Nations Unies

CCPR/C/137/D/2748/2016

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

15 juin 2023

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Décision adoptée par le Comité au titre du Protocole facultatif, concernant la communication no 2748/2016 * , **

Communication soumise par :A. B. (représenté par un conseil, Niels-Erik Hansen)

Victime(s) présumée(s) :A. B.

État partie :Danemark

Date de la communication :8 mars 2016 (date de la lettre initiale)

Références :Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 14 mars 2016 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision :22 mars 2023

Objet :Expulsion du Danemark vers le Pakistan

Question(s) de procédure :Épuisement des recours internes ; fondement des griefs

Question(s) de fond :Non-refoulement ; droit à la vie ; torture et mauvais traitements

Article(s) du Pacte :6, 7 et 13

Article(s) du Protocole facultatif :2 et 5 (par. 2 b))

1.1L’auteur de la communication est A. B., de nationalité pakistanaise, né le 10 mai 1983. Le Danemark ayant rejeté sa demande d’asile, il risque d’être renvoyé de force au Pakistan. Il soutient que ce renvoi violerait les droits qu’il tient des articles 6 et 7 du Pacte, car il estime qu’au Pakistan sa vie serait en danger et il risquerait d’être persécuté. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 23 mars 1976. L’auteur est représenté par un conseil.

1.2Le 14 mars 2016, en application de l’article 94 de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire de ses Rapporteurs spéciaux chargés des nouvelles communications et des mesures provisoires, a demandé à l’État partie de ne pas expulser l’auteur vers le Pakistan tant que la communication serait à l’examen.

1.3Le 17 août 2016, l’État partie a demandé au Comité de suspendre l’examen de la communication, la Commission danoise de recours des réfugiés ayant décidé, le 16 août 2016, de réexaminer la demande d’asile de l’auteur. Le 22 août 2016, le conseil de l’auteur a accepté la demande de suspension de l’État partie. Le 28 octobre 2016, le Comité, agissant par l’intermédiaire de ses Rapporteurs spéciaux chargés des nouvelles communications et des mesures provisoires, a décidé de suspendre l’examen de la communication jusqu’à nouvel ordre.

1.4Le 14 mars 2017, le conseil de l’auteur a demandé au Comité de reprendre l’examen de la communication étant donné que, le 28 novembre 2016, la Commission de recours des réfugiés avait confirmé sa décision du 1er mars 2016 et rejeté la demande d’asile de l’auteur. L’État partie n’a pas émis d’objection. Le 4 avril 2017, le Comité, agissant par l’intermédiaire de ses Rapporteurs spéciaux chargés des nouvelles communications et des mesures provisoires, a décidé de reprendre l’examen.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur, de confession chrétienne, possédait et gérait un cybercafé à Akora Khattak (Pakistan) jusqu’en 2009. Il avait reçu des lettres de menace envoyées par l’école coranique locale dans lesquelles il était dit que son cybercafé enfreignait la charia et était donc illégal. Le 12 mars 2009, une bombe a explosé dans le cybercafé, à la suite de quoi l’auteur a décidé de déménager avec sa famille à Peshawar. Il était membre de l’église de Tous-les-Saints à Peshawar et faisait partie d’un petit groupe de personnes qui participaient à l’entretien et au fonctionnement de l’église. Le 22 septembre 2013, deux attentats-suicides ont été commis devant l’église après la messe, causant la mort de nombreuses personnes. L’auteur a survécu car il se trouvait à l’intérieur de l’église au moment des attentats. Il a porté assistance aux personnes blessées jusque tard dans la nuit.

2.2Après les attentats, l’auteur a commencé à mettre au point un plan pour que des fidèles montent la garde à l’église. En conséquence, il a reçu plusieurs menaces anonymes par SMS. Le 16 mars 2014, alors qu’ils gardaient l’église avant la messe, l’auteur et l’un de ses amis ont été attaqués par des inconnus qui ont tiré depuis une voiture. L’ami de l’auteur, touché, est décédé. Le lendemain, l’auteur a reçu un appel d’un inconnu qui lui a dit qu’il avait eu de la chance cette fois mais que ce ne serait pas le cas la prochaine fois.

2.3Le 30 juin 2014, l’auteur a fui le Pakistan et a rejoint le Danemark, où il a demandé l’asile le 7 août 2014, à son arrivée dans le pays. Le 30 octobre 2015, le Service de l’immigration a rejeté la demande d’asile de l’auteur. Ce dernier a déposé un recours contre cette décision auprès de la Commission de recours des réfugiés qui, le 1er mars 2016, l’a rejeté au motif que les événements décrits par l’auteur reflétaient les conditions généralement difficiles dans lesquelles vivaient les chrétiens au Pakistan. La Commission de recours des réfugiés a conclu que l’auteur n’était pas personnellement visé par la fusillade, étant donné qu’il ne semblait pas avoir un profil particulier ni jouer un rôle de premier plan dans la congrégation, que personne ne lui avait jamais rendu visite dans le cadre de ses activités religieuses et qu’il n’avait jamais fait l’objet de menaces ou d’agressions, à l’exception de quelques menaces reçues par SMS. Elle a ajouté que l’attentat à la bombe commis dans le cybercafé de l’auteur en 2009 ne pouvait justifier à lui seul des mesures d’asile ou de protection, étant donné que l’auteur avait lui-même expliqué que l’attaque était dirigée contre les activités du cybercafé et avait eu lieu la nuit alors que personne n’était présent. L’auteur n’avait pas reçu de lettre de menace ni fait l’objet d’actions similaires après l’explosion. La Commission des réfugiés a conclu que la situation générale des chrétiens au Pakistan ne pouvait pas conduire à une conclusion différente et qu’on ne pouvait donc pas déduire du départ de l’auteur que celui-ci avait été persécuté et risquerait d’être persécuté à son retour au Pakistan. La Commission de recours des réfugiés lui a ordonné de quitter le pays au plus tard le 8 mars 2016, faute de quoi il risquait d’être expulsé de force vers le Pakistan.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que son expulsion vers le Pakistan violerait les droits qu’il tient des articles 6 et 7 du Pacte. Il fait valoir que la religion est l’un des motifs donnant droit à une protection au titre de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés ainsi qu’au titre du Pacte. Il affirme que les fondamentalistes religieux au Pakistan persécutent activement la minorité chrétienne et qu’aucune enquête policière n’a été menée après la plainte qu’il avait déposée après l’attentat à la bombe commis dans les locaux de son entreprise en 2009. Il affirme également être victime de persécutions en ce que l’État manque de manière continue ou systématique à son obligation de protection. Sa situation n’ayant pas changé depuis son départ, l’auteur affirme qu’il n’y a aucune raison de croire qu’il bénéficierait d’une quelconque protection de l’État contre des attaques potentielles à son retour au Pakistan. Il affirme également que l’État partie a l’obligation de ne pas l’expulser vers le Pakistan, où il risque d’être privé de sa liberté de religion, d’être tué ou de subir des formes graves de mauvais traitements. Il dénonce en outre une violation des droits qu’il tient de l’article 13 du Pacte, étant donné que la décision rendue à son sujet n’est pas susceptible de recours en application de la législation de l’État partie. Il affirme que d’autres personnes dont la demande avait été rejetée par la Commission des réfugiés ne se trouvent pas dans l’impossibilité de former un recours devant les juridictions de droit commun de l’État partie.

3.2L’auteur affirme avoir épuisé tous les recours internes disponibles puisque les décisions de la Commission de recours des réfugiés ne sont pas susceptibles de recours devant les tribunaux danois, en application de la loi sur les étrangers. Il affirme en outre que cette affaire n’a été soumise à aucun autre mécanisme international de plainte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une note verbale datée du 2 octobre 2017, l’État partie a fait part de ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication. Tout d’abord, il indique que, le 16 mars 2016, après que le Comité a enregistré la communication et lui a demandé de ne pas renvoyer l’auteur au Pakistan, la Commission des recours des réfugiés a suspendu jusqu’à nouvel ordre le délai fixé pour le départ de l’intéressé.

4.2L’État partie indique que, le 16 août 2016, la Commission de recours des réfugiés, après réexamen du dossier, a décidé de rouvrir celui-ci en vue d’une audience devant une nouvelle formation. Le 28 novembre 2016, la Commission de recours des réfugiés a de nouveau rejeté la demande d’asile de l’auteur, au motif que celui-ci avait donné des réponses hésitantes et évasives concernant plusieurs détails et avait fait en sorte de ne pas donner d’informations précises sur sa situation personnelle en mettant l’accent sur les difficultés générales rencontrées par les chrétiens au Pakistan. Par exemple, elle a considéré que, concernant la fusillade du 16 mars 2014, les déclarations de l’auteur sur l’endroit où il se trouvait au moment des faits et sur le nombre de coups tirés étaient évasives. L’État partie fait valoir que la Commission de recours des réfugiés a en outre relevé plusieurs incohérences dans les informations que l’auteur avait communiquées au Service danois de l’immigration le 21 août 2015, notamment sur la question de savoir si les gardes de l’église étaient armés et s’il était rentré chez lui après la fusillade. La Commission de recours des réfugiés a en outre noté que l’église de Tous-les-Saints affirmait, dans une déclaration écrite, que les menaces perpétrées contre l’auteur avaient été signalées à la police, alors que l’auteur avait déclaré le contraire lors de son audience devant la Commission le 28 novembre 2016. Elle a accordé foi à la déclaration de l’auteur concernant l’attaque perpétrée contre l’église en 2013 et concernant son appartenance religieuse. Elle a noté que l’auteur n’avait pas eu de problèmes entre l’attentat à la bombe visant son café et les attaques de septembre 2013. Toutefois, au vu de son appréciation globale, elle n’a pas considéré qu’il avait été établi que l’auteur avait été victime d’une fusillade le 16 mars 2014 ni qu’il avait reçu des menaces. Elle a conclu que, compte tenu des informations générales concernant les conditions généralement difficiles dans lesquelles vivent les chrétiens au Pakistan et des événements de 2009 et 2013, dont on ne pouvait considérer qu’ils visaient précisément et personnellement l’auteur, il n’était pas possible d’envisager comme probable l’existence d’un risque réel et concret que l’auteur soit victime de persécutions à son retour au Pakistan. Par conséquent, elle a maintenu sa décision de rejeter la demande d’asile de l’auteur.

4.3L’État partie note que l’auteur n’a pas commenté la décision rendue par la Commission de recours des réfugiés le 28 novembre 2016 et n’a pas fourni de nouvelles informations particulières sur sa situation personnelle ni sur les motifs de sa demande d’asile. Il affirme que la communication devrait être considérée comme irrecevable pour défaut manifeste de fondement. Il soutient qu’il n’y a pas de motifs sérieux de croire que l’auteur risquerait d’être soumis à des peines ou à des traitements inhumains ou dégradants s’il était renvoyé au Pakistan. Il considère que l’auteur n’a, par conséquent, pas démontré à première vue la recevabilité de sa communication au regard de l’article 99 (anciennement art. 96) du règlement intérieur du Comité.

4.4En ce qui concerne le fond des griefs que l’auteur tire des articles 6 et 7 du Pacte, l’État partie rappelle la jurisprudence du Comité dont il ressort qu’un poids important doit être accordé à l’appréciation faite par l’État partie et qu’il appartient généralement aux organes des États parties d’examiner les faits et les éléments de preuve et de déterminer l’existence d’un risque, sauf s’il peut être établi que leur appréciation a été de toute évidence arbitraire, manifestement entachée d’erreur ou a représenté un déni de justice. L’État partie soutient que l’auteur n’a pas établi que l’appréciation faite par la Commission de recours des réfugiés était arbitraire, qu’elle était manifestement entachée d’erreur ou qu’elle représentait un déni de justice. Il affirme que l’auteur n’a pas mis en évidence une quelconque irrégularité dans le processus décisionnel ni démontré l’existence de facteurs de risque dont la Commission n’aurait pas dûment tenu compte.

4.5L’État partie soutient que la communication ne fait que refléter le désaccord de l’auteur avec la Commission de recours des réfugiés en ce qui concerne l’appréciation qui a été faite de sa situation particulière et avec les informations générales dont elle dispose. Il considère que l’auteur se sert du Comité comme d’un organe d’appel pour qu’il soit procédé à une nouvelle appréciation des faits figurant dans sa demande d’asile. Il souligne que le dossier de l’auteur a déjà été examiné par deux instances au Danemark et à deux reprises par la Commission de recours des réfugiés. Il soutient que, avant que la Commission de recours des réfugiés ne rende sa décision finale, l’auteur avait eu la possibilité, lors de deux audiences différentes devant la Commission, d’exposer son opinion, tant par écrit qu’oralement et avec l’assistance d’un conseil. Il ajoute que la Commission a procédé à un examen approfondi de toutes les informations disponibles, notamment la communication soumise par l’auteur au Comité.

4.6L’État partie réaffirme que, conformément à la jurisprudence du Comité, la Commission de recours des réfugiés a évalué si les déclarations de l’auteur étaient cohérentes, vraisemblables et logiques et a conclu que les motifs invoqués dans sa demande d’asile ne semblaient pas crédibles. L’État partie souligne en outre que l’auteur s’est contredit dans ses déclarations, et dit partager l’avis de la Commission de recours des réfugiés qui, bien qu’acceptant comme des faits établis les événements survenus jusqu’en 2013, y compris l’attaque de l’église, a considéré que ces circonstances ne pouvaient justifier la délivrance d’un permis de séjour.

4.7L’État partie soutient en outre que la Commission de recours des réfugiés a apprécié les risques de persécution encourus par l’auteur à la lumière des informations générales actuellement disponibles sur le Pakistan et a évalué si ces risques constituaient une violation des droits que l’intéressé tient des articles 6, 7 et 13 du Pacte. Il affirme que la Commission s’est appuyée sur un rapport relatif à la situation des chrétiens au Pakistan publié par le Ministère de l’intérieur du Royaume-Uni, dont il ressort que de nombreux chrétiens vivent dans le pays et que, même s’ils ont été visés par quelques actes de violence, ils ne sont généralement pas exposés à un risque réel de persécution ou de traitements inhumains ou dégradants. Dans le même rapport, il est indiqué que, pour ce qui de la protection dont ils pourraient effectivement bénéficier, dans de nombreux cas les autorités ne peuvent pas ou ne veulent pas protéger les chrétiens ni traduire les responsables d’infraction en justice. Dans un rapport du Bureau européen d’appui en matière d’asile mis à la disposition de la Commission de recours des réfugiés, il est indiqué qu’un groupe militant avait revendiqué l’attaque perpétrée contre l’église de Tous-les-Saints, en précisant l’avoir commise en représailles d’attaques de drones menées par les États-Unis d’Amérique. L’État partie renvoie en outre à un rapport publié par le Département d’État américain, dans lequel il est indiqué que la Constitution du Pakistan reconnaît la liberté d’expression et que la Cour suprême du pays a ordonné l’indemnisation des familles des victimes de l’attentat à la bombe perpétré contre l’église de Tous-les-Saints de Peshawar. Dans le rapport, il est également indiqué que le Gouvernement pakistanais a annoncé la création d’un conseil national pour les minorités comprenant des représentants chrétiens, hindous, musulmans et sikhs.

4.8L’État partie fait observer que la Commission de recours des réfugiés a examiné la situation générale des chrétiens au Pakistan et a conclu que l’appartenance de l’auteur à la religion chrétienne ne pouvait, à elle seule, justifier la délivrance d’un permis de séjour au titre de l’article 7 de la loi sur les étrangers. Il rappelle que la décision de la Commission a été prise à l’issue d’une procédure au cours de laquelle l’auteur avait eu la possibilité d’exposer son opinion et d’être assisté d’un conseil.

4.9En ce qui concerne le grief que l’auteur tire de l’article 13 du Pacte, l’État partie note qu’il s’agit d’un grief que le conseil de l’auteur soulève souvent dans les communications soumises au Comité. Il renvoie à la jurisprudence du Comité, dont il ressort que l’article 13 ne confère pas le droit de faire appel ni le droit d’être entendu par un tribunal. Il renvoie également aux constatations du Comité concernant une communication soumise par le conseil de l’auteur, dans lesquelles le Comité avait conclu que les griefs soulevés au titre de l’article 13 étaient irrecevables pour défaut de fondement, après avoir relevé que l’auteur avait eu la possibilité de soumettre et de contester des éléments de preuve et que sa demande d’asile avait été examinée, puis réexaminée par la Commission de recours des réfugiés.

4.10Concernant la demande de mesures provisoires présentée par l’auteur, l’État partie soutient que celui-ci n’a pas suffisamment étayé les griefs selon lesquels il risque de subir des préjudices irréparables s’il est renvoyé au Pakistan. En conséquence, il demande au Comité de reconsidérer l’adoption de mesures provisoires en l’espèce. Il rejette l’argument de l’auteur selon lequel le réexamen d’un dossier par la Commission de recours des réfugiés après la saisine d’une instance internationale peut justifier l’octroi de mesures provisoires et signifie que l’appréciation de la Commission est souvent erronée. Il soutient que des dossiers similaires ont été rouverts par la Commission de recours des réfugiés à la lumière de nouvelles informations essentielles. Il rappelle qu’en l’espèce l’auteur n’a soumis aucune information nouvelle et essentielle à la Commission.

4.11L’État partie réaffirme donc que la communication devrait être déclarée irrecevable au motif qu’elle est manifestement infondée et que l’auteur n’a pas établi qu’il y avait des motifs sérieux de croire que son retour au Pakistan constituerait une violation des articles 6, 7 et 13 du Pacte. Il réaffirme également que l’auteur a eu la possibilité de faire des observations et que le dossier a fait l’objet d’un examen approfondi.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1Le 14 mai 2018, le conseil de l’auteur a fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond de la communication.

5.2L’auteur confirme qu’aucune nouvelle information concernant sa situation personnelle ou les motifs de sa demande d’asile n’a été soumise et que, par conséquent, il croyait que la réouverture de son dossier par la Commission de recours des réfugiés visait à corriger une erreur de droit et à lui permettre d’obtenir une décision en sa faveur. Il ajoute qu’il n’a pu formuler de commentaires sur la décision rendue par la Commission de recours des réfugiés le 28 novembre 2016 qu’après en avoir reçu une traduction officielle.

5.3L’auteur affirme qu’il a été rudoyé par les membres de la Commission de recours des réfugiés au cours de l’audience et qu’on lui a posé environ 80 questions qui remettaient toutes en doute son récit. Il ne s’est pas senti écouté de manière neutre et objective car l’audience était extrêmement tendue et il subissait une pression considérable. Il affirme que les membres de la Commission de recours des réfugiés qui posaient les questions étaient les mêmes personnes que celles qui avaient statué sur son dossier. Pour ce qui est de l’appréciation de la Commission quant à la crédibilité du récit de l’auteur, en particulier concernant la fusillade du 16 mars 2014, il affirme qu’il ignorait que les faits avaient été signalés à la police, d’où la différence mineure relevée entre sa déclaration et celle de son église au Pakistan. La Commission de recours des réfugiés a, par la suite, rejeté sa demande tendant à ce que le Ministère des affaires étrangères contacte l’église au Pakistan pour confirmer cette information.

5.4L’auteur soutient que la décision rendue par la Commission de recours des réfugiés en novembre 2016 est encore pire que la première décision et présente les mêmes problèmes. Il fait valoir que cette décision entraîne de nouvelles violations du Pacte en ce qui concerne le droit d’être entendu équitablement dans le cadre de l’évaluation de décisions d’expulsion contraires aux articles 6 et 7 du Pacte. Il réaffirme donc que la communication devrait être déclarée recevable.

5.5Concernant le fond de la communication, l’auteur note que la Commission de recours des réfugiés a accordé foi à son récit. Toutefois, il conteste l’interprétation que la Commission fait des règles encadrant les procédures d’asile ainsi que les critères appliqués dans son cas, selon lesquels seuls certains membres de la minorité chrétienne du Pakistan présentant un profil particulier sont éligibles à une protection internationale. Il maintient donc que la décision de la Commission de recours des réfugiés constitue une violation des droits qu’il tient des articles 6 et 7 du Pacte. S’agissant du grief qu’il tire de l’article 13 du Pacte, il partage l’avis de l’État partie selon lequel, en l’espèce, il n’y a pas eu de violation des droits consacrés par cet article.

5.6L’auteur réaffirme que la Commission de recours des réfugiés a rejeté sa demande tendant à ce que le Ministère des affaires étrangères vérifie ses déclarations auprès de son église au Pakistan. Il se plaint en outre du caractère ouvertement agressif de l’interrogatoire qu’il a subi, qui l’a inévitablement amené à faire des erreurs. Il soutient que la décision de la Commission de recours des réfugiés de rouvrir son dossier après avoir reçu sa communication de la part du Comité n’était pas conforme au droit administratif danois, étant donné que cette réouverture n’était pas motivée par l’existence de nouvelles preuves ou informations ni par une erreur de droit de la part de la Commission mais visait à le « cuisiner » et à rendre une décision fondée sur le manque de crédibilité de son récit concernant les faits.

5.7L’auteur considère que son dossier prouve que la Commission de recours des réfugiés rend des décisions irrégulières et arbitraires, et que, en l’espèce, cela était intentionnel. Il demande au Comité de maintenir, par conséquent, les mesures provisoires.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1Le 14 septembre 2022, l’État partie a soumis des observations complémentaires. Il note que les commentaires de l’auteur ne contiennent pas de nouvelles informations essentielles donnant lieu à de nouveaux commentaires au sujet des griefs soulevés. Il maintient donc que la communication devrait être déclarée irrecevable au motif qu’elle est manifestement infondée et que l’auteur n’est pas parvenu à établir qu’il y avait des motifs sérieux de croire que son retour au Pakistan constituerait une violation des articles 6 et 7 du Pacte. Il maintient également que le grief que l’auteur tire de l’article 13 est manifestement infondé et devrait lui aussi être déclaré irrecevable.

6.2L’État partie note que l’auteur a soulevé un grief supplémentaire concernant une violation de son droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et le manque d’impartialité et d’objectivité de la décision rendue par la Commission de recours des réfugiés le 28 novembre 2016. Il soutient que ce grief n’a pas été soulevé devant des juridictions internes et devrait donc être déclaré irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes. Il soutient également que l’auteur aurait pu porter son grief relatif aux problèmes juridiques concernant la décision de la Commission devant les juridictions internes au titre de l’article 63 de la Constitution du Danemark, qui donne compétence aux tribunaux pour examiner la légalité des décisions administratives, y compris au titre des obligations internationales de l’État partie. L’État partie soutient également que ce grief particulier est manifestement infondé et devrait être déclaré irrecevable en application de l’article 99 (al. b)) du règlement intérieur du Comité.

6.3L’État partie indique que, depuis le 27 mai 2022, l’auteur est enregistré comme absent du lieu d’hébergement qui lui a été assigné. Il est en outre préoccupé par le délai de traitement de l’affaire, qui peut maintenir l’auteur dans l’incertitude pendant une période prolongée et rendre la décision finale de rejet plus pénible encore, et qui crée également des obligations à long terme pour l’État partie.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes en ce qui concerne le grief qu’il tire des articles 6 et 7 du Pacte concernant la violation de son droit d’être entendu équitablement et le manque d’impartialité et d’objectivité de la décision rendue par la Commission de recours des réfugiés le 28 novembre 2016 dans le cadre de sa demande d’asile. Il note que l’État partie indique que la légalité des décisions administratives peut être contestée devant les juridictions internes en application de l’article 63 de la Constitution du Danemark et que l’auteur n’a pas exercé ce recours. Il note également que l’auteur a soulevé ce grief pour la première fois dans ses commentaires sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond de la communication et qu’il n’a pas démontré qu’il l’avait porté devant les juridictions internes. Renvoyant à sa jurisprudence, il rappelle que, même s’il n’existe pas d’obligation d’épuiser les recours internes lorsque ceux-ci n’ont aucune chance d’aboutir, les auteurs de communications doivent faire preuve de diligence pour exercer les recours disponibles. Le Comité déclare donc cette partie de la communication irrecevable au regard de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif.

7.4Le Comité note que l’auteur soutient qu’il serait soumis à des actes de torture ou à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, en violation des articles 6 et 7 du Pacte, s’il retournait au Pakistan, en raison de son appartenance à la religion chrétienne, étant donné que, selon lui, au Pakistan, des fondamentalistes religieux persécutent activement la minorité chrétienne. Il relève que l’auteur soutient que l’interprétation faite par la Commission de recours des réfugiés des règles encadrant les procédures d’asile est erronée et est contraire aux articles 6 et 7 du Pacte et qu’il a été persécuté en raison de sa religion, ce qui est l’un des motifs donnant droit à une protection en vertu de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés comme en vertu du Pacte. Le Comité note que l’auteur affirme que, avant son départ du Pakistan, l’église qu’il fréquentait a été la cible d’attaques, à savoir deux attentats-suicides et une fusillade, et qu’il a reçu plusieurs menaces anonymes par SMS et un appel téléphonique au cours duquel on lui a dit qu’il avait eu « de la chance cette fois ». Il prend acte des informations générales fournies par l’auteur concernant les risques auxquels sont exposés les chrétiens au Pakistan.

7.5En outre, le Comité note que l’État partie conteste la recevabilité de la communication au motif que les griefs tirés des articles 6 et 7 du Pacte sont manifestement dénués de fondement. Il note que l’État partie soutient que l’auteur n’a pas suffisamment étayé son grief selon lequel la décision de la Commission de recours des réfugiés est entachée d’une irrégularité de procédure constitutive d’une erreur manifeste. Il note que l’État partie fait sienne l’appréciation de la Commission de recours des réfugiés qui, bien qu’accordant foi à certains éléments de ses déclarations, a conclu qu’il n’avait pas établi qu’il y avait des motifs sérieux de croire que, s’il devait retourner au Pakistan, il courrait un risque personnel concret et réel de préjudice irréparable, en l’occurrence d’être tué ou soumis à des actes de torture ou à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

7.6Le Comité rappelle le paragraphe 12 de son observation générale no 31 (2004) sur la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte, dont il ressort que les États parties ont l’obligation de ne pas extrader, déplacer ou expulser une personne de leur territoire ou la transférer par d’autres moyens s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque réel de préjudice irréparable tel que celui envisagé aux articles 6 et 7 du Pacte. Il rappelle également sa jurisprudence, dont il ressort que le risque doit être personnel et qu’il faut des motifs sérieux pour conclure à l’existence d’un risque réel de préjudice irréparable. C’est pourquoi tous les faits et circonstances pertinents doivent être pris en considération, y compris la situation générale des droits de l’homme dans le pays d’origine de l’auteur.

7.7Le Comité rappelle qu’il appartient généralement aux juridictions des États parties au Pacte d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans une affaire pour déterminer si un tel risque existe, sauf s’il peut être établi que l’appréciation a été arbitraire ou manifestement entachée d’erreur, ou qu’elle a représenté un déni de justice.

7.8En l’espèce, le Comité note que, même si la Commission de recours des réfugiés n’a pas contesté le récit de l’auteur concernant les faits survenus jusqu’en 2013, y compris l’attaque perpétrée contre l’église que celui-ci fréquentait, elle a relevé plusieurs contradictions et incohérences dans son récit. À cet égard, il note que la Commission a relevé que l’auteur avait donné des réponses hésitantes et évasives concernant plusieurs détails et avait fait en sorte de ne pas donner d’informations précises sur sa situation personnelle. Il note, par exemple, que la Commission a considéré que, concernant la fusillade du 16 mars 2014, les déclarations de l’auteur sur l’endroit où il se trouvait au moment des faits et sur le nombre de coups tirés étaient évasives et qu’elles contenaient des incohérences quant à la question de savoir si les gardes de l’église étaient armés et s’il était rentré chez lui après la fusillade. Il note également que la Commission a relevé que les informations fournies par l’auteur sur la question de savoir si les menaces qu’il avait reçues avaient été signalées à la police contredisaient celles données par l’église de Tous-les-Saints. Le Comité prend acte du raisonnement de la Commission, qui n’a pas accordé un poids décisif à des incohérences isolées mais a apprécié de manière globale les déclarations de l’auteur et les autres informations figurant dans le dossier.

7.9Le Comité considère que les informations dont il dispose indiquent que l’État partie a tenu compte non seulement des éléments de preuve présentés par l’auteur à l’appui de ses allégations, mais aussi d’autres éléments disponibles, tels que les informations concernant la situation des chrétiens au Pakistan, lorsqu’il a évalué le risque encouru par l’auteur et a néanmoins jugé, en raison de certaines incohérences dans ses déclarations, que l’auteur n’avait pas démontré qu’en cas de renvoi au Pakistan il courrait un risque réel et personnel de persécution qui justifierait que l’asile lui soit accordé. Il considère que, si l’auteur conteste les conclusions factuelles des autorités de l’État partie, les informations qui lui ont été soumises n’indiquent pas pour autant que ces conclusions étaient clairement arbitraires ou manifestement erronées ni qu’elles représentaient un déni de justice. En conséquence, sans préjudice de la responsabilité qui incombe toujours à l’État partie de prendre en considération la situation actuelle du pays vers lequel l’auteur serait expulsé, et sans sous-estimer les préoccupations que peut légitimement susciter la situation générale des droits de l’homme au Pakistan, en particulier pour ce qui est des chrétiens, le Comité considère que, à la lumière des informations disponibles sur la situation personnelle de l’auteur, les griefs qu’il tire des articles 6 et 7 du Pacte concernant le risque réel et personnel d’être persécuté ne sont pas suffisamment étayés et sont, par conséquent, irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.10Concernant le grief que l’auteur tire de l’article 13 du Pacte, le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel ce grief devrait également être déclaré irrecevable pour défaut de fondement. Il prend note également de l’argument de l’État partie selon lequel l’article 13 ne garantit pas le droit de faire appel ni le droit de faire entendre sa cause. Renvoyant à sa jurisprudence, il rappelle qu’il avait rejeté des allégations selon lesquelles la procédure spéciale d’asile au Danemark constituait une violation des droits consacrés par cet article. Il renvoie à sa jurisprudence selon laquelle l’article 13 offre aux demandeurs d’asile une partie de la protection garantie par l’article 14 du Pacte mais ne garantit pas le droit de former un recours devant des organes judiciaires. Il relève que l’auteur a eu la possibilité de soumettre et contester des éléments de preuve concernant sa demande d’asile. Il note que la demande d’asile de l’auteur a été examinée par le Service danois de l’immigration et réexaminée à deux reprises par la Commission de recours des réfugiés. Il note également que, dans ses commentaires sur les observations de l’État partie, l’auteur a décidé d’abandonner les griefs qu’il tirait de l’article 13, s’accordant avec l’État partie à dire qu’il n’y avait pas eu de violation des droits consacrés par cet article. Le Comité conclut donc que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ses griefs au titre de l’article 13 du Pacte aux fins de la recevabilité et déclare cette partie de la communication irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.En conséquence, le Comité décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur de la communication.