Nations Unies

CCPR/C/134/D/3023/2017

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

13 septembre 2022

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Décision adoptée par le Comité au titre du Protocole facultatif, concernant la communication no 3023/2017*,**

Communication soumise par :

O. H. D., O. A. D. et B. O. M. (représentés par un conseil, Madeline Bridgett)

Victime(s) présumée(s) :

Les auteurs et N. M. T.

État partie :

Australie

Date de la communication :

6 septembre 2017 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 21 septembre 2017 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision :

25 mars 2022

Objet :

Expulsion vers le Nigéria

Question(s) de procédure :

Incompatibilité ; absence d’autorisation ; irrecevabilité ratione personae ; irrecevabilité ratione materiae ; fondement des griefs

Question(s) de fond :

Droit au respect de la vie de famille ; non‑refoulement ; torture ; peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant

Article(s) du Pacte :

2 (par. 1), 7, 17, 23 (par. 1) et 24 (par. 1)

Article(s) du Protocole facultatif :

1, 2 et 3

1.1Les auteurs de la communication sont O. H. D., né en 1992, sa mère, B. O. M., née en 1963, et son frère, O. A. D., né en 1995, tous de nationalité nigériane. Ils soumettent la communication en leur nom propre et au nom de N. M. T., la fille de O. H. D., de nationalité australienne et née en 2016. Ils affirment que leur expulsion vers le Nigéria par l’État partie porterait atteinte aux droits qu’ils tiennent des articles 2 (par. 1), 7, 17, 23 (par. 1) et 24 (par. 1) du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 25 décembre 1991. Les auteurs sont représentés par un conseil.

1.2Le 21 septembre 2017, en application de l’article 94 de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a décidé de ne pas demander de mesures provisoires.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1O. H. D. et O. A. D. sont les fils de B. O. M., qui est chrétienne, et de M., qui était musulman et s’était converti au christianisme. En 1995, M. est mort empoisonné par sa famille, vraisemblablement en raison de sa conversion. Pendant le rituel préfunéraire, B. O. M. a été battue par des membres de la famille de M. parce qu’elle refusait de boire l’eau utilisée pour la toilette mortuaire. Elle a été enfermée dans une pièce avec la dépouille et on lui a dit de manger le corps de celui qu’elle avait tué ; elle a ensuite été libérée par des membres de sa famille. La famille de M. a demandé la garde des enfants. À l’issue de négociations, il a été décidé que B. O. M. pouvait garder les enfants à condition qu’elle ne se remarie pas avec un chrétien, qu’elle n’emmène pas ses enfants à l’église, qu’elle les inscrive dans une école musulmane et qu’elle les appelle par leur nom musulman. Cependant, en 2002, la famille de M. lui a retiré ses enfants après avoir appris qu’elle les avait emmenés à l’église. Un chef religieux est intervenu et O. H. D. a reçu l’ordre de rester avec la famille de M. et d’aller dans une école musulmane, tandis que son frère O. A. D. a été rendu à sa mère, le front coupé pour marquer son appartenance à l’islam. B. O. M. a par la suite reçu des menaces l’avertissant de ne pas emmener O. A. D. à l’église.

2.2En 2005, la sœur de M. a découvert où vivait B. O. M. et a appris que celle‑ci emmenait O. A. D. à l’église. Elle a commencé à dire autour d’elle que B. O. M. avait tué son mari et qu’elle était une sorcière. B. O. M. a vécu dans plusieurs régions du Nigéria afin de se cacher de la famille de M. En 2006, elle est venue chercher O. H. D. et s’est installée dans l’État de Kaduna avec lui et O. A. D., et a épousé un chrétien. En 2009, la famille de M., qui avait rejoint le mouvement Ahli-Sunnah, affilié à Boko Haram, a commencé à menacer B. O. M. et sa famille, leur disant qu’ils seraient tués si elle continuait d’aller à l’église. Un jour, alors qu’ils étaient à la messe, une bombe a explosé sur le parking de l’église, tuant sept personnes. En 2012, son magasin a été saccagé et son mari a reçu d’autres menaces. En 2013, son mari a reçu des menaces de la part d’Ahli-Sunnah, puis sa maison a été attaquée à la bombe et incendiée. Elle a emménagé à Abuja avec sa famille, chez sa belle‑fille, qui a elle aussi commencé à être la cible de menaces.

2.3Les auteurs sont arrivés en Australie le 28 février 2013 et ont demandé un visa de protection (catégorie XA) le 12 mars 2013. Le 11 juillet 2013, un représentant du Ministre de l’immigration et de la protection des frontières a rejeté leur demande après avoir conclu qu’ils ne risquaient pas réellement d’être persécutés. Le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés a confirmé la décision le 12 août 2014. Le Tribunal de circuit fédéral a rejeté leur appel le 23 octobre 2015. Les quatre demandes qu’ils ont adressées au Ministre de l’immigration et de la protection des frontières au titre de l’article 417 de la loi de 1958 sur les migrations, qui dispose qu’une décision rendue par le Ministre peut se substituer à celle du Tribunal de circuit fédéral si elle est plus favorable au demandeur, ont elles aussi été refusées. Leurs visas expiraient le 8 septembre 2017.

2.4O. H. D. affirme qu’il entretient des liens étroits avec l’Australie, notamment qu’il a un oncle australien, qu’il est apparu dans le journal parce qu’il avait pris part à des activités locales et qu’il a obtenu une bourse universitaire. En octobre 2016, une pétition en sa faveur adressée aux autorités australiennes a réuni plus de 24 000 signatures. Qui plus est, il a deux emplois et a créé un fonds fiduciaire pour N. M. T., sa fille née en Australie. Il est séparé de la mère de N. M. T. Le 14 février 2017, le Tribunal australien aux affaires familiales a rendu une ordonnance temporaire relative à la garde selon laquelle O. H. D. était autorisé à voir sa fille deux heures toutes les deux semaines dans un espace de rencontre. Une autre ordonnance temporaire datée du 14 juillet 2017 disposait que N. M. T. devait pouvoir passer du temps avec son père si un test de paternité confirmait le lien de filiation. Le test ADN a confirmé que O. H. D. était bien le père de N. M. T., mais au moment de la soumission de la communication, il n’avait toujours pas rencontré sa fille car il était toujours sur la liste d’attente de l’espace de rencontre.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs affirment que si O. H. D. était expulsé d’Australie, il serait privé de toute vie de famille avec N. M. T., en violation des articles 2 (par. 1), 17, 23 (par. 1) et 24 (par. 1) du Pacte. Le même raisonnement s’applique à B. O. M. et O. A. D., étant donné l’importance de la famille dans la culture nigériane. Le renvoi de O. H. D. l’empêcherait en outre d’achever la procédure relative à la garde en Australie, dans le cadre de laquelle aucun jugement définitif n’a encore été rendu. Comme O. H. D. et la mère de N. M. T. ne se parlent pas, les auteurs risquent de perdre le contact avec N. M. T. pour une durée indéterminée si aucun jugement définitif n’est rendu.

3.2Les auteurs affirment que trois des quatre demandes adressées au Ministre de l’immigration et de la protection des frontières au titre de l’article 417 ont été déposées après la naissance de N. M. T. Le Ministre n’a toutefois pas considéré cette naissance comme un élément nouveau et ne s’est pas demandé si le refus de visa de protection était compatible avec les droits de N. M. T..

3.3De surcroît, même si O. H. D. était autorisé à emmener N. M. T. avec lui au Nigéria, celle‑ci serait exposée à un risque de préjudice irréparable, étant donné le passif familial (voir par. 2.1 et 2.2 ci-dessus) et compte tenu des conclusions du Comité dans l’affaire Husseini c .  Danemark. Les intéressés risqueraient notamment d’être maltraités en permanence par la famille de M., de rencontrer des difficultés financières faute de possibilité d’emploi et d’être victimes d’exclusion sociale et d’ostracisme. Étant donné son jeune âge au moment de la soumission de la communication, N. M. T. ne pouvait pas encore décider d’avoir ou non des contacts avec son père. Néanmoins, l’expulsion de celui-ci serait un traumatisme pour elle, sans parler du fait qu’un père a le droit d’être en contact avec sa fille.

3.4En ce qui concerne l’impunité qui entoure les violations des droits de l’homme commises par les autorités nigérianes et Boko Haram et les violences entre communautés, les auteurs affirment que les autorités ne les protégeraient pas et qu’ils seraient exposés à un risque réel et immédiat de subir un traitement contraire aux articles 2 (par. 1) et 7 du Pacte. Les informations sur le pays permettent de confirmer qu’ils seraient de nouveau victimes de persécutions religieuses s’ils retournaient au Nigéria.

3.5Les auteurs contestent les conclusions du représentant du Ministre de l’immigration et de la protection des frontières, selon lesquelles ils ont systématiquement déformé les faits pour justifier leurs griefs et ont menti sur ce qu’ils avaient vécu et sur les menaces qu’ils avaient reçues. Ils avancent que ces conclusions reflètent une méconnaissance de la vie politique, culturelle et familiale et des structures sociales au Nigéria, en particulier des relations entre la police et la population. Le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés a lui aussi jugé que les auteurs n’étaient pas crédibles. Les autorités de l’État partie n’ont donc pas accordé le crédit voulu à l’exposé détaillé des auteurs prouvant l’existence d’un risque de mauvais traitements. En outre, le fait qu’aucune preuve ne vient étayer la conclusion relative au manque de crédibilité témoigne d’un manque de respect envers la culture, la religion et l’origine ethnique des auteurs et constitue une discrimination.

3.6Les auteurs se disent aussi victimes de violations des articles 3 (par. 1 et 2), 5, 9, 10, 14 (par. 2), 16, 18 et 30 de la Convention relative aux droits de l’enfant et des articles 3, 16, 31 et 33 de la Convention relative au statut des réfugiés.

3.7Les auteurs souhaitent faire reconnaître la violation des droits qu’ils tiennent du Pacte, de la Convention relative aux droits de l’enfant et de la Convention relative au statut des réfugiés, ainsi que l’obligation qui incombe à l’État partie de ne pas les expulser vers le Nigéria et de leur accorder une protection en tant que réfugiés (voir par. 7.4 ci-dessous).

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une note verbale datée du 1er juin 2018, l’État partie affirme que la partie de la communication relative à B. O. M, O. A. D. et N. M. T. est irrecevable, étant donné que le mandat de représentation ne concerne que O. H. D. et que rien n’indique que la capacité de B. O. M. et de O. A. D. de donner leur autorisation expresse faisait l’objet d’une quelconque restriction. La législation nationale relative à la protection de la vie privée et l’article 17 du Pacte limitent donc la capacité de l’État partie de répondre aux allégations relatives à B. O. M., à O. A. D. et à N. M. T. En outre, bien que N. M. T. ne soit pas encore en mesure de désigner un conseil pour la représenter et que O. H. D. soit son père biologique, leur relation n’est pas suffisamment étroite pour établir que celui-ci a le pouvoir de présenter une communication en son nom ou d’autoriser le représentant légal à agir en son nom. Qui plus est, rien ne prouve que la mère de N. M. T., qui a la garde, ait accepté que O.H.D. présente la communication au nom de sa fille. L’allégation de violation de l’article 24 (par. 1) du Pacte est donc irrecevable ratione personae, les droits énoncés dans cette disposition ne pouvant être exercés que par des enfants.

4.2L’État partie fait observer que les griefs tirés de la Convention relative aux droits de l’enfant et de la Convention relative au statut des réfugiés sont irrecevables au regard de l’article 3 du Protocole facultatif. Les dispositions de la première peuvent éclairer le Comité dans son examen des articles du Pacte concernés, conformément à l’article 31 de la Convention de Vienne sur le droit des traités ; néanmoins, le Pacte ne saurait être interprété comme reprenant intégralement des dispositions de la Convention relative aux droits de l’enfant.

4.3L’État partie affirme que tous les griefs tirés du Pacte ne sont pas suffisamment étayés et relèvent de l’hypothèse, puisque, entre temps, les auteurs sont volontairement retournés au Nigéria. Aucun acte de sa part ne pourrait donc être à l’origine des violations alléguées. De surcroît, les auteurs n’ont pas précisé lequel de ses actes constituait une violation de l’article 2 (par. 1) du Pacte. Qui plus est, toute allégation concernant une éventuelle violation future de l’article 23 (par. 1) du Pacte est irrecevable ratione materiae.

4.4L’État partie affirme en outre que les griefs sont infondés. Concernant le grief tiré de l’article 7 du Pacte, il soutient que le retour volontaire des auteurs au Nigéria signifie qu’aucun de ses actes ne saurait constituer une violation. En outre, les auteurs n’ont pas prouvé que l’obligation de non‑refoulement s’appliquait dans leur cas. Toutes leurs allégations relatives à l’article 7 ont été examinées par des autorités nationales, qui ont jugé qu’ils ne couraient pas un risque réel de subir un préjudice irréparable au Nigéria et que leurs griefs n’étaient ni crédibles ni étayés par les informations relatives au pays. Plus précisément, le représentant du Ministre a relevé que B. O. M. avait déclaré que son premier mari avait cherché à revenir dans le village où vivait sa famille qui l’avait empoisonné, ce qui semblait invraisemblable, qu’elle n’avait pas pu expliquer comment elle avait pu poursuivre ses activités commerciales pendant les années au cours desquelles elle aurait été prise pour cible et qu’elle avait affirmé qu’Ahli-Sunnah avait arrêté d’essayer de s’en prendre à elle, puis avait recommencé sans raison apparente, ce qui semblait peu plausible. Il était également peu plausible qu’elle ait réellement craint pour sa vie au Nigéria, étant donné qu’elle y était toujours revenue après être partie à l’étranger plusieurs fois pour des vacances. Enfin, elle a prétendu qu’Ahli‑Sunnah avait des contacts dans tout le pays et que le mouvement l’avait surveillée pendant dix ans, avant d’affirmer qu’il ne s’en prendrait pas à sa famille au Nigéria.

4.5L’État partie fait observer que le Tribunal de contrôle des décisions concernant les réfugiés a conclu que les problèmes de santé mentale des auteurs n’expliquaient pas le manque de crédibilité de leurs déclarations, les arguments qu’ils avaient présentés pour justifier leurs actes contrastant avec les craintes qu’ils affirmaient avoir. La maison des auteurs avait certes été endommagée par un incendie en 2013, mais rien dans le rapport de police n’indiquait qu’elle avait été attaquée à la bombe, et les auteurs n’avaient pas su expliquer pourquoi ils s’étaient rendus sur le lieu de l’attaque. Qui plus est, ils avaient transité par le Royaume‑Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, sans toutefois y demander de protection. Le Tribunal de circuit fédéral a rejeté l’appel au motif que le Tribunal de contrôle n’avait commis aucune erreur de compétence.

4.6L’État partie fait également observer que le 9 décembre 2014, O. H. D. et O. A. D. ont déposé des demandes de visa de protection distinctes, qui ont été déclarées invalides au regard de l’article 48A de la loi sur les migrations et ont donc été traitées comme des demandes d’intervention ministérielle. Il a toutefois été établi que ces demandes ne remplissaient pas les critères applicables aux interventions ministérielles. Les quatre demandes déposées par la suite ont aussi été rejetées.

4.7L’État partie soutient que les informations disponibles sur le pays ne pallient pas le manque de crédibilité auquel les autorités ont conclu et ne prouvent pas que des extrémistes musulmans s’en prennent aux personnes dans le sud du Nigéria. Qui plus est, B. O. M. n’a présenté aucun rapport de police concernant le décès de son premier mari.

4.8En ce qui concerne les griefs que les auteurs tirent des articles 17 et 23 (par. 1) du Pacte, premièrement, l’État partie affirme qu’il ne s’est pas ingéré dans la vie familiale des auteurs. N. M. T. est née après la conclusion de la procédure relative aux visas de protection, mais les autorités ont tenu compte des répercussions que le refus d’octroyer un visa aux auteurs adultes avaient sur elle lors de l’examen des demandes d’intervention ministérielle. Le retour volontaire des auteurs au Nigéria signifie qu’aucun acte de l’État partie ne peut s’apparenter à une immixtion arbitraire. La décision du Comité que citent les auteurs concernait une interdiction définitive du territoire qui empêchait le maintien de contacts étroits grâce à des visites régulières. Or, le lien entre O. H. D. et N. M. T. n’est pas suffisamment étroit pour être protégé par les articles 17 et 23 (par. 1), et O. H. D. pourrait être en mesure de revenir en Australie s’il satisfait aux critères régissant l’obtention du visa. Deuxièmement, toutes les immixtions ne sont pas arbitraires ou illégales. L’immixtion est prévue par la loi sur les migrations, et il était raisonnable et prévisible que O. H. D. fasse l’objet d’une mesure d’expulsion après le rejet de sa demande de visa de protection. L’État partie soutient que O. H. D. ne peut s’en prendre qu’à lui-même si le seul moyen de voir N. M. T. est d’être en Australie. Troisièmement, l’État partie a adopté des lois et des politiques publiques visant à protéger les familles et à leur venir en aide et O. H. D. n’a pas épuisé toutes les options qui lui permettraient de voir sa fille. La procédure en cours relative à la garde peut probablement se poursuivre. Les tribunaux australiens aux affaires familiales ont de vastes compétences et peuvent adapter les décisions qu’ils rendent à la situation des parents, notamment lorsque l’un des deux vit à l’étranger.

4.9L’État partie affirme que le grief que les auteurs tirent de l’article 24 (par. 1) du Pacte est infondé car N. M. T. ne s’est pas retrouvée sans protection après le retour de O. H. D. au Nigéria, puisque c’est sa mère qui en a la garde principale.

4.10L’État partie constate que les demandes de réparation présentées par les auteurs sont en grande partie sans objet, étant donné qu’ils sont retournés volontairement au Nigéria.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1Dans leurs commentaires du 10 septembre 2018, les auteurs réfutent l’argument selon lequel leur retour au Nigéria le 11 octobre 2017 était volontaire et expliquent qu’ils sont partis parce qu’ils étaient tenus de quitter l’Australie au plus tard le 15 décembre 2017, à l’expiration de leur visa. Ils auraient été arrêtés s’ils étaient restés sur le territoire. En outre, B. O. M. a fait parvenir au Ministère de l’immigration et de la protection des frontières une lettre attestant qu’elle n’était pas apte à voyager et un rapport psychiatrique, mais le Ministère n’a pas tenu compte de son état physique et mental lorsqu’il lui a octroyé un visa de transition E le 9 octobre 2017. De plus, les autorités australiennes ont renvoyé les auteurs vers l’Organisation internationale pour les migrations pour l’émission de leur billet d’avion.

5.2Les auteurs affirment qu’après la soumission de la communication, un agent du Ministère de l’immigration et de la protection des frontières les a interrogés à ce sujet et leur a demandé qui avait déposé la communication. Lorsque l’un d’entre eux a répondu que c’était lui, l’agent a rétorqué « Cette fois vous partez ». Les auteurs rappellent qu’ils ont le droit de soumettre une communication au Comité et qu’ils ne devraient pas être interrogés à ce sujet ou faire l’objet de représailles.

5.3Les auteurs fournissent des copies des autorisations de représentation légale signées par O. A. D. et B. O. M. ainsi que par O. H. D. au nom de N. M. T. O. H. D. a pu voir sa fille une fois avant de quitter l’Australie, la visite ayant été retardée parce que la mère avait annulé les rencontres précédentes. Il n’a pas pu revoir sa fille en raison de son départ forcé. N. M. T. est donc privée de la possibilité de construire une véritable relation avec les auteurs. O. H. D. a néanmoins le pouvoir de présenter la communication en son nom, puisqu’il est son père.

5.4Pour étayer le grief qu’ils tirent de l’article 7 du Pacte, les auteurs renvoient à la position du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) au sujet de la charge de la preuve et du bénéfice du doute dans les procédures d’asile et de la crainte que les demandeurs d’asile peuvent ressentir à l’égard des autorités. Ils soutiennent qu’ils ont épuisé les recours internes et n’ont donc pas à présenter de nouveaux griefs sur le fond au Comité, et que l’État partie n’a pas transposé dans son droit interne la Convention relative au statut des réfugiés.

5.5Les auteurs affirment que depuis leur retour au Nigéria, ils sont persécutés par les Peuls et ont été forcés de se cacher. Des membres de cette tribu ont retrouvé B. O. M. et lui ont versé de l’eau brûlante sur la poitrine. B. O. M. s’est enfuie dans un village d’Umanger (État de Benue), où elle avait une amie, mais les Peuls ont attaqué le village. Elle et son amie ont fui dans l’État d’Ekiti, mais les Peuls ont continué de les pourchasser. B. O. M. s’est de nouveau échappée, mais elle a été blessée et a dû être hospitalisée, tandis que son amie a été tuée. Elle est ensuite partie au Canada. O. H. D. s’est enfui aux États‑Unis et O. A. D. au Bénin, où il est allé d’église en église afin de trouver un endroit où il serait en sécurité. Aucun des auteurs n’a obtenu de permis de séjour dans le pays où il vit.

5.6Les auteurs affirment que l’immixtion de l’État partie dans leur vie de famille est arbitraire au sens de l’article 17 du Pacte et qu’elle n’était pas raisonnable, nécessaire ou proportionnée, compte tenu notamment de leur départ forcé. Ils soutiennent aussi que l’État partie a enfreint l’article 24 (par. 1) du Pacte, étant donné que N. M. T. a été privée de la possibilité d’avoir des contacts avec eux. Ils renvoient au jugement définitif d’expédient relatif à la garde, rendu le 3 novembre 2017, dans lequel le Tribunal de circuit fédéral octroie la responsabilité parentale exclusive à la mère de N. M. T. et dispose notamment qu’O. H. D. devra communiquer avec sa fille une fois par semaine par Internet dès que celle-ci aura 3 ans et passer du temps avec elle lorsqu’il sera en Australie.

5.7Étant donné qu’ils ont quitté l’Australie, les auteurs veulent que la violation des droits qu’ils tiennent du Pacte, de la Convention relative aux droits de l’enfant et de la Convention relative au statut des réfugiés soit reconnue et que l’État partie leur délivre un visa qui leur permette de vivre en Australie sous le statut de réfugié.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1Dans ses observations complémentaires du 30 septembre 2019, l’État partie réaffirme que les auteurs sont retournés au Nigéria de manière volontaire, en précisant que les autorités utilisent le terme « retour volontaire » pour désigner le retour de ceux qui quittent l’Australie de leur plein gré, que leur visa ait expiré ou non et qu’ils aient demandé à obtenir l’aide des autorités pour partir ou non. Les auteurs ont quitté l’Australie sans contrainte et alors que les visas de O. H. D. et de B. O. M. étaient toujours valides. L’obligation de départ associée au visa est conforme à la législation nationale relative à la gestion des demandes de protection définitivement tranchées.

6.2L’État partie fait observer qu’il n’a pas de trace des commentaires que l’agent du Ministère de l’immigration et de la protection des frontières aurait faits concernant la soumission de la communication, et que les auteurs n’ont fourni aucune preuve.

6.3L’État partie fait également observer qu’il s’acquitte pleinement de ses obligations au titre des traités mentionnés par les auteurs, mais que rien ne l’oblige à adopter une loi nationale unique, qui ne serait pas adaptée à son système fédéral.

6.4Selon l’État partie, les auteurs n’ont apporté aucun élément qui prouverait que l’immixtion dans leur vie de famille était arbitraire ou illégale. Il semblerait que les contacts entre O. H. D. et N. M. T. étaient limités, et le retour volontaire des auteurs signifie qu’aucun acte de l’État partie ne saurait servir de fondement à un grief tiré de l’article 17 du Pacte. L’État partie réaffirme que le grief tiré de l’article 24 n’est pas suffisamment étayé, étant donné que les auteurs sont retournés au Nigéria et qu’ils n’ont pas prouvé que N. M. T. ne bénéficiait pas de la protection prévue dans cet article.

6.5Concernant les allégations des auteurs selon lesquelles ils sont persécutés depuis leur départ d’Australie, l’État partie rappelle qu’il ne les a pas expulsés et que les autorités nationales ont procédé à un examen approfondi de leurs demandes. Il affirme que l’obligation d’évaluer le risque de préjudice ne se poursuit pas après le départ des auteurs.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la communication est irrecevable au motif qu’elle n’a pas été valablement soumise au nom de O. A. D., de B. O. M. et de N. M. T. Il constate toutefois que les auteurs ont fourni des copies des autorisations signées par O. A. D. et B. O. M. et de celle signée par O. H. D. au nom de N. M. T. Rappelant qu’il considère habituellement qu’un parent a qualité pour agir au nom de ses enfants sans autorisation expresse de leur part, il estime que O. H. D. est suffisamment proche de N. M. T. pour pouvoir présenter une communication en son nom et que la communication ne semble pas aller à l’encontre de l’intérêt supérieur de la petite fille. Par conséquent, même si les autorisations devraient en principe être présentées en même temps que la lettre initiale, le Comité considère que la communication a été valablement soumise par les auteurs en leur nom et au nom de N. M. T., conformément à l’article 99 (al. b)) de son règlement intérieur. Il considère donc que les prescriptions de l’article 2 du Protocole facultatif ne font pas obstacle à la recevabilité de la communication.

7.4En ce qui concerne les allégations de violation de la Convention relative aux droits de l’enfant et de la Convention relative au statut des réfugiés, le Comité fait observer que l’article premier du Protocole facultatif limite le champ de sa compétence à la réception et à l’examen des communications relatives à la violation de l’un quelconque des droits énoncés dans le Pacte. Les allégations de violation d’autres traités ne relèvent pas de sa compétence. Le Comité déclare donc ces griefs incompatibles avec les dispositions du Pacte et, partant, irrecevables au regard de l’article 3 du Protocole facultatif.

7.5En ce qui concerne le grief de violation de l’article 2 (par. 1) du Pacte, le Comité rappelle sa jurisprudence, selon laquelle les dispositions de l’article 2 du Pacte énoncent des obligations générales à l’intention des États parties et ne peuvent être invoquées isolément dans une communication soumise en vertu du Protocole facultatif. Il considère par conséquent que les griefs que les auteurs tirent de l’article 2 du Pacte sont irrecevables au regard de l’article 3 du Protocole facultatif.

7.6Le Comité note que l’État partie affirme que la communication n’est pas suffisamment étayée, que le retour volontaire des auteurs au Nigéria signifie qu’aucun de ses actes ne peut servir de fondement à leurs griefs (voir par. 4.3 ci-dessus) et que les demandes de réparation présentées par les auteurs sont en grande partie sans objet (voir par. 4.10 ci-dessus). Le Comité constate néanmoins que les auteurs ont réfuté l’argument selon lequel leur retour était volontaire et ont avancé que l’obligation légale de quitter le territoire australien leur avait été imposée et qu’ils auraient couru le risque d’être arrêtés s’ils étaient restés en Australie (voir par. 5.1 ci-dessus). Il note à cet égard que l’État partie n’a pas réellement contesté ces affirmations et prouvé que le retour des auteurs était volontaire, puisqu’il a simplement dit que les auteurs avaient accepté de quitter l’Australie sans contrainte, que les visas de O. H. D. et de B. O. M. étaient alors toujours valides, et que les autorités utilisaient le terme « retour volontaire » pour désigner ceux qui quittaient l’Australie de leur plein gré, que leur visa ait expiré ou non et qu’ils aient demandé à obtenir l’aide des autorités pour partir ou non (voir par. 6.1 ci-dessus). Dans ces conditions, le Comité estime que le retour des auteurs n’a pas en lui-même pour effet de rendre la communication sans objet. Il va donc s’employer à déterminer si l’allégation des auteurs selon laquelle la décision de les renvoyer au Nigéria a porté atteinte aux droits qu’ils tiennent du Pacte est suffisamment étayée aux fins de la recevabilité.

7.7Le Comité rappelle le paragraphe 12 de son observation générale no 31 (2004), dans laquelle il mentionne l’obligation qu’ont les États parties de ne pas extrader, déplacer, expulser quelqu’un ou le transférer par d’autres moyens de leur territoire s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque réel de préjudice irréparable, tel qu’envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte. Il a aussi indiqué que le risque devait être personnel et qu’il fallait des motifs sérieux pour conclure à l’existence d’un risque réel de préjudice irréparable. Pour évaluer l’existence d’un tel risque, tous les faits et circonstances pertinents doivent être pris en considération, y compris la situation générale des droits de l’homme dans le pays d’origine des auteurs. Le Comité rappelle sa jurisprudence dont il ressort qu’il convient d’accorder un poids important à l’analyse à laquelle a procédé l’État partie concerné et réaffirme que, d’une manière générale, c’est aux organes des États parties qu’il appartient d’examiner ou d’apprécier les faits et les preuves pour déterminer si un tel risque existe, sauf s’il peut être établi que cette appréciation a été manifestement arbitraire ou a représenté une erreur manifeste ou un déni de justice.

7.8En l’espèce, le Comité note que les demandes de protection déposées par les auteurs ont été examinées par plusieurs autorités administratives et judiciaires de l’État partie à divers niveaux et que celles-ci ont jugé que ni leur récit ni leurs besoins de protection n’étaient crédibles. Les autorités ont considéré, en particulier, que B. O. M. avait fait des déclarations invraisemblables et incohérentes concernant des éléments importants de son récit, notamment l’empoisonnement de son premier mari, la poursuite de ses activités alors qu’elle avait déménagé plusieurs fois à l’intérieur du pays et l’intérêt intermittent que lui portait Ahli‑Sunnah, à quoi s’ajoutait le fait qu’elle s’était rendue plusieurs fois à l’étranger pour des vacances lorsqu’elle résidait au Nigéria et avait finalement décidé de retourner dans ce pays (par. 4.4 ci-dessus). Le Comité constate que les auteurs sont en désaccord avec les décisions des autorités nationales, mais qu’ils n’ont pas prouvé que ces décisions étaient entachées d’erreurs particulières ou manifestement arbitraires. Il déclare donc que les griefs relatifs au principe de non‑refoulement, que les auteurs tirent de l’article 7 du Pacte, sont irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.9Le Comité prend note des griefs que les auteurs tirent des articles 17 et 23 (par. 1) du Pacte au motif que la décision de les expulser d’Australie les a privés de toute vie de famille avec N. M. T. (voir par. 5.6 ci-dessus). Il prend également note de l’argument de l’État partie, qui soutient qu’il ne s’est pas ingéré dans la vie familiale des auteurs et de N. M. T., que toute immixtion de ce type n’était ni arbitraire ni illégale, et que les répercussions que le refus d’octroyer un visa aux auteurs adultes avait sur N. M. T. ont été prises en compte lors de l’examen des demandes d’intervention ministérielle (voir par. 4.8-ci-dessus). Selon l’État partie, O. H. D. n’a pas épuisé toutes les options qui lui permettraient de voir N. M. T., parmi lesquelles la poursuite de la procédure relative à la garde, et peut demander à revenir sur le territoire australien, sous réserve de satisfaire aux critères régissant l’obtention du visa. Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle, s’il peut effectivement arriver que le refus de l’État partie de laisser un membre d’une famille rester sur son territoire représente une immixtion dans la vie familiale de cette personne, le simple fait que certains membres d’une famille aient le droit de rester sur le territoire d’un État partie ne signifie pas nécessairement que l’expulsion d’autres membres de la même famille constitue une immixtion du même ordre. En l’espèce, le Comité considère que les auteurs n’ont pas efficacement réfuté l’argument de l’État partie selon lequel l’immixtion dans leur vie privée n’était ni arbitraire ni illégale. À cet égard, il fait observer qu’en application du jugement définitif d’expédient relatif à la garde, rendu le 3 novembre 2017, O. H. D. devra communiquer avec N. M. T. par Internet une fois par semaine dès que celle-ci aura 3 ans et passer du temps avec elle lorsqu’il sera en Australie (voir par. 5.6 ci-dessus). Il estime que les auteurs n’ont pas suffisamment démontré en quoi le refus d’octroyer à O. H. D. le droit de séjourner en Australie l’empêche de respecter les obligations énoncées dans le jugement. Pour ce qui est de O. A. D. et de B. O. M., il note que les auteurs n’ont fourni aucune information indiquant qu’ils avaient, à un quelconque moment, constitué une famille avec N. M. T.. Qui plus est, il ressort des informations figurant dans le dossier que le Tribunal de circuit fédéral a interdit à O. H. D. d’autoriser O. A. D. et B. O. M. à l’accompagner lors de sa visite à N. M. T. Le Comité conclut que les auteurs n’ont pas suffisamment démontré en quoi l’imposition de l’obligation de quitter l’Australie constituait une mesure disproportionnée ayant entraîné une immixtion arbitraire et une atteinte aux droits qu’ils tiennent des articles 17 et 23 (par. 1) du Pacte. Ces griefs sont donc irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.10En ce qui concerne les allégations formulées par les auteurs après leur retour au Nigéria, le Comité rappelle qu’en principe, il n’examine pas les faits ultérieurs à une expulsion lorsqu’il est allégué que la décision de renvoi a constitué une violation du Pacte à ce moment‑là, à moins que ces faits ne permettent de clarifier la situation qui prévalait au moment considéré. Compte tenu de ce qui précède, il conclut que les griefs tirés des articles 7 et 2 (par. 1) sont irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif, faute d’être suffisamment étayés.

7.11Quant au grief tiré de l’article 24 du Pacte, le Comité estime que les auteurs n’ont communiqué aucune information précise qui prouverait que N. M. T. n’est pas protégée. À cet égard, il tient compte du fait que celle-ci est prise en charge par la personne qui en a la garde, à savoir sa mère, et que rien ne semble suggérer que le départ de O. H. D. d’Australie empêche l’intéressé de respecter les prescriptions énoncées dans le jugement. Le Comité considère donc que ledit grief est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif, faute d’être suffisamment étayé.

8.En conséquence, le Comité décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard des articles 2 et 3 du Protocole facultatif ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et aux auteurs.