Nations Unies

CCPR/C/131/D/2863/2016

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

4 mai 2021

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no2863/2016 * , **

Communication présentée par :

Andrei Andreev

Victime(s) présumée(s) :

L’auteur

État partie :

Bélarus

Date de la communication :

5 mai 2014 (date de la lettre initiale)

  Références

Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 22 novembre 2016 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

25 mars 2021

Objet :

Sanction infligée à l’auteur pour distribution de brochures à caractère politique

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes ; abus du droit de présenter une communication

Question(s) de fond :

Liberté d’expression ; liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations

Article(s) du Pacte :

19 (par. 2)

Article(s) du Protocole facultatif :

3 et 5 (par. 2 b))

1.L’auteur de la communication est Andrei Andreev, de nationalité bélarussienne, né en 1947. Il affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient de l’article 19 (par. 2) du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 30 décembre 1992. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur est membre d’un parti politique nommé « Un monde juste ». Le 13 août 2013, il distribuait des brochures à caractère politique dans un immeuble d’habitation à Vitebsk. Ce même jour, vers midi, il a été arrêté par des policiers pour avoir commis une infraction à l’article 22.9 (par. 2) du Code des infractions administratives (violation de la législation sur les médias).

2.2Le 5 septembre 2013, le tribunal du district Oktiabrsky (Vitebsk) a déclaré l’auteur coupable, au titre de l’article 22.9 (par. 2) du Code des infractions administratives, d’avoir distribué illicitement des documents à caractère politique provenant de médias étrangers, et lui a infligé une amende de 2 millions de roubles. Selon le tribunal, l’imprimerie étrangère aurait dû obtenir une autorisation préalable du Ministère de l’information ; or, l’auteur ne détenait pas pareille autorisation.

2.3Le 12 septembre 2013, l’auteur a fait appel de la décision du tribunal de district devant le tribunal régional de Vitebsk. Il avançait notamment que les brochures avaient été imprimées conformément aux règlements techniques applicables et dans le seul but d’informer la population sur des questions sociales et politiques importantes, et qu’elles ne pouvaient donc pas être considérées comme des publications périodiques au sens de l’article 22.9 (par. 2) du Code des infractions administratives. Le 25 septembre 2013, le tribunal régional de Vitebsk a confirmé le jugement de première instance.

2.4Le 15 octobre 2013, l’auteur a saisi le Président du tribunal régional de Vitebsk d’une demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle. Sa demande a été rejetée le 15 novembre 2013. Le 11 décembre 2013, l’auteur a saisi la Cour suprême d’une demande similaire, qui a été rejetée le 3 février 2014.

Teneur de la plainte

3.L’auteur affirme que l’État partie a violé les droits qui lui sont reconnus à l’article 19 (par. 2) du Pacte. Les brochures à caractère politique qu’il a distribuées ne contenaient aucune information susceptible de limiter les droits et libertés d’autrui, d’insulter ou d’offenser autrui ou de porter atteinte à la réputation professionnelle d’agents publics. En outre, elles n’incitaient pas à troubler l’ordre public et ne mettaient pas en danger la sécurité, la santé ou la moralité publiques. L’imposition d’une amende pour distribution de brochures à caractère politique a privé l’auteur de sa liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une note verbale datée du 23 janvier 2017, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et sur le fond. Il affirme que l’auteur n’a saisi ni le Bureau du Procureur ni le Président de la Cour suprême d’une demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle de la décision rendue par la Cour suprême le 3 février 2014. Le délai pour introduire une demande de réexamen auprès du Bureau du Procureur a expiré le 26 mars 2014 ; l’auteur ne peut donc plus exercer ce recours. Il aurait cependant pu introduire une demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle, non limitée dans le temps, auprès du Président de la Cour suprême.

4.2L’État partie soutient que, étant donné que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes, sa plainte devrait, en application de l’article 3 du Protocole facultatif, être traitée comme un abus du droit de présenter une communication.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1Le 14 août 2017, l’auteur a présenté ses commentaires sur les observations de l’État partie et affirme une nouvelle fois que l’État partie a, sans aucun motif légitime, violé le droit de communiquer des informations que lui confère l’article 19 (par. 2) du Pacte.

5.2L’auteur affirme avoir épuisé tous les recours internes dont il dispose. Il soutient qu’une demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle adressée au Bureau du Procureur ne constitue pas un recours utile.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie, qui avance que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes parce qu’il n’a pas saisi le Président de la Cour suprême d’une demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle. Le Comité note par ailleurs que l’auteur soutient avoir épuisé tous les recours à sa disposition. Renvoyant à sa jurisprudence, il rappelle que les demandes de réexamen au titre de la procédure de contrôle de décisions judiciaires devenues exécutoires, qui sont adressées au président d’un tribunal et dont l’issue relève entièrement du pouvoir discrétionnaire du juge, constituent un recours extraordinaire, et que l’État partie doit démontrer qu’il existe des chances raisonnables que l’introduction d’une demande de ce type constitue un recours utile dans les circonstances de l’intéressé. L’État partie n’ayant pas fait cette démonstration, le Comité considère que les dispositions de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner la présente communication.

6.4Le Comité considère que l’auteur a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, les autres griefs qu’il tire de l’article 19 (par. 2) du Pacte. Il déclare donc ces griefs recevables et passe à leur examen au fond.

Examen au fond

7.1Conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2Le Comité note que l’auteur affirme que son droit de répandre librement des informations a été restreint, en violation de l’article 19 (par. 2) du Pacte, parce qu’il a été sanctionné pour avoir distribué des brochures à caractère politique et a donc été empêché de continuer à répandre les informations que ces brochures contenaient.

7.3Le Comité doit déterminer si les restrictions apportées à la liberté de l’auteur de répandre des informations sont justifiées au regard de l’un quelconque des critères énoncés à l’article 19 (par. 3) du Pacte.

7.4Le Comité renvoie à ce sujet à son observation générale no 34 (2011), dans laquelle il affirme notamment que la liberté d’expression est essentielle pour toute société et constitue le fondement de toute société libre et démocratique (par. 34). Il fait observer que l’article 19 (par. 3) du Pacte autorise à certaines restrictions à la liberté d’expression, y compris la liberté de répandre des informations et des idées, dans la seule mesure où ces restrictions sont prévues par la loi et sont nécessaires au respect des droits ou de la réputation d’autrui ou à la sauvegarde de la sécurité nationale ou de l’ordre public, ou de la santé ou la moralité publiques. Enfin, les restrictions apportées à la liberté d’expression ne doivent en aucun cas être excessivement larges ; autrement dit, elles doivent constituer le moyen le moins intrusif parmi ceux qui pourraient permettre d’obtenir le résultat recherché et être proportionnées à l’intérêt à protéger. Le Comité rappelle qu’il incombe à l’État partie de démontrer que les restrictions imposées aux droits que l’auteur tient de l’article 19 étaient nécessaires et proportionnées.

7.5Le Comité constate que, en l’espèce le fait d’avoir interdit à l’auteur de distribuer des brochures au motif qu’il n’avait pas obtenu l’autorisation spéciale du Ministère de l’information et de lui avoir infligé une amende substantielle fait naître des doutes sérieux quant à la nécessité et à la proportionnalité des restrictions imposées aux droits garantis à l’article 19 du Pacte. Le Comité constate également que l’État partie n’a avancé aucun motif précis justifiant que les restrictions imposées aux activités de l’auteur étaient nécessaires au sens de l’article 19 (par. 3) du Pacte. L’État partie n’a pas non plus démontré que les mesures choisies constituaient le moyen le moins intrusif d’obtenir le résultat recherché ni qu’elles étaient proportionnées à l’intérêt à protéger. Le Comité considère que, dans les circonstances de l’espèce, bien qu’elles aient été fondées sur la législation interne, les restrictions imposées à l’auteur n’étaient pas justifiées au regard de l’article 19 (par. 3) du Pacte. Il conclut par conséquent qu’il y a eu violation des droits que l’auteur tient de l’article 19 (par. 2) du Pacte.

8Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation, par l’État partie, des droits garantis à l’auteur par l’article 19 (par. 2) du Pacte.

9.Conformément à l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, l’État partie est tenu, entre autres, de prendre les mesures nécessaires pour indemniser l’auteur comme il se doit, notamment en lui remboursant le montant de l’amende dont il a dû s’acquitter ainsi que le montant des frais de justice engagés dans le cadre des procédures internes. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles.