Nations Unies

CCPR/C/135/D/3240/2018

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

17 janvier 2023

Français

Original : anglais

Comité des droits de l ’ homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 3240/2018 * , **

Communication soumise par :

Alla Romanchik (représentée par un conseil, Leonid Sudalenko)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteure

État partie :

Bélarus

Date de la communication :

8 mai 2017 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 10 septembre 2018

Date des constatations :

27 juillet 2022

Objet :

Condamnation à une amende pour participation à une réunion pacifique non autorisée ; liberté d’expression

Question ( s ) de procédure :

Épuisement des recours internes

Question ( s ) de fond :

Liberté de réunion ; liberté d’expression

Article(s) du Pacte :

2 (par. 2 et 3), 9, 19 et 21

Article(s) du Protocole facultatif :

2 et 5 (par. 2 b))

1.L’auteure de la communication est Alla Romanchik, de nationalité bélarussienne, née en 1956. Elle affirme que l’État partie a violé les droits qu’elle tient des articles 9, 19 et 21, lus conjointement avec l’article 2 (par. 2 et 3) du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour le Bélarus le 30 décembre 1992. L’auteure est représentée par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteure

2.1L’auteure est une retraitée qui se tient très au fait de l’actualité publique et politique de son pays. En mars 2017, elle a été traduite devant les tribunaux et reconnue coupable d’avoir enfreint les dispositions de la loi relative aux manifestations collectives régissant l’organisation de rassemblements, commettant ainsi une infraction administrative punie par l’article 23.34 (par. 1) du Code des infractions administratives en lien avec deux manifestations distinctes, et a été condamnée à de lourdes amendes pour avoir participé à des rassemblements pacifiques.

2.2La première manifestation pour laquelle elle a été condamnée a eu lieu le 12 mars 2017. À cette date, l’auteure a participé à un rassemblement et à une manifestation, organisée dans la ville de Rogachev, dans la région de Gomel, sans autorisation préalable des autorités compétentes, pour protester contre le décret présidentiel intitulé « Pour la prévention de la dépendance sociale ». Cette manifestation pacifique s’est déroulée en présence de policiers, mais sans intervention de leur part. Malgré cela, après la manifestation, l’auteure a été convoquée au Département des affaires intérieures du district Sovetsky de Gomel, où un procès-verbal a été dressé contre elle pour violation de l’article 23.34 (par. 1) du Code des infractions administratives.

2.3Le 23 mars 2017, le tribunal du district Sovetsky a établi que l’auteure avait enfreint les dispositions de la loi relative aux manifestations collectives en participant à un rassemblement non autorisé, commettant ainsi une infraction punie par l’article 23.34 (par. 1) du Code des infractions administratives. Le tribunal a, en conséquence, condamné l’auteure à une amende de 245 roubles bélarussiens. Le 27 mars 2017, l’auteure a fait appel de cette décision devant le tribunal régional de Gomel, qui l’a déboutée dudit appel le 19 avril 2017. Ce même jour, la décision du tribunal du district de Sovetsky est devenue exécutoire.

2.4La deuxième manifestation pour laquelle elle a été condamnée a eu lieu le 25 mars 2017. Ce jour-là, l’auteure a participé à un autre rassemblement pacifique non autorisé qui a eu lieu dans la ville de Gomel et qui avait pour objet de protester contre le décret présidentiel susmentionné. Après la manifestation, des policiers ont arrêté l’auteure et dressé contre elle un procès-verbal pour violation de l’article 23.34 (par. 1) du Code des infractions administratives. L’auteure affirme qu’elle a été détenue dans les locaux de détention temporaire du Département des affaires intérieures du Comité exécutif régional de Gomel pendant quarante-quatre heures.

2.5Le 27 mars 2017, le tribunal du district Sovetsky a établi que l’auteure avait agi en violation des dispositions de la loi relative aux manifestations collectives régissant l’organisation de rassemblements, commettant ainsi une infraction administrative punie par l’article 23.34 (par. 1) du Code des infractions administratives, et l’a condamnée à une amende de 414 roubles bélarussiens.

2.6Le 27 mars 2017, l’auteure a fait appel de cette décision devant le tribunal régional de Gomel, qui l’a déboutée le 12 avril 2017.

2.7L’auteure soutient qu’elle a épuisé les recours internes puisque, selon la jurisprudence du Comité, les procédures de contrôle de décisions de justice devenues exécutoires ne constituent pas un recours devant être épuisé aux fins de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif.

Teneur de la plainte

3.1L’auteure affirme être victime d’une violation des droits qu’elle tient des articles 19 et 21 du Pacte, lus conjointement avec l’article 2 (par. 2 et 3), car les autorités n’ont pas expliqué en quoi les restrictions imposées à son droit de tenir un rassemblement pacifique étaient nécessaires aux intérêts visés à l’article 19 (par. 3) et à la deuxième phrase de l’article 21 du Pacte, à savoir la sécurité nationale, la sûreté publique ou l’ordre public, la santé ou la moralité publiques ou les droits et libertés d’autrui. L’auteure considère donc que les restrictions et les sanctions qui lui ont été imposées sont illégales et disproportionnées.

3.2Les autorités nationales ont considéré que l’article 23.24 du Code des infractions administratives primait sur le Pacte, et ce, à tort, puisque l’article 27 de la Convention de Vienne sur le droit des traités dispose qu’une partie ne peut invoquer les dispositions de son droit interne pour justifier le non-respect des dispositions d’un traité international. En outre, les tribunaux nationaux ont agi en violation de l’article 59 de la Constitution, qui leur fait obligation de prendre les mesures nécessaires pour protéger les droits et libertés individuels.

3.3L’auteure affirme qu’elle a été détenue illégalement pendant quarante-quatre heures alors qu’elle exerçait les droits qu’elle tient des articles 19 et 21 du Pacte, en violation des droits que lui garantit l’article 9 de cet instrument.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Par une note verbale du 12 novembre 2018, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication, indiquant que l’auteure avait été condamnée par le tribunal du district Sovetsky pour avoir enfreint les dispositions de la loi relative aux manifestations collectives régissant l’organisation des rassemblements, ce qui constituait une infraction punie par l’article 23.34 (par. 1) du Code des infractions administratives. L’État partie indique que les 23 et 27 mars 2017, le tribunal de district a apprécié les actes de l’auteure en lien avec deux manifestations distinctes et lui a imposé des amendes, comme la loi le prévoit. Les jugements du tribunal de première instance ont été confirmés en appel par le tribunal régional de Gomel, les 12 et 19 avril 2017. L’État partie fait valoir que l’auteure n’a pas fait appel des décisions du tribunal régional de Gomel auprès du Procureur général ou du Président de la Cour suprême au titre de la procédure de contrôle et qu’elle n’a donc pas épuisé tous les recours internes disponibles. Compte tenu de ce qui précède, l’État partie conclut que l’auteure a soumis la communication en violation de l’article 2 du Protocole facultatif.

4.2En ce qui concerne les griefs de violation de l’article 9 du Pacte, l’État partie indique que l’article 8.2 (par. 1 et 2) du Code de procédure administrative et d’application des sanctions administratives régit la procédure de détention des personnes faisant l’objet d’une procédure administrative qui peuvent être soumises à une privation de liberté de courte durée. L’État partie fait observer à cet égard que la détention de l’auteure était légitime et conforme à sa législation nationale ainsi qu’à l’article 9 du Pacte.

4.3L’État partie soutient en outre que les griefs de violation des articles 19 et 21 du Pacte, lus conjointement avec l’article 2 (par. 2 et 3), ne sont pas étayés. Il fait observer que les dispositions de la législation nationale qui consacrent le droit de réunion pacifique et la liberté d’expression sont conformes à la Constitution du Bélarus et ne sont pas contraires aux normes internationales qui autorisent chaque État à introduire les restrictions aux droits et aux libertés qui sont nécessaires dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l’ordre public, de la santé ou la moralité publiques ou des droits et libertés d’autrui, comme visées aux articles 19 et 21 du Pacte.

4.4L’État partie fait également observer que les dispositions de sa loi sur les manifestations collectives, outre qu’elles réglementent l’organisation et la tenue des réunions, des rassemblements, des marches ou défilés, des piquets et autres manifestations collectives au Bélarus, visent à créer les conditions nécessaires à la réalisation des droits constitutionnels et des libertés des citoyens.

4.5L’État partie conteste l’argument de l’auteure selon lequel la procédure de contrôle ne constitue pas un recours utile et fait observer qu’en 2017, sur 3 766 recours introduits dans le cadre de cette procédure, 3 665 ont été admis pour examen.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1Dans une lettre en date du 18 mars 2020, l’auteure a exprimé son désaccord avec l’argument de l’État partie selon lequel elle n’avait pas épuisé tous les recours internes disponibles faute d’avoir fait appel des décisions du tribunal régional de Gomel dans le cadre de la procédure de contrôle. Se référant à la jurisprudence du Comité, elle a souligné que la procédure de contrôle était une procédure de nature discrétionnaire, commune aux anciennes républiques soviétiques, dont le Comité avait précédemment estimé qu’elle ne constituait pas un recours utile devant être épuisé. Elle conclut que tous les recours internes disponibles et utiles ont été épuisés.

5.2L’auteure soutient que l’État partie a violé les droits qu’elle tient de l’article 9 du Pacte en ce qu’elle a été détenue illégalement pendant quarante-quatre heures. Elle conteste les observations de l’État partie concernant l’application du Code de procédure administrative et d’application des sanctions administratives et souligne que la détention dont elle a fait l’objet ne relève d’aucun des objectifs visés par l’article 8.2 (par. 1 et 2) dudit Code, à savoir prévenir la commission d’un acte illégal, dresser un procès-verbal lorsqu’il n’a pas été possible de le faire à l’endroit où l’acte illégal a été commis et établir l’identité de l’intéressé. L’auteure explique qu’elle a été arrêtée après la manifestation, que le procès-verbal a été dressé immédiatement après qu’elle a été conduite au poste de police local, et qu’il n’était pas nécessaire de la maintenir en détention pendant quarante-quatre heures après que son identité avait été établie.

5.3En ce qui concerne l’argument de l’État partie relatif au nombre d’affaires réexaminées au titre de la procédure de contrôle, l’auteure estime que celui-ci est sans fondement puisque l’État partie n’a pas précisé combien de ces affaires concernaient les droits des citoyens à la liberté d’expression et de réunion.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité prend note des observations de l’État partie, dans lesquelles celui‑ci affirme que l’auteure n’a pas épuisé les voies de recours internes qui lui étaient ouvertes, car les demandes de réexamen qu’elle a introduites au titre de la procédure de contrôle n’ont pas été examinées par le Procureur général ni par le Président de la Cour suprême. Le Comité prend également note de l’argument de l’auteure selon lequel la procédure de contrôle est une procédure discrétionnaire qui ne constitue pas un recours utile devant être épuisé. À cet égard, le Comité renvoie à sa jurisprudence et rappelle que l’introduction auprès du ministère public d’une demande de contrôle d’une décision judiciaire ayant force de chose jugée constitue un recours extraordinaire, dont l’issue relève du pouvoir discrétionnaire du procureur, et qu’elle ne fait donc pas partie des recours à épuiser aux fins de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif. Le Comité considère également que saisir le Président d’un tribunal d’une demande de contrôle d’une décision judiciaire ayant force de chose jugée, demande dont l’issue relève du pouvoir discrétionnaire d’un juge, constitue un recours extraordinaire, et que l’État partie doit montrer qu’il existe une possibilité raisonnable qu’une telle demande constitue un recours utile dans les circonstances de l’espèce. À cet égard, l’État partie indique qu’en 2017, sur les 3 766 recours qui ont été introduits dans le cadre de la procédure de contrôle, 3 665 ont été admis pour examen (par. 4.5 ci-dessus). Cependant, l’État partie n’a pas précisé combien de ces affaires concernaient l’exercice des droits à la liberté d’expression et de réunion. En l’absence d’explications complémentaires de l’État partie, le Comité estime qu’en l’espèce, les dispositions de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif ne font pas obstacle à l’examen de la communication, en ce qui concerne les griefs que l’auteure tire des articles 19 et 21 du Pacte, lus seuls et conjointement avec l’article 2 (par. 2 et 3).

6.4En ce qui concerne les griefs de violation de l’article 9 du Pacte et leur recevabilité, le Comité constate que les pièces versées au dossier ne font pas apparaître que l’auteure a soulevé ces griefs dans l’une des procédures internes engagées contre elle et considère donc que cette partie de la communication est irrecevable au regard des articles 2 et 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif.

6.5Le Comité prend note de l’affirmation de l’auteure selon laquelle l’État partie a violé les droits qu’elle tient des articles 19 et 21 du Pacte, lus conjointement avec l’article 2 (par. 2). Il rappelle que les dispositions de l’article 2 ne peuvent pas être invoquées en conjonction avec d’autres dispositions du Pacte pour fonder une communication présentée en vertu du Protocole facultatif, sauf lorsque le manquement de l’État partie aux obligations que lui impose cet article est la cause immédiate d’une violation distincte du Pacte portant directement atteinte à la personne qui se dit victime. Le Comité constate toutefois que l’auteure a déjà allégué une violation des droits qu’elle tient des articles 19 et 21, qui résulterait de l’interprétation et de l’application des lois en vigueur dans l’État partie, et il considère que l’examen d’un manquement aux obligations générales découlant pour l’État partie de l’article 2 (par. 2) du Pacte, lu conjointement avec les articles 19 et 21, n’est pas distinct de l’examen d’une violation des droits que l’auteure tient des articles 19 et 21 du Pacte. En conséquence, le Comité considère que les griefs soulevés par l’auteure à cet égard sont incompatibles avec l’article 2 du Pacte et sont donc irrecevables au regard de l’article 3 du Protocole facultatif.

6.6Le Comité prend note en outre de l’affirmation de l’auteure selon laquelle l’État partie a violé les droits qu’elle tient des articles 19 et 21 du Pacte, lus conjointement avec l’article 2 (par. 3). En l’absence d’autres informations pertinentes dans le dossier, il estime que l’auteure n’a pas suffisamment étayé ces griefs aux fins de la recevabilité. Il déclare donc cette partie de la communication irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.7Enfin, le Comité constate que les griefs formulés par l’auteure soulèvent des questions au regard des articles 19 et 21 du Pacte. Il estime que ces griefs ont été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité et passe à l’examen au fond.

Examen au fond

7.1Conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2Le Comité prend note des griefs de l’auteure selon lesquels ses droits à la liberté d’expression et à la liberté de réunion ont été restreints, en violation des articles 19 et 21 du Pacte, car elle a été condamnée à des peines d’amende pour avoir participé à des rassemblements non autorisés visant à protester contre le décret présidentiel intitulé «Pour la prévention de la dépendance sociale». Il note également que l’auteure affirme que les autorités n’ont pas expliqué en quoi les restrictions imposées à son droit de participer à des rassemblements étaient nécessaires aux intérêts visés à l’article 19 (par. 3) et à la deuxième phrase de l’article 21 du Pacte, à savoir la sécurité nationale, la sûreté publique ou l’ordre public, la santé ou la moralité publiques ou les droits et libertés d’autrui. L’auteure considère donc que les restrictions et les sanctions qui lui ont été imposées étaient illégales et disproportionnées.

7.3Le Comité prend note de l’affirmation de l’auteure selon laquelle le droit de réunion pacifique qu’elle tient de l’article 21 du Pacte a été violé, car elle a été traduite devant les tribunaux nationaux et condamnée à de lourdes amendes pour avoir participé à deux rassemblements pacifiques. Le Comité rappelle avoir dit, dans son observation générale no37(2020), que les réunions pacifiques peuvent en principe être organisées en tout lieu accessible au public ou auquel le public devrait avoir accès, comme les places publiques et la voie publique (par. 55). Elles ne devraient pas être reléguées dans des endroits isolés où elles ne peuvent pas attirer l’attention de ceux à qui elles s’adressent ou du grand public. Enrègle générale, il ne peut être imposé d’interdictions générales d’organiser des rassemblements en tous lieux de la capitale, en tous lieux publics à l’exception d’un lieu unique en ville ou en dehors du centre-ville, ou sur l’ensemble de la voie publique d’une ville.

7.4Le Comité rappelle que le droit de réunion pacifique, garanti par l’article 21 du Pacte, est un droit de l’homme fondamental qui est essentiel à l’expression publique des points de vue et opinions de chacun et est indispensable dans une société démocratique. L’article 21 du Pacte protège les réunions pacifiques, qu’elles se déroulent, partiellement ou intégralement, à l’extérieur, à l’intérieur ou en ligne, en public ou en privé. Ces réunions peuvent prendre de nombreuses formes, notamment celles de manifestations, protestations, rassemblements, défilés, sit-in, veillées à la bougie et mobilisations éclair. Elles sont protégées au titre de l’article 21, qu’elles soient statiques, comme les piquets, ou mobiles, comme les défilés ou les marches. Les organisateurs d’un rassemblement ont, en principe, le droit de choisir un lieu à portée de vue et de voix du public cible et l’exercice de ce droit ne peut faire l’objet que des seules restrictions : a) imposées conformément à la loi et b) nécessaires dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l’ordre public ou pour protéger la santé ou la moralité publiques, ou les droits et libertés d’autrui. Lorsqu’ils imposent des restrictions au droit de réunion des particuliers afin de concilier ce droit avec l’intérêt général, les États parties doivent chercher à faciliter l’exercice de ce droit et non s’employer à le restreindre par des moyens qui ne sont ni nécessaires ni proportionnés. L’État partie est donc tenu de justifier la restriction du droit garanti par l’article 21 du Pacte.

7.5En l’espèce, le Comité doit déterminer si les restrictions imposées au droit de réunion pacifique de l’auteure sont justifiées au regard de l’un quelconque des critères énoncés dans la deuxième phrase de l’article 21 du Pacte. Il ressort des informations figurant dans le dossier que l’auteure a été condamnée par le tribunal du district Sovetsky de Gomel à de lourdes amendes pour avoir participé à deux rassemblements pacifiques en violation des dispositions de la loi relative aux manifestations collectives. Le Comité constate cependant que les tribunaux nationaux n’ont pas justifié leur décision ou expliqué en quoi, dans la pratique, les manifestations auxquelles l’auteure a participé menaçaient les intérêts visés à l’article 21 du Pacte, à savoir la sécurité nationale, la sûreté publique ou l’ordre public, la santé ou la moralité publiques ou les droits et libertés d’autrui. À cet égard, l’État partie se contente de mentionner le fait que les dispositions de la loi relative aux manifestations collectives, outre qu’elles réglementent l’organisation et la tenue des réunions, des rassemblements, des marches ou des défilés, des piquets et autres manifestations collectives au Bélarus, visent à créer les conditions nécessaires à la réalisation des droits constitutionnels et des libertés des citoyens (par. 4.4 ci-dessus), mais n’explique pas en quoi, en l’espèce, les deux rassemblements pacifiques auxquels l’auteure a participé ont violé ces droits constitutionnels des citoyens ou leurs libertés. L’État partie n’a pas non plus montré que d’autres mesures avaient été prises pour faciliter l’exercice des droits que l’auteure tient de l’article 21.

7.6L’État partie n’ayant pas donné d’autres explications sur cette question, le Comité conclut qu’il a violé les droits garantis à l’auteure par l’article 21 du Pacte.

7.7Le Comité note en outre que l’auteure affirme que sa liberté d’expression a été restreinte illégalement, car elle a été déclarée coupable d’une infraction administrative et condamnée à de lourdes amendes pour avoir participé à des rassemblements pacifiques visant à protester contre le décret présidentiel intitulé « Pour la prévention de la dépendance sociale », qui ont eu lieu dans la région de Gomel. Le Comité doit donc déterminer si la sanction que les autorités ont imposée à l’auteure pour avoir participé à des rassemblements pacifiques visant à exprimer une opinion constitue une violation de l’article 19 du Pacte.

7.8Le Comité renvoie à son observation générale no34 (2011), dans laquelle il a souligné, notamment que la liberté d’expression est essentielle pour toute société et constitue le fondement de toute société libre et démocratique (par. 2). Il fait observer que l’article 19 (par. 3) de la Convention autorise l’application de restrictions à la liberté d’expression, y compris à la liberté de répandre des informations et des idées, dans la seule mesure où ces restrictions sont fixées par la loi et sont nécessaires : a) au respect des droits ou de la réputation d’autrui ou b) à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques. Enfin, les restrictions imposées à la liberté d’expression ne doivent pas avoir une portée trop large : elles doivent constituer le moyen le moins perturbateur parmi ceux qui pourraient permettre d’obtenir le résultat recherché et doivent être proportionnées à l’intérêt à protéger (par. 34). Le Comité rappelle que c’est à l’État partie qu’il incombe de démontrer que les restrictions apportées aux droits que l’auteure tient de l’article 19 du Pacte étaient nécessaires et proportionnées.

7.9Le Comité fait observer que le fait de condamner l’auteure à des amendes pour avoir participé à des rassemblements pacifiques, quoique non autorisés, dans le but d’exprimer une opinion soulève de sérieux doutes quant à la nécessité et à la proportionnalité des restrictions imposées aux droits que l’auteure tient de l’article 19 du Pacte. Il constate à cet égard que l’État partie n’a invoqué aucun des motifs précis justifiant la nécessité de telles restrictions qui sont énoncés à l’article 19 (par. 3) du Pacte. L’État partie n’a pas non plus démontré que les mesures choisies constituaient le moyen le moins perturbateur d’obtenir le résultat recherché ou qu’elles étaient proportionnées à l’intérêt à protéger. Le Comité estime que, dans les circonstances de l’espèce, les restrictions imposées à l’auteur, quand bien même elles étaient fondées en droit interne, n’étaient pas justifiées au regard des dispositions de l’article 19 (par. 3) du Pacte. Il conclut par conséquent qu’il a été porté atteinte aux droits que l’auteure tient de l’article 19 du Pacte.

8.Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie des droits que l’auteure tient des articles 19 et 21 du Pacte.

9.Conformément à l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteure un recours utile. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, l’État partie est tenu, entre autres, d’accorder à l’auteure une indemnisation adéquate, notamment le remboursement des amendes qu’elle a payées et de tous les frais de justice qu’elle a engagés. L’État partie a également l’obligation de prendre toutes les mesures nécessaires pour que de telles violations ne se reproduisent pas. À cet égard, le Comité fait observer qu’il a déjà examiné, dans un certain nombre de communications antérieures, des affaires similaires concernant les mêmes lois et pratiques de l’État partie et que, de ce fait, celui-ci devrait réviser son cadre normatif relatif aux manifestations publiques, conformément à l’obligation qui lui incombe au titre de l’article 2 (par. 2) du Pacte, afin de garantir la pleine jouissance des droits consacrés par les articles 19 et 21 du Pacte sur son territoire.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsque la réalité d’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent-quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles.