme extrêmement sophistiqué de fraude à la taxe sur la valeur ajoutée et avait coordonné et dirigé les activités de groupes criminels organisés ; il était soupçonné d ’ une autre infraction pénale, pour laquelle il avait échappé à la justice (par. 4.10). Le Comité note à ce propos que le procureur avait requis une peine de cinq ans d ’ emprisonnement et que, selon l ’ État partie, la durée excessive de l ’ enquête préliminaire a été compensée par le prononcé d ’ une peine moins lourde (par. 4.14 et 4.18). Compte tenu des faits dont il est saisi, il ne constate aucun signe d ’ arbitraire ou de partialité de la part des juridictions internes. La peine prononcée contre l ’ auteur ne lui semble pas non plus disproportionnée par rapport à la gravité des infractions qu ’ il a commises et pour lesquelles il a finalement été reconnu coupable et condamné. Dans ces conditions, le Comité souscrit à l ’ argument de l ’ État partie selon lequel l ’ auteur disposait d ’ un recours interne utile en ce qu ’ il pouvait introduire une demande de dommages et intérêts devant les juridictions civiles pour être indemnisé du préjudice que lui avait causé la durée excessive de la procédure dont il avait fait l ’ objet. Le Comité note que l ’ auteur a choisi de ne pas exercer ce recours interne et a décidé de se tourner vers lui pour obtenir une indemnisation. Dans ces conditions, le Comité conclut que l ’ auteur n ’ a pas épuisé les recours internes et que les griefs qu ’ il soulève au titre de l ’ article 14 (par. 3 c)) sont irrecevables au regard de l ’ article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif.

8.5 Le Comité prend note des griefs soulevés par l ’ auteur au titre de l ’ article 14 (par. 1) du Pacte concernant la clôture de l ’ enquête préliminaire visant M me J. S. et l ’ invocation, dans le cadre de la procédure dont il faisait l ’ objet, de la décision prise à cet effet par le procureur. Il prend également note du grief formulé par l ’ auteur au titre de l ’ article 14 (par. 1), à savoir que la décision des tribunaux internes de fixer au 31 décembre 2004 la date à laquelle les infractions pénales avaient pris fin aux fins du calcul du délai de prescription de dix ans était arbitraire. Il prend note en outre du grief formulé par l ’ auteur au titre de l ’ article 14 (par. 3 e)) du Pacte selon lequel les tribunaux ont retenu le témoignage de M. S., décédé en cours d ’ instance, alors que l ’ auteur n ’ avait pas été en mesure de soumettre celui-ci à un contre ‑ interrogatoire. Le Comité relève que ce grief concerne l ’ appréciation par les tribunaux nationaux des faits et des preuves, qu’il n’examine pas lui-même, sauf s’il peut être établi que cette appréciation a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice, ou que la juridiction concernée a par ailleurs manqué d’indépendance et d’impartialité. Il ressort des informations communiquées par l’État partie que les tribunaux nationaux ont procédé à un examen approfondi des griefs de l’auteur à ce sujet. Le Comité prend note en particulier des observations de l’État partie selon lesquelles le tribunal régional n’a pas renvoyé à la décision de clore l’enquête concernant Mme J. S. ni invoqué cette décision comme preuve à charge (par. 4.11), la Cour suprême, ayant interprété les informations se dégageant de l’enquête à la lumière du droit fiscal interne, a retenu la date du 31 décembre 2004 comme date de fin des infractions pénales (par. 4.9 et 4.12), et le témoignage de M. S. a été corroboré par d’autres preuves, que l’auteur n’a pas réfutées, et ne constituait que l’un des éléments sur lesquels était fondée la condamnation de l’auteur (par. 4.15). Les éléments du dossier ne font apparaître aucune irrégularité de procédure qui serait constitutive d’un déni de justice. Le Comité estime par conséquent que les griefs que l’auteur tire de l’article 14 (par. 1 et 3 e)) sont insuffisamment étayés et irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.6Le Comité prend note en outre du grief de l’auteur selon lequel la modification des chefs d’accusation par le procureur en cause d’appel a violé le droit qu’il tenait de l’article 14 (par. 5) du Pacte au motif que la Cour suprême, statuant en cassation, ne s’est prononcée que sur des points de droit et n’a pas procédé à un examen de fond des faits et des preuves. À ce propos, le Comité rappelle que l’article 14 (par. 5) fait obligation à l’État partie de faire réexaminer au fond, en vérifiant si les éléments de preuve sont suffisants et à la lumière des dispositions législatives applicables, la déclaration de culpabilité et la condamnation, de manière que la procédure permette un examen approprié de la nature de l’affaire. En l’espèce, il constate que l’auteur formule un grief d’ordre général, à savoir que la modification des chefs d’accusation en cause d’appel l’a privé, en soi, d’un recours utile. Il note également que le procureur n’a pas formulé de nouvelles accusations ou retenu de nouvelles infractions mais les a seulement détaillées, et que les faits, ainsi que les articles du Code pénal sur lesquels les chefs d’accusation étaient fondés, sont restés inchangés. De plus, les parties à l’instance ont été informées de la modification et ne s’y sont pas opposées, et elles ont eu suffisamment de temps pour préparer leur défense (par. 4.4, 4.5, 4.8 et 4.17). Le Comité appelle l’attention sur sa jurisprudence selon laquelle l’article 14 (par. 5) ne fait pas obligation aux juridictions d’appel de procéder à un nouveau procès, pour autant qu’elles procèdent à un réexamen exhaustif des décisions rendues et de tous les arguments du plaignant. Il note qu’à aucun moment l’auteur ne précise quels griefs de fond il n’a pas pu formuler devant la Cour suprême ni quels griefs formulés dans le pourvoi n’ont pas été examinés par la Cour. Le Comité note aussi que la Cour suprême a bel et bien procédé à un examen approfondi des griefs de l’auteur qui, selon les informations versées au dossier, concernaient l’application de la législation par les juridictions inférieures et non l’appréciation des faits et des preuves. Il note également qu’il ressort des informations qui lui ont été communiquées par l’État partie que la Cour suprême et la Cour constitutionnelle ont examiné de façon approfondie les griefs de l’auteur et qu’il est possible qu’une affaire soit intégralement rejugée si la juridiction de cassation constate que les juridictions inférieures ont commis des erreurs dans l’application de la législation. Faute pour l’auteur de formuler des griefs spécifiques, le Comité estime que ses allégations au titre de l’article 14 (par. 5) du Pacte ont un caractère général et ne sont pas suffisamment étayées. Il considère que cette partie de la communication est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.7Le Comité prend aussi note du grief que l ’ auteur tire de l ’ article 15 du Pacte, à savoir que la nouvelle version du Code pénal (art. 182 (par. 2)) lui a été appliquée à tort en lieu et place de l ’ ancienne version (art. 274 (par. 3)), qui était moins répressive. À ce propos, le Comité note que ces articles répriment l ’ un comme l ’ autre l ’ infraction de fraude et la punissent d ’ une peine maximale de cinq et de huit ans d ’ emprisonnement, respectivement, assortie ou non d ’ une amende. Le Comité considère que, dès lors que la nouvelle législation prévoit une peine de même nature que l ’ ancienne, la question de savoir si cette peine est plus légère ou plus lourde ne se pose pas, à moins que la peine prononcée par le tribunal excède la peine maximale prévue par la disposition la moins répressive applicable . La durée de la peine d ’ emprisonnement à laquelle l ’ auteur a été condamné, à savoir deux ans et six mois, n ’ excède pas celle de la peine maximale de cinq ans d ’ emprisonnement prévue par la disposition la moins répressive. En l ’ espèce, les tribunaux ont interprété la législation nationale à la lumière des faits dont ils étaient saisis. Il ne ressort pas des informations dont le Comité est saisi que cette interprétation a été manifestement arbitraire ou qu’elle a représenté un déni de justice. Par conséquent, le Comité estime que cette partie de la communication est insuffisamment étayée et irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.8Enfin, le Comité note que, dans ses commentaires datés du 7 octobre 2019, l’auteur formule deux nouveaux griefs au titre des articles 14 (par. 2) et 26 du Pacte. Il prend note, en outre, de l’interprétation que donne l’auteur de la règle relative au délai de cinq ans dans ses commentaires complémentaires du 13 janvier 2020, à savoir que de nouveaux griefs peuvent être formulés, voire une nouvelle communication présentée, à tout moment avant l’expiration du délai de cinq ans à compter de l’épuisement des recours internes. Le Comité note que, conformément à l’article 99 (al. c)) de son règlement intérieur, une communication doit effectivement être soumise dans un délai de cinq ans à compter de l’épuisement des recours internes. Cela étant, il renvoie à sa jurisprudence selon laquelle tous les griefs doivent être formulés par l’auteur dans sa communication initiale, avant que l’État partie soit invité à adresser ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication, sauf si l’auteur peut expliquer pourquoi il n’a pas été en mesure de formuler tous ses griefs en une seule fois. Étant donné que l’auteur n’a pas expliqué pourquoi ses nouveaux griefs n’auraient pas pu être formulés antérieurement, leur examen par le Comité constituerait un abus de procédure. Le Comité estime donc que les griefs que l’auteur tire des articles 14 (par. 2) et 26 sont irrecevables au regard de l’article 3 du Protocole facultatif.

9.En conséquence, le Comité décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard des articles 2, 3 et 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur de la communication.