Nations Unies

CCPR/C/132/D/2361/2014

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

10 mars 2022

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par.4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2361/2014 * , **

Communication présentée par :

Igor Postnov (non représenté par un conseil)

Victime(s) présumée(s) 

L’auteur

État partie :

Bélarus

Date de la communication :

22 février 2014 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 21 mars 2014 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations

19 juillet 2021

  Objet

Hospitalisation sans consentement imposée illégalement à l’auteur et ayant entraîné des actes de torture

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes

Question(s) de fond :

Torture ; peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ; liberté et sécurité de la personne ; droit de toute personne à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement ; vie privée ; liberté d’expression ; discrimination

Article(s) du Pacte:

2 (par. 1 et 3), 7, 9 (par. 1), 10 (par. 1), 14 (par. 1), 15 (par. 2), 17, 19 et 26

  Article(s) du Protocole facultatif

2 et 5 (par. 2 b))

1.1L’auteur de la communication est Igor Postnov, de nationalité bélarussienne, né en 1968. Il affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient des articles 2 (par. 1 et 3), 7, 9 (par. 1), 10 (par. 1), 14 (par. 1), 15 (par. 2), 17, 19 et 26 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour le Bélarus le 30 décembre 1992. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

1.2Le 23 juillet 2014, conformément à l’article 93 (par. 1) du règlement intérieur du Comité, l’État partie a demandé au Comité d’examiner séparément la recevabilité et le fond de la communication. Le 17 septembre 2014, en application de l’article 93 de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a décidé d’examiner la recevabilité de la communication en même temps que le fond.

Exposé des faits

2.1L’auteur indique qu’il est médecin et qu’il travaillait à la clinique régionale de psychiatrie et de traitement de la toxicomanie de Vitebsk. Il a commencé à avoir des problèmes avec les autorités après avoir publié en ligne plusieurs articles et plusieurs vidéos dans lesquels il dénonçait l’état des services de soins de santé disponibles et demandait au parquet de diligenter une enquête sur des infractions qu’il imputait à la direction de la clinique de Vitebsk, notamment au médecin-chef M. E. V. et à son adjointe, P. I. V.. Dans ces publications, il déplorait en outre le faible niveau des salaires et l’insuffisance de la formation des médecins employés dans cette clinique, et exprimait des doléances à propos du gouverneur et du gouverneur adjoint de la région de Vitebsk. Au lieu de s’attaquer aux problèmes soulevés par l’auteur, des fonctionnaires de divers organes publics se sont entendus en vue de le faire hospitaliser sans son consentement. Parmi ces fonctionnaires figuraient le Procureur général de la région de Vitebsk, Y. R., le Président du tribunal régional de Vitebsk, N. H.

2.2L’auteur indique que, le 15 août 2013, à la demande du procureur, il a été placé en détention dans un service psychiatrique. Contrairement à l’auteur, qui affirme qu’il était en bonne santé, selon le procureur l’auteur avait un comportement « inadéquat et révélateur de troubles psychiatriques présents depuis longtemps » et refusait de suivre un traitement et de prendre des médicaments. L’auteur a été placé en détention initialement dans le seul objectif de le soumettre à un examen médical, mais il affirme que ses droits ont été limités immédiatement : il n’a plus été autorisé à communiquer avec qui que ce soit ni à téléphoner ou à faire des achats, entre autres. Les nombreuses plaintes qu’il a adressées au Bureau du Procureur et à d’autres autorités n’ont pas été envoyées mais ont simplement été versées à son dossier médical. La législation n’autorise l’imposition de telles restrictions que s’il est établi que l’intéressé(e) représente un danger pour lui-même ou elle-même ou pour autrui, ce qui n’était pas le cas, selon l’auteur. Celui-ci considère que l’ordonnance du Bureau du Procureur tendant à ce qu’il soit soumis à un examen médical avait un caractère arbitraire. L’objectif de cette mesure était, selon lui, de le réduire au silence pour le punir d’avoir ouvertement critiqué dans ses articles l’état des services de santé dans la région. En outre, l’auteur soutient qu’il ne pouvait pas être malade car il travaillait depuis des années en tant que psychiatre dans la clinique en question.

2.3L’auteur fait valoir qu’en application de l’ordonnance délivrée le 21 août 2013 par le tribunal de district de Vitebsk, un tribunal civil, il a été hospitalisé sans son consentement à la clinique de cette ville afin d’y être soumis à un traitement psychiatrique obligatoire pour une durée indéterminée. La décision de l’hospitaliser sans son consentement a été prise dans le cadre d’une audience tenue à huis clos, et la procédure d’internement visant l’auteur a été engagée par le médecin-chef de la clinique de Vitebsk, où l’auteur lui-même travaillait. Le médecin-chef, M. E. V., a indiqué au tribunal dans un rapport que l’auteur avait reçu l’ordre de suivre un traitement psychiatrique mais qu’il ne s’y était pas plié. Dans son rapport, le médecin-chef a affirmé que l’auteur présentait un risque pour lui-même en raison des troubles dont il était alors atteint et que, s’il ne suivait pas un traitement adapté, sa santé s’en ressentirait. Le médecin-chef a demandé au tribunal d’ordonner que l’auteur soit hospitalisé et soumis à un traitement sans son consentement.

2.4Le représentant du médecin-chef qui a assisté à l’audience du 21 août 2013 a assuré que, s’il n’était pas interné, l’auteur pourrait représenter un danger pour lui-même, et qu’il était atteint de « délire ». Le procureur, qui était également présent, a lui aussi demandé que l’auteur soit hospitalisé sans son consentement. Dans sa décision, le tribunal a déclaré que « l’intéressé » − à savoir l’auteur − n’était pas présent à l’audience bien qu’il ait été informé de l’heure et de la date de celle-ci et du lieu où elle devait se tenir. L’auteur affirme qu’il a demandé à la clinique de Vitebsk et au tribunal de lui fournir ces renseignements mais que les autorités n’ont pas donné suite à sa demande. L’auteur ayant été hospitalisé à la clinique de Vitebsk, il ne pouvait pas quitter les lieux sans avoir reçu une notification et une autorisation délivrées en bonne et due forme et en temps utile par le tribunal concerné.

2.5L’auteur affirme qu’en violation de ses droits, ses avocats et lui-même n’ont pas été invités à assister à l’audience tenue le 21 août 2013 au tribunal de district de Vitebsk, contrairement à ce que le juge a déclaré au cours de cette audience. Après avoir été notifié de la décision de ce tribunal, l’auteur a saisi le tribunal régional de Vitebsk d’un recours en cassation pour violation de ses droits procéduraux. Dans ce recours, il a notamment fait valoir que le rapport du médecin-chef ne comportait aucun diagnostic précis sur son état de santé et faisait simplement état d’une« aggravation » de ses troubles. C’est sur la base de ce rapport que le tribunal a conclu, dans sa décision du 21 août 2013, qu’il était « probablement atteint de troubles chroniques à caractère délirant ».

2.6Dans son recours, l’auteur a affirmé en outre que les véritables motivations qui sous‑tendaient la décision de lui imposer un traitement médical sans son consentement étaient la volonté de certaines personnes de le réduire au silence en raison des critiques qu’il avait formulées dans ses articles et ses vidéos, ainsi que l’hostilité que le médecin-chef de la clinique de Vitebsk ressentait à son égard. La commission chargée de déterminer si une personne remplit les conditions voulues pour être hospitalisée sans son consentement était dirigée par P. I. V., l’épouse du médecin-chef. Dans le même recours, l’auteur a demandé au tribunal régional de Vitebsk d’ordonner qu’un examen psychiatrique soit réalisé par une entité indépendante telle que l’Institut national de la santé mentale du Bélarus.

2.7Le 12 septembre 2013, le tribunal régional de Vitebsk a confirmé la décision du tribunal de première instance. Le tribunal n’a entendu que les témoignages d’un représentant de la clinique de Vitebsk et d’un représentant du Bureau du Procureur. Ni l’auteur, ni ses avocats n’étaient présents alors que l’auteur affirme qu’il avait expressément demandé aux autorités de le laisser assister à l’audience et de faire savoir à son avocat, V. P., où et quand cette audience devait se tenir. De plus, l’audience s’est déroulée à huis clos, c’est-à-dire sans public. Le tribunal a fait siennes toutes les conclusions du tribunal de district de Vitebsk sans auditionner de nouveaux témoins ni tenir compte d’autres circonstances. Il a conclu, sans invoquer d’élément de preuve à l’appui de sa décision, que l’auteur représentait un danger pour lui-même.

2.8L’auteur a ensuite saisi le président du tribunal régional de Vitebsk d’une demande de réexamen de cette décision au titre de la procédure de contrôle. Le 21 novembre 2013, le président du tribunal a rejeté cette demande. L’auteur a alors formé un autre recours, cette fois-ci devant la Cour suprême. Celle-ci a également rejeté le recours de l’auteur et a pleinement confirmé les décisions des juridictions inférieures. L’auteur et ses avocats n’ont pas assisté aux audiences au cours desquelles sa demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle a été examinée. En conséquence, l’auteur affirme qu’il a épuisé tous les recours internes disponibles et utiles.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur soutient qu’en le plaçant en détention et lui imposant un traitement psychiatrique pour une durée illimitée, l’État partie a violé les droits qu’il tient des articles 7 et 10 (par. 1) du Pacte.

3.2L’auteur soutient également qu’en l’hospitalisant sans son consentement et en lui refusant le droit d’assister aux audiences portant sur son affaire, et en n’autorisant pas non plus ses avocats à y assister, l’État partie a violé les droits qu’il tient des articles 9 (par. 1) et 14 (par. 1) du Pacte.

3.3L’auteur affirme qu’il a été persécuté pour avoir critiqué la situation régnant dans le système de soins de santé de la région dans des articles et des vidéos publiés en ligne. En le punissant, en le plaçant en détention dans un service psychiatrique, et en ne l’autorisant pas à téléphoner ou à communiquer avec le monde extérieur, l’État partie a violé les droits qu’il tient de l’article 19 du Pacte.

3.4L’auteur considère également que l’État partie a violé les droits qu’il tient des articles 2 (par. 1 et 3), 15 (par. 2), 17 et 26 du Pacte.

3.5L’auteur prie le Comité de conclure que l’État partie est responsable de violations du Pacte. Selon l’auteur, l’État partie devrait l’indemniser pour les frais de justice qu’il a engagés et lui accorder une réparation financière pour les violations des droits de l’homme dont il a été victime.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.Dans une note datée du 23 juillet 2014, l’État partie fait part de ses observations sur la recevabilité de la communication. Il considère que l’auteur de la communication n’avait pas épuisé tous les recours internes disponibles au moment où il a saisi le Comité de sa communication. En conséquence, la communication devait être déclarée irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif. Le 7 octobre 2014, en réponse à une lettre l’invitant à soumettre des observations sur le fond de la communication, l’État partie a adressé au Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme une note explicative dans laquelle il fait valoir qu’aux termes de l’article 2 du Protocole facultatif, ce sont tous les recours internes disponibles − et non les recours internes utiles − qui doivent être épuisés. L’État partie a prié le Haut-Commissariat de donner des explications à l’auteur sur la teneur de l’article 2 du Protocole facultatif.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Dans une note datée du 26 août 2014 dans laquelle il formule des commentaires sur les observations de l’État partie, l’auteur affirme qu’il a épuisé tous les recours internes disponibles, y compris le recours en cassation et la procédure de contrôle. Il renvoie à la jurisprudence du Comité, dont il ressort qu’il est établi de longue date que la procédure de contrôle ne constitue pas un recours utile et qu’elle n’a donc pas à être épuisée aux fins du Protocole facultatif.

5.2L’auteur renvoie aux conclusions d’un rapport daté du 14 avril 2014 établi par une commission d’experts composée de membres de l’Association indépendante des psychiatres de la Fédération de Russie après qu’elle a examiné l’auteur, à sa demande. La commission lui a diagnostiqué un « trouble de la personnalité à caractère paranoïaque » associé à des « tendances à vouloir faire éclater la vérité ». Elle a constaté que, depuis son adolescence, l’auteur manifestait un sens aigu de l’équité et exigeait de connaître la vérité. Lorsque l’auteur constatait des défaillances, il en parlait ouvertement. La commission indépendante a toutefois considéré que l’hospitalisation sans consentement de l’auteur n’était pas justifiée. L’auteur ne représentait un danger ni pour lui-même ni pour autrui et n’avait pas besoin d’un traitement psychiatrique. Dans ses relations avec ses voisins, par exemple, l’auteur était « bien adapté ».

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité note que l’État partie considère que l’auteur n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles, mais qu’il ne précise toutefois pas en quoi consistent les recours que l’intéressé aurait dû épuiser. Dans ces circonstances, le Comité estime que les dispositions de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif ne l’empêchent pas d’examiner la communication.

6.4Le Comité prend note des griefs que l’auteur tire des articles 2 (par. 1 et 3), 10 (par. 1), 15 (par. 2), 17 et 26 du Pacte. Toutefois, compte tenu de l’absence d’autres renseignements pertinents dans le dossier, le Comité considère que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ces griefs aux fins de la recevabilité. Il déclare donc cette partie de la communication irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.5Le Comité considère que les autres griefs de l’auteur, qui soulèvent des questions au regard des articles 7, 9 (par. 1), 14 (par. 1) et 19 du Pacte, ont été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité, et passe à leur examen au fond.

Examen au fond

7.1Conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2Le Comité prend note du grief de l’auteur selon lequel son hospitalisation sans consentement et sa détention dans un établissement psychiatrique constituent une violation des droits qu’il tient de l’article 9 (par. 1) du Pacte.

7.3Le Comité rappelle que l’hospitalisation et le traitement en établissement psychiatrique sans consentement constituent une forme de privation de liberté qui relève des dispositions de l’article 9 du Pacte. Il rappelle également qu’aux termes du paragraphe 1 de l’article 9, la privation de liberté ne doit pas être arbitraire et doit s’effectuer conformément à la loi. De plus, le paragraphe 1 de l’article 9 interdit l’arrestation et la détention arbitraires, ainsi que la privation de liberté illégale, c’est-à-dire la privation de liberté qui n’est pas imposée pour les motifs et selon la procédure prévus par la loi. Les deux interdictions se chevauchent en ce qu’une arrestation ou une détention peut être à la fois arbitraire et illégale. Le Comité rappelle également que l’adjectif « arbitraire » n’est pas synonyme de « contraire à la loi » mais qu’il doit recevoir une interprétation plus large qui englobe le caractère inapproprié, l’injustice, l’absence de prévisibilité et le non-respect des garanties judiciaires.

7.4Le Comité reconnaît que les autorités d’un État peuvent estimer que l’altération de la santé mentale d’une personne est telle que la délivrance d’un ordre d’internement est indispensable pour éviter que la personne ne représente un danger pour elle-même ou pour autrui, mais il considère que l’hospitalisation sans consentement est une mesure qui ne doit être appliquée qu’en dernier ressort et pour une durée aussi brève que possible, et qu’elle doit être entourée de garanties de procédure et de fond suffisantes, établies par la loi. Les procédures doivent être de nature à garantir le respect des opinions des individus et permettre une représentation et une défense effectives de leurs souhaits et de leurs intérêts par un représentant.

7.5Le Comité note qu’en l’espèce, l’auteur ou ses avocats n’ont été informés ni de la date de l’audience ni du lieu où elle devait se tenir, et qu’ils n’ont pas pu assister aux audiences tenues en première et deuxième instance, que pendant la procédure engagée contre l’auteur, on ne l’a pas autorisé à se faire examiner par d’autres professionnels de la santé, que l’ordonnance d’internement sans consentement était illimitée dans le temps et que cette mesure n’était pas soumise à un réexamen périodique. Constatant que l’État partie n’a fourni aucune information à ce sujet et s’appuyant sur l’examen des renseignements communiqués par l’auteur, le Comité considère que les droits que celui-ci tire de l’article 9 ont été violés.

7.6En ce qui concerne le grief que l’auteur tire de l’article 7 du Pacte, le Comité doit déterminer si l’hospitalisation sans consentement a constitué une peine ou un traitement inhumain et dégradant. Il fait observer que, si l’hospitalisation sans consentement peut être une mesure de dernier recours et, dans certains cas, se justifier pour protéger la vie et la santé des personnes, l’hospitalisation illégale et arbitraire peut causer des souffrances psychiques et physiques et, de ce fait, constituer une peine ou un traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 7.

7.7Le Comité prend note de l’argument de l’auteur qui soutient que, s’il a été interné dans une clinique psychiatrique, c’est parce qu’il a ouvertement critiqué les autorités régionales chargées des établissements médicaux de la région de Vitebsk, dont le médecin‑chef de la clinique de Vitebsk, M. E. V., et son adjointe, P. I. V. (voir par. 2.1 ci‑dessus). Le Comité prend également note du fait − que l’État partie ne conteste pas − que l’auteur a soumis de nombreuses requêtes aux tribunaux et au Bureau du Procureur. Le Comité relève en outre qu’un examen a été réalisé par une commission indépendante qui, dans son rapport en date du 14 avril 2014 (voir par. 5.2 ci-dessus), a indiqué que l’auteur ne représentait pas un danger pour lui-même ou pour autrui et que son hospitalisation n’était pas nécessaire. Le Comité relève que, dans leurs conclusions, le tribunal de district et le tribunal régional de Vitebsk ne citent aucun exemple de comportement montrant que l’auteur représentait un danger pour lui-même ou pour autrui et n’indiquent pas que l’hospitalisation involontaire ait été une mesure indispensable en dernier recours. Compte tenu des informations dont il dispose, le Comité conclut que la décision qui a été prise d’interner l’auteur dans une clinique psychiatrique a causé à celui-ci des angoisses et des souffrances psychiques considérables du fait qu’il craignait constamment pour sa santé et sa liberté. En conséquence, le Comité estime qu’en l’espèce, l’hospitalisation sans consentement de l’auteur et les traitements médicaux qu’on lui a imposés contre son gré ont constitué des peines ou des traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 7 du Pacte.

7.8Le Comité prend note du grief de l’auteur selon lequel son droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement a été violé puisque la première audience du 21 août 2013, l’audience d’examen du recours interjeté par la suite, qui a eu lieu le 12 septembre 2013, et l’audience relative à sa demande d’examen au titre de la procédure de contrôle se sont toutes déroulées à huis clos, et que ni ses avocats ni lui-même n’y ont assisté alors qu’ils avaient manifesté par écrit leur souhait d’être présents. Le Comité fait observer également que les prescriptions de l’article 14 (par. 1) du Pacte s’appliquent généralement aux affaires pénales comme aux procédures civiles, et que la notion de droit à un procès équitable peut également être étendue à des mesures de nature pénale s’agissant de sanctions qui, indépendamment de leur qualification en droit interne, doivent être considérées comme pénales en raison de leur finalité, de leur caractère ou de leur sévérité. Le Comité considère que certains régimes de détention qui aboutissent à un internement comme cela a été le cas dans la présente affaire visent à contourner les contrôles instaurés par les règles de procédure pénale. En l’espèce, le Comité prend note de l’affirmation de l’auteur selon laquelle l’hospitalisation sans consentement à laquelle il a été soumis à la demande du procureur visait à le punir pour les critiques qu’il avait formulées au sujet des autorités régionales. L’État partie n’ayant fourni aucune explication à ce sujet, le Comité considère qu’il convient d’accorder le crédit voulu aux allégations de l’auteur et que, compte tenu de l’objet, du caractère et de la sévérité de l’hospitalisation sans consentement qui lui a été imposée, les garanties prévues par l’article 14 (par. 1) du Pacte s’appliquent à son cas. Le Comité considère donc que, dans les circonstances de l’espèce, les faits tels qu’ils ont été exposés par l’auteur constituent une violation des droits que celui-ci tient de l’article 14 (par. 1) du Pacte.

7.9Le Comité prend note de l’allégation de l’auteur selon laquelle sa détention dans un service psychiatrique à partir du 15 août 2013 et l’hospitalisation sans consentement qui l’a suivie lui ont été imposées pour le réduire au silence et constituent donc une restriction à son droit de répandre des informations et des idées, incompatible avec l’article 19 (par. 3) du Pacte.

7.10Le Comité rappelle que la liberté d’opinion et la liberté d’expression sont des conditions indispensables au développement complet de l’individu et qu’elles sont essentielles pour toute société et constituent le fondement de toute société libre et démocratique. Aux termes de l’article 19 (par. 3) du Pacte, l’exercice de la liberté d’expression peut être soumis à certaines restrictions, pour autant que ces restrictions soient expressément fixées par la loi et soient nécessaires : a) au respect des droits ou de la réputation d’autrui ; ou b) à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques. Toutes les restrictions à la liberté d’expression doivent être « fixées par la loi » ; elles ne peuvent être imposées que pour l’un des motifs énoncés à l’article 19 (par. 3 a) et b)) et doivent répondre aux critères stricts de nécessité et de proportionnalité. Le principe de la proportionnalité doit être respecté non seulement dans la loi qui institue les restrictions, mais également par les autorités administratives et judiciaires chargées de l’application de la loi. Quand un État partie invoque un motif légitime pour justifier une restriction à la liberté d’expression, il doit démontrer de manière spécifique et individualisée la nature précise de la menace qui pèse sur l’un quelconque des éléments énoncés à l’article 19 (par. 3) et qui l’a conduit à imposer la restriction, ainsi que la nécessité et la proportionnalité de la mesure particulière prise, en particulier en établissant un lien direct et immédiat entre l’expression et la menace.

7.11En l’espèce, le Comité constate que l’État partie n’a avancé aucun argument concernant la légalité de la détention dans un établissement psychiatrique et de l’hospitalisation sans consentement et leur compatibilité avec les prescriptions de l’article 19 (par. 3) du Pacte. En conséquence, il considère que l’État partie n’a pas démontré que la restriction au droit de l’auteur de répandre des informations et des idées qui a découlé de son hospitalisation sans consentement était nécessaire et proportionnée au but légitime visé tel qu’il est énoncé à l’article 19 (par. 3) du Pacte. Il conclut donc que les droits que l’auteur tient de l’article 19 du Pacte ont été violés.

8.Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie des droits que l’auteur tient des articles 7, 9 (par. 1), 14 (par. 1) et 19 du Pacte.

9.Conformément à l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, l’État partie est tenu, entre autres, d’accorder à l’auteur une indemnisation adéquate, dont le remboursement de tous les frais de justice qu’il a engagés. L’État partie est également tenu de prendre les mesures nécessaires pour que des violations analogues ne se reproduisent pas.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsque la réalité d’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles.