Nations Unies

CCPR/C/133/D/2708/2015

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

17 janvier 2022

Français

Original : anglais

Comité des droits de l’homme

Constatations adoptées par le Comité au titre de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, concernant la communication no 2708/2015 * , **

Communication présentée par :

Petr Berlinov (non représenté par un conseil)

Victime(s) présumée(s):

L’auteur

État partie :

Bélarus

Date de la communication :

18 mars 2015 (lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 92 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 21 décembre 2015 (non publiée sous forme de document)

Date des constatations :

18 octobre 2021

Objet :

Mise en cause de la responsabilité de l’auteur dans le cadre d’une procédure administrative pour sa participation à une réunion pacifique non autorisée

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes ; fondement des griefs ; recevabilité ratione materiae

Question(s) de fond :

Détention illégale ; droit à un procès équitable ; liberté d’opinion et d’expression ; liberté de réunion

Article(s) du Pacte :

9 (par. 1 et 3), 14 (par. 1), 19 (par. 1 et 2) et 21

Article(s) du Protocole facultatif :

2, 3 et 5 (par. 2 b))

1.L’auteur de la communication est Petr Berlinov, de nationalité bélarussienne, né en 1964. Il affirme que l’État partie a violé les droits qu’il tient des articles 9 (par. 1 et 3), 14 (par. 1), 19 (par. 1 et 2) et 21 du Pacte. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 30 décembre 1992. L’auteur n’est pas représenté par un conseil.

Exposé des faits

2.1L’auteur est journaliste et membre de l’Association bélarussienne des journalistes. Le 5 novembre 2014, lui et d’autres membres d’une antenne locale de l’Association ont participé, à Vitebsk, à un rassemblement en soutien à la campagne de solidarité mondiale « Debout pour le journalisme ». Les participants ont pris des photos devant un mur de graffiti et ont libéré des oiseaux en papier qui étaient enfermés dans des cages en papier symbolisant les entraves à la liberté de la presse. Le 6 novembre 2014, ces photos, accompagnées d’articles, ont été publiées sur les sites Internet du centre pour les droits de l’homme « Viasna » et de l’Association des journalistes.

2.2Le 13 novembre 2014, les services du Comité exécutif régional de Vitebsk, qui relèvent du Ministère de l’intérieur, ont informé ceux du Département des affaires intérieures du district Zheleznodorozhny de Vitebsk qu’ils avaient découvert les photos susmentionnées dans le cadre de la surveillance du contenu des sites Internet. Ils ont également indiqué que, d’après les résultats d’une enquête menée par leurs agents, l’auteur figurait sur l’une des photos. À une date non précisée, un policier a dressé un procès-verbal contre l’auteur pour infraction à l’article 23.34 (par. 1) (violation de la procédure établie pour l’organisation ou à la tenue d’une manifestation publique) du Code des infractions administratives du Bélarus.

2.3L’auteur a été arrêté le vendredi 28 novembre 2014 à 17 h 59 et placé dans un centre de détention temporaire jusqu’au lundi 1er décembre 2014 à 13 heures.

2.4Le 3 décembre 2014, le tribunal du district Zheleznodorozhny a déclaré l’auteur coupable d’une infraction à l’article 23.34 (par. 1) du Code des infractions administratives, après avoir établi qu’il n’avait pas obtenu d’autorisation avant la tenue du rassemblement du 5 novembre 2014, et l’a condamné à une peine de trois jours de détention administrative. Le tribunal a toutefois relevé que l’auteur avait déjà purgé la totalité de sa peine de détention administrative.

2.5Le 6 décembre 2014, l’auteur a formé un recours en cassation devant le tribunal régional de Vitebsk. Il s’est dit non coupable et a affirmé qu’il n’avait pas prévu de participer au rassemblement du 5 novembre 2014, mais qu’il n’avait fait que s’approcher, dans la foule, de personnes de sa connaissance. Tout en se dissociant des opinions exprimées par les participants au rassemblement, il a soutenu que le Bélarus avait violé les droits qu’il tenait des articles 19 (par. 1 et 2), 21 et 22 (par. 1) du Pacte. Il a également affirmé avoir été détenu de manière arbitraire, en violation de l’article 9 (par. 1 et 3) du Pacte, étant donné que cette mesure avait été prise sans décision de justice et n’était en outre pas justifiée par la nécessité de protéger un quelconque intérêt public. Enfin, il a fait valoir que la sanction qui lui avait été infligée avait pour but d’exonérer les policiers qui avaient porté atteinte à ses droits en l’arrêtant arbitrairement, ce qui constituait une violation de l’article 14 (par. 1) du Pacte.

2.6Le 12 décembre 2014, le tribunal régional de Vitebsk a confirmé en appel la décision du tribunal du district Zheleznodorozhny. Il n’a pas cherché à déterminer si la détention de l’auteur était justifiée. Le 6 février 2015, l’auteur a soumis au Président du tribunal régional de Vitebsk une demande de réexamen des décisions susmentionnées au titre de la procédure de contrôle. Le 11 mars 2015, le Président par intérim du tribunal régional de Vitebsk a estimé que rien ne justifiait un tel réexamen. Le 18 mars 2015, l’auteur a soumis au Président de la Cour suprême une demande de réexamen des décisions au titre de la procédure de contrôle. Cette demande a été rejetée le 29 avril 2015. L’auteur affirme qu’il a donc épuisé toutes les voies de recours internes qui lui étaient ouvertes.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que sa détention de trois jours a été arbitraire et a donc constitué une violation des droits qu’il tient de l’article 9 (par. 1 et 3) du Pacte. Il fait valoir en particulier qu’elle n’était ni fondée sur une décision de justice ni justifiée par la nécessité de protéger un quelconque intérêt public ou les droits d’autrui. Il affirme en outre que la sanction qui lui a été infligée rétrospectivement était disproportionnée par rapport à la gravité de l’infraction administrative qu’il aurait commise.

3.2L’auteur se dit également victime d’une violation des droits qu’il tient de l’article 14 (par. 1) du Pacte, en ce que les garanties d’un procès équitable n’ont pas été respectées dans la procédure administrative le concernant. Il affirme en particulier que les juridictions de l’État partie n’ont pas dûment examiné les faits de l’affaire et ont donc manqué à leur obligation d’impartialité et d’indépendance. Il affirme en outre que la sanction qui lui a été imposée, à savoir une peine de trois jours de détention administrative, était plus sévère que celles infligées aux autres participants au rassemblement du 5 novembre 2014, qui n’ont été condamnés qu’à des amendes administratives.

3.3L’auteur soutient que l’État partie a violé les droits qui lui sont reconnus par les articles 19 et 21 du Pacte, étant donné que la sanction qui lui a été infligée pour avoir exprimé son opinion en participant à une réunion pacifique n’était pas fondée sur les motifs énoncés aux articles 19 (par. 3) et 21 du Pacte.

3.4Compte tenu de ce qui précède, l’auteur demande au Comité de conclure à une violation, par l’État partie, des droits qu’il tient des articles 9, 14, 19 et 21 du Pacte, et de prier l’État partie de réparer les violations commises en l’espèce et de l’indemniser pour le préjudice moral subi.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une note verbale datée du 24 février 2016, l’État partie rappelle les faits sur lesquels repose la communication et soutient que, le 5 novembre 2014, l’auteur a participé à une manifestation publique tenue en violation de la procédure établie par les lois du 30 décembre 1997 sur les manifestations publiques, en conséquence de quoi sa responsabilité a été mise en cause dans le cadre de la procédure administrative pertinente. La légalité et la validité de cette décision ont été contrôlées à plusieurs reprises par les juridictions nationales. Les tribunaux ont conclu que les griefs de l’auteur concernant les violations du droit international qui auraient été commises au cours de la procédure administrative le visant n’étaient pas fondés.

4.2L’État partie fait valoir que, conformément à l’article 12.11 (par. 3) du Code des infractions administratives, une décision devenue exécutoire peut faire l’objet d’un recours au titre de la procédure de contrôle dans un délai de six mois à partir de sa date d’entrée en vigueur. Or l’auteur n’a pas présenté au Bureau du Procureur de demande de réexamen des décisions rendues par les juridictions nationales au titre de la procédure de contrôle. Il n’en a désormais plus la possibilité, le délai de six mois prévu à l’article 12.11 (par. 3) du Code des infractions administratives étant expiré.

4.3L’État partie affirme que, conformément aux dispositions de l’article 14 du Pacte, la cause de l’auteur a été entendue par un tribunal compétent, indépendant et impartial, établi par la loi, et son droit de faire examiner par une juridiction supérieure la décision retenant sa responsabilité dans le cadre d’une procédure administrative a été pleinement respecté.

4.4L’État affirme en outre que le droit de l’auteur à la liberté d’expression n’a pas été violé. Selon lui, la procédure relative à l’organisation et à la tenue de manifestations publiques, établie par la loi sur les manifestations publiques, vise à instaurer les conditions permettant aux citoyens d’exercer leurs droits et libertés constitutionnels, tout en assurant la sûreté publique et l’ordre public.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité et le fond

5.1Le 1er avril 2016, l’auteur a présenté ses commentaires au sujet des observations de l’État partie. Il note que l’État partie n’a avancé aucun argument montrant en quoi le fait de retenir sa responsabilité dans le cadre d’une procédure administrative au motif qu’il avait participé à une réunion pacifique et exprimé ses opinions était légal. Il reprend son argument initial selon lequel, en violation de l’article 14 (par. 1) du Pacte, les tribunaux de l’État partie ont manqué à leur obligation d’impartialité en prenant le parti de l’autorité chargée des poursuites et en lui infligeant une peine de trois jours de détention administrative pour avoir simplement participé à une réunion pacifique.

5.2L’auteur relève en outre que l’État partie n’a pas contesté le caractère pacifique du rassemblement du 5 novembre 2014. Il soutient que l’État partie a enfreint les droits qu’il tient des articles 19 (par. 1 et 2) et 21 du Pacte en en restreignant l’exercice de manière injustifiée.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 97 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’article 5 (par. 2 a)) du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité prend note de l’affirmation de l’État partie selon laquelle l’auteur n’a pas présenté au Bureau du Procureur de demande de réexamen des décisions rendues par les juridictions nationales au titre de la procédure de contrôle. Il rappelle sa jurisprudence, dont il ressort que l’introduction auprès du ministère public d’une demande de contrôle d’une décision de justice définitive, subordonnée au pouvoir discrétionnaire du procureur, ne fait pas partie des recours utiles devant être épuisés aux fins de l’article 5 (par. 2 b)) du Protocole facultatif. En conséquence, il considère que les dispositions de cet article ne l’empêchent pas d’examiner la communication.

6.4Le Comité prend note également du grief de l’auteur selon lequel les droits qu’il tient de l’article 14 (par. 1) du Pacte ont été violés, les tribunaux de l’État partie n’ayant pas dûment apprécié les faits de la cause et ayant, par conséquent, manqué à leur obligation d’impartialité et d’indépendance. Il relève néanmoins qu’il appartient généralement aux juridictions des États parties d’examiner les faits et les éléments de preuve ou l’application de la législation nationale dans un cas d’espèce, sauf s’il peut être établi que l’appréciation des éléments de preuve ou l’application de la législation ont été de toute évidence arbitraires, manifestement entachées d’erreur ou ont représenté un déni de justice, ou que le tribunal a par ailleurs violé son obligation d’indépendance et d’impartialité. En l’espèce, le Comité est d’avis que l’auteur n’a pas démontré, aux fins de la recevabilité, que la procédure le concernant avait été manifestement arbitraire ou entachée d’erreur ou avait constitué un déni de justice, ni apporté la preuve que les tribunaux avaient de quelque manière que ce soit manqué à leur obligation d’indépendance et d’impartialité. Il considère donc que cette partie de la communication n’a pas été suffisamment étayée et conclut qu’elle est irrecevable au regard de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.5Le Comité note que l’auteur dénonce une violation de l’article 9 (par. 3) du Pacte au motif que son placement en détention du 28 novembre au 1er décembre 2014 n’était pas fondé sur une décision de justice et n’a été rétrospectivement approuvé par le tribunal du district Zheleznodorozhny que le 3 décembre 2014. Il doit donc déterminer si la détention administrative de l’auteur entre dans le champ d’application de l’article 9 (par. 3) du Pacte et si cette partie de la communication est recevable au regard de l’article 3 du Protocole facultatif. Il rappelle à cet égard que, bien qu’une accusation en matière pénale se rapporte en principe à des actes qui sont réprimés par la loi pénale interne, la notion d’« accusation en matière pénale » doit être entendue dans le sens que lui donne le Pacte. En l’espèce, l’auteur a été puni pour une infraction administrative et condamné à trois jours de détention administrative. Le Comité considère qu’une telle peine avait pour objectifs de sanctionner l’auteur pour ses actes et de prévenir, par son effet dissuasif, de futures infractions de même nature − objectifs analogues au but général de la législation pénale. Dans ces conditions, il estime que le grief de l’auteur relève de la protection garantie par l’article 9 (par. 3) du Pacte.

6.6Le Comité estime que l’auteur a suffisamment étayé, aux fins de la recevabilité, les griefs qu’il tire des articles 9 (par. 1 et 3), 19 et 21 du Pacte. Il déclare donc cette partie de la communication recevable et passe à son examen au fond.

Examen au fond

7.1Conformément à l’article 5 (par. 1) du Protocole facultatif, le Comité a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations que lui ont communiquées les parties.

7.2Le Comité prend note du grief de l’auteur selon lequel l’État partie a violé les droits qui lui sont garantis par les articles 19 et 21 du Pacte, étant donné qu’il a vu sa responsabilité mise en cause, dans le cadre d’une procédure administrative, pour avoir participé à un rassemblement pacifique non autorisé en soutien à la campagne mondiale de solidarité « Debout pour le journalisme ». Le Comité doit déterminer dans un premier temps si, en l’espèce, l’application de l’article 23.34 (par. 1) du Code des infractions administratives, sur le fondement duquel l’auteur a été reconnu coupable d’une infraction administrative et condamné à une peine de trois jours de détention administrative, constituait une restriction au droit de l’auteur à la liberté d’expression (art. 19, par. 3) et à son droit à la liberté de réunion pacifique (deuxième phrase de l’article 21 du Pacte). Il note que l’article 23.34 du Code des infractions administratives réprime le « non-respect de la procédure établie aux fins de l’organisation ou de la tenue d’une manifestation publique ». Il constate donc que l’exercice par l’auteur des droits qui lui sont garantis par les articles 19 (par. 2) et 21 du Pacte a été restreint.

7.3Le Comité doit donc déterminer si la restriction imposée au droit de réunion pacifique de l’auteur était justifiée au regard de l’un quelconque des critères énoncés dans la deuxième phrase de l’article 21 du Pacte.

7.4Le Comité rappelle que le droit de réunion pacifique, consacré par l’article 21 du Pacte, est un droit de l’homme fondamental, essentiel à l’expression publique des points de vue et opinions de chacun et indispensable dans une société démocratique. Ces réunions peuvent prendre de nombreuses formes, à savoir notamment celles de manifestations, protestations, rassemblements, défilés, sit-in, veillées à la bougie et mobilisations éclair. Elles sont protégées au titre de l’article 21 qu’elles soient statiques, comme les piquets, ou mobiles, comme les défilés ou les marches. L’exercice de ce droit ne peut faire l’objet que des seules restrictions imposées conformément à la loi ou nécessaires dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l’ordre public ou pour protéger la santé ou la moralité publiques, ou les droits et libertés d’autrui. Lorsqu’un État partie impose des restrictions au droit de réunion des particuliers afin de le concilier avec les intérêts généraux susmentionnés, il doit chercher à faciliter l’exercice de ce droit, et non s’employer à le restreindre par des moyens qui ne sont ni nécessaires ni proportionnés. L’État partie est donc tenu de justifier la limitation du droit garanti à l’article 21 du Pacte et de démontrer qu’elle ne constitue pas un obstacle disproportionné à l’exercice de ce droit. Les restrictions ne doivent pas être discriminatoires ni porter atteinte à l’essence du droit visé ; elles ne doivent pas non plus avoir pour but de décourager la participation à des réunions ni avoir un effet dissuasif.

7.5Le Comité note qu’en l’espèce, l’auteur a été reconnu coupable d’une infraction administrative et condamné à une peine de trois jours de détention administrative, en application de l’article 23.34 (par. 1) du Code des infractions administratives parce qu’il n’avait pas obtenu d’autorisation préalable à la tenue du rassemblement du 5 novembre 2014, en violation de la procédure établie par la loi sur les manifestations publiques. Le Comité fait observer à ce propos que, si les restrictions imposées en l’espèce, qui ont trait à l’obligation de demander une autorisation préalable, étaient conformes à la loi sur les manifestations publiques, ni l’État partie ni les tribunaux nationaux n’ont expliqué en quoi il était nécessaire pour l’auteur − en application de la législation nationale et pour l’un des motifs légitimes énoncés dans la deuxième phrase de l’article 21 du Pacte − d’obtenir une autorisation avant de rejoindre un rassemblement pacifique tenu le 5 novembre 2014. L’État partie et les juridictions nationales n’ont pas davantage expliqué en quoi en l’espèce, dans la pratique, l’auteur et quelques autres individus, qui prenaient des photos devant un mur de graffiti et libéraient des oiseaux en papier enfermés dans des cages en papier, risquaient de porter atteinte aux droits et aux libertés d’autrui ou de mettre en péril la sûreté publique ou l’ordre public. Le Comité rappelle que toute restriction à la participation à une réunion pacifique devrait être basée sur une évaluation individuelle ou différenciée du comportement des participants et de la réunion concernés. Les restrictions systématiques imposées aux réunions pacifiques sont présumées disproportionnées. Partant, le Comité conclut que l’État partie n’a pas justifié la restriction du droit de réunion pacifique de l’auteur, et a donc violé l’article 21 du Pacte.

7.6L’autre question dont est saisi le Comité est celle de savoir si le fait que l’auteur ait vu sa responsabilité mise en cause, dans le cadre d’une procédure administrative, pour avoir participé à un rassemblement pacifique non autorisé en soutien à la campagne mondiale de solidarité « Debout pour le journalisme » constitue une restriction injustifiée de son droit à la liberté d’expression, qui est protégé par l’article 19 (par. 2) du Pacte.

7.7Le Comité renvoie à son observation générale no 34 (2011) sur la liberté d’opinion et la liberté d’expression, dans laquelle il déclare notamment que la liberté d’expression est essentielle pour toute société et constitue le fondement de toute société libre et démocratique. Il rappelle que l’article 19 (par. 3) du Pacte autorise l’application de certaines restrictions à la liberté d’expression, qui doivent toutefois être expressément fixées par la loi et qui sont nécessaires : a) au respect des droits ou de la réputation d’autrui ; b) à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public ou de la santé ou de la moralité publiques. Toute restriction à l’exercice de ces libertés doit répondre aux critères stricts de nécessité et de proportionnalité. Les restrictions doivent être appliquées exclusivement aux fins pour lesquelles elles ont été prescrites et doivent être en rapport direct avec l’objectif spécifique qui les inspire. Enfin, les restrictions imposées à la liberté d’expression ne doivent pas avoir une portée trop large ; elles doivent constituer le moyen le moins perturbateur parmi ceux qui pourraient permettre d’obtenir le résultat recherché. Le Comité rappelle également que c’est à l’État partie qu’il incombe de montrer que les restrictions imposées à l’exercice des droits reconnus à l’auteur par l’article 19 du Pacte étaient nécessaires à l’un des objectifs légitimes et proportionnées.

7.8En l’espèce, le Comité constate toutefois que ni l’État partie ni les juridictions nationales n’ont expliqué en quoi les restrictions au droit à la liberté d’expression de l’auteur étaient justifiées au regard des critères de nécessité et de proportionnalité énoncés à l’article 19 (par. 3) du Pacte. L’État partie n’a pas non plus démontré que la restriction appliquée était le moyen le moins perturbateur parmi ceux qui auraient pu permettre d’obtenir le résultat recherché. En l’absence de toute explication de l’État partie à ce sujet, le Comité estime que, bien qu’elle soit fondée en droit interne, la restriction imposée à l’auteur n’était pas justifiée au regard des dispositions de l’article 19 (par. 3) du Pacte. Il conclut donc que les droits que l’auteur tient de l’article 19 (par. 2) du Pacte ont été violés.

7.9Ayant conclu au caractère injustifié des restrictions dont les droits que l’auteur tient des articles 19 et 21 du Pacte ont fait l’objet, et en l’absence de tout argument de l’État partie justifiant en quoi il était nécessaire et proportionné de condamner l’auteur, près d’un mois après sa participation à la manifestation en question, à une peine de détention administrative pour l’exercice des droits garantis par le Pacte, le Comité conclut également que la privation de liberté à laquelle l’auteur a été soumis était arbitraire et constituait une violation des droits énoncés à l’article 9 (par. 1) du Pacte. Il rappelle qu’il y a arbitraire si l’arrestation ou la détention vise à sanctionner quelqu’un pour l’exercice légitime des droits protégés par le Pacte, comme le droit à la liberté d’opinion et d’expression ou la liberté de réunion.

7.10En ce qui concerne le grief soulevé au titre de l’article 9 (par. 3) du Pacte par l’auteur, qui affirme que son placement en détention du 28 novembre au 1er décembre 2014 n’était pas fondé sur une décision de justice et n’a été rétrospectivement approuvé par le tribunal du district Zheleznodorozhny de Vitebsk que le 3 décembre 2014, le Comité rappelle sa position, exposée dans son observation générale no 35 (2014), selon laquelle quarante-huit heures suffisent généralement à préparer l’audition judiciaire, et que tout délai supérieur à quarante‑huit heures doit rester absolument exceptionnel et être justifié par les circonstances. Il note que non seulement cette exigence devrait s’appliquer également aux cas de détention administrative prolongée, mais aussi qu’elle devrait être encore plus stricte lorsqu’il s’agit d’une affaire d’infraction mineure, comme en l’espèce. L’État partie n’ayant pas fait état de circonstances exceptionnelles en l’espèce qui justifieraient que la présentation de l’auteur devant un juge soit retardée, le Comité constate une violation de l’article 9 (par. 3) du Pacte.

8.Le Comité, agissant en vertu de l’article 5 (par. 4) du Protocole facultatif, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie des droits que l’auteur tient des articles 9 (par. 1 et 3), 19 (par. 2) et 21 du Pacte.

9.Conformément à l’article 2 (par. 3 a)) du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile. Il a l’obligation d’accorder une réparation intégrale aux individus dont les droits garantis par le Pacte ont été violés. En conséquence, l’État partie est tenu, entre autres, d’octroyer à l’auteur une indemnisation adéquate, notamment de lui rembourser les frais de justice qu’il a engagés. Il est également tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour que des violations analogues ne se reproduisent pas, et en particulier de réviser sa législation et les modalités d’application de celle-ci de manière à les rendre compatibles avec l’obligation que lui fait l’article 2 (par. 2) du Pacte d’adopter des mesures propres à donner effet aux droits reconnus par les articles 19 et 21.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité a compétence pour déterminer s’il y a ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et une réparation exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet aux présentes constatations. L’État partie est invité en outre à rendre celles-ci publiques et à les diffuser largement dans ses langues officielles.