Nations Unies

CCPR/C/135/D/3154/2018

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

31 janvier 2023

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Décision adoptée par le Comité au titre du Protocole facultatif, concernant la communication no 3154/2018 * , ** , ***

Communication présentée par :

S. M. (non représenté par un conseil)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteur

État partie :

Bosnie-Herzégovine

Date de la communication :

11 août 2017 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 23 mars 2018 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision :

8 juillet 2022

Objet :

Accès aux résultats de l’enquête d’une université publique

Question(s) de procédure :

Défaut de fondement

Question(s) de fond :

Droit d’accès à l’information

Article(s) du Pacte :

2, 14, 19 et 25

Article(s) du Protocole facultatif :

2, 5 (par. 2 b))

1.L’auteur de la communication est S. M., de nationalité bosnienne, né le 24 février 1994. Il affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient des articles 2, 14, 19 et 25 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 1er juin 1995. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur est un journaliste indépendant. À ce titre, il a adressé trois demandes à l’Université de Banja Luka aux fins d’obtention des données relatives à la qualité de son enseignement. Les demandes ont été faites le 31 mars 2016 (la première demande), le 20 juillet 2016 (la deuxième demande) et le 13 septembre 2016 (la troisième demande). L’auteur avait pour objectif d’informer le public sur la qualité du travail effectué par les organismes publics et sur le raisonnement sous‑tendant leur prise de décisions.

2.2Les 31 mars et 13 septembre 2016, l’auteur a demandé à l’Université de Banja Luka de lui communiquer des informations sur les résultats des enquêtes que l’Université mène chaque année auprès de ses étudiants sur la qualité de l’enseignement. Dans le cadre de ces enquêtes, les étudiants remplissent des questionnaires normalisés dans lesquels ils évaluent le personnel enseignant et administratif et la qualité générale de l’enseignement, et suggèrent des améliorations. Les points soumis à évaluation sont notamment la régularité des cours, des consultations et des examens, le comportement du personnel enseignant et administratif à l’égard des étudiants et la disponibilité des manuels. Les résultats sont saisis dans une base de données unifiée à partir de laquelle l’Université établit des rapports synthétiques et détaillés comprenant les notes attribuées à chaque enseignant et les mesures prises en fonction des résultats.

2.3L’auteur s’est appuyé sur la loi sur la liberté d’accès à l’information de la Republika Srpska pour demander les rapports détaillés établis par le Bureau de l’assurance qualité de l’Université à partir des enquêtes des années précédentes. Les 4 avril et 20 septembre 2016, le recteur de l’Université a rejeté les deux demandes, invoquant l’article 8 de ladite loi ; cet article prévoit une dérogation à la communication d’informations, uniquement lorsque celles‑ci relèvent de l’une de trois catégories, notamment lorsqu’il est établi que les informations demandées concernent des intérêts personnels ayant trait à la vie privée de tiers. Le recteur a également invoqué les articles 4 et 16 (par. 5) du règlement relatif aux enquêtes menées auprès des étudiants sur la qualité de l’enseignement.

2.4Les 22 avril et 7 octobre 2016, l’auteur a fait appel devant le Conseil d’administration, affirmant que les informations demandées ne concernaient pas des intérêts personnels ayant trait à la vie privée de tiers, objet de l’article 8 de la loi sur la liberté d’accès à l’information, mais bien la qualité du travail des fonctionnaires du plus grand établissement public d’enseignement supérieur de la Republika Srpska. Il a affirmé que le recteur n’avait pas procédé à un examen de l’intérêt général, comme l’exigeait l’article 9 de la loi, et que les articles 155 (par. 4), 157 (par. 1) et 159 des Statuts de l’Université prévoyaient explicitement que les résultats d’enquêtes et les informations relatives aux activités de l’Université devaient être rendus publics. Il a affirmé en outre que l’article 4 du Règlement visait à protéger les enseignants contre l’introduction de questions inappropriées dans les questionnaires et que l’article 16 (par. 5) n’était pas applicable, puisque c’était la loi sur la liberté d’accès à l’information qui déterminait la procédure autorisée d’accès à l’information. Il a aussi invoqué l’article 19 du Pacte et l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme). Les 19 mai et 22 novembre 2016, respectivement, le Conseil d’administration a rejeté les deux recours et confirmé les arguments du recteur. Les griefs de violations du Pacte et de la Convention européenne des droits de l’homme n’ont été ni examinés ni mentionnés. L’auteur a fait appel de ces deux décisions devant le tribunal de district de Banja Luka, qui a rejeté ses recours les 16 et 29 mai 2017. Concernant la première et la troisième demandes, le tribunal a jugé que les décisions étaient correctes et légales car fondées sur une dérogation, soulevée par les organes administratifs, qui concernait la vie privée de tiers. Il a aussi invoqué l’article 16 du Règlement selon lequel toutes les données relatives à une enquête devaient être protégées des procédures non autorisées menées par des tiers. Il a réfuté l’affirmation selon laquelle les informations demandées constituaient une « information » au sens de la loi sur la liberté d’accès à l’information, car il ne s’agissait pas de données exactes mais plutôt d’avis d’étudiants sur la qualité de leurs études. Il a affirmé que les résultats de l’enquête ne pouvaient être rendus publics car, s’ils faisaient partie des informations collectées dans le cadre du suivi annuel et périodique des programmes d’études, ils ne constituaient pas, en eux‑mêmes, le bilan annuel ou périodique du programme d’études. Le tribunal a soutenu que seuls les organes de direction de l’Université pouvaient consulter les résultats individuels et que même les enseignants et enseignants associés employés à l’Université n’avaient pas nécessairement accès aux résultats de l’enquête. Il a également soutenu que, par ces enquêtes, l’Université entendait améliorer la qualité du programme d’études et que ces enquêtes donnaient un aperçu des avis des étudiants mais que leurs résultats gardaient un caractère interne. Ainsi, rien ne justifiait de partager de telles informations internes, et ce, d’autant moins que la loi sur l’enseignement supérieur prévoyait l’autonomie et la liberté académiques. Le tribunal a fait savoir que l’Université avait publié les résultats cumulés de l’enquête en les affichant dans ses locaux. Il n’a mentionné ni l’article 9 de la loi sur la liberté d’accès à l’information, ni l’article 19 du Pacte, ni l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme.

2.5Le 20 juillet 2016, invoquant la loi sur la liberté d’accès à l’information et sa qualité de journaliste indépendant, l’auteur a demandé au Conseil d’administration de lui communiquer le procès-verbal de la réunion à laquelle son recours contre la première décision du recteur avait été examiné, l’enregistrement audio de cette réunion et le détail du vote de chacun des membres du Conseil sur la question. Le 2 septembre 2016, le Conseil d’administration a rejeté sa demande, invoquant l’article 6 (par. 1 v)) de la loi sur la liberté d’accès à l’information ; celui-ci prévoit une dérogation à la communication d’informations lorsque l’on peut s’attendre à ce que celle-ci nuise gravement aux objectifs légitimes du processus de prise de décisions lors de la formulation par une autorité publique, une personne employée par une autorité publique, ou toute personne agissant pour une autorité publique ou en son nom, d’un avis, d’un conseil ou d’une recommandation ne portant pas sur des informations factuelles, statistiques, scientifiques ou techniques. Le 16 septembre 2016, l’auteur a contesté cette décision devant le tribunal de district, affirmant que l’article 6 (par. 1 v)) de la loi sur la liberté d’accès à l’information avait été appliqué à tort, puisque le processus de prise de décisions concerné était déjà terminé et ne pouvait donc pas être compromis. Il a également invoqué les articles 19 et 25 du Pacte et l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme. Il a affirmé que la divulgation du procès‑verbal et des résultats du vote ne nuirait pas au processus démocratique légitime de prise de décisions à l’avenir, alors que la rétention de ces informations y porte atteinte, en ce qu’elle prive les citoyens du droit de prendre part aux affaires publiques et d’exercer un contrôle, droit consacré par l’article 25 du Pacte. Le 18 mai 2017, le tribunal de district a confirmé le raisonnement de l’Université selon lequel chaque membre du Conseil d’administration avait le droit de voter sur les diverses questions inscrites à l’ordre du jour et d’exprimer ses conclusions et avis sans qu’aucune pression ne soit exercée sur sa décision, et selon lequel en l’espèce, la communication de ces informations ne servait pas l’intérêt général. Le tribunal a également affirmé que conformément à l’article 25 (par. 2) du règlement intérieur du Conseil d’administration et à l’article 159 des Statuts, l’Université était tenue d’informer le public en temps utile et en toute honnêteté de la conduite de ses affaires, ce qu’elle avait fait en transmettant oralement des avis individuels, en diffusant des publications périodiques et spéciales et en publiant des annonces sur les tableaux d’affichage et les sites Internet.

2.6Le 19 juin 2017, l’auteur a introduit un recours devant la Cour constitutionnelle contre les trois décisions de justice, invoquant les arguments déjà exposés devant le tribunal de district, ainsi que les droits à un procès équitable et à la liberté d’expression garantis, respectivement, aux articles 14 et 19 du Pacte et aux articles 6 et 10 de la Convention européenne des droits de l’homme. La Cour constitutionnelle a décidé de joindre les trois recours, puis les a rejetés au motif qu’ils étaient incompatibles ratione materiae avec la Constitution. S’agissant du droit à un procès équitable, elle a conclu que dans la procédure relative à l’accès à l’information tel que défini dans la loi sur la liberté d’accès à l’information, les droits et obligations de caractère civil de l’appelant n’étaient pas déterminés au sens de l’article 6 (par. 1) de la Convention européenne des droits de l’homme, car l’affaire concernait l’existence de conditions juridiques d’accès à l’information. S’agissant du droit à la liberté d’expression, elle a conclu que la procédure ayant abouti à la détermination de l’existence de conditions juridiques d’accès à l’information ne prévoyait pas la protection du droit de l’appelant à la liberté d’expression tel qu’énoncé à l’article II (par. 3 h)) de la Constitution de Bosnie‑Herzégovine et à l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur dénonce une violation des droits qu’il tient de l’article 2 du Pacte en ce qu’il a été privé d’accès à un tribunal et à des recours utiles, n’ayant pas eu la possibilité de commenter et de réagir à des opinions sur toutes les questions pertinentes pour l’issue de la procédure judiciaire.

3.2L’auteur affirme que le droit à un procès équitable qu’il tient de l’article 14 du Pacte a été violé puisque les décisions et jugements concernant ses plaintes n’ont pas été suffisamment expliqués et ont pâti d’une interprétation manifestement erronée et arbitraire de la législation, tandis que ses arguments n’ont pas été pris en compte. Il avance que le tribunal de district a simplement répété les déclarations non étayées des organes administratifs, sans procéder à un examen complet de ses griefs. Il avance que le tribunal de district a mis en doute l’existence de l’information recherchée et sa qualité d’« information » au sens de la loi sur la liberté d’accès à l’information ; comme cette interrogation n’a été formulée qu’au moment du jugement final, l’auteur n’a pas eu la possibilité de contester cette interprétation.

3.3L’auteur dénonce une violation du droit à la liberté d’expression qu’il tient de l’article 19 du Pacte, affirmant que l’État partie a restreint, sans justification, son accès aux informations détenues par des organismes publics. Il précise que ces informations concernaient la qualité du travail, les processus de prise de décisions et le raisonnement des organismes publics. Il affirme que les organismes publics sont tenus de communiquer toutes les informations qu’ils détiennent à moins d’établir une dérogation de publication. Il avance que le raisonnement de la Cour constitutionnelle est contraire à la jurisprudence constante du Comité, car il rend le droit d’accès à l’information non seulement difficile, lent, peu pratique et inefficace, mais aussi purement théorique, abstrait voire inexistant. L’auteur a sollicité ces informations en sa qualité de journaliste indépendant, dans l’intention d’informer le public sur des questions d’intérêt général.

3.4L’auteur se réfère à l’observation générale no 34 (2011), dans laquelle le Comité a confirmé que le droit à la liberté d’expression protégé par l’article 19 englobait le droit d’accès à l’information détenue par les organismes publics et l’obligation pour les autorités d’expliquer les raisons de tout refus d’accès. Les restrictions à ce droit doivent être a) fixées par la loi, b) prévues par l’article 19 (par. 3 a) ou b)), et c) répondre aux critères stricts de nécessité et de proportionnalité. L’auteur affirme que la première condition n’a pas été remplie puisqu’en l’espèce, la législation nationale n’autorise pas le refus d’accès à l’information. Il soutient que l’article 8 de la loi sur la liberté d’accès à l’information ne peut être invoqué que s’il est établi que les informations recherchées concernent des intérêts personnels ayant trait à la vie privée de tiers (première et troisième demandes) ou si leur communication pourrait nuire gravement aux objectifs légitimes de la protection du processus décisionnel d’une autorité publique (deuxième demande). L’auteur affirme que dans la première et la troisième demandes, les informations portent sur la qualité du travail des fonctionnaires d’une institution publique, et non sur la vie privée ou les intérêts personnels d’une personne, et que, dans la deuxième demande, l’information concerne un processus de prise de décisions qui est déjà terminé et ne peut donc pas être compromis. S’agissant de la deuxième condition, l’auteur avance que dans la première et la troisième demandes, si le droit à l’information peut être restreint aux fins du respect des droits ou de la réputation d’autrui (art. 19 (par. 3 a)), l’État partie n’a ni expliqué ni indiqué en quoi la publication des informations recherchées aurait porté atteinte aux droits ou à la réputation d’autrui. En outre, seule une évaluation négative du travail d’un fonctionnaire pouvait théoriquement nuire à la réputation de cette personne et, en pareil cas, l’intérêt général exigeait plutôt la publication de l’information puisqu’elle indiquait une négligence dans l’exercice des fonctions publiques. Pour ce qui est de la deuxième demande, si « la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques » (art. 19 (par. 3 b)) peut effectivement être invoquée pour restreindre le droit d’accès à l’information, l’État partie n’a pas expliqué en quoi c’était le cas. S’agissant des critères de nécessité et de proportionnalité, l’auteur affirme que l’Université s’est contentée de dire qu’elle avait procédé à leur examen en réponse à l’action menée en justice mais n’a pas démontré qu’elle l’avait fait. En outre, l’Université a fondé sa décision sur des circonstances imprévues, ce qui signifie qu’aucun lien direct et immédiat n’a été établi entre le droit à l’information et la menace précise et individualisée. Étant donné que le tribunal de district et la Cour constitutionnelle n’ont fait que confirmer les arguments de l’Université, aucune des deux juridictions n’a démontré davantage en quoi il avait été tenu compte des critères de nécessité et de proportionnalité.

3.5Enfin, l’auteur dénonce une violation des droits qu’il tient de l’article 25 du Pacte en ce qu’il a été empêché de participer en connaissance de cause au processus démocratique et d’exercer son droit et son obligation de journaliste d’informer le public sur des questions d’intérêt général. Il affirme que concernant la deuxième demande, l’argument du tribunal de district selon lequel chaque membre du Conseil d’administration a le droit de voter sur les diverses questions inscrites à l’ordre du jour et d’exprimer ses conclusions et avis, sans qu’aucune pression ne soit exercée sur sa décision, est contraire à l’article 25, qui protège le droit du public d’exercer une influence sur les organes publics dans le cadre d’un débat ouvert, conditionné par le libre accès à l’information, comme le confirme le Comité dans son observation générale no 25 (1996).

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 18 octobre 2018, l’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité et sur le fond. Il rappelle que la Cour constitutionnelle a jugé les demandes irrecevables au motif qu’elles étaient incompatibles ratione materiae avec la Constitution. Il rappelle également qu’en ce qui concerne les allégations de l’auteur selon lesquelles son droit à un procès équitable (art. 6 de la Convention européenne des droits de l’homme), son droit à la liberté d’expression (art. 10 de la Convention européenne des droits de l’homme) et le principe de non-discrimination (art. 14 de la Convention européenne des droits de l’homme) auraient été violés, la Cour constitutionnelle a également décidé de rejeter les recours et de les déclarer irrecevables car incompatibles ratione materiae avec la Constitution. Il affirme que la Cour constitutionnelle exprime ses positions juridiques en expliquant des décisions et que, conformément à son règlement de procédure, elle ne fournit pas d’explications ni d’interprétations juridiques ultérieures concernant ses décisions définitives et contraignantes.

4.2En ce qui concerne le fond de la communication, l’État partie fait observer que l’Université de Banja Luka a correctement appliqué la loi sur la liberté d’accès à l’information, ses propres statuts et le règlement relatif aux enquêtes menées auprès des étudiants sur la qualité de son enseignement, comme l’ont confirmé le tribunal de district de Banja Luka et la Cour constitutionnelle dans le cadre de la procédure judiciaire.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.Le 25 décembre 2018, l’auteur a fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il affirme que l’État partie n’a présenté aucun élément pertinent permettant de contester une quelconque partie de sa communication et n’a soulevé aucune objection quant à la recevabilité ou au fond de celle-ci. Il soutient que l’État partie s’est contenté d’informer le Comité que la Cour constitutionnelle ne commentait pas ses décisions définitives et contraignantes, et d’affirmer que l’Université de Banja Luka pensait avoir agi conformément à la législation nationale.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité note que l’auteur affirme avoir épuisé « tous les recours internes raisonnables » qui lui étaient ouverts. Faute d’objection de l’État partie sur ce point, il considère que les conditions énoncées à l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif sont remplies.

6.4Le Comité note que l’auteur dit n’avoir pas eu accès à un recours utile, en violation de l’article 2, parce qu’il n’a pas eu la possibilité de commenter et de réagir à des opinions sur toutes les questions importantes pour l’issue de la procédure judiciaire. Renvoyant à sa jurisprudence sur ce point, le Comité rappelle que l’article 2 du Pacte énonce une obligation générale faite aux États parties et ne peut pas être invoqué seul dans une communication présentée au titre du Protocole facultatif. En conséquence, il déclare cette partie de la communication incompatible avec les dispositions du Pacte et irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.5En ce qui concerne le grief de violation de l’article 14, le Comité prend note de l’argument de l’auteur selon lequel le droit à ce que sa cause soit entendue équitablement a été violé car le tribunal de district n’a pas suffisamment expliqué ses décisions et s’est contenté de répéter les arguments non étayés des organes administratifs. Le Comité considère que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ce grief aux fins de la recevabilité et le déclare irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.6Pour ce qui est du grief de violation de l’article 25 du Pacte, le Comité considère que l’argument de l’auteur selon lequel il a été empêché de participer en connaissance de cause au processus démocratique et d’exercer son droit et son obligation de journaliste d’informer le public sur des questions d’intérêt général n’est pas suffisamment étayé aux fins de la recevabilité. Il le déclare donc irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.7S’agissant de l’article 19, le Comité note que concernant la deuxième demande, l’auteur affirme que le refus du Conseil d’administration de lui fournir le procès‑verbal, l’enregistrement audio et les résultats détaillés du vote concernant son premier recours devant le recteur constitue une violation du droit de rechercher et de recevoir des informations qu’il tient de l’article 19 (par. 2) du Pacte. Le Comité note également que l’auteur affirme avoir demandé ces documents en tant que journaliste indépendant, en invoquant la loi sur la liberté d’accès à l’information et l’article 25 (par. 2) du règlement intérieur du Conseil d’administration, qui dispose que les réunions et les votes sont publics. Le Comité note en outre que même si l’auteur a affirmé que l’État partie n’avait pas expliqué en quoi son droit d’accès à l’information pouvait être restreint par l’article 19 (par. 3 b)), lui-même n’avait pas démontré, en premier lieu, en quoi l’information demandée était d’intérêt général, de manière à relever de l’article 19. Le Comité considère donc que ce grief n’a pas été suffisamment étayé aux fins de la recevabilité et le déclare irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.8En ce qui concerne la première et la troisième demandes, le Comité note que selon l’auteur, le refus des autorités de l’État partie de lui fournir des informations sur les résultats des enquêtes que l’Université mène chaque année auprès de ses étudiants constitue une violation du droit de rechercher et de recevoir des informations qu’il tient de l’article 19 (par. 2) du Pacte. Le Comité rappelle son observation générale no 34 (2011), dans laquelle il déclare que l’information détenue par les organismes publics comprend les dossiers détenus par un organisme public, quelles que soient la forme sous laquelle elle est stockée, la source et la date de production, et qu’il incombe aux États parties de faire tout ce qui est possible pour garantir un accès aisé, rapide, effectif et pratique à cette information. Le Comité rappelle également que le droit de rechercher, de recevoir et de répandre des informations garanti par l’article 19 englobe le droit d’accès à l’information pour les journalistes. Le Comité note que la première et la troisième demandes de l’auteur ont été rejetées sur la base de l’article 8 de la loi sur la liberté d’accès à l’information, qui prévoit une dérogation à la communication d’informations, uniquement lorsque celles-ci relèvent de l’une de trois catégories, notamment lorsqu’il est établi que les informations demandées concernent des intérêts personnels ayant trait à la vie privée de tiers, ainsi que sur la base du Règlement, qui dispose que les enquêtes reposent sur les principes du volontariat, de l’anonymat, de la neutralité et de la protection de la dignité des personnes dont le travail est soumis à évaluation et que toutes les données relatives à une enquête doivent être protégées des procédures non autorisées menées par des tiers. Le Comité note également qu’en l’espèce, le tribunal a soutenu que parce que l’objectif de ces enquêtes étant d’améliorer la qualité du programme d’études en donnant un aperçu des avis des étudiants, elles gardaient un caractère interne. Le Comité note en outre que l’Université a publié les résultats cumulés de l’enquête en les affichant dans ses locaux. Compte tenu des éléments disponibles, le Comité ne peut conclure que les informations détaillées et spécifiques demandées par l’auteur, notamment en ce qui concerne les résultats des enquêtes menées auprès des étudiants, qui incluent des données personnelles et protégées, sont de nature publique. Le Comité considère dès lors que l’auteur n’a pas fourni suffisamment d’informations pour étayer le grief qu’il tire de l’article 19 en ce qui concerne la première et la troisième demandes et conclut que ce grief est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur de la communication.

Annexe

Opinion conjointe (dissidente) de Furuya Shuichi, Imeru Tamerat Yigezu et Gentian Zyberi

1.Nous ne pouvons souscrire à la conclusion du Comité selon laquelle cette communication est irrecevable. Notre préoccupation concerne les première et troisième demandes de l’auteur aux fins de l’obtention d’informations relatives aux enquêtes que l’Université de Banja Luka, la principale université publique de la Republika Srpska (Bosnie‑Herzégovine), mène chaque année auprès de ses étudiants sur la qualité de l’enseignement (voir par. 2.1 et 2.2).

2.Dans ses constatations, le Comité considère que l’auteur n’a pas fourni suffisamment d’informations pour étayer le grief qu’il tire de l’article 19 en ce qui concerne la première et la troisième demandes car il n’a expliqué ni à quelles fins il avait demandé ces informations, ni en quoi des informations aussi détaillées et précises sur les résultats des enquêtes menées auprès des étudiants et portant sur des données personnelles et protégées présentaient un intérêt pour le public.

3.L’article 19 (par. 2) vise un droit d’accès à l’information détenue par les organismes publics. Cette information est constituée par les dossiers détenus par un organisme public, quelles que soient la forme sous laquelle elle est stockée, la source et la date de production. Toutefois, aucune disposition de l’article 19 n’exige d’une personne exerçant ce droit qu’elle explique le but des informations demandées ou qu’elle démontre leur intérêt pour le public. Si le droit d’accès à l’information est également soumis aux restrictions prévues à l’article 19 (par. 3), il incombe à l’État partie de démontrer que les restrictions qu’il impose à ce droit d’accès sont acceptables.

4.En l’espèce, l’auteur affirme que le refus des autorités de l’État partie de lui communiquer des informations sur les résultats des enquêtes que l’Université mène chaque année auprès de ses étudiants constitue une violation du droit de rechercher et de recevoir des informations qu’il tient de l’article 19 (par. 2) du Pacte. Nous considérons dès lors que l’auteur a suffisamment étayé ses griefs aux fins de la recevabilité.

5.Comme le dit le Comité dans son observation générale no 34 (2011), les États parties doivent faire tout ce qui est possible pour garantir un accès aisé, rapide, effectif et pratique à toute information d’intérêt général. Toute restriction à la liberté d’expression doit satisfaire à l’ensemble des conditions suivantes, énoncées à l’article 19 (par. 3) du Pacte, qui autorise certaines restrictions mais uniquement si elles sont expressément fixées par la loi et si elles sont nécessaires : a) au respect des droits ou de la réputation d’autrui ; et b) à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques. La question de savoir si et dans quelle mesure le refus de donner accès à des informations constitue une ingérence dans l’exercice de la liberté d’expression d’un auteur doit s’apprécier au cas par cas à la lumière des circonstances particulières de la cause, au regard des critères pertinents, dont le but de la demande d’information, le rôle de l’auteur, la nature des informations recherchées et la disponibilité des informations.

6.L’auteur est un journaliste indépendant. Il a demandé à avoir accès aux résultats de l’enquête annuelle parce qu’ils concernaient la qualité du travail des fonctionnaires du plus grand établissement public d’enseignement supérieur de la Republika Srpska (Bosnie‑Herzégovine) et qu’il souhaitait informer le public sur une question d’intérêt public, à savoir la qualité de l’enseignement.

7.L’État partie affirme que la restriction de l’accès à l’information se justifie par l’application de l’article 8 de la loi sur la liberté d’accès à l’information. Toutefois, il n’a invoqué aucun motif précis pour justifier la nécessité des restrictions excessives imposées à l’auteur, comme l’exigent l’article 19 (par. 3) du Pacte et l’article 9 de la loi. Il n’a pas non plus démontré que les mesures choisies constituaient le moyen le moins perturbateur d’obtenir le résultat recherché ou qu’elles étaient proportionnées à l’intérêt à protéger. Dans les circonstances de l’espèce, les restrictions imposées à l’auteur, quand bien même elles étaient fondées en droit interne, n’étaient pas justifiées au regard des conditions énoncées à l’article 19 (par. 3) du Pacte.

8.Dans ces circonstances, nous devons conclure qu’en limitant sans justification adéquate l’accès de l’auteur à des informations détenues par des organismes publics, l’État partie a violé l’article 19 (par. 2) du Pacte.