Nations Unies

CCPR/C/131/D/2988/2017

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

17 décembre 2021

Original : français

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant lacommunication no 2988/2017 * , **

Communication présentée par :

Philippe Rudyard Bessis(représenté par un conseil, Frédéric Fabre)

Victime(s) présumée(s):

L’auteur

État partie :

France

Date de la communication :

1er mars 2017 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 13 juin 2017 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

24 mars 2021

Objet :

Protection de la famille ; vie privée ; liberté d’expression ; procès équitable ; participation à la vie publique

Question(s) de procédure :

Recevabilité ; griefs non étayés

Question(s) de fond :

Droit à un procès équitable ; droit d’être protégé contre toute immixtion arbitraire ou illégale dans la famille ; droit à la liberté d’expression

Article(s) du Pacte :

2 (par.3), 14(par.1), 17, 19 et 25

Article(s) du Protocole facultatif :

2 et 5 (par. 2 a))

1.L’auteur de la communication est Philippe Rudyard Bessis, de nationalité française, né en 1954 en Tunisie. Il allègue une violation par l’État partie des droits qu’il tient des articles 2 (par. 3), 14 et 19 du Pacte. La France a adhéré au Protocole facultatif le 17 février 1984. L’auteur est représenté par un conseil, Frédéric Fabre.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur était chirurgien-dentiste au moment des faits.Par suite de sa radiation à vie de l’ordre national des chirurgiens-dentistes, il a exercé la profession d’avocat. Il a également été journaliste pigiste pour la revue professionnelle pour les dentistes Indépend e ntaire, pour laquelle il tenait une chronique intitulée « Justice-injustice».

2.2Le 21 novembre 1996, l’auteur a publié dans la revue Indépend e ntaire une lettre ouverte au Premier Ministre français d’alors, Alain Juppé, pour expliquer le dysfonctionnement des procédures ordinales en France. Sa lettre a fait l’objet d’un droit de réponse du Conseil national de l’ordre national des chirurgiens-dentistes dans le numéro 44 de la même revue. Ce précédent a causé des inimitiés au sein du Conseil. En plus de cet incident, l’auteur était l’un des instigateurs d’un procès au cours duquel l’ordre et un membre du Conseil ont été condamnés à une amende en 2006.

2.3Le 27 juillet 2007, l’auteur a reçuune plainte déposée contre lui par le Conseil national de l’ordre national des chirurgiens-dentistes et le Conseil départemental de Paris du même ordre, auprès de la chambre disciplinaire de première instance de l’ordre d’Île-de-France. Il lui était reproché d’avoir écrit que le départ d’un ancien président des juridictions du Conseil national de l’ordre, par suite d’une condamnation pénale de l’ordre, était une «bouffée d’oxygène». Il lui était également reproché d’avoir appelé les praticiens, à travers ses articles, à cesser de payer plusieurs cotisations à l’ordre et de faire de la publicité pour des formations payantes en critiquant celles dispensées par l’ordre.

2.4Le 11 septembre 2008, le rapporteur auprès de la chambre disciplinairede première instance de l’ordrenational des chirurgiens-dentistesa constaté que sil’auteur était bien le rédacteur de l’article incriminé, il n’était pas l’auteur ni le bénéficiaire des publicités qui y étaient insérées.

2.5Le 12 décembre 2008, la chambre disciplinaire de première instance a condamné l’auteur en le radiant à vie de l’ordre national des chirurgiens-dentistes.

2.6Le 12 janvier 2009, l’auteur a déposé un mémoire en appel exposant les violations de la procédure à son égard, soulevant l’article 14 du Pacte, et le délit d’opinion dont il a fait l’objet, au sens de l’article 19 du Pacte. Le 31 juillet 2009, il a déposé également une requête en suspicion légitime devant le Conseil d’État contre des membres de la juridiction ordinale qui étaient plaignants et juges à la fois. Le 10 septembre 2009, la requête en récusation a été rejetée par le Conseil d’État.

2.7Le 18 mars 2010, la Chambre disciplinaire nationale de l’ordre national des chirurgiens-dentistes a condamné l’auteur à dix-huit mois d’interdiction d’exercer la profession, avec un sursis de douze mois. Le Conseil d’État a rejeté sa demande de sursis à l’exécution de la décision par ordonnance du 5 août 2010. Le 27 juin 2011, le Conseil d’État a annulé la condamnation de l’auteur.Il lui est reproché d’avoir déposé trop tard ses moyens sur le fond. Le Conseil d’État a renvoyé l’affaire devant la Chambre disciplinaire nationale.

2.8Le 7 octobre 2011, le syndicat Dentistes solidaires et indépendants a déposé un mémoire en faveur de l’auteur auprès de la Chambre disciplinaire nationale, au titre de l’article 14 du Pacte, alléguant que l’audience n’était pas publique, que l’auteur n’avait pas pu prendre la parole, que l’avocat de ses adversaires était également l’avocat de sept juges sur neuf, et que les juges étaient nommés par les plaignants et payés par eux ou étaient tout simplement plaignants eux-mêmes.

2.9Le 24 octobre 2011, la Chambre disciplinaire nationale a rejeté la requête en appel introduite par l’auteur. En conséquence, la décision de la chambre disciplinaire de première instance du 12 décembre 2008 concernant la radiation de l’auteur a été maintenue.

2.10L’auteur a introduit un nouveau pourvoi devant le Conseil d’État, dans lequel il a soulevé une violation de ses droits au titre des articles 14 et 19 du Pacte. Le 4 avril 2012, son pourvoi a été à nouveau rejeté, sans motif.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur allègue une violation des articles 14 et 19 du Pacte par l’État partie. Au titre de l’article 19, l’auteur prétend que sa radiation est due au fait qu’il avait porté plainte contre des magistrats du Conseil d’État et des membres des juridictions ordinales, et dénoncé publiquement les sanctions excessives desdites juridictions ainsi que les émoluments indûment versés aux juges de ces dernières. L’auteur affirme qu’au titre de l’article 19 (par. 3) du Pacte, la sanction qui a été prononcée contre lui n’était ni nécessaire ni justifiée dans une société démocratique, et porte atteinte à sa liberté d’expression.

3.2L’auteur allègue également que la procédure judiciaire n’a pas été respectueuse de ses droits garantis par l’article 14 du Pacte et que l’audience de première instance à la suite de laquelle il a été radié à vie n’était pas publique.

3.3L’auteur affirme qu’en deux occasions, il a introduit des actions en récusation pour suspicion légitime contre des juges des juridictions ordinales devant le Conseil d’État, qui les a rejetées. Invoquant entre autres motifs le fait que la formation de jugement comportait la présence de M. de Vulpillières, alors que ce dernier avait participé à la réunion du Conseil nationalde l’ordre national des chirurgiens-dentistes ayant décidé de porter plainte contre lui, l’auteur a demandé un sursis à l’exécution de la décision qui avait été prise à son égard. L’auteur soutient que le procès-verbal de plainte du 13 avril 2007 a été réécrit le 7 octobre 2009, prétendant que des membres du Conseil national de l’ordre susceptibles de siéger à la chambre disciplinaire d’appel du Conseil ordinal étaient sortis de la salle avant que la décision soit prise. Le premier procès-verbal, daté du 13 avril 2007, ne faisait pas mention de cette formalité. L’auteur allègue une suspicion légitime sur la rédaction d’un second procès‑verbal daté du 7 octobre 2009, qui affirme le contraire.

3.4Le Conseil d’État a, dans un premier temps, estimé qu’il fallait impérativement attendre que les juges se prononcent pour pouvoir les récuser, alors que si une décision était déjà rendue par les juges récusés, il serait trop tard pour exercer une quelconque action en récusation à leur égard. Dans un second temps, le 4 avril 2012, le Conseil d’État a rejeté la seconde requête en récusation, cette fois-ci sans motif.

3.5L’auteur allègue que les juges sont rémunérés par les plaignants. Il soutient également que c’est le Conseil national de l’ordre national des chirurgiens-dentistes qui paye les membres de la Chambre disciplinaire nationale, sur des fondements flous et sans base légale, comme l’a constaté la Cour des comptes dans son rapport de février 2017.

3.6L’auteur estime que le fait qu’il a été privé de la protection de l’État partie contre l’ingérence illicite dans l’exercice de sa liberté d’expression et dans la garantie de son droit à un procès équitable induit une violation de l’article 2 (par. 3) du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Le 14 décembre 2017, l’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication. Il demande au Comité de déclarer la communication irrecevable.

4.2L’État partie reconnaît que la communication soumise par l’auteur donne lieu à des contestations sur des droits de caractère civil au sens de l’article 14 (par. 1) du Pacte. Il reconnaît également que le contentieux soumis aux juridictions ordinales françaises doit remplir les exigences de l’article 14 (par. 1) du Pacte. Toutefois, l’État partie rejette les arguments soulevés par l’auteur sur le caractère non public de l’audience et le défaut d’impartialité des juridictions ordinales. L’État partie rejette également la violation de l’article 19 du Pacte alléguée par l’auteur.

4.3L’État partie rappelle qu’au regard de l’article 14 (par. 1) du Pacte, le caractère public des audiences implique uniquement de mettre le public intéressé en mesure d’assister à celles-ci, le public devant être informé en temps utile. Il rappelle également que la règle de la publicité des audiences a été reconnue de manière prétorienne en droit interne comme s’imposant aux juridictions ordinales statuant en matière disciplinaire en application de l’article 6 (par. 1) de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme), qui est le pendant de l’article 14 (par. 1) du Pacte. Cette règle est désormais reconnue au sein du Code de la santé publique.

4.4L’État partie fait valoir que la nécessité de connaître le code pour accéder au numéro27 de la rue Ginoux, à Paris, siège de la chambre disciplinaire de première instanced’Île-de-France, où se tenait l’audience, n’entrave pas son caractère public. Ilsoutient que, contrairement aux allégations de l’auteur, ce bâtiment, muni d’un interphone, était accessible au public et qu’un gardien assurait que la porte d’entrée de l’immeuble était ouverte en permanence. L’État partie souligne en outre que le rôle de l’audience du 20 novembre 2008 de la chambre disciplinaire avait bien été affiché huit jours avant la tenue de l’audience.En ce qui concerne l’accès à la Chambre disciplinaire nationale, située au 16 rue Spontini, à Paris, l’État partie précise que la porte d’entrée de l’immeuble est munie d’un bouton d’ouverture automatique et que la porte de l’escalier menant à la juridiction d’appel est munie d’un interphone. Les locaux sont toujours accessibles du début à la fin de l’audience, etun ou une secrétaire s’y trouve en permanence. L’État partie rappelle que le rôle de l’audience a été affiché huit jours avant la tenue de l’audience.

4.5L’État partie fait valoir que, tant dans la décision du 18 mars 2010 que dans celle rendue sur renvoi du Conseil d’État le 24 octobre 2011, il est fait mention du caractère public des audiences du 3 décembre 2009 et du 13 octobre 2011, au cours desquelles l’appel de l’auteur a été examiné. L’auteur, qui n’était ni présent ni représenté lors de la première audience, était en revanche représenté lors de la deuxième audience par son conseil, qui a formulé des observations sans contester le caractère public de l’audience.L’État partie souligne que si, comme le soulève l’auteur, la chambre disciplinaire n’a pas examiné, sur renvoi du Conseil d’État, les griefs relatifs au bien-fondé de la sanction prononcée en première instance contre l’auteur, c’est uniquement en raison du fait, relevé par le Conseil d’État dans sa décision du 27 juin 2011, qu’ils avaient été soulevés tardivement.

4.6L’État partie rejette l’argument selon lequel l’audience du Conseil d’État sur le pourvoi de l’auteur n’était pas publique. Il fait valoir que la première décision du Conseil d’État, rendue le 27 juin 2011, a été précédée d’une séance publique, le 25 mai 2011. Aussi bien au cours de cette audience que dans celle précédant la décision du Conseil d’État du 4avril 2012, l’avocat de l’auteur a pu produire ses observations ainsi qu’une note en délibéré après la lecture des conclusions du rapporteur public. En conséquence, l’État partie soutient que l’auteur a bénéficié de la garantie tenant à ce que son affaire soit examinée publiquement à toutes les étapes de la procédure.

4.7En ce qui concerne le bien-fondé du grief tiré du défaut d’indépendance et d’impartialité des juridictions ordinales, l’État partie indique que les membres de ces juridictions, qui ne sont pas auteurs des plaintes dirigées contre les chirurgiens-dentistes qu’ils examinent dans leurs fonctions juridictionnelles, présentent les garanties d’indépendance et d’impartialité conformément aux exigences de l’article14 (par.1) du Pacte.

4.8L’État partie rappelle que les membres des juridictions ordinales répondent aux garanties d’indépendance et d’impartialité requises : ils sont élus pour six ans, leurs postes sont renouvelables tous les trois ans (à l’époque des faits), et ils ne sont pas soumis à l’autorité hiérarchique du Conseil régional de l’ordre ou du Conseil national de l’ordre. L’État partie rappelle en outre que la chambre disciplinaire de première instance est présidée par un membre en fonction ou honoraire du corps des conseillers des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, tandis que la Chambre disciplinaire nationale est présidée par un membre du Conseil d’État. Les présidents de ces chambres sont des magistrats professionnels qui sont indépendants des conseils régional et national de l’ordre, qui n’interviennent pas dans leur désignation.

4.9L’État partie précise que le droit national interdit que le même magistrat exerce à la fois les fonctions d’enquête, d’inculpation et de jugement.À cet égard, le Code de la santé publique prévoyait à l’époque des faits la séparation fonctionnelle entre la mission juridictionnelle qui incombe aux membres des juridictions ordinales et la mission de garant du respect des règles de la déontologie professionnelle par les chirurgiens-dentistes, qui revient au Conseil national de l’ordre. Le Code de la santé publique interdit notamment à un membre de la juridiction d’appel de siéger lorsqu’il a participé à la séance du Conseil national de l’ordre au cours de laquelle la plainte a été votée à l’encontre du praticien poursuivi, ou l’appel contre la décision de la chambre disciplinaire de première instance a étédécidé. C’est pourquoi l’État partie souligne que, lors des séances du Conseil national de l’ordre au cours desquelles le vote d’une plainte est à l’ordre du jour, les membres du Conseil qui sont également membres de la chambre disciplinaire se retirent. L’État partie soutient qu’en l’espèce, conformément aux dispositions du Code de la santé publique, le principe a été parfaitement respecté lors de la séance du Conseil national de l’ordre des 13 et 14 avril 2007, au cours de laquelle a été décidé l’engagement d’une procédure disciplinaire à l’encontre de l’auteur. L’État partie souligne qu’il ressort du procès-verbal de cette séance produit devant la Chambre disciplinaire nationale le 7 octobre 2009 que les Président et assesseurs de ladite chambre− à savoir M.de Vulpillières, conseiller d’État, et MM.Bouchet, Moutarde, Vadella et Volpelière −ont quitté la séance au moment de l’examen de la proposition d’introduction de la plainte. Le procès‑verbal a été approuvé par le Conseil national de l’ordre lors de sa séance du 22 juin 2007. L’État partie souligne que l’auteur n’a pas fourni la preuve contraire quant à l’observance de cette formalité.

4.10En ce qui concerne l’absence de motivation de la décision du 4 avril 2012 du Conseil d’État, l’État partie estime que dès lors que la Chambre disciplinaire nationale a suffisamment motivé ses décisions du 18mars 2010 et du 24octobre 2011, la haute juridiction administrative n’était pas tenue de développer les motifs pour lesquels elle rejetait l’allégation de l’auteur, et que cet état de fait ne nuit pas au respect de l’article14 (par.1) du Pacte.

4.11L’État partie souligne que l’auteur a été en mesure de contester le défaut d’impartialité des membres de la Chambre disciplinaire nationale devant les juridictions internes, conformément à l’article L4126-2 du Code de la santé publique dans sa version en vigueur à l’époque des faits. L’État partie fait remarquer qu’entre-temps, la Chambre disciplinaire nationale s’est prononcée le 18 mars 2010 sur la demande formulée par l’auteur par la même décision que celle par laquelle elle s’est prononcée sur l’appel formé par le praticien sur la décision du 12 décembre 2008. La Chambre disciplinaire nationale a en effet estimé que la demande de l’auteur était irrecevable, dans la mesure où cette demande ne tendait pas, comme le permettent les dispositions de l’article L721-1 du Code de justice administrative, à demander la récusation d’un membre de la juridiction ordinale mais celle de l’ensemble de ses membres et, par conséquent, un renvoi de l’affaire devant le Conseil d’État. L’État partie indique que l’auteur a pu, à chaque étape de la procédure, critiquer la composition de la formation de jugement et que rien ne permet de mettre en doute le caractère impartial et indépendant des juges de la cause.

4.12L’État partie soutient à titre principal que le grief tiré de la violation de l’article19 du Pacte est irrecevable, pour non-épuisement des voies de recours internes au regard de l’article5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif. Il estime qu’il était loisible à l’auteur d’évoquer ce grief devant les juridictions disciplinaires nationales et devant le Conseil d’État. L’Étatpartie relève que l’auteur n’a contesté le bien-fondé du jugement rendu par la chambre disciplinaire de première instance que tardivement, c’est-à-dire après l’expiration du délai d’appel, les 20 et 30novembre 2009.De ce fait, il est frappé de forclusion sur ce moyen. L’État partie fait valoir en conséquence que l’auteur ne saurait se plaindre de ce que le Conseil d’État ne l’a pas «protégé» au sens de l’article19 du Pacte, vu qu’il n’a pas épuisé les voies de recours internes en ce qui concerne la violation alléguée de cet article.

4.13À titre subsidiaire, l’État partie demande au Comité de déclarer infondé le grief tiré de la violation de l’article19 du Pacte. Tout en reconnaissant que l’auteur, en sa qualité de chirurgien-dentiste, bénéficiait du droit à la liberté d’expression, garanti par l’article19 du Pacte, l’État partie précise toutefois que la restriction imposée à l’exercice de la liberté d’expression de l’auteur était prévue par la loi, nécessaire et proportionnée aux motifs pour lesquels elle a été prise.

4.14L’État partie estime que du fait de son statut de chirurgien-dentiste et de son appartenance à une profession organisée en ordre, l’auteur était soumis à des devoirs spéciaux et à des responsabilités spéciales dans l’exercice de son droit à la liberté d’expression, prévus aux articlesR4127-201 à R4127-284 du Code de la santé publique. L’État partie estime également que la restriction apportée à la liberté d’expression de l’auteur par l’infliction d’une sanction de radiation poursuivait un but légitime qui figure parmi les motifs de restriction admis à l’article 19 (par. 3) du Pacte, lesquels incluent le respect des droits ou de la réputation d’autrui.Il estime aussi que l’auteur a pratiqué la profession de chirurgien‑dentiste comme un commerce, en ayant recours à la publicité, en violation des articlesR4127‑215 et R4127-225 du Code de la santé publique.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Le 5 mai 2018, l’auteur a fait parvenir ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il réitère ses arguments quant à la recevabilité et au bien-fondé de sa communication. Il dénonce l’extrême sévérité de la sanction qui lui a été infligée, soulignant que la radiation à vieprononcée à son égard lui enlève la possibilité d’exercer la profession de dentiste non seulement en Europe, mais dans le monde entier.L’auteur affirme avoir exercé sa liberté d’expression en sa qualité de lanceur d’alerte et de Président d’un syndicat de chirurgiens‑dentistes. Il dénonce de ce fait l’interdiction d’exercer sa liberté d’expression.L’auteur rappelle que la Cour européenne des droits de l’homme a déjà rappelé qu’une simple réprimande contre un médecin était une atteinte à sa liberté d’expression au sens de l’article10 de la Conventioneuropéenne des droits de l’homme.

5.2L’auteur maintient que les dénonciations pour lesquelles il a été poursuivi sont fondées sur des faits objectifs et réels contre un magistrat du Conseil d’État, Président de la Chambre disciplinaire nationale de l’ordre national des chirurgiens-dentistes. L’auteur affirme que critiquer un magistrat est, dans une société démocratique, un droit fondamental des citoyens et que la nécessité d’un contrôle extérieur du travail des magistrats est d’une importance capitale.

5.3L’auteur affirme que, contrairement aux déclarations de l’État partie, il n’a pas été poursuivi pour avoir fait de la publicité dans le but de rechercher des patients à soigner. Il lui a été reproché d’avoir constitué une société à responsabilité limitée pour donner des conférences payantes. Pourtant, la prétendue société n’a jamais existé. L’auteur souligne qu’il lui est reproché un encart publicitaire afin de promouvoir une formation sur le sujet « nomenclature… », avec la formule «parce qu’il est des conseils qui ne s’écrivent pas».Il rappelle à cet égard que cette formule est reprise dans d’autres conférences et qu’il n’en est pas le concepteur. L’auteur soutient qu’il n’est pas responsable des publicités faites par des organismes de formation qui l’invitent à donner une conférence. Il rappelle que le grief fondé sur la publicité n’a pas été retenu en appel.

5.4Concernant la violation de l’article 14 (par.1) du Pacte, l’auteur fait valoir que la Cour européenne des droits de l’homme a eu à condamner la France pour violation de l’article6 (par.1) de la Conventioneuropéenne des droits de l’homme dans une situation similaire à celle soumise au Comité et qui concerne le comportement de l’État partie vis-à-vis des juridictions ordinales. L’auteur rejette l’argument de l’État partie selon lequel les juridictions ordinales françaises ont été jugées conformes à l’article6 (par.1) de la Convention par la Cour.

5.5L’auteur réitère que les audiences n’étaient pas publiques au sens de l’article14 (par.1) du Pacte. Il rappelle que la Cour européenne des droits de l’homme a constaté que les juridictions des ordres professionnels étaient tenues à la publicité de leurs audiences, comme il a été rappelé à l’État partie dans l’arrêt Serre c . France.L’auteur précise en ce sens que la Cour a déjà constaté qu’à l’époque des faits, le Conseil d’État considérait que l’État partie manifestait un désintérêt quant à l’obligation des juridictions ordinales d’assurer la publicité de leurs audiences. La Cour avait également relevé le caractère non public des débats devant les instances ordinales françaises.

5.6Concernant la publicité de l’audience en première instance, l’auteur estime que l’affirmation de l’État partie selon laquelle le rôle de l’audience était affiché huit jours auparavant sans que soit indiqué le lieu de cet affichage est trop vague pour être prise en considération.Il souligne que, à supposer que la formalité de l’affichage ait été remplie, il ne pouvait avoir lieu qu’à l’intérieur d’un local privé, fermé au public, lequel ne pouvait y accéder qu’en ayant connaissance du code. L’auteur souligne également que l’État partie ne démontre pas qu’un gardien préposé aux fins de l’instance par la juridiction ordinale était disponible pour donner au public accès à l’audience, comme il l’a déclaré. Il précise que les personnes convoquées avaient sur leur convocation le numéro du code d’accès à utiliser le jour de l’audience, ce qui démontre que la salle d’audience n’était pas ouverte au public, et qu’aucune signalisation particulière ne pouvait laisser croire à un citoyen que l’immeuble servait de juridiction disciplinaire et que des audiences s’y tenaient.

5.7Concernant la publicité de l’audience en appel, l’auteur fait valoir que les précisions données par l’État partie dans sa soumission quant à l’accessibilité du local de la Chambre disciplinaire nationale, « un immeuble bourgeois dans un quartier privilégié à Paris » que rien ne distingue des autres immeubles de l’arrondissement, suffit à elle seule à démontrer l’absence d’accès à la salle d’audience.L’auteur réfute que le rôle ait été affiché huit jours avant l’audience en appel. Il estime que le fait de devoir chercher le Conseil national de l’ordre, d’utiliser un interphone, de sonner et de décliner son identité pour accéder au local sans aucune indication qu’il s’agit d’une juridiction témoigne du caractère non accessible de ce lieu d’habitation au public.

5.8L’auteur précise que le fait que la juridiction régionale est présidée par un magistrat de la cour administrative et que la juridiction nationale est présidée par un magistrat du Conseil d’État ne constitue pas un gage d’indépendance, puisque l’un et l’autre sont aussi payés par l’ordre national des chirurgiens-dentistes, qui est plaignant dans l’instance.C’est d’ailleurs ce qu’a indiqué la Cour des comptes dans son rapport de février 2017, qui dénonçait un conflit d’intérêts.

5.9Sur le point de savoir si les membres de l’ordrenational des chirurgiens-dentistes aussi membres de la juridiction nationale se sont retirés ou non au moment du vote des poursuites contre l’auteur, ce dernier réitère ses doutes quant à la véracité du second procès-verbal (produit trente mois après la tenue de l’audience) attestant cette formalité. L’auteur estime que ce second procès‑verbal est produit uniquement dans le but de montrer au Conseil national de l’ordre que des juges étaient sortis de la salle de réunion au moment de statuer sur la plainte contre l’auteur.Il ajoute que, contrairement aux stipulations de l’articleR4126‑1 du Code de la santé publique, le procès-verbal de session du Conseil national n’a pas été signé, ce qui engendre ipso facto son irrecevabilité. L’auteur estime que la participation de M.de Vulpillières à toutes les sessions du Conseil national est imposée par la loi, vu que le conseil national des professions médicales et des auxiliaires médicaux est assisté par un membre du Conseil d’État avec voix délibérative nommé par le Ministre de la justice. Vu que M.de Vulpillières était à l’époque des faits le seul conseiller d’État au service du Conseil national, l’auteur conclut qu’il était forcément présent à toutes ses sessions.Enfin, le fait que le Ministère de la santé publique n’était pas en mesure de fournir à l’auteur la preuve que le procès-verbal de session lui avait été transmis est un indice de suspicion quant à la fiabilité dudit procès-verbal.

5.10L’auteur prétend que le fait que l’avocat adverse est l’avocat habituel de plusieurs conseils départementauxde l’ordrenational des chirurgiens-dentistes et que les juges sont membres et élus au sein de ces mêmes conseils départementaux pose un sérieux problème quant à l’indépendance de la juridiction saisie.Il affirme que,quand la récusation des juges existe dans le droit national, elle doit être effective, concrète et réelle. Il soutientque la demande de récusation pour cause de suspicion légitime doit être formulée avant que le juge rende sa décision. Il estime que sa demande de récusation n’a pas été examinée au fond sur plusieurs aspects, notamment quant à la participation de M.de Vulpillières comme Président de la juridiction disciplinaire à la plainte ; au fait que les juges sont choisis, sélectionnés et payés par le Conseil national de l’ordre, qui est le plaignant; au fait que M.de Vulpillières touche des rémunérations du Conseil national sans base légale ; et au fait que M.deVulpillières et les juges membres du Conseil national étaient directement concernés par la plainte déposée par l’auteur. L’auteur allègue en outre que M.de Vulpillières a statué sur sa propre récusation et qu’il a validé le second procès-verbal de session du Conseil national affirmant qu’il était sorti avant l’évocation de la plainte contre l’auteur. L’auteur précise que, contrairement aux observations de l’État partie, la Chambre disciplinaire nationale ne pouvait pas réexaminer la demande de récusation. Il souligne que la question a été tranchée par le Conseil d’État, qui n’a pas répondu à ses moyens.

5.11En ce qui concerne le grief tiré de l’article19 du Pacte, l’auteur réitère que sa communication est recevable. Il affirme qu’il n’a pas été poursuivi pour une faute professionnelle, mais pour un délit d’opinion sans que ses moyens aient été examinés. L’auteur rappelle que les reproches pour lesquels il a été condamné ont été utilisés par la Cour des comptes, qui l’a interrogé avant de produire son rapport de février 2017, notamment sur la partialité des juges disciplinaires, les indemnités douteuses perçues par ces derniers et le fait que les praticiens soumis aux décisions des juridictions ordinales étaient sans moyen de défense. L’auteur estime avoir formulé des critiques vis-à-vis de personnes investies d’une mission de service public dans l’intérêt général, et soutient que ces critiques doivent être acceptées de manière bien plus large que si elles étaient dirigées contre une personne privée. L’auteur fait valoir que la restriction à sa liberté d’expression n’est pas prévue par la loi. Il réitère que critiquer les décisions d’un magistrat prises dans le cadre de ses fonctions juridictionnelles n’est pas interdit.

Observations complémentaires des parties

L’auteur

6.1Dans sa soumission additionnelle datée du 13 juillet 2017, l’auteur présente de nouvelles allégations fondées sur la violation par l’État partie des articles 17 et 25 lus conjointement avec l’article 2 (par. 3) du Pacte. L’auteur expose que le 29 avril 1997, il a été radié de l’ordre des avocats du barreau de Paris en raison de l’incompatibilité résultant de l’exercice simultané de la profession d’avocat et de chirurgien-dentiste. Ses pourvois exercés devant la cour d’appel de Paris et la Cour de cassation ont été rejetés respectivement les 25février 1998 et 4 juillet 2000. Le 23 juillet 2002, l’auteur a saisi le Ministre de la justice pour demander l’abrogation des dispositions de l’article115 du décret no 91-1197 du 27novembre 1991 organisant la profession d’avocat.Devant la décision implicite résultant du silence gardé par le Ministre de la justice, l’auteur a saisi le Conseil d’État qui, le 28 juin 2004,a rejetésa requête. L’auteur a dès lors saisi la Cour européenne des droits de l’homme, qui a déclaré sa requête irrecevable le 13septembre 2011. L’auteur estime qu’en dépit de cette décision de la Cour, sa requête est recevable devant le Comité.

6.2Le 3 septembre 2012, l’auteur a réintégré le tableau de l’ordre des avocats du barreau de Paris par suite de sa radiation à vie de l’ordre national des chirurgiens-dentistes. Il estime que l’État partie a violé les droits qu’il tient de l’article 17 lu conjointement avec l’article 2 (par. 3) du Pacte, alléguant que l’interdiction d’exercer simultanément les professions d’avocat et de chirurgien-dentiste est une ingérence arbitraire dans sa vie privée. L’auteur allègue également une violation de l’article 25 lu conjointement avec l’article 2 (par. 3) du Pacte. Il estime qu’il n’a pas eu accès à la profession d’avocat, qui appartient à la fonction publique au sens de l’article 25 du Pacte.

L’État partie

7.1Le 4 juin 2018, l’État partie a soumis ses commentaires sur les observations complémentaires soumises le 13 juillet 2017 par l’auteur. L’État partie a fait remarquer que, contrairement à la communication initiale présentée par l’auteur le 1er mars 2017, sa soumission additionnelle portait sur la compatibilité aux stipulations du Pacte de la règle interdisant aux avocats l’exercice simultané de la profession de chirurgien-dentiste ; et que les deux faits étaient en réalité totalement distincts et déconnectés. L’État partie estime que la soumission additionnelle de l’auteur, pour avoir été présentée tardivement et sans justification de ce retard, constitue un abus de présenter une communication individuelle. Il rappelle que les deux dernières décisions relatives à cette soumission, à savoir celle du 4juillet 2000 émanant de la Cour de cassation et celle du 28 juin 2004 émanant du Conseil d’État, ont été prononcées bien plus que cinq ans avant la soumission additionnelle de l’auteur.

7.2L’État partie estime que l’auteur ne justifie pas sa qualité de victime à la date de sa communication, au sens de l’article premier du Protocole facultatif. Il estime qu’en l’espèce, depuis que l’auteur a définitivement été radié de l’ordre des avocats du barreau de Paris le 29 avril 1997, il n’est plus susceptible d’être concerné par la règle d’incompatibilité entre les professions d’avocat et de chirurgien-dentiste prévue à l’article 115 du décret no 91-1197. Dès lors, l’auteur ne saurait se voir reconnaître la qualité de victime. Il souligne que la soumission additionnelle de l’auteur revient à contester in abstracto l’interdiction du cumul prévu à l’article 115 du décret no 91-1197, puisque l’auteur n’a désormais plus aucun risque que cette règle lui soit appliquée personnellement. L’État partie souligne que les griefs tirés des articles 17 et 25 du Pacte sont irrecevables vu qu’ils n’ont jamais été évoqués au niveau interne par l’auteur. En outre, l’État partie soulève l’irrecevabilité ratione materiae du grief tiré de l’article 25 du Pacte, vu que la notion de fonction publique ne couvre pas la profession d’avocat. L’État partie soulève également l’irrecevabilité ratione materiae du grief tiré de la violation de l’article 17 du Pacte, vu que l’auteur n’a pas expliqué, d’une part, en quoi l’incompatibilité entre les professions d’avocat et de chirurgien-dentiste portait atteinte au droit au respect de son domicile professionnel, et d’autre part, en quoi l’impossibilité d’exercer simultanément les fonctions d’avocat et de chirurgien-dentiste avait un impact sur son droit au respect de la vie privée.

7.3À titre subsidiaire, l’État partie demande au Comité de déclarer la soumission additionnelle de l’auteur mal fondée. Il estime en l’espèce que l’immixtion alléguée par l’auteur pour dénoncer la violation de l’article 17 du Pacte était prévue par la loi, notamment par le premier alinéa de l’article 115 du décret no 91-1197 interdisant l’exercice simultané des deux professions, et que l’immixtion dans la vie privée de l’auteur était raisonnable et conforme aux buts et aux objectifs du Pacte.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.3Le Comité prend note des griefs de l’auteur, qui affirme que l’État partie viole les droits qu’il tient des articles 14 (par. 1) et 19 du Pacte, ainsi que des articles 17 et 25 lus conjointement avec l’article 2 (par. 3) du Pacte.

8.4Concernant la recevabilité ratione materiae de la communication, le Comité note que l’État partie n’a pas contesté la recevabilité par rapport au grief évoqué dans le cadre de l’article 14 (par. 1) du Pacte et a reconnu que le contentieux soumis aux juridictions ordinales françaises devait remplir les exigences de l’article 14 (par. 1) du Pacte.

8.5Le Comité note que l’État partie conteste la recevabilité au titre de l’article 19 du Pacte, arguant que les voies de recours internes n’ont pas été épuisées. Il note à cet effet l’argument de l’État partie selon lequel le grief fondé sur cet article a été évoqué tardivement par l’auteur, c’est-à-dire après l’expiration du délai d’appel. Le Comité note également l’argument de l’auteur, qui soutient que sa communication est recevable au titre de l’article 19 du Pacte, vu qu’il a été poursuivi en raison de critiques formulées vis-à-vis de personnes investies d’une mission de service public, dans l’intérêt général. Le Comité observe néanmoins que l’auteur n’a pas fourni la preuve que ses moyens avaient été soumis au titre de l’article 19 du Pacte et avaient fait l’objet de considération de la part des juridictions nationales. Le Comité réitère la règle selon laquelle, pour qu’une communication soit jugée recevable, il faut que tous les moyens de recours internes aient été épuisés. En conséquence, la communication de l’auteur est irrecevable au titre de l’article 19 du Pacte, pour non-épuisement des voies de recours internes.

8.6Le Comité relève que, dans sa soumission additionnelle du 13 juillet 2017, l’auteur allègue une violation des articles 17 et 25, lus conjointement avec l’article 2 (par. 3) du Pacte. Il note l’argument de l’État partie selon lequel la soumission additionnelle de l’auteur porte sur de nouveaux faits sur lesquels des décisions ont été rendues en dernier ressort au niveau interne, respectivement le 4 juillet 2000 par la Cour de cassation et le 28 juin 2004 par le Conseil d’État. Le Comité fait observer que la soumission additionnelle de l’auteur survient pour des faits sur lesquels les juridictions nationales se sont prononcées il y a plus de treize ans. Il considère qu’en l’absence d’explication convaincante pour justifier un tel retard, la présentation de la communication après un délai aussi long équivaut à un abus du droit de plainte en application de l’article 99 c) du règlement intérieur du Comité et déclare en conséquence la soumission additionnelle de l’auteur irrecevable. Le Comité relève que la soumission additionnelle de l’auteur fait état de sa radiation du tableau de l’ordre des avocats du barreau de Paris, ce qui est distinct de sa radiation de l’ordre national des chirurgiens‑dentistes, objet principal de la présente communication. Le Comité relève également que l’État partie fait valoir que les moyens tirés par l’auteur n’ont jamais été évoqués devant les juridictions internes et que, de ce fait, la soumission additionnelle de l’auteur doit être déclarée irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes. Le Comité constate qu’au vu des éléments soumis par l’auteur, les griefs tirés des articles 17 et 25 du Pacte n’ont pas été soumis devant les juridictions internes par l’auteur.

8.7Compte tenu de ce qui précède, le Comité considère que les griefs formulés par l’auteur en ce qui a trait aux articles 17, 19 et 25 du Pacte sont irrecevables pour non‑épuisement des voies de recours. Pour ce qui concerne les griefs tirés des articles 17 et 25 du Pacte, objets de la soumission additionnelle du 13 juillet 2017 de l’auteur, le Comité les déclare irrecevables pour n’avoir pas été soumis en temps utile. Le Comité considère néanmoins que les griefs formulés par l’auteur au regard de l’article 14 (par. 1) du Pacte sont suffisamment fondés, déclare que la communication est recevable en ce qu’elle concerne les griefs soulevés par l’auteur au titre de l’article 14 (par. 1), lu seul et conjointement avec l’article 2 (par. 3) du Pacte, et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

9.1Conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

9.2Le Comité rappelle que les dispositions de l’article 14 du Pacte, de façon générale, visent une saine administration de la justice. Il prend note de l’allégation de l’auteur selon laquelle, par suite de dénonciations publiques contre des membres du Conseil national de l’ordre national des chirurgiens-dentistes, il a été rayé à vie du tableau de l’ordre, et que les différentes audiences convoquées en vue de son jugement ont été irrégulières en raison de l’absence de publicité et de l’impossibilité pour lui de récuser des juges, en violation de l’article 14 (par. 1) du Pacte. Le Comité prend note du fait que l’auteur conteste l’indépendance et l’impartialité des juges des juridictions ordinales à toutes les phases de la procédure. Il relève que l’État partie admet que le contentieux de ces juridictions doit remplir les exigences de l’article 14 (par. 1) du Pacte.

9.3Le Comité note les allégations de l’auteur selon lesquelles les juridictions saisies ont failli aux exigences de l’article 14 (par. 1) du Pacte, et que l’avocat adverse est aussi celui de plusieurs conseils départementaux, dont celui qui est à l’origine des poursuites disciplinaires contre l’auteur. Le Comité prend note également de l’allégation de l’auteur indiquant que la composition du tribunal ordinal était en violation de son droit à un procès équitable, que les juges ont manqué à leur obligation d’impartialité et que les juridictions supérieures ont omis de le protéger contre de tels manquements. Le Comité note que l’auteur a souligné que les juges étaient payés par les « plaignants » et que ses demandes de récusation n’avaient pas été prises en compte. Le Comité note néanmoins que l’État partie a soutenu que les juges des juridictions ordinales avaient un mandat de six ans renouvelable tous les trois ans à l’époque des faits, et qu’ils n’étaient pas soumis à l’autorité hiérarchique du conseil régional de l’ordre ou du Conseil national de l’ordre. Le Comité note également que l’État partie a affirmé que la chambre disciplinaire de première instance et la Chambre disciplinaire nationale étaient présidées par des magistrats professionnels et indépendants des conseils régional et national de l’ordre, qui n’intervenaient pas dans leur désignation. Tout en prenant acte des réserves de l’auteur sur le procès-verbal concernant la séance du Conseil national de l’ordre des 13 et 14 avril 2007, produit devant la Chambre disciplinaire nationale le 7 octobre 2009, le Comité note cependant que l’État partie fait valoir qu’il ressort de ce procès-verbal que, pour sauvegarder l’indépendance de la juridiction ordinale, lors de la séance du Conseil national de l’ordre des 13 et 14avril 2007, les membres qui avaient participé à la décision sur la plainte contre l’auteur s’étaient retirés ; de même, les Président et assesseurs de la Chambre disciplinaire nationale avaient quitté la séance au moment de l’examen de la proposition d’introduction de la plainte. Ces faits ont été examinés par les juridictions ordinales et il ne revient pas au Comité de les réexaminer, sauf en cas de déni de justice ou d’erreur manifeste d’appréciation.Le Comité relève que les décisions des juridictions ordinales ont été revues par le Conseil d’État qui, saisi une seconde fois en cassation, a rejeté le pourvoi de l’auteur le 4 avril 2012.De plus, outre les reproches relatifs au défaut de motivation de la décision de la haute juridiction administrative, l’auteur n’a pas démontré le caractère arbitraire de ladite décision.

9.4Le Comité observe que la reconnaissance par l’État partie du fait que le contentieux des juridictions ordinales doit remplir les exigences de l’article 14 (par. 1) du Pacte suppose qu’elles doivent être indépendantes et impartiales. Il relève que l’auteur n’a pas suffisamment démontré en quoi la décision de radiation à son égard n’a pas été proportionnelle aux faits qui lui étaient reprochés. Le Comité rappelle que les garanties d’indépendance renvoient à la procédure de nomination des juges, à leurs qualifications, à leur inamovibilité, à leurs conditions d’avancement, de mutation, de suspension et de cessation de leurs fonctions, ainsi qu’à l’indépendance effective des juridictions de toute intervention politique de l’exécutif et du législatif, tandis que les garanties d’impartialité renvoient d’une part à la protection contre des partis pris, des préjugés personnels ou tout favoritisme et, d’autre part, à l’assurance d’une impression d’impartialité donnée à un observateur raisonnable. Le Comité relève qu’il n’a pas été démontré une quelconque ingérence des pouvoirs publics dans l’instance, même si à l’époque des faits, les juges des juridictions ordinales étaient élus.Il relève également qu’au vu des éléments qui lui sont soumis par l’auteur, il ne lui est pas possible de conclure, au-delà de simples affirmations ou suppositions, que les juridictions saisies par l’auteur n’étaient pas indépendantes ou impartiales. Le Comité observe en outre que les allégations avancées par l’auteur selon lesquelles des membres des juridictions saisies auraient pris part à l’initiative de la plainte ainsi qu’aux décisions prises à son égard manquent de preuves, alors même que leur absence est établie par le procès-verbal produit par les instances juridictionnelles à cet effet. Le Comité relève en outre que, si l’auteur soulève des problèmes systémiques ayant rapport au fonctionnement des juridictions ordinales en France, il n’a pas soumis suffisamment d’éléments pour montrer in concreto en quoi ses droits ont été violés au titre de l’article 14 (par.1) du Pacte.

9.5En ce qui concerne le défaut de publicité des audiences au sens de l’article 14 (par. 1) du Pacte, le Comité note que l’auteur fait valoir que la séance en première instance ainsi que celle en appel se sont déroulées dans des locaux privés, non accessibles au public et qu’il fallait avoir un code d’entrée pour y accéder. Le Comité prend note de l’argument de l’auteur selon lequel, avant les audiences relatives à son affaire, les rôles de l’audience n’étaient pas accessibles au public. Il prend note toutefois de l’argument de l’État partie selon lequel la nécessité d’avoir un code pour accéder au local de la chambre disciplinaire de première instance n’entache pas le caractère public de l’audience. Le Comité prend note également des arguments de l’État partie qui fait valoir qu’en appel, le local de la Chambre disciplinaire nationale était muni d’un interphone, qu’un ou une secrétaire assurait la permanence dans ledit local, les locaux étant toujours accessibles du début à la fin de l’audience, et que, dans les deux cas, les rôles des audiences étaient affichés huit jours auparavant.

9.6Le Comité rappelle l’obligation de la publicité des audiences, qui assure la transparence de la procédure et constitue une importante sauvegarde dans l’intérêt de l’individu et de toute la société. Il rappelle également qu’en vue de satisfaire aux exigences de l’article 14 (par. 1) du Pacte, le tribunal doit permettre au public de s’informer de la date et du lieu de l’audience et fournir les moyens matériels permettant aux personnes intéressées d’y assister, dans des limites raisonnables, compte tenu notamment de l’intérêt éventuel du public pour l’affaire, de la durée de l’audience et de la date à laquelle il a été formellement demandé que l’audience soit publique. Le Comité observe qu’en l’espèce, il n’a pas été interdit aux intéressés, et en particulier à l’auteur, qui s’est fait représenter par son conseil au cours de la deuxième audience du 13 octobre 2011, de prendre part aux différentes audiences dont les procès-verbaux ont attesté la publicité, laquelle, à l’époque, ne semble pas avoir été contestée par l’auteur. Il relève que l’auteur n’a pas fait la preuve de l’inobservance de l’affichage du rôle huit jours avant les audiences, aussi bien en première instance qu’en appel. Le Comité relève également que l’auteur n’a pas démontré que l’accès aux salles d’audience avait été refusé à ses amis ou à ses proches, ou à toute autre personne qui pouvait être intéressée par l’instance.

9.7Au vu de ce qui précède, le Comité estime que l’auteur n’a pas démontré en quoi les différentes audiences ayant mené à sa condamnation impliquaient une violation de l’article 14 (par. 1) du Pacte. Le Comité conclut donc qu’au vu des faits dont il est saisi, il ne peut pas conclure à une violation des droits que l’auteur tient de l’article 14 (par. 1), lu seul et conjointement avec l’article 2 (par. 3) du Pacte.

10.Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi ne font apparaître aucune violation par l’État partie des droits que l’auteur tient de l’article 14 (par. 1), lu seul et conjointement avec l’article 2 (par. 3) du Pacte.