Nations Unies

CCPR/C/131/D/2700/2015

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

14 février 2022

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant lacommunication no 2700/2015 * , * * , * * *

Communication présentée par :

Mayrambek Topozov (représenté par un conseil, Rysbek Adamaliyev)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteur

État partie :

Kirghizistan

Date de la communication :

7 juillet 2015 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 7 décembre 2015 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

24 mars 2021

Objet :

Torture ; détention arbitraire

Question(s) de procédure :

Néant

Question(s) de fond :

Torture ; absence d’enquête effective ; détention arbitraire ; présomption d’innocence

Article(s) du Pacte :

7, lu seul et conjointement avec les articles 2 (par. 3), 9 (par. 1 et 2) et 14 (par. 3 g))

Article(s) du Protocole facultatif :

5 (par. 2 b))

1.L’auteur de la communication est Mayrambek Topozov, de nationalité kirghize, né en 1973. Il affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient de l’article 7, lu seul et conjointement avec les articles 2 (par. 3), 9 (par. 1 et 2) et 14 (par. 3 g)) du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 7 janvier 1995. L’auteur est représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 5 janvier 2011, l’auteur a été arrêté par la police dans le cadre d’une opération antiterroriste et conduit au poste de police du district d’Alamoudoun, où il a été battu, puis a perdu connaissance. Quand il a repris connaissance, il était dans une cellule, presque nu et menotté à une chaise. Cinq ou six policiers encagoulés ont alors commencé à le battre et à le torturer en lui administrant des décharges électriques pour le forcer à avouer qu’il avait coopéré avec des terroristes. Face au refus de l’auteur, les policiers se sont montrés encore plus violents. L’auteur a été relâché le lendemain. Son arrestation et sa détention n’ayant pas été enregistrées, aucun document de procédure n’a été établi. L’auteur n’a jamais été informé du motif de son arrestation. Il a été placé en garde à vue sans eau ni nourriture pendant presque une journée entière, au cours de laquelle il a été torturé et battu.

2.2L’auteur affirme qu’il ne s’est pas rendu à l’hôpital immédiatement, mais que son état de santé s’est aggravé. Aussi, présentant des troubles de l’élocution et très affaibli physiquement, il a finalement décidé de se faire soigner. Il a été hospitalisé du 10 au 25 février 2011 et a subi une opération de la clavicule après qu’on lui a diagnostiqué une « luxation chronique complète » de celle-ci.

2.3Le 11 mars 2011, l’auteur a déposé plainte auprès du Bureau du Procureur du district d’Alamoudoun contre les policiers non identifiés qui l’avaient détenu illégalement et torturé le 5 janvier 2011. Le 22 août 2011, le ministère public a demandé que l’auteur passe un examen médical. Le médecin-expert a conclu que les blessures de l’auteur, à savoir une luxation chronique complète de la clavicule gauche et des lésions des tissus mous du thorax, étaient légères et qu’elles auraient pu être infligées à l’aide d’un objet contondant. Il a ajouté qu’en raison du laps de temps qui s’était écoulé, il était impossible d’estimer à quelle période ces blessures avaient pu être infligées.

2.4En conséquence, le 26 août 2011, le Bureau du Procureur a refusé d’engager une action pénale. Le 6 juillet 2012, l’auteur a recouru contre cette décision auprès du Bureau du Procureur de la région de Tchouï. Le 14 août 2012, son recours a été accueilli et son dossier renvoyé au Bureau du Procureur du district d’Alamoudoun pour un complément d’enquête. Toutefois, le 24 août 2012, le Bureau du Procureur a refusé à nouveau d’engager une action pénale.

2.5L’auteur a formé recours contre la décision de refus du Procureur, en date du 24 août 2012, devant le tribunal du district d’Alamoudoun. Le 12 novembre 2012, le tribunal a accueilli le recours. Le 31 décembre 2012, le Bureau du Procureur du district d’Alamoudoun a également formé un recours, devant la cour de cassation. Le 20 février 2013, la cour a donné pour instruction au Bureau du Procureur du district d’Alamoudoun de procéder à un complément d’enquête sur la base des allégations de l’auteur.

2.6Le 1er mai 2013, à l’issue du complément d’enquête, le parquet a de nouveau refusé d’engager une action pénale, faute de preuves. À la suite d’une plainte déposée par l’auteur le 1er juillet 2013, le Bureau du Procureur de la région de Tchouï a annulé la décision du Bureau du Procureur du district d’Alamoudoun et renvoyé l’affaire pour complément d’enquête. Le 15 août 2013, le Bureau du Procureur du district d’Alamoudoun a une nouvelle fois refusé d’engager une action pénale.

2.7L’auteur a de nouveau saisi le tribunal du district d’Alamoudoun. Le 2 octobre 2013, le tribunal a rejeté ses griefs, considérant que l’enquête était close et que la décision du Bureau du Procureur de refuser d’engager une action pénale était légale. L’auteur a saisi le tribunal de la région de Tchouï d’un recours en cassation, qui a été rejeté le 2 décembre 2013. Sa demande de réexamen au titre de la procédure de contrôle a été rejetée par la Cour suprême le 18 février 2014.

2.8L’auteur demande au Comité de constater une violation de ses droits par l’État partie et d’inviter instamment celui-ci à prendre les mesures suivantes : mener une enquête effective sur ses allégations de torture, poursuivre et sanctionner les auteurs des actes et lui accorder une indemnisation adéquate et les moyens nécessaires à une réadaptation complète ; s’engager à faire en sorte que des violations similaires ne se reproduisent pas, notamment en veillant à ce que tout détenu soit enregistré dès son arrestation ; mettre en place un mécanisme indépendant, habilité à enquêter sur les allégations de torture conformément aux principes internationaux.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur dénonce une violation des droits qu’il tient de l’article 7, lu seul et conjointement avec l’article 2 (par. 3), du Pacte, au motif qu’il a été battu et torturé par des policiers et privé d’eau et de nourriture. En outre, l’État partie n’a pas mené sans délai une enquête efficace sur les actes de torture que les policiers lui ont fait subir.

3.2L’auteur dénonce également une violation des droits qu’il tient de l’article 9 (par. 1 et 2) du Pacte, au motif qu’il a été détenu dans les locaux du poste de police pendant une journée sans bénéficier d’aucune garantie de procédure et qu’il n’a jamais été informé des faits qui lui étaient reprochés. Sa détention peut être confirmée par plusieurs témoins. Il a porté ses griefs devant les autorités nationales et, s’il reconnaît qu’il n’a jamais demandé à consulter un avocat, il affirme qu’il aurait dû bénéficier gratuitement des services d’un conseil.

3.3Enfin, l’auteur dénonce une violation de l’article 14 (par. 3 g)), alléguant qu’on l’a torturé pour le forcer à s’avouer coupable d’une infraction.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Les 21 avril et 3 octobre 2017, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et sur le fond. Il y confirme que, le 18 février 2011, la mère de l’auteur avait saisi le Bureau du Procureur général du Kirghizistan d’une plainte, affirmant que, dans le cadre d’une opération spéciale de lutte antiterroriste, des agents des forces de l’ordre avaient fait exploser un « cabanon d’agrément » appartenant à son fils. Au cours de cette opération, celui‑ci avait perdu des biens, à savoir des meubles et des appareils électroniques, ainsi que ses papiers d’identité. La mère de l’auteur affirmait également que les agents avaient agressé son fils. Le 11 mars 2011, l’intéressé lui-même avait saisi le Bureau du Procureur du district d’Alamoudoun d’une plainte, demandant que des mesures soient prises contre les agents qui l’avaient agressé.

4.2L’État partie a pu confirmer que, le 4 janvier 2011, dans la ville de Bichkek, un groupe d’inconnus avait commis un attentat contre plusieurs agents des forces de l’ordre, dont trois avaient été abattus. Il a été établi ultérieurement que l’attentat avait été perpétré par des membres d’un groupe religieux extrémiste, qui ont également été accusés d’autres infractions commises en 2010.

4.3Le 5 janvier 2011, des agents du poste de police du district d’Alamoudoun ont établi que les individus soupçonnés d’avoir commis l’attentat du 4 janvier 2011 vivaient dans un abri de jardin transformé en lieu d’habitation, qui était occupé par la famille de l’auteur mais dont le propriétaire était N. M. Cette habitation était située dans une enceinte appartenant à l’association de jardinage « Energetic ». Au cours de l’opération spéciale visant à les arrêter, les terroristes ont refusé de se rendre et ont abattu l’un des membres des forces de l’ordre. Il a donc été décidé de faire exploser le cabanon, ce qui a entraîné la mort de deux personnes soupçonnées de terrorisme. À l’issue de cette opération, l’auteur a été conduit au poste de police.

4.4L’examen médico-légal a montré que l’auteur présentait des lésions corporelles à la clavicule et au thorax, probablement causées à l’aide d’un objet contondant. Il a toutefois été impossible de déterminer la date de ces blessures en raison du temps qui s’était écoulé : l’auteur avait demandé à être soigné le 10 février 2011, soit trente-cinq jours après les faits. Au cours de son interrogatoire, l’auteur lui-même a expliqué que, le jour de l’opération en question, il rendait visite à son amie, B. S. Au cours de cette visite, des hommes en tenue de camouflage et encagoulés ont fait irruption au domicile de celle-ci ; l’un d’eux a frappé l’auteur à la poitrine, lui faisant perdre connaissance. Lorsqu’il a repris connaissance, l’auteur était menotté et ne portait plus que ses sous‑vêtements. Il a été frappé avec une matraque et électrocuté. Il a également été torturé par cinq ou six policiers encagoulés. C’est précisément parce que leur visage était dissimulé qu’il n’a pu en identifier aucun.

4.5L’amie de l’auteur, B. S., a également été interrogée. Elle a déclaré que, le jour de l’opération en question, trois hommes s’étaient présentés chez elle en s’annonçant comme étant des policiers et avaient arrêté l’auteur avant de l’emmener. Elle n’a vu aucun policier frapper l’auteur, et son logement n’a pas été saccagé. Lorsqu’elle a revu l’auteur cinq jours plus tard, celui-ci ne lui a montré aucune blessure. Elle a également déclaré qu’il n’y avait aucun bien de valeur au domicile de l’auteur.

4.6Les autorités ont également interrogé N. M., le propriétaire de l’habitation où vivait l’auteur. Celui-ci a déclaré qu’en 2010, l’auteur lui avait demandé à pouvoir s’y installer. Celui-ci travaillait comme agent de sécurité pour l’association de jardinage susmentionnée. N. M. a déclaré que le logement en question, qui était en réalité un abri de jardin, ne contenait que quelques meubles, notamment un vieux canapé, deux fauteuils, un lit, un placard de cuisine et quelques petits objets. La dernière fois que N. M. avait vu l’auteur, soit le 6 janvier 2011, celui-ci était pressé et lui avait demandé 1 000 soms, qu’il lui avait donnés. L’auteur avait semblé « satisfait » et ne s’était pas plaint d’agents des forces de l’ordre. L’État partie affirme en outre que N. M. n’avait demandé aucune indemnisation pour la destruction de son bien, qu’il avait expliqué que cet abri de jardin était vieux, et qu’il avait lui-même prévu de le démolir et de le remplacer par un nouveau cabanon.

4.7Les autorités ont également interrogé le chef du poste de police d’Alamoudoun, M. M., qui a déclaré que, le 5 janvier 2011, des policiers de son poste avaient reçu l’ordre de bloquer le périmètre de l’habitation où se trouvaient des terroristes présumés. À l’issue de l’opération antiterroriste, ses agents étaient rentrés au poste, et ce jour-là ils n’avaient procédé à aucune arrestation. Plusieurs autres agents, à savoir J. B., M. S. et A. A., qui étaient également présents pendant l’opération en question, ont fait des déclarations similaires. Compte tenu de ces faits et témoignages, les allégations de l’auteur concernant des méthodes d’enquête et d’instruction illégales sont dénuées de fondement.

4.8Compte tenu de ce qui précède, le Bureau du Procureur a refusé d’engager une action pénale contre les policiers. Par l’intermédiaire de son avocat, l’auteur a contesté cette conclusion et a saisi le tribunal du district d’Alamoudoun d’une plainte. Le 12 novembre 2012, le tribunal a estimé que la décision de ne pas engager d’action pénale était prématurée et dénuée de fondement, et a demandé aux enquêteurs de procéder à un complément d’enquête sur les allégations de torture. Ces décisions ont toutefois été annulées par la suite et, le 2 décembre 2013, la plainte de l’auteur a été rejetée et son recours en cassation ultérieur classé sans suite. Cette décision a été confirmée par la Cour suprême du Kirghizistan le 18 février 2014.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Le 5 juin 2017, en réponse aux observations de l’État partie, l’auteur a répété qu’il avait été arrêté et battu le 5 janvier 2011, puis torturé jusqu’à 3 heures du matin. Une fois libéré, il a appris que l’on avait fait sauter la maison qu’il louait et que ses papiers d’identité avaient été détruits. Il a fait l’objet de pressions et de menaces de la part de policiers, qui sont venus le voir plusieurs fois après sa remise en liberté, le faisant chanter et demandant des pots‑de‑vin. Craignant d’être à nouveau torturé, l’auteur leur a donné de l’argent. Les actes de torture qu’il a subis ont provoqué des blessures, mais il n’avait pas les moyens de payer des soins médicaux. Il a donc bénéficié d’un programme de réadaptation destiné aux victimes de torture, géré par une organisation non gouvernementale locale. Dans le cadre de ce programme, il a suivi un traitement à l’hôpital régional de Tchouï du 12 décembre 2011 au 3 janvier 2012. Les médecins ont pratiqué une intervention chirurgicale sur sa clavicule, qui présentait des lésions produites par les actes de torture infligés.

5.2Au lieu de mener une enquête approfondie, les autorités de l’État partie se sont contentées d’interroger quatre policiers, qui ont nié avoir jamais arrêté l’auteur ou l’avoir conduit au poste de police. Il n’en reste pas moins que différents services des forces de l’ordre ont participé à l’opération antiterroriste, notamment les services nationaux de sécurité et les forces de déploiement rapide. Cela ressort clairement de l’ordonnance de refus d’engager une action pénale, datée du 26 août 2011, dans laquelle il est indiqué que quelque 200 à 300 agents étaient présents sur les lieux de l’opération. Cependant, les enquêteurs n’ont pas tenté d’identifier autant d’agents des forces de l’ordre que possible, mais seuls les quatre agents du poste de police.

5.3L’amie de l’auteur a également déclaré, au cours de l’enquête, que plusieurs policiers étaient venus chez elle et avaient arrêté l’auteur avant de l’emmener. L’État partie n’indique pas qui étaient ces policiers ni où l’auteur a été conduit. L’auteur soutient en outre qu’au moins quatre autres personnes avaient été témoins de son arrestation par les policiers.

5.4L’État partie fait valoir que l’auteur a attendu trente-cinq jours avant de demander un examen médical. L’auteur étant une personne aux moyens modestes, il n’avait pas d’argent avec lequel payer un traitement médical. En outre, il craignait d’être persécuté par les forces de l’ordre, surtout après avoir été menacé. Cependant, par la suite, son état de santé s’est aggravé et, sur l’insistance de sa mère, il a décidé de se faire soigner. L’examen médical a révélé que l’auteur avait subi une fracture de la clavicule, que les tissus mous de son thorax avaient été lésés et que ces blessures auraient pu avoir été causées à l’aide d’un objet contondant. Malgré cela, les autorités n’ont pas interrogé les médecins qui avaient examiné l’auteur.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité prend note de ce que l’auteur affirme avoir épuisé tous les recours internes utiles disponibles. En l’absence d’objection de l’État partie sur ce point, le Comité considère que les conditions énoncées à l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif sont réunies.

6.4Le Comité prend note des griefs soulevés par l’auteur au titre de l’article 14 (par. 3 g)) du Pacte. Cependant, en l’absence de toute autre information pertinente dans le dossier, il estime que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ces griefs aux fins de la recevabilité. Il déclare donc cette partie de la communication irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.5Le Comité estime que l’auteur a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, les griefs de violation des droits qu’il tient de l’article 7, lu seul et conjointement avec les articles 2 (par. 3) et 9 (par. 1 et 2) du Pacte. Il déclare ces griefs recevables et passe à leur examen au fond.

Examen au fond

7.1 Conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2Le Comité note que l’auteur affirme que le 5 janvier 2011, il a été appréhendé par des hommes inconnus en tenue de camouflage et encagoulés, qu’il a été emmené au poste de police d’Alamoudoun, où cinq ou six policiers inconnus l’ont battu et torturé pour le contraindre à s’avouer coupable d’un acte de terrorisme. L’auteur affirme qu’on lui a enlevé tous ses vêtements, à l’exception de ses sous-vêtements, qu’il a été battu et électrocuté, puis sommé d’avouer une infraction qu’il n’avait pas commise. Face au refus de l’auteur de faire de tels aveux, les actes de torture et les coups se sont intensifiés. L’auteur a été relâché le lendemain. Le Comité note que l’auteur indique que, dans un premier temps, il a refusé de subir un examen médical parce qu’il craignait que les policiers ne le battent à nouveau en représailles. L’auteur s’inquiétait également des frais qu’entraîneraient un diagnostic et un traitement et n’a été traité que grâce à l’aide financière d’une organisation non gouvernementale locale. Le Comité note aussi que l’auteur a déposé de nombreuses plaintes et qu’à cinq reprises, les autorités de l’État partie ont refusé d’ouvrir une enquête pénale, faute d’éléments matériels.

7.3Le Comité prend également note des informations fournies par l’État partie selon lesquelles un groupe d’inconnus a attaqué plusieurs agents des forces de l’ordre et cette attaque a entraîné la mort de trois agents. Il a été établi ultérieurement que l’attentat avait été perpétré par des membres d’un groupe religieux extrémiste (voir par. 4.2 ci-dessus). Dans le cadre d’une opération spéciale de lutte antiterroriste, des agents des forces de l’ordre ont fait exploser un « cabanon d’agrément » dans lequel les suspects se cachaient et qui, selon la mère de l’auteur, appartenait à l’auteur (voir par. 4.1 ci-dessus). À l’issue de l’opération, l’auteur a été arrêté et conduit au poste de police pour y être interrogé. Si l’État partie reconnaît que l’auteur a été conduit au poste de police, il nie avoir détenu l’auteur, l’avoir torturé ou l’avoir forcé à avouer des infractions qu’il n’avait pas commises. Au demeurant, aucune accusation n’a jamais été portée contre l’auteur, qui a quitté le poste de police le jour suivant après avoir été interrogé, ce qui ne semble pas cadrer avec l’allégation selon laquelle on l’a torturé pour lui arracher des aveux. Le Comité constate que l’État partie a ouvert plusieurs enquêtes préliminaires, qui ont été closes faute d’éléments matériels. Au cours de ces enquêtes, des témoins ont été interrogés, notamment les policiers présents sur les lieux, mais aussi des témoins indépendants, tels que l’amie de l’auteur, B. S. (voir par. 4.5 ci‑dessus), et N. M. (voir par. 4.6 ci-dessus). Ces témoins ont déclaré qu’ils n’avaient pas vu l’auteur être frappé, ni aucun signe de blessure sur l’auteur les 5 et 6 janvier 2011, ni même « cinq jours plus tard » (voir par. 4.5 ci-après). Le Comité constate en outre que l’auteur n’a subi un examen médical que le 10 février 2011, soit trente-cinq jours après les faits allégués. Il prend note de ce que vu le laps de temps écoulé avant que l’auteur ne cherche à se faire soigner, ni le médecin-expert ni les autorités n’ont été en mesure de conclure que les signes de blessures que portait l’auteur, lesquelles étaient légères, étaient dus à des actes de torture, puisqu’elles auraient pu être causées par un objet contondant après que l’auteur avait quitté le poste de police (voir par. 2.3 et 4.4 ci-dessus). Enfin, le Comité constate que l’auteur a affirmé dans un premier temps qu’il avait été opéré de la clavicule en février 2011 (voir par. 2.2 ci-dessus), mais qu’ultérieurement il a reconnu que cette intervention n’avait été pratiquée qu’en décembre 2011 (voir par. 5.1 ci-dessus). En conséquence, le Comité, compte tenu des circonstances de l’espèce et des informations communiquées par les parties, et prenant en considération les quelques incohérences dans les arguments de l’auteur, ne saurait conclure que les faits dont il est saisi font apparaître une violation des droits que l’auteur tient de l’article 7, lu seul et conjointement avec les articles 2 (par. 3) et 9 (par. 1 et 2) du Pacte.

7.4 Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi ne font pas apparaître de violation par l’État partie de l’une quelconque des dispositions du Pacte.

Annexe I

Opinion individuelle (dissidente) de Furuya Shuichi

1.Je ne peux souscrire à la conclusion du Comité selon laquelle les faits dont il est saisi ne constituent pas une violation des droits que l’auteur tient des articles 7 et 9 du Pacte. J’estime que les faits de l’espèce font apparaître une violation de ces articles pour les raisons exposées ci-après.

2.Selon la jurisprudence du Comité, un État partie est responsable de la sécurité de toute personne placée en détention et, lorsqu’une personne est blessée alors qu’elle est en détention, il incombe à l’État partie de produire des éléments de preuve l’exonérant de toute responsabilité. Le Comité a affirmé à plusieurs reprises qu’en pareil cas, la charge de la preuve ne saurait incomber uniquement à l’auteur de la communication, d’autant que l’État partie est souvent le seul à disposer des renseignements voulus.

3.En l’espèce, l’auteur affirme qu’il a été emmené au poste de police du district d’Alamoudoun pour y être interrogé le 5 janvier 2011 et qu’il en est ressorti le lendemain. L’État partie indique que, selon le témoignage du chef du poste de police du district d’Alamoudoun, M. M., ses agents n’ont arrêté personne ce jour-là, et que plusieurs autres agents ont donné des explications similaires (par. 4.7). Toutefois, l’État partie lui-même reconnaît que l’auteur a été emmené au poste de police à l’issue de l’opération antiterroriste (par. 4.3). Il cite également le témoignage de l’amie de l’auteur, B. S., selon lequel trois hommes sont venus chez elle, se sont présentés comme des policiers, ont arrêté l’auteur et sont partis (par. 4.5). Au vu de ces faits, présentés par l’État partie au Comité, il semble indéniable que l’auteur a été arrêté par des policiers et qu’il est resté au poste de police pendant une journée entière, bien qu’il ne soit pas clair s’il était officiellement en état d’arrestation ou à quel service appartenaient ces policiers.

4. L’auteur a subi un examen médical trente-cinq jours après la garde à vue alléguée. Le Comité, à la majorité de ses membres, s’appuie sur ce fait pour conclure qu’aucune violation n’a été commise en l’espèce. Or à mon avis, il y a un fait essentiel, à savoir que l’auteur a effectivement été blessé, ce qui a été confirmé par un expert médical (par. 2.3 et 4.4), et que personne n’a témoigné qu’il avait été blessé avant sa garde à vue le 5 janvier 2011. Quant à la question de savoir si l’auteur a été blessé le jour de son arrestation ou après celui-ci, il incombe à l’État partie de démontrer que ses blessures ne résultent pas des tortures qu’il dit avoir subies au poste de police. Cependant, l’État partie n’a présenté aucun argument pour contrer l’affirmation de l’auteur selon laquelle les blessures ont été infligées au poste de police. Comme il est souligné au paragraphe 11 de l’observation générale no 20 (1992) du Comité, la date et le lieu des interrogatoires, ainsi que les noms de toutes les personnes y assistant doivent être inscrits sur un registre, et ces renseignements doivent également être disponibles aux fins de la procédure judiciaire ou administrative. Malgré cette obligation, l’État partie n’a pas déterminé qui a arrêté l’auteur et où il a été interrogé, ni fourni d’autres informations pertinentes au Comité. En l’absence de tout contre-argument ou élément de preuve fourni par l’État partie, je dois accorder le crédit voulu à l’allégation de l’auteur et considérer que le traitement qui lui a été réservé par les autorités de l’État partie constitue une violation des droits qu’il tient de l’article 7 du Pacte.

5.En outre, l’article 9 (par. 2) du Pacte dispose que tout individu arrêté doit être informé, au moment de son arrestation, des raisons de cette arrestation. Le Comité a indiqué dans son observation générale no 35 qu’il pouvait y avoir arrestation au sens de l’article 9 sans que l’intéressé soit officiellement arrêté selon la législation nationale. Conformément au paragraphe 24 de cette même observation générale, étant donné que l’« arrestation » désigne le début d’une privation de liberté, l’obligation d’informer la personne concernée des raisons de son arrestation s’applique, que l’arrestation ait lieu de façon formelle ou non et indépendamment de la raison légitime ou illégitime sur laquelle elle est fondée.

6.En l’espèce, l’auteur affirme qu’il n’a pas été informé, au moment de son arrestation, des raisons de celle-ci, et que son arrestation n’a été enregistrée dans aucun document officiel. Comme je l’ai déjà souligné dans le paragraphe précédent, l’État partie reconnaît que l’auteur a été emmené au poste de police. Malgré cela, il n’a présenté aucun argument pour contrer l’affirmation de l’auteur. Dans ces circonstances, et en l’absence d’autres informations ou explications pertinentes émanant de l’État partie, je dois conclure que les droits que l’auteur tient de l’article 9 (par. 1 et 2) du Pacte ont été violés.

7.En conséquence, je conclus, en me dissociant de l’avis de la majorité des membres du Comité, que les faits dont le Comité est saisi en l’espèce font apparaître une violation des articles 7 et 9 du Pacte.

Annexe II

[Original : espagnol]

Opinion individuelle (partiellement dissidente) de Hernán Quezada Cabrera

1.Concernant la communication no 2700/2015 (Topozov c. Kirghizistan), je souscris à l’affirmation du Comité selon laquelle il n’est pas possible de conclure, sur le fondement des informations fournies par les parties, que les faits établis font apparaître une violation des droits que l’auteur tient de l’article 7, lu séparément et conjointement avec l’article 2 (par. 3) du Pacte.

2.Cependant, je regrette de ne pouvoir me joindre à la majorité des membres du Comité pour conclure que les faits examinés ne font pas apparaître une violation de l’article 9 (par. 1 et 2) du Pacte, pour les raisons exposées ci-après.

3.Le requérant affirme qu’il a été privé de liberté du 5 janvier au soir à 18 h 30 jusqu’au 6 janvier 2011, sans être informé des raisons de son arrestation et sans que celle-ci soit officiellement enregistrée. À cet égard, l’État partie ne donne aucune explication utile sur les faits survenus durant cette période, se contentant d’affirmer que l’auteur a été conduit au poste de police, mais qu’il n’y a jamais été détenu.

4.En l’absence d’explication sur la raison pour laquelle l’État partie a privé l’auteur de liberté et faute d’avoir pu établir si les règles de procédure applicables ont été respectées dans l’exécution de cette mesure, la détention peut être considérée comme ayant été arbitraire et illégale. À cet égard, l’État partie n’a soumis aucun élément permettant de déterminer si l’auteur a été arrêté pour un motif prévu par la loi et conformément à la procédure prévue par celle‑ci. À cela s’ajoute le fait que l’auteur affirme qu’il n’a pas été informé des raisons de sa privation de liberté, ce qui n’a pas été contesté par l’État partie.

5.Dans ces conditions, et en l’absence d’autres informations ou explications pertinentes émanant de l’État partie, il doit être conclu que les droits que l’auteur tient de l’article 9 (par. 1 et 2) du Pacte ont été violés.