Nations Unies

CCPR/C/132/D/2675/2015

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

2 décembre 2021

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Décision adoptée par le Comité en vertu du Protocole facultatif, concernant la communication no 2675/2015 * , * *

Communication présentée par :

D. V. K. (représenté par un conseil, Maxim Neveselov)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteur

État partie :

Kazakhstan

Date de la communication :

20 mai 2015 (lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 12 novembre 2015 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision :

23 juillet 2021

Objet :

Égalité devant les tribunaux ; actes de torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ; procès pénal inéquitable

Question(s) de procédure :

Non-épuisement des recours internes ; griefs insuffisamment étayés ; incompatibilité

Question(s) de fond :

Recours utile ; actes de torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ; droit à un procès équitable

Article(s) du Pacte :

2, 7 et 14 (par. 1, 2 et 3 b), e) et g))

Article(s) du Protocole facultatif :

2, 3 et 5 (par. 2 b))

1.L’auteur de la communication est D. V. K., de nationalité kazakhe, né le 18 mars 1991. Il accomplit actuellement une peine d’emprisonnement dans une prison d’État à Aktaou, au Kazakhstan. Il affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient des articles 2, 7 et 14 (par. 1, 2 et 3 b), e) et g)) du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour le Kazakhstan le 30 septembre 2009. L’auteur est représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 4 octobre 2013, l’auteur a été déclaré coupable du meurtre violent de sa mère et condamné à dix ans d’emprisonnement par le tribunal interrégional spécialisé dans les affaires pénales de la région de Mangistaou. Il a formé un recours contre la décision, dont il a été débouté le 27 novembre 2013. Le 12 février 2014, le recours en cassation qu’il a formé a été rejeté par une décision de la chambre de cassation du tribunal régional de Mangistaou. Le 9 juillet 2014, la chambre chargée de la procédure de contrôle des décisions en matière pénale de la Cour suprême a rendu une décision de rejet de la demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle qu’il avait présentée.

2.2L’auteur affirme que les tribunaux ont violé plusieurs règles de procédure pendant le procès, et il conteste certains des éléments de preuve et des faits sur lesquels la décision a été fondée. Il affirme en particulier qu’il n’a pas été autorisé à rencontrer son avocat jusqu’à ce qu’il signe un aveu de culpabilité. En outre, il allègue que l’expertise selon laquelle l’arme du crime était un marteau n’a pas été réalisée de manière objective, que le crime n’a pas eu lieu dans un garage, comme indiqué dans le jugement, qu’il n’était pas présent sur les lieux du crime et que les témoignages ont été interprétés en sa défaveur, en violation de l’article 14 (par. 1, 2 et 3 b), e) et g)) du Pacte.

2.3L’auteur affirme que le 2 mai 2013, un peu après son arrestation, les policiers chargés de l’enquête l’ont battu avec une bouteille en plastique remplie d’eau et ont placé un sac en plastique sur sa tête afin qu’il ne puisse pas respirer. Les policiers l’ont ensuite forcé à faire des aveux écrits selon lesquels il avait tué sa mère parce qu’elle s’opposait à ce qu’il épouse sa petite amie. Le même jour, l’avocat de l’auteur, qui était présent lors de l’interrogatoire, a remarqué que l’auteur était pâle, avait l’air effrayé et portait des traces de coups sur le visage.

2.4L’avocat a demandé que l’auteur soit examiné par un médecin. L’auteur affirme qu’il a rétracté ses aveux forcés et qu’il s’est plaint d’avoir été battu et étouffé à plusieurs reprises, tant pendant la phase préalable au procès que pendant le procès.

2.5Le 14 mai 2013, la fiancée de l’auteur, que celui-ci a épousée le 11 novembre 2013, a déposé une plainte auprès du service des affaires internes du bureau du procureur régional contre les policiers qui avaient fait usage de violence physique contre l’auteur. Le 20 mai 2013, le bureau du procureur a refusé d’engager des poursuites pénales à l’encontre des policiers au motif que les allégations étaient dénuées de fondement. Ce refus a fait l’objet d’un recours auprès du procureur régional de Mangistaou, qui l’a rejeté le 25 juin 2013. Les 7 et 15 novembre 2013, suite à de nouvelles plaintes, le bureau du procureur a à nouveau refusé d’engager des poursuites pénales contre les auteurs présumés des faits dénoncés. À chaque fois, le bureau du procureur a indiqué que les allégations de l’auteur avaient fait l’objet d’une enquête et qu’il n’avait pas été constaté qu’une quelconque infraction avait été commise.

2.6L’auteur affirme avoir épuisé tous les recours internes disponibles et utiles. La même question n’a pas été examinée et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient des articles 2, 7 et 14 (par. 1, 2 et 3 b), e) et g)) du Pacte. En ce qui concerne l’article 14 (par. 3 g)) en particulier, il soutient que le tribunal l’a traité comme s’il avait enfreint la loi, sans tenir compte du fait qu’il ne pouvait pas exercer son droit d’être représenté par un conseil. Il affirme également qu’on l’a battu pour qu’il avoue le meurtre de sa mère, qu’il n’a pas bénéficié de l’égalité de traitement devant les tribunaux et qu’il a fait l’objet d’un procès inéquitable car il a été considéré comme un délinquant, qu’il n’a pas été tenu dûment compte des éléments de preuve à sa décharge et que les dépositions des témoins et les avis des experts ont été interprétés en sa défaveur.

3.2L’auteur demande au Comité de recommander que l’État partie : a) réexamine les décisions de justice ; b) lui accorde une indemnisation pécuniaire et une réparation morale pour la privation illégale de liberté dont il a été l’objet ; c) veille à ce qu’on ne puisse être privé de liberté que pour les seuls motifs et selon les modalités prévus par la loi ; d) garantisse que toute personne faisant l’objet d’une procédure pénale est traitée avec humanité ; e) veille à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas.

Observations de l’État partie sur le fond

4.1Dans une note en date du 18 mai 2016, l’État partie a soumis ses observations sur le fond de la communication.

4.2Le Bureau du Procureur général a évoqué la condamnation de l’auteur à dix ans d’emprisonnement pour le meurtre de sa mère. L’auteur a également été condamné à verser une amende de 181 000 tenge à la victime à titre de réparation du préjudice matériel, et une amende de 18 100 tenge à l’État.

4.3Les amendes ont été imposées par la chambre d’appel du Tribunal régional de Mangistaou, le 27 novembre 2013, lors de l’examen du jugement de première instance ; le tribunal a confirmé les autres chefs de condamnation. Le 12 février 2014, la chambre de cassation du tribunal régional de Mangistaou a rejeté les recours en cassation formés par l’auteur. Le 9 juillet 2014, la chambre chargée de la procédure de contrôle des décisions en matière pénale de la Cour suprême a rejeté la demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle présentée par l’auteur.

4.4En ce qui concerne les faits, l’État partie indique que l’auteur entretenait une relation avec sa petite amie depuis avril 2011, et qu’ils souhaitaient se marier. Cependant, la mère de l’auteur s’opposait à ce mariage. Le différend de l’auteur avec sa mère a été le mobile du crime de l’auteur. Le 1er mai 2013, entre 11 heures et midi, l’auteur s’est muni d’un marteau et est allé rendre visite à sa mère sur son lieu de travail, dans une station d’épuration appartenant à l’entreprise KazAtomProm. Sa mère et lui se sont à nouveau disputés au sujet du mariage prévu. L’auteur a commencé à frapper sa mère à la tête avec le marteau, dans l’intention de la tuer. Lorsqu’elle est tombée au sol, il l’a poignardée avec un couteau dans le cou, le thorax, les jambes et les bras. Elle est décédée sur place de ses blessures.

4.5L’auteur a fui les lieux, jetant le marteau dans des roseaux et le sac de la victime et le couteau dans un canal d’écoulement. La culpabilité de l’auteur a été établie en se fondant sur des déclarations de témoins, des preuves médico‑légales et matérielles, des analyses des appels téléphoniques passés depuis son téléphone portable, d’expertises juridiques et d’autres moyens. Le 2 mai 2013, un morceau de tulle blanche et un marteau portant des taches brun foncé et des fragments de cheveux ont été trouvés sur les lieux du crime et dans les roseaux. Selon l’expertise biologique médico-légale réalisée, le sang provenant des taches et les cheveux appartenaient à la victime, et la sueur sur le marteau était celle de l’auteur. Selon les experts légistes, la victime est décédée d’hématomes cérébraux et d’un écrasement du cerveau, accompagnés de fractures multiples de la voûte crânienne, et de graves lésions de plusieurs organes provoquées par de nombreux coups de couteau. Le 13 mai 2013, l’auteur a été placé en détention provisoire dans la ville d’Aktaou. Pendant sa détention, l’auteur a rédigé des aveux, dans lesquels il a reconnu avoir commis le crime et indiqué où il avait jeté le sac et le couteau utilisé pour le meurtre. Lors du transport sur les lieux du crime, réalisé le 14 mai 2013 en présence de l’auteur, un sac noir a été trouvé dans le canal d’écoulement et saisi. Ce sac contenait des effets personnels de la victime, qui ont été reconnus comme tels par son conjoint et des collègues à elle. Un couteau, dont le manche était recouvert de ruban adhésif bleu, a également été retrouvé.

4.6Un témoin, qui était un collègue de l’auteur, a reconnu le marteau utilisé pour commettre le meurtre, indiquant qu’il appartenait à un certain garage. Deux autres témoins ont déclaré que, le 1er mai 2013, alors qu’ils revenaient du bord de mer en voiture, ils ont vu l’auteur près du canal d’écoulement, marchant vers la ville, et lui ont proposé de l’y conduire; ils ont confirmé leurs témoignages initiaux lors du contre-interrogatoire avec l’auteur. Trois autres témoins ont affirmé, au cours du procès, que l’auteur avait, alors qu’il était en détention, décrit les circonstances du meurtre de sa mère.

4.7L’État partie demande que le grief de l’auteur selon lequel ses droits ont été violés lors de l’établissement de sa responsabilité pénale par les tribunaux soit rejeté pour défaut de fondement. Les objections de l’auteur aux conclusions présentées au tribunal par l’expert légiste, selon lesquelles le marteau a servi à commettre le meurtre, ne correspondent pas à la réalité. L’expert n’a pas déclaré que le marteau ne semblait pas avoir été l’arme du crime, comme l’affirme l’auteur, qui interprète les propos dudit expert en ce sens. Il n’a pas non plus déclaré que les blessures mortelles avaient été causées par une pelle ou une houe, ou un instrument similaire. Pendant le procès, l’expert, en réponse aux questions de l’avocat de l’auteur, a déclaré que si un marteau avait une extrémité tranchante, il pouvait être considéré comme faisant partie de la catégorie des outils de coupe. Les photographies figurant dans le dossier ne permettaient pas de déterminer si le marteau en question pouvait être considéré comme un outil de coupe. Pour ce faire, une expertise médico-légale devrait être réalisée. La demande du conseil tendant à ce qu’un autre expert soit entendue a été rejetée, car toutes les questions avaient été élucidées par le premier expert et les tribunaux avaient dûment examiné toutes les expertises disponibles.

4.8En ce qui concerne l’argument du conseil concernant la non-comparution d’un témoin devant le tribunal, et le fait qu’il n’a pas été pris de mesure pour convoquer ce témoin, l’État partie affirme que celui-ci avait été convoqué par l’enquêteur. Le témoin avait déclaré que sa voisine lui avait dit un jour qu’elle voulait réenregistrer l’appartement à son nom et à celui de son mari parce que leur fils adoptif, qu’ils avaient adopté en 1993, était devenu hostile et était en conflit avec eux depuis quelque temps. Le témoin n’ayant pas été présent sur les lieux du crime, il n’a pas été considérée par l’enquêteur comme un témoin à charge, et le tribunal n’a pas jugé nécessaire de le convoquer pour témoigner pendant le procès. Toutefois, dans son jugement, le tribunal a fait référence à ce témoin, celui-ci ayant été témoin du conflit entre l’auteur et sa mère. Le tribunal a dûment apprécié les arguments de la partie poursuivante comme de la partie défenderesse, et la décision de ne pas convoquer ce témoin a été jugée justifiée.

4.9En ce qui concerne les expertises biologique et criminalistique qui ont été réalisées sur la base d’éléments de preuve matérielle, l’État partie fait valoir, entre autres choses, que les conclusions des experts concernant les vêtements tant de l’auteur que de la victime, le marteau et le couteau ont été signées par l’enquêteur et les témoins concernés, comme l’ont été les procès-verbaux du transport sur les lieux du crime. Les conclusions concernant les taches de sang trouvées sur les lieux du crime, cependant, n’ont pas été signées par ces personnes. En outre, la défense n’a pas émis de doutes au cours du procès sur le prélèvement d’échantillons sanguins. Les résultats de l’examen biologique indiquent que la sueur sur le manche du marteau pourrait provenir d’une personne appartenant au groupe sanguin B (III) ou O (I) et, donc, de l’auteur. Au cours du procès, l’experte en biologie a déclaré qu’il était possible d’utiliser l’ADN pour établir un lien entre de la sueur humaine et une personne, mais qu’il fallait pour cela procéder à un test génétique. Cependant, aucune demande de ce type n’a été reçue des personnes prenant part au procès, et aucune question connexe n’a été soulevée devant le tribunal. L’ensemble des preuves recueillies dans cette affaire, telles qu’elles ont été examinées par le tribunal, ont confirmé la culpabilité de l’auteur. Le tribunal n’avait pas de doutes quant à la recevabilité et la suffisance des preuves produites.

4.10Selon l’un des témoins, l’auteur a été vu marchant le long du canal en direction de la ville le 1er mai 2013, vers 12 h 30. Le témoin, qui passait en voiture, a proposé à l’auteur de l’y conduire. L’auteur a accepté, s’est assis sur le siège arrière et s’est fait déposer non loin du magasin Akku. Le conseil de l’auteur n’a pas contesté la déclaration du témoin pendant le procès. Le tribunal a rejeté à juste titre les requêtes en contestation du témoignage de la petite amie de l’auteur présentées par le conseil, le récit du témoin ayant été confirmé par des images vidéo de sa voiture réalisées par la police. Lors du contre-interrogatoire, l’autre personne témoignant ce jour-là a confirmé que l’auteur avait été conduit en voiture à proximité du magasin Akku.

4.11L’État partie soutient en outre que les appels téléphoniques passés par l’auteur depuis les lieux du crime avaient été détectés, que les déclarations des témoins corroboraient et confirmaient les faits décrits dans la déclaration de culpabilité de l’auteur, que les droits procéduraux de l’auteur, y compris le droit d’être représenté par un conseil, avaient été respectés dès son arrestation et que l’examen médical réalisé pour donner suite à ses allégations selon lesquelles il avait été battu pendant l’interrogatoire n’avait pas confirmé qu’il présentait quelque lésion que ce soit.

4.12L’État partie affirme que, dans le cadre de la procédure de détermination du bien‑fondé de l’accusation en matière pénale dirigée contre l’auteur, les droits de celui-ci à l’égalité de traitement devant les tribunaux et à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial établi par la loi ont été respectés, comme l’exigent la Constitution du Kazakhstan (art. 13 (par. 2) et 14 (par. 2)) et le Code de procédure pénale (art. 21 (par. 2)). L’État partie a également respecté les obligations que lui fait l’article 14 (par. 2 et 5) du Pacte en ce qui concerne la présomption d’innocence (art. 77 (par. 3) de la Constitution) et l’examen par une juridiction supérieure de la déclaration de culpabilité, conformément à la loi.

4.13L’auteur a épousé sa petite amie le 11 novembre 2013, après avoir commis le meurtre le 1er mai 2013. Le mobile principal du crime, comme cela a été établi par l’enquête et au cours du procès, était le différend entre l’auteur et sa mère au sujet de la relation de l’auteur et de son projet de mariage. La déclaration de culpabilité de l’auteur et son réexamen par les juridictions d’appel et de cassation étaient fondés sur les aveux de l’auteur, les transcriptions des conversations qu’il a eues dans la cellule de détention provisoire, les déclarations des témoins, les avis d’experts sollicités aux fins du procès et d’autres éléments de preuve. La Cour suprême a estimé que le jugement pénal était conforme au droit et fondé. Conformément à l’article 31 de la Constitution, la condamnation pénale de l’auteur a été dûment réexaminée par les tribunaux supérieurs. En conséquence, le grief de violation de l’article 14 (par. 5) est également dénué de fondement.

4.14L’État partie conclut que les dispositions du Pacte ont été respectées et demande que la plainte soit rejetée pour défaut manifeste de fondement.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Par une note en date du 3 août 2016, l’auteur a présenté des objections aux observations de l’État partie, contestant certains des arguments principaux concernant les faits et les preuves. L’auteur centre son propos sur certains éléments de preuve, remettant en question les conclusions des experts en biologie médico-légale en ce qui concerne sa sueur et son sang sur l’arme du crime, qui établirait un lien entre l’auteur des faits et la victime. Il rappelle que les aveux écrits qu’il a faits quand il était en détention provisoire, en présence de policiers, dont le chef des enquêtes criminelles, ont été obtenus par la contrainte. L’auteur conteste qu’il ait eu une relation conflictuelle avec sa mère, soulignant que le mari de celle-ci avait déclaré qu’elle se réjouissait à la perspective de son mariage.

5.2L’auteur remet également en question la conclusion de l’expert légiste selon laquelle le marteau avait été l’arme du crime. À cet égard, il fait valoir que les conclusions divergentes d’un autre expert médical n’ont pas été admise par le tribunal, ce qui constitue une violation de son droit à la défense. En outre, l’auteur rappelle qu’il n’a pas eu accès à un avocat pendant les huit premiers jours de sa détention administrative, et qu’il n’a pu bénéficier de ce droit qu’après avoir signé les aveux. Qui plus est, la conversation du conseil avec la petite amie de l’auteur a été interceptée illégalement, les enquêteurs voulant se faciliter la tâche. Les objections soulevées à ce sujet et d’autres éléments de preuve à la décharge de l’auteur n’ont pas été admis par les tribunaux, au préjudice de l’auteur.

5.3L’auteur affirme en outre que le transport sur les lieux du crime pose également problème, car les enquêteurs ont indiqué aux plongeurs la partie du canal dans lequel ils devaient chercher un couteau qui y avait été jeté après le meurtre. Selon l’auteur, l’enregistrement vidéo réalisé dans la cellule de détention provisoire, où il aurait fait des aveux par lesquels il s’accusait lui-même, n’est pas authentique. Le marteau n’a pas été reconnu dans des conditions d’objectivité non plus, puisque certains des témoins ont déclaré qu’on leur avait demandé de reconnaître l’un de quatre marteaux présentés, alors que, affirme l’auteur avec force, un seul marteau a été présenté lors de la séance. Quant aux coups portés par les policiers pendant l’interrogatoire, ils l’ont été au moyen d’une bouteille en plastique remplie d’eau, pour justement ne pas laisser de traces sur le corps de l’auteur. Il n’était donc pas possible de prouver qu’il y avait eu des lésions. En ce qui concerne les autres traitements illégaux infligés par des policiers, l’auteur renvoie à sa lettre initiale. Enfin, l’auteur affirme que son procès n’a été ni objectif ni impartial, soulignant que seul environ 1 % des procès pénaux débouchent sur un acquittement.

5.4L’auteur conclut que sa communication devait être déclarée recevable, étant donné que son droit à l’égalité de traitement devant les tribunaux a été violé et que, dans le cadre de la procédure de détermination du bien-fondé de l’accusation en matière pénale dirigée contre lui, les garanties procédurales ont été violées. Il affirme avoir été injustement déclaré coupable et nie toute culpabilité.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1Dans une note en date du 24 octobre 2016, l’État partie a réitéré les observations qu’il avait formulées dans sa note datée du 18 mai 2016, et a affirmé que dans ses commentaires en date du 3 août 2016, l’auteur n’avait avancé aucun fait ou élément de preuve nouveau venant étayer ses affirmations selon lesquelles ses droits avaient été violés par les forces de l’ordre ou les autorités judiciaires. Il soutient que la communication doit être déclarée irrecevable pour non-épuisement des recours internes, ou pour défaut de fondement.

6.2L’État partie rappelle que l’auteur a été reconnu coupable, le 4 octobre 2013, du meurtre de sa mère, qu’il a frappée 11 fois à la tête avec un marteau et à plusieurs reprises avec un couteau ( voir art. 96 (par. 1) du Code pénal). La condamnation pénale à une peine de dix ans d’emprisonnement a été réexaminée par les juridictions d’appel et de cassation, le 27 novembre 2013 et le 12 février 2014, respectivement. Le 9 juillet 2014, la chambre chargée de la procédure de contrôle des décisions en matière pénale de la Cour suprême a rendu une décision de rejet de la demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle présentée par l’auteur.

6.3Du fait de la modification apportée au Code de procédure pénale en 2017, l’auteur et son conseil pouvaient néanmoins interjeter appel, à savoir soumettre à la Cour suprême une demande de réexamen de la condamnation définitive, conformément à l’article 414 (par. 1) du Code de procédure pénale, ou demander au Procureur général de soumettre à la Cour suprême une demande de réexamen. L’auteur avait la possibilité de soumettre une demande à la chambre de cassation de la Cour suprême sur le fondement de nouveaux éléments de preuve, ou de demander au Procureur général de solliciter un réexamen par la Cour suprême. L’auteur n’ayant pas épuisé tous les recours internes disponibles, et n’ayant pas expliqué pourquoi il ne s’en était pas prévalu, l’État partie demande que la communication soit déclarée irrecevable, conformément à l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif.

6.4L’État partie affirme que tous les arguments invoqués par l’auteur ont déjà été appréciés par des tribunaux pénaux de trois niveaux de juridiction. Ces arguments ne sont pas étayés par les faits et par des éléments de preuve, et semblent inventés. L’auteur conteste par principe l’appréciation des faits et des preuves faite par les tribunaux nationaux. L’État partie explique les raisons pour lesquelles il a rejeté les objections de l’auteur concernant l’expertise médico-légale, la convocation des témoins, les déclarations des témoins et le contre-interrogatoire de ceux-ci et les déclarations faites par des experts concernant des questions de biologie, de criminalistique et de télécommunications qui ont été admises par les tribunaux, lesquelles ont été jugées fondées et n’ont fait l’objet d’aucune objection ou de question de la part des participants à la procédure. L’ensemble des éléments produits prouvaient la culpabilité de l’auteur (par. 4.5 ci-dessus). En outre, l’État partie rejette l’allégation selon laquelle les preuves ont été altérées.

6.5En ce qui concerne le droit de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense et de communiquer avec le conseil de son choix, l’État partie rejette l’affirmation de l’auteur selon ce droit a été violé dans son cas, faisant valoir que l’auteur avait accès à son avocat depuis le 2 mai 2013 et que celui-ci a participé à tous les actes d’enquête qui nécessitaient la présence de l’auteur. L’avocat avait également accès à l’auteur lorsque celui-ci était en détention provisoire, et rien ne montre que les autorités pénitentiaires ou l’enquêteur ont imposé des restrictions. En ce qui concerne les interceptions de conversations entre l’avocat et la petite amie de l’auteur, elles avaient été autorisées à la demande du procureur, et les enregistrements des conversations n’ont été utilisés que dans le cadre de l’affaire de l’auteur. Toutefois, ces enregistrements n’ont pas été utilisés par le tribunal comme élément de preuve de la culpabilité de l’auteur ou pour déclarer l’auteur coupable. Aucune objection n’a été consignée dans le procès‑verbal daté du 29 juillet 2013, qui informait l’auteur et son conseil des preuves matérielles recueillies, et l’auteur a confirmé qu’il ne formulait aucune réserve, même en ce qui concernait l’expertise relative à l’enregistrement vidéo réalisé dans la cellule de détention provisoire. Sur cet enregistrement on peut voir l’auteur et entendre sa voix, comme le confirment les procès-verbaux d’interrogatoire de l’auteur et les témoignages.

6.6Les résultats de contrôle effectué par le Bureau régional de la sécurité publique du Ministère de l’intérieur n’ont pas confirmé qu’il avait été fait usage de violence contre l’auteur au cours de l’enquête le concernant. L’expertise médico-légale présentée le 6 mai 2013 n’a pas établi que l’auteur présentait quelque blessure que ce soit. L’État partie rejette en outre les allégations de l’auteur selon lesquelles ses aveux lui ont été extorqués par la force, puisque le sac de la victime et un couteau ont été retrouvés dans le canal grâce aux renseignements donnés par l’auteur dans ses aveux, ce qui confirmait son aveu de culpabilité. Fait important, l’auteur et son conseil n’ont pas fait état de torture ou de mauvais traitements pendant le procès. Les tribunaux n’ont pas non plus été saisis d’éléments prouvant que les officiers de police judiciaire avaient violé l’une quelconque des garanties procédurales auxquelles l’auteur avait droit pendant l’enquête, y compris pendant son interrogatoire. Les tribunaux se sont livrés à un examen complet et objectif de ces griefs, dont il n’est rien ressorti. Le fait que le couteau a été retrouvé dans le canal, sans aucune manipulation de la part des autorités, a été confirmé par deux témoins. Les autorités ont effectué des recherches dans cette partie précise du canal après que l’auteur a fait des aveux écrits, dans lesquels il avait indiqué l’endroit exact où il avait jeté le couteau, ainsi que le sac à main et le téléphone portable de la victime. Si le couteau et le sac à main ont été retrouvés, le téléphone portable ne l’a pas été.

6.7En conclusion, l’État partie réaffirme qu’il a respecté les obligations qui lui incombent en vertu du Pacte, et demande que la communication soit rejetée pour défaut de fondement.

Commentaires complémentaires de l’auteur

7.1Dans une note en date du 21 décembre 2016, l’auteur a repris son principal grief, à savoir que ses droits ont été violés pendant l’enquête et tout au long de la procédure judiciaire, jusqu’à la déclaration de culpabilité prononcée à son encontre.

7.2Dans ses commentaires, l’auteur conteste l’affirmation de l’État partie selon laquelle tous les recours internes disponibles n’ont pas été épuisés, faisant valoir que conformément à l’article 414 ((par. 1) du Code de procédure pénale, la procédure de recours en cassation devant la Cour suprême n’a pas pu être engagée car les conditions n’étaient pas remplies. En ce qui concerne la possibilité de demander au Procureur général de soumettre à la Cour suprême une demande de réexamen, l’auteur a fait cette demande, mais le Procureur général l’a rejetée. Par conséquent, les recours évoqués par l’État partie ne peuvent pas être considérés comme utiles, et il a été satisfait à la condition énoncée à l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif.

7.3L’auteur reprend ses griefs initiaux ainsi que ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il conteste à nouveau l’expertise médico-légale, la convocation des témoins, les déclarations des témoins et le contre-interrogatoire de ceux-ci, les déclarations faites par des experts concernant des questions de biologie, de criminalistique et de télécommunications et les conclusions du transport sur les lieux du crime. En ce qui concerne le droit à la défense, l’auteur réaffirme qu’il n’avait pas accès à un conseil lorsqu’il était en détention administrative (provisoire). Il n’a eu accès à un conseil qu’après qu’il a signé les aveux. Cependant, l’auteur ne soulève pas ces objections pour étayer ses affirmations initiales selon lesquelles il a été battu pendant l’interrogatoire et ses aveux ont été extorqués par la force.

7.4Enfin, l’auteur demande que la communication soit déclarée recevable et soit examinée au fond.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

8.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.3Le Comité rappelle sa jurisprudence, selon laquelle l’auteur d’une communication doit se prévaloir de tous les recours internes pour satisfaire à la condition énoncée à l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif, pour autant que de tels recours semblent être utiles dans son cas particulier et lui soient ouverts de facto. Le Comité prend note de ce que l’État partie affirme que la communication devrait être déclarée irrecevable pour non-épuisement des recours internes disponibles, étant donné que l’auteur aurait pu interjeter appel, à savoir soumettre à la Cour suprême une demande de réexamen de la condamnation définitive sur le fondement de nouveaux éléments de preuve, conformément à l’article 414 (par. 1) du Code de procédure pénale, ou demander au Procureur général de solliciter un réexamen par la Cour suprême. Le Comité constate que la déclaration de culpabilité de l’auteur a été réexaminée par les juridictions d’appel et de cassation. Le Comité pend note en outre l’argument de l’auteur selon lequel conformément à l’article 414 ((par. 1) du Code de procédure pénale, la procédure de recours en cassation devant la Cour suprême ne pouvait pas être engagée car les conditions n’étaient pas remplies, et il a déjà demandé au Procureur général de soumettre à la Cour suprême une demande de réexamen de la décision de justice définitive, mais sa demande a été rejetée. Le Comité constate que l’auteur estime que les recours proposés par l’État partie n’étaient pas disponibles ni utiles, et que l’État partie n’a pas réfuté cet argument. À cet égard, le Comité renvoie à sa jurisprudence, dont il ressort que l’introduction auprès du ministère public d’une demande de contrôle d’une décision de justice passée en force de chose jugée, dont l’issue relève du pouvoir discrétionnaire du procureur, ne constitue pas un recours devant être épuisé aux fins de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif. Le Comité estime que l’État partie n’a pas démontré qu’en l’espèce l’auteur avait à sa disposition d’autres recours utiles. Par conséquent, le Comité considère que les dispositions de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner la communication.

8.4Le Comité prend note du grief de l’auteur selon lequel pendant l’enquête pénale et le procès dont il a été l’objet, les droits qu’il tient des articles 2, 7 et 14 du Pacte ont été violés. Le Comité prend également note de l’argument de l’État partie selon lequel les griefs de l’auteur sont manifestement infondés.

8.5En ce qui concerne le grief que l’auteur tire de l’article 2, l’État partie affirme que l’auteur a bénéficié de l’égalité devant les tribunaux et de toutes les garanties de procédure dans le cadre de la procédure de détermination du bien-fondé de l’accusation en matière pénale dirigée contre lui. Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle les dispositions de l’article 2 du Pacte énoncent des obligations générales à la charge des États parties et ne sauraient par elles-mêmes fonder un grief distinct au regard du Protocole facultatif car elles ne peuvent être invoquées que conjointement avec d’autres articles de fond du Pacte, et déclare les griefs soulevés par l’auteur au titre de l’article 2 (par. 1, 2 et 3 a), b) et c)) irrecevables au regard de l’article 3 du Protocole facultatif.

8.6En ce qui concerne les griefs soulevés par l’auteur au titre de l’article 7, à savoir qu’on l’a battu pour qu’il avoue qu’il avait tué sa mère, le Comité prend note de l’argument de l’auteur selon lequel il ne portait pas de traces de coups sur son corps car il avait été battu à l’aide d’une bouteille en plastique remplie d’eau. À ce sujet, le Comité rappelle l’affirmation de l’État partie selon laquelle rapport le médical dressé le 6 mai 2013 à la suite d’un examen pratiqué sur l’auteur pour déterminer s’il présentait des séquelles de torture, que cet examen n’a pas établi que l’auteur avait subi quelque blessure que ce soit. Au vu des éléments versés au dossier, le Comité considère que l’auteur n’a pas apporté d’éléments de preuve suffisants pour étayer ses allégations. En conséquence, cette partie de la communication est déclarée irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif, faute d’être suffisamment étayée.

8.7En ce qui concerne les griefs que l’auteur tire de l’article 14 (par. 1, 2 et 3 b), d), e) et g)) du Pacte, et en particulier du paragraphe 3 g) de l’article 14, le Comité prend note de l’argument de l’auteur selon lequel le tribunal l’a traité comme s’il avait enfreint la loi, sans tenir compte du fait qu’il ne pouvait pas exercer son droit d’être représenté par un conseil, et que ses aveux lui ont été extorqués par la force. L’auteur affirme également qu’il n’a pas bénéficié de l’égalité devant les tribunaux et qu’il a fait l’objet d’un procès inéquitable, car il a été considéré comme un délinquant, sans qu’il soit tenu compte des éléments de preuve à sa décharge, et que les dépositions des témoins et les avis des experts ont été interprétés en sa défaveur. Le Comité prend note des objections de l’État partie selon lesquelles tant pendant la phase préalable au procès que pendant le procès, l’auteur a été informé de son droit d’être représenté par un conseil, qu’il a eu accès à un conseil à partir du 2 mai 2013 et que celui-ci avait déjà assisté l’auteur pendant qu’il était en détention provisoire, tant avant qu’après la signature des aveux écrits, comme en atteste le fait qu’il a participé à tous les actes d’enquête qui nécessitaient la présence de l’auteur. Le Comité prend note en outre de l’argument de l’État partie selon lequel les aveux écrits de l’auteur n’ont pas été extorqués par la force puisque les informations qu’ils contiennent correspondent aux récits faits par celui-ci à ses compagnons de cellule pendant qu’il était en détention provisoire, comme le montre aussi l’enregistrement vidéo. Le Comité rappelle que le droit à l’égalité devant les tribunaux et les cours de justice englobe les droits à l’égalité d’accès et à l’égalité des armes, et que le Comité n’a pas pour rôle de servir de quatrième instance. Si le Comité constate que les deux parties sont en désaccord sur les questions relatives à l’équité du procès, qu’il est allégué que l’interprétation que fait l’auteur de la plupart des éléments de preuve comporte des incohérences et que les informations versées au dossier concernent pour l’essentiel les faits et les éléments de preuve, qui ont fait l’objet d’un examen approfondi par les juridictions d’appel et de cassation, il considère que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ses griefs aux fins de la recevabilité. Par conséquent, il conclut que cette partie de la communication est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

9.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard des articles 2 et 3 du Protocole facultatif ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.