Nations Unies

CCPR/C/135/D/2825/2016

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

30 novembre 2022

Original : français

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2825/2016 * , **

Communication présentée par :

Jean Emmanuel Kandem Foumbi (représenté par un conseil, William Woll)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteur

État partie :

Cameroun

Date de la communication :

5 février 2016 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 10 novembre 2016 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

13 juillet 2022

Objet :

Procédure pénale pour escroquerie ; arrestation et détention arbitraires

Question(s) de procédure :

Abus de droit ; épuisement des recours internes ; griefs non étayés

Question(s) de fond :

Droit à un recours utile ; peine ou traitement cruel, inhumain ou dégradant ; détention arbitraire ; emprisonnement pour non-exécution d’une obligation contractuelle ; immixtion arbitraire dans la vie de famille

Article(s) du Pacte :

2 (par.3 a)), 7, 9, 10,11, 12, 14 (par. 1, 3 et 5) et 17

Article(s) du Protocole facultatif :

2, 3 et 5 (par. 2)

1.1L’auteur de la communication est Jean Emmanuel Kandem Foumbi, un ressortissant français né le 17 janvier 1970 à Mbo-Bandjoun, au Cameroun. Il affirme être victime d’une violation par l’État partie de ses droits au titre des articles 7, 9, 10, 11, 12, 14 et 17 du Pacte, lus seuls et conjointement avec l’article 2 (par. 3 a)). Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 27 septembre 1984. L’auteur est représenté par un conseil.

1.2Le 28 octobre 2014, à sa 112e session, le Comité a examiné la recevabilité d’une communication de l’auteur, datée du 18 novembre 2013 et s’appuyant sur les mêmes faits, et l’a déclarée irrecevable. Dans la mesure où elle soulevait des questions concernant les articles 1er, 2, 4, 5, 6, 7, 9, 10, 11, 12, 14 et 15 du Pacte, le Comité a conclu : a) que les recours internes n’avaient pas été épuisés quant aux griefs de violations tirés de l’article 9 (par. 1 et 4) du Pacte concernant l’arrestation, la garde à vue et la détention de l’auteur, prétendument illégales et arbitraires, de l’article 14 (par. 3 c)) relatifs à la durée excessive des procédures internes en matière d’habeas corpus, ainsi que des articles 7 et 10 du Pacte concernant les conditions inhumaines de sa détention pendant la période de sa garde à vue ; b) que l’auteur n’avait pas suffisamment étayé son allégation de traitement inhumain en violation des articles 7 et 10 du Pacte basée sur la détérioration de son état de santé, en raison du refus des autorités de lui permettre d’accéder à une prise en charge médicale adaptée ; c) que ses allégations de violation des articles 11 et 12 du Pacte – dans la mesure où l’auteur considérait avoir été emprisonné pour manquement à une obligation contractuelle – ainsi que son grief relatif à la protection de son droit à la propriété intellectuelle étaient incompatibles ratione materiae avec les droits consacrés par le Pacte ; et d) que ses allégations relatives aux violations des articles 1er, 2, 4 (par. 2), 5 (par. 2), 6, 14 (par. 1 et 2) et 15 (par. 1) n’étaient pas suffisamment étayées. Pour plus de précisions sur les faits, la teneur de la plainte, les observations et commentaires des parties concernant la recevabilité de ladite communication et les délibérations du Comité, on se reportera à la décision d’irrecevabilité.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur a développé, entre mars 2006 et décembre 2007, un nouveau concept de transfert d’argent appelé « Transfert Services », une solution de substitution aux transferts d’argent créée autour d’une plateforme informatique intégrée qui met en réseau des entreprises locales. Transfert Services permet aux résidents occidentaux originaires de pays en développement de pourvoir directement aux besoins de leurs proches en leur donnant accès à des biens ou services par l’intermédiaire de la plateforme informatique. Entre 2008 et 2009, l’auteur a créé la start-up Hope Finance afin de développer cette plateforme, dont les activités ont été dédiées aux diasporas jusqu’en 2010.

2.2Comme d’autres États d’Afrique, l’État partie s’est montré intéressé par cette invention et a signé, le 22 juillet 2011, avec la société dirigée par l’auteur, un contrat qui prévoyait, une fois opérationnelle la plateforme destinée au Cameroun, la mise en place d’une délégation de service public qui aurait assuré à l’auteur des revenus à hauteur de plusieurs centaines de millions d’euros.

2.3Fin avril 2013, l’auteur s’est donc rendu au Cameroun à l’invitation officielle du Ministre camerounais de l’économie pour négocier les termes du contrat. Après plusieurs jours de négociation, les parties ont échoué à se mettre d’accord et, le 8 mai 2013, ont décidé de se revoir ultérieurement. Le 9 mai 2013, l’auteur s’est rendu à l’aéroport pour rentrer chez lui, en France. Sur place, la police camerounaise lui a confisqué son passeport juste avant son embarquement et lui a demandé de se présenter, le lendemain, au commissariat de Douala.

2.4Le 10 mai 2013, au commissariat, l’auteur a été mis en garde à vue. On l’a informé que des hommes d’affaires, dont le Directeur général adjoint de sa propre société, allaient arriver d’Europe pour porter plainte contre lui pour escroquerie. Cinq plaintes ont ensuite été déposées contre lui par des personnes avec lesquelles l’auteur entretenait des relations d’affaires. À l’issue de sa garde à vue, qui a duré douze jours, l’auteur a été placé en détention pour escroquerie, sur la base de quatre mandats de détention provisoire délivrés à son égard à la suite de ces plaintes. Par deux jugements rendus les 26 mars et 2 mai 2014 par le même juge unique du tribunal de première instance de Douala-Bonanjo, l’auteur a été condamné à respectivement dix-huit et vingt-quatre mois de prison ferme pour escroquerie. Le plaignant dans le premier procès s’est présenté comme témoin à charge dans le deuxième procès. L’auteur a fait appel contre les deux jugements, qui sont toujours pendants. Pour ce qui est des trois autres plaintes contre l’auteur, elles n’ont fait l’objet d’aucun traitement judiciaire, même si elles ont donné lieu à la délivrance de deux mandats de détention provisoire.

2.5Le 18 juillet 2013, l’auteur a déposé une requête en habeas corpus dans laquelle il contestait son arrestation, sa garde à vue et sa détention, les considérant comme illégales. Par ordonnance du 18 septembre 2013, le tribunal de grande instance du Wouri a rejeté la requête et constaté que l’arrestation et la garde à vue de l’auteur avaient été faites dans le respect des règles qui les régissent, que sa garde à vue avait duré soixante-douze heures, compte tenu de la prorogation signée par le Procureur, et que sa détention provisoire se justifiait du fait qu’il était poursuivi pour des délits et ne disposait d’aucun domicile au Cameroun. Le 8 novembre 2013, la cour d’appel a rejeté l’appel de l’auteur au motif que la libération immédiate aurait pu être ordonnée si la détention de l’auteur se fondait uniquement sur le mandat de détention provisoire décerné par le juge d’instruction du tribunal de grande instance du Wouri, daté du 27 juin 2013, dans la mesure où celui-ci ne précisait pas la durée de sa validité et n’était pas suivi d’une ordonnance motivant la décision de placement en détention provisoire. La cour a toutefois rappelé que l’auteur faisait aussi l’objet d’un mandat de détention provisoire régulièrement décerné par le Procureur du tribunal de première instance de Douala-Bonanjo. Le 16 juillet 2015, la Cour suprême du Cameroun a rejeté le pourvoi en cassation de l’auteur.

2.6Après vingt-trois mois de prison, le vendredi 13 février 2015 à 22 heures, le régisseur de la prison centrale de Douala a rendu visite à l’auteur pour lui apprendre qu’il était libéré sur-le-champ. Le bulletin de levée d’écrou daté du 16 février 2015 donne pour motif à cette libération l’« expiration » de la peine du détenu, mais l’auteur fait valoir que c’est grâce à l’intervention des plus hautes autorités françaises – diplomatiques et politiques – qu’il a pu ainsi regagner la France.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur soulève des violations des articles 7, 9, 10, 11, 12, 14 et 17 du Pacte, lus seuls et conjointement avec l’article 2 (par. 3 a)).

3.2L’auteur fait valoir que les conditions difficiles de sa détention et leur impact sur son état de santé font apparaître une violation des articles 7 et 10 du Pacte. Il ajoute qu’aujourd’hui, de retour en France, il continue à souffrir de mobilité réduite et d’une perte quasi totale de la vue à l’œil droit.

3.3L’auteur fait noter que sa garde à vue a duré douze jours – du 10 au 22 mai 2013 – bien que la loi camerounaise impose une durée maximale de six jours, ce qui est en violation de l’article 9 (par. 1) du Pacte. En outre, son arrestation et sa détention ont été arbitraires, puisque le seul objectif était de mettre la main sur son innovation.

3.4L’auteur fait valoir que son recours en habeas corpus n’a été examiné que le 18 septembre 2013, soit quatre mois après son arrestation, le 10 mai 2013. Puisque la légalité de sa détention n’a pas été examinée « sans délai » par un juge, il y a eu violation de l’article 9 (par. 4) du Pacte.

3.5L’auteur invoque l’article 11 du Pacte pour expliquer que même si les dettes envers des tiers existaient bel et bien, elles n’auraient jamais dû donner lieu à un emprisonnement. En réalité, l’auteur a été condamné sur ordre de l’exécutif camerounais afin de permettre à l’État partie de le « dépouiller de son invention ».

3.6Par rapport à l’article 12 (par. 2) du Pacte, l’auteur fait valoir qu’à cause de sa détention, il ne pouvait pas quitter le Cameroun afin de regagner son domicile français.

3.7L’auteur estime que l’article 14 (par. 1) du Pacte a été doublement violé en l’absence d’impartialité objective du tribunal qui a jugé les deux plaintes contre lui, et en raison du caractère arbitraire des deux jugements. D’abord, l’auteur rappelle qu’il a été condamné par le même juge dans les deux affaires, ce qui fait que le juge a eu une idée préconçue sur lui en statuant sur la deuxième affaire. Ensuite, il rappelle que selon la jurisprudence du Comité, dans le cas où l’application du droit interne est clairement arbitraire ou erronée, le Comité s’estime compétent. Il soutient que la plainte déposée contre lui et jugée le 26 mars 2014 était une fausse application du droit interne camerounais, et que dans la deuxième plainte jugée le 2 mai 2014, une société qui n’a rien à voir avec l’auteur a été accusée d’un défaut de paiement. L’auteur conteste le fait que le plaignant dans le premier procès s’est présenté comme témoin au deuxième procès. En outre, il note que le juge unique qui a jugé les deux plaintes contre lui a bénéficié d’une promotion le 18 décembre 2014, puisqu’il est désormais Procureur de la République de Douala. Il conclut que les deux condamnations étaient arbitraires et constituent une violation de l’article 14 (par. 1) du Pacte.

3.8Invoquant l’article 14 (par. 3 et 5) du Pacte, l’auteur s’estime victime d’une violation du droit d’être jugé par une juridiction supérieure sans retard excessif, puisque les appels qu’il a déposés contre ses deux condamnations n’ont pas encore été résolus.

3.9L’auteur affirme que lorsqu’elles l’ont arrêté et condamné pour escroquerie sans la moindre preuve, les autorités camerounaises ont bafoué sa réputation et son image dans le monde des affaires, dans les médias et en ligne, ce qui est contraire à l’article 17 du Pacte.

3.10Enfin, concernant l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte, l’auteur allègue que ses invocations des articles pertinents du Pacte devant les juges camerounais ont été ignorées, et que la législation camerounaise ne prévoit aucun recours utile permettant d’obtenir une réparation adéquate pour des violations des droits contenus dans le Pacte. Partant, l’auteur estime qu’il y a eu violation de l’article 2 (par. 3 a)) lu conjointement avec les articles 7, 9, 10, 11, 12, 14 et 17 du Pacte.

Observations de l’État partie

4.1Le 4 juillet 2017, l’État partie a présenté tout d’abord des clarifications sur les faits. Les procédures judiciaires engagées contre l’auteur sont le fait de particuliers – des personnes qu’il connaissait et qui déploraient ses « manœuvres frauduleuses » dans leurs relations d’affaires. Selon l’État partie, par un mode opératoire bien pensé, soit la participation au capital d’une société fictivement constituée puis frauduleusement dissoute sans aucun acte de réalisation de son objet social, d’une part, et une stratégie de prêts obligataires, d’autre part, l’auteur a dépouillé ses victimes de plus de 1 370 000 euros.

4.2Ensuite, l’État partie soulève l’exception d’irrecevabilité pour abus de droit et pour non-épuisement des voies de recours internes. Ainsi, les faits de la présente communication sont les mêmes que ceux ayant été examinés par le Comité dans le cadre de la communication no 2325/2013, déclarée irrecevable le 28 octobre 2014. L’État partie note que certains griefs sont retranchés et d’autres ajoutés, sans que l’auteur explique pourquoi il n’a pas présenté les griefs supplémentaires lors de l’examen de la précédente communication. Par ailleurs, la volonté de l’auteur de manipuler et de tromper le Comité transpire de la nouvelle communication, au regard non seulement de sa volonté de dénaturer les faits, mais également en raison des omissions volontaires sur les évolutions enregistrées dans le traitement des différentes procédures dont il est objet devant les juridictions camerounaises.

4.3La dénaturation des faits découle de la volonté de l’auteur de donner une qualification politique aux faits et de construire une thèse de persécution politique, ainsi que de l’omission d’éléments essentiels. L’auteur prétend avoir été surpris le 9 mai 2013 à l’aéroport par le retrait de son passeport, mais en réalité, la première plainte contre lui avait été déposée le 9 décembre 2012 à la Division régionale de la police judiciaire du Littoral à Douala, et plusieurs convocations lui avaient été adressées et certaines notifiées par voie d’huissier. L’auteur n’a pas cru bon de déférer aux convocations de la police. Informé de cette défaillance, le Procureur de la République a, le 12 mars 2013, décerné un mandat d’amener contre lui. Le 9 mai 2013, à l’aéroport, l’auteur a été, sur la base de ce mandat, empêché d’embarquer.

4.4L’auteur s’acharne à trouver le fondement de sa mise en liberté dans sa nationalité française, mais omet de mentionner qu’après avoir interjeté appel contre le jugement du 2 mai 2014, il a introduit une demande de mise en liberté en arguant de la gravité de son état de santé, qui nécessitait une évacuation sanitaire urgente à Paris. Le 13 février 2015, la cour d’appel du Littoral a fait droit à sa demande de mise en liberté. D’autres juridictions devant lesquelles étaient également pendantes des procédures contre lui ont aussi fait droit à ses demandes de mise en liberté dans le même souci de préserver sa santé. Ainsi, l’auteur a pu être évacué vers la France pour suivre des soins appropriés. Il a donc exercé des recours disponibles et efficaces.

4.5L’État partie soutient que l’auteur s’empresse d’indiquer que les juridictions camerounaises n’examineront jamais les recours qu’il a exercés contre les jugements de condamnation, mais, dans sa communication initiale du 5 février 2016, il n’a pas informé le Comité que le 2 février 2016, dans la procédure d’appel contre le jugement du 26 mars 2014, la cour d’appel du Littoral avait confirmé sa culpabilité et l’avait condamné à six ans d’emprisonnement. Ensuite, alors que l’auteur prétend que les trois autres plaintes contre lui n’ont fait l’objet d’aucune décision, l’État partie précise que dans deux de ces trois procédures, l’instruction a été clôturée et l’auteur renvoyé devant le tribunal de grande instance du Wouri suivant une ordonnance datée du 21 octobre 2013. Le 1er septembre 2016, le tribunal a reconnu l’auteur coupable d’escroquerie aggravée et de faux en écriture privée, et l’a condamné à vingt ans d’emprisonnement. La troisième plainte est en cours d’examen devant le tribunal de grande instance du Wouri.

4.6Pour ce qui est du non-épuisement des voies de recours internes, l’État partie précise que l’auteur n’a pas exercé de voie de recours contre la décision du 2 février 2016 de la cour d’appel du Littoral. L’État partie considère également que, concernant ses allégations de violation des articles 7, 10, 11 et 12 du Pacte, l’auteur n’apporte aucun élément nouveau par rapport à sa précédente communication.

4.7Concernant la recevabilité du grief tiré de l’article 14 du Pacte, l’État partie rappelle les informations sur les évolutions des procédures, lesquelles contredisent les allégations d’inertie qui fondent la demande d’exonération de l’exigence d’épuisement des recours internes. Même en cas d’inertie, le juge administratif camerounais peut être saisi pour examiner les allégations de dysfonctionnement des services judiciaires dans le cadre d’une action en responsabilité.

4.8En ce qui concerne la recevabilité de l’allégation de violation de l’article 17 du Pacte au motif de la publication par voie de médias d’informations jugées attentatoires à l’honneur et à la dignité, l’auteur n’indique pas quel recours interne il a exercé. Or, au moins deux recours judiciaires sont disponibles et efficaces : la voie pénale, au moyen d’une action en diffamation sur le fondement de l’article 305 du Code pénal, et la voie civile, au moyen d’une action en responsabilité civile sur la base des articles 1382 et suivants du Code civil. Par ailleurs, un droit de réponse peut être exercé conformément aux dispositions de l’article 57 de la loi no 90/52 du 19 décembre 1990 relative à la liberté de communication sociale.

4.9Quant au fond, l’État partie commence par évoquer l’allégation de l’auteur selon laquelle il s’est écoulé un délai de plus de quatre mois entre son « arrestation » le 10 mai 2013 et l’examen de sa requête en libération immédiate le 18 septembre 2013. En réalité, ce n’est que le 17 juillet 2013 que la première requête en libération immédiate a été adressée au Président du tribunal de grande instance du Wouri. Au reçu de la requête, les diligences ont été aussitôt accomplies pour l’enrôlement le 31 juillet 2013. Après deux renvois utiles, la décision a été rendue le 18 septembre 2013. À cette date, l’auteur a fait appel de cette décision. La cour d’appel a rendu un arrêt confirmatif le 8 novembre 2013. Les juridictions nationales ayant fait preuve d’une diligence normale dans l’examen de sa requête, l’allégation de violation de l’article 9 (par. 4) du Pacte manque de fondement.

4.10Concernant l’allégation de violation de l’article 14 (par. 1) du Pacte pour cause de partialité du juge unique du tribunal de première instance de Douala-Bonanjo qui a prononcé les deux condamnations de l’auteur des 26 mars et 2 mai 2014, l’État partie fait valoir que la deuxième affaire a été enrôlée le 21 avril 2014 et qu’à cette audience, les conseils de l’auteur étaient présents. À l’audience de renvoi du 25 avril 2014, l’affaire a été mise en délibéré pour décision devant être rendue le 2 mai 2014. L’auteur évoque une demande de récusation déposée à la cour d’appel le 30 avril 2014, donc après la mise en délibéré de l’affaire. L’État partie précise que pour pouvoir se dessaisir d’une affaire en raison d’une demande de récusation, le juge doit en être informé. L’auteur n’indique pas les diligences accomplies à cette fin. Par ailleurs, il est fait obligation aux juges de rédiger les décisions avant leur prononcé. L’on ne peut donc soutenir que le juge qui a rendu la décision le 2 mai 2014 a violé l’obligation d’impartialité, s’il n’avait connaissance de la demande de récusation déposée contre lui.

4.11Quant à l’allégation de l’auteur de violation de son droit à faire examiner sa cause par une juridiction supérieure, au titre de l’article 14 (par. 5) du Pacte, l’État partie rappelle que les appels contre les jugements des 26 mars et 2 mai 2014 ont été jugés les 2 février et 2 août 2016, respectivement.

4.12Concernant l’allégation de violation de l’article 9 (par. 1) du Pacte au motif que l’auteur aurait été l’objet d’une mesure de garde à vue de douze jours au lieu du maximum de six jours prévu par la loi, l’État partie relève que le 10 mai 2013, à la suite de la première plainte introduite contre lui, une première mesure de garde à vue a été prise à l’encontre de l’auteur. Cette mesure a dûment fait l’objet de prorogation jusqu’au 16 mai 2013. Déféré au parquet le 17 mai 2013, l’auteur – qui avait fait l’objet d’autres mesures de garde à vue dans le cadre de nouvelles plaintes portées contre lui par deux autres particuliers les 10 et 14 mai 2013 – a été renvoyé à l’unité de police chargée de l’enquête pour un complément d’enquête. Il a par la suite été déféré au parquet le 22 mai 2013. Il n’a donc pas été placé en garde à vue en violation des règles fixées par l’article 19 du Code de procédure pénale.

4.13Enfin, l’État partie rejette les autres allégations de l’auteur, qu’il estime dénuées de fondement. D’ailleurs, quant à l’allégation de violation de l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte, l’État partie rappelle que l’auteur a en effet exercé des recours avec succès, notamment ceux qui ont abouti à sa mise en liberté.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Le 14 août 2020, l’auteur a soumis des commentaires sur les observations de l’État partie. Il souligne que les nouvelles pièces produites par l’État partie, directement ou indirectement, sont fausses et que les allégations de l’État partie – qui ne sont étayées par aucune pièce et ne correspondent pas aux faits décrits dans la communication – sont mensongères.

5.2L’auteur déclare que le prétendu arrêt du 13 février 2015 ordonnant sa libération provisoire est faux pour les raisons suivantes : ses deux avocats n’y sont pas mentionnés ; ilmanque de cohérence, puisque la cour ordonne la libération de l’auteur dans l’appel formé par le particulier qui a introduit la plainte originale ; et l’arrêt précise que sa libération serait ordonnée pour des raisons de santé, alors que le bulletin de levée d’écrou indique l’expiration de sa peine.L’auteurconsidère que le jugement du 1erseptembre 2016 est aussi un faux pour les raisons suivantes : l’État partie fait référence à un jugement du 18 août 2016, alors que le jugement du tribunal de grande instance du Wouri est daté du 1erseptembre 2016 ; l’État partie n’en a pas produit de copie avec ses observations ; l’auteur n’a pas reçu de convocation pour ce procès ; et le jugement présente toute une série d’incohérences. Le 15 juin 2020, l’avocat de l’auteur a adressé une lettre au Ministre de la justice afin que celui-ci saisisse, dans l’intérêt de la loi, le Procureur général près la Cour suprême du Cameroun aux fins de cassation du jugement du 1er septembre 2016.

5.3L’auteur soutient que les documents produits par l’État partie en lien avec une prétendue plainte contre lui déposée le 9 décembre 2012 sont des faux matériels ou intellectuels, puisque s’il avait été dûment convoqué, il aurait pris un avocat sur place pour le représenter, vu qu’il vivait et résidait en France, et il ne se serait certainement pas rendu au Cameroun dans la mesure où il ne se fait guère d’illusions sur l’indépendance du système juridique camerounais.

5.4L’auteur invoque ensuite une série de mensonges de l’État partie, affirmant : a) qu’il n’existe aucun arrêt daté du 2 février 2016 ; b) que le tribunal de grande instance du Wouri n’a rendu aucun jugement de libération dans le souci de préserver sa santé les 13 et 16 février 2015, puisque le bulletin de levée d’écrou précise clairement que le motif de sa libération était l’expiration de sa peine ; et c) que le même tribunal n’a rendu aucun jugement le 18 août 2016 le condamnant à vingt ans de prison, puisque si un tel jugement existait réellement, l’auteur aurait été dûment convoqué au préalable pour pouvoir se faire représenter.

5.5Quant à la recevabilité, l’auteur conteste l’abus de droit, rappelant les raisons pour lesquelles sa communication antérieure a été déclarée irrecevable. Ensuite, il explique que l’arrêt du 2 février 2016 n’existe pas et qu’en fait, son appel contre la décision du 26 mars 2014 est toujours pendant alors que cette procédure pénale contre lui a débuté le 9 mai 2013, soit il y a plus de sept ans. Sans contester l’arrêt du 2 août 2016 de la cour d’appel du Littoral rendu par suite d’une deuxième plainte pénale contre lui, l’auteur fait valoir que les trois autres plaintes contre lui n’ont pas avancé. Il réitère donc le caractère déraisonnable des délais de procédure et renvoie aux arguments sur le fond de l’affaire qu’il a développés dans sa communication initiale.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité note que l’État partie conteste la recevabilité de la communication au motif qu’elle est abusive, dans la mesure où les faits de la présente communication sont les mêmes que ceux qui ont été examinés par le Comité dans le cadre de la communication no 2325/2013, déclarée irrecevable le 28 octobre 2014, et que les recours internes n’ont pas été épuisés puisque l’auteur n’a pas exercé de voie de recours contre la décision du 2 février 2016 de la cour d’appel du Littoral.

6.4En ce qui concerne le prétendu abus du droit de présenter une communication au sens de l’article 3 du Protocole facultatif, le Comité note que la présente communication est basée dans une très large mesure sur les mêmes faits que la communication no 2325/2013. Ainsi, l’auteur invoque à nouveau les articles 7 et 10 pour se plaindre des conditions difficiles de sa détention et de leur impact sur son état de santé, alors que dans sa communication précédente, le Comité avait déclaré irrecevables pour non-épuisement des voies de recours ses griefs au titre des articles 7 et 10 – pour ce qui concernait ses conditions de détention pendant sa garde à vue. Quant à ses griefs relatifs à la dégradation de son état de santé en prison, le Comité les avait déclarés irrecevables car insuffisamment étayés. En outre, dans la présente communication comme dans la précédente, l’auteur s’est plaint d’avoir été emprisonné pour manquement à une obligation contractuelle et de n’avoir pas été autorisé à rentrer librement en France, en violation de ses droits protégés par les articles 11 et 12 du Pacte, alors que, dans sa communication précédente, ces griefs avaient déjà été déclarés irrecevables pour incompatibilité ratione materiae avec les dispositions du Pacte. Dans la présente communication, l’auteur soulève à nouveau une violation des articles 7, 10, 11 et 12 du Pacte, sans préciser de quelle manière ses nouveaux griefs sont différents de ceux présentés auparavant. Le Comité considère donc que le fait de soulever à nouveau devant le Comité des griefs qui ont été déjà déclarés irrecevables sans expliquer en quoi ils sont différents des griefs précédents ni offrir de justification pour ce faire constitue un abus du droit de présenter une communication, et déclare les griefs de l’auteur tirés des articles 7, 10, 11 et 12 du Pacte irrecevables au titre de l’article 3 du Protocole facultatif.

6.5Pour ce qui est du non-épuisement des voies de recours internes à la suite du défaut d’appel contre la décision du 2 février 2016 de la cour d’appel du Littoral, le Comité observe que l’auteur conteste l’existence de cette décision, avec preuves à l’appui qui démontrent qu’aucune audience n’a eu lieu le 2 février 2016 devant la cour d’appel du Littoral et confirment que l’appel contre le jugement du 26 mars 2014 est toujours pendant, alors que l’État partie y fait référence sans en produire une copie. Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle la charge de la preuve ne doit pas incomber uniquement à l’auteur d’une communication, d’autant plus que celui-ci et l’État partie n’ont pas toujours un accès égal aux éléments de preuve et que, souvent, seul l’État partie dispose des renseignements nécessaires. En l’absence d’explications de la part de l’État partie à ce sujet, il convient d’accorder tout le crédit voulu aux allégations de l’auteur, dès lors que ces dernières sont suffisamment étayées. Par conséquent, le Comité considère que l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif ne constitue pas un obstacle à la recevabilité de la présente communication.

6.6Le Comité note que, selon l’auteur, sa garde à vue a duré douze jours – du 10 au 22 mai 2013 – bien que la loi camerounaise impose une durée maximale de six jours, ce qui est en violation de l’article 9 (par. 1) du Pacte. En outre, son arrestation et sa détention ont été arbitraires, puisque le seul objectif était de mettre la main sur son innovation. Ensuite, l’auteur affirme que son recours en habeas corpus n’a été examiné que le 18 septembre 2013, soit quatre mois après son arrestation, le 10 mai 2013, ce qui va à l’encontre de son droit tiré de l’article 9 (par. 4) du Pacte qu’un tribunal statue sans délai sur la légalité de sa détention. En ce sens, le Comité note que dans sa décision d’irrecevabilité datée du 18 novembre 2013, il avait considéré que l’auteur avait failli à son obligation d’épuiser les recours internes quant à ses griefs soulevés au titre de l’article 9 (par. 1 et 4) du Pacte, vu que la Cour suprême n’avait pas statué sur son pourvoi en cassation contre la décision de la cour d’appel du 8 novembre 2013. Entre-temps, le 16 juillet 2015, la Cour suprême du Cameroun a rejeté le pourvoi en cassation de l’auteur.

6.7Le Comité note les clarifications de l’État partie selon lesquelles la première mesure de garde à vue de l’auteur datée du 10 mai 2013 avait fait l’objet d’une prorogation jusqu’au 16 mai 2013 et que, déféré au parquet le 17 mai 2013, l’auteur avait fait l’objet d’autres mesures de garde à vue dans le cadre de nouvelles plaintes portées contre lui par deux autres particuliers, avait été renvoyé devant la police pour un complément d’enquête et avait par la suite été déféré au parquet le 22 mai 2013. L’État partie précise ensuite que, même s’il a été arrêté le 10 mai 2013, l’auteur n’a formulé sa requête en libération immédiate que le 17 juillet 2013, laquelle a été enrôlée le 31 juillet 2013 et, après deux renvois utiles, a été jugée le 18 septembre 2013.

6.8Au vu de ce qui précède, le Comité considère que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ses griefs au titre de l’article 9 (par. 1 et 4) du Pacte aux fins de la recevabilité de sa communication, et les déclare irrecevables en application de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.9Le Comité note que l’auteur a également soulevé une violation de l’article 14 (par. 1) du Pacte pour défaut d’impartialité d’un juge qui a prononcé deux décisions contre lui, et de l’article 17 du Pacte pour atteinte à sa réputation et à son image. Il note toutefois que l’auteur ne semble pas avoir effectué de démarches devant les tribunaux nationaux quant à ces allégations d’atteintes à ses droits. Par conséquent, cette partie de la communication est irrecevable au titre de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif.

6.10Le Comité prend note des griefs de l’auteur, qui s’estime victime d’une violation du droit d’être jugé par une juridiction supérieure, protégé par l’article 14 (par. 5) du Pacte, puisque les appels qu’il a intentés contre ses deux condamnations n’ont pas encore été tranchés, et qui affirme que ses invocations des articles pertinents du Pacte devant les juges camerounais ont été ignorées et que la législation camerounaise ne prévoit aucun recours utile pour obtenir une réparation adéquate pour des violations des droits du Pacte, ce qui est contraire à l’article 2 (par. 3 a)) lu conjointement avec les articles 7, 9, 10, 11, 12, 14 et 17 du Pacte. En l’absence de toute autre information à l’appui de ces griefs, le Comité estime qu’ils ne sont pas suffisamment étayés aux fins de la recevabilité et les déclare donc irrecevables au regard de l’article 2 du Protocole facultatif. D’ailleurs, le Comité constate que le 2 août 2016, la cour d’appel du Littoral a admis l’appel de l’auteur contre la décision du 2 mai 2014.

6.11Enfin, le Comité note que l’auteur invoque l’article 14 (par. 3) du Pacte pour se plaindre du retard excessif dans l’examen de son appel contre la décision du 26 mars 2014, et dénonce également le caractère déraisonnable des délais de procédure dans l’examen de trois plaintes contre lui. Le Comité estime donc que l’auteur soulève en substance une violation de l’article 14 (par. 3 c)) du Pacte. En outre, il estime que l’auteur a suffisamment étayé son grief formulé au titre de l’article 14 (par. 3 c)) du Pacte aux fins de la recevabilité, et procède donc à son examen au fond.

Examen au fond

7.1Conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

7.2Le Comité prend note des allégations de l’auteur soumises dans sa lettre initiale, selon lesquelles : a) l’arrêt du 2 février 2016 n’existe pas et, en fait, son appel contre la décision du 26 mars 2014 est toujours pendant alors que cette procédure pénale contre lui a débuté le 9 mai 2013, soit il y a plus de sept ans ; et b) trois autres plaintes contre lui n’ont pas avancé depuis mai 2013. Tout d’abord, le Comité prend note du document émanant du greffe de la cour d’appel du Littoral, selon lequel aucune audience ne s’est déroulée le 2 février 2016 et donc l’appel contre le jugement du 26 mars 2014 est toujours pendant. Le Comité rappelle que l’État partie n’a pas produit de copie de l’arrêt du 2 février 2016, en dépit du fait que les allégations de l’auteur quant à l’existence de cet arrêt lui ont été communiquées au cours de la procédure devant le Comité, avec la possibilité pour l’État partie d’y soumettre une réplique. Ensuite, le Comité relève que selon un arrêt produit par l’auteur, le 1er septembre 2016, le tribunal de grande instance du Wouri a condamné l’auteur dans deux de ces trois dernières plaintes qu’il invoque. L’État partie admet que cette troisième plainte contre l’auteur est toujours pendante.

7.3Le Comité rappelle qu’aux termes de l’article 14 (par. 3 c)) du Pacte, toute personne a le droit d’être jugée sans retard excessif. Or, l’État partie n’a avancé aucune raison de nature à justifier ces délais procéduraux : l’appel contre la décision du 26 mars 2014, qui est déjà pendant depuis plus de huit ans, ainsi que le long délai entre l’introduction d’une plainte contre l’auteur en mai 2013 et l’absence d’un prononcé en première instance après plus de neuf ans. Au vu des informations qui lui ont été soumises, et en l’absence d’explications de la part de l’État partie, le Comité conclut qu’il y a eu violation de l’article 14 (par. 3 c)) du Pacte.

8.Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie de l’article 14 (par. 3 c)) du Pacte.

9.Conformément à l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, l’État partie est tenu, entre autres : a) de juger l’auteur dans les meilleurs délais ; et b) d’indemniser l’auteur de manière appropriée. L’État partie est également tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles.